Derrière les vieux murs en ruines/40

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 145-148).

2 mai.

Aujourd’hui, chez le notaire Si Thami, j’ai trouvé l’apathique Zohor toute rouge et secouée de fièvre.

Elle est étendue sur un matelas, au fond de la chambre. Des couvertures l’enveloppent, recouvrant même sa tête. Il en sort parfois un gémissement étouffé… Depuis trois jours elle n’a plus son entendement.

Aussi la vieille Dada prend-elle soin de tenir la pièce close et sans air. Deux cierges de cire, brûlant dans les chandeliers, donnent à cette nuit factice une allure mortuaire.

Quelques femmes, des parentes, causent à voix basse, tout en faisant griller des saucisses de mouton sur un canoun. Elles n’interrompent leurs commérages que pour s’approcher de Zohor et elles la fatiguent de paroles compatissantes… puis elles retournent à leur cuisine et à leurs histoires…

Elles ont préconisé d’inutiles remèdes, Allah seul donne le soulagement ! Une patte de hérisson, suspendue parmi les amulettes au caftan de la malade, n’empêche pas la fièvre de monter.

— Pourquoi n’appelez-vous pas la toubiba ? demandé-je.

— Ce qui est écrit est écrit, répond l’esclave. Nul n’arrêtera le destin qui doit s’accomplir.

— Sans doute, mais Dieu permet qu’on s’adresse à ceux qui savent.

— Nos vieilles savent, elles aussi.

— Comment sauraient-elles, puisqu’elles n’ont pas étudié ?

— Certaines choses ne s’apprennent point dans les livres… Écoute : « C’était à l’époque ancienne, des vieilles voulurent prendre le diable…

» — Que ferons-nous, dirent-elles, pour l’attirer ?…

» Elles amenèrent dix femmes qui s’égratignèrent, et vint le diable.

» — Qu’avez-vous ?

» — Le diable est mort !

» — Par ma tête ! je suis le diable !

» — Tu mens.

» — En vérité !

» — Entre dans cette amphore et nous te croirons.

» — Allons ! dit le diable. Il entre, et elles ferment vite l’amphore.

» — Laissez-moi sortir ! criait-il en s’agitant. Mais elles rient :

» — Nous tenons le diable ! Nous tenons le diable !

» — Lâchez-moi ! Filles de brigands ! Chiennes ! Chamelles !

» — Ô Allah ! nous ne te libérerons pas !

» — Puissiez-vous être rôties ! Prostituées !

» — Toi ! le borgne ! Possesseur d’un seul cheveu !

» — Que les boutons sortent de votre chair ! Que les rats vous dévorent !

» — Visage noir ! tu ne nous effrayes plus !

» — Ô mes filles ! Délivrez-moi et je vous rendrai le bien.

» — Comment ferais-tu le bien, toi, Père du Mal ?

» — Je vous montrerai quelque chose pour que vous l’emportiez sur les hommes.

» Elles consentirent et il leur enseigna la sorcellerie. C’est depuis ce jour que les vieilles connaissent les maléfices et le secret de guérir les maux. »

Les femmes qui ont écouté l’histoire hochent la tête, approbatives.

— Il faut, dit la plus âgée, enfumer les vêtements de Zohor avec des araignées sèches et du cumin.

L’esclave apporte un brûle-parfums rempli de braises et les ingrédients nécessaires. Une âcre fumée se répand en la pièce.

La malade gémit doucement.