Des Intérêts du Nord scandinave dans la guerre d’Orient/03

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Des Intérêts du Nord scandinave dans la guerre d’Orient
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 11 (p. 1269-1295).
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DES INTÉRÊTS
DU NORD SCANDINAVE
DANS LA GUERRE D’ORIENT


III.


RELATIONS ENTRE LA SËDE ET I.A RUSSIE SOUS CHARLES XIII. — ÉLECTION DE BERNADOTTE.





I.

L’acte du 13 mars 1809, qui plaçait sur le trône de Suède le frère de Gustave III[1], n’avait pas été seulement un heureux coup de main opéré par les chefs de l’armée pour retenir le royaume sur le penchant de l’abîme où l’entêtement de Gustave IV menaçait de l’entraîner; il fut aussi le signal d’une révolution déjà faite dans les esprits, et qui allait s’établir dans les mœurs. La Suède ne voulait plus de l’absolutisme, et elle entendait mettre en pratique les idées libérales que le commencement du siècle avait vues de toutes parts se développer et grandir. Une constitution fut préparée, discutée et rédigée en quatorze jours par la diète suédoise. Le duc de Sudermanie, frère de Gustave III, l’accepta le 5 juin et fut élu roi. Il s’était distingué pendant sa jeunesse à la tête de la marine suédoise contre les Russes. Régent après la mort de Gustave, il avait laissé le pouvoir à un favori. C’était alors un vieillard précoce, faible d’esprit, tout livré aux appâts d’un mysticisme bizarre, épris des sciences occultes, sans défense contre les séductions du magnétisme et prosélyte ardent de la franc-maçonnerie. Il n’avait certainement pas recherché le trône, mais il crut volontiers que son étoile l’y conduisait.

On raconte ainsi la part que prit le duc de Sudermanie à la révolution de 1809. L’un des conjurés, le colonel Skiöldebrand, alla le trouver : « Dans quelques jours, dit-il au prince, la Suède sera peut-être devenue une province de la Russie; quel rôle compte remplir en de telles circonstances votre altesse royale? » Le duc, qui devinait sans doute, commençait à se troubler et à pâlir. « Nous ne demandons de votre altesse, reprit Skiöldebrand, rien autre chose que de rester neutre jusqu’à ce que tout soit accompli; mais alors le petit-fils de Vasa se montrera-t-il ? Votre altesse royale peut seule nous sauver et nous aider à sauver la Suède. » En écoutant ces dernières paroles, le duc avait repris ses sens et changé de physionomie : d’un ton presque irrité, il demanda qui donc osait venir lui faire de pareilles propositions; mais Skiöldebrand ne se laissa pas émouvoir. « Votre altesse, dit-il d’une voix ferme, a déjà promis... — Comment cela? que voulez-vous dire? — Votre altesse n’a qu’à se rappeler les paroles prononcées autrefois par elle-même pendant son sommeil magnétique : « Quand le navire de l’état est menacé de périr dans l’orage, le vieux pilote s’élance au gouvernail et le conduit au port. » — D’où tenez-vous ces paroles? interrompit le duc interdit. — Je les ai longtemps gardées comme une espérance. — En effet, cela semble écrit. Promettez-moi de vous taire et de ne pas révéler ce secret. . . »

Charles XIII vieillissait dans un affaiblissement à la fois intellectuel et physique; à chaque émotion, ses yeux laissaient échapper des larmes abondantes ; il pleura quand on lui offrit la couronne, il pleura quand il dut choisir son héritier, et la nation lui sut gré d’abord de ce qu’elle attribuait à la vivacité de son patriotisme. Il rencontra un ministre doué d’une pareille facilité d’émotion. Le comte d’Engeström, par suite d’une faiblesse d’organisation qui contrastait avec sa taille gigantesque digne des anciens Scandinaves, avait toujours des larmes prêtes à couler avec celles de son souverain. Il devint et resta son plus intime confident. Ministre des affaires étrangères, on le vit déployer un grand dévouement aux intérêts de son pays pendant la difficile période de 1812 et 1813.

Le nouveau gouvernement avait deux choses à faire en toute hâte. Il fallait, s’il était possible, conclure une paix générale, tout au moins des traités particuliers avec la Russie et la France; il fallait ensuite affermir le trône en désignant un héritier de la couronne, puisque Charles XIII n’avait pas de fils.

Les Russes étaient à quelques lieues de la capitale; déjà quelques familles avaient quitté Stockholm et s’étaient réfugiées dans le centre du pays. Il n’y avait, à ce qu’il semble, qu’à faire savoir à Saint-Pétersbourg qu’après la révolution du 13 mars, destinée à vaincre l’obstination du souverain qui refusait d’obéir aux sommations d’Alexandre, on était prêt à signer la paix. Un autre sentiment prévalut. Les Russes étaient plus que jamais détestés à Stockholm après l’invasion perfide de la Finlande; on était bien convaincu que c’était là l’ennemi naturel et irréconciliable, et que la conquête de 1808 et de 1809 était bien moins un accident né des complications européennes qu’un résultat longtemps préparé par l’ambition moscovite. On oublia Tilsitt et Erfurt; on invoqua la France, on voulut se jeter dans ses bras. Le nouveau gouvernement pensait d’ailleurs que la France ne dédaignerait pas l’alliance d’un peuple brave et généreux, qui pouvait, dans le cas toujours à prévoir d’une rupture avec la Russie, devenir si importante et si utile. C’était l’alliance indiquée par l’ancien système politique et la plus conforme aux traditions du passé.

« Il est permis d’espérer, disait le cabinet suédois dans ses instructions au baron de Schwerin partant pour Saint-Pétersbourg, que la France ne cédera pas désormais un des plus beaux droits que les siècles lui ont transmis à l’égard de la Suède, celui de fixer son sort et son indépendance. » Dès le 29 mars, le duc de Sudermanie (Charles XIII) écrivait à Napoléon : « ….. Je souhaite de trouver dans votre majesté impériale un appui et un médiateur, persuadé que les intérêts de la Suède, de tout temps appréciés par elle, ne sauraient jamais devenir indifférens au souverain magnanime à qui la Providence a confié les destinées de tant de nations. Celle que je gouverne est digne d’un sort prospère, digne de ne pas succomber à la suite d’événemens aussi contraires à ses intérêts qu’à ses vœux. Elle possède encore tous ces élémens de courage et d’énergie qui, depuis des siècles, ont rendu son sort si intéressant à la France. » Le duc demandait ensuite, afin d’éviter une paix particulière avec la Russie, que Napoléon voulût se faire le médiateur des négociations et permettre qu’elles fussent ouvertes sous ses yeux, aux lieux mêmes de ses résidences.

Napoléon ne témoigna aux différens envoyés de la Suède aucune mauvaise volonté; il leur sut gré de la révolution qui avait renversé son adversaire opiniâtre et insensé; il les en félicita. Toutefois il ouvrait en ce moment même une campagne contre l’Autriche; le concours d’Alexandre lui était indispensable contre cette puissance et contre l’Angleterre : ce n’était pas alors qu’il pouvait s’en priver, et il se voyait obligé de ménager en tout le tsar. D’ailleurs il avait promis de laisser toutes les affaires du Nord à la disposition du cabinet de Saint-Pétersbourg, et il entendait tenir sa parole; Tilsitt et Erfurt, issus des fautes de Gustave IV, commençaient à peser sur lui comme ils pesaient sur les Suédois. « Votre révolution vient trop tard, répondit Napoléon aux envoyés suédois, j’ai échangé la Suède contre l’Espagne. Tournez-vous vers l’empereur Alexandre, il est grand et généreux. » Et il refusa de traiter avec eux avant que leur paix n’eût été conclue avec la Russie. Une fois cette condition remplie, il devait leur restituer la Poméranie et l’île de Rugen.

Après avoir recherché avec tant d’empressement l’alliance de la France, les Suédois se tournèrent vers elle avec la même confiance dans leurs négociations particulières pour l’élection d’un successeur au trône. Espérant ménager à l’avance une réunion de la Norvège à la Suède pour se dédommager de la perte de la Finlande, Charles XIII, sur l’avis de la diète, avait adopté pour fils et prince royal héréditaire Charles-Auguste, prince d’Augustenbourg, gouverneur et comme vice-roi de la Norvège; mais l’adoption n’avait été faite qu’après qu’on eut consulté Napoléon. Il avait été question d’élire, dans l’intention de lui plaire, soit le prince Eugène, soit Berthier. On avait tenté ensuite d’obtenir pour le prince royal la main d’une princesse de la famille impériale, par exemple celle de la princesse Charlotte, fille de Lucien Bonaparte. Napoléon avait fermé l’oreille à toutes les propositions et à toutes les insinuations pour ne pas rompre ses engagemens de 1807. S’il avait tort, au moins était-ce à ses risques et périls, et en restant fidèle à sa parole.

On voit quelles étaient les dispositions de la Suède envers la France. Veut-on savoir ce qu’elle avait à attendre de la Russie? Bien que la révolution de 1809 eût été faite pour répondre aux vœux des cabinets de Paris et de Saint-Pétersbourg, l’armée russe n’en continuait pas moins les hostilités. C’est qu’Alexandre, en dépit de son prétendu désintéressement et loin de dédaigner la conquête de la Finlande, entendait tirer d’Erfurt et de Tilsitt tout le profit possible et exploiter jusqu’aux derniers avantages de cette bonne aubaine. Il ne s’agissait plus pour lui seulement de la Finlande à conserver; il exigeait encore les Aland et même une partie du territoire primitivement suédois, c’est-à-dire le pays entre les rivières de Kalix et de Kemi, celle-ci à l’est et la première à l’ouest de Tornéo. Le cabinet de Stockholm reçut avis de ces conditions avec désespoir; il représenta que la Finlande, occupée par les ennemis comme un moyen de forcer la Suède à se joindre au système continental, devait être rendue au moment où celle-ci cessait toute résistance, que les Aland n’avaient jamais été finlandaises et que ces îles étaient l’avant-poste de leur capitale, comme le territoire entre le Kalix et le Kemi était le seul boulevard au nord contre une surprise. Le Kemi, distant du Kalix d’environ quinze lieues de France, avait toujours été frontière entre la Finlande et la Suède. De là on pouvait tirer une ligne divisant le golfe de Botnie en deux parties à peu près égales; mais en tirant une ligne pareille du Kalix, c’était presque la totalité du golfe qui tomberait au pouvoir de la Russie, avec les îles nombreuses qu’il contient[2]. Qui assurait que les chancelleries russes ne se prévaudraient pas un jour de cette ligne naturelle de partage : à la Suède toutes les terres à l’ouest, tout l’orient à la Russie, y compris l’île de Gottland, qui naguère, en 1808, avait si vigoureusement repoussé l’invasion?

Les représentations de la Suède n’étaient pas écoutées cependant, et la prolongation des hostilités ruinait le pays; on devait craindre l’occupation même de la capitale, tout au moins l’intervention du tsar dans les affaires intérieures : il fallut nécessairement traiter. On essaya d’obtenir que la Russie se chargeât d’une partie de la dette publique afférente à la part de la Finlande dans le budget, on demanda qu’elle s’engageât à ne point fortifier les Aland : efforts inutiles. Les plénipotentiaires suédois, Stedingk et Skiöldebrand, réunis avec le ministre russe Romanzof dans la petite ville de Frederikshamn pour les négociations, recevaient mille politesses; ils se voyaient servis par un nombreux domestique portant la livrée du tsar, qui semblait leur faire les honneurs de ses nouveaux domaines. Romanzof surtout, dont l’éducation et la politesse étaient toutes françaises, les traitait avec la plus grande courtoisie, mais ne leur faisait aucune concession. «Songez bien, leur dit-il un jour, qu’en signant la paix et en rétablissant une légation à Stockholm, nous reconnaissons votre révolution et votre nouveau gouvernement, sans nous mêler en rien de vos affaires intérieures. Ne comptez pas sur la France. Elle vous a livrés à nous. En pareilles circonstances, les événemens décideront, et ce qui vous est offert aujourd’hui pourrait bien vous manquer demain. »

On comprend la douleur des négociateurs suédois. Skiöldebrand ne put contenir son ressentiment. Il osa dire en face au ministre russe : « Comment l’histoire jugera-t-elle votre maître, qui, non content de nous avoir attaqués injustement, abuse de nos embarras actuels pour nous dépouiller de tout ce qu’il peut nous ravir? » Alexandre consentit cependant à une légère concession. Le 15 septembre 1809, Romanzof vint trouver les plénipotentiaires suédois; il avait reçu du tsar une lettre autographe avec une petite carte de Suède et de Finlande : « Tenez, messieurs, dit-il, l’empereur mon maître, pour la fin de notre négociation, a réservé au roi de Suède, son bon ami, un bouquet. Il vous laisse le pays entre le Kalix et le Tornéo. » En effet, Alexandre avait lui-même, au crayon rouge, marqué sur la carte le fleuve Tornéo comme devant former définitivement la frontière, et il terminait son message par ces lignes : « Le Tornéo et le Mounio seront donc désormais la limite commune. Je ne consentirai jamais à céder la ville de Tornéo. Si la paix n’est pas signée immédiatement après que vous aurez reçu cette lettre, je vous ordonne de rompre toute négociation, et le sort des armes décidera quelles seront mes conditions ultérieures. » Il fallait bien se soumettre. Deux jours après fut signé l’acte célèbre qui, en reculant la limite actuelle de la Russie jusqu’à l’extrémité nord-ouest de la Baltique, a consacré le plus bel accroissement de puissance qui lui soit échu depuis le commencement du siècle, fondé sa marine et ruiné son ennemi. On lit dans les dépêches de Stedingk au sujet de cette mutilation de la Suède : « La vengeance divine effacera un jour, j’en ai la ferme espérance, cette page de nos annales. Le ciel m’est témoin que j’eusse mieux aimé signer ma mort que de signer cette paix. Cette paix est un malheur pour la Suède, mais un malheur inévitable. » Skiöldebrand, l’autre négociateur, fit graver sur le cachet qui lui avait servi de sceau cette simple parole : exoriare, qu’il était facile d’interpréter pour peu qu’on se souvînt du vers de Virgile :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor !

Les Suédois avaient cru en traitant acheter leur indépendance intérieure; tel devait être le premier fruit de la paix conclue avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, celui dont se prévalent les modernes défenseurs de cette politique et de ce traité. « La Suède, disent-ils, tant qu’elle fut en possession de la Poméranie et de la Finlande, était un corps mal constitué, exposé de tous côtés, partout vulnérable, entraîné dans tous les conflits du continent, toujours sur le qui-vive, menace perpétuelle pour ses voisins, qui, par conséquent, étaient intéressés à l’affaiblir, en proie à leurs menées et à leurs intrigues, sans cesse agitée, fiévreuse, démoralisée[3].... » Voyons donc si la perte de la Finlande mit en effet la Suède, comme on l’affirme, à l’abri des intrigues et des menées de ses redoutables voisins.

Stedingk avait repris, aussitôt après la paix de Frederikshamn, son ancien poste de ministre de Suède auprès du cabinet de Saint-Pétersbourg. Il est curieux de lire dans ses dépêches le récit de sa première audience. Alexandre le reçut dans ce même cabinet où Stedingk, dix-huit mois auparavant, avait vu se former l’orage et avait essayé, mais en vain, de le conjurer. Le vieux diplomate ne pouvait sans émotion reprendre en ce lieu sa carrière interrompue par un si cruel malheur, et son deuil était visible. L’empereur en fut embarrassé, et d’un ton qui essayait d’attirer la confiance : « Comment se porte le roi ? dit-il. — Sa majesté, répondit Stedingk, est loin d’être en bonne santé ; les derniers et tristes événemens qui ont accablé notre malheureuse patrie l’ont trop affligée. — Oui, reprit Alexandre, qui voulait éviter de parler du passé, les terribles circonstances qui nous ont assaillis ont amené des changemens qui doivent vous être pénibles ; mais soyez convaincu que la Russie ne veut plus désormais que mériter l’amitié de la Suède, et que nous ferons tout pour l’obtenir. » L’empereur se mit alors à répéter tout ce qu’il avait fait pour entraîner Gustave IV dans le système continental. Il raconta qu’à Erfurt Napoléon l’avait engagé à s’emparer des plus belles provinces de la Suède, et qu’il s’y était refusé, de quoi Stedingk le loua fort « dans l’intérêt de son honneur. » Alexandre finit en disant : « Veuillez, mon cher ambassadeur, assurer le roi votre maître que je l’estime, et que nos intérêts seront dorénavant les mêmes. Son bonheur et celui de la Suède me tiennent au cœur, et je souhaite que rien ne vienne troubler le repos dont j’espère qu’il va jouir. Je veux agir à l’égard de votre nation de manière à faire oublier tout le passé. . . » Le tsar se tut, comme s’il craignait d’aller trop loin. Il reprit bientôt, et parla avec enthousiasme de Napoléon ; mais Stedingk, dont Marie-Antoinette avait été la protectrice, et qui se rappelait les beaux jours de Versailles, était dévoué aux Bourbons. Alexandre le savait : « Vous êtes prévenu contre lui, dit-il, je ne l’ignore pas. Moi, je le connais depuis longtemps. Sans parler de ses qualités comme grand politique et de ce noble projet de fonder une paix européenne, qu’il exécutera, quelle noblesse et quelle droiture ! quelle fidélité à sa parole envers moi ! Son cœur m’est ouvert ; il ne me cache rien. Il a toute ma confiance, tout mon dévouement, et notre amitié ne finira qu’avec la vie. » La conversation revint ensuite sur les affaires de Suède, et, à ce propos, sur le prince Vasa, fils de Gustave IV. « Comment est-il possible, dit Alexandre, que toute la nation ait été unanime pour exclure du trône un jeune prince qui n’était pour rien dans les fautes de son père? Tout cela m’inquiète, je l’avoue, et je ne sais qu’en penser. » Ces dernières paroles avaient été dites par l’empereur comme en confidence, et point du tout officiellement; il l’avait fait lui-même remarquer à Stedingk, en déclarant qu’il ne prétendait s’immiscer en rien dans les affaires intérieures de la Suède. La suite du récit nous montrera, ou bien qu’Alexandre ne resta pas fidèle à cet engagement, ou bien que la Suède détestait assez la Russie pour lui attribuer sans cesse tous ses maux.

Il faut avouer que les apparences étaient peu à l’honneur de la Russie. Après la révolution du 13 mars, Alexandre n’avait pas reconnu le nouveau gouvernement suédois. Il avait témoigné ensuite son peu de goût pour la constitution votée par la diète. Chose curieuse, on lui avait attribué en Suède l’intention d’y substituer, par son influence toute-puissante, l’ancienne constitution de 1720, cet instrument d’anarchie auquel Catherine et Frédéric II s’intéressaient si fort lorsqu’ils voulaient préparer à la Suède le sort de la Pologne. Fondé ou non, le soupçon fait voir quelle était l’opinion en Suède à l’endroit des menées russes. De plus, Alexandre n’accepta jamais franchement le prince royal élu en 1809. Il est vrai que les motifs et les espérances qui avaient dirigé cette élection ne devaient point lui plaire. Les Suédois avaient compté que l’avènement du prince d’Augustenbourg, élu prince royal, réunirait la Norvège à la Suède. Or le cabinet de Saint-Pétersbourg était alors l’allié du Danemark; c’était son devoir de ne pas consentir à cette réunion. Les Suédois en outre croyaient trouver dans les talens et dans les sentimens du prince un ferme appui, une défense contre la Russie. Dans les pourparlers qui avaient précédé son élection, le comte de Platen avait représenté au prince qu’une fois la Suède écrasée par cette puissance, viendrait le tour de la Norvège, et que les intérêts des deux pays étaient communs aussi bien que leurs affections. « Permettrez-vous notre ruine, lui disait-il, pour devenir ensuite vous-mêmes la proie des barbares? — Non, avait répondu le prince avec chaleur, et malgré ses précédons scrupules, mille fois non ! Plutôt succomber et m’exiler en Amérique ! » Et il avait promis qu’en attendant il supplierait le roi de Danemark de l’autoriser à occuper, de concert avec l’année suédoise, une partie du territoire menacé pour s’opposer aux progrès de l’invasion russe. Alexandre n’ignorait pas ces menaces. Enfin le nouveau prince royal promettait à la Norvège une constitution libérale; il acceptait en Suède celle que la diète et Charles XIII venaient de proclamer. La Russie pouvait-elle accepter sans déplaisir le voisinage d’un gouvernement constitutionnel?

Les difficultés qui entouraient le nouveau gouvernement pouvaient du moins servir à calmer pour un temps les appréhensions du tsar. Charles XIII n’avait pas consenti sans scrupules à l’exclusion du fils de son neveu. Le prince d’Augustenbourg était l’élu des hommes de 1809, mais leurs ennemis allaient être les siens. L’ancienne aristocratie suédoise, les Ruuth, les d’Ugglas, les La Gardie, les Fersen, se voyaient menacés par la révolution dans leur crédit, dans leurs privilèges et leurs richesses. Ils étaient résolus à tout risquer pour renverser la nouvelle constitution et rétablir l’ancienne dynastie. Ils formèrent un club qui eut son organisation régulière, sa police secrète, et où s’élaborèrent, avec leurs différens projets, les calomnies qu’ils crurent utile d’inventer et de répandre. Avant l’élection du prince royal, ils avaient essayé, s’appuyant sur le crédit de la reine et soutenus auprès d’elle par la comtesse Piper, sœur des Fersen, de faire désigner par Charles XIII le prince Vasa, fils de Gustave, comme héritier de la couronne. Après l’élection, contraire à leurs vœux, on les vit imaginer les desseins les plus extrêmes, tantôt un soulèvement populaire en Dalécarlie, tantôt une délivrance par surprise ou par force de la famille royale prisonnière à Gripsholm. Puis, invoquant la séduction et la ruse, ils voulaient arriver à faire élire le fils de Gustave par le prince royal lui-même pour son futur successeur ; ils répandaient le bruit de cette promesse, comme si elle était réelle, et affirmaient que le prince royal s’était engagé à ne pas se marier. Contre ces intrigues, le parti du gouvernement, ayant recours aux mêmes armes que ses ennemis, forma, lui aussi, un club qui eut comme l’autre ses espions et ses pamphlétaires, et ne dédaigna pas d’employer également les fausses nouvelles et la calomnie. Chacun des deux partis se pressait, car le roi malade semblait n’avoir plus que quelques jours à vivre[4]. Adlersparre, celui que nous avons vu projeter et commencer la révolution, prit contre la ligue aristocratique quelques précautions utiles : il essaya, sans réussir il est vrai, de faire épouser au prince d’Augustenbourg une princesse de la famille de Napoléon ; il fit sortir secrètement de Suède la famille royale, et se mit en route, au commencement de décembre 1809, pour ramener à Stockholm le prince royal, qui, bien qu’élu, était resté en Norvège, et qu’il était important d’avoir sous la main, soit pour le soustraire aux suggestions ennemies, soit pour le proclamer roi immédiatement dans le cas où Charles XIII viendrait à mourir.

Ici commence tout un drame qui ne doit pas être omis dans le tableau de cette période agitée, et dont les conséquences se font sentir dans toute la suite de l’histoire de Suède. La mort du prince royal, Charles-Auguste d’Augustenbourg, qui le termine, a certainement, quelle qu’en ait été la cause réelle, élevé d’une part un mur entre la Norvège et le Danemark et préparé de la sorte l’œuvre de Bernadette; de l’autre, elle a augmenté l’éloignement des Suédois pour la Russie. Dès avant l’entrée de Charles-Auguste en Suède, des bruits sinistres avaient été répandus de toutes parts, annonçant sa mort prochaine et insultant aux espérances de ses partisans. Des placards et des billets anonymes, dans Stockholm et sur toute la route qu’il devait parcourir, depuis Gothenbourg jusqu’à la capitale, le représentaient comme entouré d’assassins. Adlersparre, qui était allé rejoindre le prince à Svinesund, un peu au nord de Gothenbourg, sur la frontière de Norvège, eut peut-être le tort d’ajouter une foi excessive à ces avis, qui pouvaient n’avoir d’autre but que d’empêcher le voyage. Il commit la faute d’en entretenir souvent Charles-Auguste, qui en devint soucieux et inquiet. Le prince traversa ainsi la Suède au milieu des acclamations populaires, mais accablé de craintes et de soupçons. Arrivé au château de Drottningholm, où il devait séjourner quelques jours avant de faire son entrée solennelle à Stockholm, il se vit entouré de personnes qu’il avait lieu de croire mal disposées à son égard. Comment en effet Charles XIII avait-il désigné pour faire partie de sa cour les deux frères Fersen, par exemple, que tout le monde savait dévoués à l’ancienne famille, et comment lui avait-on envoyé comme médecin le fils d’un opticien italien, le dentiste Rossi, que les Fersen avaient introduit jadis à la cour, qui avait fait fortune auprès de Gustave IV, et dont le caractère était suspect? Il était clair que ces choix avaient été dirigés par les ennemis du prince. Après l’entrée solennelle à Stockholm, la présentation au roi et à la diète, la cérémonie du serment, Charles-Auguste partit pour visiter les provinces du sud. Arrivé à Helsingborg, sur les bords du Sund, où il revit son frère le duc d’Augustenbourg, il sentit redoubler les douleurs de tête et d’entrailles auxquelles il était sujet depuis le commencement de son voyage en Suède. Tout à coup, le 28 mai, pendant une revue, il fut saisi d’un étourdissement et comme d’un vertige subit, tomba de cheval et expira quelques instans après.

Cette mort était un malheur public, car le prince n’était pas seulement l’élu des hommes de 1809, il était devenu celui de la nation tout entière. Sans oublier que l’esprit de parti était pour beaucoup dans les éloges peut-être exagérés qu’on faisait de lui et dans les espérances brillantes qu’on édifiait sur ses vertus, on doit se rappeler que Charles-Auguste, fort aimé des Norvégiens, semblait promettre un règne aussi indépendant des puissances étrangères que les complications des dernières années le permettaient, et glorieux même par la réunion tant souhaitée de la Norvège. À ce double titre de candidat vraiment national et de réparateur présumé des pertes douloureuses qu’on avait récemment subies, le prince ralliait toutes les sympathies du peuple suédois, moins celles de la petite fraction aristocratique qui restait attachée à la famille de Gustave IV. Les rumeurs sinistres qui avaient précédé l’événement du 28 mai se réveillèrent. Là où il semble aujourd’hui prouvé qu’il y eut simplement une cause naturelle, une attaque d’apoplexie, l’opinion publique voulut trouver l’effet du poison. Les Norvégiens affirmèrent que Charles-Auguste, bien portant avant son arrivée en Suède, avait tout à coup perdu, après avoir passé la frontière, sa santé et son ardeur, et ils attribuaient ce prétendu changement à un poison lent qu’on lui aurait fait prendre dans un repas, au commencement du voyage. Ces soupçons, partagés par les Suédois, s’aigrirent de tout le venin que recèlent les passions politiques dans un temps d’anarchie et de désastre ; la capitale devint une arène qui retentit de menaces sauvages et ne tarda pas à être ensanglantée. Des placards affichés par des mains inconnues excitaient l’effervescence populaire ; en voici un :


« Au peuple, vengeur de Charles-Auguste. — Peuple, l’heure de la vengeance va sonner. Les vrais et bons Suédois ont juré ensemble de mourir ou de venger la mort de Charles-Auguste. Dimanche prochain, quand sonnera la prière du soir, rassemblez-vous sur la grand’place ; vous y trouverez des chefs avec un plan que votre courage, voire force et votre union sauront exécuter. Mort et vengeance ! voilà votre devise. »


Un autre désignait déjà les victimes :


« Suédois ! notre prince est mort par le poison, et nous devons venger sa mémoire. Quelques grands personnages se sont faits les anneaux de cette chaîne de crimes. Réveillez-vous, Suédois ! Il y a encore une lueur de salut ; mais ne la laissez pas s’éteindre… Il faut que le sang soit versé. Vous ne devez plus souffrir les infamies des grands ; la vraie force, vous l’avez dans vos bras fermement unis. Levez-vous, et bientôt vous verrez tomber l’homme aux crachats ;… n’épargnez pas non plus la malicieuse comtesse. »


Et quelques jours après, le 20 juin, jour néfaste dans les annales de la Suède, le beau Fersen, le chevaleresque défenseur de Marie-Antoinette, devenu l’objet de l’exécration populaire, l’homme aux crachats, saisi par la foule furieuse pendant les obsèques du prince royal, était dépouillé, insulté honteusement, poursuivi dans la maison où il cherchait un refuge, jeté nu par les fenêtres, écrasé sous les pieds des furieux, déchiré et mis en pièces ; puis les restes de son cadavre étaient jetés dans la fosse aux criminels. Tout cela se passait en présence d’une compagnie de soldats qui ne prit point les armes et qu’il appela vainement à son secours. La comtesse Piper, sa sœur, la malicieuse comtesse, avait eu le temps de se sauver sur une embarcation; la foule perdit son temps à la chercher. La reine ne fut pas à l’abri des insultes. Stockholm tout entière fut pendant quelques jours sous la menace du pillage et de l’incendie... Que signifie aux yeux de l’historien tout ce désordre? Les récens mémoires publiés à Stockholm affirment qu’il était commandé par les hommes de 1809 en vue de l’élection prochaine d’un nouveau prince royal, et pour éloigner en l’effrayant le parti aristocratique. Quoi! Et les meurtres aussi? Évidemment non. Il arrivait ici ce qui arrive toujours en temps de désordre et de révolution; un parti modéré était dépassé par un parti violent dont il avait cru pouvoir se servir et contenir l’essor. Il est bien clair qu’on voyait poindre ici la démagogie effrénée, Il y a encore aujourd’hui sur cette journée du 20 juin, comme sur le genre de mort du prince royal, des incertitudes et des ténèbres qu’il n’est pas possible d’écarter complètement. Ce qui est sûr, c’est qu’après la mort du prince les accusations populaires avaient été à peu près exclusivement dirigées contre les hommes qu’on croyait devoir être les agens des influences étrangères, et, après avoir lu attentivement les nombreux documens suédois qui nous restent de cette époque, il est permis d’affirmer tout au moins que l’opinion publique avait vu dans cet événement le résultat d’un complot en partie danois, en partie russe, exécuté par les Fersen et les chefs de l’aristocratie, complices des intrigues étrangères.

Russie et Danemark, on l’a dit, ne pouvaient accueillir l’élection d’un prince dont les opinions libérales très connues étaient d’accord avec les nouvelles institutions sorties de la révolution de 1809, que ces deux puissances avaient ouvertement blâmée. Le Danemark en particulier redoutait la séparation de la Norvège. Alexandre s’intéressait naturellement au fils de Gustave IV, son neveu, et la conquête de la Finlande, en rapprochant ses frontières de celles de la Suède, lui avait rendu plus suspect encore le voisinage d’un gouvernement constitutionnel. On sait comment, dans les momens d’anxiété publique, les moindres circonstances, les analogies fortuites, les probabilités, les apparences prennent tout à coup un relief inattendu, sont recueillies et interprétées. Les chefs du parti aristocratique, les Fersen, les La Gardie, etc., avaient, cela est certain, d’incessantes relations avec la Russie; Armfelt, l’Alcibiade suédois, comme on l’a justement nommé, qui finit par prêter serment à Alexandre et devint Russe à la fin de sa vie, Armfelt fit à l’époque même où nous sommes arrivés un voyage à Saint-Pétersbourg pour engager Alexandre à rétablir la famille de Vasa, par les anues s’il le fallait. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’était certainement pas étranger à la conspiration formée par l’aristocratie, et dans laquelle il semble en vérité que le faible Charles XIII lui-même ne refusa pas d’entrer, dans l’espoir de renverser la constitution de 1809. Il est sûr enfin que l’hôtel du ministre russe à Stockholm, l’habile général Suchtelen, arrivé le 26 décembre 1809, et qu’on vit conduire avec tant de finesse et d’habileté pendant tout le règne de Bernadette le jeu de la Russie dans le Nord, était devenu le rendez-vous, pour mieux dire le quartier-général de tout le parti. Les espions de nuit qu’entretenaient les hommes du gouvernement donnèrent cent fois la liste des personnes qui y passaient d’interminables et secrètes soirées : c’étaient les Ruuth, les Fersen, les Armfelt; à tort ou à raison, l’opinion publique était convaincue que c’était dans ces réunions-là que la réaction aristocratique et absolutiste, appuyée sur l’argent de la Russie, élaborait les préparatifs de la contre-révolution.

Il y a plus : non-seulement le cabinet de Saint-Pétersbourg ne resta pas étranger aux menées légitimistes en Suède malgré la promesse d’Alexandre de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ce pays, mais nous avons encore dans la correspondance d’Adlersparre des preuves que la Russie essayait de séduire les populations devenues voisines de ses nouvelles frontières. Comme le gouvernement suédois s’occupait beaucoup de coloniser la Laponie, Alexandre avait offert de lui prêter son concours à la condition que Russes et Finnois pourraient y acheter des terres; c’était un moyen d’envahissement pacifique. Un refus n’avait pas découragé les Russes; ils envoyaient dans les pauvres campagnes du nord de la Suède des agens qui, le dimanche après l’office, se mêlaient à la foule, déploraient le poids des impôts, distribuaient de la part de leur maître quelques secours en argent, promettaient de revenir bientôt, sous le prétexte d’assurer des terres gratuites à ceux qui passeraient dans les îles d’Aland. Ce n’est pas ici le seul exemple d’une pareille propagande de la part de la Russie dans les provinces les plus septentrionales de la presqu’île Scandinave; elle ne dédaigne pas ces pauvres pays, qui sont la route de l’Océan. On devait plus tard la voir étendre ses intrigues jusque vers le pôle nord, jusque dans les pays glacés du Finmark, dont elle ambitionne aujourd’hui encore si ardemment les pêcheries abondantes et les ports qui ne gèlent jamais.

Déchirée par ces menées coupables au lendemain d’une révolution, la Suède, comme on l’a vu, s’était trouvée finalement réduite à redouter les derniers malheurs qu’entraîne l’anarchie; mais elle y reconnaissait sûrement la main de la Russie, et sa haine s’augmentait en raison des dangers que sa redoutable voisine accumulait sur elle. Cette haine contribua certainement à l’élection de Bernadette, qui amena de si singulières vicissitudes dans l’histoire des relations politiques que nous avons entrepris d’étudier.


II.

La mort du prince royal Charles-Auguste avait fait retomber la Suède dans un abîme d’incertitudes. Charles XIII était sans héritier; son extrême affaiblissement d’esprit et de corps livrait aux efforts des ambitieux le gouvernement et la succession royale : il fallait se hâter d’élire de nouveau un prince héréditaire. Les hommes de 1809, Adlersparre en tête, proposaient au vieux roi de remplacer immédiatement le prince d’Augustenbourg par le duc son frère, qu’on disait modeste comme lui. Charles XIII adopta volontiers cet avis. Toutefois il était douteux que le duc lui-même y consentît, car son souverain, le roi de Danemark, Frédéric VI, élevait de son côté des prétentions, et se présentait à Charles XIII et à la diète comme candidat à la triple couronne du Nord Scandinave. Il y avait aussi des prétendans russes, le duc de Mecklenbourg-Schwerin et le duc d’Oldenbourg, parent du tsar, dont les partisans promettaient pour prix d’une élection la restitution de la Finlande; mais ce parti fut toujours peu nombreux et n’osa agir qu’en secret, tant il rencontrait peu de sympathies dans la nation, et tant l’appât paraissait trompeur et grossier.

Le grand point aux yeux des Suédois, c’était de rencontrer un candidat qui eût l’assentiment de Napoléon, et bien que l’empereur des Français eût absolument refusé, lors de la première élection, d’y intervenir par une manifestation quelconque, on eut encore cette fois recours à lui. Quatre jours après la mort du prince Charles-Auguste, Charles XIII lui écrivit : « Mon fils est mort. Je me vois obligé d’assembler vers la mi-juillet les états pour régler la succession au trône. Il me serait d’une grande importance d’avoir reçu la réponse de votre majesté avant cette époque. Il faudrait un prince déjà majeur, ayant une postérité. Si, comme j’aime à le croire, une union intime entre la Suède et le Danemark s’accorde avec les grandes vues politiques de votre majesté, ne pourrait-on pas atteindre ce but de la manière la plus conforme à la position géographique et à l’esprit national des deux peuples, si le duc d’Augustenbourg, beaufrère du roi de Danemark et ayant déjà deux fils, dont l’aîné a douze ans, était élu?... » M. Désaugiers, notre chargé d’affaires à Stockholm, écrivait en même temps : « L’attentat du 20 juin a fait sentir plus que jamais au gouvernement suédois la nécessité de rechercher l’appui d’une volonté ferme qui réduise les séditieux au silence. Cette volonté, dont ils implorent le secours, est celle de sa majesté l’empereur. Quand même le public ne s’en expliquerait pas aussi ouvertement qu’il le fait, j’en aurais la preuve la moins équivoque dans une démarche qui vient d’être faite auprès de moi. Le roi m’envoya hier (21 juin) son premier aide-de-camp, M. de Suremain, à l’insu des ministres, pour me faire savoir que je pourrais m’adresser à lui toutes les fois que je le jugerais convenable; mais ce n’était pas là le principal objet de la visite de M. de Suremain. Il venait surtout nie confirmer la résolution de recevoir avec reconnaissance le prince, quel qu’il soit, que notre souverain lui présentera. — Notre plus grand malheur, dit-il, serait d’être en ce moment abandonnés par l’empereur. Qu’il donne la couronne à un de ses rois, et la Suède se croira sauvée; qu’il écrive au roi : « Votre constitution ne vaut rien, » et ce seul mot suffira au roi pour la modifier sans que la diète ose s’y opposer[5] . »

A vrai dire cependant, la lettre de Charles XIII ne laissait pas à Napoléon le choix du candidat; elle lui demandait seulement d’approuver une résolution déjà prise. L’empereur répondit en termes vagues et généraux qu’il désirait ne pas intervenir dans une telle élection, que le choix fait par le roi de Suède et la diète mériterait certainement et obtiendrait son approbation. Mais quelles étaient ses dispositions véritables? Sous la réserve de ces paroles, les Suédois crurent s’apercevoir qu’il désirait l’élection du roi de Danemark, Frédéric VI. Un article inséré dans le Journal de l’Empire du 17 juin semblait ne présenter comme candidats sérieux que ce prince et le duc d’Oldenbourg, et il était facile de voir, malgré une apparente impartialité, que la balance ne penchait pas vers celui-ci. Aussitôt que cet article fut connu à Saint-Pétersbourg, le duc de Vicence, notre ambassadeur en Russie, dit au ministre de Suède, Stedingk : « Remarquez le projet d’union avec le Danemark; il mérite toute votre attention. Réfléchissez combien votre situation est précaire, et que vous avez tout à craindre de la Russie, non pas du vivant de l’empereur Alexandre, mais sous ses successeurs. La réunion des trois couronnes vous ferait respecter et vous garantirait contre les envahissemens de vos voisins. Songez d’ailleurs qu’une occasion comme celle-ci de vous fortifier sans courir aucun risque ne se représentera sans doute jamais, si vous la négligez. » L’ambassadeur termina en faisant entendre à Stedingk que l’article n’avait pas été publié sans intention, et que le cabinet des Tuileries appuierait le projet, si le roi de Suède voulait s’y prêter. Quant au duc d’Oldenbourg (on se rappelle que c’était le prétendant russe), Stedingk put comprendre au langage du commentateur qu’il n’avait été fait mention de lui que par ménagement pour Alexandre[6].

A Stockholm, M. Désaugiers tint le même langage et alla plus loin encore, tant l’article en question lui paraissait clair et sans voile. «...Un député de la bourgeoisie à la prochaine diète, M. Vestin, est venu, écrit-il dans sa dépêche du 6 juillet, m’entretenir de cette affaire et me questionner.... Je lui ai montré les résultats heureux d’une telle réunion, qui arracherait la Suède à l’influence funeste de la Russie, et son commerce à celle de l’Angleterre. Votre pays, lui ai-je dit, est aujourd’hui à la merci des Russes; il n’est pas impossible que la bonne intelligence vienne à cesser entre eux et nous ; si alors vous n’êtes pas plus forts qu’à présent, c’en est fait de la Suède; quarante mille Russes suffiront à la conquérir, tandis qu’avec la réunion vous aurez facilement cent mille hommes à leur opposer. Si l’empereur est forcé de les combattre, il sera vainqueur, et la paix qu’il dictera vous rendra la Finlande, si vous ne l’avez pas déjà reconquise... Qui sait même si Pétersbourg ne dépendra pas un jour du royaume de Scandinavie? Pour ce qui est du commerce, la réunion Scandinave permettrait de clore la Baltique. Alors la guerre la plus active avec l’Angleterre ne gênerait plus qu’en partie votre navigation, mais pas du tout votre commerce, la Baltique et tout le continent vous restant ouverts. Faites donc taire les préjugés. Vous ne trouverez pas d’objection raisonnable contre le grand projet de former un royaume de Scandinavie. Je le nomme ainsi parce qu’il ne s’agit pas, cette fois, de mettre un roi de Danemark et de Norvège sur le trône de Suède, mais de supprimer pour toujours ces dénominations de Suédois, Danois et Norvégiens, qui entretiennent parmi vous les haines et les divisions, et de former une grande puissance de trois peuples qui parlent la même langue et ont les mêmes intérêts. »

De son côté, le ministre de Suède à Paris, M. de Lagerbielke, avait transmis à son gouvernement ces paroles, que lui avait dites Napoléon en recevant de ses mains la lettre de Charles XIII : «Prenez garde; le colosse russe menace de vous renverser. D’un côté, je le vois déjà sur les rives de la Baltique; de l’autre, il regarde avec des yeux de convoitise le Danube. C’est une affaire très sérieuse. Vous êtes sans force. Peut-être pourrez-vous vous défendre actuellement; mais à la longue cela ne suffira pas. Il faut vous rapprocher du Danemark. Le moment est venu. Je désire que vous y réfléchissiez; il n’y a pas d’autre moyen pour vous faire respecter de la Russie. Moi je suis trop éloigné de vous. Oubliez toute vaine jalousie, et tout ira bien. » M. de Lagerbielke, en transmettant cette dépêche, affirmait que le choix d’un prince de la maison d’Oldenbourg ne plairait nullement à l’empereur.

A n’en pas douter, Napoléon inclinait secrètement vers la réunion des trois couronnes, projet digne de son génie, et dont un rare concours de circonstances semblait devoir favoriser alors l’exécution. Sans parler des chances d’un avenir éloigné et des intérêts généraux du Nord, on pouvait déjà prévoir que l’alliance de la France avec la Russie ne durerait plus bien longtemps. Maintenant que la Russie avait tiré de si grands avantages de l’alliance conclue à Tilsitt, maintenant qu’elle avait élevé dans les Aland des fortifications qui rendaient ces îles imprenables, elle paraissait disposée à rompre avec Napoléon, après l’avoir trompé, et à se rapprocher de l’Angleterre. Toutefois Napoléon ne voulait pas donner à cette alliée suspecte une raison de l’accuser lui-même, et il se gardait bien de se prononcer tout haut contre les désirs d’Alexandre. M. Désaugiers fut rappelé pour s’être avancé aussi loin sans avoir reçu de son gouvernement des instructions qui l’y eussent autorisé. Napoléon croyait d’ailleurs avoir encore besoin de l’alliance de la Russie, et il ordonnait à ses agens diplomatiques de démentir tout bruit de mésintelligence entre le tsar et lui. Quoi qu’on dût penser néanmoins des avantages et de l’opportunité du projet tendant à réunir les trois couronnes, ce plan venait infailliblement échouer contre les haines mutuelles qui divisaient les trois peuples Scandinaves, et nul n’aurait pu persuader à la Suède de se soumettre au roi de Danemark. Vainement Frédéric VI promit-il non-seulement de conserver la constitution suédoise de 1809, mais de l’étendre même au Danemark, de n’administrer la Suède que par des fonctionnaires suédois, de résider une moitié de l’année dans ce royaume : rien ne pouvait faire accepter aux peuples du Nord une réunion détestée.

C’est au milieu de ces cruelles incertitudes du gouvernement suédois, hésitant entre le duc d’Augustenbourg, sur lequel Napoléon ne s’expliquait pas, et Frédéric VI repoussé par l’instinct national, que se déclara subitement une nouvelle candidature, tout à fait inattendue, amenée par les circonstances les plus bizarres, — celle de Bernadotte, ancien sergent au Royal-Marine, devenu maréchal de l’empire et prince de Ponte-Corvo,

Un simple lieutenant de l’armée suédoise, M. Mörner, chargé d’apporter des dépêches à M. de Lagerbielke, arrive à Paris au milieu de juin 1810. M. Mörner est jeune, ardent, inquiet de l’avenir pour sa patrie et pour lui-même. Ami de la France, admirateur de Napoléon et de ses compagnons d’armes, il conçoit l’idée d’offrir la couronne à un de ces généraux, sûr de trouver dans la diète et dans la nation de nombreux échos pour une telle proposition, et persuadé que, s’il réussit, il aura sauvé son pays. L’esprit occupé de son hardi dessein, à peine a-t-il remis ses dépêches à M. de Lagerbielke, auquel il se garde bien, en diplomate habile, de confier son secret, qu’il court chez un de ses amis parisiens, le géographe Lapie, occupé alors comme officier au bureau topographique. Il lui fait part de ses rêveries politiques : «En Suède, dit-il, nous ne pensons qu’à réparer nos pertes. Il règne parmi nous un grand enthousiasme pour Napoléon ; on attend tout de lui ; on est prêt à accepter pour roi le candidat qu’il aura désigné. » Lapie, jeune et enthousiaste lui-même, épris de la gloire de la France, fier pour son compte de ces lointaines et vives sympathies, prévoyant d’ailleurs, parce qu’il la désirait, la lutte prochaine de Napoléon contre la Russie, saisit vivement toutes les conséquences d’un si hardi projet. Sans donner trop d’attention à l’invraisemblable, qui, dans ce temps-là, n’étonnait et n’arrêtait personne, il l’adopte tout d’abord. — Mais entre tous les maréchaux de l’empire, quel serait l’élu des deux jeunes officiers, et lequel feraient-ils roi ? On se mit à les passer en revue. Mörner connaissait personnellement Macdonald. Il fut question d’Eugène Beauharnais, de Berthier, de Masséna, de Davoust. Lapie, fort indépendant et plus dévoué à la cause de la révolution qu’à celle de l’empereur, fut d’avis qu’à l’exception du premier, tous ces personnages ne seraient autre chose que des instrumens dociles entre les mains du maître. Mörner exprima finalement sa prédilection pour Bernadotte ; Lapie n’y contredit pas. Parent de l’empereur, libre par caractère, aimé dans le nord de l’Allemagne pour son administration du Hanovre, déjà connu des Suédois, dont il avait bien traité les prisonniers en 1806 à Lübeck, enfant de la révolution, brave capitaine, ancien ministre de la guerre, ancien ambassadeur, pourvu enfin d’une grande richesse personnelle et d’un héritier de onze ans, Bernadotte réunissait, tout compte fait, les conditions désirables. La discussion fut close, et le choix des deux amis décidé en faveur du prince de Ponte-Corvo.

Telle fut la première scène du drame bizarre qui devait se dénouer dans la plaise de Leipzig en 1813. Le lendemain de son entretien avec Mörner, Lapie communiqua le projet au général Guilleminot, afin d’arriver par lui à connaître les dispositions de l’empereur, et Mörner prit le même jour pour second confident un compatriote, Signeul, consul-général de Suède à Paris. Celui-ci, qui échangeait déjà en perspective son consulat-général pour une légation, crut volontiers au parti déjà formé en Suède, aux dispositions bienveillantes de Napoléon, à tout ce que l’éloquence du lieutenant lui proposa, et il fut convenu qu’on irait droit au maréchal sans rien dire à Lagerbielke.

Ce fut le 25 juin 1810 que Mörner eut sa première entrevue avec le prince de Ponte-Corvo. Il se présenta comme l’organe d’un parti déjà important en Suède. Membre de la diète, il affirmait que les sympathies de cette assemblée, qui lui étaient bien connues, rendraient facile l’élection du prince, et que Charles XIII n’aurait pas d’autre volonté que celle des représentans de la nation. Bernadette l’écouta avec une attention qui ne semblait pas exempte de défiance, lui répondit avec une réserve polie qui embarrassa Mörner, et se rappela finalement la prédiction de Mlle Lenormand, qui lui avait annoncé qu’il porterait une couronne, mais qu’il devrait passer les mers pour aller la recevoir. Le premier personnage d’importance à qui le secret fut confié fut le général Wrede, que Charles XIII avait chargé de présenter sa dernière lettre à Napoléon. Chef d’une famille ancienne et honorée à la cour de Stockholm, allié, par suite d’un premier mariage, au maréchal Macdonald et à la famille de Sémonville, alors en possession d’un grand crédit, Wrede jouissait d’une influence considérable et pouvait servir utilement la cause du nouveau candidat. Il venait d’avoir sa dernière audience de l’empereur, à qui naturellement, selon ses instructions et dans son ignorance du plan imaginé par Mörner, il n’avait nommé comme candidat sérieux que le duc d’Augustenbourg; il se préparait à partir pour la Suède. On imagine facilement sa stupéfaction quand Mörner, qui avait servi autrefois sous ses ordres, se présenta mystérieusement chez lui, le pria de fermer sa porte au verrou, lui demanda, sur sa parole d’honneur, de ne rien révéler prématurément de ce qu’il allait lui confier, et lui raconta, en invoquant son concours, comment il avait employé son temps à Paris depuis sa récente arrivée. Wrede, qui avait quitté la Suède avant la mort de Charles-Auguste, crut sans peine que l’état des esprits était tel que Mörner le représentait; il n’y avait là rien d’invraisemblable, tant l’opinion publique à Stockholm était depuis longtemps favorable à la France; il se rappela avec quelle indifférence Napoléon lui avait paru accueillir tous les candidats dont il avait été déjà question, et crut en pouvoir conclure qu’il désirait secrètement un choix semblable à celui-ci, peut-être celui-ci même. Personnellement Wrede adorait la France, il aimait en particulier le prince de Ponte-Corvo, dans la maison duquel il était familièrement admis; toutes ces circonstances le déterminèrent à ne pas rejeter les espérances de Mörner et à en parler franchement à Bernadette. Cette nouvelle ouverture donnant un grand poids à la première, on convint que Mörner rédigerait lui-même par écrit sa proposition, afin que Bernadotte pût se présenter à l’empereur avec ce témoignage ou cet indice de l’assentiment de tout un peuple.

Il s’agissait maintenant de savoir si Napoléon n’opposerait pas dès le commencement à cette ouverture un veto ou bien un manque de bonne volonté absolu. On sait que depuis le 18 brumaire, et peut-être depuis l’époque même du mariage de Bernadotte, il manifestait pour le maréchal un éloignement marqué. Toutefois il répondit avec une apparente indifférence, en disant qu’il fallait attendre ce que ferait la diète, dont il ne voulait, quant à lui, influencer en rien les déterminations. Après cette première audience, qui du moins ne compromettait rien, Bernadotte partit pour sa campagne de La Grange, d’où il écrivit une lettre à l’empereur sur ce même sujet. D’ailleurs il laissa faire ses amis, après leur avoir donné à entendre qu’il accepterait volontiers l’élection du peuple suédois; l’article de la religion, condition sine quâ non à laquelle Eugène Beauharnais, dit-on, ne voulut pas se soumettre, ne devait pas faire une difficulté; le maréchal avait dit à Wrede qu’étant du pays de Henri IV, il lui était bien permis sans doute de suivre son exemple.

On a vu ce qui s’était fait à Paris en faveur de la candidature improvisée. Avant de transporter la scène en Suède, où devait se consommer l’élection, n’oublions pas le malheureux ministre de Suède à Paris, M. de Lagerbielke, sous les yeux duquel toute cette intrigue avait été conduite sans qu’on lui en communiquât et sans qu’il en découvrît le premier mot. On se figure aisément son dépit d’avoir été négligé ou joué de la sorte. Ce fut le général Wrede qui le 30 juin, au moment où Mörner quittait Paris et où lui-même se préparait à partir, crut devoir informer enfin le représentant du cabinet suédois des nouvelles destinées qui se préparaient pour son pays. Quand Lagerbielke entendit toute cette incroyable histoire d’un lieutenant s’avisant de faire un roi et s’improvisant diplomate, quand il sut que la proposition de ce lieutenant était montée jusqu’à l’empereur et que la chose pouvait devenir sérieuse, il resta, disent les lettres du général Wrede, comme frappé de la foudre. Sa pâleur, ses lèvres tremblantes, ses regards égarés témoignaient de l’humiliation profonde que lui faisait ressentir une telle mystification. Son imagination effrayée, venant au secours de son amour-propre blessé, lui montrait mille fantômes, comme l’asservissement de la Suède à la France et l’anéantissement du commerce suédois après la rupture avec l’Angleterre; il se représentait d’un autre côté le ministre des affaires étrangères à Stockholm, le roi lui-même apprenant toutes ces intrigues sans que la correspondance officielle en eût saisi ou seulement soupçonné le moindre fil; derrière les nuages qui couvraient encore un si prochain avenir, il voyait le nouveau candidat triomphant sans le secours de son initiative ou bien écarté sans l’intervention de sa prévoyance, et des deux parts son crédit ruiné. Il offrait enfin la vivante et pitoyable image d’un diplomate pris au piège et, suivant le langage officiel, très fortement compromis.

Le général Wrede quittait Paris ce jour même, le 30 juin, laissant ce trait dans le cœur de M. de Lagerbielke. Le malheureux ministre passa, comme on pense, une mauvaise nuit. Il lui fallait à tout prix connaître les dispositions de l’empereur au sujet de la nouvelle candidature; on saurait ensuite comment se diriger et comment agir. Quelques heures plus tard précisément M. de Lagerbielke devait se rendre à la fête donnée par le prince de Schwarzenberg à l’occasion du mariage impérial. Le ministre des affaires étrangères s’y rendrait certainement. En effet, au milieu du bal, dont l’éclat était rehaussé par la présence de Napoléon, M. de Lagerbielke parvint à joindre le duc de Cadore; il l’aborda d’un air contraint et piteux, mais, forcé de rompre la glace et poussé par l’inévitable nécessité, il lui demanda ce que l’empereur pensait de l’affaire qu’il savait bien. Le duc répondit que le général Wrede l’avait seulement informé de la singulière entreprise du lieutenant Mörner et qu’il n’en savait pas beaucoup plus, que la manière dont cette proposition avait été faite ne pouvait ni ne devait être approuvée par l’empereur (paroles qui mettaient quelque baume sur la blessure du diplomate), que d’ailleurs sa majesté laisserait aller les choses... Ces derniers mots étaient bien vagues, et le duc détournait déjà la tête pour écouter ou saluer ailleurs; M. de Lagerbielke devint pressant et n’obtint d’autre réponse que celle-ci : « J’ignore complètement la pensée de l’empereur à ce sujet. Du reste, sa majesté impériale n’a pas été consultée avant le choix qu’a fait le roi votre maître du duc d’Augustenbourg; il n’est donc pas vraisemblable qu’elle croie convenable d’exprimer ses vues au sujet du prince de Ponte-Corvo, à la candidature duquel elle était fort peu préparée, et dont l’élection n’est encore qu’à l’état de projet... » Mais à peine le duc avait-il prononcé ces paroles, que retentit de toutes parts le cri : au feu[7] ! Déjà la flamme, avec une incroyable rapidité, se répandait dans tous les appartemens. Il ne fallut plus songer qu’à fuir, et M. de Lagerbielke dut renoncer à découvrir cette nuit-là les intentions qui se cachaient sous l’apparente réserve du ministre de Napoléon. Il conclut du silence qu’on lui opposait que l’empereur voulait ménager la Russie, dont Bernadotte serait sans doute plus tard, au profit de la France, le redoutable adversaire. Son erreur était celle de beaucoup d’autres; 1812 allait montrer combien elle était profonde.

Le lieutenant Mörner venait cependant de rentrer dans sa patrie. De même qu’il avait affirmé à Paris que son candidat était celui d’un parti nombreux en Suède, dont il était seulement l’interprète, de même il revint à Stockholm en assurant que Napoléon n’avait d’autre désir que de voir le maréchal Bernadotte devenir le successeur de Charles XIII. Il fit plus : il écrivit à Signeul, qui était resté à Paris, que, l’opinion suédoise ne paraissant pas devoir se prononcer aussi promptement que cela était désirable, il fallait nécessairement faire agir sur elle du dehors, et il prévint le maréchal qu’il devait faire tous ses efforts pour gagner à sa cause le chef du cabinet suédois, le comte d’Engeström, intime confident de Charles XIII. Bientôt le témoignage du général Wrede fit prendre tout à fait au sérieux, à Stockholm de même qu’à Paris, cette proposition inattendue. On s’occupa de la répandre parmi les représentans des quatre ordres qui se réunissaient alors pour la diète d’OErebro. On la soumit aux principaux officiers de l’armée, à Stockholm et dans les provinces. On pressentit surtout ceux des Norvégiens ou des Suédois qui avaient déjà travaillé à la réunion de la Norvège, afin de s’autoriser de leur assentiment et de ménager au nouveau candidat les mêmes suffrages que l’espérance de cette réunion avait assurés naguère au premier prince royal. Toutefois, malgré la rapidité de cette propagande, et bien que quelques-uns des ministres de Charles XIII eussent promptement accueilli la perspective d’avoir un prince qui garantît enfin à la Suède l’alliance française, ni le roi ni ses plus habituels conseillers n’avaient encore renoncé au choix du duc d’Augustenbourg. Charles XIII voyait même avec beaucoup de mauvaise humeur cette agitation, sortie on ne savait d’où ; il reprocha énergiquement au général Wrede et au général Adlercreutz de ne plus être avec lui, et alla jusqu’à exiger d’eux le serment de ne pas voter pour Bernadotte. En même temps le gouvernement suédois opposait au maréchal des bruits calomnieux : il avait, disait-on, fait ses premières armes dans les clubs les plus éhontés de la révolution française; il avait juré une haine éternelle à tous les rois; on allait jusqu’à dire qu’il avait pris part aux journées de septembre, quand chacun pouvait savoir qu’il était en ce moment aux armées.

Le 6 du mois d’août, trois semaines après le retour de Mörner, Charles XIII transmit au comité formé par la diète la proposition d’élire le duc d’Augustenbourg; le 11, une réponse favorable fut envoyée par le comité au roi. La proposition devait encore être examinée par le conseil secret; puis le roi devait l’adresser à la diète, qui en délibérerait définitivement. On voit qu’il était temps pour les amis de Bernadotte de se presser et de faire un énergique appel à l’opinion publique. Ainsi firent-ils, et nous arrivons aux grands moyens qu’on imagina pour mener à bien l’entreprise.

Le jour même où le comité de la diète votait pour le duc d’Augustenbourg, arrive chez le comte d’Engeström, venant de France, un certain M. Fournier, ancien vice-consul à Gothenbourg; il remet au premier ministre une lettre d’introduction signée du consul-général de Suède à Paris. N’ayant aucun caractère officiel, il obtient l’autorisation de résider dans la ville d’OErebro, interdite pendant la réunion de la diète aux agens diplomatiques. Ce même envoyé, chargé de faire savoir aux députés que Bernadotte acceptera leurs votes avec reconnaissance, remet au général Wrede les portraits du prince, de la princesse de Ponte-Corvo et de leurs fils, pour qu’il les fasse présenter au roi. Une lettre rédigée par Signeul arrive en même temps, elle atteste que l’élection, désirée secrètement par l’empereur sans qu’il puisse ni veuille s’en exprimer tout haut, entraînera pour la Suède de nombreux avantages, comme le paiement de la dette publique, grâce à un don considérable prélevé sur la fortune particulière du prince. La même lettre insinue que les relations commerciales avec l’Angleterre ne seront pas rompues par cette élection. Le général Wrede et Mörner se mettent aussitôt à l’œuvre. La lettre de Signeul est communiquée au premier ministre avec les portraits; pendant la nuit du 11 au 12, on fait tirer de nombreuses copies de cette lettre, qui est aussitôt distribuée dans les rangs de la diète, dans les villes et les campagnes. On fait circuler parmi les députés de l’ordre des paysans une petite peinture représentant le jeune prince Oscar (aujourd’hui roi de Suède) jouant avec l’épée de son père, et l’on explique aux députés attendris que, suivant cet emblème, au règne d’un hardi guerrier succédera une heureuse paix; nuages, chansons, poésies, dialogues populaires, sont improvisés pour faire une active propagande. Dans un de ces petits poèmes, chaque ordre de la diète vient exprimer son enthousiasme et ses espérances, puis tous les quatre chantent en chœur : « Proclamons Bernadotte. Comme le fer vers l’aimant, nous sommes attirés vers lui. La Suède respirera à l’ombre de son glaive comme la terre aride sous la tiède pluie de l’été. Viens, courageux héros, viens, ami des hommes... tu seras l’âme toujours vivante qui relèvera le corps de la Suède. Nous t’avons choisi pour le prince du Nord. » Une autre de ces petites pièces, écrite en prose, et qui fut, comme la précédente, distribuée à grand nombre autour de Stockholm, ne laisse pas que de jeter une vive lumière sur la manière dont fut préparée l’élection. Elle est intitulée : Dialogue entre deux patriotes :

« A. Eh bien ! c’est donc demain qu’on verra qui sera notre prince royal? — B. Personne n’a de doute à ce sujet.... Toutefois j’ai appris qu’on a longtemps travaillé à nous vendre à la Russie. — A. Les russophiles ont perdu cette fois. L’empereur Napoléon a décidé la partie. — B. En nous donnant un de ses meilleurs maréchaux, voulez-vous dire? — A. Oui, par bonheur pour nous. — B. Mais, dites-moi, que diront les vieilles dynasties? — A. Elles ont perdu dans la paresse et la volupté leur droit de primogéniture, et le mérite personnel a réclamé sa place. — B. Je vous avoue franchement que ce prince de Ponte-Corvo dont on parle tant ici m’est tout à fait inconnu. Donnez-moi donc quelques renseignemens à son égard. — A. Très volontiers.... Vous n’ignorez certainement pas que, sorti des rangs du peuple, il a bravement combattu pour la liberté. — B. Oui, j’ai entendu dire qu’il avait porté le mousquet.... — A. Dix grandes années, assisté à cent batailles, passé par tous les grades jusqu’à celui de maréchal inclusivement. Il a été fait général à Fleurus, prince à Austerlitz. Il commandait en chef à Binch, Heinsberg, Juliers, Roer, Maestricht, Würzbourg, Gradisca, Schleitz, Saalfeld, Passarge, Lübeck, Elbing, Braunsberg et Mohrungen. Ministre de la guerre, il a rendu les plus grands services à son pays. Il créait des armées comme par enchantement; le soldat n’était plus en proie à toutes les misères; il avait ressuscité la garde nationale; l’ordre et l’économie régnaient dans l’administration. Modération dans la fortune, bonté à l’égard de l’ennemi vaincu, sollicitude paternelle pour le soldat, voilà les vertus qui ont jeté sur le nom de ce héros un éclat immortel. — B. Je vois bien à présent que c’est un grand homme. On ne m’avait pas exagéré sa gloire.... Mais une autre question? Est-ce qu’il nous faut pour roi un héros? La Suède est pauvre et peu peuplée. Nous avons eu des héros et nous savons ce qu’il nous en a coûté.... — A. Vous n’y êtes pas, mon ami. Le prince de Ponte-Corvo déteste la guerre : il l’appelle la honte de l’humanité. Plus d’une fois il a encouru la disgrâce de Napoléon parce qu’il le pressait de traiter avec ses ennemis. Un jour, entr’autres, que l’empereur, avec ce ton impérieux qui lui est trop ordinaire, ne voulait pas écouter ses avis, Bernadotte, assure-t-on, brisa son épée, en jeta les morceaux aux pieds de Napoléon, et prononça ces paroles magnanimes : « Sire, après avoir servi comme soldat votre majesté, j’ambitionne aujourd’hui un plus bel honneur, celui de servir mon pays par les conquêtes de la paix. » — B. (avec émotion). Voilà ce que j’appelle du vrai patriotisme, voilà ce que j’appelle un homme vertueux ! C’est bien dommage que de si beaux traits ne soient pas plus généralement connus en Suède ! — A. Nos russophiles ont fait tous leurs efforts pour empêcher que le prince fût connu comme il le mérite, ils ont voulu le faire confondre avec les aventuriers de toute espèce. — B. On dit aussi qu’il est fort riche et qu’il a l’intention de faire de grands sacrifices en faveur de la Suède? — A. Par son économie et sa bonne administration. Je prince, il est vrai, s’est procuré une fortune indépendante, et l’on a beau- coup de preuves que l’argent, dans ses mains, n’est qu’un instrument pour faire de bonnes actions. Par exemple, il a consacré une bonne partie de ses revenus sur les mines d’Idria, en Carniote, à secourir les campagnes que la guerre avait ruinées dans le Frioul. Beruadotte est peut-être le seul des maréchaux de l’empereur qui n’ait jamais permis le pillage, lors même que ses instructions le recommandaient, et la plus grande partie de sa fortune particulière provient de son mariage. »


Le dialogue continue de la sorte à énumérer chacune des qualités du prince, et se termine par cette conclusion, que Bernadette est la personnification même de l’héroïsme et de la vertu.

Sans parler de la jolie anecdote de l’épée brisée, on a remarqué sans doute le soin qu’a pris l’auteur, — quel qu’il fût, — d’opposer le prince aux russophiles, curieux et incontestable indice de l’état des esprits. Pendant le même temps, M. Fournier répandait à OErebro le bruit que l’empereur de Russie était au désespoir de cette candidature, et qu’il s’épuisait en intrigues pour l’empêcher, parce que, préparant justement alors, assurait-on, une nouvelle invasion en Suède pour s’emparer du pays au nord de Gefle, il savait bien que la nomination du prince lui serait un obstacle insurmontable, qu’il n’oserait pas même affronter. On ajoutait que Napoléon, averti par ses espions des vues secrètes d’Alexandre et particulièrement de cette invasion prochaine, avait résolu de prendre les devans, et avait offert à Charles XIII de lui donner pour prince royal un de ses maréchaux; Charles XIII avait choisi Bernadotte. Telle est la fable qui courait sur l’origine de cette candidature, et qui fut accueillie par l’ordre entier des paysans. On voit que Bernadotte fut accepté par la Suède d’une part comme ami et parent de Napoléon, de l’autre comme ennemi des Russes. Lui-même s’est présenté comme tel. La promesse de payer la dette publique sur sa fortune particulière, l’insinuation plus ou moins directe que son élection, par quelques ménagemens qu’on ne devinait pas, n’entraînerait point la rupture des relations commerciales avec l’Angleterre, ont fait le reste.

En quelques jours, la candidature avait fait des progrès inouis. Le comte d’Engeström s’y était rangé dès qu’il avait pu se croire persuadé que la Suède y gagnerait l’alliance française; quant au vieux roi, la vue des portraits de famille l’avait attendri, et il les avait arrosés de ses larmes. Dans la diète, les paysans et la partie militaire de la noblesse étaient prêts à voter avec enthousiasme pour un maréchal de Napoléon, la bourgeoisie pour un enfant de la révolution française. Celui des membres du comité secret qui résista le plus longtemps fut le général Adlersparre, l’un des auteurs de la révolution de 1809, non pas qu’il dédaignât l’alliance française, mais parce qu’il prévoyait, avec une clairvoyance remarquable, que l’élection de Bernadotte ne serait pas le moyen de l’obtenir : « Votre majesté, dit-il à Charles XIII, qui le pressait maintenant de se déclarer pour le prince, est d’avis que la Suède ne doit plus rester isolée, qu’il faut nous joindre à l’une des grandes puissances, et que la France est notre alliée naturelle. Je suis tout à fait de cet avis, et tout en me défiant de l’ambition de Napoléon, je fuis comme la peste tout rapprochement avec la politique orientale. Mais votre majesté est convaincue que Bernadotte contribuera à nous unir avec la France. J’ai une opinion toute contraire, par les raisons suivantes : Napoléon n’oubliera jamais que le prince de Ponte-Corvo a été son subordonné; il exigera la même obéissance du prince royal de Suède. Celui-ci, avec son coup d’œil exercé, a déjà sans aucun doute découvert les endroits faibles de l’édifice élevé par son maître. Il se croira facilement en mesure de s’opposer, même par la force, aux volontés et aux décrets de l’empereur, et ce sera le signal d’une guerre européenne. Où sera notre refuge alors, sinon dans l’alliance des hordes asiatiques?... » Malgré de telles prévisions, Adlersparre céda quand il vit que l’élection du duc d’Augustenbourg n’était plus possible, et comme il exerçait une grande influence dans la diète, son assentiment détermina l’unanimité.

Ce fut par acclamations et avec un empressement qui souffrait à peine la lenteur et l’embarras des formes légales que la diète vota le 21 du mois d’août 1810, sur la proposition du roi, l’élection du prince de Ponte-Corvo comme prince royal de Suède et présomptif héritier de la couronne.

Le maréchal reçut cette nouvelle le 3 septembre. Il avait ce jour-là plusieurs amis à dîner. Il ne leur fit point part du message qu’il avait reçu, et les étonna par son air inquiet et sombre, lui dont la gaieté était d’ordinaire vive et cordiale. De son côté, la maréchale semblait abattue, et des larmes avaient gonflé ses yeux. Elle s’affligeait en effet à la pensée de quitter la France et d’échanger une telle patrie contre le climat du Nord. Quant au prince, était-il seulement préoccupé du refus qu’il pouvait craindre de la part de Napoléon, ou bien pressentait-il les extrémités où l’allait réduire sa mauvaise étoile? Napoléon, lui, paraissait prévoir tous ces malheurs. Il lui sembla dans un rêve qu’il voyait errer sur une mer immense deux barques, dont il montait l’une, et dont l’autre portait Bernadotte. Les deux embarcations marchaient de concert afin de lutter heureusement. Tout à coup celle de Bernadotte, prenant une autre route, s’éloigna rapidement. Napoléon tentait avec sa lunette de suivre au moins des yeux la barque glissant sur les flots... Un brouillard subit s’était élevé; il devint un nuage épais, et Napoléon se trouva seul à la merci des vagues[8]...

Trois jours avant que le nouveau prince royal quittât Paris et la France, l’empereur le reçut une dernière fois avec une touchante bonté : « J’aime à espérer, lui dit-il, que vos nouveaux intérêts seront toujours d’accord avec vos anciens devoirs. Vous êtes appelé à de belles et honorables destinées ; quel que soit votre avenir, votre cœur appartiendra toujours à la France. Mes souhaits vous accompagneront, et si je puis vous être utile, vous pouvez toujours compter sur moi. » Il rappela ensuite tous les hauts faits qui avaient rempli la vie du maréchal, et dont le souvenir, ajoutait-il, devait rattacher si étroitement les Suédois à la France. Comme la princesse royale était visiblement émue, il lui prit affectueusement la main, lui vanta l’avenir qui l’attendait, et lui dit qu’elle devait l’accepter avec joie par amour pour son fils. Puis, attirant à lui le jeune prince, son filleul, et caressant sa chevelure gracieuse : « Mon enfant, dit-il, vous voilà destiné à porter une couronne. Un jour vous en sentirez le fardeau. Aussi longtemps que le bonheur vous sourira, vous ne manquerez pas d’admirateurs. Je souhaite que vous ne connaissiez jamais l’adversité, afin que vous n’appreniez pas à mépriser les hommes ! » Évidemment l’empereur luttait secrètement contre les pressentimens qui l’obsédaient, et cette lutte était pleine de grandeur.

Nous touchons à la date fatale de 1812. Les publicistes russes prétendent que 1812 a été pour la Suède l’heure de la délivrance, le signal d’une ère nouvelle et toute prospère, grâce à la protection de la Russie. Les deux épisodes que nous venons d’exposer, c’est-à-dire l’explosion du ressentiment national en Suède après la mort du premier prince royal et la nomination de Bernadotte, ont sans doute prouvé suffisamment que la Suède n’attendait pas alors son salut du côté de la Russie. Nous devrons examiner prochainement ce qu’a été la politique de 1812, quels reproches ou quelle justification l’expérience des destinées ultérieures de la Suède lui a mérités. Des renseignemens nouveaux sur ce curieux sujet nous viendront en aide ; mais nous pouvons affirmer dès maintenant que les événemens de 1812, de quelque façon qu’on veuille les apprécier, sont rangés au nombre des plus pénibles souvenirs dans la double histoire de la France et de la Suède. Et quant aux résultats qu’ils ont amenés, nous devrons, — au nom de Bernadotte lui-même, que les correspondances diplomatiques nous montreront accablé sous le fardeau de l’amitié russe, — n’être pas d’accord avec ceux qui veulent exalter toute sa conduite en se donnant comme les plus désintéressés amis de la Suède contemporaine et de sa dynastie.


A. GEFFROY.

  1. Voyez, sur la révolution du 13 mars, la livraison du 1er juillet dernier.
  2. Mémoire adressé par Essen et Lagerbielke au duc de Cadore, octobre 1809. Manuscrit conservé aux affaires étrangères, à Paris.
  3. Article publié dans le second numéro du journal russe le Nord, de Bruxelles, et daté de Hambourg. Cet article contient une sorte de réponse aux idées que nous avons publiées sur les intérêts du Nord dans la question d’Orient. La thèse générale mise en avant par l’auteur en opposition avec la nôtre, c’est que la Russie est l’amie et la protectrice naturelle de la Suède. La Suède d’aujourd’hui avec la Norvège annexée serait plus puissante que la Suède maîtresse de la Finlande et de la Poméranie. — Il nous parait inutile de soumettre à une discussion en règle ces étranges assertions du publiciste russe. Tout notre travail a justement pour objet d’apporter successivement, suivant l’ordre des temps, des preuves contraires à de telles affirmations, et l’époque de l’histoire de Suède que nous retraçons en ce moment même nous les offre, on peut le voir, surabondamment.
  4. On sait qu’il vécut ainsi pendant neuf années encore. Charles-Jean (Bernadotte) ne succéda à Charles XIII qu’en 1818.
  5. Archives des affaires étrangères, à Paris, volume 294.
  6. Dépêches de Stedingk, ministre de Suède à Saint-Pétersbourg.
  7. On sait que dans cette triste soirée, au milieu d’un épouvantable désordre, un jeune officier suédois, le baron Ridderstolpe, arracha des flammes aux dépens de sa vie la princesse de Leyen... — Partout alors ces Suédois étaient à nos côtés, et cependant, d’alliés et amis qu’ils voulaient être, ils allaient devenir nos ennemis.
  8. C’est du moins ce que raconte dans ses Souvenus le colonel B. von Schinkel, t. V.