Des colonies françaises (Schœlcher)/XVII

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Pagnerre (p. 232-257).

CHAPITRE XVII.

ÉTAT DE LA QUESTION.

Il ne faut pas tout-à-fait juger des colons par les discours de leurs députés gagés, ou les brochures de quelques-uns d’entre eux. — Les crimes du passé ne sauraient justifier les crimes du présent. — Les colons ne défendent pas l’esclavage pour lui-même. — Le courage civil manque aux colonies comme en Europe. — La censure est aussi une des plaies attachées à l’esclavage. — Belle contenance des créoles, lors des derniers bruits de guerre. — Leur folle haine contre les abolitionistes. — le mot philantrope est devenu une injure parmi eux. — L’Angleterre et les betteraviers sont les Pitt et Cobourg des créoles. — Les projets de monopole du sucre indien sont absurdes, les colons éclairés de disent eux-mêmes. — La France n’est pas ennemie des colonies. — La propriété esclave n’est défendue que par les propriétaires de nègres et leurs salariés. — Il y a des possesseur d’esclaves parmi les abolitionistes. — Que les colons approuvent ou n’approuvent pas l’émancipation, ils doivent céder au vœu universel qui la demande. — Les difficultés de l’affranchissement seront d’autant plus vite surmontées que les créoles l’accepteront avec moins de résistance. — Le titre de délégués des colonies que prennent les délégués des blancs, est une usurpation qui choque la justice et le sens commun.


Nous avons dit tout ce que nous avions à dire sur le régime des esclaves, sur leur caractère et leur nature, sur l’état actuel de la société coloniale ; maintenant que nous croyons avoir assez exploré le terrain, nous pouvons y marcher, sans trop de crainte de nous égarer, et aborder la question de l’esclavage.

En résumant d’une manière attentive et scrupuleuse les impressions recueillies auprès des créoles, pris individuellement, nous trouvons que, sur cette matière proprement dite, ils gagnent à être connus. Ce qu’ils disent vaut mieux que ce qu’ils écrivent, et ce qu’ils font vaut mieux que ce qu’ils disent. On les a chargés d’une responsabilité qui ne leur appartient pas, et il faut déplorer que la mauvaise manière dont ils se sont défendus par eux-mêmes et par leurs écrivains gagés, ait trompé l’Europe sur leur compte. On aurait tort de juger de la majorité créole par des discours comme ceux de M. Mauguin, qui trouve fort mauvais que l’on attaque l’ilotisme, sous prétexte que les plus beaux génies de l’antiquité ont jugé l’ilotisme une fort belle institution ; par des brochures comme celles de M. Lepelletier Duclary, qui fait de la servitude un état paradisiaque ; ou celles de M. Huc, qui soutient la légitimité, qui veut la perpétuité de l’esclavage, et refuse à la civilisation le droit d’y porter la main. « On ne peut nous contraindre, dit ce dernier dans un travail où l’on a regret de trouver du talent, on ne peut nous contraindre à renoncer à ce que notre religion a fondé, d’accord avec la puissance temporelle et législative, et sous la garantie de toutes les lois constitutionnelles de notre pays. Depuis la célèbre déclaration du 5 août 1789 jusqu’aujourd’hui, il n’a pas été promulgué en France un seul acte constitutionnel, quel qu’il fût, qui n’ait uniformément renouvelé et maintenu, comme inviolable et sacré, le principe de la liberté de conscience. Or nos consciences, pour le moins aussi timorées que celles de nos adversaires, loin de nous faire apercevoir une immoralité dans la possession de nos esclaves, ne nous y montrent qu’une occasion d’exercer des vertus inconnues à nos détracteurs, et à la hauteur desquelles tout ce qui les entoure atteste qu’ils ne s’élèveront jamais. Donc on ne peut, sans violer le plus saint des droits, nous priver de nos propriétés ou seulement altérer le mode de leur possession, en accueillant la proposition de l’affranchissement des noirs. »

N’est-ce pas une chose étrange d’entendre sortir de ces lots, où l’un travaille et l’autre profite, où la majorité est conduite à coups de fouet par la minorité, où trône l’iniquité, où règne la terreur, n’est-ce pas une chose étrange vraiment d’entendre sortir de cette société barbare, le reproche d’injustice et de violence adressé à ceux qui la veulent réformer ? Jamais peut-être la civilisation n’a donné une plus grande preuve de son respect pour la propriété ; l’intérêt colonial, avec l’humanité, gagneraient à ce qu’on dépossédât les maîtres d’une possession monstrueuse ; depuis un demi-siècle, on diffère l’œuvre d’utilité générale, parce que l’intérêt d’une poignée de colons en souffrirait ; et ils font retentir l’univers de leurs clameurs ! et ils crient à l’injustice ! et ils disent qu’on les veut dépouiller ; eux qui ne se sentent pas injustes de dépouiller le nègre de sa liberté ! Dans leur folie, pour soutenir la perpétuation de l’esclavage, ils invoquent les anciennes lois qui l’autorisent ; ils ne s’aperçoivent pas que cette immobilisation du Code qu’ils veulent créer pour couvrir leur odieuse propriété, est l’entière négation du progrès continu !

Avec les procédés déraisonnables de M. Huc, il n’est aucune infamie sociale qui ne se puisse défendre, qu’il ne soit permis de rétablir, et qui ne trouve sa justification moderne dans le fait de son existence passée. Quoi ! s’il avait plu à Louis XIII, fondateur de l’esclavage des nègres chez nous, de permettre aux colonies de fixer irrévocablement le nombre de leurs habitans à neuf mille, comme Lycurgue l’avait établi à Sparte ; si les créoles, d’après cette règle fondamentale de leur organisation, jetaient dans un précipice les enfans des hommes pervers, et ceux qui naîtraient vilains, contrefaits ou même faibles, comme le voulait expressément la loi lacédémonienne ; s’ils faisaient avorter les femmes pour maintenir le nombre des citoyens au terme convenu, ainsi que le prescrivirent Minos, Aristote et Platon ; on voudrait donc soutenir aussi que les ordonnances constitutionnelles l’ayant permise, l’autorité l’ayant pratiquée, et la conscience créole n’y répugnant pas, c’est violer le plus saint des droits que de vouloir purifier une telle république ? On viendrait donc dire aussi que les philantropes font plus de bruit qu’il n’y a de mal ; que les femmes ne se sont jamais révoltées ; que les enfans n’ont jamais porté plainte ; et l’on ferait de l’histoire et du Code des remparts sacrés à ce nid de serpens ? Oh ! la coupable action que de fortifier le malheur des colons par ces sophismes d’érudits ! N’est-ce pas provoquer une résistance folle, inutile, impardonnable, ouvrir les portes à une longue suite de désastres ; que d’autoriser le maître à se cramponner à ses possessions humaines, en leur prêtant je ne sais quelle affreuse légitimité aristotélique et légale ?

Heureusement nos frères des Antilles, lorsque leurs passions ne sont pas excitées par l’effervescence de la place publique, n’épousent plus de telles doctrines.

Sans doute, il ne manque pas aux colonies d’êtres stupides et méchans, auxquels il paraît tout naturel d’abrutir des nègres pour gagner plus d’argent, et qui ne méritent aucune considération ; d’esprits faux et d’âmes sèches comme on en rencontre en Europe, qui trouvent que tout ce qui existe est bien, par la souveraine raison que cela est ; mais ceux-là exceptés, nous pouvons le dire sans crainte de nous être laissé trop impressionner par les souvenirs de l’hospitalité, l’esclavage n’a pas foncièrement, et pour lui-même d’amis parmi les colons. Ils le reconnaissent pour un mal, ils ne voudraient pas l’établir s’il ne l’était, et n’en demandent la continuation que parce qu’il le regardent « comme un mal nécessaire. »

« Nous concevons tout ce que l’esclavage a d’horrible, nous disait M. Dupuy, mais que deviendront nos fortunes, celles de nos enfans, de nos filles si vous nous enlevez nos bras. Les noirs libres ne travailleront pas ; leur liberté, c’est notre ruine et celle des colonies. » — « Mon Dieu, s’écriait M. Cotterell, je soutiens cet état de choses parce que j’y vois de grands intérêts engagés, parce que le bien-être de ma famille y est attaché, parce que sa destruction me semble devoir amener la destruction des colonies ; mais je comprends ce que vous dites. Si j’étais européen, si j’eusse vécu dans le centre d’idées où vous avez vécu, je penserais, je crois bien comme vous. »

« Je ne prétends pas certainement, nous disait un autre planteur, que l’esclavage soit bon en principe, mais trouvez moyen de le remplacer sans détruire notre société tout entière. Pour moi, je sympathise si fermement avec la moralité de votre réforme, que si vous pouviez me garantir le travail libre du tiers seulement de mon atelier, je ne vous demanderais aucune indemnité, sûr de récupérer bien vite la perte de mon capital noir par les gains de la prospérité future. »

Un autre, M. Eggiman, de la Guadeloupe, avec lequel nous discutions, s’interrompt candidement : « Mais que voulez-vous que je réponde ? vous avez le beau côté. »

« Nous demandons indemnité, dit M. Guignod, de la Martinique, dans un mémoire encore manuscrit, et il nous la faut, c’est notre droit ; car nous n’avons défendu le principe esclave que comme synonyme du droit, et c’est notre droit de propriété seul que nous défendons. Qu’on ne dise donc plus que nous soutenons le principe de l’esclavage pour l’esclavage en lui-même. Nous soutenons notre droit tel que la loi l’a fait, pour ne point perdre la fortune qui repose sur l’esclavage. On nous commande des sacrifices à une opinion qui n’est pas la nôtre, et l’on s’indigne de notre résistance ; c’est au moins injuste. L’homme ne peut posséder l’homme, soit, vous avez raison ; mais vous m’avez permis d’acheter un homme, vous m’y avez encouragé, si vous voulez le reprendre pour le rendre à la société, payez-le moi. La réhabilitation du principe moral ne saurait détruire le droit créé, le droit que la loi a constitué. »

Nous sommes à même de l’affirmer, il est des créoles propriétaires de nègres qui sont abolitionistes. Leur âme bienveillante a brisé les entraves que l’éducation, habitude et l’intérêt personnel mettaient à leur propre affranchissement. Nous possédons plusieurs manuscrits que l’on nous a fait l’honneur de nous confier, et dont il ne nous est pas permis, à notre grand regret, de révéler les auteurs, où l’on rencontre des idées aussi profondément radicales que les plus radicales qui aient jamais été professées en France. C’est dans le mémoire d’un colon en faveur du rachat forcé par le pécule, que se trouve le passage suivant : « Par le temps où nous vivons, dans nos îles perdues comme dans l’Europe civilisé, il n’est pas un homme propriétaire ou non d’esclaves (homme de sens, de cœur et de lumière, s’entend), qui au point de vue théorique ne condamne radicalement l’esclavage. Examiné en principe, l’esclavage, c’est-à-dire la propriété de l’homme sur l’homme, est une monstruosité en désaccord avec nos mœurs, nos sentimens et nos idées ; sous le point de vue moral, c’est une souillure de humanité où nul ne voudrait tremper les mains. La conscience répugne à en chercher la justification dans les mœurs ou l’esprit des siècles qui l’ont vu naître, elle a hâte de s’inscrire en faux contre cette grande violation de la dignité de l’homme, et l’âme indignée s’échappe en un vaste cri : Abolition de l’esclavage ! De tels sentimens appartiennent aux colons propriétaires d’esclaves comme aux abolitionistes européens, et nous ne craignons d’être désavoué que par les hommes à intelligence écourtée qui ont des préjugés et pas d’entrailles. » L’auteur de ces nobles pensées, si noblement dites, définit l’émancipation « déposséder les maîtres d’une propriété garantie par la loi dans un but d’utilité humanitaire. »

Un autre habitant de la Guadeloupe, dans des réflexions pour l’affranchissement, s’exprime en ces termes : « L’esclavage tel qu’il existe, pourrait être modifié, et il ne serait pas difficile de supprimer sans danger tout ce qui, dans cette affligeante institution, effarouche à bon droit les susceptibilités philantropiques de nos frères de la métropole… L’esclavage deviendrait alors une condition fort supportable, dans laquelle la race noire trouverait tout le bien-être matériel auquel on peut prétendre en ce monde.

« Mais cet état social, si heureux qu’il puisse être, n’en serait pas moins de l’esclavage ; or l’esclavage est une flétrissure qui pèse à l’humanité, et le moment est venu de rendre à celle-ci sa dignité méconnue depuis trop long-temps ; je crois donc que l’esclavage doit être aboli. »

Par malheur, ceux qui pensent ainsi n’ont pas encore tous, le courage de le proclamer comme l’énergique M. Lignières, dont le lecteur nous a déjà souvent entendu parler[1]. Il y a une opinion publique faite contre l’abolition, et ils se jugent trop jeunes pour l’affronter ; nombre de colons disent en particulier bien des choses qu’ils n’osent avouer devant leurs compatriotes, crainte d’être accusés de trahir la communauté. J’en ai vu qui croyaient au travail libre et qui ne le confessaient pas, de peur de passer pour mauvais créoles ! L’émancipation a certes beaucoup d’ennemis dans les Antilles, mais elle en a moins que l’on ne suppose ; les colonies nous suivent involontairement, à dix-huit cents lieues de distance, cela est vrai, mais elles nous suivent[2]. La nouvelle génération, sérieuse et intelligente, est progressive ; il serait heureux qu’elle eût moins de respect pour les anciens, ou du moins qu’elle arrivât aux conseils pour combattre les anciens. Elle sympathise avec l’affranchissement, comme tout ce qui est jeune, sympathise avec tout ce qui est bon ; et si, par exemple, on prenait l’avis en masse des barreaux de la Basse-Terre, de la Pointe-à-Pitre, de Saint-Pierre et de Fort-Royal, le monde aurait peut-être le grand étonnement d’y voir éclater une générosité non moins hardie que celle des abolitionistes. Pour tout dire, les colons ont plus peur du mot que de la chose. Faut-il l’avouer ? se fâcheront-ils de la révélation ; est-elle à leur louange ou à leur blâme ? Ils se redoutent les uns les autres, ils tremblent devant la tyrannie de leur propre opinion publique qui étouffe la voix des bons et des sages[3]. Réunis ensemble, ils se montent, s’échauffent, arrivent à une véritable glorification de leur société et refusent tout ; prenez-les tête à tête, ils accordent sans peine que l’être humain n’est pas destiné à vivre comme un animal, et que pour l’honneur de la France moderne il est à désirer que l’on détruise l’esclavage sans nuire au travail. — Le jour où les timides ne se laisseront plus terrifier par la majorité, ils la dépasseront, car ils attireront à eux la partie saine de la population ; malheureusement ce jour-là est loin encore.

Si les habitans par l’usage des mœurs politiques et d’une presse libre, par les féconds rapprochemens de l’association, avaient acquis plus de vertus civiques, nos îles y gagneraient de toute manière ; mais chacun redoute de se faire mettre à l’index, et le pays reste livré à l’influence des hommes stationnaires qui flattent ses passions cachées, en perpétuant la peur instinctive que nous inspirent tous les grands changemens même reconnus nécessaires. C’est ainsi que la faiblesse et le respect humain ont toujours tant retardé le progrès des sociétés ! — Puissent ceux qui méritent nos reproches comprendre, qu’ils manquent à leur pays en ne confessant pas tout haut leurs opinions ! Il n’est vertueux qu’à demi, celui qui se contente de faire le bien ; avoir en outre le courage d’empêcher le mal est l’impérieuse obligation du vrai juste. L’homme peut user sa vie à de telles entreprises, mais il grandit de leur grandeur ; il trouve dans le sentiment du devoir la consolation des rudes chagrins, des amères déceptions de la vie ; et quand vient l’heure suprême, quelque jour qu’elle arrive, comment qu’elle arrive ; vieux ou jeune, abattu par la fièvre ou par une balle de plomb, il rentre dans l’essence universelle, calme et sans regret. Ce fut là, n’en doutons pas, le secret qu’eurent ces nobles disciples du stoïcisme qui proclamaient la parenté de tous les hommes, et dont l’histoire nous raconte la mort facile et vaillante.

Oh ! si les créoles généreux voulaient ! S’ils exigeaient seulement qu’on rétablit aux îles la liberté de la presse, que de choses on pourrait dire, utiles à tout le monde, que de frayeurs mal raisonnées on parviendrait à calmer, que de lumières on jetterait sur ces questions ! comme on y accoutumerait insensiblement les esprits, comme on agirait avec facilité et sans les heurter sur les hommes rétrogrades ; combien la parole fortifiante d’un ami connu, donnerait de courage aux timides et rassurerait ceux qui doutent encore ! — La censure est aussi une des plaies attachées à l’esclavage. Pour ne point ouvrir trop de jour aux esclaves et à la classe des libres, les créoles se sont tenus dans l’obscurité, et les voilà aujourd’hui victimes des ténèbres qu’ils ont faites ; le soleil les blesse et leur fait peur. Beaucoup de colons se plaignent du silence où ils sont condamnés. « … Aussi, un de mes plus forts argumens pour demander le renvoi à cinq ans du vote de l’abolition, nous écrivait M. Lignières, est-il de donner le temps de nous éclairer à la presse coloniale qui serait débaillonnée. » Hâtez-vous, hâtez-vous de rendre aux colonies la liberté de la presse. La censure, comme moyen de paralyser les dangers qui existeraient à y parler trop haut, est d’autant plus absurde, qu’il arrive tous les quinze jours de France des brochures et des journaux mille fois plus incendiaires que ne le pourrait jamais être la polémique locale.

Les colons ont trop de brillant dans l’esprit, et quand je me rappelle la noble hospitalité que j’ai reçue chez eux, moi qu’ils tenaient pour un ennemi, je pense aussi qu’ils sont trop chevaleresques pour ne pas devenir abolitionistes, si on pouvait les instruire fraternellement. Il fallait les voir alors qu’il fût question de guerre, ils se montrèrent universellement prêts à une vigoureuse défense ; ils parlèrent de leurs fusils et de leur adresse à les manier. Que tout l’honneur de leurs actes soit connu : ils savaient bien que la guerre une fois déclarée, l’Angleterre mettrait le feu à leurs îles en deux jours, en appelant les nègres à la liberté, et cependant nous les vîmes unanimes à désirer que la mère-patrie tirât vaillamment l’épée plutôt que de maintenir la paix aux dépens de sa dignité. Le vieux sang français se réveillait tout superbe, et ils ne songeaient guère à se donner à la Russie comme dans leurs mauvais momens[4]. Ce n’est pas chez eux qu’on eût trouvé sept lâches pour faire le ministère de l’étranger. Il est impossible qu’avec de pareils hommes l’abolition ne soit pas plus facile qu’ils ne le croient eux-mêmes. Il ne s’agit, pour les faire entrer dans la voie, que de brûler d’un seul coup leurs vaisseaux d’anciens maîtres.

Il est à désirer, avant tout, que les passions s’apaisent un peu, et que l’on s’entende. Pour ce qui est de nous, nous souhaitons avec ardeur que le caractère de notre travail puisse contribuer à un heureux rapprochement. Je ne craindrais pas de dire que les colons ne soutiennent l’esclavage que parce qu’ils ont le malheur de posséder des esclaves, mais soit intérêt personnel aveuglé, soit le ressentiment que finissent par engendrer les longues luttes, on ne peut imaginer à quel degré d’irritation ils sont parvenus envers quiconque attaque leur propriété humaine ; leur exagération va si loin qu’un de leurs défenseurs les plus dévoués a pu dire : « Bons, généreux, hospitaliers en toute autre circonstance, les créoles deviennent des tigres contre celui qui élève la voix en faveur des victimes de leurs priviléges. » Ils croient réellement que tout homme qui déteste l’esclavage est leur ennemi. « Ils l’accueillent avec leur cœur, comme a dit madame Letellier, ils le bannissent avec leurs préjugés[5]. » Le mot de philantrope est devenu pour eux la dernière expression de l’injure. Aux yeux d’un créole pur sang, philantrope ou scélérat sont deux choses parfaitement synonymes ; « un philantrope est un homme égoïste qui vise au renversement des fortunes sans prévoir aucune compensation, auquel peu importe la ruine ou la misère des familles, pourvu qu’il parvienne au but qu’il se propose. » Ce n’est pas nous qui prêtons de telles pensées aux créoles, c’est un créole même, M. Louis Fereire, qui les avait constatées depuis quatre mois qu’il était de retour en son pays, au moment où nous l’avons rencontré[6]. Eh ! M. Cicéron, membre du conseil colonial, n’a-t-il pas, dans un article inséré au Courrier de la Guadeloupe, parodié ainsi un beau vers de Racine :

Je crains le philantrope et n’ai point d’autre crainte.

On déteste bien plus un abolitioniste aux colonies que nous ne détestons en France un possesseur d’esclaves, on l’exècre. Personnellement nous avons eu, pour nous maintenir parmi les créoles, les plus ardentes répugnances à surmonter, les plus violentes haines à affronter, et il n’a pas fallu moins que le fond de générosité de leur caractère pour vaincre les premières antipathies ; mais c’est précisément parce que nous eûmes à nous réjouir de les connaître que nous voudrions les voir jeter aux vieilleries, leurs mauvaises colères contres les abolitionistes. Ces haines détestables ne leur vont pas[7] quoiqu’elles ne doivent surprendre personne ni exaspérer l’Europe contre eux. « Le créole ; ainsi que nous l’écrivait encore M. Fereire, ne peut concevoir des idées que sa position ne lui permet pas d’analyser, et c’est de là que vient tout son aveuglement. » Lorsqu’on aura changé le mode social, les hommes changeront ; ils valent mieux que l’institution à laquelle il est juste de rapporter leur perversité.

Ne nous indignons pas trop que les créoles résistent, l’intérêt personnel a toujours résisté aux réformes nécessaires. En Europe ceux qui possèdent résistent aux justes réclamations de ceux qui ne possèdent pas. Faisons la part des maîtres, et celle des circonstances où ils se trouvent. Soyons sans colère, tâchons de les éclairer ; mais qu’ils renoncent à faire des abolitionistes autant de niais ou de méchans. Nous acceptons volontiers l’épithète très injurieuse de philantrope, mais nous disons qu’il n’y a que les sots qui puissent accuser les philantropes de haïr et de calomnier les créoles. Calomnier un possesseur d’esclaves ! à quoi bon ? la vérité suffit et au delà. Haïr les créoles, mais si nous aimons les nègres par amour de l’humanité, comment pourrions nous vouloir aucun mal aux blancs puisque les blancs sont hommes comme les nègres ? Les philantropes ne haïssent que l’esclavage et ne calomnient personne. Ils n’ont et n’eurent jamais de prévention contre les maîtres : ils n’eurent et n’ont que de la sympathie pour les esclaves. Considérez donc un peu, habitans des colonies ! La loi qui vous autorise à posséder des esclaves, aliène illégitimement la virtualité de l’homme esclave. Elle convertit des personnes en choses. Des hommes, des femmes, des enfans ! troqués, donnés en cadeau, loués, hypothéqués, légués, vendus, facturés, embarqués comme des tonneaux, emmagasinés comme des marchandises ! Nous en appelons à vous même, nous nous adressons à votre équité, à votre bon sens, à votre honneur, entre vous qui demandez le maintien de cette loi, et l’esclave qui en demande le retrait : de quel côté est juste et bon de se tourner ? Au retrait, vous ne perdrez tout au plus qu’une partie de votre fortune, au maintien, l’esclave continuerait à perdre pour l’éternité la somme intégrale de ses droits naturels. Répondez, si vous étiez à notre place vous mettriez-vous comme Bonaparte avec les blancs par la noble raison que vous êtes blancs ? Non, vous vous mettriez avec les noirs par la plus noble raison que les noirs souffrent et se dégradent. Quant à nous personnellement, en vérité nos opinions politiques même ne sont pour rien ici ; nous ne sommes pas mus comme dans nos principes démocratiques par une aversion orgueilleuse de tout despotisme ; et si l’on fouillait en notre cœur, on ne le trouverait animé que par la conscience inflexible des devoir éternels de homme envers l’homme. — L’humanité tout entière doit enfin entrer dans les seules voies qui puissent conduire au bonheur, s’il existe, la modération et la charité. La France ne peut tolérer plus long-temps chez elle un état de choses qui par sa nature même exclut la modération et la charité. La puissance du maître comme celle de l’homme riche a son côté brillant, et qu’il leur est permis de regretter, mais elle est égoïste et mauvaise. Sachez donc, sachons donc tous, maîtres et bourgeois, princes de la terre, sachons y renoncer. Il n’y a de beau en morale que ce qui est bon.

Que vingt mille maîtres ne veuillent rien changer, cela se conçoit ; mais soyons justes et convenons que les âmes dévouées n’ont pas tort de désirer mieux pour deux cent soixante mille esclaves. On nous a dit un jour : « Mais, monsieur, pourquoi donc les philantropes de Paris s’occupent-ils tant des nègres des Antilles ? qu’est-ce que ça vous fait à vous que les nègres soient libres ou esclaves ? » La question nous était adressée sous un gros arbre, où l’interlocuteur et nous avions trouvé refuge contre un grain qui tombait. « Cet arbre qui nous abrite a peut être mis cent ans à pousser ; il ne put jamais prêter son feuillage contre le soleil ni contre l’orage à celui qui l’a planté. » Telle fut notre réponse.

Ceux qui s’étonnent aussi naïvement de l’attache des philantropes à la cause des esclaves sont rares aux colonies, il est généralement admis que tout abolitioniste est un imbécile, dupe de l’Angleterre, ou un fourbe, vendu aux betteraviers. L’Angleterre et les betteraviers sont les Pitt et Cobourg des colonies. Le cercle d’ignorance où la censure et leurs mauvais conseillers enferment les créoles, est d’une rigidité incroyable ; ils en sont encore à cette vieille erreur que l’Angleterre en donnant l’abolition aux West-Indies ne le fit que dans un intérêt égoïste. Ils vous disent imperturbablement que la philantropie britannique a joué le monde entier, leurs députés salariés sont chargés de répéter « que si les Anglais méthodistes, baptistes, quakers, ont poussé à l’abolition par principe religieux, le gouvernement a été mu par des calculs purement politiques[8] ; » que sachant bien qu’il est impossible de faire du sucre de cannes au Mexique, en Asie, ni dans les immenses plaines de la Guyane, ou du sucre de betteraves en Europe, le cabinet de Saint-James a voulu détruire toutes les Antilles, pour accaparer le monopole de l’indispensable denrée qu’il fabriquerait dans l’Inde. Ainsi l’Angleterre aurait augmenté sa dette de 500 millions de francs, elle aurait sacrifié l’existence de quatre-vingt mille des propres enfans de la Grande-Bretagne établis dans le West-Indies, pour l’éventualité lointaine d’un avenir impossible ; elle aurait escompté d’avance à ce taux criminel ses douteux succès de l’Inde, dans l’espérance comme nous n’avons pas été peu surpris de l’entendre répéter à la tribune le 17 janvier 1842, dans l’espérance de concentrer en ses mains le monopole des denrées coloniales ! Et ces infâmes calculs elle s’y serait livrée, sûre que l’Europe entière ne pourrait deviner de pareils desseins, et se viendrait prendre à de gros piéges recouverts d’une fausse philantropie.

Nous sommes désolé d’en juger ainsi, mais nous n’avons qu’un mot contre un tel raisonnement c’est qu’il est absurde, aussi absurde que l’idée de domination des mers prêtée à la Grande-Bretagne. Où sont les niais ? parmi ceux qui rêvent ces folles et monstrueuses inventions, ou parmi ceux qui disent « vous faites le gouvernement britannique plus égoïste qu’il n’est. Il recula tant qu’il put l’affranchissement. Lui, en proposant l’abolition et les chambres en la votant, ne fit que céder à la force irrésistible de l’opinion publique. Une seule pétition des dames de la Grande-Bretagne fut présentée à la séance des communes du 15 mai 1833, chargée de cent quatre-vingt sept mille signatures. C’est même comme cela que s’explique d’une manière très simple, le phénomène autrement incompréhensible du législateur décrétant l’abolition du fouet pour les nègres des Antilles, tandis qu’il le maintient pour les soldats et les marins de la métropole. Le peuple en masse s’était saisi de la question de l’affranchissement, il le voulait, le parlement obéit. Le ministre des colonies, lord Stanley ne le dissimula point « en présence de l’unanimité du peuple anglais, disait-il aux communes (15 mai 1833), le temps est passé où le parlement se pouvait demander si l’esclavage doit ou ne doit pas être maintenu. Ce qui est à décider aujourd’hui, c’est quel est le moyen le plus prompt et le plus convenable de l’abolir. » Le parlement sut très bien ce qu’il faisait, les hommes d’État les plus entrés dans la direction publique du pays étaient loin de lui en imposer. Le duc de Wellington, dans la séance du 4 juin 1833 déclara « que les Indes occidentales rapportaient par an à la métropole 12 millions sterlings (300 millions de francs), dont 5 (25 millions de francs) entraient comme droit de consommation dans les coffres de l’État, » plus tard le 25 juin, il dit encore « les rapports commerciaux existans depuis si long-temps et avec de tels avantages pour nous entre la métropole et les colonies, n’intéressent pas seulement au plus haut degré notre commerce ; leur importance touche jusqu’à notre puissance navale et de fait à tout ce qui peut ajouter à la gloire et à l’honneur de l’empire. »

Quand donc saura-t-on ces choses ? N’est-il point déplorable qu’il faille encore y revenir en 1842, et justifier les Anglais d’avoir jamais conçu un projet stupide ? Si les colons ne veulent pas nous en croire, qu’ils écoutent du moins les hommes les plus éclairés parmi eux, leurs propres délégués. Ceux-là, comme M. Lacharrière, leur diront avec nous : « Lors de la discussion du bill d’émancipation, le cabinet anglais n’était pas maître du terrain ni de la ligne de conduite qu’il eut dans cette affaire. Voici le langage qu’un ministre tenait en août 1833, à la chambre des pairs d’Angleterre. « Que cette ligne soit bonne ou mauvaise, qu’elle soit juste ou injuste, que les conséquences en soient heureuses, fâcheuses ou même fatales, c’est ce que je ne chercherai pas à discuter ; mais ce que je maintiendrai, c’est que le cabinet n’a point, de son chef, pris l’initiative de la mesure en délibération[9]. »

M. Favard, délégué des blancs de Cayenne, délégué instruit, dévoué, doit également être une dupe ou un agent caché de l’Angleterre, car voici comme il s’exprime dans une de ses brochures, en faveur de ses commettans. « C’est une grande erreur de croire l’Angleterre peu intéressée à l’existence de ses colonies d’Amérique, et de supposer que son commerce de l’Inde suffirait pour entretenir sa marine marchande, et préparer les équipages qui montent ses flottes en temps de guerre. On ne réfléchit pas, en accueillant de pareilles idées, à l’importance du commerce des colonies de l’ouest ; lié avec celui du nord, il en est, en quelque sorte, comme l’aliment indispensable, puisqu’en effet c’est dans ses îles d’Amérique que l’Angleterre trouve le débouché des produits de ses pêcheries, véritable pépinière où se forment les équipages de ses vaisseaux. On oublie que ces mêmes colonies consomment annuellement pour une valeur de 120 millions de francs d’objets manufacturés dans leur métropole ; qu’elles alimentent un mouvement d’affaires de 250 millions, et qu’elles occupent une navigation de plus de 250 mille tonneaux. »

Mais si la perfide Albion n’a trompé personne dans l’affaire de l’affranchissement, comme l’abolitioniste ne peut avoir une bonne pensée, on le dit animé par de misérables désirs de vanité. La délivrance des noirs est un piédestal dont il se sert, faute de mieux, pour monter à la popularité ! Prenez garde, messieurs les colons, vous vous condamnez vous-mêmes. Le peuple est donc contre vous, si c’est lui plaire que de s’en prendre à ce que vous avez. L’opinion publique est un écho intelligent ; elle ne répète que les mots bien sonnans. Persuadez-vous donc enfin que l’humanité seule pousse la France à vouloir ce qu’elle veut. Si elle oublie parfois qu’il n’y a pas que des esclaves aux colonies, qu’il y a aussi des maîtres dont un changement doit modifier et peut bouleverser l’existence, c’est que l’acharnement avec lequel vous défendez l’esclavage lui fait oublier que vous n’en êtes pas responsables. Est-ce en vérité au moment où, dès le premier cri qui s’éleva des décombres du tremblement de terre de la Martinique, elle ramassa deux millions de souscription pour vous les offrir ; que vous avez bonne grâce à l’accuser d’être ennemie des créoles ? Mais la France ne vous aimât-elle pas, elle serait facilement justifiable ; car si vous n’êtes pas coupables de l’esclavage, vous êtes coupables de le vouloir garder, et en prétendant conserver des esclaves, vous vous montrez indignes d’elle qui ne veut plus même de nobles.

S’il pouvait rester quelque doute sur l’illégitimité de votre propriété pensante, il suffirait de faire remarquer qu’elle n’est défendue que par vous et vos salariés. Vous n’avez pas eu un député ni un journaliste qui vous prêtât sa parole ou sa plume pour rien ; aux colonies même on ne rencontre, disposés à soutenir jusqu’au bout l’esclavage, que ceux qui ont des esclaves. Toutes les villes, détestablement servies par vingt mille nègres de maison chèrement payés qui ne font pas l’ouvrage de cinq mille domestiques, verraient sans beaucoup de peine l’affranchissement[10]. L’intérêt seul veut donc maintenir la servitude, puisque ceux-là seuls qui en profitent la soutiennent, puisque, là où les hommes n’y sont pas pécuniairement engagés, ils en demandent d’impulsion spontanée la destruction. Il faut bien croire qu’il y a quelque chose de moral dans une destruction que tant de personnes d’âges divers et de sentimens politiques opposés voient tous du même œil, quoiqu’ils n’aient rien à y gagner ni les uns ni les autres. Si l’affranchissement était injuste, aurait-il tant de partisans ? une telle unanimité devrait vous ouvrir les yeux et calmer vos résistances.

Ceux qui n’ont rien à perdre ont beau jeu aux utopies, dites-vous ; mais ceux qui ont beaucoup à perdre, dirons-nous à notre tour, sont des juges trop prévenus pour apprécier sainement la valeur des réformes. Pourquoi supposez-vous l’homme tellement dépourvu d’esprit de justice que votre cause lui soit indifférente, parce que ses rentes n’y sont pas compromises ? Que de choses d’ailleurs à répliquer là-dessus. Nous croyez-vous donc la vue si courte que nous ne sachions pas qu’en attaquant votre propriété coloniale, nous faisons large voie à ceux qui attaquent avec autant de justice notre propriété héréditaire ? À chaque jour son œuvre. En nettoyant les écuries d’Augias, Hercule dut commencer par les plus grosses ordures.

Au reste, nous ne permettons plus de dire que les abolitionistes en parlent à leur aise ; il n’est pas vrai que nous soyons tous désintéressés dans la question. Il y a parmi nous des propriétaires d’esclaves. Aux preuves assez claires que nous ayons données tout-à-l’heure il nous est facile d’en ajouter d’autres. M. Bovis, maître de deux cent cinquante noirs, conclut à l’abolition et à l’abolition immédiate dans une note motivée que nous mettrons bientôt sous les yeux du lecteur. En parcourant la Guadeloupe, nous y trouvâmes assez d’habitans tout acquis au souverain principe, pour qu’il nous vint l’idée de les réunir et de fonder à la Guadeloupe une société d’abolition exclusivement composée de propriétaires ; nous soumîmes le projet à M. Lignières qui, par sa position prise de longue date, en était le vulgarisateur naturel ; et voici textuellement sa réponse : « Une association, formée par des colons pour arriver à la liberté des noirs, serait assurément propre à faire faire des pas de géant à la question ; mais vous avez dû remarquer que les colons sont, pour me servir de leur expression, casaniers, ils ne bougent pas de chez eux ; nous autres abolitionistes colons nous nous prêcherions nous-mêmes, nous n’aurions que de rares auditeurs… La presse vaudrait mieux que cette association…

« Rassurez-vous, pourtant ; si une association n’est pas facile à former, le Cours, notre promenade de Tamarins est là, et c’est là, en placé publique, que je continuerai d’argumenter en faveur de notre cause et de faire des prosélytes… N’êtes-vous pas tenté de rire des choses humaines, lorsque vous vous dites que celui qu’on vous signalait comme un mangeur de nègres ; tandis qu’on l’exposait à votre mépris, à votre haine implacable, obéissant à sa conscience, écoutant les inspirations de son cœur, s’exposait lui-même non pas au Lynch law (mes compatriotes ne sont point des barbares), mais aux abjurations de ses concitoyens, de ses amis ; et qu’aujourd’hui même, recueillant le fruit de ses efforts en faveur de l’humanité et de la justice, on le met au nombre des abolitionistes en qui l’on doit avoir confiance, parce qu’il a toujours été abolitioniste… »

Qu’il y eût ou qu’il n’y eût pas de propriétaires d’esclaves parmi nous, la cause n’en serait pas moins bonne ; mais nous espérons qu’après ce qu’on vient de lire les créoles de bonne foi, encore adversaires, renonceront à la négation de notre droit à parler d’abolition, sous prétexte qu’aucun de nous n’a rien à y perdre. En tous cas, peu importe, les abolitionistes veulent se rappeler toujours que le pain des planteurs ne doit point leur être arraché ; mais ils veulent n’oublier jamais que l’esclave a droit d’être mis en position de gagner librement le sien et non plus de le recevoir du bon vouloir d’un maître ; ils veulent se rappeler toujours que la fille du planteur ne doit pas perdre sa dot, mais ils veulent n’oublier jamais que l’esclave a droit d’être mis en position d’en gagner une pour la sienne. C’est méconnaitre son temps que d’envisager aujourd’hui la question coloniale sous une autre face, de se refuser à laisser monter de niveau l’homme esclave avec l’homme maître. La France a des colonies, elles sont habitées par trente mille blancs éparpillés au milieu de deux cent soixante mille noirs ; est-ce donc un crime et une folie de vouloir que les lois n’y soient plus faites en faveur des trente mille au détriment des deux cent soixante mille, d’exiger qu’il soit mis un terme à la perpétuation de cette incommensurable iniquité ?

On doit avoir souci des conséquences de l’abolition, et ne pas y aller les yeux fermés ; mais il ne faut pas laisser de poursuivre l’établissement du souverain principe, sans donner trop de place aux craintes des colons. — Ils ont été malheureux jusqu’ici dans toutes leurs résistances et sur tous les points culminans du système colonial. Ils s’opposèrent avec violence à la suppression du commerce des nègres ; tous les argumens qu’ils emploient à cette heure contre l’émancipation, ils les épuisèrent contre l’abolition de la traite. Détruire la traite, c’était détruire les colonies. L’odieux trafic n’existe plus, les colonies subsistent, et les créoles conviennent aujourd’hui que son extinction a été un bienfait pour eux. Ils disaient que donner des droits politiques à la classe libre, c’était mettre les colonies à feu et à sang ; la classe libre est émancipée, et les colonies sont moins agitées qu’elles ne le furent jamais. Lorsque le gouvernement donna il y a huit ou dix mois, après sept années d’apprentissage, la liberté à quatre cents nègres de traite que l’on avait sauvés de l’esclavage et placés à la Martinique, ces échappés de la servitude devaient tout troubler et bientôt mériter la corde ; ils sont libres, et on n’entend pas parler d’eux. Il en sera, nous le croyons, de l’émancipation générale comme du reste. Qui sait ? peut-être les blancs nous béniront-ils un jour pour l’affranchissement qui aura rétabli leur fortune, tué le poison, et garanti leur tranquillité ; peut-être voudront-ils élever aux abolitionistes des statues d’ébène, comme disait avec une douce moquerie le pauvre Louis Maynard, ce jeune fils de la Martinique, qui s’était fait aimer en France, et qui est mort trop jeune, abattu dans un duel par le fusil d’un mulâtre.

En tous cas, que les colons approuvent ou n’approuvent point le principe, ils s’y doivent résigner ; il n’est plus aucune force au monde qui puisse empêcher son triomphe, il est porté par le courant des idées de réforme à une telle hauteur de vérité démontrée, que le nier aujourd’hui, c’est se perdre dans l’opinion publique. Au sein des chambres, hors des chambres, Partout, le sentiment général se prononce énergiquement et avec une sorte d’indignation contre le maintien de l’esclavage. Les principaux membres de la société française pour l’abolition de l’esclavage portent noms Broglie, Passy, Lamartine, Odillon-Barrot, tous gens peu connus pour leur audace révolutionnaire. Il sera bien aux créoles d’accepter le vœu universel, non pas en se regardant comme sacrifiés par une métropole qui a grand intérêt au contraire à les voir prospérer, mais en se persuadant que c’est au nom du progrès de la moralité humaine qui abolit la torture, que la France exige l’abolition de la servitude ; au nom de la charité, que la nation à résolu de purifier un état social dont s’offensent la raison, la justice et l’humanité.

Nous ne savons sur quoi s’appuient ceux qui nous accusent de vouloir bouleverser les colonies à plaisir, ni de quelle nature serait ce plaisir, et encore moins quel serait son but ; mais nous savons, et nous l’avons prouvé, qu’il est au milieu de vous, créoles, parmi vos propres frères, beaucoup d’hommes qui sentent que ce qui est ne peut demeurer. Ceux-là veulent l’ordre, ils y sont intéressés autant que les autres, ils veulent que le travail, condition vitale de toute société, soit organisé ; mais sans se faire illusion sur les difficultés de la réforme, ils blâment les reculemens de la majorité ; ils veulent cette réforme, parce qu’elle est raisonnable, parce qu’elle est juste, parce qu’elle est humaine, et ce sera leur dévouement assuré aux mesures émancipatrices de la métropole qui préservera les colonies de tout mal.

Puissent ceux qui résistent aujourd’hui les aider alors ! Plus l’esprit public des créoles se modifiera dans ce sens, plus ils comprendront la nécessité philosophique de l’affranchissement ; et plus vite on surmontera, au profit des particuliers comme à la gloire du siècle, les embarras des premiers momens. Leur devoir de bons citoyens est de renoncer courageusement au passé. Sans leur concours volontaire, il sera difficile que l’émancipation ait promptement une issue favorable. On ne peut songer sans frémir aux troubles prolongés d’une société en reconstruction, si, avec la surveillance à exercer sur les nouveaux affranchis, la métropole avait encore à renverser comme des obstacles les anciens maîtres rebelles à la loi de fraternité. Que les Français, propriétaires aux Antilles, ne se disent pas comme on les entend dire : le travail libre est impossible ; qu’ils répètent en s’unissant : il faut que le travail libre soit possible. Les peuples sont sortis victorieux de crises plus difficiles que celles par où ils doivent passer. Liberté, égalité, fraternité ; dans ces trois mots est l’inévitable destinée du genre humain. Qui voudra l’arrêter se brisera, aux Antilles comme en Europe.


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  1. M. Lignières est cet avocat défenseur d’Amé Noël, qu’un homme animé de bonnes intentions, dénonça à l’exécration du monde civilisé en dénaturant par erreur le caractère de sa plaidoirie. M. Lignières est de tous les blancs possesseurs d’esclaves, le seul qui ait osé s’avouer abolitioniste et prêcher ses doctrines à ciel ouvert. On ne peut imaginer en Europe ce qu’il faut de fermeté d’âme à un colon pour se poser ainsi aux colonies. Mais on saura en même temps l’estime que M. Lignières s’est acquise, et le progrès d’idées qui s’est opéré à la Basse-Terre, si l’on songe qu’il n’a manqué que d’une voix aux dernières élections pour être nommé membre du conseil colonial.
  2. Outre le fait très significatif du blanchissage des propriétés dont nous parlerons bientôt, d’autres symptômes indiquent que les colons croient plus à l’abolition qu’ils le disent. Les uns, qui la regardent comme juste et nécessaire, loin d’y mettre obstacle, s’y préparent ; il en est d’autres qui sans l’approuver se sont avoués à eux-mêmes qu’elle est inévitable, imminente, qu’elle marche en dépit des colonies, que le gouvernement malgré sa tiédeur ne la peut arrêter, et ils prennent leurs mesures en vue de cet événement. Je citerai entre autres M. Guignod, que l’on vient d’entendre tout à l’heure. Il est si bien persuadé que « les temps sont proches » qu’il parle de l’émancipation avec ses esclaves. Peu de jours avant que j’eusse l’honneur d’être présenté chez ni, un nègre libre était venu pour lui racheter son père. « Je ne refuse pas le marché, répondit M. Guignod, mais vous faites une folie, l’abolition générale sera bientôt prononcée, la France paiera votre père, et puisqu’il n’est pas malheureux ici, vous feriez mieux de garder l’argent pour le nourrir lorsque libre et cassé, il ne pourra plus gagner sa vie. » Le fils et le vieux bonhomme trouvèrent le raisonnement du maître fort juste. Ils gardèrent les piastres et attendent.
  3. À l’appui de ce que je viens de dire, je ne saurais mieux faire que de citer le passage d’une lettre de M. Auguste Prémoran de la Martinique, qui avait bien voulu m’admettre plusieurs jours chez lui. « J’ai reçu hier, m’écrivait M. A. P., une lettre de Saint-Pierre, dont tel est le contenu : « M. Schoelcher est depuis peu de jours de retour du Lamentin. S’il faut l’en croire, il aurait trouvé chez une partie des habitans de votre quartier une opinion bien différente de celles des autres propriétaires de la colonie. Suivant ces habitans, que d’ailleurs M. S. n’a pas nommés, ce qui est à regretter, car il est utile aujourd’hui de bien connaître son monde, on peut compter sur le travail libre, etc. » Et là-dessus l’écrivain me priait de déclarer, comme cela est vrai, que je l’avais trouvé entièrement contraire à cette opinion. « Le travail libre je le répète, ajoutait-il, est impossible pour le nègre. » On le voit, les passions anti-abolitionistes sont tellement exaspérées et tyranniques chez les créoles, qu’ils demandent à signaler ceux qui osent croire le travail libre possible. Il est bon de connaître son monde ! Cela n’équivaut-il pas à, il est bon de connaître ses ennemis ?
  4. Le caractère créole est réellement tel qu’on l’a peint, primesautier, ardent et surtout porté aux excès, à l’exagération. On ne saurait se figurer la violence que plusieurs mettent dans les idées contraires à l’abolition ; quiconque parmi eux prononce la moindre parole libérale n’est plus taxé que de quart ou de moitié de créole. Il a été dit du rapport Rémusat à la tribune du conseil colonial de la Martinique. « Lorsque Tartuffe l’ancien donnait une heure au ciel, une autre à l’adultère, il ne s’était certainement pas fait une si haute idée de l’hypocrisie. » À la même séance on a prononcé ces mots : « Si vous n’êtes traités comme des Français, vous pouvez sans crime, sans devoir être accusés de trahison, renoncer à la protection que la France vous accordait. Je dis que vous le pouvez avec d’autant plus de justice que votre dévouement pour elle ne s’est jamais démenti, tandis que depuis douze ans la protection promise par elle s’est transformée en déception et tyrannie. »

    C’est la révolte à mots couverts.

    Et celui qui a dit cela n’a fait qu’exprimer la pensée de plusieurs. Oui, les exaltés parlent aux colonies de cesser d’être Français, et de se donner à l’union américaine si la métropole ne veut pas leur laisser des esclaves. Pour d’autres, l’union américaine est encore trop libérale, parce que dans les états du nord il y a des sociétés d’Anti-Slavery, et nous avons entendu un habitant, homme de cœur du reste, dire en pleine table devant quinze personnes et sans trouver plus d’un seul contradicteur parmi ses frères. « C’est la Russie qu’il faudrait appeler, elle nous convient et nous lui convenons, elle n’a pas de colonies. » — On vient de voir ce que valent tous ces jets de colère sitôt qu’un danger de la patrie ramène la raison. On y donne tous les esclaves en masse.

  5. Esquisses de Mœurs coloniales. (Revue des Colonies.)
  6. M. Fereire est propriétaire à la Guadeloupe. — Élevé en Europe, il dit aujourd’hui comme disait un autre créole du dernier siècle, en revoyant sa patrie. « Non, je ne saurais me plaire dans un pays où mes regards ne peuvent tomber que sur le spectacle de la servitude, où le bruit du fouet et des chaînes étourdit mes oreilles et retentit dans mon cœur. » (Lettre de Parny à Bertin, île Bourbon, 19 janvier 1775.)

    Pour ne point haïr l’esclavage, même lorsqu’on est créole, il faut ne pas quitter une seule minute le sol colonial, il faut respirer toujours son air malfaisant. Dès que vous vous en éloignez, vous prenez honte d’avoir pu vous y plaire. Ce n’est pas parce que M. Fereire est jeune qu’il est acquis aux idées qu’on vient de lui voir émettre ; des hommes politiques, spécialement chargés de venir défendre en Europe les intérêts coloniaux changent comme lui, et tous les délégués que nos îles ont envoyés de ce côté-ci des mers, s’y gâtent tous plus ou moins au foyer de la civilisation ; jusque-là qu’ils sont successivement rappelés et reviennent chez eux taxés avec amertume par les créoles pur sang de modérantisme, de faiblesse, et pis encore. Il y a des colons auxquels vous n’ôterez jamais de la tête que M. Jabrun, par exemple, qui perdrait (selon eux) 60, 000 francs de rente à l’abolition, n’a fait de concessions, que parce qu’il lui a été promis en France une place de 6, 000 francs ! Les électeurs, dit un journal, écho de l’opinion la plus rétrograde des colonies, en parlant de deux membres absens qui n’avaient point été réélus au conseil de la Guadeloupe : « Les électeurs avaient unanimement résolu de ne donner leurs suffrages à aucun planteur absent. Subsidiairement, le séjour en France, le contact des salons de Paris sont devenus une réprobation, depuis quelques expériences qui ont été faites, et sur lesquelles nous nous félicitons d’avoir appelé fructueusement l’attention de nos concitoyens. »

    Est-il nécessaire d’expliquer notre pensée quand nous attaquons les créoles. Les créoles sont des hommes comme nous, bons ou méchans comme nous. Les révoltantes opinions qu’ils professent sur l’esclavage ne tiennent pas à leur qualité de créoles, mais de possesseurs d’hommes. Les européens qui achètent des esclaves ne sont pas les moins cruels envers ces malheureux, ni les moins ardens à vouloir perpétuer leur abjection. Ainsi qu’on vient de le voir, les créoles qui vivent en Europe deviennent presqu’abolitionistes. Il est même à noter que les propriétaires d’esclaves que nous avons pu citer honorablement sont presque tous exclusivement nés dans les îles. — Nous ne saurions oublier en faisant cette observation, que l’un des plus heureux apôtres de la liberté moderne, Barbez, est un fils de la Guadeloupe.

  7. Elles les mènent jusqu’à des calomnies qu’ils regretteraient s’ils étaient de sang-froid. Ainsi, M. Isambert pour s’être constitué le défenseur des sang mêlés est traité aux colonies d’une manière infâme. Je n’ai aucune intimité avec M. Isambert, et il n’a pas besoin d’être défendu, mais il s’est donné avec un si actif dévouement à la cause de l’abolition, que je me crois permis de rapporter une circonstance de mon voyage qui le regarde. Je serais heureux que ce récit éclairât les colons de bonne foi. Sans doute, après l’avoir lu, ils haïront toujours M. Isambert comme un ennemi, mais ils ne le mépriseront plus comme déloyal ; voilà tout ce qu’il faut pour des gens de cœur.

    C’est une chose de la dernière authenticité pour tous les créoles, même les moins passionnés, que M. Isambert n’a embrassé et ne continue à défendre la cause de l’abolition que pour de l’argent ; on a tant répété cela, que tout le monde le croit, et croit aussi que les preuves en existent, écrites de la main du coupable, dans la correspondance d’un homme de couleur nommé Leriché, dont les papiers passèrent après décès au bureau des successions vacantes de Saint-Pierre, Martinique.

    J’avais entendu plusieurs personnes graves se faire l’écho de ces terribles bruits, et les maintenir pour vrais, quoique je voulusse y opposer la réputation de probité dont jouit M. Isambert en France, Je dis à la fin : « La déconsidération publique du plus actif défenseur des noirs serait un coup très rude porté à la cause de l’affranchissement, car on juge avec quelque raison du procès par l’avocat. Cependant comme la vérité doit être honorée par-dessus toutes choses, je ferai, moi, ce que je suis étonné que pas un de vous n’ait encore fait. Puisque les preuves de la félonie subsistent, je m’engage à les publier si vous me les montrez. » Sur ce, un négociant de la Martinique, M. Auguste Bonnet, homme d’un noble caractère, et ami de la justice, me mit un jour en rapport avec M. Gravier Sainte-Luce, conseiller colonial, grâce au pouvoir duquel le conservateur des archives voulut bien nous ouvrir ses cartons. « Rappelez-vous que vous avez promis de publier, » me dit M. Bonnet, en commençant ; et lui, M. Sainte-Luce, ainsi que moi, nous nous mîmes à lire toute la correspondance de M. Isambert avec M. Leriché. Rien n’en sortit d’injurieux pour le caractère de l’abolitioniste ; loin de là ; il ne parlait de ses honoraires que comme mémoire, et mettait une délicatesse extrême à demander le remboursement de sommes déboursées par lui dans le célèbre procès des hommes de couleur, exprimant le regret que l’état de sa fortune ne lui permit pas de passer ces choses sous silence. Lorsque nous nous retirâmes, M. Bonnet, toujours intègre, dit à M. Gravier, en souriant : « Vous voyez qu’il faut voir. »

    Ces deux messieurs attesteraient au besoin, je m’en assure, la scrupuleuse exactitude de ce que je viens de raconter. À l’occasion, je ne me fis pas faute d’en parler, mais il n’importe ; long-temps encore on répétera aux colonies que M. Isambert est un homme sans honneur, qu’il fait de son dévouement aux noirs métier et marchandise, qu’il a reçu des sommes considérables souscrites à son profit par la classe libre où quêtées jusqu’au fond des cases à nègres ; et, si vous paraissez en douter, on vous affirmera que la preuve en est dans les papiers de la succession Leriché, au bureau des successions vacantes de Saint-Pierre, Martinique.

  8. M. Jolivet, délégué des blancs de la Martinique. Nous disons délégué des blancs, quoique M. Jollivet, comme ses collègues ne fasse pas cette distinction. Nous nous refusons tout-à-fait à appeler délégués des colonies, les agens des propriétaires d’esclaves. Ce titre est une usurpation qui offense beaucoup la justice et le sens commun. Les délégués ne représentent que les blancs, c’est-à-dire une très minime fraction de la population française d’outre-mer, trente mille individus sur trois cent soixante-douze mille. — Les choses de ce monde vont d’une manière bizarre, et l’on conçoit qu’elles prêtent à rire au diable. Voilà dix ou douze mille maîtres auxquels il est permis d’avoir des mandataires accrédités auprès du gouvernement de la métropole, tandis que leurs deux cent soixante mille esclaves n’ont personne chargés de parler pour eux ! sont les représentans des nègres pour répondre aux avocats constitués des planteurs ? — Ce qui n’est pas moins singulier, c’est que les blancs payent leurs délégués sur les fonds des contribuables de toutes couleurs. Si bien que les libres, noirs et sang mêlés, salarient au moyen de cette fiction scandaleuse, des hommes apostés jusque dans les deux chambres pour les combattre et leur nuire ! En vérité cela est par trop extravagant. Et le conseil de Bourbon vient de voter 70,000 francs par année pour ses deux mandataires ! Mais qu’ont-ils donc à faire, que l’on doive leur donner tant d’argent ?
  9. Réflexions sur l’affranchissement des esclaves dans les colonies françaises, par M. Lacharrière, ancien délégué des blancs de la Guadeloupe.
  10. Au besoin nous pourrions citer comme partageant cette opinion, M. le docteur Rufz, de Saint-Pierre, et cependant le docteur Rufz est un vrai créole, ennemi de l’abolition, parce qu’il la croit funeste aux intérêts généraux de son pays.