Des colonies françaises (Schœlcher)/XXV

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Pagnerre (p. 388-414).

CHAPITRE XXV.

ESSAI DE LÉGISLATION PROPRE À FACILITER L’ÉMANCIPATION EN MASSE ET SPONTANÉE.


L’émancipation générale proclamée, il est important de dissiper les craintes des timides pour la paix publique, et de prévenir les tentatives des hommes pervers qui croient gagner quelque chose aux désordres.

Garnisons.

« Les garnisons des colonies seront donc augmentées du nombre de troupes que les autorités locales indiqueront comme nécessaires. »

« Un corps de troupes noires sera créé dans chaque colonie[1]. »

Hospices et hôpitaux.

Les esclaves rendus à la dignité humaine, appelés à la vie de citoyens, ne peuvent en aucun cas être distraits de la loi commune. Ils ne doivent plus rien à leurs anciens maîtres, ceux-ci ne doivent plus rien à leurs anciens esclaves. Cela étant, grand nombre de vieillards, d’infirmes, de malades qui se trouvent aujourd’hui à la charge de leurs propriétaires vont tomber à la charge de l’état. Un des premiers devoirs du législateur est d’ouvrir un asile à tous ces malheureux, nous entendons que la déclaration d’indépendance ne peut être prononcée sans la création simultanée d’hospices pour les infirmes et les vieillards, de fermes agricoles pour les orphelins abandonnés, et d’hôpitaux pour les malades pauvres.

Nos îles sont, comme on sait, partagées en arrondissement divisés en cantons qui se subdivisent en communes.

« Chaque arrondissement sera pourvu d’un hôpital, d’un hospice et d’une ferme agricole. »

« Le propriétaire conservera ses malades, ses invalides et ses orphelins deux mois pleins après la promulgation de la loi d’affranchissement ; et sera tenu d’avoir pour eux les mêmes soins que par le passé. Ce temps expiré, il a droit de les renvoyer. C’est la nation qui en devient responsable. »

Dépenses de l’espèce.

« La métropole fera l’avance des fonds nécessaires à l’érection de ces établissemens. »

On peut dire, ici, tout de suite que

« Les dépenses auxquelles donnera lieu l’émancipation seront à la charge de l’État, mais constitueront une dette de la colonie remboursable selon ses ressources postérieures. »

« Les amendes prononcées par les juges-de-paix et les tribunaux seront spécialement applicables aux hospices et hôpitaux. »

Toute réunion d’hommes doit se suffire à elle-même. Lorsqu’elle y manque, c’est qu’elle est mal constituée. Les colonies devront donc payer ce que l’on dépensera pour la reconstruction de leur état social, mais si après tout la métropole ne pouvait rentrer dans les fonds consacrés à l’émancipation, on doit convenir qu’elle n’aura jamais fait de perte moins regrettable.

Que l’on ne s’effraie pas surtout des dépenses que nous proposons ici et plus bas. Elles sont indispensables et elles rapporteront d’immenses bénéfices, en faisant d’une population malheureuse et presque brute, une population heureuse et intelligente. Il n’y a rien de meilleur marché que l’ordre ; il n’y a rien de plus coûteux que le désordre.

Sucreries pénitentiaires et sucreries criminelles.

Après avoir pourvu au sort des malheureux, il faut songer à donner à la société les garanties de sécurité dont elle a besoin pour fonctionner sans crainte.

« Il sera installé dans chaque commune deux sucreries, dites pénitentiaires, une pour hommes, l’autre pour femmes. »

« Les détenus y sont occupés à tous les ouvrages d’une habitation sucrière. »

« Le travail s’obtient par les moyens employés dans les pénitenciers d’Europe. Dans aucune espèce de cas et sous aucune espèce de prétexte un détenu ne peut être soumis à un châtiment corporel. »

« La peine de la sucrerie pénitentiaire n’étant point une peine infamante, les détenus peuvent être employés selon que l’administration supérieure en jugerait l’urgence aux travaux des ponts et chaussées. »

« Les détenus reçoivent une rétribution, dont moitié est réservée pour leur être remise à l’époque de leur sortie. »

« Les prisons actuellement existantes seront converties en sucreries criminelles, dont le nombre sera aussi élevé que de besoin. »

« Là sont envoyés (hommes et femmes dans des établissemens différens) les condamnés des tribunaux pour délits graves, vols et crimes. »

« Toute peine corporelle est également interdite dans les sucreries crimielles. »

« La journée de travail des sucreries pénitentiaires et criminelles est de dix heures. »

« Les détenus et prisonniers sont conduits aux travaux par des gardiens, comme il arrive aujourd’hui sur les habitations. »

« Les détenus et prisonniers n’ont pas de jardins, ils sont nourris en commun. »

Le régime est plus sévère sur les sucreries criminelles que sur les sucreries pénitentiaires, mais pour les unes et les autres

« Il sera établi des écoles où les condamnés seront tenus de se rendre. »

Dans la nature humaine, les méchans sont des exceptions. Les coupables ne sont pas des êtres vicieux qu’il soit raisonnable d’enfermer comme les bêtes féroces, ce sont des malades à guérir. Pour cela ils doivent être gardés continuellement dans une atmosphère d’ordre et de moralisation. Il faut leur faire respirer la vertu. Depuis six mille ans que les hommes sont rassemblés, on a fait l’expérience que les coups, les tortures et la mort punissent, mais ne corrigent pas. Il est temps de corriger et d’amender. Toute l’installation des établissemens coloniaux de — détention que l’on va fonder, devra répondre à ce but. Afin de le mieux remplir, nous voudrions

« Qu’il fut fait deux fois chaque jour aux prisonniers une instruction d’une demi-heure, où l’on s’attacherait surtout à leur expliquer, à leur faire comprendre, à leur mettre bien en relief, soit par des lectures, soit par des discours, d’une forme très simple, les graves obligations du citoyen, les impérieux devoirs de l’honnête homme. »

« Les enfans condamnés seront enfermés dans des établissemens distincts. »

La colonie agricole fondée par M. Demetz, à Mettray, près de Tours, peut être prise comme un excellent modèle de ces établissemens. — Outre le travail, on devra particulièrement s’occuper de l’instruction primaire et morale des jeunes égarés.

« Tous les frais des sucreries pénitentiaires et criminelles ; fondation, achat de terrain et entretien, seront payés sur leurs produits, L’excédant des recettes sera versé à la caisse coloniale. »

« La loi étant pour tous, et ne reconnaissant plus aucune des anciennes distinctions de couleur, les blancs qui seraient condamnés à la sucrerie pénitentaire ou criminelle y devront être employés à tous les travaux de la maison, sans excepter celui de la canne. »

« Les sucreries pénitentiaires et criminelles sont placées sous la surveillance d’un inspecteur ad hoc, chargé d’y faire observer la lettre et l’esprit de la loi. »

Juges-de-paix.

L’administration judiciaire des colonies sera strictement rangée aux prescriptions du Code français ; cependant

« Outre les tribunaux ordinaires, il sera créé dans chaque commune une justice-de-paix composée d’un juge, d’un suppléant et d’un greffier. »

« La justice-de-paix comme les bureaux de police, seront placés dans des endroits facilement accessibles et autant que possible au centre du lieu le plus peuplé de la commune. »

« Les terrains nécessaires pour ces établissemens comme pour ceux des écoles, des prisons, des hôpitaux, seront achetés par le gouvernement, qui entrera en possession, s’il y avait refus de vente, selon les lois de l’expropriation forcée. »

« Pour éviter des frais, l’administration traitera de ces terrains, s’il y a lieu, par échange avec des terres appartenant à l’État. »

« Le tribunal de la justice-de-paix est en permanence depuis dix heures du matin jusqu’à cinq heures du soir. »

« Le juge-de-paix ne peut s’absenter de son tribunal que pour délit criminel à constater. Sauf ce cas, toute descente de lieu qu’il pourra avoir à faire est opérée par son greffier, qui lui rend compte. »

« Le juge-de-paix connaît de toute affaire d’intérêt au-dessous de 300 fr, à charge d’appel pour les causes au-dessus de 100 fr., de recouvremens de gages, recouvremens de petites dettes, débats entre propriétaires et laboureurs, relatifs à l’exécution, à l’interprétation des contrats faits entr’eux, difficultés sur conventions de gages, injures, rixes, coups et voies de fait. »

« Il a droit de casser les engagemens entre propriétaires et laboureurs. »

« Il peut lancer mandat d’amener pour délit criminel constaté par lui. »

« Il poursuit d’office dans tous les cas de préjudices causés au peuple, qui viennent à sa connaissance. »

« Il a droit, dans les limites du Code et en se faisant accompagner de deux hommes de police, de se présenter sur n’importe quelle habitation de sa commune, où il aura sujet de croire que la vindicte publique le requiert. »

« Il peut citer en témoignage devant son tribunal, et en cas de non comparution sans motif valable de la personne citée, condamner le délinquant à 50 fr. d’amende ou deux jours de sucrerie pénitentiaire. »

« Les témoins, s’ils perdent plus d’une demi journée ; ont droit à une indemnité de 1 fr. »

« Le jugement de nulle affaire portée devant le tribunal de paix ne peut être différé au delà de dix jours pour dernière limite, sauf le cas de force majeure. »

« Le juge qui ne pourrait suffire aux besoins de sa commune, s’adressera au procureur-général qui devra établir un tribunal supplémentaire. »

« Toute condamnation du juge-de-paix dépassant un mois de sucrerie pénitentiaire et 100 fr. d’amende est susceptible d’appel. Hors ces cas, il juge en dernier ressort, et ses arrêts (toujours sans procédures) sont immédiatement exécutoires, et la force publique est tenue de les mettre à exécution. »

« Toute personne qui s’opposerait l’exercice des droits conférés aux juges-de-paix, serait poursuivie dans les formes du droit public de France. »

Nous comptons beaucoup que la promptitude de la répression des délits aux audiences de chaque jour, amènera une grande diminution dans le nombre même des délits. Bien des animosités aussi qui prennent naissance dans les lenteurs des tribunaux, et les plaidoiries des avocats viendront expirer au pied de ce tribunal, dont les arrêts sont entièrement gratuits et dont le caractère est essentiellement conciliateur et paternel. C’est pour cela que nous donnons aux juges-de-paix le droit d’employer la force publique pour faire observer leurs sentences, Nous voulons éviter ainsi les procédures onéreuses auxquelles il faut souvent recourir pour obtenir exécution de leurs arrêts, Il n’y a aujourd’hui que les riches qui puissent avoir justice.

Jusqu’à nouvel ordre

« Les juges-de-paix et leurs greffiers devront être exclusivement métropolitains, et perdront leur place par le fait de leur mariage avec une femme de la colonie ou de toute acquisition d’immeubles dans le pays[2]. »

« Le juge-de-paix rendra mensuellement à l’autorité supérieure un compte des affaires portées à son tribunal et de l’état de sa commune. »

« Les juges-de-paix ne peuvent être révoqués que par ordre du ministre, ou en cas d’urgence par le gouverneur assisté en conseil du procureur-général, du président de la Cour royale et de deux juges-de-paix[3]. »

« Les juges-de-paix exerceront la juridiction qui leur est attribuée par la présente loi, nonobstant toute loi contraire antérieure. »

Les magistrats destinés à remplir ces hautes fonctions doivent être choisis avec un soin particulier. Ils sont appelés à devenir les arbitres et les conseils de la population. Ils forment la pierre angulaire de l’ordre nouveau. Il faudrait qu’ils fussent tous doués, s’il était possible, des deux qualités les plus rares à trouver réunies chez les hommes : la bonté et la fermeté.

Stations de police.

« À chaque tribunal de paix est attaché un poste que l’on pourrait appeler station de police, composé de quatre sergens ruraux à pied et deux à cheval. »

« Les sergens ruraux sont revêtus d’un uniforme, mais ne sont armés que de nuit. Ils représentent la force publique, et peuvent en cas de flagrant délit arrêter un homme qui leur est dénoncé, sous l’obligation de le conduire dans les douze heures au moins devant le juge-de-paix. »

Les stations de police pourront être multipliées autant que la tranquillité publique l’exigerait. Il sera sage d’y faire entrer beaucoup de noirs. Ne laissons échapper aucun moyen d’intéresser les nègres à l’établissement de l’ordre en les y faisant concourir.

Écoles.

L’espèce humaine ne peut s’améliorer que par l’instruction. En éclairant les masses, on leur donne la connaissance du bien, on leur révèle la conscience de leur grandeur, et par suite on épargne au monde les excès et les cruautés qui souillent les mouvemens populaires. Si l’on pouvait supprimer la portion abrutie des populations, on n’aurait que des révolutions héroïques ; supprimez-la donc en l’élevant à la dignité de peuple intelligent.

La populace est en bas ce que la noblesse est en haut ; il faut mettre autant de soins à purifier l’une que l’autre. Plus il y a d’hommes éclairés et bien éclairés dans une nation, plus il doit y avoir infailliblement de calme, de modération et de soumission à la loi, surtout lorsque la loi sera faite pour tous et par tous.

L’éducation des émancipés et de leurs enfans est donc une des parties constituantes de la réforme, elle exige toute la sollicitude du législateur. Il est important de les instruire avec soin, c’est le moyen le plus sûr de les mettre en état de se défendre contre tout retour de fortune, tout changement politique qui tendrait à les replonger dans la servitude.

« Outre les fermes agricoles qui recevront à demeure les orphelins et orphelines de la colonie, deux écoles de filles et deux écoles de garçons entièrement gratuites seront fondées dans chaque commune sur des points, choisis de manière à faciliter la réunion des enfans. »

« Si quatre écoles ne suffisent pas pour vaincre les obstacles qu’offre l’éparpillement de la population des colonies, on en établira davantage. »

« Il est interdit aux père et mère d’utiliser leurs enfans ou de louer leur travail avant l’âge de dix années révolues. »

« Nul enfant, fille ou garçon, au-dessus de six ans et au-dessous de dix ans ne peut être détourné, sous quelque prétexte que ce soit, des moyens d’acquérir l’éducation qui lui est due, »

La loi regarde comme aussi important d’assurer la subsistance de l’esprit que celle du corps. C’est pourquoi

« Nul ne peut se soustraire au devoir d’envoyer ses enfans aux écoles, à moins qu’il ne leur fasse donner une instruction particulière sous le toit paternel. »

« Tout père, mère ou tuteur qui, sauf le cas de maladie, n’envoie pas son enfant à l’école, est passible de deux jours de sucrerie pénitentiaire par chaque jour d’absence de l’enfant. »

« Ces absences sont constatées par l’instituteur sur des notes qu’il envoie chaque matin au juge-de-paix de la commune, le juge-de paix prononce. »

« Les enfans restent à l’école depuis dix heures jusqu’à quatre heures. »

« Il n’y a pas d’école sans un lieu ombragé pour les récréations. »

Dans un des établissemens que les frères Moraves ont formés à Antigues, on à joint à l’école quelques terres où chacun des élèves a un petit jardin qu’il peut cultiver durant les heures de récréation. C’est à notre avis un exemple à imiter. On peut ainsi associer, de bonne heure, dans l’esprit des enfans, des idées de plaisir aux travaux agricoles. En tous cas,

« Le gouvernement fera faire pour les écoles des colonies de petits livres élémentaires où l’on mettra en relief les avantages et la noblesse des travaux de la terre. »

« À toutes les écoles on adjoindra une salle d’asile pour les enfans en bas-âge que les parens voudraient y déposer pendant le jour. »

« Les citoyens en état de remplir une telle fonction seront invités à ouvrir dans le local public, des classes du soir et du dimanche pour les adultes qui désireraient y assister. »

Nous voudrions que le traitement des maîtres d’école fut assez élevé pour que l’on put attirer dans ce grave emploi des hommes d’une intelligence et d’une culture d’esprit supérieures. La préparation de la jeunesse pour la vie est une des œuvres les plus difficiles ; les plus délicates et les plus respectables que nous concevions. Il nous semble que les maîtres d’école, au sein d’une société qui comprendrait tous ses devoirs, seraient toujours mis au rang des premiers employés de la nation. Nous voudrions qu’ils fussent ! particulièrement honorés et qu’on leur réservât une place d’honneur dans toutes les cérémonies publiques où figurent les corps de l’État.

Cases à nègres.

Les colonies ainsi armées, ayant pourvu au sort de leurs invalides, de leurs malades et de leurs orphelins, certaines de n’avoir rien laissé derrière pourraient, sans embarras, s’occuper des mesures d’ordre.

« La loi déclarera d’abord que la case et le jardin dont jouissent aujourd’hui les esclaves ne leur appartiennent pas. »

Nous demandons que cette clause soit insérée dans la loi. On aura un peu de peine d’abord à faire comprendre aux nègres que ces biens qu’ils possèdent et qu’ils ont reçus de leurs pères, ne sont pas à eux.

Afin de prévenir les dangers d’un changement trop subit qui pourrait devenir funeste aux laboureurs et compromettre la tranquillité publique, en leur enlevant spontanément leur asile,

« Les anciens esclaves continueront à jouir de leurs cases et jardins pendant deux mois après la promulgation de l’acte libérateur. »

« Le laboureur paiera le loyer de sa case durant ces deux mois (à moins qu’il n’en veuille sortir immédiatement), par deux jours de travail chaque semaine. »

« Tout contrevenant à ces articles, laboureur ou propriétaire, sera passible, le propriétaire de 30 francs de dommages-intérêts, à verser dans les mains de l’expulsé ; le laboureur d’un mois de sucrerie pénitentiaire. »

« Les arbres fruitiers des habitations dont l’usage abandonnait la propriété aux esclaves, rentrent immédiatement et de plein droit dans la possession du propriétaire. »

« Toutefois, l’ancien esclave ne pourra être privé du jardin qu’il occupe aujourd’hui ; avant que la récolte de vivres plantés par lui et sur pied, n’ait été faite selon le cours naturel des saisons, à moins cependant qu’il ne convienne mieux au propriétaire de rembourser la valeur de la récolte, qui serait, faute par les partis de s’entendre, fixée à dire d’experts. »

« Le propriétaire qui aurait contrevenu à cette clause, sera condamné à une amende de 100 francs à verser dans la caisse coloniale, et à 150 francs de dommages-intérêts payable au laboureur spolié. »

« Toute voie de fait ou coup porté est puni conformément aux lois françaises, la peine de la prison étant convertie en celle de la sucrerie pénitentiaire ou criminelle, quelque soit le rang de la personne qui aura battu une autre personne. »

« La plainte est portée devant le juge-de-paix ou devant les tribunaux, selon qu’il y a crime ou délit. »

Terrains vagues, Vagabondage.

« La prise de possession dés terrains vagues est formellement interdite. »

« Toute personne qui s’établit sur une terre, sans droit ni titre, est coupable. Le propriétaire porte plainte pour sa chose, le procureur-général pour les propriétés de l’État. »

« Le juge-de-paix condamne l’envahisseur à une détention, de quinze jours à trois mois de sucrorie pénitentiaire ; et prononce en outre, adjudication au propriétaire de la récolte plantée et des bâtimens saisis sur le sol envahi, à moins qu’il ne reconnaisse que l’occupant a pu de bonne foi se croire autorisé à posséder. Dans ce dernier cas, le juge-de-paix se borne à le faire déguerpir, et ne le peut condamner à perdre que la moitié de la récolte ou de la valeur des constructions. »

« Cette disposition d’ordre ne privera aucune des parties des avantages de la loi commune ; c’est-à-dire qu’elles pourront toujours en appeler devant les tribunaux ordinaires des arrêts de la justice-de-paix. »

Une vieille loi d’Égypte, rendue par Amasis, punissait de mort les oisifs. Solon repoussa une aussi barbare pénalité, Mais à l’imitation d’Amasis, il obligeait les citoyens d’Athènes à venir rendre compte annuellement aux magistrats de leurs moyens d’existence. Celui qui manquait une fois était condamné à l’amende, celui qui manquait trois fois encourait la peine d’infamie ! La loi française, on le sait, s’est uniquement réservé le droit de demander ce compte aux citoyens quand elle le juge nécessaire, et de punir de prison ceux qui ne lui répondent pas d’une manière satisfaisante. C’est justice. L’homme qui, sans fortune ne travaille pas, devient dangereux et doit être sauvé de lui-même.

« Le vagabondage, déjà prévu par nos lois, sera sévèrement poursuivi et réprimé comme en France. »

« Celui qui ne justifie pas de la possession d’un bien où d’un emploi quelconque propre à le faire vivre, est tenu pour vagabonds de même que celui qui ne justifie pas d’un gîte. »

« Le vagabond peut-être condamné par le juge-de-paix, de un mois à six mois de sucrerie pénitentiaire, en cas de récidive, de six mois à un an, et pour la troisième fois deux ans. »

« Dans aucun cas, néanmoins, il ne pourra être poursuivi de nouveau comme vagabond, que dix jours après sa dernière libération. »

Ainsi, tel qui n’aura pas assez de courage et de vertu pour secouer les vieux préjugés du pays et qui fuira les plantations, aimant mieux rester oisif que de se livrer à la culture de la canne, y retombera forcément s’il encourt les verdicts de la loi.

Tout citoyen doit travailler pour vivre, mais la liberté est le plus sacré des droits de l’homme : si un homme en ne travaillant qu’une heure dans un mois prouve que le gain de cette heure suffit à pourvoir à ses besoins, à ceux de sa femme, de ses enfans et à ses charges envers l’État, il n’est point répréhensible aux yeux de la loi. Nous voulons employer tous les moyens compatibles avec la justice pour conserver le travail, mais sans toucher à la pleine et entière liberté individuelle de l’affranchi, L’esclavage lui a malheureusement appris que l’on peut vivre avec un ou deux jours de travail par semaine, s’il lui convient de ne pas s’occuper davantage, nous ne reconnaissons pas à la société le droit de l’y forcer. Qu’elle l’y amène par une bonne direction politique.

Mendicités.

La mendicité est inexcusable aux colonies où l’ouvrage ne manque jamais aux bras de bonne volonté. La mendicité comme le vagabondage est un crime de lèse civilisation, car

« Le citoyen pauvre, mis par la maladie hors d’état de pouvoir travailler, sera reçu et soigné à l’hôpital jusqu’à parfaite guérison. »

« Le mendiant arrêté pour la première fois, passera trois mois à la sucrerie pénitentiaire ; pour la seconde fois, six mois ; pour la troisième, deux ans. »

Impôt.

« Tout citoyen vivant aux colonies, sans exception, à quelqu’une des anciennes dénominations de classe qu’il appartienne, est frappé d’un impôt personnel, payable par douzième. »

« Cet impôt sera fixé chaque année par la législature. »

« Le citoyen qui ne paie pas son impôt personnel, est condamné à la sucrerie pénitentiaire, où il reste jusqu’à ce qu’il ait acquitté sa dette envers l’État[4]. »

« Le produit de l’impôt personnel est versé dans les caisses de la colonie, et particulièrement affecté, si les circonstances le permettent, au remboursement des avances faites par là métropole[5]. »

Les esclaves appelés à l’indépendance, entrent immédiatement en jouissance des bienfaits de la société libre qui protège leur personne, leur liberté et la tranquillité publique. Il est juste qu’on les fasse immédiatement participer à ses charges. L’imposition personnelle saisissant les émancipés, au sortir même de la servitude, n’est pas seulement une chose équitable, elle a cet avantage de les accoutumer vite aux charges de leur nouvelle condition, de leur montrer qu’aux joies de l’indépendance, sont attachées des devoirs. Les gouverneurs auront à faire ressortir à leurs yeux cet enseignement austère de la vie pratique des hommes libres, par des proclamations très simples souvent répétées. L’impôt personnel a aussi l’avantage de forcer les nouveaux libres au travail pour satisfaire aux exigences du fisc, c’est un des premiers besoins artificiels que la liberté va créer pour eux.

Travail, Salaire.

En Europe, où il y a plus de bras que de travail, on voit l’employeur abuser de sa position et payer trop peu l’employé. Ce vice de notre société qui la fait souffrir en la déshonorant doit être présent aux yeux du législateur qui reconstitue les colonies sur des bases de justice pour tous. Dans ces pays où les bras manquent au travail, il faut craindre que l’employé ne veuille abuser à son tour de sa position, et être payé trop cher. En conséquence, jusqu’au moment où l’on organisera complètement le travail, nous regardons comme nécessaire

« De fixer un maximum et un minimum à la journée de salaire. »

Nous ne saurions donner les chiffres. Le législateur, pour atteindre les limites les plus équitables, aura à s’entourer de tous les documens qui peuvent éclairer un point aussi délicat. Dans un pareil examen il ne faudra point se demander à quel salaire on peut fixer le prix du travail de l’ouvrier, en raison du prix de la marchandise, mais bien en raison de ce qu’il faut à un homme pour satisfaire sans privation à ses besoins et à ceux de sa famille, pour le présent et pour l’avenir. Le prix de la marchandise sera ensuite fixé là-dessus. Nous croyons donc devoir dire que

« Le minimum ne peut, en aucun cas, être au-dessous de 1 fr. 75 c. par jour, non compris la jouissance du jardin pour l’ouvrier à demeure, 2 fr. pour l’ouvrier de passage. »

« La journée de travail restera fixée à neuf heures. »

« Les diverses conditions du labeur sont, dans les limites du maximum et du minimum données par la loi, entièrement laissées à la disposition des parties. »

Les planteurs anglais ont reconnu que la tâche était un des meilleurs modes à employer[6]. Chacun sait ce qu’il fait, il n’y a pas de fraude possible. On donne tant à un ou à plusieurs hommes pour un certain nombre de trous de cannes, une certaine étendue de terrain à fumer, épailler, récolter, etc. C’est l’intérêt du travailleur d’achever rapidement, l’ardeur au travail est en rapport direct avec ce que l’ouvrage donne de profit. Quelques habitans français ont déjà introduit la tâche sur leurs plantations et ceux qui possèdent de bons ateliers, c’est-à-dire ceux qui sont de bons maîtres, ont eu lieu de se féliciter de cet arrangement.

Le travail en participation mérite aussi d’être étudié sérieusement. C’est celui que la république avait établi pour remplacer l’esclavage. Dans ce mode, le laboureur s’attache au sol. On n’a presque plus besoin de surveiller les ouvriers, ils se surveillent eux-mêmes, chacun est intéressé à ce que personne ne se livre à la paresse. Mais, outre que beaucoup de maîtres auront peu de goût à se donner des noirs pour associés, nous craignons que le nègre, dans son état actuel d’ignorance et conséquemment de défiance, ne puisse pas comprendre d’abord le mécanisme d’une telle association. Il refusera sans doute de s’y prêter dans la crainte d’être trompé sur les prélèvemens qui sont à faire pour l’entretien et le remplacement des outils et des animaux d’exploitation. Le travailleur nègre n’est pas non plus en état aujourd’hui de supporter les pertes que pourraient éprouver l’entreprise. En tous cas, ceci est laissé dans les limites de la loi à la discrétion des contractans, et il serait heureux pour tout le monde qu’un tel système put s’établir[7], car le nègre s’attache infiniment plus au travail dont le fruit doit lui être attribué directement qu’à tout autre. Souvent, nous a dit M. Salvage Martin, un des principaux et des plus intelligens planteurs d’Antigues : « Souvent ils vous disent qu’ils ne peuvent travailler pour vous sous prétexte qu’ils sont malades, et vous les voyez travailler pour eux-mêmes avec bien plus d’ardeur qu’ils ne le font d’ordinaire pour votre compte. »

« Il est loisible aux employeurs et aux employés de former des engagemens de six mois à un an ; pas au-delà. »

« L’employeur s’engage à toujours entretenir de travail l’employé, celui-ci à ne point louer ses bras à d’autre que l’employeur. »

« Le loyer de la case que l’employé prendra dans ce cas sur l’habitation, y compris le jardin d’une étendue déterminée par la loi, ne pourra dépasser 1 fr. 50 par semaine ou 6 fr. par mois, soit 72 fr. par an. »

« Toute case d’habitation devra être composée de deux pièces, ayant chacune une fenêtre de trois pieds carrés, ouvrant et fermant. La porte d’entrée ne pourra avoir moins de six pieds de haut. Chaque case sera en outre pourvue d’un petit appendice couvert, propre à servir de cuisine. »

« Le juge-de-paix veillera à l’exécution de l’article précédent et pourra prononcer une amende de 50 fr. contre le propriétaire en contravention. »

« Le locataire est en droit d’exiger des dommages-intérêts si la case louée n’est pas entretenue selon les conditions fixées par la loi. »

Le législateur en dictant ainsi le moins qu’un propriétaire puisse donner à son locataire et en fixant le prix de la rente, préviendra beaucoup de démêlés fâcheux.

Les propriétaires feront un acte sage en ne marchandant pas sur le terrain qu’ils donneront à leurs engagés. Presque tous, grands terriers, la chose leur est facile. C’est un moyen efficace d’attacher les ouvriers au sol et de les localiser. Nous leur conseillerions aussi d’encourager les nègres à convertir leurs gains en achats de bestiaux, qu’ils laisseraient paître sur les savanes de la propriété. Il faut constituer les nouveaux libres, propriétaires malgré eux pour ainsi dire, et par tous les moyens possibles, afin qu’ils deviennent les premiers intéressés à poursuivre le vol et le désordre.

« Dans l’engagement, l’ouvrier pourra se réserver deux jours par semaine s’il ne veut point donner tout son temps, mais le fait même de son engagement l’oblige de fournir à l’époque de la roulaison son travail sans interruption (fêtes et dimanches exceptés), jusqu’à l’achèvement de la récolte. »

« En cas de discussion sur ce point, le jugement en sera ajourné jusqu’à la fin de roulaison, et l’ouvrier devra continuer à remplir sa tâche. »

« L’engagé convaincu d’avoir rompu violemment son contrat encourra une peine de trois à six mois de sucrerie pénitentiaire. »

« L’engagé qui déserterait l’atelier avant où pendant la roulaison, le laboureur embauché pour ce travail, qui refuserait de le continuer, quelque soit le prétexte qu’ils alléguassent pour excuse, pourront être ramenés par voie de contrainte et encourront une peine de six mois à deux ans de sucrerie pénitentiaire. »

Ces prescriptions, dont la sévérité peut paraître choquante, sont indispensables, car les ouvriers, par leur refus ou leur absence, peuvent compromettre toutes les opérations manufacturières.

« En cas de refus de paiement de gages, le juge-de-paix ordonne saisie et vente des biens meubles du propriétaire pour satisfaire au paiement du travailleur. »

« Le propriétaire qui violerait les clauses du contrat sera passible d’une amende de 100 fr. envers le fisc, et de 100 à 200 fr. de dommages-intérêts envers le plaignant, plus, si le cas y échéait, d’un mois à sis mois de sucrerie pénitentiaire. »

Les colons vont s’indigner de la pensée d’être confondus avec leurs esclaves de la veille et obligés de travailler à côté d’eux s’ils encourent quelque peine. Nous ne tenons aucun compte de ces vanités de coupables. La loi oblige l’ancien maître comme l’ancien esclave. C’en est fait des îles si l’on y laisse se perpétuer, sous une forme nouvelle, des distinctions désormais ridicules. Il est nécessaire que tout le monde, aux colonies, soit pénétré de cette vérité que tous les hommes sont égaux ; la rigide équité du législateur et de ses ministres doit ne le laisser oublier à personne.

La stricte observation des contrats devra fixer particulièrement l’attention des juges-de-paix. Il est d’une haute importance d’accoutumer, dès le commencement, les propriétaires à respecter leurs devoirs vis-à-vis des ouvriers, et ceux-ci à sentir la valeur de leur parole.

La sagesse du juge admettra toutefois des circonstances atténuantes. Il est aisé de concevoir qu’un ancien maître accoutumé à une puissance absolue comprenne avec peine, dans les premiers jours, la considération qu’il doit à d’anciens esclaves, devenus ses égaux et traitant avec lui sur le même pied. Il n’est pas moins facile d’imaginer que des hommes encore peu accoutumés à la liberté en usent mal par ignorance et sans mauvaise intention.

« Si l’engagement pris, soit pour location des cases ou pour travail, n’a pas de limites arrêtées, on sera tenu réciproquement de se prévenir un mois d’avance quand on voudra le rompre. »

« L’infraction à cette clause est punie d’une amende égale au dommage causé, ou de un mois de sucrerie pénitentiaire. »

« Hors le temps de récolte, l’engagé est libre de sortir de l’habitation, pourvu que ses absences ne deviennent pas assez fréquentes ni assez régulières pour porter atteinte à l’esprit du contrat. »

Notre contrat n’est pas un engagement au sol, c’est une garantie de travail. Plus les traités de cette nature seront utiles aux deux contractans, plus il faut mettre de soin à les faire bien larges pour les nègres. C’est pour cela que nous venons d’inscrire une clause qui peut entraîner quelques abus pareils à ceux qui troublent nos ateliers d’Europe. L’avantage nous a paru surpasser l’inconvénient. Il faut donner du jeu aux engagemens des nègres, autrement ils s’isoleront toujours par crainte de retomber de fait en esclavage, en aliénant la moindre parcelle de leur liberté. Selon nous la loi ne peut être admise dans aucun cas à forcer un homme de demeurer à telle ou telle place. La faculté de locomotion est une de celles qu’il est le plus juste et le plus naturel de respecter. Au milieu des obligations que la vie en société nous impose, elle n’a toujours été touchée qu’avec la plus grande réserve par Les législateurs de tous les temps.

Vol de cannes et de vivres.

« Tout vol est poursuivi et puni conformément aux lois du royaume. »

« Le vol de la canne, du bois[8], des provisions de terre et des herbes propres à la nourriture des bestiaux, en un mot le vol que l’on pourrait appeler rural, sera poursuivi criminellement comme tout autre atteinte à la propriété. »

On peut objecter, nous ne l’ignorons pas, à cette sévérité particulière de notre loi que les terres des colonies n’ont ni haies, ni murailles, que chaque passant a les vivres, l’herbe, la canne, pour ainsi dire, sous la main, et que c’est punir avec trop de rigueur un larcin dont la tentation est si perpétuelle et l’exécution si facile. Mais les lois veulent être faites conformément aux nécessités des pays et des circonstances. Or, il faut le reconnaître, dans ces luxuriantes contrées des Antilles, où l’homme a besoin de si peu pour vivre, les produits de la terre doivent être étroitement défendus. La seule manière de ne pas décourager ceux qui cultivent, c’est de garantir inviolable leur propriété, et des moyens de tuer la paresse, c’est de l’empêcher de prendre pour se soutenir, un fruit qu’elle rencontre sur son chemin. À ce point de vue il est de la dernière urgence de ne pas tolérer la plus légère infraction au respect dû à la propriété. Quoi ! vous ne permettez pas à un pauvre de ramasser quelques petits morceaux de bois mort, un peu d’herbe ? Non, parce qu’il n’y a pas de pauvres dans un pays où le minimum de la journée de travail est fixé à trente-cinq sous, avec un jardin en outre à cultiver ; dans un pays où les bras faisant défaut, l’homme valide trouve immanquablement de l’emploi ; dans un pays où les hôpitaux et les hospices étant ouverts à tous, l’homme invalide et malade est toujours secouru et nourri par la société. Non, car un paquet d’herbe ou de bois que l’on fait en une heure, que l’on apporte à la ville en une demi-heure, se vend sept, huit, dix sous, et il y a plus que de quoi vivre pour celui qui peut se nourrir avec un sou de gros sirop et deux sous de manioc ; qui peut s’habiller avec un pantalon de toile blanche et une chemise de toile bleue, qui n’a besoin pour dormir ni de draps, ni de lit, ni de matelas, ni de carreaux à sa fenêtre.

Indemnité.

Ces mesures, plus particulièrement spéciales au fait de l’émancipation, devront être accompagnées de leurs corollaires naturels. La loi sur l’indemnité d’abord.

« Le maître a fait inscrire chacun de ses esclaves sur le registre de l’état civil de sa commune. »

« Cette inscription a été faite dans le premier mois révolu, à partir du jour de l’affranchissement, sauf le cas de force majeure, sous peine de la perte de l’indemnité. »

« Celui qui a déclaré un plus grand nombre d’esclaves qu’il n’en possède, est poursuivi pour crime de faux en écriture publique, à quelqu’époque que la fraude soit découverte. »

« L’indemnité est payée en trois portions, un quart en numéraire au moment de l’inscription, un autre quart six mois après, aussi en numéraire, et la moitié restante en une inscription de rentes 5 pour cent, portant intérêt depuis le jour de la promulgation de la loi. »

« Le premier quart payé en numéraire, et la moitié de la rente sur le grand livre sont déclarés insaisissables pendant dix ans[9]. »

Viennent ensuite la loi sur l’expropriation forcée, la loi sur les tarifs protecteurs des sucres de nos îles à l’exclusion des sucres étrangers, et la loi sur les encouragemens à donner à l’émigration blanche, vers les colonies. Dans cette dernière on pourrait stipuler de petites concessions de terrain pour les pauvres, qui formeraient des mariages de fusion. On a vu dans le cours de l’ouvrage que nous regardons les unions de cette nature comme un des plus puissans réactifs à employer contre le préjugé de couleur.

Fête de l’agriculture.

Un autre préjugé à combattre est celui que l’esclavage a créé contre le travail de la terre. Nous voudrions qu’il fut institué, dans ce but, une fête annuelle de l’agriculture.

« À l’époque jugée la plus favorable de l’année, on célèbrera cette fête avec tout l’appareil et toute la pompe dont il sera possible de l’entourer. »

« Elle sera présidée dans la ville, résidence du gouvernement, par le gouverneur, dans la seconde ville par le chef suprême de la justice, dans chaque commune par le juge-de-paix. »

« Il sera distribué publiquement à cette fête et dans chaque commune, un prix accordé au laboureur (homme ou femme) qui se sera le plus distingué par sa bonne conduite. »

« Le prix est une concession d’un carreau de terre. »

« Outre le prix il sera prononcé six mentions honorables pour les plus méritans. »

« À la ville officielle, le gouverneur remettra un prix d’excellence au laboureur (homme ou femme) qui aura mérité cette distinction. »

« Le prix d’excellence est de trois carreaux de terre, plus une bourse entière dans un collége de France, dont le laboureur, s’il n’a pas d’enfans, peut disposer en faveur d’un enfant de son choix. Si c’est une fille qui est désignée elle sera élevée à la maison de la Légion d’Honneur de Saint-Denis. »

« Au prix d’excellence est attaché en outre le droit de grâce pour deux condamnés à la sucrerie pénitentiaire. »

« Si les condamnés graciés ont des amendes à payer il leur en sera fait remise. »

« Deux accessit au prix d’excellence seront également proclamés par le gouverneur. »

« Chaque accessit au prix d’excellence, est d’un carreau de terre[10] et d’une bourse entière accordée dans les conditions de l’article ci-dessus. »

« Les juges-de-paix sont naturellement appelés à être les arbitres des prix décernés aux laboureurs. Ils s’entoureront des notes des propriétaires, qui seront sollicités de vouloir bien en fournir. »

« Le prix d’excellence et les deux accessits sont décernés par tous les juges-de-paix, réunis ensemble pour en délibérer. »

« Nul ne pourra obtenir un prix ou une mention, qui sera convaincu sur bonnes preuves d’avoir été vu en état d’ivresse une seule fois dans l’année. »

Tafia.

Cette dernière clause nous met sur la voie d’une réforme qui est le complément véritable de l’abolition.

L’un des plus grands ennemis que les colonies se soient créés à elles-mêmes est assurément le tafia[11]. La quantité que l’on en peut tirer des résidus de la fabrication du sucre, le bon marché auquel il est possible de le livrer, l’ont rendu d’un usage fort commun. Les nègres en boivent démesurément, mais leurs excès sont loin d’égaler ceux des blancs. Rien n’est moins rare aux Antilles que de rencontrer des soldats et des matelots roulant dans les ruisseaux et saisis de cette ivresse du rhum, plus hébétée, plus hideuse, s’il est possible, que celle du vin.

L’essence d’une bonne législation est d’encourager la vertu, de décourager et surtout de prévenir le vice. Pour obéir à ce principe,

« Le tafia sera frappé, à la consommation intérieure, d’un impôt de 6 fr. par demi-litre. »

Profondément convaincu que la débauche est la première cause de mort pour les ouvriers européens qui viennent aux îles, et de dérèglement pour les indigènes, nous sommes assez disposé à demander la suppression de la fabrication du tafia dans nos colonies, comme pouvant prévenir beaucoup de désordres et de malheurs. Nous recommandons ce sujet à la sollicitude du législateur. — Nos deux îles des Antilles ne fabriquent ensemble que trois millions et demi de litres de tafia. Les habitans sucriers tirent si peu de bénéfices de cette industrie, que plusieurs y ont déjà renoncé. On trouve, en parcourant les campagnes beaucoup de distilleries en ruine, et il n’y a guères que les habitans de l’intérieur où l’on éprouve de grandes difficultés à transporter les sirops, qui continuent à préparer ce poison. Il serait donc peu coûteux de faire renoncer nos îles au tafia en donnant une légère prime à l’exportation de tous les gros sirops, ou bien en les achetant au prix courant de la place. L’état qui revendrait ensuite ces liqueurs aux marchands de l’Amérique du nord, trouverait plutôt du bénéfice que de la perte dans ce commerce auquel il se condamnerait momentanément, et dont, sans doute, quelque spéculateur ne tarderait pas à le débarrasser. — Puisque nous jugeons mauvaise et dangereuse la fabrication du tafia, nous ne tolérons, il est inutile de le dire, qu’avec une extrême répugnance ces livraisons de sirops, même à l’étranger. Bien mieux vaudrait forcer l’application des procédés nouveaux au moyen desquels la conversion des mélasses et des sirops en sucre est devenue une opération très facile. Des planteurs qui ont tenté cette expérience, reconnaissent qu’elle est aussi profitable pour leur bourse qu’elle le peut devenir pour la morale publique.

En chassant le tafia des îles il y a de grandes chances de mettre le peuple à même de faire des économies. Pour l’y encourager davantage

Caisses d’épargne.

« On ouvrira des caisses d’épargne à l’instar de celle la banque de France, sous la garantie de l’État et la surveillance immédiate de l’administration. »

Des instructions en créole sur le mécanisme des caisses d’épargne et leur utilité seront abondamment répandues. Les nègres, comme nos paysans, en sont encore à l’économie politique des Perses et des Mèdes, ils enfouissent dans la terre le peu de doublons qu’ils parviennent à ramasser. Ce sera un moyen de plus de les encourager au travail, que leur enseigner comment il n’y a pas de cachette plus sûre que la caisse d’épargne, où leurs petits trésors s’augmenteront journellement des intérêts des intérêts combinés. On verra dans notre prochain volume que les caisses d’épargne ont un succès extraordinaire aux colonies anglaises.

Anniversaire du jour de l’émancipation.

Nous touchons à la fin de notre projet.

« Indépendamment de la fête de l’agriculture, l’anniversaire du jour de l’émancipation est déclaré fête coloniale, et sera célébrée dans toutes les communes par des réjouissances auxquelles présideront, en personne, le gouverneur et les chefs de service. »

« Le laboureur qui aura gagné le prix d’excellence, obtiendra une place d’honneur dans la fête de l’anniversaire. »

Législation générale.

« Les colonies étant soumises à la loi commune, il s’en suit qu’elles doivent prendre part à la confection de la loi commune, et être représentées au corps législatif. »

Dans ce cas, la nature de la population des îles commande une modification à loi électorale, pour que la classe dénuée de tous biens puisse cependant être représentée. Il serait très regrettable que les chambres ne jugeassent pas nécessaire de baisser les cens d’électorat et d’éligibilité, au moins pour les conseils municipaux et le conseil général. Tant que l’on ne facilitera pas au peuple des colonies une voie vers ces fonctions, on n’aura toujours qu’une oligarchie que ses vieilles traditions de despotisme rendent difficile à manier ; et l’oligarchie est le pire des états, a dit Aristote, qui disait aussi que s’il suffit d’être riche pour offrir des garanties à la cité et prendre part à son gouvernement, ce qu’il y avait de plus simple à faire, était de chercher le plus riche, et de remettre en ses mains la toute puissance.

Il est important de faire observer que par suite de l’assimilation des colonies à des provinces françaises

« Les malheureux condamnés par les tribunaux d’outre-mer à des peines infamantes ou à la mort (puisque ce dernier supplice existe encore dans nos codes), jouissent de nouveau du pourvoi en cassation et du recours en grâce. »

Le cours de la justice en raison des distances sera interrompu, il est vrai, mais la vie et l’honneur d’un membre de la société sont au-dessus de toute considération.

« Un exemplaire de la constitution nouvelle des colonies, traduite en créole, sera distribué à chaque citoyen. »

« Tout fonctionnaire employé aux îles devra prêter serment devant la Cour royale assemblée, d’exécuter et faire exécuter avec intégrité l’acte colonial dans sa lettre et dans son esprit. »

« Sauf les cas spécifiés dans le dit acte, les colonies qui sont déclarés provinces d’outre-mer rentrent dans le droit public de la législation du royaume. »

« Leur organisation politique, judiciaire, civile, militaire et municipale, est assimilée à celle de la France. »

L’esclavage en disparaissant emporte tout l’arsenal de leurs lois exceptionnelles, elles sont affranchies du régime bâtard des ordonnances, elles cessent d’appartenir exclusivement au ministère de la marine, elles rentrent en possession de la liberté de la presse ; les assesseurs font place au jury, les gouverneurs deviennent des préfets, les conseils coloniaux se transforment en conseils généraux de département, les conseils privés en conseils de préfecture.

Rien du passé des colonies ne subsiste. L’émancipation n’accepte rien de l’héritage de la servitude. Et les vieux codes de nos îles resteront dans les collections, comme ces instrumens de torture que l’on conserve pour apprendre aux générations présentes à travailler sans relâche au bonheur de leurs fils, en voyant de quelles souffrances elles ont été délivrés elles-mêmes par le courage de leurs pères.


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Il ne nous reste rien de plus à ajouter, nous croyons superflu de dire que nous n’avons pas eu la prétention de construire ici le code des provinces d’outre-mer. Nos propositions ne sont que des essais soumis au public et au parlement, avec la plus excessive réserve ; mais ce serait cependant manquer de véracité que de dissimuler notre confiance dans les moyens que nous indiquons pour laver les terres coloniales de la tache qui les souille, sans mettre en péril leur société, pour substituer sans trouble ou du moins sans violence le brillant ordre libre à l’ignoble ordre esclave.

Conduits ainsi par le législateur d’une main ferme et douce, les nègres reconnaissans du grand acte de réparation fait à leur race, voudront se montrer dignes de la liberté, ils écouteront la voix des moralisateurs qu’on leur enverra pour leur apprendre que l’indépendance a ses charges. Ce sera un sujet d’émulation pour l’affranchi des diverses îles, de lutter à qui s’élèvera le premier à l’intelligence parfaite des devoirs de l’homme libre. Des administrateurs habiles auront à créer cette généreuse rivalité, et pourront s’en servir comme d’un levier pour les pousser tous à plus grand pas vers la civilisation.

Invoquons une dernière fois, avant de finir, la grandeur d’âme des créoles. Qu’ils rompent courageusement avec le passé, qu’ils renoncent sans regret à leurs anciens droits, qu’ils embrassent l’avènement des noirs à l’humanité comme une cause digne de la noblesse que l’on trouve en leur cœur chaque fois qu’il n’est pas question d’esclavage. L’esclavage ! il ne devrait plus être, il n’est plus, tout est fini. Que l’affranchissement donc ne soit pas pour eux une lutte d’anciens maîtres contre d’anciens esclaves, qu’ils n’abordent pas le travail libre des nègres avec hostilité, mais avec des sentimens de bienveillance paternelle. Le xixe siècle qui veut délivrer les colonies françaises des horreurs de la servitude, fait appel à leur raison pour l’aider à sauver ces belles contrées des misères de la barbarie. Ils écouteront sa voix. Le plus prompt succès de l’affranchissement est dans leurs mains, dans leur franche adhésion à la transformation que la conscience publique réclame impérieusement. Ils peuvent beaucoup, ils peuvent presque tout pour cette grande œuvre. Eux qui ont su se faire une vertu de l’hospitalité, nous les en conjurons, qu’ils reçoivent affectueusement dans le temple de la liberté et de la civilisation dont ils deviennent les ministres, ces jeunes étrangers qui demandent à entrer sous les auspices des frères d’Europe.

Le rôle des colons est beau vraiment s’ils le veulent accepter : c’est celui d’éducateurs pour la race infortunée, que leurs pères leur ont laissée toute abrutie, que la morale délivre, et que la nation les supplie de régénérer.


fin.

  1. C’est ici le lieu de remettre en lumière un très beau projet dû à M. Beauvallon, de la Guadeloupe, et communiqué il y a deux ans à la Sentinelle de l’Armée, par M. Éd. Bouvet. Nous approuvons d’autant plus le fonds des idées exposées dans la lettre ci-dessous que leur adoption permettrait d’envoyer aux îles tous les régimens de l’armée, à tour de rôle, et de supprimer les corps spéciaux chargés aujourd’hui du service colonial.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    « Il s’agirait d’établir la conscription dans nos colonies des Antilles, aux mêmes conditions que dans la métropole. Elle porterait sur toutes les classes libres, sans distinction de couleurs.

    « La Guadeloupe, par exemple, à elle seule fournirait facilement un bataillon.

    « Les pères de famille auraient un moyen de remplacement pour leurs fils, simple et facile, ce serait de fournir un de leurs noirs jugé acceptable par une commission, et rendu libre à l’instant.

    « Ce bataillon colonial serait destiné à un service de protection et de sûreté dans l’intérieur de la colonie, pendant les huit à neuf mois où la fièvre jaune cesse ses ravages. Aussitôt l’invasion de la recrudescence, il descendrait dans les villes et postes du littoral, et nos soldats européens prendraient des cantonnemens dans diverses positions salubres. Alors les troupes européennes des Antilles ne seraient plus décimées, le fléau ne les atteindrait plus.

    Une surabondance de population de couleur plus ou moins foncée serait retirée de l’oisiveté et du vagabondage. Ces hommes, ainsi que les nouveaux affranchis, soumis pendant sept années à un service actif, à une discipline régulière, instruits à des écoles régimentaires bien organisées, pourraient être rendus, en toute confiance à la société. Les vagabonds, libres déjà, seraient devenus des hommes honnêtes et laborieux, et pour les affranchir, l’éducation et la famille auraient commencé, La liberté serait devenue pour eux un breuvage salutaire.

    « À la Guadeloupe, le littoral seul est cultivé : cette partie forme environ la moitié de la surface de l’île. Au centre, dans la partie élevée, il existe, parmi les montagnes, une quantité innombrable de plateaux et de vallées d’une riche fertilité. Là, le gouvernement pourrait donner une portion de terre déterminée à chaque soldat, à la fin de son temps de service. Une nouvelle population se formerait ; son principe serait honorable, son existence laborieuse.

    « La population de couleur de la Guadeloupe est endurcie à gravir les montagnes, à vivre de racines, à marcher pieds-nus, à résister aux intempéries et au soleil le plus ardent. Cette population est brave jusqu’à la témérité. Elle ambitionne le métier de soldat ; son bonheur est de porter un uniforme.

    « Il est probable qu’un bon nombre de volontaires s’adjoindraient à ce corps, que le tirage au sort aurait d’abord formé. Le voyage d’Alger sourirait à leur ambition. Les Antilles françaises viendraient ainsi, avec des soldats endurcis au soleil de l’équateur, porter un tribut précieux et un secours efficace dans une aussi intéressante possession de la France.

    « Le corps, resté au service de la colonie, aurait pour cadre des colons. Le plus haut grade ne pourrait être que chef de bataillon. Ses officiers ne concourraient point, pour l’avancement, avec ceux de l’armée. Le service pour Alger, seul, jouirait des mêmes avantages que l’armée française.

    « On s’occupe beaucoup, depuis quelques temps, de la question d’émancipation.

    « Avec tous ses autres avantages, dont ici nous n’avons indiqué qu’une partie, la conscription, aux Antilles françaises, serait un commencement d’exécution de cette grande mesure. Ce moyen consacrerait le principe de l’égalité devant la loi, et ne coûterait rien à l’État, car il sera facile de prouver que la dépense, pour ce nouveau bataillon, se retrouverait amplement, et même avec bénéfice, dans la suppression de ces énormes frais de renouvellement continuel de troupes, de passages, de frais d’hôpitaux, etc., etc.

    « En supposant même qu’il y eut à peine compensation, quelle différence pour la patrie, de payer pour la mort ou la vie de ses enfans !…

    « Le fléau de la fièvre serait vaincu, plus de veuves, plus de mères en deuil !

    « Le voyage aux colonies deviendrait une brillante et joyeuse campagne !

    « La puissance de l’État, les colonies, l’humanité et la morale y gagneraient !

    « Le projet est beau :

    « Honneur à celui qui l’a conçu ! »

    Édouard Bouvet.
  2. Nous étendons cette interdiction à tous les ordres judiciaires. La magistrature doit être entièrement métropolitaine, tout-à-fait indépendante dans le pays, sans intérêt local d’aucune nature ; cela est nécessaire jusqu’à ce que les passions de caste qui divisent les colonies soient éteintes.
  3. Nous laissons à la sagesse du législateur de décider si un magistrat, juge-de-paix ou autre, peut être poursuivi par une partie civile, à raison de l’exercice de ses fonctions, C’est une question de la plus haute gravité, touchant au droit politique, et sur laquelle nous n’avons pas assez réfléchi pour donner notre opinion.
  4. Si l’on suppose seulement quatre-vingt mille valides sur les mille esclaves que la loi délivre, l’impôt que nous établissons ici, en le fixant à 30 fr., par exemple, fait déjà rentrer chaque année plus de deux millions et demi au trésor ; et l’on ne peut douter que la France avec ses puissans moyens d’action et les sucreries pénitentiaires, ne puisse le percevoir, quelque force d’inertie que l’on veuille supposer à la classe ouvrière.
  5. On se rappelle que le travail est rétribué dans nos sucreries pénitentiaires.
  6. Nous donnerons en parlant des colonies émancipées les prix qui y sont à peu près généralement adoptés.
  7. M. Boyer a fait sur les engagemens en société, un projet législatif qui nous paraît laisser peu à désirer. Tout y est prévu. Nous croyons devoir le citer pour servir de guide au législateur. Il est important que toutes les formes de travail qui pourront être adoptées soient réglementées d’une manière précise.
    engagements en société.

    « Art. 1er. Lorsque le nombre des travailleurs effectifs habituellement employés à la culture sur une sucrerie, sera de (vingt) ou au-dessus, ils seront, si le juge de la commune l’ordonne ainsi  *, associés au propriétaire, suivant les règles ci-après.

    * Nous dirions, nous, s’il convient aux travailleurs et au propriétaire.

    « Art. 2. Une moitié de tout le revenu brut, sous la charge des grosses réparations et de la mise de premier établissement, reviendra au propriétaire.

    « La seconde moitié, sous la charge de réparations et d’entretien, est attribuée au travail. Un (cinquième) en appartiendra au propriétaire pour la direction du travail, à la charge de payer les gérans et économes, s’il en emploie. Le surplus sera partagé entre les travailleurs, proportionnellement au nombre de journées dont chacun d’eux justifiera.

    « Néanmoins les sommes nécessaires pour remplacer les instrumens de culture et les animaux d’exploitation seront prélevées sur le total du revenu.

    « Art. 3. Chaque atelier en société aura un chef conducteur, (l’ancien commandeur), choisi par les travailleurs, et agréé par le propriétaire, en cas de non accord, nommé par le juge de la commune  **.

    ** Selon nous, tout travailleur qui n’agréerait pas le chef nommé, doit avoir le droit de se retirer.

    « Ce chef-ouvrier conduira les travaux selon les prescriptions du propriétaire ou de son géreur. Tous les travailleurs lui devront à cet égard obéissance. Il aura la surveillance de leurs intérêts.

    « Art. 4. Chaque jour, à la réunion du soir, le chef-ouvrier, distribuera aux travailleurs un bon de leur journée.

    « Ceux qui n’auront été employés qu’à des travaux secondaires, ou qui n’auront pas mis dans leur travail l’activité convenable, ou qui auront commis quelque faute, ne recevront qu’un bon de demi-journée ou d’un quart. Ils pourront même en être entièrement privés  ***.

    *** C’est le conducteur élu par tous et surveillant les travaux qui doit en juger.

    « Les enfans, lorsqu’ils auront été employés, recevront de même un bon selon l’appréciation du dit chef-ouvrier.

    « Ces bons seront représentés et remis lors des partages du revenu. Les journées du chef-ouvrier compteront pour le double.

    « Art. 5. Dans le revenu commun entreront les sucres, sirops, tafia, bananes, manioc, cafés, et généralement tous les produits des champs cultivés par l’atelier, même des arbres qui s’y trouveront, ainsi que le lait des vaches et chèvres, et le croît des troupeaux.

    « Les produits des jardins et vergers cultivés séparément par le propriétaire, lui appartiendront exclusivement.

    « Le propriétaire abandonnera en jouissance, pour la durée de la société, à chacun des travailleurs, un terrain de deux cents mètres carrés, dans lequel à leurs heures et jours de repos ils pourront faire des plantations qui leur appartiendront aussi exclusivement.

    « Art. 6. Chaque travailleur devra au travail commun tous ses jours, ceux de fêtes et les dimanches exceptés.

    « Il pourra être fait par le propriétaire, sous l’approbation du juge de la commune, des réglemens où seront fixées les heures de repos et tous les détails relatifs à la vie des travailleurs  *.

    * Ces conditions et réglemens devraient être stipulées au contrat d’engagement.

    « Art, 7. Chaque travailleur se nourrira, et entretiendra lui et sa famille sur sa part dans le revenu.

    « Néanmoins le propriétaire sera tenu de faire l’avance de la nourriture pendant la première année de la société, à ceux qui le demanderaient.

    « Pour son remboursement il aura un privilége antérieur à tout autre, sur les parts de revenu de ceux à qui il aura fait cette avance.

    « Art. 8. Il y aura pour les malades un hôpital commun, dont les dépenses y compris les remèdes et les honoraires de médecin, seront considérés comme frais d’entretien.

    « Lorsqu’il n’y aura pas de fonds réservés pour cet objet, le propriétaire en fera l’avance, à raison de laquelle il aura le même privilége que ci-dessus.

    « Art. 9. L’ordonnance de tous les travaux appartiendra au propriétaire ou à son représentant.

    « Il ne pourra employer l’atelier à des travaux en dehors de l’intérêt de la société.

    « Art. 10. Il sera loisible au propriétaire et aussi au chef-ouvrier d’employer au travail commun des ouvriers loués, desquels les salaires seront considérés comme frais d’entretien.

    « Art. 11. Au cas d’inconduite grave de l’un des travailleurs, le propriétaire pourra le faire arrêter  ** et le détenir jusqu’à décision du juge qu’il en informera immédiatement.

    ** Dans nos données, une pareille faculté ne peut être accordée au propriétaire. Les sociétaires doivent être placés sous le droit commun.

    « Art. 12. Le propriétaire ou son géreur tiendront un registre sur lequel seront inscrites jour par jour, toutes les affaires de la société, les plantations, les récoltes, les achats, les ventes, les travaux, les partages des fruits ou deniers, et généralement tous les faits et renseignemens utiles à consigner.

    « Le chef-ouvrier en prendra communication toutes les semaines.

    « Le juge de la commune le visera, quand il visitera l’habitation, et y inscrira telles observations qu’il croira convenable.

    « Art. 13. Moyennant l’accomplissement de toutes leurs obligations envers la société, les travailleurs auront la libre jouissance de leur personne, de leur temps, de leurs maisons. Aux jours et heures de repos, ils pourront sortir de l’habitation sans permis. L’entrée en sera toujours ouverte aux instituteurs et aux ministres de la religion.

    « Art. 14. Cette association durera cinq ans.

    « En tout temps il sera loisible au propriétaire  * d’admettre de nouveaux travailleurs associés, lesquels seront aussi engagés pour cinq ans, à compter du jour de leur entrée. Leur part dans les produits pendans sera réglée à l’amiable ou par le juge.

    * Avec consentement des associés, dirions-nous.

    « La continuation du travail pendant (un mois) après l’expiration de cinq ans, emportera renouvellement de l’engagement pour cinq années  **.

    ** Nous n’accepterions pas cette clause qui pourrait engager le travailleur malgré lui. Il est bien plus simple de contracter un nouvel engagement.

    « Art. 15. Le commencement de la société pour chacun sera constaté sur le registre de l’habitation. Les associés signeront cette mention, s’ils savent signer.

    « Art. 16. Tout travailleur qui se conduirait mal pourra, sur la demande du propriétaire, être déclaré par le juge, déchu de la société et expulsé de l’habitation, même sans indemnité  ***.

    *** Selon nous, pareille exclusion ne peut être prononcée que par l’assemblée des sociétaires.

    « Le juge pourra aussi, sur la plainte du propriétaire ou du chef-ouvrier, infliger au travailleur en faute telle correction qu’il croira juste  ****.

    **** Dans aucun cas nous ne conseillerions à un travailleur d’accepter un engagement qui le lierait jusque-là. La loi commune suffit à tout.

    « Art. 17. Toutes les difficultés auxquelles donnerait lieu l’exécution de cet engagement en société, soit entre les travailleurs entre eux, soit entre eux et le propriétaire, seront jugés par le juge de la commune, sans procédure, sans appel, ni pourvoi. Ses décisions seront mentionnées sur le registre de l’habitation et signées de lui. »

  8. Petits fagots que l’on porte à la ville pour les cuisines.
  9. Le lecteur aperçoit que par cette clause nous voulons mettre de l’argent aux mains du colon, nonobstant toutes dettes, afin qu’il ait de quoi payer ses ouvriers libres.
  10. Ces concessions ne seront jamais assez étendues pour qu’elles puissent nuire à la grande culture, et peuvent être un vif encouragement au travail pour les nègres qui ont assez généralement du goût pour la propriété.
  11. Le tafia est la liqueur que l’on obtient par distillation du gros sirop et des écumes résultant de la fabrication du sucre de cannes. Le rhum n’est autre chose que du tafia vieilli et coloré avec un peu de caramel.