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Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XX

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 155-159).

CHAPITRE XX.

QUE LE CHÂTIMENT DOIT ÊTRE INÉVITABLE.
DES GRÂCES.


Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment, c’est le zèle vigilant du magistrat, et cette sévérité inflexible, qui n’est une vertu dans un juge, que lorsque les lois sont douces. La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable, fera toujours une impression plus forte que la crainte vague d’un supplice terrible, auprès duquel se présente quelque espoir d’impunité[1]

L’homme tremble à l’idée des maux les plus légers, lorsqu’il voit l’impossibilité de s’y soustraire ; au lieu que l’espérance, cette douce fille du ciel, qui souvent nous tient lieu de tous les biens, éloigne sans cesse l’idée des tourmens les plus cruels, pour peu qu’elle soit soutenue par l’exemple de l’impunité, que la faiblesse ou l’amour de l’or n’accorde que trop souvent.

Quelquefois on s’abstient de punir un délit peu important, lorsque l’offensé le pardonne. C’est un acte de bienfaisance, mais un acte contraire au bien public. Un particulier peut bien ne pas exiger la réparation du tort qu’on lui a fait ; mais le pardon qu’il accorde ne peut détruire la nécessité de l’exemple.

Le droit de punir n’appartient à aucun citoyen en particulier ; il appartient aux lois, qui sont l’organe de la volonté de tous. Un citoyen offensé peut renoncer à sa portion de ce droit, mais il n’a aucun pouvoir sur celles des autres.

Quand les peines seront devenues moins affreuses, la clémence et le pardon seront moins nécessaires. Heureuse la nation qui ne leur donnerait plus le nom de vertus ! La clémence que l’on a vue dans quelques souverains tenir lieu des autres qualités qui leur manquaient pour remplir les devoirs du trône, devrait être bannie d’une législation sage, où les peines seraient douces, où l’on rendrait la justice avec des formes promptes et régulières.

Cette vérité ne semblera dure qu’à ceux qui vivent soumis aux désordres d’une jurisprudence criminelle, qui rend les grâces et le pardon nécessaires en raison même de l’atrocité des peines et de l’absurdité des lois.

Le droit de faire grâce est sans doute la plus belle prérogative du trône ; c’est le plus précieux attribut du pouvoir souverain ; mais en même temps c’est une improbation tacite des lois existantes. Le souverain qui s’occupe de la félicité publique, et qui croit y contribuer en exerçant le droit de faire grâce, s’élève alors contre le code criminel, consacré malgré ses vices, par les préjugés antiques, par le fatras imposant des commentateurs, par le grave appareil des vieilles formalités, enfin par le suffrage des demi-savans, toujours plus insinuans et plus écoutés que les vrais sages.

Si la clémence est la vertu du législateur et non de l’exécuteur des lois, si elle doit éclater dans le code et non dans des jugemens particuliers, si on laisse voir aux hommes que le crime peut se pardonner, et que le châtiment n’en est pas toujours la suite nécessaire, on nourrit en eux l’espérance de l’impunité ; on leur fait regarder les supplices non comme des actes de justice, mais comme des actes de violence.

Quand le souverain accordera la grâce d’un criminel, ne pourra-t-on pas dire qu’il sacrifie la sûreté publique à celle d’un particulier, et que par un acte de bienfaisance aveugle, il prononce un décret général d’impunité.

Que les lois soient donc inexorables, que les exécuteurs des lois soient inflexibles ; mais que le législateur soit indulgent et humain. Architecte prudent, qu’il donne pour base à son édifice l’amour que tout homme a pour son bien-être, et qu’il sache faire résulter le bien général du concours des intérêts particuliers ; alors il ne se verra pas contraint de recourir à des lois imparfaites, à des moyens peu réfléchis, qui séparent à tout instant les intérêts de la société de ceux des citoyens ; il ne sera pas forcé d’élever sur la crainte et la défiance le simulacre du bonheur public. Philosophe profond et sensible, il aura laissé à ses frères la jouissance paisible de la petite portion de bonheur que l’Être-Suprême leur a donnée sur cette terre, qui n’est qu’un point au milieu de tous les mondes.


  1. « Pense-t-on que le méchant, avec des exemples toujours présens de la vigilance du magistrat, ose se livrer à ses pernicieux desseins ? Il regarde autour de lui, et il ne voit que des témoins prêts à le dénoncer, et l’homme du peuple tout prêt à le poursuivre. Il tremble, il pâlit, il se cache à sa vue ; il cherche l’ombre, et ne trouve partout qu’une odieuse lumière. À peine l’idée du crime se présente, qu’il la comprime dans le fond de son âme, et il craint encore que l’œil perçant du magistrat ne la surprenne. Il fuit enfin une terre qui ne supporte pas le vice, ou devient bon, en perdant l’espérance d’être méchant avec impunité. » (Servan, Discours sur l’administration de la justice criminelle.)