Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Mœurs et coutumes/26

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Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 293-296).


CHAPITRE XXVI.


Des préparatifs qu’ails font quand ils veulent entreprendre une incursion dans le pays de leurs ennemis.


Quand les Indiens veulent faire une expédition dans le pays ennemi, les chefs se rassemblent et délibèrent sur la manière dont ils veulent la diriger : ils font ensuite annoncer dans toutes les cabanes qu’on ait à se préparer à marcher. Pour fixer l’époque du départ, ils disent : c’est quand telle espèce de fruit sera mûre ; car ils n’ont aucune autre manière de désigner les années et les jours. Ils choisissent ordinairement, pour leur départ, l’époque du frai d’une espèce de poisson qu’ils appellent pratti ; ils nomment cette saison, le moment du frai, pirakaen. Alors ils mettent en état leurs canots et leurs flèches, et s’approvisionnent de farine de manioc séchée, qu’ils nomment vythan ; puis ils consultent les paygi, leurs prophètes, pour savoir s’ils auront la victoire. Ceux-ci la leur promettent ordinairement, mais ils leur recommandent en même temps de faire attention aux songes relatif à leurs ennemis. Quand il arrive qu’un grand nombre d’entre eux ont rêvé qu’ils faisaient rôtir la chair de leurs adversaires, cela présage une victoire ; mais s’ils voient rôtir leur propre chair, cela n’annonce rien de bon, et ils renoncent à l’entreprise. S’ils croient que leurs rêves leur promettent une bonne réussite, ils préparent de la boisson dans toutes les cabanes, s’enivrent, dansent avec leurs tammarakas, et chacun prie la sienne de lui faire faire un prisonnier. Ils se mettent en route, et, lorsqu’ils sont près du pays ennemi ou qu’ils pensent y arriver le lendemain, le chef leur ordonne d’observer avec soin les rêves qu’ils auront dans leur sommeil.

Lors de l’expédition que je fis avec eux, pendant la nuit que nous passâmes avant d’entrer sur le territoire ennemi, le chef parcourut le camp, et recommanda à chacun de faire attention à ses songes. Il ordonna aussi que, dès le point du jour, les jeunes gens iraient à la chasse et à la pêche. On exécuta ses ordres. Le principal chef fit cuire ce qu’on lui apporta, et il invita les autres à venir à sa cabane. Ils s’assirent tous en cercle : on leur servit à manger, et quand le repas fut fini, chacun raconta les rêves qu’il avait eus pendant la nuit ; ils en furent tous satisfaits, et se mirent à danser avec leurs tamaracas.

Ils vont ordinairement reconnaître l’ennemi la nuit, et ils l’attaquent le lendemain de très-bonne heure. Si leurs prisonniers sont grièvement blessés, ils les achèvent et ils emportent leur chair après l’avoir fait rôtir. Quant aux autres, ils les emmènent vivants, et les tuent ensuite dans leurs villages. Ils poussent de grands cris en attaquant, frappent la terre du pied, et font retentir des espèces de trompes faites avec des calebasses. Ils portent autour du corps une corde pour attacher leurs prisonniers ; et se mettent des plumes rouges pour se distinguer de l’ennemi. Ils tirent leurs flèches avec beaucoup d’adresse, et en lancent d’enflammées sur les cabanes de leurs ennemis pour y mettre le feu. Ils connaissent quelques plantes, avec lesquelles ils pansent leurs blessures.