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Des principes de l’économie politique et de l’impôt/Chapitre 17

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Des principes de l’économie politique et de l’impôt

CHAPITRE XVII.

DES IMPÔTS SUR LES PRODUITS NON AGRICOLES.


Par le même principe qu’un impôt sur le blé en élève le prix, un impôt sur toute autre denrée la fera également renchérir. Si le prix de cette denrée ne haussait pas d’une somme égale à celle de l’impôt, elle ne rapporterait pas au producteur le même profit qu’il retirait auparavant, et il déplacerait son capital pour lui donner un autre emploi.

Les impôts sur toute espèce de choses, qu’elles soient de nécessité ou de luxe, tant que la valeur de la monnaie reste la même, en feront toujours hausser la valeur d’une somme au moins égale à celle de l’impôt[1]. Un impôt sur les objets manufacturés, nécessaires pour l’usage de l’ouvrier, aurait le même effet qu’un impôt sur le blé, qui ne diffère des autres choses nécessaires, que parce qu’il est, entre toutes, la première et la plus importante ; et cet impôt produirait précisément les mêmes effets sur les profits des capitaux et sur le commerce étranger. Mais un impôt sur les objets de luxe n’aurait d’autre effet que de les faire renchérir. Il retomberait en entier sur le consommateur, et il ne saurait ni faire hausser les salaires, ni faire baisser les profits.

Les impôts qu’on lève sur un pays pour les frais de la guerre ou pour les dépenses ordinaires du gouvernement, et dont le produit est principalement destiné à l’entretien d’ouvriers improductifs, sont pris sur l’industrie productive du pays ; et tout ce qu’on peut épargner sur de telles dépenses, est en général autant d’ajouté au revenu ou même au capital des contribuables. Quand on lève, par la voie d’un emprunt, 20 millions pour les dépenses d’une année de guerre, ce sont 20 millions que l’on enlève au capital productif de la nation. Le million annuel qu’on lève par des impôts pour payer les intérêts de cet emprunt, ne fait que passer des mains de ceux qui le paient dans celles de ceux qui le reçoivent, des mains du contribuable dans celles du créancier de l’État. La dépense réelle, ce sont les 20 millions, et non l’intérêt qu’il faut en payer[2].

Que les intérêts de l’emprunt soient ou ne soient pas payés, la nation ne s’en trouvera ni plus ni moins riche. Le gouvernement aurait pu lever d’un coup les 20 millions par le moyen d’impôts, et dans ce cas, il aurait été inutile de lever pour un million d’impôts annuels. Cela n’aurait cependant pas changé la nature de l’opération. On aurait pu forcer un individu de donner 2000 l. pour une seule fois, au lieu de payer 100 l. tous les ans ; et il pourrait aussi convenir davantage à cet individu d’emprunter ces 2000 l., et d’en payer 100 l. d’intérêts par an au prêteur, plutôt que de prendre la plus forte de ces deux sommes sur son propre fonds. Dans l’un de ces cas, c’est une transaction privée entre A et B ; dans l’autre, c’est le gouvernement qui garantit à B le paiement des intérêts qui doivent également être payés par A. Si la négociation eût été entre particuliers, il n’en aurait pas été fait d’acte authentique, et il aurait été à peu près indifférent pour le pays que A exécutât ponctuellement son contrat avec B, ou qu’il retînt injustement les 100 l. par an en sa possession. L’intérêt de la nation, en général, serait que le contrat s’exécutât ponctuellement ; mais quant à la richesse nationale, le seul objet d’intérêt est de savoir lequel de A ou de B rendra ces 100 l. plus productives ; mais à l’égard de cette question, la nation n’a ni le droit ni les moyens de la décider. Il serait possible que A, gardant cette somme pour son usage, la dissipât d’une manière improductive ; et il serait possible aussi qu’au contraire ce fût B qui la dissipât, tandis que A l’emploierait d’une manière productive. Sous le seul point de vue de l’utilité nationale, il pourrait être plus ou moins à désirer que A payât ou ne payât pas la somme ; mais les principes de la justice et de la bonne foi, qui sont d’une tout autre importance, ne doivent point céder à des considérations d’un intérêt bien moindre ; et par conséquent, si on réclamait l’intervention du gouvernement, les tribunaux obligeraient A à exécuter son contrat. Une dette garantie par la nation ne diffère en rien d’une telle négociation. La justice et la bonne foi exigent que les intérêts de la dette nationale continuent d’être payés, et que ceux qui ont avancé leurs capitaux pour l’avantage général, ne soient pas forcés de renoncer à leurs justes prétentions, sous le prétexte que cela convient à l’État[3].

Mais, cette considération à part, il n’est pas du tout sûr que l’utilité publique gagnât quelque chose au sacrifice de la justice politique ; il n’est nullement certain que ceux qu’on libérerait du paiement des intérêts de la dette nationale, employassent cet argent d’une manière plus productive que ceux à qui il est incontestablement dû. En supprimant la dette nationale, le revenu d’une personne pourrait monter de 1,000 l. à 1,500 l. ; mais celui d’une autre baisserait de 1,500 l. à 1,000 l. Les revenus de ces deux individus, ensemble, montent à présent à 2,500 l. ; et ils ne vaudraient pas davantage après la banque-route. Si l’objet de tout gouvernement est de lever des impôts, il y aurait le même capital et le même revenu imposable dans un cas que dans l’autre.

Ce n’est donc pas le paiement des intérêts de la dette nationale, qui accable une nation, et ce n’est pas en supprimant ce paiement qu’elle peut être soulagée. Ce n’est que par des économies sur le revenu, et en réduisant les dépenses, que le capital national peut s’accroître ; et l’anéantissement de la dette nationale ne contribuerait en rien à augmenter le revenu ni à diminuer les dépenses. C’est la profusion des dépenses du gouvernement et des particuliers, ce sont les emprunts qui appauvrissent un pays ; par conséquent, toute mesure qui pourra tendre à encourager l’économie du gouvernement et des particuliers soulagera la détresse publique, sans doute, mais c’est une erreur et une illusion de croire qu’on peut soulager une nation du poids d’un fardeau qui l’accable, en l’ôtant de dessus une classe de la société qui doit le supporter, pour le faire peser sur une autre qui, suivant tous les principes d’équité, ne doit supporter que sa part.

On aurait tort de conclure de tout ce que je viens de dire que je regarde le système des emprunts comme le meilleur moyen de fournir aux dépenses extraordinaires de l’État. C’est un système qui tend a nous rendre moins industrieux, à nous aveugler sur notre situation. Si les frais d’une guerre montent à 40 millions par an, et que la part d’un particulier, pour subvenir à cette dépense annuelle, soit de 100 l., il tâchera, si l’on exige de lui le paiement total et immédiat de cette somme, d’épargner promptement 100 l. sur son revenu. Par le système des emprunts, on n’exige de lui que l’intérêt de ces 100 l., ou 5 l. par an ; il croit qu’il lui suffit d’épargner ces 5 l. sur sa dépense, et il se fait illusion, se croyant aussi riche en fonds que par le passé. La nation et son gouvernement, en raisonnant et en agissant de la sorte, n’épargnent que les intérêts de 40 millions, ou de 2 millions ; et ils perdent non-seulement tous les intérêts ou le profit que 40 millions de capital employés productivement auraient rendus, mais ils perdent encore 38 millions, différence entre leur épargne et leur dépense ordinaire.

Si, comme je l’ai observé plus haut, chacun avait à faire un emprunt particulier, afin de contribuer pour toute sa part aux besoins de l’État, dès que la guerre serait terminée, l’impôt cesserait, et toutes les denrées, reviendraient à l’instant à leur taux naturel. A pourrait avoir à payer, sur son fonds particulier, à B, l’intérêt de l’argent que ce dernier lui aurait prêté pendant la guerre, pour lui donner les moyens de payer sa quote-part des dépenses publiques ; mais la nation ne s’en mêlerait pas.

Un pays qui a laissé une grande dette s’accumuler, se trouve placé dans une situation artificielle ; et quoique le montant de ses impôts et l’augmentation du prix du travail puissent n’avoir et n’aient probablement d’autre inconvénient, par rapport aux pays étrangers, que l’inconvénient inévitable de payer ces impôts, il est cependant de l’intérêt de tout contribuable de se soustraire à cette charge, en en rejetant le paiement sur les autres. Le désir de transporter sa personne et son capital dans un autre pays où on soit exempt de pareilles charges, devient à la longue irrésistible, et finit par vaincre la répugnance naturelle que tout le monde éprouve à renoncer à son pays natal et aux objets de ses premières affections. Un pays qui s’est plongé dans les embarras qu’entraîne ce système artificiel, ferait bien de s’en débarrasser par le sacrifice même d’une portion de son capital, suffisante pour racheter sa dette. La conduite qui conviendrait à un particulier convient également à une nation. Un particulier qui a 10,000 l. de fortune, qui lui rapportent 500 l., sur lesquelles il est tenu de payer 100 l. par an, ne possède réellement que 8,000 l., et il serait aussi riche en continuant de payer 100 1. par an ou en sacrifiant une fois pour toutes 2,000 l. Mais qui serait, demandera-t-on, l’acheteur des propriétés qu’il serait obligé de vendre pour se procurer ces 2,000 l. ? La réponse est toute simple. Le créancier national, qui doit recevoir ces 2,000 l., aura besoin de placer son argent ; et il sera disposé à le prêter au propriétaire foncier, ou au manufacturier, ou à leur acheter une partie des propriétés qu’ils ont à vendre. Les capitalistes eux-mêmes contribueraient beaucoup à amener ce résultat.

On a souvent proposé un plan de ce genre ; mais nous ne sommes, je le crains, ni assez sages ni assez vertueux pour l’adopter. On doit cependant admettre que, pendant la paix, nos efforts doivent être dirigés vers le paiement de la portion de dette qui a été contractée pendant la guerre, et qu’aucun désir d’alléger un fardeau, qui, je l’espère, n’est que temporaire, ne doit nous détourner un instant de ce grand objet. Aucun fonds d’amortissement ne peut contribuer d’une manière efficace à diminuer la dette de l’État, s’il n’est tiré de l’excédant du revenu sur la dépense publique. Il est à regretter que le fonds d’amortissement de l’Angleterre ne le soit que de nom ; car il n’existe pas, chez nous, d’excédant de la recette sur la dépense. Ce ne sont que les économies qui pourraient le rendre ce qu’il devrait être, un fonds réellement capable d’éteindre la dette nationale. Si, au moment où une nouvelle guerre éclatera, nous n’avons pas éteint une grande partie de notre dette, il arrivera de deux choses l’une : ou tous les frais de cette nouvelle guerre seront payés par des impôts levés année par année, ou bien il faudra qu’à la fin de la guerre, et peut-être même avant, nous nous soumettions à une banqueroute nationale. Ce n’est pas qu’il nous soit impossible de supporter encore un surcroît assez considérable de dette, car il est impossible d’assigner des bornes aux ressources d’une grande nation ; mais certes il y a des bornes aux sacrifices d’argent que les particuliers peuvent consentir à faire continuellement, pour le seul privilège de pouvoir vivre dans leur pays natal[4].

Quand une denrée est à un prix de monopole, elle a atteint le plus haut prix auquel le consommateur puisse consentir à l’acheter. Les denrées n’atteignent ce prix de monopole que lorsqu’il est impossible d’imaginer aucun moyen d’en augmenter la quantité, et lorsque, par conséquent, il n’y a de concurrence que d’un seul côté, c’est-à-dire, parmi les acheteurs. Le prix de monopole peut, à une époque, être beaucoup plus haut ou plus bas qu’à une autre, parce que la concurrence entre les acheteurs doit dépendre de leur fortune et de leurs goûts ou de leurs caprices. Ces vins exquis, qui ne sont produits qu’en très-petite quantité, et ces ouvrages de l’art, qui, par leur excellence ou leur rareté, ont acquis une valeur idéale seront échangés contre des quantités très-différentes des produits du travail ordinaire, selon que la société sera riche ou pauvre, selon que ces produits seront abondants ou rares, et selon qu’elle se trouvera dans un état de barbarie ou de civilisation. La valeur échangeable d’une chose qui est à un prix de monopole n’est donc nulle part réglée par les frais de production.

Les produits immédiats de la terre ne sont pas au prix de monopole ; car le prix courant de l’orge et du blé est aussi bien réglé par les frais que leur production a coûtés, que celui du drap ou de la toile. La seule différence consiste en ce qu’une portion du capital employé en agriculture, c’est-à-dire la portion qui ne paie pas de rente, règle le prix du blé ; tandis que, dans la production des ouvrages manufacturés, chaque portion de capital est employée avec les mêmes résultats ; et comme aucune portion ne paie de loyer, chacune d’elles sert égale­ment de régulateur du prix. D’ailleurs le blé, ainsi que tous les produits agricoles, peut être augmenté en quantité par l’emploi d’un plus gros capital sur la terre, et par conséquent ces denrées ne sauraient jamais être à un prix de monopole. Dans ce cas il y a concurrence parmi les vendeurs ainsi que parmi les acheteurs. Il n’en est pas de même pour ce qui regarde la production de ces vins exquis ou de ces ouvrages précieux des arts dont nous venons de parler ; leur quantité ne saurait être augmentée ; et rien ne met des bornes à leur prix que la fortune et la volonté des acheteurs. La rente de ces vignobles peut augmenter au delà de toute limite raisonnable ; car aucun autre terroir ne pouvant donner de tels vins, aucun ne peut entrer en concurrence.

Le blé et les produits agricoles d’un pays peuvent, à la vérité, se vendre pendant un certain temps à un prix de monopole ; mais cela ne peut avoir de durée que lorsqu’il n’est plus possible d’employer, d’une manière productive, de nouveaux capitaux sur les terres, et que, par conséquent, les produits ne peuvent être augmentés. Alors, toutes les terres cultivées et tous les capitaux employés sur les terres rapporteront une rente qui sera différente selon la différence des produits. Alors aussi, tout impôt qui pourra être mis sur le fermier, tombera sur le propriétaire et non sur le consommateur. Le fermier ne peut élever le prix de son blé ; car, par notre supposition, il est déjà au plus haut prix auquel les acheteurs veuillent ou puissent l’acheter. Il ne se contentera pas d’un moindre taux de profits que celui que retirent de leurs fonds les autres capitalistes, et par conséquent il n’aura d’autre alternative que d’obtenir une réduction de la rente ou de quitter son industrie.

M. Buchanan regarde le blé et les produits agricoles comme étant au prix de monopole, parce que ces produits paient une rente. Selon lui, toutes les denrées qui paient une rente doivent être au prix de monopole, et il en conclut que tout impôt sur les produits agricoles doit tomber sur le propriétaire et non sur le consommateur.

« Le prix du blé, dit-il, qui rapporte toujours une rente, n’étant, sous aucun rapport, modifié par les frais de production, ces frais doivent être pris sur la rente, et par conséquent, lorsque ces frais haussent ou baissent, il n’en résulte pas un prix plus haut ou plus bas, mais une rente plus ou moins élevée. Sous ce point de vue, tout impôt sur les domestiques de ferme, sur les chevaux ou sur les instruments d’agriculture, est réellement un impôt foncier, dont le poids tombe sur le fermier pendant la durée de son bail, et sur le propriétaire quand il faut le renouveler. De même tous les instruments d’agriculture perfectionnés, qui épargnent des dépenses au fermier, tels que les machines à battre ou à faucher le blé, tout ce qui lui rend l’accès du marché plus aisé, comme de bonnes routes, des canaux et des ponts, quoique diminuant le coût primitif du blé, n’en élève cependant pas le prix courant. Tout ce qui est donc épargné par ces améliorations appartient au propriétaire et fait partie de sa rente. »

Il est évident que si l’on accorde à M. Buchanan le principe sur lequel se fonde son argument, c’est-à-dire, que le prix du blé rapporte toujours une rente, il faudra admettre toutes les conséquences qu’il en tire et qui en découlent. Des impôts sur le fermier ne tomberaient donc point, dans ce cas, sur le consommateur, mais sur la rente, et tous les perfectionnements en agriculture augmenteraient celle-ci. J’espère cependant avoir montré, avec assez d’évidence, que tant que toutes les terres d’un pays ne sont pas cultivées, et cultivées par les méthodes les plus perfectionnées, il y aura toujours une portion de capital employé sur la terre qui ne rapportera point de rente ou de profit, et que c’est cette portion de capital — dont le produit, comme celui des manufactures, se partage entre les profits et les salaires, — qui règle le prix du blé. Le prix du blé qui ne rapporte pas de rente étant donc modifié par les frais de sa production, ces frais ne sauraient être pris sur la rente ; et la suite de l’augmentation de ces frais sera donc un surhaussement de prix, et non une diminution de la rente[5].

Il est singulier qu’Adam Smith et M. Buchanan, qui, tous deux, conviennent que les impôts sur les produits agricoles, l’impôt foncier, et la dime, tombent tous sur le profit du propriétaire foncier, et non sur les consommateurs des produits de l’agriculture, admettent néanmoins qu’un impôt sur la drèche tomberait sur le consommateur de bière, et ne porterait pas sur la rente du propriétaire. L’argument d’Adam Smith est un exposé si bien tracé de la manière dont j’envisage l’impôt sur la drêche, ainsi que tout autre impôt sur les produits agricoles, que je ne peux pas m’empêcher de le transcrire, en l’offrant à la méditation du lecteur.

« D’ailleurs, il faut toujours que la rente et les profits des terres en orge se rapprochent de ceux des autres terres également fertiles et également bien cultivées. S’ils étaient au-dessous, il y aurait bientôt une partie des terres en orge qui serait mise en une autre culture ; et s’ils étaient plus forts, plus de terre serait bientôt employée à produire de l’orge. Quand le prix ordinaire de quelque produit particulier de la terre est monté à ce qu’on peut appeler un prix de monopole, un impôt sur cette production fait baisser nécessairement la rente et le profit de la terre où elle croit[6]. Si l’on mettait un impôt sur le produit de ces vignobles précieux, dont les vins sont trop loin de remplir la demande effective pour que leur prix ne monte pas toujours au delà de la proportion naturelle du prix des productions des autres terres également fertiles et également bien cultivées, cet impôt aurait nécessairement l’effet de faire baisser la rente et le profit de ces vignobles. Le prix de ces vins étant déjà le plus haut qu’on en puisse retirer, relativement à la quantité qui en est communément envoyée au marché, il ne pourrait pas s’élever davantage, à moins qu’on ne diminuât cette quantité. Or, on ne saurait diminuer cette quantité sans qu’il en résultât une perte encore plus grosse, parce que la terre où ils croissent ne pourrait pas être consacré à une autre genre de culture dont le produit fût de valeur égale. Ainsi tout le poids de l’impôt porterait sur la rente et le produit du vignoble ; et à bien dire, il porterait sur la rente. Mais le prix ordinaire de l’orge n’a jamais été un prix de monopole ; la rente et le profit des terres en orge n’ont jamais été au delà de leur proportion naturelle avec ceux des autres terres également fertiles et également bien cultivées. Les différents impôts qui ont été établis sur la drèche, la bière et l’ale, n’ont jamais fait hisser le prix de l’orge ; ils n’ont jamais réduit la rente et le profit[7] des terres en orge. Le prix de la drèche a monté certainement, pour le brasseur, en proportion des impôts mis sur cette denrée ; et ces impôts, réunis aux droits sur la bière et l’ale, ont constamment fait monter le prix de ces denrées pour le consommateur, ou bien, ce qui revient au même, ils en ont fait baisser la qualité. Le paiement définitif de ces impôts est constamment retombé sur le consommateur, et non sur le producteur. »

M. Buchanan fait sur ce passage les remarques suivantes : « Un droit sur la drêche ne peut jamais réduire le prix de l’orge ; car, à moins qu’on ne put vendre aussi cher l’orge convertie en drêche que dans son état naturel, il n’en viendrait pas au marché la quantité nécessaire. Il est donc clair que le prix de la drèche doit monter à proportion du droit mis dessus ; car il serait impossible autrement de fournir à la demande. Le prix de l’orge est cependant autant un prix de monopole que celui du sucre ; ils rapportent l’un et l’autre une rente et le prix courant de tous les deux a également perdu tout rapport avec ce qu’ils ont pu coûter dans l’origine. »

Il paraîtrait donc que M. Buchanan est persuadé qu’un droit sur la drèche doit en élever le prix, mais qu’un impôt sur l’orge qui sert à préparer la drèche ne ferait point hausser le prix de l’orge ; et par conséquent, que si la drèche est frappée d’un impôt, il sera payé par le consommateur ; si l’orge est imposée, l’impôt en sera payé par le propriétaire ; car il éprouvera une diminution dans sa rente. D’après l’opinion de M. Buchanan, l’orge est donc à un prix de monopole, ou au plus haut prix que les acheteurs soient disposés à en donner ; mais la drèche, qui est préparée avec de l’orge, n’est pas au prix de monopole, et par conséquent elle peut renchérir à proportion des impôts dont on pourrait la frapper. L’opinion de M. Buchanan, sur les effets d’un droit sur la drèche, me semble être en contradiction directe avec l’opinion qu’il a émise au sujet d’un impôt semblable, celui sur le pain. « Un droit sur le pain, dit-il, sera acquitté en définitive, non par un surhaussement de prix, mais par une réduction de la rente[8]. » Si un droit sur la drèche fait hausser le prix de la bière, il faut bien qu’un droit sur le pain fasse renchérir le pain.

L’argument suivant, de M. Say, est fondé sur les mêmes considérations que celui de M. Buchanan. « La quantité de vin ou de blé que produit une terre, reste à peu près la même, quel que soit l’impôt dont la terre est grevée ; l’impôt lui enlèverait la moitié, les trois quarts même de son produit net, ou, si l’on veut, de sa rente, que la terre serait néanmoins exploitée pour en retirer la moitié ou le quart que l’impôt n’absorberait pas. Le taux de la rente, c’est-à-dire la part du propriétaire, baisserait ; voilà tout. On en sentira la raison, si l’on considère que, dans le cas supposé, la quantité de denrées produites par la terre, et envoyée au marché, reste néanmoins la même. D’un autre côté, les motifs qui établissent la demande de la denrée restent les mêmes aussi. Or, si la quantité des produits qui est offerte, si la quantité qui est demandée, doivent, malgré l’établissement ou l’extension de la contribution foncière, rester néanmoins les mêmes, les prix ne doivent pas varier non plus ; et si les prix ne varient pas, le consommateur des produits ne paie pas la plus petite portion de cet impôt.

« Dira-t-on que le fermier, celui qui fournit l’industrie et les capitaux, partage avec le propriétaire le fardeau de l’impôt ? On se trompera, car la circonstance de l’impôt n’a pas diminué le nombre des biens à louer, et n’a pas multiplié le nombre des fermiers. Dès qu’en ce genre aussi, les quantités offertes et demandées sont restées les mêmes, le taux des rentes a dû rester le même.

« L’exemple du manufacturier de sel, qui ne peut faire supporter à ses consommateurs qu’une partie de l’impôt, et celui du propriétaire foncier, qui ne peut s’en faire rembourser la plus petite partie, prouvent l’erreur de ceux qui soutiennent, en opposition avec les économistes, que tout impôt retombe définitivement sur les consommateurs. » Liv. III, chap. 8.

Si l’impôt enlevait la moitié, les trois quarts même du produit net de la terre sans que le prix des produits haussât, comment ces fermiers pourraient-ils retirer les profits ordinaires des capitaux qui ne paieraient que des rentes modiques, ayant à exploiter cette sorte de terres qui exige beaucoup plus de travail pour rendre un produit donné que des terres d’une meilleure qualité ? La rente serait même abandonnée en entier, que ces fermiers retireraient toujours de leur industrie des profits moindres que ceux des autres commerces, et ils ne continueraient par conséquent à cultiver leurs terres qu’autant qu’ils pourraient élever le prix de leurs produits[9]. Si l’impôt tombait sur les fermiers, il y en aurait moins de disposés à affermer des biens fonds ; s’il tombait sur les propriétaires, il y aurait bien des fermes qui ne seraient points louées, car elles ne rapporteraient pas de fermage. Mais sur quels fonds ceux qui produisent du blé sans payer de fermage, prendraient-ils de quoi payer l’impôt ? Il est évident que l’impôt doit tomber sur le consommateur. Comment une telle terre pourrait-elle payer un impôt égal à la moitié ou aux trois quarts de sa production, ainsi que M. Say l’énonce dans le passage suivant ?

« On voit en Écosse de mauvais terrains ainsi cultivés par leurs propriétaires, et qui ne pourraient l’être par aucun autre. C’est ainsi encore que nous voyons dans les provinces reculées des États-Unis des terres vastes et fertiles dont le revenu tout seul ne suffit pas pour nourrir leur propriétaire : elles sont cultivées néanmoins ; mais il faut que le propriétaire les cultive lui-même, c’est-à-dire, qu’il porte le consommateur à l’endroit du produit, et qu’il ajoute au profit de son fonds, qui est peu de chose ou rien, les profits de ses capitaux et de son industrie, qui le font vivre dans l’aisance.

« On connaît que la terre, quoique cultivée, ne donne aucun profit, lorsqu’aucun fermier ne veut payer de fermage ; c’est une preuve qu’elle ne permet de retirer que les profits du capital et de l’industrie nécessaires à sa culture. » Say, liv. II, chap. 9, 3e éd.

  1. M. Say observe « qu’un manufacturier ne peut pas faire payer au consommateur tout le montant de l’impôt levé sur sa marchandise, parce que la hausse du prix en diminuera la consommation. » Si cela arrivait, si la consommation diminuait, l’approvisionnement ne diminuerait-il pas promptement aussi ? Pourquoi le manufacturier continuerait-il son commerce, si ses profits tombaient au-dessous du niveau des profits des autres industries ? M. Say paraît avoir oublié aussi dans ce passage la doctrine qu’il a soutenue ailleurs, « que les frais de production déterminent le plus bas prix des choses, le prix au-dessous duquel elles ne tombent pas d’une manière durable, car alors la production s’arrête ou diminue. » Liv. II, chap. 4.

    « L’impôt, dans ce cas, porte donc en partie sur le consommateur, qui paie le produit plus cher, et en partie sur le producteur, qui, l’impôt déduit, se trouve l’avoir moins vendu. Le trésor public profite de ce que le consommateur paie de plus, et du sacrifice que le producteur est obligé de faire d’une partie de ses profits. C’est l’effort de la poudre qui agit à la foi sur le boulet qu’elle chasse, et sur le canon qu’elle fait reculer. » Liv. III, chap. 8. (Note de l’Auteur).

    J’ai déjà eu occasion de remarquer que M. Ricardo admet trop généralement et sans restriction que les capitaux et l’industrie se retirent d’une production qui ne donne pas des profits égaux aux profits des autres commerces. Dans presque tous les genres d’industrie, il se trouve des capitaux tellement engagés qu’on ne pourrait les retirer de leur emploi sans altérer considérablement leur valeur. Les talents et les travaux industriels eux-mêmes ne changent pas d’objet sans de graves inconvénients. On aime mieux continuer à travailler dans un genre qui-rapporte moins, parce qu’il y aurait plus de perte encore à changer ; et cet effet se perpétue quelquefois un demi-siècle durant, c’est-à-dire tout le temps que dure bien souvent la forme d’administration et le système des contributions.

    Il est impossible de négliger des circonstances qui influent si puissamment sur les résultats ; on risque beaucoup de se tromper quand on n’a les yeux fixés que sur quelques grandi » principes, et qu’on ne veut compter pour rien les modifications qu’ils reçoivent des considérations accessoires. Les circonstances agissent en vertu de principes tout aussi incontestables, et qui, de même que les principes les plus généraux, dépendent de la nature des choses. — J.-B. Say.

  2. Melon dit que les dettes d’un État sont des dettes de la main droite à la main gauche dont le corps ne se trouve pas affaibli. À la vérité, la richesse générale n’est point diminuée par le paiement des intérêts ou arrérages de la dette : les intérêts sont une valeur qui passe de la main du contribuable dans celle du rentier de l’État : que ce soit le rentier ou le contribuable qui l’accumule ou la consomme, peu importe à la société, j’en conviens ; mais le principal de cette rente où est-il ? il n’est plus. La consommation qui a suivi l’emprunt a emporté un capital qui ne rapportera plus de revenu. La société est privée, non du montant des rentes, puisqu’il passe d’une main dans l’autre, mais du revenu d’un capital détruit. Ce capital, s’il avait été employé productivement par celui qui l’a prêté à l’État, lui aurait également procuré un intérêt ; mais cet intérêt aurait été fourni par une véritable production, et ne serait pas sorti de la poche d’un concitoyen. » — J.-B. Say, liv. III, chap. 9.

    Ce passage est conçu et rendu selon le véritable esprit de la science. (Note de l’Auteur.)

  3. À Dieu ne plaise que je veuille qu’aucun Gouvernement manque de parole aux créanciers de l’État ; mais si jamais pareil malheur arrive entre Palerme et Edimbourg, on lira en tête de l’édit un beau préambule dans lequel il sera dit : « Attendu que les créanciers de l’État ont prêté, non pour l’avantage général, mais pour retirer un bon intérêt de leurs fonds ; attendu qu’ils ont prêté, non à nous, mais, à des gouvernants qui nous ont précédés, qui non-seulement n’étaient pas nous, mais ont employé cet argent à nous combattre, nous ou le système que nous chérissons ; attendu qu’ils n’ont été guidés par aucun sentiment de confiance, mais plutôt par le désir d’avoir une propriété que l’impôt n’atteint pas, et qu’on peut vendre à la Bourse du jour au lendemain ; attendu que la nation n’est point engagée par le vote de législateurs qui se disaient ses représentants, mais qui ne représentaient en réalité que la volonté des ministres occupés du doux emploi de dissiper les fonds de tous ces emprunts, etc., etc. » — J.-B. Say.
  4. M. Robert Hamilton est, à ma connaissance, le premier qui ait averti les Anglais qu’on n’éteint aucune partie de sa dette quand on emprunte d’un côté plus qu’on ne rembourse de l’autre ; qu’il vaut mieux ne rien rembourser et emprunter un peu moins, parce qu’on épargne du moins alors les frais de l’opération. Je regarde néanmoins comme important de voir l’opinion d’un homme aussi capable que M. Ricardo, et qui connaît aussi bien la nature des fonds publics en général, et des fonds anglais en particulier, confirmer entièrement la doctrine du savant académicien d’Edimbourg ; je regarde comme important de voir M. Ricardo nous annoncer que si, au moment d’une nouvelle guerre, le Gouvernement britannique n’a pas remboursé une portion considérable de la dette (ce qui ne s’achemine pas, puisque durant la paix il l’augmente chaque année) ; ou bien s’il ne trouve pas le moyen de faire payer chaque année à la nation la dépense extraordinaire que cette guerre occasionnera (ce qui n’est point possible, puisqu’on a de la peine à trouver de nouveaux impôts pour payer seulement l’intérêt de ces frais extraordinaires) ; de le voir, dis-je, nous annoncer que, sauf ces deux suppositions, qui sont inadmissibles, la banqueroute est inévitable.

    Smith avait dit que les caisses d’amortissement semblaient avoir eu pour objet moins de rembourser la dette que de l’accroître. Mais Hamilton et Ricardo ont creusé ce sujet jusqu’au fond, et y ont fait pénétrer une lumière à laquelle désormais aucune fallacieuse doctrine né saurait résister. M. Ricardo, avec une sagacité admirable, réduit ici l’a question à ses termes essentiels. Contracter une dette, c’est se charger d’un fardeau dont la banqueroute elle-même ne saurait vous libérer, puisque son effet ne serait pas d’augmenter les revenus des particuliers de tout ce que l’impôt lèverait de moins ; mais seulement d’augmenter les revenus des contribuables (qui ne paieraient plus cette portion de l’impôt) aux dépens des rentiers (qui ne la recevraient plus). Et quel est l’effet de ce fardeau inévitable ? de rendre plus dure la condition des habitants du pays, de les exciter à secouer cette importune charge sur les épaules de leurs concitoyens en s’éloignant, en se soustrayant par l’émigration aux privations, aux gênes, aux frais qui résultent de la dilapidation antérieure d’un grand capital. Il prouve que le remède à ce mal ne peut venir que de la restitution de ce capital ; mais pour restituer un capital, il faut l’accumuler lentement en dépensant chaque année moins qu’on ne reçoit. Or, tout homme de bon sens se demande de qui l’on peut attendre cette sage conduite : sera-ce d’un gouvernement intéressé à dépenser, à multiplier le nombre de ses salariés pour multiplier ses créatures ? sera-ce de ces salariés eux-mêmes intéressés à conserver leurs places et leur faveur aux dépens des contribuables ? ou bien sera-ce d’une représentation nationale forte et indépendante, intéressée à ménager la bourse du peuple, qui est la sienne ? — J.-B. Say.

  5. « L’industrie manufacturière augmente ses produits à proportion de la demande, et les prix baissent ; mais on ne peut pas augmenter ainsi les produits de la terre, et il faut toujours un haut prix pour empêcher que la consommation n’excède la demande. » Buchanan, tom. IV, pag. 40. Est-il possible que M. Buchanan puisse soutenir sérieusement que les produits de la terre ne peuvent être augmentés quand la demande eu devient plus considérable. (Note de l’Auteur.)

    M. Buchanan supposé, je pense, que la tendance qu’a la population à devancer les moyens de subsistance (V. les raisons irrésistibles qu’en donne Malthus), établit une demande telle, que le prix des subsistances excède toujours ce qui serait rigoureusement nécessaire pour payer les seuls profits du capital et de l’industrie employés à la culture des, terres. C’est cet excédant qui compose le profit du propriétaire foncier, la rente qu’un fermier, consent, à payer, même lorsqu’il n’y a aucun capital répandu sur la terre qu’il loué.

    Le prix des produits territoriaux, comme tous autres, est toujours fixé eu raison composée de l’offre et de la demande ; or, il est clair que dans le cas dont il est ici question, la demandé n’étant jamais bornée, et l’offre l’étant toujours (puisque l’étendue des terres cultivables l’est), le produit des terres doit être à un prix monopole, qui s’élève d’autant plus, que les facultés des consommateurs s’augmentent.

    Il ne faut pas dire que la quantité des terres cultivables n’est pas bornée tant qu’il en reste d’incultes. Si les produits possibles des terres actuellement incultes, soit en raison des difficultés provenant de la distance ou des difficultés provenant des douanes, doivent revenir plus chers au consommateur que le blé qu’il achète au prix monopole de son canton, il est évident que ces terres ne peuvent point, par leur concurrence, faire baisser le blé dans son canton.

    J’avoue d’ailleurs que je ne vois aucun motif suffisant de renoncer à l’opinion de Smith, qui regarde la terre comme un grand outil, une machine propre à faire du blé, quand elle est convenablement manœuvrée, et qui trouvé tout simple que le propriétaire de cette machine, à quelque titre qu’il la possède, là loue à ceux qui en ont besoin. C’est le besoin qu’on a des produits qui est la première source du prix qu’on y met. Si la concurrence des producteurs fait baisser ce prix au niveau des frais de production, ce n’est pas une raison pour que les propriétaires de terres réduisent leurs prétentions au niveau de rien ; car, quoique les fonds de terre n’aient rien coûté dans l’origine, l’offre de leur concours est nécessairement borné, et les bornes de la quantité offerte sont aussi l’un des éléments de la valeur. — J.-B. Say.

  6. J’aurais voulu que le mot profit eût été supprimé.

    Il faut que le docteur Smith croie que les profits des fermiers de ces vignobles précieux sont au-dessus du taux ordinaire des profits. S’ils ne l’étaient pas, ils ne paieraient point l’impôt, à moins qu’il ne leur fût possible de le rejeter sur le propriétaire ou sur le consommateur. (Note de l’Auteur.)

  7. Voyez la note précédente.
  8. Tom. III, pag. 355
  9. J’ai distingué dans mon Économie politique les profits du fonds de terre des profits du capital employé à sa culture ; j’ai même distingué, en parlant de ce capital, celui qui a été employé par le propriétaire en bâtiments, en clôtures, etc., de celui du fermier, qui consiste principalement en bestiaux et en avances de frais de culture. Le premier capital est tellement engagé dans la terre à laquelle il a été consacré, qu’on ne peut plus l’en séparer : c’est une valeur ajoutée à la valeur du sol, et qui en subit toutes les chances, bonnes ou mauvaises ; Lorsqu’on est forcé d’abandonner la culture d’une terre, on est forcé d’abandonner les irrigations, les clôtures, et même la plupart des bâtiments qu’on avait faits dans la vue de l’exploiter. Cette portion du capital est donc devenue fonds de terre. Il n’en est pas de même des bestiaux et des avances de frais ; on retire ces dernières valeurs, on les emploie ailleurs quand on abandonne un fonds de terre. C’est ordinairement cette portion du capital qui appartient au fermier, et qui se retire lorsqu’elle ne rend plus des profits ordinaires.

    Or, je dis que lorsqu’une terre est directement ou indirectement grevée d’impôts, ce n’est pas le profit de l’industrie et du capital du fermier qui en supporte le faix, parce qu’alors ses talents, ses travaux et son argent, qui se sont mis en avant pour un métier où l’on gagnait autant que dans tout autre, cæteris paribus, abandonneraient une terre qui ne leur offrirait plus que des profits inférieurs, s’il fallait en déduire de nouvelles charges. Dès lors, au premier renouvellement de bail, il faudrait bien que le propriétaire baissât le prix de son bail ; autrement il ne trouverait point de locataires.

    En supposant que l’impôt montât de cette manière, jusqu’à ravir au propriétaire la totalité du fermage, du produit net, je ne vois pas que le fermier, quelque inférieure que fût la qualité des terres, quelque coûteuse que fût la culture, y perdît encore rien, puisqu’il a dû s’arranger pour en être remboursé par les produits avant d’en payer un fermage.

    M. Ricardo me semble demander sur quoi il retiendra le montant de l’impôt dont il fait l’avance, lorsqu’il n’a point de fermage à payer. Mais je n’appelle du nom de fermage ou produit net d’une terre que ce qui revient au propriétaire après que l’impôt est acquitté ou retenu par le fermier. Que si l’impôt ne peut être payé, même avec le sacrifice de tout le produit net ; si le fisc veut avoir encore de plus une portion du profit du capital et du profit industriel du fermier, il est clair que celui-ci quitte la partie, et que nul autre ne voulant prendre sa place pour travailler avec trop peu de profit, ou sans profit, la terre reste en friche.

    M. Ricardo peut dire qu’un certain nombre de terres, à commencer par les qualités les plus mauvaises, devant toujours se trouver dans ce cas, une extension d’impôts doit toujours faire abandonner quelques cultures, diminuer par conséquent la quantité de blé portée au marché, ce qui en fait hausser le prix ; or, du moment que le prix hausse, c’est le consommateur qui paie l’impôt.

    Je réponds, avec Adam Smith, qu’un système durable d’impôts insupportables agit à la manière d’un climat inhospitalier, d’un fléau de la nature : il contrarie la production, et la production des substances alimentaires contrariée entraîne la dépopulation. Le défaut de population excède souvent même, par des causes que découvre l’économie politique, mais qui ne peuvent être développées ici, le défaut de production des aliments. C’est ainsi que la dépopulation de l’Égypte à excédé le déclin de son agriculture. Il ne faut donc pas être surpris si des terres qu’on laisse en friche ne font pas monter le prix du blé. — J.-B. Say.