Description d’un parler irlandais de Kerry/2-3

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Chapitre III. Le substantif : flexion du pluriel.


CHAPITRE III
LE SUBSTANTIF : FLEXION DU PLURIEL

§ 41. On peut distinguer des pluriels forts, dont le thème est le même que celui du singulier, et des pluriels faibles, qui ajoutent à ce thème un suffixe caractéristique : distinction relative, et non absolue, puisque des pluriels qui ont même aspect formel sont définis comme faibles ou comme forts, par les types de singuliers auxquels ils sont associés (cf. §§ 44 et 45).

La flexion du pluriel ne comporte pas d’opposition de genres : les oppositions de cas sont les mêmes qu’au singulier : cependant le datif (caractérisé quelle que soit la formation parla désinence ‑əvʹ) tend à sortir de l’usage (cf. § 51); on observe sporadiquement quelques extensions de la forme dative au cas direct (cf. § 51). La forme vocative n’est distincte que dans deux types de pluriels, qui présentent ainsi une flexion à quatre formes, tandis que les singuliers correspondants (où le cas direct se confond soit avec le datif soit avec le vocatif) ont une flexion à trois formes. L’opposition du cas direct et du génitif, nettement maintenue dans l’ensemble des pluriels forts, manque ou va en s’effaçant dans le pluriel faible, qui tend ainsi à être invariable ; tendance dont le pluriel fort lui-même n’est pas exempt (cf. § 50).

§ 42. Type I. A.

Cas direct en consonne palatale/génitif en consonne vélaire datif en ‑əvʹ (‑aibh) précédé de consonne vélaire/vocatif en ‑ə (‑a) précédé de consonne vélaire.

Masculins, correspondant à des singuliers de Type I, le cas direct pluriel coïncidant avec le génitif singulier, et inversement: kɑpəlʹ (capaill) « chevaux », gén. kɑpəl (capall), dat. kɑpələvʹ (capallaibh), voc. χɑpələ (a chapalla), ou χɑpəlʹ (a chapaill).

Type I. B. Les pluriels en ‑əgʹ (‑igh) s’opposant à des singuliers en ‑ɑχ, ‑αχ (‑ach) présentent des déplacements d’accent, au cours de la flexion, dans les mêmes conditions que ces singuliers (voir § 24 Type I. B) : ˈkʷilʹəgʹ (coiligh) « coqs », gén. kəˈlʹαχ (coileach), dat. kəˈlʹαχəvʹ (coileachaibh), voc. χəˈlʹαχə (a choileacha). Voir § 45 pour d’autres pluriels de mots de ce type.

§ 43. Type II. Même formule que le type précédant : cas direct palatal/génitif vélaire/datif en ‑əvʹ (‑aibh)/vocatif en ‑ə (‑a). Féminins, s’opposant à des singuliers de Type IX. Ici le cas direct pluriel coïncide avec le datif singulier, et le génitif pluriel avec le génitif singulier ; χənʹ (lachain) « canards », gén. χən (lachan), datif χənəvʹ (lachanaibh), voc. lɑχənə (a lachana) ou lɑχənʹ ; αŋgənʹ (teangain) « langues » ; ko:rsənʹ (comharsain) « voisins » ; masculin : bʹrʹeˈhu:nʹ (breitheamhain) plur. de bʹrʹehəv (breitheamh) « juge ».

§ 44. Type III. A.

Cas direct = vocatif, à désinence ‑ə (‑a) précédé de consonne vélaire/génitif en consonne vélaire/datif en ‑əvʹ précédé de consonne vélaire.

Correspond à des singuliers des deux genres et de types divers; Type I (rarement) : sgʹi:α (scéala), de sgʹi:αl (scéal) « histoire ; Types III, IV, V, VIII (fréquemment, mais souvent en concurrence avec d’autres pluriels, voir §§ 48 et 49) : klʹα (cleasa) « tours d’adresse » : gɑunə (gamhna) « veaux »; məlɑχ (mallachta) « malédictions », mais plus souvent məlɑχti: ; bʹlʹiənə (bliadhna) « années », dans les noms de nombre : ʃαχt mʹlʹiənə (seacht mbliadhna) « sept ans », mais ailleurs bʹlʹiəntə (bliadhanta) ; dʹoχə (deocha) et dʹoχənə (deochanna) plur. de dʹoχ (deoch) « boisson » ; kəlʹαχə (cailleacha) « vieilles femmes » ; avec alternance irrégulière : sgʹα (sceana) de sgʹiən (scian) « couteau ».

Les pluriels s’opposant à des singuliers de types VI et IX, ajoutent ‑ə (‑a) au thème tel qu’il apparaît au génitif singulier ; d’où les formes de type riələχə (riaghlacha), gén. riələχ (ou semblable au cas direct) en face du cas direct singulier rielʹ (riaghail) « règle » ; kɑhi:rʹəχə (cathaoireacha), gén. kahi:rʹəχ (ou semblable au cas direct), en face de kɑhi:rʹ « chaise » ; kro:nəχə (corónacha), plur. de kro:nʹ (coróin) « couronne », et, s’opposant à des thèmes à nasale (Type IX, D) : kʷiʃlʹənə (cuisleanna) de kʷiʃlʹə (cuisle) « pouls, veine », gén. kʷiʃlʹən (cuisleann) ; αrsənə (pearsanna) plur. de αrsə (pearsa) ou αrsənʹ (pearsain) « personne » (voir § 38) ; ces pluriels en ‑əχə, ‑ənə se rencontrent en face de singuliers d’autres types, à flexion non consonantique ; on a alors affaire à de véritables suffixes caractéristiques du pluriel (voir § 48).

Type III. B. Variante du précédent ; en vertu de l’alternance signalée § 6 des pluriels en voyelle longue s’opposent à des singuliers en spirante ou en ‑gʹ (‑igh) : knɑ: (cnámha) plur. de knɑ:v (cnámh) « os » ; trɑ: (trágha) de trɑ:gʹ (tráigh) « rivage ».

§ 45. Type IV, A.

Cas direct en ‑ə (‑e) précédé de consonne palatale/génitif en consonne palatale ou vélaire/datif en ‑əvʹ (‑ibh), précédé de consonne palatale. Le génitif pluriel est, en règle générale, semblable au génitif singulier.

En face de singuliers de type I, ou de type IX, on a une série de pluriels avec alternance quantitative (voir § 7) : do:rnʹə (dóirne) de dorən (dorn) « poing » ; bo:rʹhə (bóithre), de bo:hər (bóthar) « chemin » ; si:lʃə (soillse), de soləs (solas) « lumière » ; kɑ:rdʹə (cáirde), gén. karəd, de karə (cara) « ami ».

Type IV. B. En vertu de l’alternance signalée § 6, on a, en face des singuliers en ‑ɑχ, ‑αχ, ‑əχ, de type I, B, des pluriels en ‑i: (‑ighe), génitif en ‑ɑχ, ‑αχ, ‑əχ : uəli: (ualaighe), gén. uələχ (ualach), de uələχ « fardeau ». Les pluriels en ‑i: (‑idhe), correspondant à des singuliers de type I, C, conservent l’‑i: au génitif : sɑuri: (samhraidhe), de sɑurə. Il en va naturellement de même des pluriels faibles en ‑i: (cf. § 50).

§ 46. Flexion des principaux types de pluriels forts :

I II
Cas dir. kɑpəlʹ χənʹ
Gén. kɑpəl χən
Dat. kɑpələvʹ χənəvʹ
Voc. χɑpələ χənə
III, A III, B
Cas dir. sgʹi:α knɑ:
Gén. sgʹi:αl knɑ:v
Dat. sgʹi:αləvʹ knɑ:vʹ
IV, A IV, B
Cas dir. Voc.   bo:rʹhə uəli:
Gén. bo:hər uələχ
Dat. bo:rʹhəvʹ   uələχəvʹ

§ 47. Type V. Un certain nombre de types de pluriels, en ‑hə, ou ‑ə précédé de sourde (‑tha, ‑the), ‑tə (‑ta), ‑tʹə (‑te), avec ou sans alternance quantitative radicale, comportant ou non, à l’origine, un élément suffixal qui ne se retrouve pas au singulier (car ces types ont donné lieu à des extensions et à des confusions diverses) sont à compter parmi les pluriels forts, en ce sens qu’ils ne constituent pas des formations vivantes et ouvertes, comme les formations que nous aurons à citer : nʹihə (neithe), de nʹi: (nídh) « chose » ; tʹi:rhə (tíortha) de tʹi:rʹ (tír) « pays ». Les pluriels en ‑əhə (‑idhthe) des noms d’agent en ‑i: (‑idhe) paraissent connaître un renouveau de vitalité, grâce au développement des noms d’agent dans la langue officielle, mais il y a là un fait qui sort du cadre du parler. Les pluriels en ‑tə, ‑tʹə, apparaissent en concurrence avec des pluriels en ‑ə : bʹlʹiəntə à côté de bʹlʹiənə (voir § 49); ils tendent à céder la place à des pluriels faibles : fɑilʹtʹə (faillte) mais aussi fɑilʹtʹəχə (faillteacha) de fɑilʹ (faill) « falaise ».

Avec alternance radicale : ritʹə (righte), et rihə (righthe), de ri: (rí) « roi » ; tʹi:nʹtʹə (teinte) de tʹinʹə (teine) « feu » ; kʷitʹə (cuite), de ku: (cú) « lévrier »; ʃlʹi: (slighe) « chemin », plur. ʃlʹitʹə (slighte).

§ 48. Les formations de pluriel actuellement vivantes sont les suffixes en ‑ənə, ‑əntə, ‑əχə, ‑i: et les formes développées de ceux-ci.

Suffixe ‑ənə (‑anna). En face des pluriels forts en ‑ənə, génitif ‑ən, correspondant à des singuliers à nasale de type IX, D (§ 44), les pluriels à suffixe ‑ənə ont le plus souvent le génitif semblable au cas direct, à moins que l’on n’ait recours à un génitif sans suffixe (semblable au cas direct singulier) : dromənə (dromanna), pluriel de drɑum (drom) « dos », fait ainsi au génitif dromənə ou drɑum (voir § 49).

Il peut y avoir palatalisation d’une consonne finale, vélaire au singulier : kueʃənə (cuaiseanna), de kuəs (cuas) « crique ». Cette formation sert à doter d’un pluriel les mots d’emprunts récents qui vont se multipliant dans le parler : mαtʃənə « des allumettes » de match, mαrʹkʹənə « des marques » de mαrʹkʹ (mairc), etc.

‑əntə (‑anta) ; de même qu’on a, en face du pluriel en ‑ə (‑a), un pluriel en ‑tə (‑ta), on a, en face du pluriel en ‑ənə (‑anna), un pluriel en ‑əntə (‑anta), souvent avec état palatal de la consonne finale de racine : mʹe:rʹəntə (méireanta), de mʹi:αr (méar) « doigt » ; lè:həntə (laetheanta), de lɑ: (lá) « jour ».

Quelques mots présentent, en variante à ce pluriel, un doublet (sans doute purement phonétique) en ‑əstə ; uerʹəstə ou uerʹəntə (uaireanta) de uerʹ (uair) « une fois » ; de même lè:həstə, mʹe:rʹəstə.

‑əχə (‑acha), gén. en ‑əχ (‑ach), sous réserve de ce qui est dit § 50 : tɑmələχə, de tɑməl (tamall) « moment » ; noms de parenté de type II : mɑ:hərəχə (máithreacha), de mɑ:hərʹ ; en face de singuliers de type IX (autres que de classe A) αuŋgəχə ou αuŋkəχə, à côté de αŋgənʹ, de αŋgə (teanga) « langue », guələχə (gualacha) « épaules ».

Un pluriel en ‑tʹəχə (‑teacha) tend à supplanter le pluriel en ‑tʹə (‑te): tʹi:nʹtʹəχə à côté de tʹi:nʹtʹə, voir § 47.

‑i: (‑í, ‑idhe, ‑ighe) ; régulier en face des noms d’agent en ‑orʹ, ‑u:rʹ ainsi qu’en face des invariables de type X, B et C : doχtu:rʹi:, kαlʹi:nʹi:, hɑti: (hataí), de hɑtə (hata) « chapeau » ;

Combiné avec le pluriel en ‑tə, donne ‑ti: : è:nti: (aontaighe) de è:nəχ (aonach) « marché ».

Combiné avec le pluriel en ‑əχə, donne ‑i:χə (‑igheacha), krɑni:χə (crannuigheacha), à côté de kri:nʹ (crainn), pluriel de krɑun (crann) « arbre » ; gʹi:rʹi:χə (geimhridheacha), à côté de gʹi:rʹi: (geimbridhe), pluriel de gʹi:rʹə (geimhreadh) « hiver ».

§ 49. Les exemples cités plus haut prouvent qu’il n’est pas rare qu’un mot ait deux pluriels, soit que l’un soit fort (et court) et l’autre faible (et long), soit qu’il s’agisse de deux pluriels faibles. Dans ce dernier cas il y a en général flottement pur et simple entre les deux formes : le pluriel de ɑ:tʹ (áit) « endroit », sera ɑ:tʹənə ou ɑ:tʹəχə, selon les sujets, et sans distinction de sens ni d’emploi.

En revanche, lorsqu’il existe une forme longue et une forme courte de pluriel, il y a généralement soit répartition d’emploi, soit différenciation de sens. Sinon, la forme longue tend à éliminer la forme courte. On aura ainsi la forme courte avec les noms de nombre, partout ailleurs la forme longue : ʃαχt gʹi:nʹ (seacht gcinn) « sept (unités) », mais αni:χə əku (ceannuíocha aca) « certains d’entre eux » ; ʃαχt nuerʹə (seacht n‑uaire) « sept fois » mais uerʹəntə ou uerʹəstə « quelquefois » ; ʃαχt mʹi: (seacht mí) « sept mois », mais mʹi:nə fɑdə (mídheanna fada) « de longs mois ». On a le pluriel bʹlʹiənə dans les noms de nombre, ailleurs bʹlʹiəntə.

Ou bien, avec spécialisation de sens : sgʹi:α (scéala) « des nouvelles », sgʹi:αltə (scéalta) « des histoires » ; ou, le pluriel fort ayant la valeur de généralité indéterminée par opposition au pluriel faible : iəsg (iasc) « poisson », e:ʃgʹ (éisc) « des poissons », e:ʃgʹənə (éisgeanna) « différentes espèces de poissons » ; ɑiməd (adhmad) « du bois », ɑimədʹ (adhmaid) « des bois, des planches », ɑimədi: (adhmadaí) « différentes essences de bois ».

Il ne semble pas qu’il y ait de distinction de sens entre iʃgʹi: (uiscí) et iʃgʹi:χə (uiscíocha), pluriels de iʃgʹə (uisge) « eau » ; on a indifféremment knikʹ (cnuic) ou knikʹənə (cnuiceanna), de knuk (cnoc) « colline » ; stu:lʹ (stóil) et stu:lʹənə (stóileanna), de stu:l (stól) « tabouret », etc.

Il arrive que le pluriel fort, en voie d’élimination, se conserve exclusivement au génitif, où il permet de maintenir l’opposition cas direct-génitif, que le pluriel faible tend à perdre (voir § 50) : uələχ ə nromənə ou uələχ ə nrɑum « le fardeau de leurs dos » ; bʹogɑ:n bʹlʹiən (beagán bliadhan) « peu d’années » ; bun nə bʹrʹi:αv (bun na bpréamh) « l’extrémité des racines », à côté du pluriel pʹrʹi:αχə (préamhcha) « racines » ; i:αnləhə (éanlaithe) ou e:nləhə « oiseaux », mais glo:r nə nʹi:αn (glór na n‑éan) « la voix des oiseaux ». Ainsi une dualité de formes est-elle utilisée pour pallier à l’élimination de la flexion du pluriel faible.