Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre IV/Section II/Paragraphe 4

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§. IV. Des exploitations souterraines et des grottes qui
sont aux environs de Gebel Selseleh.

Indépendamment de ces carrières à ciel découvert, il en est d’autres bien moins considérables à la vérité, taillées en forme de grottes, et décorées, soit à l’entrée, soit dans leur intérieur, avec la même magnificence que les grottes consacrées aux sépultures. Les Égyptiens ont ainsi tiré parti de leurs exploitations pour former à peu de frais des monumens religieux. On en rencontre principalement sur la rive gauche du Nil.

Quelquefois l’entrée de ces grottes figures celle d’un temple, et en porte les ornemens caractéristiques : les globes ailés, accompagnés de serpens à cou renflé, sont placés au-dessus de la corniche de la porte. De longues bandes de figures hiéroglyphiques décorent aussi, comme dans les temples, les autres parties de la façade.

Quoique ces portiques soient taillés dans la masse du rocher, ainsi que les colonnes, leurs chapiteaux et leurs entablemens, les divisions naturelles des lits de la pierre, qui figurent des assises, leur donnent l’aspect d’une construction.

L’intérieur des grottes présente une suite de chambres assez vastes, et quelquefois décorées de bas-reliefs. Les portes de communication qui répondent à la porte d’entrée sont ornées, comme elle, de globe ailés accompagnés de serpens, et leurs corniches sont garnies des même moulures.

La pl. 47, dessinée par M. Balzac, peut servir à donner une idée des portiques dont nous parlons ; mais les ouvertures que l’on voit dans cette planche ne conduisent pas dans des grottes ; elles sont pratiquées dans une masse de roches séparée de la montagne et percée à jour.

Non loin de là s’élève une espèce de pilier carré, surmonté d’un large chapiteau comprimé, grossièrement taillé, et offrant à peu près la forme d’un champignon. Cette forme bizarre attire l’attention. Plusieurs voyageurs ont voulu y reconnaître une de ces colonnes auxquelles se trouvait jadis attachée la chaîne de fer qui traversait le fleuve. Ce n’est autre chose qu’un pilier laissé lors de l’exploitation de cette portion de la montagne, dans la vue de servir de témoin de son état ancien. Sous ce rapport, c’est encore un monument intéressant, parce qu’il indique que, malgré l’immensité des exploitations dont nous retrouvons les traces, il peut y en avoir beaucoup d’autres dont on ne peut plus juger aujourd’hui : car combien de portions de montagne ont pu être ainsi enlevées, sans qu’on ait eu la précaution de laisser de pareil témoins ! Derrière cet endroit même, une large voie ouverte au travers de la montagne offre une nouvelle preuve de la vérité de cette conjecture.

Un de ces portiques dont nous venons de parler, est percé de cinq ouvertures toutes semblables pour les dimensions ; mais celle du milieu seulement est ornée de caractères hiéroglyphiques. Ces cinq portes servent d’entrée à une chambre, ou plutôt à une espèce de galerie parallèle à la façade. Sa longueur, dans ce sens est de seize à dix-sept mètres, sur trois seulement de profondeur. Vers le milieu, et en face de la porte décorée d’hiéroglyphes, une porte intérieure conduit dans une grande chambre, au fond de laquelle sont sculptées sept figures debout et presque en ronde-bosse. Plusieurs grottes voisines offrent aussi quelques figurent semblables, mais en nombre différent.

Ces figures sont, en général, travaillées fort grossièrement, et ont encore été mutilées par les anciens cénobites qui ont habité ces grottes ; néanmoins c’est une chose fort remarquable dans les sculptures égyptiennes, où le relief est ordinairement très-bas. Nous n’avons rien vu de semblable ailleurs, si ce n’est dans d’anciennes grottes ruinées, à el-Kâb et à Syout. Nous renvoyons aux planches de ces deux endroits, pour se faire une idée de ce genre de sculpture.

Certaines grottes offrent quelques figures assises, ordinairement au nombre de deux ou trois, et des deux sexes : on distingue les gommes à leur barbe étroite et allongée, terminée carrément, ainsi qu’à leur coiffure, dont les extrémités descendent sur leurs épaules, tandis que celles de la coiffure des femmes descendent sur leur poitrine et cachent une partie de leur sein. Dans la plupart des groupes, une des figures, ordinairement celle de la femme, tient d’une main une fleur de lotus épanouie, et de l’autre elle embrasse la figure assise à côté d’elle. Il est bien vraisemblable qu’on a voulu représenter deux époux. La fleur de lotus épanouie, assez commune dans les grottes sépulcrales, et l’emblème de ce dernier trajet qu’on fait en quittant la vie, semble indiquer que ces représentations sont celles des individus enterrés dans ces grottes.

Un voyageur moderne, recommandable pas son exactitude[1], a fait ici une remarque curieuse, mais que nous ne pouvons garantir, ne l’ayant pas constatée : c’est que les excavations en forme de tombes, pratiquées dans le sol de la grotte, sont toujours en même nombre que les figures qui composent le groupe. Cela pourrait lever toute incertitude sur l’objet des représentations.

On trouve aussi des peintures dans l’intérieur de plusieurs grottes. Elles sont appliquées sur un enduit assez épais qui en recouvre toutes les parois, et représentent le plus souvent des offrandes faites aux dieux : on y distingue des amas de fruits et de parties d’animaux découpées, des oiseaux, des pains, des vases, des ustensiles de différentes formes. Ces peintures sont assez bien conservées, et, comme dans tous les édifices égyptiens, toujours appliquées par teintes plates, et n’offrant qu’un très-petit nombre de couleurs toujours les mêmes : une couleur rouge et une jaune pour les carnations d’hommes ou de femmes, une couleur verte et une bleue, qui formaient, avec le noir et le blanc, à peu près toutes les couleurs des peintres égyptiens[2].

  1. M. Denon.
  2. Les personnes qui n’ont pu étudier les couleurs des Égyptiens que sur les petits monumens transportés en EUrope, les ont jugées beaucoup plus variées qu’elles ne le sont effectivement, parce qu’une grande partie de ces monumens sont des matières factices et cuites au feu, où les couleurs ont éprouvé des altérations chimiques, comme on le verra plus en détail dans un mémoire sur l’industrie des Égyptiens.