Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre IV/Section II/Paragraphe 5

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§. V. De l’aspect de la contrée.

On a dû se peindre, à la suite d’une vallée riante et fertile, un défilé étroit, des chaînes de montagnes d’un aspect uniforme et dont rien ne voile la nudité ; çà et là, des escarpemens taillés au ciseau ; à leur pied, des sables, des amas de débris, des quartiers de rocher tantôt bruts et confusément entassés, tantôt à demi taillés et épars sur le sol ; entre ces montagnes, un fleuve large et rapide, qui, dans tout le reste de son cours, fait naître l’abondance, mais qui ne peut rien sur ces lieux frappés d’une éternelle stérilité. Tel est le site des principales carrières.

Les endroits où la vallée s’élargit renferment quelques terrains plus favorisés de la nature ; quelques plaines, comme aux environs d’Edfoû, où la culture s’étend au loin ; mais plus souvent on n’aperçoit rien autre chose qu’un étroit ruban de verdure qui borde un des rivages, et un petit nombre de huttes en terre, au-dessus desquelles s’élèvent les tiges grêles de quelques dattiers.

Ce mélange de culture et d’aridité, qui produit quelquefois des sites assez pittoresques, a ici quelque chose de morne et de plus triste que le désert proprement dit ; cependant la nouveauté du spectacle, son contraste avec le reste de l’Égypte, et les traces multipliées des anciens travaux des hommes dans ces lieux abandonnés, occupent l’esprit et jettent le voyageur dans des méditations qui ne sont pas sans attraits.

Sans doute, si l’on se trouvait transporté dans ces lieux reculés, n’ayant aucune connaissance des monumens de l’Égypte, aucune idée du génie du peuple qui l’habita, l’aspect de ces excavations, dénué alors de son principal intérêt ne produirait qu’un sentiment vague d’étonnement, une froide admiration peut-être pour leur nombre, pour l’étendue de quelques-unes ; mais, lorsqu’on a visité pas à pas toute la Thébaïde, et reconnu par ses propres observations le nombre et l’étendue de ses monumens, les sculptures infinies dont ils sont couvert ; lorsque l’on est parvenu, par des rapprochemens multipliés, à constater leur âge, et que, familiarisé peu à peu avec ces formes étrangères, on a pu juger sans prévention du caractère propre de cette architecture, et démêler, à travers la bizarrerie apparente de sa décoration, l’accord qui règne entre l’ordonnance, les ornemens et la destination des édifices ; accord qui en fait le mérite le plus grand, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, et qui est le cachet de l’antériorité de l’art dans cette contrée ; alors, dis-je, rempli de l’intérêt qu’excitent ces anciens travaux, pénétré d’un sentiment de respect pour l’ancien peuple qui les exécuta, on recherche avec empressement et l’on aime à voir jusqu’aux lieux mêmes qui en ont fourni les matériaux ; on les parcourt, sinon avec plus de fruit pour son instruction, peut-être avec plus d’émotion qu’aucun autre.

Ici, en effet, rien n’arrête la pensée, rien ne borne la réflexion, comme partout ailleurs, à des faits d’un intérêt local. Les travaux qu’on a sous les yeux appartiennent véritablement à toute la contrée, à tous les âges. De là sont sortis et les monumens qui subsistent aujourd’hui, et beaucoup d’autres encore qui les ont précédés, et dont les débris se voient dans les édifices actuels. On songe bientôt que, dans cette longue suite de siècles où se perd l’imagination, les travaux eurent toujours le même objet, le même caractère ; que les procédés sont restés constamment les mêmes. Tout avait atteint déjà dès les temps les plus reculés ce degré de perfection qui convenait au but qu’on se proposait. C’est surtout au milieu des objets qui font naître ces réflexions et qui en attestent la vérité, que l’esprit se sent vivement frappé de l’extrême antiquité de la civilisation en Égypte, et de l’invariabilité inconcevable qu’eurent en toutes choses les institutions de cette contrée.

Pour peu qu’on voulut s’arrêter sur ce point, on sentirait bientôt pourquoi les Égyptiens différent de tous les peuples, et pourquoi il est si important d’étudier leurs travaux, leur génie. Mais plus de détails nous écarteraient de notre sujet : il nous suffit d’avoir indiqué quelques-unes des réflexions que fait naître dans l’esprit du voyageur l’aspect de ces lieux, et d’avoir marqué le rapport des anciens travaux qu’on y rencontre, avec ceux qui sont répandus dans le reste de la Thébaïde.