Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre V/Paragraphe 2

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§. II. Description du grand temple. De son état actuel
et de sa construction.

J’ai dit que le grand temple est placé vers le nord-ouest du village. L’entrée en est masquée par une multitude de maisons de fellâh, ainsi que par des amas de poussière qui s’élèvent jusqu’au niveau supérieur dut mur d’enceinte, c’est-à-dire jusqu’au tiers de la hauteur de la façade : ces décombres cachent de grandes figures colossales jusqu’à la tête, et l’on voit sortir de terre d’immenses coiffures qui leur appartiennent[1]. La porte elle-même est fermée par de grands ais mal unis. On ne peut donc de ce côté pénétrer dans l’édifice ; c’est par le côté du levant qu’on s’y introduit, en montant une rampe douce qui est formée par les décombres, et qui arrive au niveau de la partie supérieure du mur d’enceinte : on en descend de même par une pareille pente qui arrive à l’angle du portique.

Ainsi le temple est environné, au levant et au midi, par les constructions modernes ; au couchant et au nord, par les ruines de l’ancienne ville : ce qui forme autour de lui comme un cadre brunâtre qui le fait ressortir en lumière. C’est de la même manière que l’on voit presque tous les monumens égyptiens se détacher des masses qui les environnent.

Le grand temple est orienté assez exactement : en appliquant le côté de la boussole sur la façade du portique, on a observé que l’aiguille marquait 15° à l’ouest ; ce qui est à peu près la déclinaison magnétique : mais il faudrait se garder d’en tirer aucune conséquence. Les monumens égyptiens ne sont pas orientés ; la seule règle un peu générale que l’on ait aperçue, règle qui souffre encore des exceptions, c’est qu’ils sont ordinairement tournés vers le Nil.

La longueur totale du temple, y compris les massifs de la façade, est de cent trente-sept à cent trente-huit mètres[2] ; la largeur de cette façade est de soixante-neuf mètres[3], c’est-à-dire que la longueur est double de la largeur ; la plus grande hauteur est d’environ trente-cinq mètres[4], et celle du temple, prise au premier portique, est de plus de dix-sept mètres[5] ; enfin, la plus grande largeur du temple est de quarante-sept mètres[6]. Les plus grosses colonnes ont plus de deux mètres à la base (près de vingt pieds de tour), et, de hauteur sour les soffites, près de treize mètres[7]. La chapiteau a plus de douze mètres ou trente-sept pieds de circonférences.

Je ne dirai rien de plus sur les dimensions générales du temple, parce que l’inspection des planches les fait beaucoup mieux et plus exactement connaître ; ce qui précède suffit pour donner une idée de leur grandeur peu ordinaire : j’y reviendrai seulement à la fin de cette description, en parlant des mesures principales qui présentent des rapports très-remarquables.

Le monument est bâti avec un grès dont l’espèce est d’un grain fin et assez dur, susceptible de recevoir une sorte de poli et un travail ferme et moelleux : aussi la sculpture de cet édifice, principalement celle du portique, que nous a-t-elle paru encore plus fine et plus délicate qu’ailleurs.

L’encombrement, qui est, pour ainsi dire, total dans l’intérieur du temple, est peu considérable dans la cour qui le précède ; le sol des colonnades et le tour du temple sont également peu enfouis ; on voit même encore l’ancien sol derrière l’enceinte, et le socle peu élevé sur lequel reposait la muraille : ainsi, à l’intérieur, l’œil aperçoit encore presque entièrement la hauteur de la grande porte d’entrée, aussi bien que tout l’ensemble de ces deux masses pyramidales et de ce péristyle de trente-deux colonnes qui forment la plus magnifique perpective. Pour jouir de ce spectacle, tel qu’on l’a figuré dans l’atlas[8], il suffirait de faire disparaître quelques masures en briques, bâties dans les entre-colonnemens, et où les habitans s’entassent avec leurs troupeaux. L’état actuel des choses donne même, en quelque sorte, un plus grand effet à ce tableau, par l’inconcevable opposition de ces étables poudreuses avec des colonnes richement sculptées, de ces briques noires et mesquines avec les énormes pierres qui composent les entablemens, et aussi par le contraste des sensations qui agitent l’ame du voyageur, avec l’indifférence apathique où sont plongés ces fellâh, successeurs des anciens prêtres qu’on se représente logés dans le temple, se promenant sous ces hautes galeries et livrés à leurs savantes spéculations. Voici un mot qui fera mieux saisir cette opposition de la misère et de la magnificence, qui frappe vivement l’observateur, mais que le discours sait mal exprimer.

L’un de nous entra dans une des masures bâties sous la galerie, et vit une famille de Barâbras[9] réfugiés, que la guerre avait chassés de leurs montagnes. Cette masure était une étable, ornée de colonnes et de sculptures, où les hommes, les femmes et les enfans nus logeaient pêle-mêle avec le bétail. Le père raconta que son champ venait d’être ravagé par Oo’smân-bey et Haçan-bey, dans leur fuite au-delà des cataractes. Comme on lui demandait s’il était commodément dans son nouvel asile, pour réponse il montra un bloc de granit qui se trouvait au milieu et qu’il ne pouvait déplacer, et il dit ensuite qu’il n’y avait que cette pierre qui le gênât.

L’intérieur des deux massifs de la façade et les escaliers eux-mêmes sont obstrués de débris dont il est malaisé de deviner l’origine, et cela surtout du côté du levant ; on y pénètre de l’autre côté par une porte qui donne sous la galerie. Dans les chambres, dans les escaliers, on a trouvé des langes, des ossemens et des restes de momies : ce fait curieux a été aussi observé à Philæ[10].

Pour se bien représenter l’état d’enfouissement de cet édifice, il faut se transporter sur les terrasses du temple ; c’est là qu’on aperçoit un petit village bâti de boue, établi depuis des siècles et renouvelé sans doute bien des fois : chaque génération y a accumulé les débris de ces demeures si fragiles ; et ces débris auraient déjà formé sur les terrasses une sorte de montagne, si les fellâh n’eussent trouvé le moyen de s’en débarrasser d’une autre façon. Les salles du temple d’Edfoû étaient éclairées par des fenêtres percées au plafond et en forme de soupirail : c’est par ces fenêtres qu’on fait journellement passer les cendres, les fumiers et toutes les ordures des étables, tellement que les salles et les deux portiques se sont peu à peu encombrés de presque toute leur hauteur, et que les issues se trouvent entièrement obstruées, sans que ces débris se soient introduits par les portes. Quelques-unes de ces salles servent aussi aux habitans de la terrasse, de magasins secrets et de refuges pour eux, leurs femmes, leurs enfans, leurs bestiaux, et tout ce qu’ils veulent soustraire à l’avidité des gouverneurs, aux violences des Arabes ; ils s’enferment avec eux dans ces réduits privés d’air et de jour, au risque d’y étouffer de chaleur et d’infection. C’est ainsi que les fellâh ont transformé en étables, et, ce qui est encore plus singulier, en véritables souterrains, de vastes portiques et des appartemens de dix mètres[11] de haut.

On concevra sans peine quelles difficultés devait éprouver un Européen pour pénétrer dans cette forteresse souterraine. Il me fallait découvrir la place que devaient occuper les fenêtres dont j’ai parlé ; cette place, que m’indiquait l’analogie des autres temples, était à la partie droite de la terrasse, à la suite d’un petit escalier que l’on y voit[12] : mais des murailles de briques m’en cachaient l’idée ; il fallut forcer l’entrée au milieu des cris des femmes et des enfans. Je descendis par un jour percé au plancher, de largeur à passer le corps, ayant une bougie à la bouche et une mesure à la main, et je me trouvai dans une salle toute remplie de chauve-souris et qui n’avait plus qu’un mètre et demi[13] de hauteur : de là, et par une autre ouverture forcée, je pénétrai dans le second portique ; il était enfoui jusqu’au-dessus des chapiteaux. Comme toutes les portes de communication sont bouchées, on ne peut visiter les salles qu’une à une, et en entrant par les différens jours, ainsi que par des trous pratiqués sur la plate-forme, qui a été violée en plusieurs endroits.

Le premier portique, ou portique extérieur, est moins encombré proportionnellement que l’autre, surtout au couchant, quoi qu’il s’y trouve encore, de l’autre côté, plus de dix mètres de haut de poussière et de débris. La porte du temple est entièrement obstruée ; la corniche seule en est découverte. Les chapiteaux sont également découverts du côté du levant ; mais on a peine à passer sous les soffites. Plusieurs de ces belles colonnes sont donc presque ensevelies. Pour en connaître la hauteur et la décoration, il a fallu autour de l’une d’elles, qui était la moins enfouie, faire une fouille profonde de six à sept mètres[14]. Qu’on se représente ici un voyageur qui se fait descendre dans ce puits, soutenu par une corde, et qui, muni d’un crayon, d’une règle et d’un flambeau, mesure et dessine toutes les parties d’une circonférence de six mètres et demi[15] d'étendue.

L’effet de ce portique ainsi enfoui est aussi difficile à décrie qu’il est frappant pour celui qui le voit, parce qu’au plaisir de cet aspect se joint une vive curiosité de connaître ce qui est dérobé à l’oeil, sans l’espoir de la satisfaire : une des planches de l’atlas fera mieux juger que le discours, de l’état du portique et de l’impression qu’il produit[16]. Que peut-on imaginer de plus magnifique et de plus simple à-la-fois, de plus riche et de moins chargé, que cette belle ordonnance d’architraves, de dés et de chapiteaux, si bien assortis pour les proportions, sculptés avec tant de finesse, décorés d’ornemens si légers et si bien entendus, et dont toutes les lignes enfin se balancent avec tant d’harmonie ? Ces chapiteaux gigantesques semblent tirer plus de valeur encore de l’amas de poussière d’où ils sortent : le spectateur qui les eût aperçus du sol, c’est-à-dire de trente pieds plus bas, n’eût pas joui de leurs détails et de leur grande proportion, comme ici sur ce monceau de décombres qui élève l’oeil jusqu’à leur niveau. C’est là, plus qu’ailleurs, qu’on admire à loisir cette tête de palmier, qui, dans la nature, est si magnifique, et que l’art égyptien a si heureusement transportée dans l’architecture, pour en faire un chapiteau vraiment national. On sait que les belles feuilles qui composent la touffe du dattier ont quelquefois vingt à vingt-cinq pieds de haut[17] ; la partie basse est légèrement inclinée, parfaitement plane et droite, et la sommité fléchit sous le poids. Il fallait d’aussi grands chapiteaux que ceux d’Edfoû pour donner une idée de tous ces détails. Mais voyez comme l’artiste a su habilement copier son modèle[18]. Cette courbure du sommet de la branche, on la retrouve ici dans le haut du chapiteau ; c’est elle qui lui donne ce contour si gracieux, que la perspective embellissait encore en le développant davantage, comme le savaient très-bien les architectes d’Égypte. La feuille du dattier est naturellement plus large vers le haut que dans la partie inférieure ; c’est encore ce que retrace la copie, et ce qui a donné l’idée et le moyen de joindre ensemble toutes les feuilles en forme de corbeille. Enfin, le nombre de rameaux, les régimes de dattes, et jusqu’aux écailles de la tige[19], tout a été l’objet de l’imitation, mais de l’imitation conduite par le goût et l’intelligence. On sent trop bien la beauté de ces chapiteaux pour que je m’arrête à les décrire plus long-temps.

J’ai dit que le monument était peu dégradé : en effet, on ne peut citer que les murs d’entre-colonnement du portique et le couronnement des deux massifs de la façade extérieure qui soient altérés d’une manière notable ; et, ce qui est rare, la sculpture elle-même a aussi peu souffert que l’architecture[20]. Ces masses si étendues en superficie, et qui ont près de trente-trois mètres de hautteur[21] ont tellement conservé leur assiette, qu’une pierre ne passe pas l’autre, que pas une assise n’est dérangée. Quand on est au sommet et qu’on place l’oeil dans le prolongement des faces, on n’aperçoit qu’un plan parfaitement dressé : je dis un plan, bien qu’elles soient couvertes de sculptures, parce que ces sculptures sont taillées en relief dans le creux[22]. Enfin, ces longues arêtes, garnies d’un gros tore ou cordon, sont encore à l’état de lignes parfaitement droites. Ce seul fait donnera une idée du soin et de l’adresse des constructeurs de l’ancienne Égypte.

Si l’appareil n’eût pas été aussi pur, et la coupe des pierres très-perfectionnée chez les Égyptiens, comment, après tant de siècles, trouverions-nous encore ces longues lignes, ces vastes surfaces, dans l’état où elles sont sorties du ciseau des sculpteurs, quand nous voyons nos édifices d’Europe s’ébranler au bout de quelques siècles, et quand les bâtimens des Grecs et des Romains, bien plus solides que les nôtres, offrent si peu d’assises, si peu de pierres intactes ? C’est à tort qu'on attribuerait au climat seul une si grande différence : les Grecs et les Romains ont bâti en Égypte, et leurs ouvrages ne sont plus.

On a traité ailleurs avec quelque détail de la construction chez les Égyptiens[23] ; je dois me borner ici à ce qui est propre au monument d’Edfoû.

Les deux masses pyramidales qui le précèdent sont dignes d’être étudiées, surtout à cause de la disposition parfaite et de la pureté d’exécution qu’on remarque dans leurs deux escaliers : ce sont des vis rectangulaires, formées de onze révolutions, ayant huit marches dans un sens, et cinq dans l’autre. Il y a quatre étages de chambres[24] et quarante-deux paliers, éclairés par des jours étroits, en forme de soupirail : les chambres sont aussi éclairées par des fenêtres de même forme et plus grandes ; mais la lumière qui en provient, est très-affaiblie à raison de la grande épaisseur des murailles. Nous avons pénétré dans ces escaliers par l’une des portes qui se trouvent à l’extrémité des galeries, au niveau de la terrasse. La hauteur de chaque degré est d’environ douze centimètres, ou quatre pouces et demi : aussi rien n’est plus facile que d’arriver rapidement au sommet, malgré sa grande élévation ; le voyageur éprouve même un sentiment d’aise et trouve une sorte de plaisir à monter ces escaliers, parce qu’habitué à en parcourir de plus roides, il y fait pourtant l’effort accoutumé ; d’où résultent pour lui un excès de force et une légèreté apparente.

Les assises de pierre qui composent ces massifs règnent d'un bout à l’autre et de chaque côté de la porte ; on les retrouve encore dans les escaliers avec la même élévation, qui est de cinq décimètres[25]. À l’exception de quelques irrégularités qu’on a vues dans l’appareil, le même soin se montre partout[26] ; toutes les arêtes sont également vives, et les joints parfaitement fermés, bien qu’ils soient tous unis par un ciment. Ce qui est le plus digne de remarque, c’est la pente qu’on a donnée aux deux massifs de la porte ; cette pente est telle, que les arêtes intérieures, prolongées jusqu’au sol, arriveraient précisément au pied des jambages, et non dans le vide de l’ouverture[27]. Les Égyptiens ont toujours évité, avec un soin extrême, jusqu’à l’apparence d’un porte-à-faux.

Le lecteur aura déjà été frappé, en parcourant les planches, de ces grandes cavités prismatiques, placées à droite et à fauche de la porte d’entrée[28], et dont le fond est vertical. La forme, si bizarre en apparence, de ces longues rainures qui se voient à presque toutes les façades extérieures, a reçu une explication qui satisfait pleinement la curiosité ; car nous la tenons de la main des Égyptiens eux-mêmes. On a trouvé à Thèbes, dans le plus ancien temple, un bas-relief qui représente une entrée pareille : devant chacune de ces cavités, est figuré un grand arbre semblable à un pin dépouillé de ses branches, surmonté d’une très-longue pique et de banderoles, et s’élevant encore au-dessus de ces masses gigantesques. En décrivant Thèbes, on parlera plus en détail de cette espèce de mât triomphal. Ce qui peut donner une idée du soin qu’on a mis dans la disposition et l’exécution de ces rainures, c’est que la face verticale du fond, étant prolongée, passe précisément près du listel de la corniche supérieure : ainsi les mâts que l’on y plaçait venaient s’appliquer contre cette corniche[29]. Il est facile de se figurer le bel effet de ces quatre pavillons qui enrichissaient les longues lignes de l’architecturent et dont la hauteur, à Edfoû, devait excéder cent cinquante pieds : je me bornerai à faire observer que deux fenêtres sont à-plomb de chacune des rainures ; ce sont les fenêtres mêmes des grandes chambres intérieures. Elles fournissaient le moyen de dresser et de maintenir contre la muraille ces tiges colossales ; ce qui se faisait avec deux tourillons mobiles sur un axe, et se joignant en avant par des clavettes[30].

La correspondance des rainures et des fenêtres était une chose importante à faire remarquer, surtout en ce qu’elle résout une question intéressante et difficile qui se présente au sujet de ces dernières. Celles-ci paraissent taillées à travers les sculptures, et, au premier coup d’œil, on les jugerait de beaucoup postérieures au reste de l’édifice : mais cette opinion ne serait pas fondée. En effet, tout les petits jours qui éclairent les escaliers, les portes même qui entrent dans les massifs, seraient tous dans le même cas : or, il répugne à la raison de croire que ces fenêtres, ces jours, ces portes, si utiles, si indispensables au dessein primitif du monument, n’aient été imaginés qu’après coup, et exécutés à une époque plus récente, au risque d’endommager une décoration si dispendieuse. D’un autre côté, l’on y reconnaît le même ciseau qu’ailleurs : les arêtes y sont aussi fines, aussi pures ; les faces des pierres coupées portent la même teinte de vétusté ; enfin, les bords des figures et des ornements sont tranchés net : on ne saurait douter que ces ouvertures ne soient du même temps et de la même main que tout le reste.

Mais comment expliquer l’état de ces figures de dieux fragmentées, état si contraire aux idées que l’on a de l’esprit religieux des Égyptiens ? Il n’y a, je crois, qu’une manière de le concevoir : c’est d’imaginer des portes en bois ou en métal que l’on ouvrait et fermait à volonté. Ces portes étaient sans doute décorées et sculptées de manière à faire suite aux parties voisines de la muraille, et il est inutile d’ajouter qu’elles devraient être parfaitement raccordées pour la vue ; car on connaît l’adresse qu’ont déployée partout les ouvriers égyptiens. Personne ne demandera ce que ces portes sont devenues dans un pays qui manque de bois et de métaux ; je pencherais à croire qu’elles étaient plutôt de cette dernière matière : on sait avec quelle avidité les fellâh et les Arabes ont soustrait les moindres parcelles de métal dans les anciens monumens, témoin les pénibles démolitions qu’ils ont faites pour enlever les tenons qui liaient les pierres.

Je me suis arrêté sur la description de ces fenêtres, parce qu’en général on sait peu de chose sur la manière dont les anciens éclairaient leurs temples ; mais ces jours masqués, s’ouvrant ou se fermant au besoin, ne sont pas sans exemple dans l’antiquité. Il paraît que, dans les temples grecs, la frise était quelque fois percée d’ouvertures qui pouvaient remplir cet office. Dans le premier acte d’Iphigénie en Tauride, on trouve ces paroles que Pylade adresse à Oreste, en lui montrant le temple de Diane, dont ils viennent enlever la statue : « Regarde ces triglyphes ; il faut nous glisser à travers le vide qui s’y trouve. »

Ὅρα δέ γ’ εἴσω τριγλύφων, ὅποι κενὸν

Δέμας καθεῖναι.

Eurip. Iphig. in Taur. act. 1, sc. 2[31].

Si l’on passe à l’examen des deux portiques, on voit que l’épais massif qui les sépare contenait un vide ou couloir destiné à alléger la construction ; des pierres transversales formant bandeaux servaient à unir les deux côtés de la muraille. Ces couloirs sont communs dans les monumens d’Égypte ; et quoique je n’aie pu en découvrir dans les murs latéraux du grand portique, je ne doute pas qu’il n’y en existe également. C’est par une

Si l’on passe à l’examen des deux portiques ouverture fort étroite que j’ai pénétré dans celui qu’on voit dans la gravure[32] : or des trous pareils peuvent s’être bouchés ailleurs.

Je finirai ces remarques sur la construction du grand temple d’Edfoû, en faisant observer la grande proportion des pierres des plafonds : celles de trois mètres de long[33] sont les moindres de toutes ; celles du second portique, à l’entre-colonnement du milieu, ont près de cinq mètres[34] ; enfin, celles du grand portique ont six mètres[35], et leur épaisseur en a près de deux[36] : le poids de l’une de ces dernières équivaut à plus de soixante-dix milliers. Nulle de ces masses énormes n’a quitté sa place, nulle fente ne se voit sous les soffites, nul joint n’est ouvert : tant le choix des pierres était parfait, la coupe soignée, les fondations bien assises.

  1. Voyez pl. 49.
  2. Envir. quatre cent vingt-quatre pieds. Consultez la pl. 50 pour la connaissance exacte des mesures.
  3. Environ deux cent douze pieds.
  4. Cent sept pieds.
  5. Cinquante-trois pieds.
  6. Cent quarante-cinq pieds.
  7. Quarante pieds.
  8. Voyez pl. 61.
  9. Nubiens qui habitent au-dessus de Syène.
  10. Voyez chap. i, §. iv.
  11. Trente-un pieds.
  12. Voyez pl. 50, fig. 1, aux points o, p.
  13. Cinq pieds environ.
  14. Quinze à vingt pieds.
  15. Vingt pieds.
  16. Voyez pl. 55.
  17. J’en ai mesuré une dans la province de Qelyoub qui avait près de trente pieds.
  18. Consultez aussi les planches 75, fig. 5, et 89, fig. 5.
  19. Restes des branches que l’on coupe chaque année.
  20. Dans la pl. 49, qui est d’ailleurs fidèle pour l’aspect général et pour la vérité pittoresque, le graveur a indiqué trop de parties ruinées ou dégradées.
  21. Cent dix pieds.
  22. On a expliqué cette espèce de sculpture égyptienne dans le chapitre i, §. iv.
  23. Voyez le chapitre i, § viii.
  24. Voyez pl. 52. Pococke suppose six étages de chambres. Il est possible qu’il y en eût effectivement plus de quatre ; mais on ne les a pas vus, peut-être à cause de l’encombrement des parties inférieures. Je doute que Pococke y ait pu réussir mieux que nous ; c’est probablement l’analogie qui l’aura déterminé. Il faut remarquer du moins que les deux étages du bas n’auraient pas été éclairés ; car on n’aperçoit à cette hauteur aucune ouverture à la muraille, soit en dedans, soit en dehors, comme on en voit aux autres.
  25. Dix-huit pouces et demi.
  26. On a observé quelques dés qui ne sont pas à-plomb de leurs chapiteaux, et quelques inégalités dans le diamètre des colonnes.
  27. Voyez pl. 52, et l’explication de la planche : la pente de ces massifs est à peu près de 1 pour 11.
  28. Voyez pl. 51.
  29. Pour s’assurer de ce fait, il faut prendre, dans la pl. 51, la hauteur du sommet de ces rainures, la porter perpendiculairement sur une des arêtes obliques dans la pl. 54, puis élever une verticale par le point de rencontre. On trouve que cette verticale passe à trois décimètres du listel, intervalle nécessaire pour la manœuvre des mâts.
  30. Une planche de bas-reliefs du vieux temple de Karnak fera connaître ces détails. Voy. A., vol iii, pl. 57.
  31. Il n’est guère probable que le poëte entendit par-là des trous formés par les canaux des triglyphes, espace trop étroit pour pouvoir y passer ; peut-être est-il question des intervalles eux-mêmes des triglyphes, c’est-à-dire des métopes. Remarquons que le mot de métope, qui vient de μετὰ et d’ὀπὴ, peut signifier aussi bien un trou intermédiaire, que l’intervalle entre deux ouvertures, comme on l’a interprété : ce sens est plus conforme à l’origine de la frise dorique, origine qui suppose que les triglyphes ne sont que les extrémités des solives appuyées sur la poutre principale ou architrave.
  32. Voy. pl. 50, fig. 3, au point ee, et fig. 4, au point gg.
  33. Neuf pieds.
  34. Quinze pieds.
  35. Dix-huit pieds.
  36. Six pieds.