Description de la Chine (La Haye)/Route du Père Fontaney depuis Péking

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Scheuerleer (Tome Premierp. 97-113).


ROUTE

que tint le père de Fontaney depuis Peking jusqu’à Kiang tcheou dans la province de Chan si, et depuis Kiang tcheou jusqu’à Nan king, dans la province de Kiang nan.


Ce fut le 30 mars de l’année 1688 que nous partîmes de Peking pour aller d’abord à Kiang tcheou : c’est un voyage de dix-huit journées médiocres ; les mulets que je louai ne revenaient qu’à douze francs chacun, sur quoi le muletier est obligé de les nourrir et de se nourrir lui-même. Je vins coucher à Teou tien village qui est à 80 lis de Peking[1].

Le 31 je passai pas Tso tcheou, où je pris la route de Chan si. On ne saurait croire la multitude prodigieuse de monde qu’on trouve sur le chemin : les rues de nos meilleures villes d’Europe, ne sont pas si battues. Nous fîmes huit lieues pour gagner Ting hing hien : c’est une ville carrée, qui a 500 pas du nord au sud, sur environ 400 pas est ouest, les murailles sont de terre, les créneaux de brique.

Un peu avant le village de Pe keou, qui est à 20 lis au-delà, on passe une rivière sur un pont de bois couvert de terre. Cette rivière court vers l’orient, et traîne beaucoup de sable. Toujours grand monde sur ces chemins qui sont fort larges, et plantés d’arbres depuis Peking de part et d’autre avec des murailles pour couvrir et conserver la campagne. En moins d’une lieue on trouve deux ou trois villages, sans parler de ceux qui se voient de tous côtés dans la campagne. En passant dans un de ces villages, je vis des marionnettes semblables en tout à celles d’Europe, même pour la voix : il n’y avait de différence que pour les vêtements.

Le 1er avril j’allai de Pe keou à Cou tchin tien, qui en est éloigné de trente lis sud ouest 1/4 ouest. Entre ces deux termes on trouve trois villages. De Cou tchin tien gros bourg à Pai ta fou où il y a à gauche une tour, 20 lis : deux villages entre ces deux termes. De-là à Gan sou hien, 10 lis. On passe au milieu de cette ville : elle a trois cent cinquante pas est ouest sur quatre cents nord et sud. Ses murailles sont de terre et les créneaux de brique. A l’entrée du faubourg on voit un pont de pierre sans appui sur un petit ruisseau.

De Gan sou à Sou ho 40 lis. A la sortie de ce village on passe un beau pont de trois arches et de 20 poteaux de chaque côté : il est de marbre grossier. De là à Pao ting fou ville où réside le viceroi de la province de Pe tche li, 10 lis. Elle est à peu près carrée, et a plus de 4.000 pas de circuit ; on la laisse à gauche, et vis-à-vis l’angle de la muraille on trouve un beau pont à trois arches de marbre grisâtre. Ce pont est sur une petite rivière formée de deux petits ruisseaux, dont l’un vient de l’ouest, et l’autre du nord. La route vaut le sud-ouest par estime. Le chemin est très beau, planté d’arbres comme une allée de jardin, avec une multitude de monde inconcevable.

Le 2 on va droit à l’est environ 10 lis jusqu’à Ta sie pou ; un peu avant ce village on laisse à droite une petite tour dans la campagne. A 10 lis de là autre bourgade nommée Ta ki tien, dans laquelle il y a trois petits ponts de pierre : route au sud-ouest, 10 lis jusqu’à un autre bourg ; dix autres lis jusqu’à Kin yan y, et de là à Tan chun kiao grosse bourgade, au milieu de laquelle il y a un beau pont d’une arche, 30 lis.

Après avoir fait encore 30 lis, on trouve la ville de Kin tou hien au travers de laquelle on passe : elle n’est pas carrée, et n’a guère plus de 1.200 pas de tour. Ses murailles ressemblent à celles des autres villes. A la sortie de cette ville on voit un bel arc de triomphe de marbre blanc avec quatre lions. De là à Tsin fong tien grosse bourgade où je couchai, 20 lis.

J’ai passé ce jour-là depuis Pao ting, entre quinze ou seize tant villes que bourgs et villages, qui sont remplies d’hôtelleries pour loger cette quantité surprenante de gens qui couvrent ces chemins. Environ 10 ou 15 lis après Pao ting le chemin est relevé des deux côtés par des banquettes assez larges, ce qui fait que le milieu forme une espèce de canal qui paraît humide en quelques endroits : du reste il est droit, large, et uni, ce qui joint aux arbres qui le bordent des deux côtés, présente de belles avenues devant les villages, dont il est coupé de demie lieue en demie lieue. Il y a des endroits où ces arbres sont grands, et d’autres où ils n’ont été plantés que depuis un ou deux ans. Il y a de l’apparence que ces belles avenues avaient été ruinées pendant la guerre. Mais rien n’est plus agréable, et on voit de tous côtés une campagne très belle et très bien cultivée.

Il y a si peu d’arbres dans cette campagne, que l’horizon paraît souvent comme une vaste mer. On est même agréablement trompé dans les endroits où l’horizon est terminé par des arbres, car il semble que le pays est inondé, ou qu’on voit un grand lac, les vapeurs par leur épaisseur réfléchissant assez de lumière, pour faire paraître une blancheur semblable à celle de l’eau aperçue de loin ; mais il faut pour cela que l’horizon soit terminé par un fond obscur, tels que sont les arbres ; autrement cette lumière faible et réfléchie, venant à être comparée à une autre lumière plus vive, perd sa force. On dirait même que l’ombre des arbres paraît dans ces vapeurs, comme si elles avaient assez d’épaisseur pour produire le même effet que produit un miroir.

Le 3 je fis 10 lieues au sud-ouest jusqu’à un village. Dix lis au sud-ouest 1/4 sud jusqu’à un autre village, après quoi on passe une petite rivière sur un pont de bois couvert de terre. De ce village à Ting tcheou dix lis au sud-ouest. Cette ville est du moins aussi grande que Pao ting. Après avoir traversé quatre villages, j’allai dîner à Min yue tien grosse bourgade éloignée de 60 lis de Tsin fong tien, la route toujours au sud-ouest 1/4 sud ; à trois lis au-delà la route ouest sud-ouest, et après trois ou quatre lis au sud-ouest 1/4 ouest.

A trente lis de Ting tcheou, on trouve Sin lo hien petite ville qui m’a paru n’avoir guère plus de 1.200 pas de tour : elle est presque carrée. Un peu après la ville, on passe sur trois ponts de bois couverts de terre, une petite rivière qui court au nord-est, et qui dans les crues d’eaux inonde un lit de trois ou quatre lis. Après avoir traversé quelques villages et un pont de pierre à dix-huit poteaux de chaque côté, on arrive à Fou tching y, grosse bourgade où il y a poste impériale, comme le marque le mot y ; elle est éloignée de Sin lo de 45 lis.

Le grand chemin au lieu de banquette était fermé par deux petits canaux, qui laissaient un peu d’espace entre les murailles de terre dont le chemin est toujours bordé. Le chemin est le plus beau et le plus agréable qui se puisse voir, large d’environ cent pieds. Il a été aujourd’hui de terre sablonneuse.

Le 4 de Fou tching y à Tching ting fou, route au sud-ouest 1/4 sud, 60 lis. Cette ville a près de 4.000 pas de circuit ; sa forme est un carré long, ou peu s’en faut ; les murailles belles. Nous en côtoyâmes un morceau qui a au moins trois lis allant au sud-ouest. Depuis l’angle jusqu’à la porte je comptai dix-sept tours carrées.

A six ou sept lis de Tching ting on passe le Hou to ho, c’est une rivière large de deux cents pas qui vient de l’ouest et court vers le sud-est. Ses eaux sont troubles comme celles du Hoang ho. Après avoir passé cette rivière le grand chemin se partage. Nous quittâmes celui des provinces de Se tchuen, d’Yun nan, de Ho nan, etc. pour prendre celui de Chan si et de Chen si. Comme ce chemin répond à tant de provinces, il n’est pas surprenant d’y trouver cette foule prodigieuse de voyageurs.

Je vins coucher à Ho lou hien, ville fort peuplée de 1.400 pas de circuit, environ à 40 lis de Tching ting. Elle est placée derrière une petite montagne sur laquelle on passe avant que d’y arriver. Du haut de cette montagne on découvre un des plus beaux pays du monde. Tout est uni comme une glace jusqu’au pied des montagnes, qui sont sans arbres et sans buissons. Les faubourgs de Ho lou sont grands par rapport à la ville : on y travaille en fer et en poterie.

Le 5 j’entrai dans les montagnes, et après avoir fait 40 lis à l’ouest sud-ouest j’allai dîner à Iu tchoui pou gros bourg sur la rive orientale d’une rivière qu’on passe sur un pont. Avant ce bourg on trouve un beau pont d’une seule arche. Après avoir traversé la rivière qui court ici vers le nord, on trouve trois petits ponts de pierre sur autant de torrents. On côtoie la rivière en la laissant à gauche. A 15 lis on repasse la rivière sur un pont semblable au précédent, et au bout de 15 autres lis on arrive à Tchin king hien.

C’est une ville de douze cents pas de tour, située sur une colline ; les murailles faites de brique en sont belles, excepté le morceau qui est sur la colline, et qui me parut de terre. Le haut est vide, et le bas est habité. Les faubourgs valent beaucoup mieux que la ville. On la laisse à droite. De là à He taou tien où j’allai coucher, 25 lis. On est dans les montagnes qui sont médiocrement hautes : le chemin est rude, parce qu’il faut toujours monter, descendre, ou tourner. On y voit une quantité étonnante d’ânes et de mulets chargés de poterie, d’écorce broyée pour faire des pastilles, de coton, de toile, de peaux, et surtout de fer mis en œuvre qui vient de Lou ngan fou, ville de la province de Chan si. Sur la rivière que nous avons côtoyée, on voit plusieurs moulins, qui servent à broyer les écorces dont on fait des pastilles.

A 30 lis de Ho lou, après avoir traversé la bourgade de Tchan ngan, on passe une assez haute montagne qui a bien cent pas de perpendicule, sur le sommet de laquelle il y une pagode : on marche sur deux grands plans inclinés, pavés de pierre. De toutes parts on ne voit que montagnes presque sans vallées, mais ces montagnes sont peu hautes, et cultivées jusqu’au sommet. Pour empêcher que les pluies n’emportent les terres, et pour retenir l’eau, elles sont coupées en terrasses qui sont soutenues par des murailles sèches, bâties des pierres mêmes dont la terre était couverte. On voit là des familles entières de Chinois qui habitent dans des grottes : car la Chine a ses troglodytes aussi bien que l’Égypte.

Enfin tout est aussi peuplé qu’il le peut être. Il ne paraît ni arbres ni arbrisseaux sur les montagnes ; le peu d’herbes et de bruyères qu’elles produisent, est aussitôt arraché pour nourrir les animaux, et pour l’entretien des fours à chaux qu’on voit en quantité sur la rivière. La route au sud-ouest 1/4 ouest.


Province de Chan si.

Le 6 après avoir marché 40 lis, on trouve un village où est la douane. J’en fus quitte pour un billet de visite, et mes ballots ne furent point examinés. C’est à cette douane que finit la province de Pe tche li, et que commence celle de Chan si. Le village est fermé par deux grandes arcades de pierre qui coupent le chemin, lequel est entre des montagnes escarpées. Là, on voit une muraille qui, suivant les contours des vallées et des montagnes, coupe ce même chemin. Je ne sais pas jusqu’où elle s’étend, parce que je n’en pus voir le bout d’aucun côté. Elle est de pierres grossièrement taillées, mais bien cimentées ; de distance en distance elle est flanquée de tours carrées de brique, qui me parurent aussi entières que si elles eussent été bâties tout récemment. La muraille, en y comprenant les créneaux, peut avoir dix à douze pieds de haut, sur trois à quatre d’épaisseur. Il y en a de grands pans encore tout entiers, d’autres qui sont renversés, d’autres où il ne manque que les créneaux. Au reste cette hauteur de dix pieds est partout la même, soit dans les vallées, soit sur les montagnes, et quand on dit qu’elle est élevée de cent pieds et davantage, on y comprend les montagnes.

A vingt lis de la douane, je vins dîner à Pe tchin y gros bourg. A cinq lis après l’avoir passé, on entre dans un chemin de dix pas de large bordé de montagnes assez escarpées, et qui ont environ soixante pas de perpendicule. Après avoir fait 50 lis, j’arrivai à Ping ting tcheou. Cette ville a environ 2.000 pas de tour : la partie du nord située sur une colline est déserte, le reste est fort peuplé. Le faubourg de l’ouest est grand, on passe au travers de la ville dans une rue qui est de trois cents pas géométriques. J’y ai compté vingt-huit arcs de triomphe, les uns tout de bois avec des bases de pierre, d’autres dont les bases et les colonnes sont de pierre : il y en avait quelques-uns de fort beaux. On en voit encore six dans le faubourg occidental. Cette ville est située dans une plaine au milieu des montagnes. Deux lieues avant que d’y arriver, le chemin commence à être beau ; le haut des montagnes se laboure avec des bœufs. On voit des villages dans des grottes, ou plutôt dans des trous qu’on creuse exprès ; ce sont des chambres assez propres, longues de 20 pieds, et larges de 10 à 12. J’ai passé par quatorze villages, sans y comprendre les deux termes. La route au sud-ouest 1/4 ouest.

Le 7, en sortant de Ping ting, on va nord en montant peu à peu durant sept à huit lis jusqu’à un village, après lequel est une descente assez raide. On trouve au bas un autre village. Durant quinze lis on marche au nord-ouest. A 23 lis on passe un ruisseau qui court à l’orient. A 25 lis un village où l’on tourne à l’ouest-nord-ouest. A 40 lis autre village où l’on tourne à l’ouest sud-ouest durant deux lis. Ensuite au nord-ouest durant 12 lis, puis 6 lis à l’ouest jusqu’à Sin tien où je dînai, qui est éloigné de 60 lis de Ping ting.

De Sin tien 4 lis à l’ouest. Ensuite 6 lis à l’ouest nord-ouest jusqu’à un village. A 14 lis on passe un ruisseau qui vient du nord et qui entre dans celui que je côtoie. A 20 lis bourgade. A 4 lis au-delà on grimpe une montagne fort raide. Là finit le chemin pierreux et tout à fait incommode. Le haut de cette montagne, et de toutes celles qu’on découvre aux environs, est très bien cultivé, et c’est un agréable spectacle de les voir toutes coupées en terrasses depuis le pied jusqu’au sommet.

De là à l’ouest jusqu’à Cheou yang hien en descendant peu à peu. Cette ville est distante de Sin tien de 40 lis. Un li avant que d’entrer dans le faubourg, on laisse à gauche une tour à 300 pas du grand chemin au-delà de la vallée, où court la rivière que je côtoyais.

On voit dans ce canton quantité de villages et de petits hameaux. On laisse la ville à droite ; elle a bien 1.500 pas de tour. Ses murailles sont bien entretenues.

Le 8 je fis 45 lis à l’ouest nord-ouest. A 40 lis de là on trouve un hameau où l’on quitte le chemin qui conduit à Tai yuen fou, capitale de la province de Chan si, pour prendre la route de Pin yang fou. On fuit ce chemin au sud-ouest ¼ sud. A trente-trois lis de cette séparation finissent les montagnes qui ont été tout le jour de terre bien cultivée, et où l’on voyait quantité de hameaux ; tout est plein de précipices formés, ou par les torrents qui ont emporté les terres, ou, ce qui est plus vraisemblable, par les tremblements de terre qui s’y font sentir assez souvent : car la plupart du temps je voyais de grands gouffres entourés de tous côtés de telle sorte, que les eaux ne peuvent y entrer, ou du moins qu’elles ne peuvent en sortir.

Ce qu’il y a d’admirable, et ce qu’on remarque en plusieurs endroits de cette province, c’est qu’on trouve quatre et cinq cents pieds de terre solide en profondeur sans la moindre pierre, ce qui ne contribue pas peu à sa fertilité. J’allai coucher à Ouan hou tching après avoir fait 120 lis sur les montagnes. Tout était glacé le matin, et même la petite rivière : il faisait un froid très piquant, et le soir la chaleur était extrême.

Après ces montagnes on entre dans une plaine très belle, très unie, et fort peuplée. Ici les montagnes forment un grand bassin, laissant une grande ouverture depuis l’ouest jusqu’au sud-ouest. Ces montagnes sont à quatre lieues du côté de l’occident, et à un peu moins du côté du sud-ouest.

Le 9 au sud-ouest 1/4 ouest : à six ou sept lis de ce chemin on laisse au sud la ville de Yu tse hien. Elle a quatre portes, et paraît carrée. A douze lis une bourgade entourée de murailles de terre. Là on passe un ruisseau qui court vers l’occident. A 15 lis on passe un autre ruisseau qui court pareillement vers l’occident, à 26 lis un village ouest sud-ouest. A 36 lis un ruisseau qui court au nord. A 43 lis un village, et après ce village route à l’ouest sud-ouest. A 46 lis une rivière qu’on passe sur un pont de bois couvert de terre : elle court à l’occident, puis tourne aussitôt au nord. A 52 lis un village, et de là au sud-ouest durant huit lis jusqu’à Siu kiou hien où je dînai, après avoir fait ce matin-là 60 lis.

Cette ville a du nord au sud environ 400 pas, et moins de 200 est ouest. Ses murailles de brique sont belles ; celles qui entourent le faubourg ne sont que de terre avec des créneaux de brique. Après avoir marché encore 45 lys, et passé par plusieurs villages, j’allai coucher à Kia lin. Ces villages sont autant de petites villes, et il y en a qui valent mieux que plusieurs hien. Cela joint à la beauté de la campagne qui est unie comme une allée de jardin, et aux bouquets d’arbres qui entourent les villages, fait un aspect très agréable. En plusieurs endroits de cette plaine à 1.500 pas à la ronde, on voit tout à la fois jusqu’à 12 villages ; de plus loin on en compte quelquefois jusqu’à 20 ; chacun de ces villages a plusieurs tours carrées de brique assez hautes.

Le 10 la route au sud-ouest, je fis 15 lis jusqu’à Ki hien que je laissai à gauche, en passant par le faubourg de l’ouest qui est grand, et fermé de murailles de terre. Les murailles de la ville sont de brique et très belles, avec des tours de distance en distance, et des corps de garde. Elle peut avoir 1.200 à 1.500 pas de circuit. La route ensuite au sud-ouest 1/4 sud ; on traverse plusieurs villages ; à 42 lis on laisse à gauche un fort beau temple dédié à Yu hoan Chanti. De là route à l’ouest sud-ouest ; je dînai à Ouli tchoüan, grand village qui est à 60 lis du lieu d’où j’étais parti.

A dix lis de ce village je laissai à gauche Pin yao hien belle ville qui a 1.500 à 2.000 pas de tour. Elle est carrée, ses murailles de brique sont très belles et flanquées de tours carrées de distance en distance. J’en comptai 80, et entre chaque tour 22 créneaux. Au milieu des quatre pans de murailles il y a quatre portes.

La route fut ensuite au sud-ouest. Après avoir fait 60 lis, et traversé plusieurs bourgades, j’allai coucher à Tchan tsuen ; grand monde sur le chemin avec une poussière affreuse très incommode pour les voyageurs. Depuis deux jours les terres paraissent un peu plus grasses, plus noires, et plus fortes, moins de tours dans les villages, mais en échange ils sont la plupart entourés de murailles de terre avec des créneaux de brique, et ont des portes souvent doubles, épaisses, et couvertes de lames de fer avec de gros clous.

Le 11 à 14 lis une belle pagode qu’on laisse à main droite. Route à l’ouest sud-ouest. A 20 lis de là Kiai hieou hien, belle ville et fort peuplée. On passe par le faubourg du nord, qui est une seconde ville fermée de murailles. A dix lis de cette ville allant à l’ouest sud-ouest on trouve un pont et une pagode, et à 20 lis un autre pont sur la gauche, et deux villages entourés de murailles qu’on prendrait pour des villes. Ils sont à cent pas du chemin.

Là on tourne au sud-ouest en côtoyant une petite rivière qu’on laisse à la droite, et qui se nomme Fuen ho. Elle prend sa source dans le territoire de Tai yuen fou, ses eaux sont jaunes et bourbeuses comme celles du fleuve Jaune. Ici on rentre dans les montagnes. Je marchai néanmoins dans une vallée de 1.000 à 1.500 pas de large. A 30 lis gros village, à la sortie duquel route au sud sud-ouest. Vis-à-vis à la droite un beau pont de pierre sur le Fuen ho de douze petites arches, aussitôt après à gauche une pagode et deux villages sur de petites montagnes.

Enfin après avoir fait 60 lis, et passé plusieurs gros villages, je dînai dans un gros bourg, et ayant fait 20 autres lis, j’arrivai à Ling che hien. Cette ville occupe presque toute la largeur de la vallée, quoiqu’elle ne soit pas bien grande, car elle n’a guère que 150 pas est-ouest, sur 300 pas du nord au sud. On la laisse à la droite ; le Fuen ho baigne ses murs du côté de l’occident.

A dix lis de la ville, toujours route au sud : il y a un village à droite au pied duquel on passe : il est sur une butte. Là on quitte le Fuen ho qui se jette à l’ouest dans une vallée, et on laisse au sud-est un lit de torrent large et fort pierreux, pour commencer à grimper une montagne, qui me parut avoir environ cent pas de perpendicule sur le niveau du Fuen ho. La montée est rude.

A vingt lis au haut de la montagne on trouve un hameau, d’où l’on descend durant cinq lis jusqu’à une pagode où il y a une grande arche de pierre sur un torrent : ensuite on remonte durant cinq autres lis, puis on descend encore jusqu’à Gin y où je couchai, qui est à 40 lis de Ling che hien. On trouve un monde infini sur le chemin. Le vent était si fort que ma mule repoussée ne pouvait quelquefois avancer. La poussière obscurcissait le soleil, en sorte qu’à midi on ne voyait que comme au travers d’un épais brouillard.

Toutes les montagnes sont cultivées jusqu’à leur sommet, et coupées en terrasses. Les abîmes et les précipices sont également cultivés, il y a peu de pierres dans ces montagnes et elles sont de terre solide. Les 30 derniers lis sont au sud sud-ouest.

Le 12 je fis trois à quatre lis au sud-ouest 1/4 ouest, après quoi je passai une montagne allant au sud sud-est. A quinze lis de Gin y sur le haut de la montagne est un village. On descend ensuite en allant au sud jusqu’à 25 lys. De là à l’ouest. A 48 lis on trouve une pagode au pied de la montagne, de là on entre dans une vallée, dont le Fuen ho arrose le côté droit : elle a bien 600 pas de large.

Enfin après avoir fait cette matinée-là 60 lys j’allai dîner à Tcho tcheou. A l’entrée de la ville on passe un ruisseau sur un petit pont de pierre ; on voit à gauche un bœuf de fer fondu. La ville a 200 pas est-ouest sur 400 nord et sud. Le Fuen ho passe au pied. De-là route au sud, où l’on voit une pagode, puis on remonte une montagne.

A 36 lis une autre pagode à gauche ; on trouve une plaine charmante sur le haut de la montagne, qu’on descend après avoir fait cinq lis, et la route est au sud sud-ouest. On rentre dans une vallée semblable à la précédente, ou l’on retrouve le Fuen ho qu’on laisse toujours à droite.

Enfin après avoir fait 60 lis je vins coucher à Tchao tching hien. Cette ville a 300 pas nord et sud, sur 200 est ouest. Elle est fort peuplée, j’y vis un bel arc de triomphe de pierre bien taillée. Toujours grand monde sur le chemin ; la terre très bien cultivée. Sous ces montagnes on trouve des mines de charbon de terre ; on en tire sans cesse ; il peut bien se faire que ces mines étant épuisées, les terres s’affaissent, et forment ces gouffres horribles qu’on voit. C’est néanmoins un spectacle charmant, que de voir du haut d’une montagne les montagnes d’alentour, qui sont sans nombre, et toutes terrassées, et couvertes au printemps d’un beau tapis vert. Il y a de ces précipices qui laissent à peine trois ou quatre pas de largeur pour le chemin.

Le 13 route au sud. A trois lis de la ville on passe une petite rivière, qui se jette dans le Fuen ho, après quoi on laisse un village à gauche ; à quatre lis route au sud-ouest, et à dix lis un autre village où l’on monte une colline. A 18 lis on trouve un gros village où l’on descend dans une belle plaine. Au bas de cette descente est un beau pont de trois arches de pierre sur un ruisseau. Cinq lis auparavant la route au sud sud-ouest.

Après avoir passé quelques villages, et un beau pont de dix-huit pas en côtoyant toujours le Fuen ho, on arrive à Hong tong hien qui est à trente lis. Cette ville à dix-huit cents pas de circuit ; on la traverse ; à l’angle du nord ouest on trouve une pagode avec un obélisque. Durant quatre mille pas c’est un village presque continuel le long de la colline. Cette plaine qui a plus de quarante pieds au-dessous de la précédente, a au moins mille pas de large jusqu’à la rivière.

A la sortie de la ville on passe sur un beau pont de dix-sept arches qui a soixante pas de longueur. Les piles sont de pierres de taille liées avec de grosses clefs de fer : les éperons en sont gros et forts : sur les éperons on voit différentes figures d’animaux couchés en saillie, et arrêtés par des barres de fer rondes, et de trois pouces de diamètre, parmi lesquels il y a quelques lionceaux. Il est pavé de gros quartiers de pierres posés sur des poutres.

A trois lis de Hong tong est un village où l’on tourne au sud-ouest 1/4 ouest ; à treize lis gros bourg à droite, et à trente lis autre gros bourg à la sortie duquel se voit un beau pont de pierre à appui de trois arches sur un gros ruisseau. Je passai deux autres villages et deux ponts qui étaient sur le Fuen ho.

A cinquante lis je dînai dans une grosse bourgade où l’on voit un beau pont de pierre de sept arches, avec des appuis de panneaux de pierre coulés dans les rainures des poteaux : ces panneaux sont ornés de bas reliefs, de caractères chinois, et de quatre gros lions aux quatre coins ; il est long d’environ 60 pas.

A 60 lis est la ville de Pin yang fou, qui a plus de 4.000 pas de circuit. Là un pont de bois sur le Fuen ho, ensuite route au sud-ouest. Après avoir fait 10 lis et passé quelques villages, je vins coucher à Tsiang leng hien. A l’entrée de cette ville est un pont à appui couvert d’un toit porté sur des colonnes de bois. Elle est fort peuplée.

Je marchai tout le jour dans des plaines très agréables et très unies, quoique de différent niveau. Il n’y a pas un pouce de terre qui ne soit cultivé. Tout y était déjà vert, ce que je n’avais vu nulle part ailleurs. Cela vient sans doute de la multitude des ruisseaux qui descendent à droite et à gauche des montagnes, dont les eaux sont si bien ménagées, que tout le monde y a sa part.

C’est un fort beau paysage que ces montagnes pleines de blé, de légumes, d’arbres et de villages, dont le nombre surprend. Comme les blés sont semés en planche, toute cette étendue de pays paraît être un jardin. J’y vis beaucoup de ces arbres qu’ils nomment Tsai tze : la fleur en est jaune, et on en tire de l’huile à brûler. Après avoir passé le Fuen ho on trouve du riz semé sur ses bords qui sont marécageux. Toujours grand monde sur le chemin, et les campagnes couvertes de laboureurs qui y sèment des légumes.

Le 14 route au sud-ouest 1/4 sud : après avoir marché trente-sept lis dans un pays semblable à celui du jour précédent, je passai un pont de cinq belles arches de pierre, sur un torrent qui court entre deux bourgades ; aux deux bouts il y a deux arcs de triomphe de bois. A quarante lis est un pont de trois arches, et à soixante lis la ville de Tai ping hien. Elle est petite et n’est pas fort peuplée, mais elle a un assez grand faubourg : un peu avant que d’y arriver, on voit un pont couvert d’un toit qui porte le nom d’arc-en-ciel volant ; c’est un gros treillis de poutres qui est soutenu en l’air par plusieurs arcs-boutants de bois, lesquels portent sur une banquette de pierre pratiquée dans l’épaisseur de deux culées de pierre. Les Chinois en admirent l’artifice, et c’est apparemment pour cela qu’ils lui ont donné ce nom bizarre. Il est long de sept ou huit pas ; c’est l’ouvrage d’un habile charpentier.

A sept lis on trouve encore un pont de pierre ; ensuite la route est sud sud-ouest jusqu’à Kiang tcheou, où j’allai coucher. Cette ville est de 3254 pas, et est située sur la rive droite du Fuen ho. Elle n’a que deux portes, parce qu’une partie est sur une éminence. Depuis Peking jusqu’ici, je me suis servi, autant qu’il m’a été possible, d’une bonne boussole pour marquer la route.

A Pin yang fou je quittai le grand chemin qui mène dans la province de Chen si. Je n’ai point parlé des hôtelleries de cette route, parce qu’elles sont semblables à celles dont j’ai déjà parlé dans la route de Ning po à Peking. Les maisons, destinées à recevoir les mandarins, qu’on nomme cong quan, n’ont rien de remarquable. C’est beaucoup si lorsqu’ils passent, ils y trouvent le nécessaire. Mais ils ont leurs propres domestiques, qui achètent et préparent tout au gré de leur maître.

Ce fut le 5 de mai que je partis de Kiang tcheou pour Nan king. Cette ville est placée, comme je viens de le dire, sur une hauteur. La rivière court en bas dans une belle plaine bien cultivée qui porte du blé. Je la passai sur un pont de bois. Des hommes qu’on trouve là portèrent ma litière sur leurs épaules de l’autre côté de la rivière, au lieu de mulets qu’on avait détachés, peut-être parce que le pont est étroit et faible. Les chrétiens m’attendaient au bord de la rivière, ils y avaient mis une table, et une collation sur la table même, selon la coutume du pays, pour prendre congé de moi. Je goûtai seulement de leur vin pour ne les pas attrister.

Le 6 j’allai dîner à Itchin hien 50 lis route à l’est. Je passai par cinq villages, dont quelques-uns sont entourés de murailles de terre. Dans le dernier on fait de la brique. En sortant je passai par un chemin creux, où plusieurs charrettes qui venaient firent un embarras. Les Chinois ne s’emportent point dans ces rencontres, mais ils s’entr’aident mutuellement et sans bruit à se débarrasser. J’avais toujours les montagnes à droite.

Itchin est de la dépendance de Pin yang fou. Les murailles en sont de terre avec des parapets de brique. Toute la campagne est cultivée, et proche la ville on voit plusieurs sépulcres. On ne vendait point de viande à Itchin, le mandarin de la ville l’avait défendue, afin d’obtenir de la pluie par cette espèce de jeûne. Les Chinois ne mangent alors que du riz, des légumes, et de ce qui n’a pas vie. Les mandarins ont dans leurs maisons de la volaille qu’ils font tuer, et on ne laisse pas de vendre de la viande en secret ; car à Kiang tcheou où l’on avait fait la même défense, on n’en manquait point, et on ne la vendait guère plus cher que dans un autre temps. Je demeurai dans cette ville le reste du jour à cause du mauvais temps, et parce qu’il n’était pas possible de se rendre à la couchée.

Le 7 je fis 40 lis, et j’allai dîner à un gros village ; route est sud-est. Un quart de lieue après Itchin, on entre dans les montagnes qui sont toutes de bonne terre ; la montée en est rude. À droite et à gauche, jusque dans les précipices, tout est cultivé et semé. Au-dessus des montagnes est une plaine cultivée avec des hameaux et des arbres de tous côtés ; on y voit quelquefois des terrasses les unes sur les autres de quatre ou cinq pieds de terre labourée. Il paraît que c’était des sommets de montagnes que les Chinois ont coupé pour y semer du blé. On trouve grand monde sur cette route, et l’on voit des montagnes qui prennent l’occident, le midi, et l’orient : elles font plus d’un demi cercle.

J’allai coucher à quarante lis dans un bourg nommé Ouan tchai : route sud-est. A une lieue de Leou hou on trouve d’autres montagnes à passer : elles sont pierreuses et incultes, excepté dans quelques vallées. Une lieue plus loin on en monte une autre, dont la descente est si raide, que je fus obligé de mettre pied à terre. Je rencontrai plusieurs hommes, qui voituraient sur des ânes et des mulets des chaudrons de terre couleur de fer. Tout ce pays est pauvre, et le chemin difficile.

Le 8 je vins dîner dans un hameau à quarante lis : route sud-est, toujours entre les montagnes dans une vallée. Le chemin pierreux, mais uni sans monter ni descendre. Je passai par un hien nommé Tsin choui. C’est une petite ville, dont les murailles sont de brique. Après cette ville on trouve à droite et à gauche deux tours sur la cime des plus hautes montagnes. Du reste quelques hameaux le long du chemin. A la dînée on nous servit dans des plats de faïence, mais plus grossière que celle d’Europe.

A la sortie de cette ville on a à grimper une montagne où l’on trouve des hameaux. Il faut compter sur une heure de chemin très difficile : les chariots ne peuvent y monter ni en descendre : il y a des endroits dans le chemin si étroits, qu’ils risqueraient de tomber dans des précipices. Ces endroits sont incultes.

Vient ensuite un chemin uni et des terres labourées, et l’on passe deux ou trois villages. On se trouve néanmoins comme dans une vallée, car on a d’autres sommets de montagnes plus élevées à droite et à gauche. Je couchai à Leou tchouen, bourg assez passable, dont les maisons sont de brique. 40 lis route sud.

Le 9 je vins dîner à un petit village, 40 lis, route au sud sud-est ; je passai par trois villages et par quelques hameaux. Un de ces villages se nomme Yi tchin. On y fait de ces poteries, ou chaudrons de terre couleur de fer, que j’ai vu porter sur ma route. Le chemin est uni dans un vallon enfermé : les sommets des montagnes n’y paraissent plus que comme des collines.

Ce vallon est pierreux, cultivé de part et d’autre, et planté d’arbres qui donnent de l’ombre. L’eau coule par le milieu entre les cailloux, et fait un ruisseau suffisant pour désaltérer les animaux, et pour arroser les terres. Au sortir de ce lieu les hommes et les chevaux montent une montagne fort rude : les chaises et les litières la côtoient encore dans la vallée plus d’une demie lieue, pendant lequel temps on passe deux villages : dans le premier on fait beaucoup de ces poteries de terre, dont j’ai parlé. Après le second il me fallut grimper la montagne par un chemin fort raide ; les terres y sont semées de tous côtés, les chemins étroits où les charrettes ne peuvent passer. Sur une pointe de montagne on voit une espèce de château ruiné, dont il ne reste que les murailles.

Je descendis ensuite dans un vallon, où se trouve un pont de pieux sur un torrent ou petite rivière de couleur jaune, puis je montai une autre montagne ; après quoi les terres sont fort belles et toutes labourées, les collines coupées en terrasses jusqu’au sommet, et chaque terrasse semée ; j’en ai compté plus de quarante les unes sur les autres ; plusieurs sont soutenues de murailles faites des pierres qu’on a tirées des montagnes mêmes : ces terrasses se voient de tous côtés à deux et trois lieues : le pays est diversifié d’arbres, de maisons, et de pagodes placées sur des hauteurs.

A cinq ou six lieues à droite, je voyais des montagnes beaucoup plus hautes que celles où je me trouvais. Il est vraisemblable que les Chinois ont aplani la plupart de celles-ci par le haut, afin de les ensemencer, ce qui est un rude travail. J’allai coucher à Tcheou tchouen, c’est un bourg assez joli, fermé de murailles de brique. Quarante lis route au sud sud-est.

Le 10 je fis 45 lis pour aller dîner au village de Li tchouen. Je crois que la route était sud-est, le soleil ne paraissant pas pour en juger. J’ai monté et descendu trois montagnes, et passé cinq gros villages, outre trois ou quatre que je voyais à droite. La première montagne n’est pas si raide à monter : on trouve au-dessus de belles terres labourées ; la descente en est rude. La seconde montagne est plus raide, on se voit au milieu des collines labourées et coupées en terrasses, j’en ai compté plus de cent en une seule colline. Ces terrasses sont larges de 20 et 30 pieds, quelques-unes de 12 et encore moins, selon la pente de la colline.

Après avoir marché ainsi plus d’une lieue, ne voyant que des collines, semées, et des bouquets d’arbres, on monte d’autres collines pierreuses : les chemins y sont pavés de gros cailloux mais très inégaux. Sur ces collines toutes les terrasses sont revêtues de pierre durant à peu près une demie lieue. Ces pays labourés et cultivés avec tant de travail, donnent encore plus d’idée de l’industrie chinoise, que les mines de Kiang nan, de Chan tong et de Pe tche li.

Après ces collines, les montagnes commencent à être stériles, excepté dans les bas, où la terre est cultivée ; j’y ai vu des endroits où les Chinois commençaient à faire des terrasses ; ils tirent toutes les pierres, et les mettent en monceaux pour en construire des murailles, après quoi ils aplanissent la bonne terre qui reste, et la sèment.

La troisième montagne est encore plus rude que les deux autres : il m’a fallu mettre deux fois pied à terre en descendant ; quand il a plu ces chemins sont impraticables, parce que le caillou y est très glissant. J’allai coucher à Tsin tchao gros village.

Au sortir du lieu de la dînée on monte une montagne ; le reste du pays est beau et uni ; ce sont de tous côtés des collines labourées, remplies d’arbres, et grand nombre de terrasses revêtues. Je passai par six ou sept villages, dont quelques-uns sont assez grands, et dont les maisons sont de brique ; j’en voyais d’autres dans le fond aux pieds des collines. On trouve sur la route quantité de mulets et d’ânes chargés de marchandises qui viennent des provinces de Ho nan et de Kiang nan.

Le 11 j’allai dîner à un village nommé Tchan pin ; quarante lis route sud-est. Ce village est de la province de Ho nan. J’ai passé cinq ou six petits villages ou hameaux. En partant on monte une colline, après quoi l’on descend toujours. On trouve un chemin fait parmi les rochers, le long des montagnes, en forme de terrasse, revêtu de pierre et pavé de même ; il est large de dix à douze pieds et a beaucoup de pente ; en temps de pluie il est si glissant qu’il est impossible de le descendre.

Il y a sur cette route deux ou trois petits forts pour en défendre le passage, dont un a de grosses murailles sur lesquelles on peut ranger des soldats ; on commence à voir de dessus ces collines les plaines de Ho nan. Dans les endroits où les montagnes ne sont point rochers, tout est cultivé. On trouve grand monde sur ce chemin, une si grande quantité de mulets et d’ânes chargés, qu’ils embarrassent souvent le passage.

L’après dîner j’achevai de passer les montagnes durant deux lieues et demie ; le chemin est rude, et les descentes fort raides à cause des cailloux et des pierres. On voit de dessus une colline le Hoang ho, son cours était marqué par les vapeurs blanches que le soleil en tirait. Durant une lieue et demie que j’ai fait dans la plaine, je passai par six bourgs ou villages, dont quelques-uns sont fort grands. Les blés étaient hauts, et les épis tous formés dans la campagne, au lieu qu’à cinq ou six lieues d’ici sur les montagnes ils étaient encore en herbe. La campagne est fort belle, on voit des arbres de tous côtés au milieu des blés, et aux environs des villages ; il n’y a pas un pouce de terre perdu. Je vins coucher à Sin hoa tchin, quarante lis, route est sud-est. C’est un gros bourg de la dépendance de Hoai king fou.

Le 12 j’allai dîner à trente lis dans un petit village où il n’y avait pas même de chambre, puis coucher à 40 lis dans un bourg nommé Mou lang. Le pays toujours uni et cultivé. Je passai néanmoins par 9 ou 10 villages assez pauvres.

Le 13 j’allai dîner et souper à Ouan tchouen soixante lis route sud-est. C’est un bourg de la dépendance de Cai fong fou : le pays toujours beau avec des villages à droite et à gauche. On voit là de petites charrettes à quatre roues solides, qui n’ont pas trois pieds de diamètre, tirées par quatre ou cinq bêtes de front ; bœuf, âne, mulet, cheval, y sont attachés ensemble.

Je m’arrêtai dans ce bourg, parce que le lieu de la couchée était trop éloigné. J’ai vu des blés plantés à la ligne comme le riz : il n’y a pas plus de six pouces entre les lignes ; j’en ai vu d’autres semés indifféremment comme en Europe : mais ces champs se labourent sans y faire de sillons.

Le 14 soixante lis[2] jusqu’au Hoang ho, route est sud-est. On voit des villages à droite et à gauche, mais assez pauvres. Ce fleuve à six à sept lis de largeur en cet endroit et autant que la vue peut s’étendre au-dessus et au-dessous. Je n’ai point vu de fleuve plus rapide : il n’est pas fort profond, car me trouvant avancé jusqu’à un tiers du fleuve, je vis qu’avec une perche on en trouvait le fond. Je ne donnai que trente sols pour une barque qui passa tout mon bagage. Après avoir passé le Hoang ho je vins coucher dans un village à vingt lis au-delà, route environ est sud-est, car le soleil ne paraissait pas.

Le 15 j’allai coucher à Cai fong fou soixante-dix lis, route est 1/4 sud-est. Sur le chemin et dans les hôtelleries on ne trouve rien à manger, que du pain demi cuit, et un peu de riz à la manière des Chinois. Vous faites acheter et préparer ce que vous voulez. On n’entrait point dans la ville, parce que quelques jours auparavant soixante hommes avaient forcé la maison du mandarin et emporté l’argent du Cien lean ou tribut. Plusieurs avaient été pris, et l’on cherchait les autres : c’est pourquoi il y avait des gardes aux portes, pour empêcher d’en sortir ou d’y entrer, jusqu’à ce qu’on eût arrêté les voleurs. Je passai la nuit dans les faubourgs.

Le 16 en côtoyant une partie des murs de la ville, je comptai les pas d’un muletier qui marchait devant moi. Ce côté me parut avoir plus de mille pas géométriques de long. Les murailles sont de brique, en bon état, avec de petits bastions carrés d’espace en espace : le pays toujours beau, plus de maisons et de villages qu’auparavant, notre route au sud est ou environ.

Après avoir fait cinquante-cinq lis je passai par Tching lieou hien : c’est une ville fermée de murailles de brique avec ses bastions, et j’allai coucher à Hang cang tching gros bourg, après avoir fait en tout 80 lis.

Le 17 après trente lis j’arrivai à Ki hien. Les murailles de cette ville sont de brique, et l’on y voit des tours de distance en distance. La muraille d’un côté ne me parut pas avoir plus de 300 toises, je la laissai à droite.

Depuis cette ville jusqu’à la couchée, la campagne de tous les côtés est pleine de villages, j’en comptais souvent plus de douze à la fois, et je passai au milieu de treize ou quatorze. Route encore à l’est sud-est ou environ. J’allai coucher dans un village nommé Tie fou tçe 80 lis en tout. Le chemin fort beau avec des arbres plantés sur les deux côtés comme une allée de jardin : grand monde sur la route.

Les villages que je trouvai ce jour là, avaient tous une maison élevée, et semblable à une petite tour carrée ; les habitants s’en servent pour mettre leurs effets plus en sûreté dans les temps de troubles, ou lorsqu’ils craignent des irruptions de voleurs, etc. Ce sont des maisons particulières de gens à leur aise, comme de mandarins, de soldats, etc.

Le 18 je partis de ce village, dont les portes étaient si basses, que ma litière pensa se briser deux fois. Le chemin toujours planté d’arbres. Après quarante-cinq lis je passai par un gros village fort long nommé Hian hy pou. De là à Nhing lou hien, 20 lis. Je dînai et je couchai dans cette ville, parce qu’on ne trouve d’hôtelleries qu’à soixante-dix lis plus loin.

Cette ville est de la dépendance de Kouei te fou : elle paraît grande, mais déserte et pauvre au-dedans ; ses fossés sont remplis d’eau, ses murailles de briques avec des tours de distance en distance. La route a été environ l’est 1/4 de sud-est. Depuis Cai fong jusqu’ici j’ai trouvé d’espace en espace sur le chemin de ces petites tours ou sentinelles ; il y a des cloches en quelques-unes. J’ai passé durant ces soixante lis par huit ou neuf villages.

Le 19 j’allai dîner et coucher à Tçai kia tao keou, grosse bourgade, et je fis 80 lis. La pluie continuelle m’empêcha de juger de la route ; je laissai Kouei te fou à gauche, ce qui me fait croire que la route fut sud-est, supposé que ce qu’on m’a dit de sa situation soit certain. Le pays toujours agréable. Je passai devant une belle sépulture, où l’on voyait des lions de marbre dans un bois fort touffu.

Le 20 je ne marchai point à cause de la pluie, la terre était devenue si molle qu’on ne pouvait s’y tenir.

Le 21 après avoir fait 90 lis route sud-est selon le rapport de nos muletiers, car le soleil ne se voyait pas, j’allai coucher à Hoe tin tçie gros bourg : les campagnes toujours belles, les chemins et les villages bordés d’arbres.

Le 22 je fis 90 lis route au sud-est, et partie au sud. Après avoir dîné dans un gros village à quarante-cinq lis, je passai par Yung tching hien. C’est une ville petite pour l’enceinte des murailles, mais les faubourgs en sont très grands. Je comptai l’après dinée douze villages que je voyais tout à la fois à ma gauche, ils ont presque tous quelques petites tours carrées qui les sont découvrir de loin. On ne voit plus tant d’arbres.

Le 23 après 20 lis je passai par Tung tie fou çu, bourgade où commence la province de Kiang nan. Je vins dîner à Pe kang y, autre village ; route sud-est, 40 lis en tout. J’allai coucher au village de Sang pou, route sud, encore quarante lis. Tous ces villages sont de la dépendance de Fong yang fou.

J’ai eu tout le jour des montagnes du côté de l’est à cinq ou six lieues ; la campagne presque sans arbres, excepté dans les villages qui sont en grand nombre, et ont tous de petites tours carrées. Je vis les Chinois battre leur blé en roulant dessus un cylindre de marbre noir et grossier : il a deux pieds de diamètre, et est long d’environ deux pieds et demi, deux bœufs le tiraient sur le blé qui était étendu à terre. Le cylindre avait un axe sur lequel il tournait, et tenait aux cordes que les bœufs tiraient.

Le lundi 24 après avoir fait trente lis je passai auprès de Sieou tcheou. Ses murailles ne me parurent pas en fort bon état, mais les faubourgs sont grands. Je dînai dans un village ; quarante-cinq lis route sud sud-est, et je couchai dans un autre nommé Fan tchang çie, trente-cinq lis. Le mauvais temps et la pluie ne me permirent pas d’observer la route.

Ces villages et leurs maisons sont très pauvres : on n’y trouve rien à manger. A la dînée je vis une quantité de vers à soie qu’on avait ramassés sur une natte : on leur avait jeté plusieurs feuilles de mûrier : ceux qui voulaient filer leur soie, se mettaient dans des bottes de roseaux secs : les coques que ces vers faisaient sont petites : on me dit que celles de la province de Tche kiang sont deux ou trois fois plus grandes.

Le 25 je vins dîner à Lien tchin çie, cinquante lis sans avoir pu observer la route. C’est un gros bourg : il y a deux ponts sur deux petites rivières qui portaient bateaux. Ces rivières ne sont proprement que des ruisseaux que les pluies rendent navigables, et qui ne mènent que dans quelques villages voisins.

Je vins coucher à Kou tchin autre bourg, trente lis. Le terroir était marécageux et moins beau que dans le Ho nan. Ce sont des pâturages où les animaux vont paître. J’y vis des troupeaux nombreux. Les pluies des deux jours précédents avaient tellement gâté les chemins, qu’il me fallait marcher continuellement dans des mares d’eau.

Le 26 je vins coucher à Sang pou, soixante lys, mais par les détours que je fus obligé de faire dans les campagnes à cause des eaux, j’en fis plus de 80. A 20 lis de Sang pou est la ville de Fong yang fou. Je crois que la route a été au sud. Il faut marcher dans les eaux qui sont hautes en plusieurs endroits de deux et trois pieds. Ces eaux dans la saison des pluies rendent le passage très difficile. Le blé ne laisse pas d’y être semé et d’y croître. Je pris des guides pour me conduire par les champs. Une rangée de montagnes paraissent au sud-ouest jusqu’au sud, et encore plus vers l’est.

Le 27 après trente lis j’arrivai à une petite ville où l’on passe la rivière Hoai ho, qui est large d’environ soixante dix pas géométriques : elle a communication avec le Hoang ho, et de là avec Nan king. Je vins coucher à Hoan ni pou, quarante lis. Tout ce pays est rempli de pâturages.

Le 28 j’allai dîner à Tçon kia pou ; c’est un gros village, quarante lis, et ensuite coucher à Tche ho yi, trente lis. C’est un gros bourg. A son entrée il y a un pont qui a trente poteaux, sur lequel on passe une petite rivière. Je crois que toute la route a été au sud un peu vers l’est. Toujours grand monde et quantité de villages. Les chemins rompus par les pluies précédentes.

Le 29 je vins dîner et souper à Tchou lou kiao autre village. Cinquante lis route au sud. Après une demie lieue ou environ j’entrai elles sont médiocrement hautes et le chemin n’en est pas rude. J’y ai vu peu de terres cultivées.

Le 30 après avoir fait une lieue, il me fallut grimper une montagne très raide. Le pavé est de pierre. Il y a quelques maisons au-dessus, et une voûte de pierre longue de quarante ou cinquante pieds, sous laquelle on passe : la descente en est plus aisée.

A quarante lis on trouve Hiu tcheou. Cette ville est environnée d’un fossé rempli d’eau et large de soixante toises. Elle est sur un terrain un peu élevé, et le pays d’alentour est bien couvert d’arbres. Le faubourg où je passai est fort grand, il y a quelques arcs de triomphe et une tour.

A vingt lis est un bourg nommé Tan tie kan où je dînai : route sud-est. Je couchai à Tçi y kio, autre bourgade, quarante lis : route est sud-est. Les campagnes sont pleines de riz. J’y ai vu battre du blé avec un fléau, comme on fait en Europe, et l’égrainer avec un rouleau de marbre tiré par un buffle.

Le 31 j’allai dîner à Pou keou, 50 lis : route est. Une lieue avant que d’y arriver on entre dans des montagnes, dont la montée n’est pas si raide, et on en descend peu à peu jusqu’à Pou keou : c’est un gros bourg environné de murailles qui courent sur une montagne laquelle domine la rivière comme une citadelle, excepté qu’elle est trop haute pour y commander. Il fait une anse du côté de l’est, jusqu’à une montagne où il y a une tour.

Le fleuve Yang tse kiang a près d’une lieue de largeur en cet endroit. Nan king est au sud, 1/4 de sud-est de Pou keou, à trente lis. On va débarquer de l’autre côté de la rive à une bonne lieue et au sud sud-est de Pou keou : là on trouve une rivière qui après deux lieues conduit au port de Nan king. On côtoie ses murailles pendant plus d’une demie lieue. Il y a sur cette rivière un grand nombre de barques de l’empereur pour les mandarins.

Du plus loin qu’on voit ce grand fleuve vers l’est, lorsqu’on le traverse pour venir de Pou keou à Nan king, il court est nord-est, ensuite plus près de Nan king nord-est, jusqu’à une montagne de Pou keou, où il y a une tour : depuis Nan king jusqu’à cette tour il court au nord 3 lieues durant. On me dit lorsque je le traversais, qu’il avait trente-six chang de fond, c’est-à-dire, trois cents soixante che ou pieds.




  1. Il faut se souvenir que 10 lis ou stades font une lieue.
  2. Dix lis font une lieue commune.