Description de la Chine (La Haye)/Route du Père Bouvet depuis Ningpo

La bibliothèque libre.
Scheuerleer (Tome Premierp. 73-97).



ROUTE

que tinrent les pères Bouvet, Fontaney, Gerbillon, le Comte et Visdelou, depuis le port de Ning po jusqu’à Peking, avec une description très exacte et circonstanciée de tous les lieux par où ils passèrent dans les provinces de Tche kiang, de Kiang nan, de Chan tong et de Pe tche li.


Ce fut le 26 novembre de l’année 1687 que nous partîmes de Ning po pour nous rendre à Peking, où nous étions appelés par l’empereur : nous nous embarquâmes sur le soir avec un mandarin qui nous avait été donné par le gouverneur.

Le 27 au matin nous passâmes par Yu yao hien : c’est une ville du troisième ordre qui est du ressort de Chao hing. Cette ville renferme dans son enceinte une montagne assez haute, où l’on ne voit aucune maison que vers le pied ; une petite rivière sépare la ville d’un palais que Li co lao ayant eu permission de se retirer de la cour, fit bâtir sous le règne du père de l’empereur Van lie, pour éterniser sa mémoire dans le lieu de sa naissance.

Il entoura de murailles un grand espace de terrain qui se peupla dans la suite, et qui est devenu une partie de la ville. Il y a communication de l’une à l’autre par un pont à trois arcades assez bien bâti, et vis-à-vis l’on voit sept ou huit arcs de triomphe, qui se touchent presque les uns les autres.

Ce jour-là sur le soir nous passâmes deux digues : nous arrivâmes d’abord à un passage où on élève les barques pour les faire passer dans un canal, qui est de neuf ou dix pieds plus haut que le niveau de la rivière. On guinde la barque, sur un talus ou espèce de plan incliné pavé de grandes pierres, et quand elle est arrivée au haut, on la laisse couler sur un second plan dans le canal. On trouve sur le passage quantité de gens qui attendent qu’on les loue pour cette manœuvre, dont ils viennent à bout dans l’espace d’un quart d’heure par le moyen de deux virevaux.

Tout le pays que nous vîmes, consiste en de grandes plaines très bien cultivées, et bordées de montagnes désertes et affreuses. Quelques-unes sont couvertes de pins et de cyprès : ce sont les arbres les plus communs qu’on voie depuis Ning po jusqu’à Hang tcheou.

L’arbre qui porte le suif n’est guère moins commun, surtout vers Ning po, où l’on ne trouve presque point d’autres arbres. Ils étaient alors dépouillés de feuilles, et couverts de fruits dont la coquille était tombée : de sorte que voyant un fruit blanc et attaché par bouquets à l’extrémité des branches, on eût dit de loin que ces arbres étaient chargés de fleurs.

Le 28 au matin nous passâmes une espèce de lac ou plutôt de bras de mer appelé Tsao hou et ce fut à nos dépens ; car le mandarin nous déclara que n’ayant point d’ordre de l’empereur, il ne pouvait pas hors le district de Ning po obliger les officiers à nous fournir ce qui nous était nécessaire. C’est pourquoi il nous fallut louer de nouvelles barques, et défrayer le mandarin jusqu’à Hang tcheou.

Ce jour-là nous naviguâmes sur ce beau canal dont le père Martini fait mention, mais dont il ne donne pas une assez belle idée. Ce canal dure l’espace de près de vingt lieues ; il est revêtu d’un côté de grandes pierres plates, longues de cinq à six pieds, larges de deux, et épaisses de deux à trois pouces : son eau est nette et très belle : sa largeur est communément de 20 et 30 pas géométriques et quelquefois de 40 et davantage. Il continue en divers endroits plus d’une lieue en ligne droite, souvent il est double.

Mais ce qui est plus ordinaire depuis le commencement jusqu’à la fin, et que le père Martini ne dit pas, c’est que de distance en distance on trouve à droite et à gauche plusieurs beaux canaux, qui communiquent avec celui-ci, et qui s’étendent de part et d’autre dans la campagne, où ils se partagent en plusieurs autres, formant un grand nombre d’îles : ce qui fait comme un grand labyrinthe jusqu’aux montagnes, qui bordent ces belles campagnes, lesquelles sont plates et unies comme une glace.

C’est dans cet agréable lieu qu’est bâtie la ville de Chao hing laquelle est traversée par un grand nombre de canaux. Les ponts y sont très fréquents, la plupart d’une seule arcade. Ces ponts sont fort élevés, les arcades ont peu d’épaisseur vers le haut, ce qui les rend plus faibles que les nôtres : aussi n’y passe-t-il point de charrettes : ce sont des portefaix qui transportent les fardeaux ; on passe ces ponts en montant et descendant des escaliers plats et doux, dont les marches n’ont pas souvent trois pouces d’épaisseur.

Il y a de ces ponts qui au lieu d’arches, ont trois ou quatre grandes pierres sur des piles en forme de planche. Nous en avons vu dont les pierres avaient dix, douze, quinze, et dix-huit pieds de longueur. On en trouve quantité sur ce grand canal qui sont bâtis très proprement.

La campagne qui en est arrosée est très agréable et très fertile : on découvre de grandes plaines couvertes de riz et de légumes, qui sont la nourriture d’un peuple immense : elle est diversifiée d’une infinité de bouquets de cyprès semés ça et là sur les tombeaux.

Aux environs de Chao hing et de là presque jusqu’à Hang tcheou, on voit une suite continuelle de maisons et de hameaux, qui feraient croire que c’est une ville perpétuelle. Les maisons de la campagne et des villageois y sont bâties plus proprement, et sont mieux entretenues que les maisons ordinaires de quelques villes : aussi ces villages sont-ils plus jolis et plus riants que le commun de nos villages d’Europe.

Le 29 nous passâmes par Siao chan ville du troisième ordre : on juge qu’elle a été ainsi nommée, à cause d’une petite montagne qui se trouve dans un de ses faubourgs. Cette ville est aussi coupée de plusieurs canaux ; ses portes, aussi bien que celles de Chao hing, sont revêtues de plaques de fer.

Le 30 nous prîmes des chaises à une demie-lieue du Cien tang que nous passâmes en moins d’une heure et demie. Cette rivière a dans cet endroit environ quatre mille pas géométriques de largeur, les navires n’y peuvent entrer à cause de ses bas fonds. Son reflux est extraordinaire, une fois chaque année, vers la pleine lune du mois d’octobre.

Quand nous eûmes passé la rivière, nous reprîmes des chaises, fort propres, que les chrétiens de la ville de Hang tcheou avaient eu soin de faire conduire jusqu’au bord. Ils nous accompagnèrent comme en triomphe jusqu’à l’église, où nous trouvâmes le père Intorcetta, qui avait blanchi dans les travaux de la vie apostolique, et qui n’était pas moins vénérable par son mérite et sa vertu, que par son grand âge.

Comme nous étions appelés à la Cour, il nous fallut faire et recevoir plusieurs visites qui étaient indispensables. Pour aller de notre maison au palais du viceroi, nous passâmes une rue fort droite, large de 25 à 30 pieds, et longue depuis notre maison jusqu’à la porte par où l’on entre dans la ville des Tartares, d’environ une lieue. Le milieu est pavé de grandes pierres plates ; le reste est pavé comme les rues des villes d’Europe, mais sans talut.

Toutes les maisons ont un étage, et au-dessous des boutiques ouvertes sur la rue ; sur le derrière est le canal. Le peuple y paraît en foule comme dans les rues les plus peuplées de Paris, sans qu’on y voie aucune femme. Cette rue est ornée de plusieurs arcs de triomphe placés de distance en distance, qui font un très bel effet à la vue. Les autres rues, et surtout dans le quartier des soldats et des Tartares, sont bien différentes : les maisons dont elles sont bordées, ressemblent à celles des plus pauvres hameaux : aussi ne sont-elles pas à beaucoup près si peuplées que celle dont je viens de parler.

Nous visitâmes la sépulture des chrétiens ; tout ce quartier, qui est plein de montagnes, est semé de tombeaux dans l’espace de près de deux lieues. Nous allâmes ensuite sur le lac appelé Si hou que le père Martini dépeint comme un lieu délicieux. Les chrétiens nous y avaient fait préparer à dîner dans une grande barque, qui avait une salle et des appartements fort commodes.

Ce lac qui est d’une eau très claire, a plus d’une lieue et demie de circuit : il est bordé en quelques endroits de maisons assez agréables, mais médiocrement belles. Il faut sans doute que les Tartares, qui ont saccagé deux ou trois fois cette grande ville, aient ruiné la plupart de ces palais dont parle le père Martini.

Le 19 décembre nous prîmes congé des mandarins, et après avoir fait embarquer nos caisses, nous fîmes notre prière à l’église où les chrétiens s’étaient assemblés. Ils nous firent fournir à chacun une chaise, et nous conduisirent, comme ils avaient fait à notre arrivée, jusqu’à la barque qui nous était destinée.

Nous passâmes par une rue d’un faubourg, qui a de longueur environ onze ou douze cents pas géométriques vers l’orient : comme nous n’allâmes pas jusqu’au bout, je ne pus pas juger jusqu’où elle pouvait s’étendre. Cette rue est plus étroite que celle dont j’ai parlé, mais elle est également droite ; les maisons y sont à deux étages et fort pressées. Nous y vîmes autant de monde, qu’on en voit dans les rues les plus fréquentées de Paris, et il n’y paraissait aucune femme.

La barque où nous entrâmes, quoiqu’elle ne fût que du troisième ordre, était très grande et également propre et commode. Elle avait plus de seize pieds de largeur sur environ soixante à quatre-vingt de longueur, et dix à douze pieds de hauteur de bord. Nous y avions une salle avec quatre chambres très commodes, sans compter la cuisine et l’endroit où nos domestiques se retiraient, et tout cela de plein pied. Les chambres et la salle étaient ornées en dedans de sculptures peintes et dorées, le reste était couvert de ce beau vernis, avec un plafond de divers panneaux peint à la manière chinoise.

Ce n’est pas seulement l’empereur qui fait faire de ces sortes de barques : les marchands en ont un grand nombre, dont ils se servent pour faire leur commerce dans les diverses provinces, par le moyen des rivières et des canaux dont le pays est coupé.

Nous avons vu de ces barques qui pouvaient être de deux cents tonneaux ; des familles entières y logent plus commodément que dans leurs maisons, qui certainement ne sont pas si propres.

Nous vîmes plus de quatre cents de ces barques sur le canal où nous nous embarquâmes. Ce canal qui est au nord-ouest de la ville, s’étend plus d’une grande lieue en ligne droite, et est large partout de plus de quinze toises. Il est revêtu de part et d’autre de pierres de taille, et bordé de maisons aussi serrées que dans les rues, et aussi pleines de monde. Il n’y en a pas moins dans les barques, dont les deux bords du canal sont couverts.

Nous fûmes arrêtés dans notre barque jusqu’au 20. Il fallut attendre le viceroi, qui voulut nous visiter, et nous remettre le cang ho ou l’ordre du ping pou, c’est-à-dire, du tribunal souverain pour la milice. Cet ordre portait, que soit que nous fissions notre voyage par eau ou par terre, on nous fournirait tout ce qui serait nécessaire pour être conduits à la Cour.

Ce fut donc le 21 au matin que nous partîmes de Hang tcheou. Le canal était partout d’environ 20 à 25 brasses, revêtu de pierres de taille de part et d’autre, et bordé de maisons pendant une grande demie lieue, et les deux bords remplis de grandes barques : nous en comptâmes plus de cinq cents.

Le canal hors du faubourg n’est revêtu de pierres que d’un côté, et de ce côté-là il y a un chemin de pierres pour la commodité de ceux qui tirent les barques. On trouve des canaux de distance en distance ; et dans les endroits où le rivage est bas et inondé, on a construit des ponts plats, faits de grandes pierres, posées trois à trois, et longues de sept à huit pieds chacune, qui forment une espèce de levée.

Environ à quatre lieues de Hoang tcheou nous passâmes au travers d’un village appelé Tan ci. Ce village est sur les deux rivages du canal, qui jusque-là depuis Hoang tcheou a ordinairement 15, 25 à 30 pas de largeur. Les deux bords sont très bien revêtus de pierres de taille, et forment deux quais longs chacun de quatre à cinq cents pas géométriques, ornés de doubles escaliers qui répondent à l’entrée de chaque maison pour la commodité de l’eau.

Les maisons sont mieux bâties que dans la ville, elles sont plus égales, et l’on dirait que c’est un seul corps de logis, qui s’étend et qui règne le long de chacun de ces quais. On trouve au milieu du village un beau pont à sept grandes arcades, dont celle du milieu a 45 pieds de largeur. Les autres sont aussi très larges, et vont en diminuant selon les deux talus du pont. On trouve encore deux ou trois grands ponts à une seule arcade, avec plusieurs canaux de côté et d’autre bordés de maisons. A deux lis de ce village, on voit une île au milieu du canal avec une pagode très propre.

Le 22 après avoir passé plusieurs ponts, nous trouvâmes que le canal se rétrécissait. Nous arrivâmes à une ville nommée Che men hien qui est à dix lieues de Hoang tcheou. Jusque là nous avons fait presque toujours le nord-est. Tout le pays est encore coupé de canaux avec des ponts : la campagne est plate, fort unie, sans montagnes, plantée de mûriers nains, à peu près comme nos vignobles, et remplie de maisons et de hameaux.

Le 23 nous arrivâmes à Kia hing fou. Nous trouvâmes en passant une belle pagode sur le bord du canal qui s’appelle San co ta, à cause de trois ta, ou tours à plusieurs étages, qui forment son entrée. On en voit un autre plus grand dans un des faubourgs du côté de l’orient.

Cette ville est grande, bien peuplée, très marchande, et a des faubourgs d’une grande étendue. On la compare à Ning po pour la grandeur, mais elle est plus belle et plus riche.

Le 24 nous partîmes de grand matin, et nous entrâmes dans un fort beau canal large de 25 à 30 pas, et dont les eaux sont fort nettes. Nous traversâmes un grand village nommé Ouan kiang king, qui s’étend fort au loin dans la campagne. On passe d’un côté à l’autre sur un pont à trois grandes arcades d’une très belle architecture : celle du milieu a 45 pieds de largeur, et est haute de plus de 20 pieds. Cet ouvrage paraît hardi, les pierres dont il est construit ont plus de cinq pieds de longueur.

Depuis trois ou quatre lieues en deçà de Hang tcheou le pays est plat, sans montagnes, et assez couvert pour former un beau paysage. Il n’y a pas un pouce de terre inutile, mais les mûriers commencent à y devenir plus rares.

Entre Kia hing et ce village, à un point de partage où le canal se divise en trois branches, on trouve trois forteresses ou tours carrées bâties dans l’eau, et posées en forme de triangle. On nous dit qu’elles servaient autrefois de limites, lorsque les provinces de Kiang nan et de Tche kiang appartenaient à deux différents souverains.


Province de Kiang nan.

A 20 lis du village que nous quittions, nous passâmes près d’un autre appelé Hoan kia kiun tchin que nous laissâmes sur la gauche. Ce village est de la province de Kiang nan ; nous le prîmes d’abord pour une ville à cause de sa grandeur. Il est coupé et environné de canaux fort larges et tout couverts de barques ; la campagne est très bien cultivée et semée de hameaux. La multitude et la largeur des canaux, jointe à l’égalité des terres où l’on ne voit pas la moindre éminence, font juger que ce pays était autrefois entièrement noyé par le débordement des eaux, et que le Chinois extrêmement laborieux, en ouvrant ces canaux, y a ramassé les eaux répandues dans les campagnes, et a fait de ces terres inondées le plus fertile pays du monde et le plus commode pour le commerce. Nous avons compté jusqu’à douze villages, dont le plus éloigné n’était pas à mille pas de nous, sans parler de tous ceux qu’on découvrait dans le lointain.

Après tout, on nous a dit que ce pays, tout peuplé qu’il paraît, était désert en comparaison de Song kiang, de Nan king, et de la partie méridionale de cette province. Si toute la Chine était peuplée comme nous l’avons vue depuis Chao hing jusqu’à Sou tcheou, je n’aurais pas de peine à croire qu’elle contient beaucoup plus de monde que toute l’Europe ; mais on nous a assuré en même temps qu’il s’en faut bien que les provinces du nord soient aussi peuplées que celles du sud.

Après avoir fait dix lis nous arrivâmes à Pin vang, qui signifie vue égale. C’est un gros village que nous prîmes d’abord pour une ville à cause de la multitude des maisons et de ses habitants. Il est coupé en divers endroits par plusieurs canaux avec des ponts bien bâtis, et grand nombre de barques. Ces canaux tirent leurs eaux d’un grand lac qui est à l’ouest, par où les petites barques prennent leur chemin pour l’abréger quand elles veulent aller à Sou tcheou, et alors elles ne passent point à Kia hing.

Après ce village, le canal s’étend à perte de vue vers le nord, et continue, en droite ligne, avec la levée revêtue du côté de l’eau de fort belles pierres de taille. On découvre un autre grand lac à l’est, et ces deux lacs s’étendent jusqu’à Ou kiang. Ce fut la nuit que nous passâmes par cette ville, qui est, ainsi que les autres, coupée de beaux canaux. Avant que d’y arriver, nous passâmes sous l’arche d’un pont qui avait 48 pieds de largeur, et qui était haute de 25 pieds.

Une lieue avant Ou kiang nous trouvâmes sur la gauche à l’ouest que la levée était haute de sept pieds, et très bien revêtue de part et d’autre de pierres de taille, ce qui formait une espèce de pont solide : il était percé d’espace en espace de plusieurs arches, par où l’eau du canal communiquait avec la campagne, qui était semée de riz et toute inondée. Cette nuit-là, qui était celle de Noël, nous fîmes nos messes dans la salle, laquelle était aussi stable que si la barque eût été arrêtée.

Le 25 fête de Noël, nous nous trouvâmes le matin au pied des murailles de Sou tcheou dans un grand canal large de 35 ou 40 pieds, qui court nord et sud le long d’un pan de murailles, dont nous découvrîmes d’une seule vue environ une lieue d’étendue, et presque en ligne droite. Notre barque s’arrêta vis-à-vis d’une grande arche d’un pont magnifique, par dessous lequel on passe dans un grand canal qui court vers l’ouest, et qui va se perdre dans un fort long faubourg.

Sur la rive de la campagne nous vîmes une espèce de gros pavillon ou édifice carré à double toit recoquillé, couvert de tuiles jaunes, et environné d’une muraille percée à jour par le haut, et ornée de plusieurs figures différentes. C’est un monument que les mandarins ont élevé en mémoire de l’honneur que l’empereur Cang hi fit à leur ville, lorsqu’il y vint, et qu’il y parut sans faste, et sans cette pompe qui accompagne d’ordinaire les empereurs chinois. On a gravé sur une pierre de cet édifice l’instruction que l’empereur fit au viceroi pour le gouvernement du peuple.

Nous entrâmes de grand matin dans la ville par la porte de l’ouest, et après avoir fait cinq ou six lis[1] sur différents canaux, nous arrivâmes à notre église, où nous trouvâmes le père Simon Rodriguez qui gouvernait une chrétienté nombreuse et fervente. Nous vîmes proche de la porte par où nous entrâmes une tour polygone de six à sept étages, et à une grande lieue hors des murailles, une autre tour également haute dans un des faubourgs qui s’étendait à perte de vue.

Ce jour-là nous reçûmes une visite de Hiu lao ye, petit-fils de Paul Siu, ce célèbre colao, qui a été un des plus grands défenseurs de la religion chrétienne. Ce mandarin s’est retiré à Chang hai avec sa famille : il eût été viceroi sans les liaisons qu’il a eues avec Ou fan guey qui s’était révolté contre l’empereur. Il est Han lin[2] c’est-à-dire, un des docteurs du premier ordre, que Sa Majesté choisit comme les plus habiles pour composer, imprimer, et rester ordinairement auprès de sa personne. Cette dignité lui donne un rang considérable ; les billets de visites qu’il envoie sont écrits de la même manière que ceux des vicerois.

Cet illustre chrétien, malgré nos oppositions, se mit à genoux en nous saluant, et frappa la terre de son front pour marquer le respect qu’il porte aux prédicateurs de l’Évangile. Le 26 nous allâmes visiter le viceroi de la province qui réside en cette ville. Il nous reçut avec beaucoup de politesse et de civilité, et après un long entretien il nous reconduisit jusque dans sa cour.

Le 28 nous partîmes de Sou tcheou. Nous fîmes d’abord environ deux mille pas vers le nord sur un grand canal, qui règne d’une part le long des murailles de la ville, et a de l’autre part un grand faubourg coupé de canaux en divers endroits, et dont les maisons sont extrêmement serrées. Nous vîmes près d’un quart de lieue de suite double et triple rang de barques si pressées, qu’elles se touchaient toutes par les côtés. Nous rabattîmes ensuite vers l’ouest, quittant le grand canal qui continuait à perte de vue vers le nord. Puis nous naviguâmes sur un nouveau canal plus étroit que le premier, et qui traverse un faubourg bordé de maisons, long d’une grande lieue, et coupé de rues et de canaux.

Après ce que j’ai vu des murailles de la ville de Sou tcheou d’un côté seulement, de la grandeur de ses faubourgs, de la multitude des barques que nous y avons trouvées, et où logent des familles entières, je n’ai pas de peine à croire qu’elle ait plus de quatre lieues de circuit, comme on l’assure, et qu’elle renferme plusieurs millions d’âmes.

Au sortir de ce faubourg, le canal s’élargit considérablement, et s’étend en droite ligne à perte de vue jusqu’à un grand village divisé par des rues et des canaux, où est la douane de Sou tcheou. Depuis cette ville jusqu’à Voussie hien le canal est en ligne droite au nord ouest l’espace de cent lis, qui sont dix lieues. On ne voit que des barques, qui vont et qui viennent ; on en découvrait quelquefois plus de cinquante d’une seule vue. Un lieue après qu’on a passé la douane, on trouve un pont d’une seule arche qui est large de 50 pieds.

Voussie hien est une ville du troisième ordre de la dépendance de Tchang tcheou. Nous passâmes par le faubourg du sud qui est long d’une demie lieue : il s’étend de part et d’autre sur le canal. Nous côtoyâmes les murailles de la ville, et bien que nous n’en pûmes voir que la moitié, nous jugeâmes que son enceinte était de cinq quarts de lieue. Les murailles ont plus de 25 pieds de hauteur : elles sont peu fortes, mais propres et bien entretenues. La ville est environnée d’un grand fossé qui est une espèce de canal ; l’espace qui est entre le fossé et les murs, est fort uni, et en fait une promenade très agréable : les eaux qui y abondent, forment plusieurs îles à divers canaux, dont l’aspect est charmant : elles sont excellentes pour le thé ; on en transporte dans toute la Chine, et même jusqu’à Peking.

Nous passâmes la nuit dans cette ville là, et le lendemain nous continuâmes notre navigation sur le canal, qui s’étendait toujours en ligne droite au nord-ouest, avec une levée du côté de l’est très bien revêtue des deux côtés de pierres de taille.

La campagne est unie comme une glace et très bien cultivée. On y voit une suite continuelle de hameaux et de villages, qu’on aperçoit sans peine dans des plaines unies comme nos jardins, qui présentent à la vue le plus agréable spectacle, surtout quand la perspective se trouve terminée par quelque grosse ville.

Le 30 décembre au soir nous arrivâmes à Tchang tcheou fou, ville célèbre et d’un grand commerce. Nous ne fîmes que traverser un de ses faubourgs l’espace d’une demie lieue. Le canal était tellement couvert de barques qui se touchaient les unes les autres, qu’à peine pouvait-on voir l’eau.

Ce soir là on surprit deux voleurs, qui à la faveur des ténèbres s’étaient glissés dans notre barque. L’un d’eux trouva le moyen de s’évader. Nous empêchâmes que l’autre ne fût déféré au mandarin : on le renvoya, et il alla aussitôt gagner une petite barque où étaient plusieurs de ses camarades, avec lesquels il disparut en un instant. On assure que ces voleurs brûlent une espèce de pastille dont la fumée endort.

Le 31 au matin nous sortîmes de Tchang tcheou. Nous trouvâmes que le canal s’était fort rétréci, n’ayant guère que douze pieds de largeur. Les rives étaient hautes de 17 à 18 pieds, mais en droite ligne. A 49 lis de là après avoir passé deux villages nommés Ping niou et Lu chan, le canal continue à perte de vue sur la même ligne. Ces villages sont à demi ruinés, quoiqu’il y reste encore quelques maisons fort propres. Le canal est revêtu de part et d’autre, jusqu’à dix et douze pieds de haut, de belles pierres carrées d’un marbre gris couleur d’ardoise.

A environ deux lieues en-deçà de Tan yang nous fûmes obligés de continuer notre route par terre et de quitter le canal. On l’avait fermé afin de le creuser davantage, pour le rendre navigable aux barques qui portent le tribut à la cour. Quoiqu’il n’y eût qu’un jour qu’il eût été fermé, nous vîmes une infinité de barques arrêtées, et ceux qui les conduisaient, prirent comme nous des voitures de terre.

Le mandarin de Tan yang qui avait été averti de notre arrivée le jour précédent, nous envoya des chaises, des chevaux, et des portefaix pour nous conduire à Tching kiang fou. Ceux qui nous portaient et qui étaient chargés de notre bagage, faisaient par heure une bonne lieue d’Allemagne, de sorte qu’en moins de deux heures, nous fîmes deux lieues et demie, qui nous restaient à faire pour nous rendre à Tan yang. Avant que d’y arriver, et à l’extrémité du canal, nous passâmes près d’une tour à sept étages, et sur trois grands ponts de marbre d’une seule arche. Les faubourgs de cette ville sont aussi pavés de marbre : nous fîmes pendant trois quarts d’heure la moitié de son circuit le long des murailles, qui sont de briques, hautes de 25 pieds, et élevées sur des fondements de marbre.

On trouve au nord de cette ville un lac de cinq à six lieues de circuit, le long duquel nous fîmes environ une lieue avant que d’arriver à Ma lin : c’est un village à deux lieues au-delà de Tan yang. Nous y passâmes la nuit dans une maison que les chrétiens nous avaient fait préparer.

Quoique ce village n’ait qu’une seule rue, on nous assura qu’il y avait plus de deux cent mille âmes. Il est pavé de marbre, de même que tous les autres qu’on rencontre jusqu’à Tching kiang fou et une partie du chemin, où nous vîmes en divers endroits des pierres de marbre blanc de six pieds de haut, avec quelques figures en relief assez mal faites.

Le 2 janvier nous arrivâmes à Tching kiang. Nous passâmes d’abord par un faubourg long de treize cents pas géométriques et tout pavé de marbre. Les carreaux de marbre, dont le milieu de la rue est pavé, ont trois pieds de long et près de deux de large. Après avoir fait plus d’une lieue le long des murailles qui sont hautes de plus de trente pieds et fort bien entretenues, nous rabattîmes par un pont de marbre dans un autre faubourg. Nous y trouvâmes une si grande affluence de peuple, que nous avions beaucoup de peine à nous ouvrir un passage.

La ville de Tching kiang n’est pas des plus grandes, car elle n’a qu’une lieue de tour, mais c’est une des plus considérables pour le commerce, et comme une clef de l’empire du côté de la mer, dont elle n’est éloignée que de deux petites journées. C’est aussi une place de guerre, et il y a une grosse garnison. Nous vîmes dix-huit pièces de canons de fer qui formaient une batterie à fleur d’eau.

Nous ne traversâmes qu’une rue de ce second fauxbourg, où il se trouve une petite montagne ; quand on est monté au sommet, on a un des plus agréables points de vue qui se puisse imaginer. On voit d’un côté la ville et les faubourgs de Tching kiang ; on voit de l’autre côté ce beau fleuve Yang tse kiang que les Chinois appellent fils de la mer, ou Ta kiang, grand fleuve, ou simplement Kiang par excellence, c’est-à-dire, le Fleuve : en effet il semble de ce lieu-là que c’est une vaste mer ; sur l’autre rive vis-à-vis de Tching kiang paraît une grosse ville nommée Koua tcheou. Du moins il ne lui manque que les privilèges qu’on attache aux villes, car elle ne les a pas, et elle n’est regardée à la Chine que comme un ma teou, ou lieu de commerce. Au pied de cette hauteur est le port, sur lequel il y a continuellement un concours de peuple et un fracas extraordinaire.

Ce fut là que nous nous mîmes sur des barques, que les officiers nous avaient fait préparer : elles étaient petites, mais tout à fait propres, aussi ne devaient-elles servir que pour passer le fleuve, et nous mener à Yang tcheou. Dans le lieu du fleuve où nous fîmes ce trajet, il a plus d’une lieue de large, et cependant il passe pour être étroit en cet endroit là, en comparaison de la largeur qu’il a plus haut et plus bas. Environ à 700 pas dans le fleuve, on passe près d’une île qui paraît un lieu enchanté. Aussi les Chinois la nomment-ils Kin chan, c’est-à-dire montagne d’or. Elle a environ six cents pieds de circuit, et est revêtue de belles pierres. Au sommet est une tour à plusieurs étages environnée de pagodes et de maisons de bonzes.

Au sortir de la rivière nous entrâmes dans un canal, où il nous fallut passer un tcha, c’est une espèce d’écluse, si cependant on peut lui donner ce nom : les Chinois à qui j’ai parlé de nos écluses, n’en ont pas la moindre idée. En cet endroit on a resserré le canal entre deux digues revêtues de pierres de taille, qui vont en s’approchant jusqu’au milieu. L’eau y coule avec beaucoup de rapidité, et apparemment qu’on ne la resserre ainsi que pour la forcer à creuser son lit, sans quoi elle ferait une nappe, et ne pourrait avoir assez de profondeur pour porter des barques : à ce passage il y a toujours des hommes prêts à tirer les barques, et ils doivent être très attentifs à ne les pas laisser aller au gré de l’eau, car elles ne manqueraient pas de se briser, et on ferait infailliblement naufrage.

Nous ne pûmes voir Koua tcheou parce qu’il était nuit, quand nous passâmes par un de ses faubourgs. Le lendemain nous arrivâmes de bonne heure à Yang tcheou fou. C’est une belle ville, d’un grand commerce, et très peuplée. On m’assura qu’elle a deux lieues de circuit, et que dans son enceinte et ses faubourgs elle renferme deux millions d’âmes.

Nous en partîmes en litière le 10 janvier à six heures du soir, et nous allâmes coucher à quatre lieues et demie de là, dans un gros bourg nommé Chao pe. Nous fîmes une bonne partie de ce chemin le long du canal sur une belle levée, qui est coupée en trois endroits pour en décharger l’eau dans la campagne.

Le 11, après avoir fait sept lieues d’une traite, nous arrivâmes à Kao yeou tcheou. Tout ce pays est plat et presque inondé. Nous marchâmes sur une grande levée large d’environ trente pieds, et haute de dix ou douze, revêtue en quelques endroits de pierres de marbre carrées, particulièrement du côté du canal que nous laissions à main droite.

Au-delà paraissait un grand lac qui s’étend parallèlement au canal, et a plus d’une lieue de largeur. La campagne qui est sur la droite, est également inondée : il y a néanmoins en divers endroits quelques éminences où l’on sème du riz, et où l’on voit plusieurs hameaux, donc les maisons sont couvertes de roseaux, et les murailles faites de cannes, enduites de terre. Des barques sans nombre à la voile, qui voguaient sur ces campagnes comme sur une vaste mer, faisaient un spectacle assez divertissant.

La ville de Kao yeou tcheou est grande ; nous n’en pûmes juger par nous-mêmes, car nous ne fîmes qu’environ douze cents pas géométriques le long des murailles, qui ont environ trente pieds de hauteur. En y arrivant nous vîmes sur la droite une tour à sept étages dans un de ses faubourgs, et dans la ville un autre édifice carré à six ou sept étages, qui allait s’étrécissant en pyramide terminée d’un petit toit carré, d’une structure différente de celle des tours. Les faubourgs sont grands, larges, et assez bien bâtis.

Le 12 nous fîmes le matin six lieues sur la levée, qui règne le long du canal et du lac que nous côtoyâmes. Ce lac s’étend comme une vaste mer, à perte de vue. Nous y vîmes une infinité de barques à la voile.

Entre le canal et le lac est une autre levée revêtue fort proprement de pierres carrées en plusieurs endroits : tout est plein d’oiseaux sauvages, et l’on y voit de temps en temps des nuages de petits oiseaux qui couvrent une partie de l’horizon. Les corneilles que nous vîmes étaient toutes noires, au lieu que celles que nous avions vues depuis Ning po jusque-là, avaient une espèce de collier blanc au col.

L’après-midi nous fîmes six autres lieues jusqu’à Pao hing hien, le long du canal qui continue toujours entre deux grandes levées avec le lac à main gauche ; à la droite la campagne est plate, à demi inondée, et très bien cultivée proche de cette ville.

Le 14 après avoir fait huit lieues, nous allâmes coucher à Hoai nguan fou. C’est une ville considérable, plus peuplée, à ce qui nous parut, et de plus grand commerce que Yang tcheou. Le grand maître des eaux, canaux, et rivières y fait sa résidence. Il occupait alors l’hôtellerie publique, où on loge ceux qui sont appelés par l’empereur, ou envoyés de la cour dans les provinces. Ainsi nous fûmes obligés de loger dans une mauvaise hôtellerie faite de nattes de roseaux, nonobstant le froid et la neige qui tomba la nuit même dans le lieu où nous couchions. Trois mandarins y logèrent avec nous. Ils prirent grand plaisir à voir quelques-uns de nos livres, et se sentirent très obligés de quelques images de papier qui s’y trouvèrent, et qu’on leur donna avec un de nos écus de France, dont ils nous rendirent le même poids en argent. Ils nous invitèrent à prendre du thé dans leur appartement, où ils nous régalèrent de diverses sortes de fruits.

Le marbre est assez commun dans tous ces endroits là : mais les Chinois ne paraissent pas en faire beaucoup de cas : ils ne l’emploient qu’à revêtir les canaux, ou à quelques autres ouvrages publics. Nous vîmes là comme à Tching kiang des rouleaux de marbre qui ressemblent à des tronçons de colonnes qu’on traîne dans les campagnes sur les terres cultivées pour les aplanir.

Nous partîmes le 15 après-midi pour aller coucher à trois lieues de là dans un grand village, nommé Tching kiang pou, qui est sur la rive australe du Hoang ho, et sur le bord du canal. Entre Hoai ngan et ce village, nous en trouvâmes un autre qui n’est pas fort éloigné des faubourgs de Hoai ngan. C’est ce qui a donné lieu à l’erreur où sont tombés les premiers ambassadeurs hollandais, qui ont pris ces deux bourgs pour une suite des faubourgs de cette ville, ainsi qu’ils le disent dans leur relation, en donnant à ce faubourg trois bonnes lieues d’Allemagne de longueur.

Nous en avons passé un qui est parallèle aux murailles de la ville et qui à la vérité a une lieue et demie de longueur. La campagne est plate, bien cultivée, à demi inondée en quelques endroits, ce qui est favorable à la culture des campagnes où l’on sème le riz. On voit ici une quantité d’oies, de canards sauvages, de faisans, etc.

Nous nous arrêtâmes le 16 dans ce village, et le lendemain 17 fut presque tout employé à passer le Hoang ho ou fleuve Jaune, à cause de la glace qu’il fallut rompre, et des glaçons qui retardèrent le passage. Cette rivière n’a guère que 450 toises de largeur en cet endroit, qui est éloigné de 25 lieues de son embouchure. Son lit est assez égal : ses rives sont d’une terre argileuse et jaunâtre, et quand elle a longtemps son cours dans une terre semblable, le mélange de cette terre détrempée avec les eaux, les rendent troubles et jaunâtres, ce qui lui a fait donner le nom de Fleuve Jaune. Dans le temps que nous le passâmes, cette couleur n’était pas si fort chargée, et paraissait à peine dans l’eau qu’on en puisait. Quand elle s’enfle, et que son cours est plus rapide, comme elle détache alors beaucoup de terre, qui de sa nature est légère, elle est bien plus trouble et plus jaune. Si ce fleuve n’était pas retenu par des digues, qu’il faut sans cesse raccommoder, il ferait d’étranges ravages. Son cours n’était ni lent, ni rapide.

Nous allâmes coucher dans un village. Le chemin est le plus uni et le plus beau qu’on puisse voir, de même que la campagne qui est plate et découverte comme la Beauce, mais plus belle, mieux cultivée, et pleine de hameaux, qui ne sont qu’à 50, 100 ou 200 pas les uns des autres. A une lieue du Fleuve Jaune nous trouvâmes une grande levée interrompue dans un endroit, et liée par une espèce de pont de bois, soutenu de piles de pierres hautes de huit ou dix pieds, long d’environ trois cents pas, dont le dessous est pavé très proprement de pierres carrées. Nous passâmes ensuite un canal, qui court au nord en ligne droite, parallèle au Fleuve Jaune, où il va se décharger. On trouve encore trois autres grandes levées dans la campagne ; ce sont autant de grands chemins qui conduisent à différentes villes.

Jusque là nous n’avons trouvé aucun troupeau de moutons dans notre route, mais nous en avons vu plusieurs de chèvres blanches, et de cochons noirs, peu de vaches et de buffles, quantité de petits mulets, de bourriques, et de mauvais chevaux, qui sont les montures ordinaires des voyageurs. Nous n’avons pas vu un cheval médiocrement beau.

Le peuple est si nombreux, que ce sont les hommes qui d’ordinaire servent de bêtes de charge, soit pour porter les fardeaux, soit pour porter les hommes mêmes. La terre, quoique très fertile et bien cultivée, ne peut pas nourrir tout ensemble et les hommes et les animaux. Les maisons des faubourgs et des villages après Hoai ngan sont construites de roseaux et de terre, et couvertes de paille. Il n’y a pas jusqu’aux hôtelleries destinées à recevoir les mandarins, qui sont bâties de la même manière. Depuis le Hoang ho, les terres vont en montant jusqu’à Peking, ainsi qu’on le voit par le cours des rivières.

Le 18 nous fîmes onze lieues pour nous rendre à Sou tsien hien. La campagne est toujours plate, unie, et cultivée avec plusieurs grandes levées, qui sont autant de grands chemins les plus propres et les plus commodes qu’on puisse souhaiter : elles ont de part et d’autres leurs talus très bien entretenus. Ces levées ont ordinairement dix à douze pieds de hauteur au dessus de la campagne, et vingt-cinq à trente pieds de largeur, et quarante par le bas. Tout le haut, de même que le bas, est de même niveau.

Presque toute la journée nous marchâmes le long d’une petite rivière fort rapide et fort profonde, large de sept à huit pas géométriques, très bien ramassée dans son lit, et qui porte d’assez grosses barques. Elle paraît couler parallèlement au Hoang ho, qui n’en est souvent éloigné que de trois à quatre cents pas. Il y a de l’apparence que nous prîmes la veille cette rivière pour un canal artificiel. La campagne est là partout marécageuse, couverte d’eau en plusieurs endroits, et de petits arbres semblables à des bouleaux.

Nous arrivâmes à Sou tsien hien par une grande levée fort propre. A la droite nous découvrions le Hoang ho. Cette ville est sur une petite éminence ; les murailles en sont à demi ruinées, chacun de ses deux faubourgs vaut mieux que la ville. Nous vîmes proche des murs une espèce de palais nouvellement bâti. C’est un monument en l’honneur de l’empereur Cang hi, qui passa par cette ville en allant à Sou tcheou. La principale partie de cet édifice est une espèce de salon carré, oblong, ouvert de tous côtés, à double toit, couvert de briques vernissées de jaune.

Le 19 nous partîmes de Sou tsien. A une demie lieue de la ville nous trouvâmes sept ponts plats de suite, longs chacun d’environ cent pieds, portant sur des piles ou petites murailles de briques avec des garde-fous, et des arcs triomphaux de bois à chaque extrémité. Ces ponts sont sur une même ligne, et jetés sur divers canaux, qui font comme un labyrinthe en cet endroit ; on en bâtissait encore un huitième, et au bout de ceux-ci on en trouve un neuvième encore plus long, mais moins proprement bâti.

La campagne est encore assez plate, mais moins unie, moins cultivée, moins peuplée que les jours précédents. La terre est noirâtre, dure, et peu fertile. Nous ne fîmes ce jour-là que six lieues : les maisons qu’on rencontre sur la route ne sont que de terre et de paille.


Province de Chan tong.

Le 20 nous ne fîmes que six lieues jusqu’à un gros village nommé Hong hoa pou, qu’on dit être de la province de Chan tong, quoique d’autres nous aient assuré qu’on n’entrait dans cette province que deux ou trois lieues au-delà de ce village. La campagne est plate et plus unie que le jour précédent, et est très bien cultivée. Les hameaux y sont fréquents. Nous eûmes à passer trois petits ponts de briques de trois ou quatre arcades chacun, qui sont sur des torrents.

On trouve de distance en distance des espèces de guérites élevées dans la campagne pour placer des sentinelles. Depuis Sou tsien il n’y a plus de levée. C’est pour la première fois que nous vîmes un troupeau de moutons : quoique jusqu’à présent nous ayons toujours marché dans des plaines, où le plus souvent on découvre le pays à perte de vue de tous côtés, on ne voyait ni troupeaux, ni prairies. Les Chinois ne laissent reposer aucune de leurs terres, et consument tout ce qu’elle produit.

Le 21 nous commençâmes à voir plusieurs vergers d’arbres fruitiers dans la campagne, laquelle en cela ressemble à plusieurs de nos provinces de France : mais elle est mieux cultivée, et les maisons et les hameaux y sont beaucoup plus fréquents.

Tout le chemin que nous avons fait depuis Yang tcheou est le plus beau et le plus commode qu’on puisse voir : quoiqu’au milieu de l’hiver, nous n’y avons pas trouvé un seul mauvais pas. Il n’y a ni boue, ni pierres, ni même aucune inégalité : on dirait que c’est une allée de jardin.

L’après dîner nous fîmes encore cinq à six lis : la campagne est plate à l’ordinaire et bien cultivée. On y sème du blé et du riz, mais moins de riz que de blé. Nous eûmes ce jour là à main droite vers l’est un petit coteau, qui s’étend nord et sud en ligne droite. Nous couchâmes à Li kia chuang.

Jusqu’à cette bourgade nous avons vu dans la campagne quantité de ces rouleaux de pierres, partie cannelés, partie unis, pour aplanir les terres, et les aires où l’on bat le grain. Ce bourg est sur le bord d’une petite rivière qui est fort large vu sa profondeur.

Le 22 nous traversâmes cette petite rivière, et après avoir fait quatre lieues, nous arrivâmes à Y tcheou. La campagne toujours plate, et unie comme la Beauce, mais bien plus peuplée, les chemins secs et sablonneux. La ville ne me parut pas avoir plus d’une demie lieue de circuit, les murailles sont de briques et bien entretenues. Il y a plusieurs angles saillants, et des manières de bastions polygones ou faits en forme de fer à cheval.

Le gouverneur vint nous visiter à notre auberge. Il dépêcha un courrier pour avertir sur la route que nous étions prêts de passer, en quoi il nous rendit un grand service car sans cette précaution, il eût peut-être difficile de trouver à point nommé dans les villes de la province de Chan tong qui sont la plupart assez petites, le nombre de portefaix nécessaires pour porter notre bagage.

Nous passâmes dans un faubourg par-dessus un pont à cinq petites arches : ce pont est de marbre, avec ses garde-fous de même ornés de figures de lions d’une sculpture assez grossière. Les dehors des faubourgs sont semés de tombeaux de terre de figure pyramidale, avec des inscriptions sur des tables de marbre. Nous allâmes coucher à quatre lieues de Y tcheou dans un mauvais village, dont toutes les maisons sont de terre et couvertes de chaume. La campagne qui est sablonneuse, rend le chemin incommode aux voyageurs à cause de la poussière.

Au sortir d’Y tcheou la campagne est plus couverte : on commence à voir des haies vives d’épines très fortes et très rudes : on trouve à l’ordinaire de demie lieue en demie lieue des guérites où l’on pose des sentinelles : elles se font des signaux la nuit par des feux qu’elles allument au haut de la guérite, ou par des drapeaux qu’elles suspendent durant le jour. Ces guérites ne sont faites que de gazon, et souvent de terre battue : elles ont douze pieds de hauteur, elles sont carrées, et élevées en talus.

Le 23 nous fîmes neuf à dix lieues : le matin la campagne fut inégale. On marche tantôt sur des hauteurs dont la descente est quelquefois assez raide. La terre était stérile en plusieurs endroits : mais le soir nous traversâmes une campagne fertile, entre deux chaînes de montagnes, l’une à l’est, l’autre à l’ouest ; : celles-ci étaient fort hautes, escarpées, hachées en mille endroits, couvertes de neiges, affreuses à voir à cause des rochers ; celles du côté de l’est étaient plus basses.

Les maisons des villages que nous vîmes sont de pierres mal entassées les unes sur les autres. Dans ces villages tout le peuple est occupé à filer de cette soie grise de Chan tong ou à en faire de l’étoffe. C’est là que nous vîmes de ces vers sauvages qui mangent indifféremment toutes sortes de feuilles, et qui filent une soie grisâtre, dont on fabrique l’étoffe qu’on nomme kien tcheou. C’est une étoffe qui se lave, dont on fait commerce dans tout l’empire. Quoiqu’elle ne paraisse pas belle à la vue, les personnes de qualité ne laissent pas d’en user communément pour les habits qu’on porte dans la maison.

Le 24 nous marchâmes tout le jour entre des montagnes incultes, mais l’entre-deux est ordinairement bien cultivé, et les villages y sont assez fréquents. Nous dînâmes à Mong in hien petite ville dont les murailles n’ont que douze pieds de hauteur, et sont assez mal entretenues. Quoique le chemin inégal nous fît continuellement monter et descendre, il ne laissait pas d’être beau et sec, mais très incommode à cause de la poussière.

Le 25 nous ne fîmes que huit lieues : nous passâmes par un faubourg d’une petite ville nommée Sin tai hien. Nous marchâmes toujours dans des campagnes plates bien cultivées, fort peuplées, et couvertes d’arbres fruitiers. Quoiqu’il y eût des hauts et des bas dans tout le chemin, il n’en était pas moins beau, et la pente en descendant était presque insensible. La chaîne de montagnes continuait toujours à droite et à gauche à une lieue au moins de distance du chemin. Dans certains endroits elles ne sont unies que par des collines, au-delà desquelles on voit des campagnes à perte de vue.

Le 26 après avoir marché environ trois heures entre des montagnes affreuses et désertes, nous trouvâmes une plaine bien cultivée et couverte d’arbres fruitiers. L’après-dîner la campagne était également belle jusqu’à Tai ngan tcheou qui est au pied d’une grande et affreuse montagne qui la met à couvert des vents de nord.

Cette ville est dans une très belle assiette, ses murailles sont hautes de plus de 25 pieds, mais le dedans des maisons est très misérable. Nous avons dîné à Yan leou tien ; un bon quart de lieue après ce bourg, nous passâmes une rivière qui était presque à sec : là les montagnes s’ouvrent pour faire place à une grande plaine très fertile et très peuplée. A l’orient et à l’occident les montagnes paraissent interrompues, mais elles recommencent aussitôt, principalement du côté de l’orient, et viennent en cercle se rapprocher auprès de Tai ngan.

Le 27 nous séjournâmes pour donner le temps à notre bagage, qui suivait la route marquée par le cang ho, de se rendre à trois journées au-delà, où nous devions aller le rejoindre par des chemins de traverse.

Le 28 nous fîmes neuf à dix lieues entre des montagnes affreuses. On voit peu de terres cultivées quoique les bourgs soient assez fréquents et fort peuplés. Un tiers des personnes de ce pays-ci a de grosses loupes à la gorge, il y a là quelques bourgs et villages qui sont sujets à cette incommodité : on croit que l’eau des puits, dont ils sont obligés de se servir, en est la cause.

Les auberges sont peu commodes, on couche sur de petits fourneaux de brique de la longueur d’un lit : on y fait fort mauvaise chère, quoiqu’on y achète des faisans à meilleur marché que la volaille. Nous y en avons eu quelque fois quatre pour dix sols. Ces montagnes dont je parle, et entre lesquelles nous passâmes, sont peu hautes, et la plupart sans aucun arbre. Il y en a de couvertes de terre qui ont été autrefois cultivées : les vestiges des terrasses paraissent encore depuis la racine jusqu’au sommet ; mais jusqu’à présent et depuis Ning po, en traversant les provinces de Tche kiang, de Kiang nan, et de Chan tong, je n’ai aperçu aucune trace des ravages que la guerre a causé dans ce vaste empire, ni aucun pouce de terre qui fût en friche à la réserve de ces montagnes.

Tout autre royaume devrait être épuisé d’hommes après tant de massacres : car il n’est pas concevable combien de millions d’hommes ont péri par la famine et par le fer depuis le dernier empereur de la dynastie des Ming. La décadence de cette dynastie commença par une famine presque universelle : la misère favorisa un grand nombre de bandits qui ne songeaient qu’à vivre de brigandages : ils entraient à main armée dans les villes et les villages, et choisissant les jeunes hommes capables de porter les armes, ils massacraient le reste de leur famille, afin que n’ayant ni père ni mère, ni feu ni lieu, la nécessité les forçât à s’attacher à eux pour toujours.

Les chefs de ces brigands se défirent peu à peu les uns les autres : il n’en resta que deux, dont l’un portant l’ambition jusqu’au trône, se rendit maître de Peking, et obligea l’empereur à se pendre de désespoir. Les provinces entières furent dépeuplées, et si l’on ajoute à tous ces ravages, la guerre des Tartares qui furent invités à exterminer ces bandits, et la dernière guerre civile, il sera aisé de conclure qu’il n’y a que la Chine qui puisse souffrir de si rudes saignées, sans voir diminuer ses forces.

Le 29 nous fîmes environ trois lieues entre des montagnes également affreuses. Nous passâmes auprès d’une qui s’élève en forme de cône, et au sommet de laquelle est une petite pagode, où l’on monte par un escalier fort étroit et fort raide d’environ deux cents marches.

Peu après s’ouvrit une vaste plaine très bien cultivée, où nous marchâmes le reste de la journée fort incommodés de la poussière, quoique le chemin fût très beau. Nous fîmes ce jour-là neuf lieues. Deux lieues avant que d’arriver au gîte, nous passâmes auprès des murailles d’une petite ville nommée Tchang tsin hien. Il nous fallut passer un pont, bâti devant la porte de la ville, sur une rivière qui alors était à sec.

Ce pont est de neuf arches soutenues par de grosses piles carrées de pierres fort hautes, de sorte que le cintre de l’arche est assez petit : il commence par une grosse culée, et finit par un long talus, soutenu par sept petites arches qu’un gros massif de pierres sépare des autres. Les têtes des poteaux, lesquels soutiennent les panneaux de pierre qui servent d’appui, sont taillées assez grossièrement en figure d’animaux. Le tout est d’une espèce de marbre d’une couleur qui tire sur le noir, mais grossier, et sans être poli : le pavé est fait de grands quartiers de pierres du même marbre.

On trouve beaucoup de ce marbre dans les deux provinces que nous avons traversées, et surtout dans celle de Chan tong où nous sommes. Il est même vraisemblable que les montagnes presque entièrement dépouillées d’arbres que nous avons vues, en sont remplies, puisque dans les endroits où les pluies ont éboulé les terres, il paraît des pierres noirâtres qui ressemblent fort à ce marbre.

Le 30 nous marchâmes pendant dix lieues dans une campagne très unie, bien cultivée, et remplie de gros hameaux qu’on prendrait pour autant de villages : le chemin très sec est poudreux, ce qui incommode fort les voyageurs. On voit dans chaque village plusieurs pagodes : ce sont les seuls édifices qui soient de brique, tous les autres sont de terre de paille : ils ont le faîte et le pignon chargés d’ornements, comme d’oiseaux, de dragons, et de feuillages, et sont couverts de tuiles vernissées de vert et de bleu.

On trouve de temps en temps dans la campagne des tombeaux de terre de figure pyramidale ; il y a d’ordinaire dans ces endroits de petits bosquets de cyprès à feuilles plates forts jolis. Avant midi nous passâmes auprès de Yu tching hien : c’est une ville carrée, dont les murailles sont de terre battue, détrempée avec de la paille, et en plusieurs endroits de briques, cuites au soleil, et crépies d’argile. Les hôtelleries sont les plus misérables que nous ayons encore vues.

Outre un grand nombre de bourgs que le grand chemin traverse, on trouve fort souvent des hôtelleries sur le bord du chemin ; ce sont des appentis de roseaux, ou tout au plus de méchantes maisons de terre, où le petit peuple se retire. Sur la plupart des tours on voit ici des cloches de fer fondu assez grosses.

La journée que nous fîmes le 31 fut de 12 lieues. A deux lieues de la bourgade où nous couchâmes, nous laissâmes à gauche la ville de Pin yuen hien qui nous parut avoir environ deux lieues de tour. On voit dans un de ses faubourgs, par où nous passâmes, un peuple infini, et beaucoup de chantiers de bois de charpente, dont il y a apparence qu’on fait un grand trafic.

A huit lieues de cette ville nous trouvâmes Te tcheou, grosse ville située sur le grand canal de la Cour, et entourée de belles murailles de brique. Un de ses faubourgs par où nous passâmes, semble une ville par sa grandeur, et par le peuple nombreux qu’on y trouve.

Depuis Te tcheou, le chemin, qui auparavant était enfoncé, devient de niveau avec la campagne, et le plus beau qu’on puisse imaginer, à la poussière près. La plaine est unie comme un jardin, remplie de villages environnés d’arbres fruitiers, et diversifiée de bosquets de cyprès plantés sur les sépulcres, ce qui produit un effet très agréable à la vue. La terre est d’une argile un peu plus douce et plus grise. Les charrettes sont attelées de bœufs, de la même manière qu’on y attelle les chevaux en Europe : l’un sert de limonier, et porte une petite selle. Les maisons sont la plupart de terre et fort basses : le toit fait un angle si obtus, ou pour mieux dire, s’arrondit peu à peu de telle manière, qu’il paraît plat : il se fait de roseaux couverts de terre soutenue par des nattes de petits roseaux, qui portent sur des pannes et sur des solives. On peut juger par là des hôtelleries, qui dans cet ordre d’architecture sont bien moins ornées. On n’a point ici de bois de chauffage ; on ne se sert que de charbon de terre, encore doit-il être bien cher, car dans les hôtelleries on brûle le plus souvent des roseaux ou de la paille, dont il y a une grande abondance.

Le canal royal, qui est au nord de cette ville, était glacé, et nous vîmes dessus pendant environ une demie-lieue une file de barques qui semblaient se toucher. Depuis Hang hoa pou nous avons trouvé de temps en temps quelques tours ou petits donjons carrés, oblongs, faits de briques à deux étages : leur hauteur est d’environ 45 pieds, leur longueur de 50 à 60, et leur largeur de 18 ou 20 avec sept créneaux d’un côté, et trois de l’autre. Les villages sont la plupart fermés de petites murailles de terre avec deux portes aux deux extrémités de la rue, et sur ces portes des pagodes ou petits temples d’idoles.


Province de Pe tche li.

Le premier de février à quatre lieues de l’endroit où nos avions couché, nous entrâmes dans la province de Pe tche li, nous passâmes par l’extrémité d’un faubourg de la ville de King tcheou : ses murailles paraissent de terre ; nous en vîmes trois côtés à angles droits, ce qui me fait croire qu’elle est comme la plupart des villes chinoises d’une figure carrée.

On voit dans la ville une tour hexagone de onze ou douze étages, qui vont en diminuant à mesure qu’ils s’élèvent, avec des fenêtres de tous les côtés de chaque étage. Dans les faubourgs du nord et du sud, il y a plusieurs de ces tours ou petits donjons, dont j’ai déjà parlé : on en trouve dans la plupart des villages, les habitants se servent de ces donjons pour mettre leurs effets plus en sûreté dans des temps de troubles, ou lorsqu’ils craignent des irruptions de voleurs. Les maisons des villages sont de terre et de paille, dont le toit est presque plat : plusieurs de ces maisons ont une plate-forme.

A parler en général, dans toute la route que nous avons tenue depuis Ning po, nous n’avons vu aucun édifice qui méritât d’être remarqué, si l’on en excepte les ouvrages qu’on a bâti pour la commodité publique, tels que sont les levées, les digues, les ponts, les murailles, les arcs de triomphe, etc. Nous allâmes coucher à cinq lieues de King tcheou, dans une ville nommée Fou tching hien par des chemins que la poussière rendait très incommodes. C’est là que nous apprîmes la mort de l’impératrice mère de l’empereur Cang hi, arrivée le 27 du mois précédent.

Aussitôt, pour nous conformer aux usages de l’empire, nous ôtâmes de dessus nos bonnets les houppes de soie rouge dont ils étaient couverts, ce qui est une marque de deuil. C’est une cérémonie qu’on observe par tout l’empire durant au moins 27 jours à compter du jour qu’on a reçu cette nouvelle dans le pays. Les mandarins en publient l’ordre, et si l’on y manquait, on s’exposerait à être châtié.

Le 2 arriva le commencement de l’année chinoise : les premiers jours de l’année sont à la Chine des jours de réjouissance, à peu près comme le temps du carnaval en Europe : on se salue, on se visite, on se souhaite une heureuse année les uns aux autres, on donne des démonstrations de la joie publique par des illuminations, et par des feux d’artifice.

Ce jour-là après avoir dîné dans un gros village à sept lieues de Fou tching, nous passâmes au sortir de ce village par-dessus un beau pont de marbre long d’environ vingt pieds. Les garde-fous sont de belles tables de marbre couchées de champ, larges d’environ vingt pouces sur cinq de longueur, ornées de bas reliefs, avec des piédestaux entre deux, qui portent des figures de lions moins grossières que celles que nous avons vues jusqu’ici.

Il y a beaucoup de marbre dans cette province : la campagne est unie, bien cultivée, et pleine de hameaux et de villages, où l’on voit grand nombre de ces espèces de tours ou de donjons, de sorte que de loin l’on prendrait tous les villages pour autant de forteresses. Toutes les maisons sont de terre, à toits plats, couverts de paille ou de chaume, plusieurs flanquées de petits pavillons carrés. Nous rencontrâmes en chemin un grand nombre de courriers ayant suspendue à leur dos une petite boîte enveloppée d’étoffe jaune, qui est la couleur de l’empereur. Ils portaient sans doute dans divers quartiers de l’empire la nouvelle de la mort de l’impératrice mère.

Nous fîmes le soir quatre à cinq lieues, et après avoir passé près de Hien hien, ville d’environ une lieue de tour dont les murailles, ainsi que les maisons, sont de carreaux posés en forme de briques, nous allâmes coucher à Kie kia lin.

La journée du 3 fut de onze lieues ; après avoir marché environ deux heures, nous passâmes proche des murailles de la ville de Ho kien fou, qui peut avoir deux lieues de circuit ; elle est de figure carrée, ses murailles et leurs parapets sont de brique et très bien entretenues. On y voit de petites tours carrées de distance en distance, et de petits bastions également carrés aux quatre coins, dont les faces n’ont que sept ou huit toises de long.

Nous allâmes coucher dans une autre ville nommée Gin kieou hien. La campagne que nous traversâmes ce jour là, est toute semblable à celle des jours précédents, unie de même et également bien cultivée. Les bourgs et les villages y sont fort fréquents : il y en a de fort longs, qui ont à leur entrée et à leur issue des portes, qui ne sont point différentes des portes de villes, avec des pagodes au-dessus.

Nous avons trouvé en divers endroits des tables de marbre avec des inscriptions posées à plomb sur le dos d’une grande tortue de marbre. Depuis Ning po nous n’avons vu ni bois ni forêts ; toutes les campagnes étaient bien cultivées, à la réserve des terres inondées, et de quelques montagnes stériles.

Le 4 nous partîmes de Gin kieou hien. C’est une ville de figure carrée oblongue, elle me parut avoir 1.400 pas de circuit. Ses murailles et les parapets sont de brique avec des tours à certaines distances, et ont plus de trente pieds de hauteur : les maisons de même que celles des villages, sont pareillement de brique : les toits en sont assez propres.

A cinq lieues de cette ville, nous passâmes par une grosse bourgade qui est d’un grand commerce, et au milieu de laquelle il y a un arc de triomphe semblable aux deux que nous avions vu la veille à Gin kieou hien. aussitôt après cette grande bourgade commence une levée, et à une lieue de là on trouve des marécages à traverser, que la levée coupe durant 500 pas. Après ces marécages paraît un gros village, où il y a trois ponts de bois sur autant de canaux.

Deux lieues au-delà nous passâmes au milieu de la ville de Hiong hien dont le faubourg du sud-est est traversé par un canal. La rue par où nous passâmes était ornée de quatre arcs de triomphe. Les piliers portent sur des bases de marbre blanc hautes de trois pieds, composées de quatre pierres liées avec des cercles de fer, et traversées de chevilles de fer ; le plus souvent le pilier qui est de bois est saisi entre ces quatre pierres, comme entre autant de jumelles. Ces bases au lieu de cimaise, ont une espèce de chapiteau à longues feuilles de glaïeul, à ce qu’il semble.

Après avoir quitté Hiong hien où nous dinâmes, nous fîmes quatre lieues pour aller coucher à Pe keou ho gros bourg fermé aux deux extrémités par deux portes, sur lesquelles il y a des pagodes. Le pays à l’ordinaire est très peuplé, les villages deviennent plus beaux ; les maisons sont presque toutes couvertes de tuiles posées en forme de demi canal et fort épaisses.

Le 5 à deux lieues de ce bourg nous passâmes plusieurs canaux, et après avoir fait encore une lieue, nous traversâmes la ville de Sin tching hien. Sa figure est carrée, et elle n’a guère que douze à treize cents pas de circuit. Ses murailles ont vingt-cinq pieds de hauteur.

L’après dîner nous traversâmes la ville de Tso tcheou par le milieu, c’est-à-dire, par sa principale rue, qui est fort large et tirée à la ligne. Cette ville qui a bien trois mille pas de circuit, est plus peuplée que les autres : les faubourgs du sud et du nord sont fort longs, les rues belles et droites, les maisons à la chinoise, basses et d’un ou deux étages. A la sortie du faubourg du nord, le point de vue est admirable : à droite, est une campagne à perte de vue sans la moindre hauteur ou inégalité ; et à gauche une chaîne de montagnes, qui selon les apparences se continuent autour de la province de Pe tche li jusqu’à la mer. Nous la côtoyâmes jusqu’à Peking.

On trouve aussitôt un pont de neuf arches, dont les arcs portent sur des piles carrées de pierre, qui laissent une saillie, laquelle tient lieu de perron. Tout cet ouvrage est solide et épais. Le pont est pavé de gros quartiers de pierre. Les appuis du pont qui ont deux pieds et demi de haut, sont faits de grands panneaux de marbre blanc, poli, mais assez grossier, coulés dans des rainures faites en des poteaux pareillement de marbre blanc de quatre pieds de haut. Ces poteaux sont au nombre de soixante-deux de chaque côté. Les panneaux, surtout ceux du milieu, ont plus de six pieds de long ; ils vont ensuite en diminuant peu à peu jusqu’aux deux bouts du pont. Il y a deux glacis ou talus pour y monter insensiblement. Ce glacis s’unit à une levée de terre d’environ 500 pas au bout de laquelle on trouve un autre pont de trente-quatre poteaux de chaque côté, semblable au premier.

A l’entrée on laisse à droite un che pei : c’est une grande pierre de marbre enfermée dans un grand salon carré de brique ; elle est posée sur une base de marbre de deux pieds et demi de haut, et de quatre pas en carré : c’est sans doute un monument en l’honneur de quelque personnage illustre, tel qu’on en voit plusieurs sur les chemins. Ces monuments de pierre qu’on voit au bout des ponts, s’élèvent à l’honneur de celui ou de ceux qui ont fait quelque dépense pour le bien public, ou quelque action illustre.

Depuis trois jours la terre paraît plus grise et plus dure et l’on continue de trouver un monde infini qui va et qui vient. Nous allâmes coucher à deux lieues de Tso tcheou dans un gros bourg nommé Leou li ho. Il y a des portes à ses deux extrémités et une espèce de faubourg. Nous fîmes ce jour-là douze lieues,

Le 6 nous partîmes de ce bourg. Après avoir passé le faubourg, nous trouvâmes un très beau pont, qui a environ cent pas géométriques de longueur, et qui est large de vingt pieds, avec deux grands arcs de triomphe aux deux extrémités. Les garde-fous sont de grandes pierres plates, blanches, et grises, soutenues par de petits piliers de la même pierre qui approche fort de la nature du marbre. Ces pierres sont taillées proprement, et ornées de diverses moulures. Tout le long des garde-fous, il règne une petite banquette de pierre haute de neuf ou dix pouces : le pont est pavé de larges pierres plates assez belles, après quoi suit une grande levée large de plus de quarante pieds, et longue de plus de six à sept cents pas : elle est pavée de la même manière, on voit sur cette levée deux petits ponts de la même structure.

A quatre lieues de Leou li ho, on trouve Leang hiang hien ville assez grande, mais dont les murailles ne sont pas en fort bon état. A une lieue de là on voit un beau pont dont les garde-fous sont de grandes et belles pierres blanches : les extrémités sont soutenues par quatre figures d’éléphant. Nous en vîmes un autre dont les grandes pierres des garde-fous sont percées en manière de balustres. Nous ne fîmes ce jour-là que trois lieues.

Nous nous arrêtâmes dans un village à huit lieues de Peking pour y attendre des nouvelles de nos Pères qui sont à la cour : nous y apprîmes la triste nouvelle de la mort du père Ferdinand Verbiest arrivée le 28 janvier. L’empereur n’épargna rien, pour tâcher de conserver ce Père qu’il honorait de sa bienveillance. Il lui envoya un de ses premiers médecins qui ne quittait point l’impératrice mère laquelle était à l’extrémité : mais le médecin ayant vu le malade, répondit à Sa Majesté, en se servant de l’expression chinoise, que de dix parties il y en avait neuf qui allaient à la mort, et en effet il mourut peu de jours après.

Le 7 les Pères qui sont à la Cour nous envoyèrent un officier du tribunal des mathématiques pour nous conduire à Peking. Aucun d’eux ne put venir en personne, comme ils l’eussent souhaité, à cause du deuil que la mort du père Verbiest les obligeait d’observer à la manière chinoise. Nous partîmes à une heure après midi.

Sur ce chemin qui a près de vingt toises de largeur et souvent davantage, la multitude de peuples, de chevaux, de mulets, d’ânes, de chameaux, de chaises roulantes, de litières, et de charrettes faisaient un si grand fracas, qu’il est difficile d’en donner quelque idée.

Nous traversâmes Lou keou kiao qui est à trois lieues de Peking. C’est une petite ville presque carrée de 1.200 pas de circuit. Il n’y a rien de plus agréable à la vue : les murailles en sont parfaitement belles. Elle a deux portes doubles, avec place d’armes, et de belles salles au-dessus.

En entrant dans la ville, on passe sur un pont, le plus beau que nous ayons encore vu ; il a plus de 170 pas géométriques de long. Les arcades en sont petites. Mais les garde-fous sont faits d’une pierre blanchâtre et dure, qui approche du marbre ; ce sont de grandes pierres de plus de cinq pieds de long, hautes de trois et épaisses de sept à huit pouces, soutenues de chaque côté par des pilastres ornés de moulures, et qui portent des figures de lions. Je comptai d’un seul côté 147 de ces pilastres. Deux banquettes d’un demi pied de long et d’un pied et demi de large règnent le long des garde-fous ; le pont est pavé de grandes pierres plates si bien jointes, qu’il est uni comme une salle ; les murs fort proprement bâtis ont quarante pieds de hauteur, le rempart, qui n’est pas fort épais, est revêtu en dedans de la même façon ; la banquette est assez large, et d’une belle maçonnerie, aussi bien que le parapet, dont les créneaux sont fort près les uns des autres. Les portes par où on entre, sont doubles avec une espèce d’avant-mur en cet endroit, elles sont hautes, épaisses, et bien voûtées ; au-dessus il y a un édifice à double étage et à double toit ; on y monte de part et d’autre par un grand escalier, qui a bonne grâce. Depuis cette ville jusqu’à Peking on dirait que le chemin, qui est grand et large, est une rue perpétuelle, tant il y a de monde.

A quatre ou cinq cents pas de la porte de la ville extérieure, nous nous arrêtâmes devant la douane, où on laissa passer notre bagage sans le visiter. Dans le temps que nous étions arrêtés, une personne ouvrant la fenêtre de ma litière, me demanda si nous venions payer le tribut à l’empereur ; sur quoi il est à propos de faire une remarque assez importante mais pour la mieux comprendre, il faut savoir ce que j’ai dit ailleurs, que les Chinois supposant la terre carrée, prétendent que la Chine en est la plus grande partie. Ainsi pour désigner leur empire, ils se servent du mot Tien hia, le dessous du Ciel. Ce terme est à tout moment dans leur bouche. Tin pou tien hia, disent-ils, cela a cours par toute la Chine : Te leao tien hia, il s’est rendu maître de l’empire.

Prévenus de cet admirable système de géographie, ils ont cantonné le reste des hommes dans les angles de ce prétendu carré, et les traitant tous de barbares, ils ont cru leur faire beaucoup d’honneur que de les ranger au nombre de leurs tributaires. Ainsi tout ce qui vient des royaumes étrangers, soit lettres, soit présents, soit envoyés, tout cela passe pour une marque de soumission, et pour un tribut. Après quoi dans leur histoire, on marque le nom de ce royaume parmi les tributaires de la Chine.

Le dénombrement que je pourrais faire de tous les royaumes qu’ils comptent parmi leurs tributaires, serait trop ennuyeux, je me contenterai de marquer les principaux. La Corée est à la tête, ensuite le Japon, puis viennent les Mores, parmi lesquels ils mettent le royaume de Sa ma Ih han, qui doit être apparemment Samarcande ; Pan co la qui doit être Bengale, car ils le mettent à l’orient de l’In tou ou de l’Indoustan. Enfin vient Me tee na, car Mahomet, qui a trouvé le secret de se faire honorer de tant de peuples, n’a pas pu s’exempter d’être mis au rang des tributaires de la Chine.

Voici ce qu’en dit la géographie chinoise qui a pour titre Quan yu. Me tee na est le premier royaume des Mores : son premier roi, nommé Mo han mou te, fut un homme d’un génie extraordinaire ; il soumit à son empire tous les royaumes qui sont à l’occident : sous le règne de l’empereur Min hiuen te, il envoya un ambassadeur accompagné de gens du royaume de Tien fan pour payer le tribut.

D’où l’on doit conclure que les princes d’Europe doivent se donner de garde d’envoyer ni lettres, ni présents soit par les missionnaires, soit par les marchands, soit par quelqu’autre voie, qui se présentent en leur nom, car aussitôt leur royaume serait enregistré sur le rôle des royaumes tributaires.

Quelque chose que fassent les Moscovites, ils auront bien de la peine à faire changer ce terme en leur faveur : quand même on le changerait, on ne laisserait pas de prendre l’ambassade comme un hommage qu’on vient rendre à peu près de même que dans le reste des Indes, où quiconque apporte une lettre de son prince, passe pour ambassadeur, non pas que réellement les Indiens le croient, mais ils veulent se le persuader pour flatter leur vanité, d’où souvent ils prennent occasion de mépriser la majesté auguste des rois de l’Europe, avec lesquels leurs princes ne peuvent pas entrer en comparaison.

Une lieue avant que d’arriver à Peking nous vîmes toute la campagne couverte de bosquets de jeunes arbres assez hauts, fermés de murailles de terre ; ce sont autant de sépultures différentes. Sur les quatre heures nous entrâmes dans la ville de Peking par une porte qui est double, comme toutes les autres portes de la ville, et toute couverte de lames de fer attachées avec plusieurs rangs de gros clous : les murs ont 30 à 35 pieds de hauteur ; il y a des tours carrées d’espace en espace ; la rue par où nous entrâmes est large de plus de 45 à 50 pieds tirée à la ligne : nous fîmes une bonne demie lieue dans cette rue à travers une foule incroyable de monde : c’est partout un flux perpétuel de gens qui vont et qui viennent, et cependant il ne paraît aucune femme, quoique leur nombre soit beaucoup plus grand que celui des hommes. A tout moment nous trouvions des bateleurs environnés de 50 à 60 hommes en pelotons les uns sur les autres. On eût dit que dans tous les quartiers de cette vaste et longue rue, il y avait des foires et des assemblées, tant le peuple qui y fourmille est nombreux.

Cette grande rue s’étendait encore à perte de vue, lorsque nous rabatîmes tout d’un coup à main gauche dans une autre grande rue droite, presque aussi large que la première, où nous rencontrâmes encore une foule prodigieuse de peuples. Dans ces deux rues les maisons sont basses, sans étage, et n’ont rien qui attire la vue de ceux qui passent, à la réserve des boutiques de gros marchands, qui l’emportent pour la propreté, et peut-être pour la richesse, sur celles des plus gros marchands de l’Europe. L’entrée de ces boutiques est ornée de dorures, de peintures, et de ce beau vernis de la Chine, d’une manière propre à frapper.

Au bout de cette rue on voit l’entrée de la seconde enceinte, ou pour mieux dire, de la seconde ville qu’on appelle la ville des Tartares. On y entre par une double porte, dont une est à côté. Cette enceinte de murailles, dans l’endroit où nous l’avons vue, est propre, et bâtie de nouveau avec des tours carrées, dont les flancs ont plus de sept à huit toises ; le côté qui tient lieu de face, en a encore davantage. La seconde porte, qui est la porte intérieure, est chargée d’un gros édifice à double toit, couvert de tuiles vernissées et à double étage, dont le dessous, qui a de la saillie, est embelli de peintures et de sculptures. L’endroit de l’avant-mur, qui répond à cette porte, est pareillement chargé d’un autre édifice plus gros que le premier, qui a quatre étages avec douze petites fenêtres carrées à chacun, ce qui fait un très bel aspect au bout de la seconde rue de la première ville.

Après avoir passé ces deux portes, nous tournâmes aussitôt à main droite, où nous trouvâmes la maison des jésuites portugais, qui est vis-à-vis et proche du rempart. Il y a une double entrée : à la première, trois petites portes assez propres conduisent dans une cour carrée et régulière, d’où l’on passe à l’église. Elle est flanquée à son entrée de deux tours carrées fort propres, et terminées en façon d’observatoire. A main droite, c’est-à-dire dans la première, il y a un très bel orgue, et dans l’autre une horloge à plusieurs timbres.

Au commencement de l’année chinoise tout Peking vient voir ces curiosités, et la cour ne désemplit point depuis le matin jusqu’au soir. Pendant ce temps-là on fait jouer l’orgue et sonner l’horloge, et plusieurs qui entrent dans l’église, ne manquent guère de s’informer des mystères qu’ils voient représentés dans les peintures, car il y a tout le jour un catéchiste qui les explique ; de sorte que ce concours ne se fait jamais sans que plusieurs âmes, qui ne cherchaient d’abord qu’à satisfaire leur curiosité naturelle, n’y trouvent ensuite les semences et les motifs de leur conversion à la foi.





  1. Dix lis font une lieue commune.
  2. A Peking il y a un Collège qu’on appelle le Collège des Han lin. Ils ont un président.