Description de la Chine (La Haye)/De la connaissance des Chinois dans les autres sciences

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Scheuerlee (3p. 326-327).


DE LA
CONNAISSANCE
DES CHINOIS
DANS
LES AUTRES SCIENCES


Lorsqu’on jette les yeux sur le grand nombre de Bibliothèques qui se trouvent à la Chine, toutes magnifiquement bâties, également ornées, et enrichies d’une quantité prodigieuse de livres ; quand on considère la multitude étonnante de leurs docteurs, et des collèges établis dans toutes les villes de l’empire, leurs observatoires, et l’attention qu’ils apportent à observer ; quand on fait d’ailleurs réflexion que l’étude est l’unique voie pour parvenir aux dignités, et qu’on n’est élevé qu’à proportion qu’on s’est rendu habile ; que depuis plus de quatre mille ans, il n’y a, selon les lois de l’empire, que les gens de lettres qui gouvernent les villes et les provinces, et qui soient placés dans tous les emplois des tribunaux et de la cour, on serait tenté de croire, que de presque toutes les nations du monde, la nation chinoise est la plus spirituelle et la plus savante.

Cependant pour peu qu’on la fréquente, on est bientôt détrompé. Il est vrai, et l’on ne peut s’empêcher d’avouer que les Chinois ont beaucoup d’esprit ; mais est-ce de cet esprit qui invente, qui pénètre, qui creuse, et qui approfondit ? Ils ont fait des découvertes dans toutes les sciences ; et ils n’en ont perfectionné aucune de celles que nous nommons spéculatives, et qui demandent de la subtilité et de la pénétration.

Je ne voudrais pas néanmoins accuser le fonds de leur esprit, ni encore moins assurer qu’ils manquent de lumières, ni de cette sagacité qui approfondit les matières, puisqu’on les voit réussir en d’autres choses qui demandent autant de génie et de pénétration que nos sciences spéculatives. Mais deux principaux obstacles s’opposent au progrès qu’ils auraient pu faire dans ces sortes de sciences ; c’est 1° qu’il n’y a rien ni au-dedans, ni au-dehors de l’empire, qui pique et entretienne l’émulation ; c’est en second lieu, que ceux qui pourraient s’y distinguer, n’ont point de récompense à attendre.

La grande et la seule voie qui conduit aux richesses, aux honneurs, et aux emplois, c’est l’étude des King, de l’histoire, des lois, et de la morale ; c’est d’apprendre à faire ce qu’ils appellent le Ouen tchang, c’est-à-dire, à écrire poliment, en termes choisis et propres du sujet qu’on traite. En tenant cette route on parvient à être docteur. Dès là qu’on a obtenu ce grade, on est dans un honneur et un crédit que les commodités de la vie suivent de près, parce qu’alors on est sûr d’avoir bientôt un gouvernement. Ceux même qui en attendant ce poste, retournent dans leurs provinces, y sont fort considérés du mandarin du lieu ; ils mettent leur famille à couvert de toute vexation, et ils y jouissent de plusieurs privilèges.

Mais comme il n’y a rien de semblable à espérer pour ceux qui s’appliqueraient aux sciences spéculatives, et que cette étude n’est pas la route qui conduise aux honneurs et à la fortune, il n’est pas surprenant que ces sortes de sciences plus abstraites, soient négligées des Chinois.