Description de la Chine (La Haye)/Dynasties/Troisième Dynastie, Tcheou

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Scheuerleer (Tome Premierp. 309-338).


TROISIÈME DYNASTIE


NOMMÉE TCHEOU.


Qui compte trente-cinq empereurs dans l’espace de huit cent soixante-treize ans.


VOU VANG. Premier empereur.
A régné sept ans.


Ce nouvel empereur fixa le siège de l’empire dans la capitale de la province de Chen si, qui se nomme à présent Si ngan. Il commença son règne par offrir des sacrifices au seigneur du Ciel, selon l’usage, et par rétablir les lois et les coutumes, que son prédécesseur avait en quelque sorte abolies.

1° Il s’informa avec soin de toutes les injustices qui avaient été faites sous le règne précédent, et il s’appliqua à les réparer.

2° Il rendit la liberté à plusieurs gens de mérite, qui avaient été jetés dans les prisons.

3° Il fit venir à sa cour Ki tsou, cet oncle du tyran, qui pour sauver sa vie, avait été obligé de faire le personnage d’insensé, et il eut avec lui de fréquents entretiens sur l’astronomie, sur la politique, et sur la science du gouvernement. Ses instructions se lisent dans le Livre intitulé Chu king dont nous parlerons assez au long : il récompensa ensuite ce savant homme, en lui donnant, et à sa postérité, le royaume de Corée en titre de souveraineté presque indépendante, car il n’imposa à ces princes d’autre obligation, que de venir, à chaque changement de règne, demander l’agrément et la protection de l’empereur.

4° Il rétablit plusieurs illustres familles qui étaient presque entièrement dégradées, et donna aux descendants des empereurs de petites souverainetés, pour soutenir leur rang avec décence. Un prince de la famille de Chin nong fut placé dans la province de Chen si. Un second de la famille de Hoang ti eut pour son partage un pays de la province de Hou quang, qui fut appelé le royaume de Tsou ; un troisième qui descendait de l’empereur Yao, eut des terres aux environs de Peking, qu’on nomma le royaume de Sou. Un autre descendant de Chun obtint des terres de la province de Ho nan, sous le titre de principauté de Tchin.

5° Il érigea plusieurs autres terres en quinze principautés, dont il gratifia quinze de ses parents. Mais il ne prévoyait pas que toutes ces souverainetés, quoiqu’elles relevassent de sa couronne, deviendraient dans la suite une source de guerres funestes.

Plusieurs de ses ministres furent également récompensés d’établissements presque aussi considérables, et il en éleva d’autres aux premières dignités de l’empire.

Le bruit de la sagesse et de la générosité de l’empereur se répandit dans les pays les plus éloignés, et l’on vit bientôt dans la capitale plusieurs princes étrangers, qui avaient refusé de rendre leurs hommages à Tcheou, venir faire leur cour à Vou vang, pour lui payer les anciens tributs, et se mettre sous sa protection.

Vou vang, dès la seconde année de son règne, fut attaqué d’une dangereuse maladie, qui fit craindre de le perdre. Toute la cour en fut alarmée. Tcheou kong son premier ministre fit offrir dans le palais des sacrifices pour la guérison de l’empereur, et au milieu de la solennité, il éleva les mains au Ciel, et d’une voie haute et distincte, il fit sa prière, par laquelle il offrit sa propre vie en sacrifice, pour racheter une vie aussi précieuse à l’État, que l’était celle de ce prince. L’histoire rapporte que dès le lendemain l’empereur se porta beaucoup mieux, et qu’en peu de temps il recouvra la santé.

Cette action du premier ministre, fut fort applaudie, et l’empereur en fut lui-même si touché, qu’il l’écrivit de sa propre main dans des registres secrets, qu’on conserve au palais dans des coffres d’or. Il continua à gouverner son peuple avec une tendresse de père, et il s’appliqua infatigablement aux affaires jusqu’à sa mort, qui arriva l’année vingt-troisième du cycle. Son fils nommé Tching vang lui succéda.


TCHING VANG. Second empereur.
A régné trente-sept ans.


La jeunesse de Tching vang le mettait hors d’état de gouverner l’empire par lui-même. Tcheou kong son oncle, et premier ministre, dont la vertu était universellement respectée, se chargea de ce soin, et présida à l’éducation du jeune prince. Il le mit entre les mains d’un habile gouverneur, capable de le former aux vertus royales, et il fit paraître tant de désintéressement dans l’administration de l’État, que les princes tributaires s’empressèrent à lui rendre les hommages ordinaires.

Cependant la vertu ne fut pas dans la suite à couvert des traits de la calomnie. Des mécontents s’efforcèrent de rendre sa fidélité suspecte à l’empereur, et donnèrent à entendre que son dessein était d’employer l’autorité qui lui avait été confiée, à se faire des créatures, et à usurper la souveraineté.

Ces discours, qui se répandaient sourdement, étant venus aux oreilles du ministre, il prit aussitôt le parti de se retirer de la cour. Une pareille résolution affligea les gens de bien, qui connaissaient sa probité, et son zèle pour les intérêts de son neveu.

Cependant le jeune empereur, ravi de se voir hors de la tutelle de son oncle, prit avec joie le soin des affaires, mais il sentit bientôt toute la pesanteur du fardeau, dont il s’était chargé : une suite de mauvais succès le firent rentrer en lui-même ; il se fit apporter les registres secrets pour les consulter, et y chercher les moyens de se tirer d’embarras ; en les parcourant, il tomba sur l’endroit, où son père avait écrit de sa propre main l’action généreuse de Tcheou kong par laquelle il s’était dévoué à la mort pour lui conserver la vie.

Touché du vif et tendre attachement qu’un tel sujet avait eu pour son prince, il eut honte de sa défiance, et comprit le besoin qu’il avait des lumières d’un si grand homme. Il part à l’instant, va trouver ce fidèle ministre dans le lieu de sa retraite, et le conjure avec larmes de ne le pas abandonner, et de l’aider de ses conseils.

Tcheou kong fut ainsi rétabli dans ses honneurs, et dans sa première dignité, où il ne cessa de donner des preuves de son zèle pour la gloire de son prince, et pour le bien de l’État.

On rapporte de cet empereur qu’à la cinquième année de son règne, il se rappela les amusements de son enfance, et que renouvelant ses petits jeux avec son frère cadet, il lui donna en badinant, les patentes d’une petite souveraineté. Le colao Sou yé, son gouverneur, lui dit que ce présent, quoique fait en riant, devenait une chose sérieuse, dès là qu’il partait des mains du souverain. Qu’un prince se déshonorait manquant à sa parole, et que la même loi qui l’obligeait à ne prendre des engagements qu’avec maturité, l’obligeait pareillement à tenir ce qu’il avait promis. Ce fut en même temps, et une grâce qu’il fit à son frère, et une instruction solide qu’il reçut, et dont il profita.

L’empereur, devenu docile aux instructions de son premier ministre, gouverna l’État avec beaucoup de sagesse. Il se fit par là une si grande réputation, que le roi de la Cochinchine lui envoya des ambassadeurs, avec des présents, pour le féliciter d’avoir au nombre de ses sujets, un homme d’un mérite aussi extraordinaire que l’était Tcheou kong. Ils furent reçus avec de grandes marques de considération et d’amitié.

Lorsqu’ils eurent eu leur audience de congé pour retourner dans leur pays, Tcheou kong leur donna un instrument, qui d’un côté tournait toujours vers le nord, et du côté opposé vers le sud, afin de mieux diriger leur route pour le retour, qu’ils n’avaient fait en venant à la Chine. Cet instrument se nommait tchi nan et c’est le nom qu’on donne encore aujourd’hui à la boussole : ce qui a fait croire que Tcheou kong a été l’inventeur de la boussole.

Ce ministre, si respecté dans tout l’empire, et dans les pays étrangers, mourut âgé de cent ans, la trente-troisième année du cycle. L’empereur, pour lui donner des marques éclatantes de sa reconnaissance, le fit enterrer auprès du tombeau de son père, et lui fit rendre les mêmes honneurs funèbres, qui sont en usage aux obsèques des empereurs.

Quelque temps après il tint les États généraux de l’empire, où il ordonna que chaque prince dans ses États eût à réprimer l’usage immodéré du vin, comme étant la source d’une infinité de malheurs, et du renversement des familles. Ce prince mourut la cinquante-neuvième année du cycle, et laissa la couronne à son fils nommé Kang vang.


Cycle XXII. Année avant J. C. 1077.


KANG VANG. Troisième empereur.
A régné vingt-six ans.


Cet empereur se distingua par le soin qu’il prit d’entretenir la paix au dedans et au dehors de l’empire, et c’est ce qui lui fit donner le nom de pacifique ; il profita de cette tranquillité, pour s’appliquer tout entier à gouverner ses peuples avec douceur, et pour s’efforcer de les rendre heureux.

Une de ses maximes était, que la joie du prince dépendait de celle qui régnait parmi ses sujets, et qu’il ne doit goûter aucun plaisir, lorsque son peuple souffre. Il assembla souvent les États, et de temps en temps il visitait lui-même les provinces de son empire.

Sa principale attention fut de faire fleurir l’agriculture : il confia ce soin à un de ses ministres, nommé Tchao kong. Un vieux saule, sous lequel il était assis, lui servait de tribunal pour juger les différends qui naissaient entre les laboureurs et ce saule, que par respect on n’osa couper, devint célèbre dans la poésie chinoise.

La bonne foi et la fidélité des promesses était si exactement gardée, qu’on permettait aux prisonniers de sortir tous les matins pour aller labourer les terres, et le soir ils ne manquaient pas de rentrer à la prison. Kang vang mourut la vingt-cinquième année du cycle, extrêmement regretté de ses peuples, et eut pour successeur son fils nommé Tchao vang.


TCHAO VANG. Quatrième empereur.
A régné cinquante-un ans.


Une seule passion à laquelle ce prince s’était livré, gâta ses plus belles qualités, et lui fit négliger le soin de son empire : il aimait éperdument la chasse et ne s’occupait que de ce divertissement. Le dégât que ses chiens et ses chevaux faisaient dans les campagnes, désespérait les peuples, qui gémissaient sans cesse de voir leurs plus belles moissons ravagées par une armée de chasseurs qu’il menait à sa suite. Cette conduite lui attira la haine de tous ses sujets.

On rapporte que ce fut l’année seizième de son règne, et la quarante-unième du cycle, que naquit aux Indes l’auteur de la secte abominable des bonzes, et de la doctrine de la métempsycose : il se nomma Fo et ce fut l’année soixante-cinq après Jésus-Christ, que cette secte idolâtre eut entrée dans l’empire par la protection de l’empereur, comme nous le dirons en son lieu.


Cycle XXIII. Année avant J. C. 1017.

Les peuples, qui voyaient continuellement ruiner le fruit de leurs sueurs, et qui lorsqu’ils espéraient une abondante récolte, en étaient subitement frustrés, se portèrent a tout ce que le désespoir peut inspirer de plus affreux. Ils conspirèrent la mort de leur souverain. Pour y réussir, sans que cette mort pût leur être imputée, ils s’avisèrent d’un stratagème.

L’empereur, en revenant de la chasse, était obligé de traverser une rivière assez large, et il y avait ordre de tenir des barques prêtes pour son passage ; ils en préparèrent une qui était tellement construite, qu’elle devait se briser en peu de temps. L’empereur y monta avec quelques seigneurs de sa suite ; à peine fut-il au milieu de la rivière, que les planches se démontèrent tout à coup, et la barque enfonça dans l’eau ; tous ceux qu’elle portait, furent noyés. Ainsi périt ce prince l’année seizième du cycle. Son fils nommé Mo vang lui succéda.


MO VANG. Cinquième empereur.
A régné cinquante-cinq ans.


Les grandes qualités, et son attention à rendre la justice, lui gagnèrent le cœur des peuples, et leur firent oublier plus aisément un faible de ce prince, qui ne se faisait que trop remarquer. C’était sa passion extrême pour les chevaux. Il en avait à sa suite un grand nombre quand il visitait les provinces, et il le faisait toujours, ou à cheval, ou sur un char traîné par les chevaux les plus magnifiques. Son plaisir était d’étaler aux yeux de ses sujets la pompe de ses équipages.

Quelques barbares des parties méridionales ayant voulu remuer, il envoya une armée pour les réduire, et il en confia le commandement à Kao fou, qui remporta sur eux une victoire complète. L’empereur fut si content de ce succès, que pour récompenser ce général, il lui donna la principauté de Tchao qui est dans la province de Chan si.

Enflé de ces prospérités, il résolut de porter ses armes victorieuses contre les Tartares. Son gendre fit tous ses efforts pour l’en dissuader. Il lui représenta que les guerres ne devaient jamais s’entreprendre, à moins qu’on n’y fût absolument forcé, qu’elles étaient souvent plus funestes aux vainqueurs qu’aux vaincus ; que la désolation de son propre pays, et l’épuisement des finances en sont les suites ordinaires ; qu’enfin un prince vertueux a toujours plus de penchant pour la paix, que pour la guerre.

Ces remontrances furent inutiles. Mo vang se mit à la tête d’une grosse armée, qu’il conduisit sur les frontières de la Tartarie ; mais les Tartares ayant été avertis de sa marche, se retirèrent promptement dans le cœur de leur pays, avec leurs tentes et leurs bestiaux ; de sorte que ce prince ne trouvant point d’ennemi à combattre, fut obligé de retourner sur ses pas avec son armée, qui était d’abord fort leste et en bon état, mais que les fatigues d’une marche longue et pénible avaient beaucoup délabrée.

Il se repentit du peu de déférence qu’il avait eu pour les avis de son gendre, et lui promit de ne jamais former aucune entreprise semblable sans son approbation. Ce prince avait pour maxime, qu’un souverain doit toujours être en garde contre la surprise et la flatterie ; et qu’il ne se fera estimer, qu’autant que ceux qui l’environnent seront vertueux.


Cycle XXIV. Année avant J. C. 957.

La neuvième année du cycle arriva aux Indes la mort de Fo, chef d’une secte idolâtrique, et auteur de la métempsycose. Deux ans après, c’est-à-dire, l’année onzième, l’empereur mourut, et eut pour successeur son fils Kong vang.


KONG VANG. Sixième empereur.
A régné douze ans.


Ce prince commença son règne par une action si cruelle, qu’elle l’eût déshonoré à jamais, s’il ne l’eût pas réparée par une conduite pleine d’équité et de justice. Il allait souvent promener sur les bords d’un lac situé dans un pays qui se nommait Mie. On avait soin que les plus belles filles de la contrée s’y trouvassent au temps de sa promenade ; parmi ces filles il y en eut trois qui touchèrent vivement son cœur, et pour lesquelles il conçut la plus ardente passion.

Ces filles s’étant aperçues du danger qu’elles couraient, s’en garantirent par la suite. Comme elles ne paraissaient plus au lieu de la promenade, l’empereur en fut si irrité, que dans les premiers accès de sa fureur, il fit massacrer tous les habitants de Mie. Il se reprocha toute sa vie une action si déraisonnable et si barbare.

Une suite continuelle d’autres actions pleines d’équité et de modération, en effacèrent le souvenir, et lui méritèrent d’être mis au rang des bons empereurs. Il mourut la vingt-troisième année du cycle, et laissa la couronne à son fils nommé Ye vang.


YE VANG. Septième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


La mémoire de ce prince eût été ensevelie dans un parfait oubli, si sa nonchalance n’avait servi de matière aux railleries des poètes de son temps. Aussi n’est-il connu que par leurs traits satiriques.

Il mourut dans le mépris la quarante-huitième année du cycle, sans avoir su conserver sa couronne pour ses enfants ; son frère, nommé Hiao vang, s’en empara violemment.


HIAO VANG. Huitième empereur.
A régné quinze ans.


Cet usurpateur se maintint tranquille sur le trône par son adresse et par son mérite. L’unique défaut qu’on lui reprocha, fut d’avoir trop de passion pour les chevaux ; il en avait un grand nombre, et ce fut avec de grandes dépenses, qu’il en fit venir de tous côtés des plus beaux et des plus rares.

Un homme de la lie du peuple nommé Fi chou, à qui il en avait confié le soin, et qui était habile à les dresser, s’insinua tout à fait par cette voie-là dans ses bonnes grâces. Ce prince lui faisait monter ses chevaux en sa présence, et un jour il fut si charmé de l’adresse extraordinaire de cet écuyer, qu’il lui donna une principauté dans la province de Chen si.

Un des descendants de cet écuyer deviendra le fondateur de la dynastie suivante, et sera le destructeur d’une famille, à laquelle il était redevable de son élévation. Il tomba sous son règne une grêle d’une grosseur si prodigieuse, que les hommes et les animaux en furent assommés.

Hiao vang mourut la troisième année du cycle, et Y vang son fils lui succéda.


Cycle XXV. Année avant J. C. 897.


Y VANG. Neuvième empereur.
A régné seize ans.


Les dérèglements de ce prince, et son peu de mérite, le rendirent fort méprisable à ses sujets : il était né sans talents, avec une timidité si grande, qu’il ne pouvait répondre à ses ministres, lorsqu’ils venaient prendre ses ordres, ou lui rendre compte de leur administration. Il ne put jamais gagner sur lui de donner audience aux ambassadeurs, ni de recevoir en public les hommages des princes tributaires. Il mourut la dix-neuvième année du cycle, et son fils, nommé Li vang monta l’année suivante sur le trône.


LI VANG. Dixième empereur.
A régné cinquante-un ans.


Ce fut un prince fier, entêté de son mérite, prodigue, et cruel. Le bien de ses sujets qu’il tirait à force d’exactions, pouvait à peine suffire à contenter sa passion pour les richesses, et il les répandait ensuite avec profusion et sans discernement.

La misère du peuple devint extrême, et l’on n’entendait de tous côtés que plaintes et gémissements ; il parut plusieurs manifestes, où l’on reprochait à l’empereur en terme menaçants son impitoyable dureté.

Ces clameurs et ces murmures d’un peuple opprimé, ne servirent qu’à augmenter sa fureur. Il fit faire des recherches de ceux qu’il soupçonnait d’être à la tête des mécontents, pour les punir avec la dernière sévérité.

Comme il ne pouvait se cacher jusqu’à quel point il s’était rendu odieux, il s’imagina que tous les entretiens roulaient sur sa conduite : c’est pourquoi il défendit sous peine de la vie à ses sujets, de s’entretenir ensemble, et même de se parler à l’oreille. On voyait tous les habitants de la capitale, marcher dans les rues les yeux baissés, dans un morne silence, et affectant de s’éviter les uns les autres.

Un des plus fidèles ministres de l’empereur, nommé Tchao kong, lui ayant fait inutilement de fréquentes remontrances sur la dureté de son gouvernement, se hasarda encore de lui représenter, qu’il n’était pas sur le trône pour faire des malheureux ; qu’il était plus aisé d’arrêter un torrent impétueux, que de retenir la langue ; que les obstacles qu’on y oppose, ne servent qu’à en augmenter la violence ; et que le silence forcé, auquel il avait réduit ses sujets, annonçait quelque chose de plus triste et de plus affreux, que la liberté qu’ils avaient de se plaindre.

La prédiction de ce sage ministre, ne fut que trop véritable. L’année cinquante-deuxième du cycle, le peuple au désespoir, et semblable à un torrent qui a rompu ses digues, fit une soudaine irruption dans le palais pour se défaire du tyran. Au premier bruit du tumulte, Li vang prit la fuite et sauva sa vie : mais toute sa famille fut massacrée par cette populace désespérée.

Il n’y eut que le plus jeune de ses enfants qui fut épargné, parce que Tchao kong l’avait fait emporter secrètement dans sa maison, pour le dérober à la vengeance de ces mutins. La précaution eût été inutile, si la fidélité de ce ministre ne lui eût pas suggéré un expédient qui est sans exemple, pour conserver ce précieux reste de la famille impériale.

Le peuple étant averti qu’un fils de l’empereur avait échappé à sa fureur et qu’il était caché chez Tchao kong, assiégea aussitôt la maison de ce ministre, et demandant avec menaces le jeune prince, il se disposait déjà à y entrer par force.

Le parti que prit Tchao kong, après avoir souffert un rude combat que lui livraient tour à tour, et sa fidélité, et la tendresse paternelle, fut de livrer son propre fils à la place du prince. Ces furieux l’égorgèrent sur-le-champ à ses yeux.

Cependant Li vang errant et fugitif traînait une vie obscure, et quelque chose que fît Tchao kong pour adoucir l’esprit des peuples, et le rétablir sur le trône, il ne put jamais y réussir, ce qui le rendit vacant pendant quelques années.


Cycle XXVI. Année avant J. C. 837.


SUEN VANG. Onzième empereur.
A régné quarante-six ans.


Li vang mourut dans son exil l’année dixième de ce cycle, et le trône fut occupé par le jeune prince que Tchao kong avait dérobé à la fureur d’un peuple révolté. Ce fidèle ministre avait eu le temps de faire connaître, de quelle manière il avait conservé les jours du légitime héritier de la couronne, et les grandes espérances qu’il donnait de la porter avec dignité : peu à peu il avait ramené les peuples à l’obéissance, et enfin à la mort de son père, Suen vang fut reconnu pour empereur.

Comme il était encore fort jeune, on associa à Tchao kong un autre ministre également fidèle, pour être ses tuteurs, et veiller à son éducation. Ces deux ministres remplirent un emploi si important avec un grand zèle, et leur auguste élève profita de leurs leçons avec une égale docilité.

Il en donna des preuves, aussitôt qu’il fut en âge de gouverner par lui-même, et l’on entendait dire à sa louange, qu’il rappelait ces siècles heureux, où le trône était rempli par le grand Yu, et par le sage Tching tang.

La cruauté, ou le dérèglement des précédents empereurs, avait éloigné de la cour les sages et les philosophes. Ces grands hommes voyant qu’ils ne pouvaient ni par leurs discours, ni par leurs conseils, arrêter le cours de tant de désordres, s’étaient exilés eux-mêmes, et avaient cherché dans les déserts, ou dans les montagnes, un asile, pour vaquer plus en repos à l’étude de la sagesse. Le jeune empereur les rappela de leur solitude, et les fixa auprès de la personne, par ses caresses, et par ses libéralités.

Sa vertu rappela de même au devoir de l’obéissance, tous ceux que la tyrannie de son père en avait écarté : les princes tributaires se firent un plaisir de lui rendre leurs hommages, et d’imiter ses exemples dans l’administration de leurs États, et par-là tous les membres de l’empire furent dans la plus parfaite subordination.

Quelques nations du midi, séparées de la Chine par le grand fleuve Yang tse kiang, s’étaient prévalu de l’indépendance où elles vivaient, pour ravager les terres voisines de l’empire. Suen vang envoya contre elles une armée commandée par de braves officiers, qui réprima leur orgueil, et qui les soumit aux lois et aux usages de l’empire.

La mort de ce prince, qui arriva la cinquante sixième année du cycle, mit son fils, nommé Yeou vang, en possession de la couronne.


YEOU VANG. Douzième empereur.
A régné onze ans.


Ce prince n’eut aucune des bonnes qualités qu’on admirait dans son père, et eut de grands défauts, qui lui attirèrent le mépris de ses peuples ; entre autres il se laissait tyranniser par une passion, qui fut la cause de sa perte, et qui devint l’occasion de grands troubles dans l’empire. Il aimait éperdument une concubine nommée Pao ssée, et cet amour l’aveugla à un point, qu’il répudia l’impératrice, avec le fils qu’il avait eu de cette princesse, et qui était le légitime héritier de l’empire, pour mettre à sa place celui qui était né de sa concubine. Ce prince déshérité, se retira avec la mère chez son oncle, qui avait une principauté dans la province de Chen si.


Cycle XXVII. Année avant J. C. 777.

Cependant Yeou vang tout occupé de sa tendresse pour Pao ssée, ne goûtait qu’à demi le plaisir de la posséder, parce qu’elle était naturellement triste et mélancolique. Il avait recours à toutes sortes de moyens, pour lui inspirer de la gaieté, et l’exciter à rire.

Il faisait alors la guerre aux Tartares occidentaux, et il avait donné ordre aux soldats, qu’aussitôt qu’ils apercevraient des feux allumés, ils prissent incontinent les armes, et se rendissent auprès de sa personne.

Ce signal, qui ne devait se donner que dans la nécessité, lui parut propre à servir d’un jeu capable de réjouir l’objet de ses complaisances : il le faisait souvent donner sans raison ; l’empressement des soldats à se rendre auprès de l’empereur, et à combattre pour sa défense ; et ensuite la honte et la surprise où ils étaient de s’être donné tant de mouvements inutiles, devenaient un spectacle divertissant pour cette femme.

Elle avait un autre plaisir assez bizarre, c’était d’entendre le bruit des étoffes de soie qu’on déchire : l’empereur, pour lui complaire, s’abaissait jusqu’à en déchirer continuellement en sa présence.

Néanmoins il n’était pas content que son fils l’eût abandonné, et il envoya ordre à son frère de le lui rendre au plus tôt. La réponse qu’on lui fit de ne le lui renvoyer, que quand il serait reconnu pour le légitime héritier de l’empire, irrita tellement Yeou vang, qu’à l’heure même il déclara la guerre à son frère.

Ce prince n’étant pas en état de résister aux forces de l’empereur, se joignit aux Tartares, et vint pendant la nuit attaquer le camp impérial. On alluma promptement des feux : mais les soldats qui avaient été trompés souvent par ce signal, en firent peu de cas, et le regardèrent comme un jeu, dont on voulait à l’ordinaire divertir Pao ssée. Le camp fut forcé, et l’empereur y fut tué. Cet événement arriva la septième année du cycle, et Ping vang son fils succéda à l’empire.


PING VANG. Treizième empereur.
A régné cinquante-un ans.


Les Tartares qui avaient été introduits sur les terres de l’empire, profitèrent du désordre que la mort de l’empereur causait parmi les troupes chinoises : ils pillèrent de tous côtés, et firent diverses conquêtes. Les princes tributaires en furent alarmés, et unirent ensemble leurs forces pour résister à ce torrent prêt à les inonder.

Parmi tous ces princes confédérés, les rois de Tsin et de Ouei se distinguèrent par leur valeur. Ils vinrent à bout de repousser les Tartares, et de les chasser de toutes les terres dont ils s’étaient rendus les maîtres. Ce succès, qui terminait une guerre étrangère, donna lieu à des guerres intestines encore plus cruelles : ces deux rois prétendirent conserver à titre de conquête, les terres dont ils avaient chassé les Tartares ; et comme l’empereur ne les avait pas secourus dans cette guerre, ils se regardèrent comme indépendants, et refusèrent de lui rendre désormais aucun hommage.

Cet exemple eut des suites funestes, auxquelles l’empereur fournit l’occasion, en transportant le siège de l’empire, de la province de Chen si dans la province de Ho nan. On attribua cette précaution à la crainte que lui avait inspiré la triste destinée de son père, et l’on ne douta point que son dessein, en s’éloignant du voisinage des Tartares, ne fût de veiller plutôt à la sûreté de sa personne, qu’à celle de son État. Plusieurs princes tributaires se voyant ainsi abandonnés, suivirent l’exemple des rois de Tsin et de Ouei, et rendirent leur souveraineté indépendante.

Il y en eut trois surtout qui signalèrent leur désobéissance par leurs usurpations, et par trois royaumes considérables qu’ils établirent. Le roi de Tsi s’empara de la partie septentrionale de la province de Chan tong. Le roi de Tsou se rendit maître des provinces de Hou quang, et de Kiang si, et le roi de Tsin usurpa la plus grande partie de la province de Chen si.

Ces princes ne reconnaissant plus de maître, ne suivirent que les mouvements de leur ambition, et chacun d’eux ne cherchant qu’à étendre ses frontières, et à empiéter sur les terres de ses voisins, ils se firent des guerres cruelles. L’empereur s’efforça d’arrêter leurs entreprises, et leur enjoignit de vivre en paix dans leurs États : mais c’était une autorité qu’on ne respectait plus.

Ces guerres durèrent plusieurs siècles : elles n’étaient pas encore finies du vivant du célèbre philosophe Confucius, et c’est à ces temps-ci qu’il commence son histoire, à laquelle il a donné le titre de Tchun tsiou.

Ping vang mourut la cinquante-huitième année du cycle. Il eut pour successeur Houan vang qui était le fils de son frère.


Cycle XXVIII. Année avant J. C. 717.


HOUANG VANG. Quatorzième empereur.


A régné vingt-trois ans.


Ce fut dans des conjonctures si difficiles que Houang vang prit possession du gouvernement : il essaya d’abord de gagner les princes tributaires, et de les ramener au devoir de l’obéissance par des voies de douceur.

Mais ce moyen ayant été inutile, il eut recours à celui des armes pour les réduire. Il ne fut pas plus heureux : son armée défaite, et une blessure qu’il reçut, ne lui laissèrent aucune espérance de rétablir son autorité dans les provinces, qui refusaient de le reconnaître ; il se contenta de conserver celles qui lui restaient. Il finit sa vie la vingt-unième année du cycle, et son fils Tchuang vang lui succéda.


TCHUANG VANG. Quinzième empereur.
A régné quinze ans.


Ce fut contre la volonté de son père, et contre le sentiment de plusieurs ministres, que ce prince parvint à la couronne. Le défunt empereur s’était déclaré pour le fils d’une de ses concubines, nommé Keou. Mais un des Grands de la cour, qui s’était acquis beaucoup d’autorité, ramena les esprits en faveur de l’héritier légitime. Il représenta avec force que cette injuste préférence attirerait infailliblement une guerre civile, et porterait de mortelles atteintes à une autorité, qui n’était déjà que trop chancelante. Cette raison fut goûtée de la plupart des Grands et des ministres, et Tchuang vang fut reconnu empereur.

Keou ne laissait pas d’avoir un parti, dont le complot fut trois ans à éclater. Mais on découvrit la conspiration, et le dessein qu’on avait pris d’assassiner l’empereur. Le chef de ce parti était du conseil, et avait du crédit ; le ministre qui avait si fort contribué à mettre Tchuang vang sur le trône, lui conseilla de ne pas plus faire d’éclat, que s’il ignorait cette conjuration, et d’appeler le traître avec lui, sous prétexte de les consulter tous deux sur une affaire importante. Il se rendit au palais, il fut poignardé par un soldat, qu’on avait chargé de l’exécution.

Keou voyant que la conjuration était découverte, prit la fuite, et se retira chez le roi d’Yen : sa suite, et la mort du chef des conjurés, affermirent l’empereur sur son trône.

Mais les princes qui avaient secoué le joug, se maintenaient toujours dans l’indépendance : il arriva même que le roi de Tsi, en se gouvernant par les sages conseils de son colao, ou premier ministre, nommé Quent tchu, prit si fort l’ascendant sur les autres princes tributaires, qu’ils semblaient dépendre de son autorité, et qu’ils n’osaient rien entreprendre, sans avoir connu auparavant ses intentions.

L’empereur étant mort l’année trente-sixième du cycle, ce même colao eut tant de pouvoir, qu’il réunit presque tous les suffrages en faveur d’un des parents du roi son maître, nommé Li vang, qui descendait d’un cadet de la famille impériale Tcheou, et le fit élire empereur.


LI VANG. Seizième empereur.
A régné cinq ans.


La couronne appartenait naturellement à l’un des neveux du défunt empereur : mais ils en furent exclus par le choix qu’on fit de Li vang, qui fut appuyé de tout le pouvoir de son parent le roi de Tsi.

Ce prince tributaire augmenta de plus en plus sa puissance au préjudice de l’autorité impériale. Il en vint même jusqu’à prendre le titre de pa, c’est-à-dire, de chef des autres princes, et la plupart le reconnurent en cette qualité.

Ce titre, que d’autres se donnèrent pareillement à son exemple, ne subsista que durant cent ans, après quoi il fut entièrement aboli. Li vang mourut la quarante-unième année du cycle. Son fils Hoei vang lui succéda.


HOEI VANG. Dix-septième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


Les six premières années de ce règne furent assez tranquilles : cette paix, dont jouissait l’empereur, fut troublée ensuite par la guerre que lui firent les Tartares, qui sont au nord de la province de Chan si. L’empereur leur opposa une armée, dont il donna le commandement au roi de Tsi.

Cette armée joignit les ennemis, lorsqu’ils formaient le siège de Tai tong fou : elle les força dans leur camp, les mit en déroute, et les contraignit de repasser au plus tôt dans leur pays.

Cette victoire, et la confiance de Hoei vang dans le roi de Tsi, donnèrent à ce prince une si grande autorité, qu’il ne lui manquait plus que le titre d’empereur. Son ambition, qui était encore plus grande, l’eût porté même à détrôner son maître, s’il n’avait appréhendé que les autres princes tributaires, ses égaux, ne s’opposassent à son élévation.

On assure que c’est à la cinquante-huitième année de ce cycle, et à la seizième du règne de cet empereur, que le Japon commença d’être gouverné par des rois.


Cycle XXIX. Année avant J. C. 657.

L’Année sixième du cycle, termina la vie de Hoei vang, qui eut pour successeur son fils aîné, nommé Siang vang.


SIANG VANG. Dix-huitième empereur.
A régné trente-trois ans.


Siang vang encore jeune, et du vivant de son père, voyait avec impatience que le roi de Tsi ne mettait point de bornes à son ambition, que son autorité croissait de jour en jour, et que ses démarches tendaient à se rendre maître de l’empire. Dès qu’il fut sur le trône, il prit le dessein de réprimer cet ambitieux : comme il n’était pas en état de le faire à force ouverte, il eut recours à une adresse qui lui réussit.

Le roi de Tsi avait trouvé le moyen, par les intrigues de son premier ministre, d’assembler tous les petits souverains qui relèvent de la couronne impériale : c’était une espèce de convocation des États, qu’il n’appartient de faire qu’au seul empereur. Son but était de gagner tous ces princes, et de les engager à le reconnaître pour leur souverain.

L’empereur profita du temps que se tenait cette assemblée, pour rendre le roi de Tsi suspect à tous ces princes.

Il leur envoya un ambassadeur, homme habile à manier les esprits, avec des lettres de sa part à l’assemblée. Le cérémonial prescrit qu’une lettre qui vient de l’empereur, soit mise sur une table magnifiquement ornée, et qu’on lui rende les mêmes honneurs qu’à la personne même du prince, avant qu’on en fasse l’ouverture. Cette cérémonie fut observée de tous les princes tributaires.

Il n’y eut que le roi de Tsi qui parut hésiter, et il aurait même refusé de rendre cette marque de respect à son souverain, si son premier ministre ne lui eût fait sentir d’une part la défiance que sa conduite inspirerait aux princes assemblés, qui dans le fonds étaient ses égaux, et de l’autre le danger où il s’exposait, de trouver dans ses sujets, aussi peu de déférence pour ses ordres, qu’il en avait pour ceux de l’empereur.

Ce prince suivit malgré lui un si sage conseil, et remit à un temps plus favorable l’exécution de son projet. Cependant ce témoignage public de sa soumission, fit une grande impression sur les princes, et ne servit pas peu à les affermir dans la soumission et dans la dépendance où ils devaient être.

L’empire reprenait sa première forme, et Siang vang goûtait une paix, qui fut bientôt troublée par le mécontentement de son fils, nommé Cho tai. Ce prince quitta la cour de son père la quinzième année du cycle, et se retira dans les États du roi de Tsi dont il implora la protection ; en même temps un prince tributaire de la province de Chen si leva l’étendard de la révolte.

L’empereur le défit avec le secours d’une armée de Tartares, qu’il s’était attachés en épousant la fille de leur chef. Il se vit peu après délivré des ombrages que lui donnait le roi de Tsi : car ce roi mourut accablé de vieillesse ; les guerres qui s’allumèrent aussitôt entre ses cinq enfants, lesquels se disputaient la souveraineté de leur père, et la division qui régnait dans cet État, semblaient promettre à l’empereur une tranquillité durable. Il n’avait épousé que par politique la fille du chef tartare ; comme il crut n’avoir plus rien à craindre, il la répudia, sous prétexte qu’elle était étrangère.

Le chef tartare outré de cet affront, résolut de s’en venger : il appela Cho tai qui se trouvait dénué de tout secours, et lui promit de le faire déclarer empereur. Ce prince alla joindre le Tartare, et tous deux ensemble ils portèrent la guerre jusque dans la capitale, et obligèrent l’empereur de prendre la fuite : Cho tai se fit proclamer empereur, tandis que son père errant et fugitif implorait l’assistance des princes tributaires.

Il en reçut le secours qu’il en attendait : il forma deux armées ; l’une qui assiégea la capitale, qui y entra en triomphe, et qui fit mourir le prince rebelle ; l’autre qui combattit le prince tartare, mit son armée en déroute, et rétablit Siang vang sur le trône.

Cet événement arriva l’année dix-septième du cycle. L’empire reprit son premier éclat, et l’empereur le gouverna paisiblement jusqu’à sa mort, qui arriva la trente-neuvième année du cycle : son fils King vang lui succéda.


KING VANG. Dix-neuvième empereur.
A régné six ans.


L’empire commençait à devenir florissant, lorsque ce prince en prit possession : son règne fut trop court pour le bien des peuples, qui ne cessaient de louer sa douceur, sa sagesse et sa modération. Il mourut la quarante-cinquième année du cycle, aussi regretté de ses sujets, qu’il en était tendrement chéri, et il laissa la couronne à son fils, nommé Quang vang.


QUANG VANG. Vingtième empereur.
A régné six ans.


Le règne a été aussi court et aussi applaudi des peuples que le précédent. Quang vang avait hérité de toutes les grandes qualités de son père, et les avait portées sur le trône. Le nouveau roi de Tsi n’était pas capable de causer aucun trouble : il s’était attiré l’aversion de ses sujets par ses cruautés, et par son peu d’application au gouvernement.

Un prince, son allié, s’avisa de lui donner des avis sur sa conduite. Il en fut tellement irrité, qu’il résolut à l’instant de le faire assassiner : il fit choix, pour cette commission, d’un de ces hommes intrépides, à qui les plus grands crimes ne coûtent rien, et l’envoya vers son allié, sous prétexte de lui rendre visite de sa part.

Ce scélérat se rendit de grand matin au palais, pour faire plus sûrement son coup. Il trouva le prince assis sur son trône environné de ses sujets, qui recevait leurs requêtes, et leur rendait la justice. L’assassin frappé de ce spectacle, eut horreur de tremper ses mains dans le sang d’un si bon prince, et n’osant pas retourner vers son maître, sans avoir exécuté ses ordres sanguinaires, il se tua lui-même au sortir du palais.

L’empereur mourut l’année cinquante-unième du cycle. Ce fut son frère nommé Ting vang qui lui succéda.


TING VANG. Vingt-unième empereur.
A régné vingt-un ans.


Toute l’application de cet empereur, fut d’écarter les guerres, de maintenir son empire dans une profonde paix, et d’en faire observer exactement les lois.

Le quatorzième jour du neuvième mois de la cinquante-quatrième année du cycle, Lao kiun vint au monde dans la province de Hou quang. C’est l’auteur d’une des deux sectes principales, qui ont infecté l’empire, et dont je parlerai assez au long.

Il prétendait que l’âme périssait avec le corps, que la félicité de l’homme consistait dans la volupté, et bornant tout le bonheur à cette vie, il se vantait d’avoir trouvé le secret de la prolonger bien au-delà du cours ordinaire ; c’est ce qui fit appeler cette secte, la secte des immortels. Elle trouva aisément entrée chez les Grands, qui se flattaient en la suivant, de prolonger leurs jours.

On a néanmoins lieu de croire que le chef de cette secte impie, reconnaissait un Être suprême qu’il nommait Tao ; l’on trouve un passage dans un de ses traités, où il dit que ce Tao n’a point de nom qui lui convienne, qu’il a créé le ciel et la terre sans avoir de corps, qu’il est immobile, et qu’il donne le mouvement à tout. Ce qui a fait croire à quelques-uns que sa doctrine, en ce qu’il y a de plus mauvais, a été altérée et fort corrompue par ses disciples. Il mourut à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.


Cycle XXX. Année avant J. C. 597.

L’année sixième de ce nouveau cycle, il y eut de grands tremblements de terre à la Chine, et la douzième l’empereur mourut, et laissa sa couronne à son fils, nommé Kien vang.


KIEN VANG. Vingt-deuxième empereur.
A régné quatorze ans.


Ce prince conserva la majesté de l’empire par la sagesse de sa conduite, et soutint avec dignité tout le poids de la couronne. Il s’éleva de son temps deux dangereuses opinions de philosophes, qui excitèrent beaucoup de bruit, et qui furent vivement réfutées.

Ces deux philosophes étaient Yang et Me. Celui-ci prétendait qu’il fallait également aimer tous les hommes sans faire de distinction entre les étrangers, et ceux qui nous sont le plus étroitement unis par les liens du sang et de la nature. Celui-là voulait qu’on se renfermât uniquement dans le soin de soi-même, sans prendre aucun intérêt à tout le reste des hommes, pas même à la personne de l’empereur.

Ce n’est que sous ce règne que l’histoire parle du royaume de Ou, qui est aujourd’hui la province de Kiang nan.

L’empereur mourut la vingt-sixième année du cycle, et eut pour successeur son fils, nommé Ling vang.


LING VANG. Vingt-troisième empereur.
A régné vingt-sept ans.


L’histoire chinoise rapporte que ce prince vint au monde avec des cheveux et de la barbe. On le loue principalement de sa sagesse et de sa prudence : car au milieu des guerres continuelles que les princes tributaires se firent les uns aux autres, il eut le secret de maintenir également, et son autorité, et la tranquillité de son État.

La quarante-septième année de ce cycle fut célèbre par la naissance de Confucius, dont nous avons à parler si souvent, et que les Chinois regardent comme le plus grand docteur de leur nation. Il naquit dans la province de Chan tong le quatrième jour du onzième mois. Il n’avait que trois ans quand il perdit son père nommé Cho leang ho, qui était premier ministre dans la principauté de Tsou.

La mort du roi de Ou, donna lieu à une contestation entre ses deux fils, qui n’a guère d’exemple : l’aîné, à qui la couronne appartenait, voulant la remettre à son cadet, qui refusait de l’accepter, lui fit une espèce de violence : il le plaça sur le trône, il le revêtit des ornements royaux, et le salua comme son souverain.

Celui-ci abandonna secrètement le palais, et alla se cacher dans un désert. Ainsi l’aîné fut obligé, et par la retraite de son frère, et par les prières de ses sujets, de porter une couronne, pour laquelle il avait marqué un si généreux mépris.

L’empereur mourut la cinquante-troisième année du cycle, et eut pour successeur son fils nommé King vang.


KING VANG II. Vingt-quatrième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


On blâme cet empereur de négligence dans le gouvernement, et de peu d’attention aux affaires courantes de son État : c’est pourquoi dans le dessein qu’eut le roi de Ou de se soumettre à l’empire, et d’en observer les lois, il n’envoya point ses ambassadeurs à la cour impériale, mais à celle du roi de Lou, qui était de la famille des Tcheou, et qui gouvernait ses sujets selon les sages lois établies par les empereurs de cette dynastie.

Les guerres particulières que les princes tributaires s’étaient faites les uns aux autres pendant un temps si considérable, avaient causé de grands désordres dans l’administration de leurs États.

Le roi de Tching, qui régnait dans la province de Chen si, songea à rétablir l’ordre dans le sien. Il confia ce soin à son premier ministre, dont il connaissait la capacité et le mérite. Celui-ci entra parfaitement dans les vues de son maître. Il commença par réformer la Cour, en retranchant des abus qu’un long usage avait autorisés : il renouvela les anciennes lois établies par les meilleurs princes ; il partagea les terres avec égalité, et il fit paraître tant de sagesse dans cette distribution, que les riches ne se plaignirent point du retranchement qui leur était fait, pour soulager la disette des pauvres. Il régla :

1° Que les terres se partageraient en neuf parties égales, que la neuvième partie serait du domaine, et qu’on la cultiverait à frais communs.

2° Que la pêche serait permise indifféremment à tout le monde dans les lacs et les étangs.

3° Que les magistrats auraient une attention particulière aux veufs aux veuves, aux vieillards qui n’ont point d’enfants, et aux orphelins, afin de les assister dans leurs besoins.

Confucius se maria à l’âge de dix-neuf ans : il se contenta d’une seule femme, dont il eut un fils. Quelque temps après il la répudia, sous quelque prétexte qu’il prit ; mais la véritable raison qui le porta à ce divorce, fut de se délivrer des soins et des embarras d’une famille, afin de pouvoir vaquer plus librement à l’étude ; il fit de si grands progrès en peu d’années, et il acquit tant de connaissances, qu’il devint le plus grand docteur de l’empire.


Cycle XXXI. Année avant J. C. 537.

L’empereur mourut la dix-huitième année du cycle : il eut pour successeur son fils nommé Meng vang ; mais ce prince ne vécut que peu de mois, pendant lesquels il lui naquit un fils, ce qui donna lieu à deux factions puissantes, qui s’élevèrent dans l’empire.

Les principaux de la Cour déclarèrent empereur cet enfant, qui était encore au berceau, et lui nommèrent des tuteurs pour gouverner l’empire, jusqu’à ce qu’il fût en âge de le gouverner lui-même.

D’un autre côté quelques gouverneurs des provinces, alléguant la faiblesse de son âge, et l’incertitude de sa vie, proclamèrent empereur le frère de Meng vang. On en vint aux armes : cette dernière faction, qui se trouva plus puissante, força la capitale, et mit en possession du trône celui qu’elle avait choisi : quoique son nom soit le même que celui de son frère King vang, il s’écrit néanmoins avec différents caractères, et n’a pas la même signification.


KING VANG III. Vingt-cinquième empereur.
A régné quarante-quatre ans.


Confucius s’était déjà fait une grande réputation, et à sa suite trois mille disciples, dont soixante-douze étaient fort distingués par leur érudition ; et entre ceux-ci il en comptait dix, si consommés en toutes sortes de connaissances, qu’on les appelait par excellence, les dix philosophes.

La trente-huitième année du cycle, le grand mérite de Confucius l’éleva à la dignité de premier ministre du royaume de Lou, qui était sa patrie. Ses sages règlements changèrent en peu de temps la face de tout le pays : il réforma les abus qui s’y étaient glissés, et il rétablit la bonne foi dans le commerce ; il apprit aux jeunes gens à respecter les vieillards, et à honorer leurs parents jusqu’après leur mort. Il inspira aux personnes du sexe, la douceur, la modestie, et l’amour de la chasteté ; il fit régner parmi les peuples, la candeur, la droiture, et toutes les vertus.

L’amour de l’équité devint si générale, que lorsque quelque chose était tombée dans un chemin public, personne n’osait y toucher que celui à qui elle appartenait. Enfin il établit un si grand ordre et une si grande union dans toutes les parties de cet État, qu’on l’eût pris pour une famille bien réglée. Vers ce temps-là le roi de Tsi fut assassiné par son premier ministre, qui s’empara de la couronne. Cet usurpateur ne comptant pas trop sur la fidélité de ses nouveaux sujets, et redoutant la puissance du roi de Lou, chercha à gagner son amitié, et dressa en même temps un dangereux piège à sa venue.

Il lui rendit des terres que ses prédécesseurs avaient conquises, et lui fit présent d’une fille extrêmement belle, et dont la voix était charmante. Elle avait ordre de mettre en œuvre tous ses attraits et les artifices ordinaires de son sexe, pour inspirer de l’amour au roi de Lou.

Confucius employa toute son éloquence pour détourner son prince de recevoir un présent si pernicieux. La passion fut plus forte, et ce que le philosophe avait prévu, arriva. Le prince ne s’occupant plus que de l’objet de son amour, et des continuels divertissements qu’il lui procurait, abandonna le soin de son État, cessa de rendre la justice, méprisa les conseils des sages qu’il avait à sa cour et ne songea plus qu’à se livrer à ses plaisirs.

Confucius se démit aussitôt du ministère, et s’éloigna d’un royaume, où il ne pouvait plus maintenir le bon ordre, et les sages maximes qu’il y avait établies.

Cependant la plupart des princes tributaires étaient en guerre les uns contre les autres ; dans une de ces guerres entre le roi de Ou, qui est maintenant la partie méridionale de la province de Kiang nan, et le roi d’Yue, qui est à présent la province de Tche kiang, le roi de Ou périt misérablement.

L’année cinquante-deuxième du cycle la famille de Tsao qui avait eu vingt-cinq petits rois pendant l’espace de six cent trente-six ans, fut entièrement éteinte par le roi de Song. C’est à peu près à ce temps-là que Confucius finit l’histoire des guerres que se faisaient les princes tributaires, et qui durèrent pendant deux cents ans.

Confucius mourut la cinquante-neuvième année du cycle, âgé de soixante-treize ans, la quarante-unième année de ce règne. On conserve à la Chine la plus profonde vénération pour ce philosophe. Il est regardé comme le maître et le docteur de l’empire. Ses ouvrages ont une si grande autorité, que ce serait un crime punissable, si l’on s’avisait d’y faire le moindre changement : dès qu’on cite un passage de sa doctrine, toute dispute cesse, et les lettrés les plus opiniâtres sont obligés de se rendre ; tous ses descendants jouissent des plus grands privilèges, et quelque révolution qui soit arrivée dans l’empire, ces privilèges ont toujours été hors d’atteinte. Sa race subsiste encore maintenant.

L’année soixantième du cycle, le royaume et la famille de Tchin qui avait compté vingt-quatre princes durant l’espace de 645 ans, fut entièrement éteinte par le roi de Tsou.


Cycle XXXII. Année avant J. C. 477.

L’année deuxième de ce cycle arriva la mort de l’empereur, qui laissa la couronne à son fils, nommé Yuen vang.


YUEN VANG. Vingt-sixième empereur.
A régné sept ans.


Si le règne de cet empereur eût duré plus longtemps, l’autorité et la dignité de l’empire eussent été parfaitement rétablies par la sagesse et la douceur de son gouvernement ; on commençait déjà à observer les anciennes ordonnances de ses prédécesseurs, et la plupart des princes tributaires étaient rentrés sous son obéissance.

Cependant le roi de Lou refusa de se rendre aux États qu’il avait assemblés, ne se regardant point comme vassal de l’empire : il fut aussitôt proscrit par l’empereur comme rebelle : c’est la première fois que ce châtiment paraît avoir été en usage.

Le premier ministre de ce prince en ayant reçu quelque mécontentement, se rendit auprès de l’empereur, qui lui confia le commandement de l’armée. Il gagna plusieurs batailles, et conquit presque toute cette province. Il envoya des ambassadeurs et des présents à l’empereur et lui demanda l’investiture de la principauté dont il s’était rendu le maître : elle lui fut accordée aux conditions de l’hommage et du tribut ordinaires.

Le royaume de Ou, qui avait subsisté pendant six cent cinquante ans sous vingt petits rois, fut éteint en ce temps-là par le roi de Yue.

Yuen vang mourut la neuvième année du cycle, et eut pour successeur son fils, nommé Tching ting vang.


TCHING TING VANG. Vingt-septième empereur.
A régné vingt-huit ans.


Ce prince trouva l’empire presque rétabli dans sa splendeur, et il en maintint la dignité par sa sage conduite. Ayant perdu l’impératrice sa femme, il vécut dans le célibat : exemple de continence qui fut d’autant plus admiré, qu’il était plus rare. Aussi lui donna-t-on le surnom de chaste.

La trente-unième année du cycle, la principauté de Tsai, qui avait subsisté pendant 676 ans, et avait eu vingt-cinq princes, fut absolument éteinte par le roi de Tsou.

La mort de l’empereur, qui arriva la trente-septième année du cycle, fit éclater l’ambition de ses enfants : il en avait trois en âge de régner. L’aîné nommé Ngan, lui succéda, mais il ne porta que trois mois la couronne, et fut assassiné par son frère Sou.

Celui-ci ne jouit que cinq mois du fruit de son crime : son cadet, nomme Kao vang, sous prétexte de venger la mort de son frère aîné, le tua à son tour, et se mit en possession de l’empire sans la moindre contradiction.


KAO VANG. Vingt-huitième empereur.
A régné quinze ans.


Quoique ce prince eût usurpé la couronne sans opposition, cependant l’action barbare, par laquelle il s’était frayé le chemin au trône, le déshonora dans l’empire, et servit de prétexte à la plupart des princes tributaires, pour lui refuser l’hommage accoutumé, et pour se dispenser de le reconnaître en qualité de souverain.

Il avait encore un frère nommé Houan kong qu’il éloigna par politique, en lui donnant une principauté dans la province de Ho nan. C’est un de ses descendants qui sera le dernier empereur de la dynastie Tcheou.

Il s’éleva dans le royaume de Tsi une famille très nombreuse, et en même temps très puissante par son crédit et par ses richesses : elle s’appelait Tien, et comptait un grand nombre d’enfants et de petits enfants. Ils s’étaient attachés les peuples par leurs bienfaits : fiers de l’autorité qu’ils s’étaient acquise, ils révoltèrent les sujets contre leur prince, et les rebelles ayant pris les armes, ils vinrent à bout de se défaire secrètement du roi.

Cependant pour écarter tout soupçon, et éloigner l’idée qu’ils eussent trempé leurs mains dans le sang de leur maître, ils placèrent son fils aîné sur le trône, et établirent son cadet premier ministre. Mais ayant partagé entre eux toutes les grandes charges et les gouvernements, ils ne laissèrent au prince qu’un vain titre, et se réservèrent toute l’autorité.

Kao vang mourut l’année cinquante-deuxième du cycle, et eut pour son successeur son fils nommé Guei lie vang.


GUEI LIE VANG. Vingt-neuvième empereur.
A régné vingt-quatre ans.


C’est environ en ce temps-ci, que se renouvelèrent les guerres cruelles que les princes tributaires se firent les uns aux autres, et qui durèrent près de trois cents ans : c’est ce qui les a fait appeler par les historiens, tchen koue, c’est-à-dire, les siècles belliqueux.

Chacun de ces princes aspirait à l’empire, et s’efforçait de détruire ses concurrents : les empereurs ne conservèrent plus guère que le nom de leur dignité, et ils se virent peu à peu dépouillés, et de leurs provinces, et de leur autorité.


Cycle XXXIII. Année avant J. C. 417.

L’histoire dit que ces neuf vases d’airain, que fit faire Yu fondateur de la première dynastie, et qui représentaient les provinces de l’empire, s’ébranlèrent d’eux-mêmes sans recevoir aucune impression étrangère, ce qui fut regardé des Chinois comme le présage des malheurs qui menaçaient l’État.

Le royaume de Tsin avait été partagé entre quatre princes qui en avaient fait la conquête. Un de ces princes, qui s’était rendu célèbre par le gain de plusieurs batailles, avait dessein d’envahir les trois autres parties de ce royaume, mais la mort déconcerta ses projets.

Son fils nommé Tchi siang, qui lui succéda, également inquiet et ambitieux, songea de même à agrandir son petit État des terres de ses voisins. C’est pourquoi il chercha querelle avec les rois de Han et de Guei, et il leur envoya à chacun un ambassadeur, pour leur demander en réparation d’injures prétendues qu’il avait reçues d’eux, des places voisines de son État, et qui étaient à sa bienséance. Ces deux princes aimèrent mieux céder les places qu’on leur demandait si injustement, que d’exposer leurs sujets à une guerre qui ferait répandre des ruisseaux de sang.

Tchi siang, qui ne respirait que la guerre, crut qu’il y forcerait un autre de ses voisins, qui était le roi de Tchao, s’il lui envoyait faire les mêmes propositions qu’aux deux autres princes. Il se trompa ; le roi de Tchao renvoya l’ambassadeur, sans lui donner de réponse, et se prépara à une bonne défense ; il fit plus, il engagea les deux princes dépouillés des places qu’ils avaient été forcés d’accorder, de se joindre à lui, pour tirer vengeance de l’injuste usurpateur.

Toutes ces forces réunies, tombèrent sur l’armée de Tchi siang, qui fut entièrement défaite. On trouva Tchi siang parmi les morts. Le roi de Tchao entra triomphant dans cet État, dont il se rendit le maître, et extermina la race de son ennemi. Non content de cette vengeance, s’étant fait apporter le cadavre de Tchi siang, il lui fit couper la tête, et de son crâne, qui fut enduit de vernis, il en fit une coupe, dont il se servait pour boire.

Un des officiers de Tchi siang qui lui était le plus attaché, outré de l’affront qu’on faisait à la mémoire de son prince, essaya plusieurs fois de se glisser dans le palais du roi de Tchao pour l’assassiner mais il fut découvert, et mis à mort.

Il y eut une autre guerre entre les rois de Lou, et de Tsi. Le premier avait donné le commandement de son armée à un officier nommé Ou ki, plein de valeur et de courage. Ce brave général entra dans le royaume de Tsi, remporta une grande victoire sur les troupes qu’on lui opposa, et prit cinq places importantes. Il aurait poussé plus loin ses conquêtes, si le cours n’en eût pas été interrompu par la paix que firent les deux rois.

Cet officier était aussi sobre qu’il était vaillant : il vivait comme les soldats, partageait avec eux les fatigues de la guerre, et leur distribuait également le butin. Par là il inspirait une ardeur aux troupes, à laquelle il fut encore plus redevable de ses succès, qu’à sa bravoure.

La mort de l’empereur arriva la seizième année du cycle, et son fils Ngan vang lui succéda.


NGAN VANG. Trentième empereur.
A régné vingt-six ans.


L’histoire ne rapporte de cet empereur que les années de son règne : elle ne parle guère que des princes tributaires qui vivaient dans une indépendance, à laquelle il n’était pas aisé de remédier.

Le roi de Guei s’était attaché le fameux général, dont je viens de parler, nommé Ou ki : il avait conçu une aussi haute idée de la sagesse de ce grand homme, que de sa valeur. Un jour qu’il s’entretenait familièrement avec lui sur les richesses et sur la puissance de son État, que la nature avait fortifié par des rochers inaccessibles, Ou ki lui répondit qu’il se trompait fort, s’il mettait sa confiance et la sûreté en des rochers escarpés ; que la force et la grandeur d’un État dépendait de la vertu et de l’application de celui qui le gouvernait.

Cette réponse augmenta dans l’esprit du prince l’estime, dont il était déjà prévenu en faveur de ce capitaine. C’est pourquoi ayant déclaré la guerre au roi de Tsin il lui donna le commandement de son armée. Ou ki attaqua l’armée ennemie, la défit entièrement, et força le prince à demander la paix.

D’autres actions également éclatantes, par lesquelles ce général signala sa valeur, le firent tendrement aimer du prince ; il crut même devoir le récompenser, en l’élevant à la dignité de son premier ministre.

Ce choix ne plut pas aux Grands du royaume ; ils tâchèrent de rendre sa fidélité suspecte, et firent entendre au roi qu’il n’était pas prudent de mettre la charge la plus importante de l’État entre les mains d’un étranger. Ou ki étant informé des mauvais offices qu’on tâchait de lui rendre, sortit secrètement du royaume, et se retira à la cour du roi de Tsou.

Son mérite ne fut pas longtemps sans y être connu : on le mit à la tête des troupes, et après avoir gagné plusieurs batailles, il obligea différents princes de rechercher l’amitié et l’alliance de son maître. Tant de mérite et de prospérités irritèrent l’envie des Grands, qui s’efforcèrent de le ruiner dans l’esprit du roi : mais n’ayant pu y réussir, ils conspirèrent non seulement contre ce favori, mais encore contre la personne de leur souverain.

Ou ki découvrit la conspiration ; et tous ceux qui y avaient trempé, furent, ou chassés du royaume, ou mis à mort. Il changea ensuite la forme du gouvernement. Il donna des bornes à l’autorité des Grands et des ministres, et réunit toute la puissance dans la seule personne du prince.

Cette réforme de l’État le rendit si florissant, qu’il devint redoutable à tous les princes voisins : ils agirent de concert avec les gouverneurs et les magistrats du royaume de Tsou pour perdre un homme qui avait établi le roi son maître dans une si grande supériorité de puissance et d’autorité. On le trouva assassiné dans sa propre maison. L’année quarante-deuxième du cycle, où finit la vie de l’empereur, mit son fils Lie vang sur le trône.


LIE VANG. Trente-unième empereur.
A régné sept ans.


L’empire allait chaque jour en décadence, et la famille régnante était sur le penchant de sa ruine. Tous les princes qui en relevaient, se maintenaient dans l’indépendance, et il n’y eut que le roi de Tsi qui renouvela son hommage à l’avènement de Lie vang au trône.

La même année que ce prince prit possession de l’empire, le royaume de Tching, qui avait compté vingt-trois princes pendant quatre cent trente-deux ans, fut éteint par le roi de Han.

L’année quarante-deuxième du cycle, arriva la naissance d’un philosophe nommé Meng tseë, et qui est plus connu sous le nom de Mencius. C’est celui d’entre les sages de leur nation, que les Chinois estiment le plus après Confucius. Lie vang mourut sans postérité l’année quarante-neuvième. Son frère cadet nommé Hien vang lui succéda.


HIEN VANG. Trente-deuxième empereur.
A régné quarante-huit ans.


Ce prince n’eut guère que le titre d’empereur. L’autorité impériale était si peu respectée, que non seulement les princes tributaires refusaient de reconnaître leur souverain, mais encore qu’ils menaçaient de lui faire la guerre, s’il s’opposait à leurs projets, ou s’il voulait blâmer leur conduite.

Dans l’idée qu’ils avaient, que la couronne était attachée à la possession de ces vases d’airain, que le grand Yu avait fait faire, chacun d’eux cherchait à s’en rendre le maître, et à usurper par ce moyen l’autorité sur tous les autres princes.

Hien vang, pour déconcerter leurs desseins, n’eut point d’autre ressource, que de faire jeter ces vases dans un lac très profond, d’où il n’était pas possible de les retirer.


Cycle XXXIV. Année avant J. C. 357.

Mencius, qui n’avait que trente-six ans, fleurissait alors, et était dans la plus grande réputation. Il avait à sa suite dix-sept disciples. Il parcourut différents royaumes, et entre autres celui de Guei et celui de Tsi, où par ses discours et par ses ouvrages, il donnait aux princes des instructions propres à bien gouverner leurs sujets, et instruisait les peuples de leurs devoirs envers le prince, et des vertus qu’ils devaient pratiquer dans l’enceinte de leurs maisons, et dans le commerce de la vie.

Hien vang mourut la trente-septième année du cycle, son fils Chin tsin vang lui succéda.


CHIN TSIN VANG. Trente-troisième empereur.
A régné six ans.


Si ce prince eût eu assez de force et de courage, pour profiter de la division qui régnait entre les princes tributaires, et des guerres continuelles qu’ils se faisaient les uns aux autres, il aurait sans doute rétabli la majesté de l’empire ; mais sa lâcheté, et sa nonchalance, encore plus grande que celle de son prédécesseur, contribuèrent plus que toute autre chose à l’avilissement de sa dignité, et à l’anéantissement de sa puissance : celle du roi de Tsin au contraire augmentait à un point, qu’il tenait tous les autres princes en respect, et que sans avoir encore le titre d’empereur, il en avait toute l’autorité.

Cinq rois, savoir ceux de Tsou, de Tchao, de Han, de Guei, et d’Yen, se liguèrent ensemble, et réunirent toutes leurs forces pour s’opposer à une puissance qui devenait formidable. Le roi de Tsin leur livra le combat, et défit entièrement leur armée. Il ne tenait qu’à lui après cette victoire de les dépouiller de leurs États, mais un objet plus intéressant l’appela ailleurs.

Deux princes de la partie occidentale de la province de Se tchuen qui ne dépendaient point de l’empire, étaient en guerre, et chacun d’eux implora le secours du roi de Tsin leur voisin. Celui-ci jugea qu’il lui était aisé de profiter de leur mésintelligence, et d’accroître son État de ces vastes pays : il marche au secours d’un de ces princes, il taille en pièces l’armée ennemie, et le prince même fut trouvé mort dans le champ de bataille. Enfin il obligea le prince qu’il avait secouru, à lui rendre hommage, et à lui payer un tribut annuel.

En même temps le roi de Guei, l’un des cinq princes ligués, dont l’armée avait été défaite, n’espérant point de vivre avec tranquillité dans son État, et ne voyant pas même de sûreté pour sa personne, tandis qu’il aurait pour ennemi un prince si puissant, se rendit son tributaire, et eut pour lui les mêmes déférences et la même soumission que s’il eût été empereur.

Le roi de Tsin lui accorda son amitié et sa protection avec d’autant plus de plaisir, que le royaume de Guei lui ouvrait un passage pour entrer sur les terres des autres princes de l’orient, et facilitait les moyens de les soumettre à sa puissance.

L’empereur, qui avait été spectateur oisif de toutes les victoires du roi de Tsin, mourut la quarante-troisième année du cycle, et eut pour successeur son fils nommé Ngan vang.


NGAN VANG II. Trente-quatrième empereur.
A régné cinquante-neuf ans.


Quelque long qu’ait été le règne de ce prince, il n’en a pas été plus heureux : il trouva l’autorité impériale presque anéantie ; et quoiqu’il ne manquât ni de talents, ni de vertu, son État était trop affaibli, pour hasarder la moindre entreprise, qui eût pu donner le plus léger ombrage à un prince aussi puissant qu’était le roi de Tsin.

Ce fut en ce temps-là qu’un colao du roi de Tsou nommé Kiue yen, qui s’était attaché tous les cœurs par sa droiture et par sa probité, succomba sous les traits de l’envie, et fut indignement dépouillé de ses honneurs. Ne pouvant survivre à son infortune, il se jeta de désespoir dans le fleuve, et y périt malheureusement.

Les peuples furent si vivement touchés de cette perte, qu’ils en perpétuèrent le souvenir par une fête qu’on célèbre encore tous les ans le cinquième jour de la cinquième lune : on monte des barques ornées, et l’on court sur les rivières, comme si l’on voulait chercher ce vertueux mandarin englouti dans les eaux, et le rappeler à la vie.


Cycle XXXV. Année avant J. C. 297.

Mencius mourut l’année neuvième du cycle à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Il est regardé après Confucius comme le plus grand philosophe de l’empire, et en considération de son mérite et de ses ouvrages, pour lesquels on conserve beaucoup de vénération, ses descendants jouissent de grands privilèges.

Cependant le roi de Tsin suivait toujours ses projets ambitieux, et se frayait insensiblement le chemin à l’empire ; il entretenait sous main la guerre entre les princes tributaires, afin qu’ils se détruisissent mutuellement. Chacun d’eux lui demandait du secours pour satisfaire sa vengeance particulière, et s’emparer des États de son ennemi ; il leur fournissait volontiers les troupes qu’ils souhaitaient pour faire des conquêtes, et diminuer le nombre de ces souverains. Ce fut ainsi que le royaume de Song qui avait subsisté pendant trois cent quatre-vingt-un an sous trente-deux princes, fut détruit par les rois de Tsi et de Tsou, et que la principauté de Lou, qui avait compté trente-quatre souverains, fut éteinte par le roi de Tsou. Il entra lui-même dans les États du roi de Guei, qui se fit son tributaire.

Ce fut alors que Tchao siang, roi de Tsin, ne déguisant plus ses véritables sentiments, déclara ouvertement qu’il aspirait au trône impérial. Il offrit au souverain seigneur du Ciel un sacrifice avec les cérémonies, qui ne peuvent être observées que par l’empereur, ce qui était une protestation publique de ses prétentions sur cette première et souveraine dignité.

Il n’y avait que le roi de Tsi qui fût assez puissant pour le traverser, et lui disputer la couronne impériale ; mais Tchao siang remporta sur lui une victoire complète, et à l’instant il envoya une partie de son armée pour détrôner l’empereur ; les troupes de Ngan vang étaient en trop petit nombre pour résister à une armée beaucoup plus forte et victorieuse : elles furent aussitôt défaites qu’attaquées.

Toute la ressource de cet infortuné prince, fut d’aller implorer la clémence de son vainqueur, de le reconnaître pour son souverain, et de lui céder le peu de villes qui lui restaient. Cette soumission conserva ses jours, qu’il alla finir dans un coin de la province de Chen si, où il mourut l’année suivante.

Aussitôt que la chute de l’empereur fut publique, quelques princes, et surtout le roi de Han, se hâtèrent de rendre hommage au roi de Tsin ; cependant comme il n’était pas reconnu de tout l’empire, et qu’il y avait encore des princes attachés à la famille de Tcheou, on élut Tcheou kiun, un des petits-fils du frère de Kao vang vingt-huitième empereur de cette race.


TCHEOU KIUN. Trente-cinquième empereur.
A régné sept ans.


Ce fut la 43e année du cycle que Tcheou kiun prit le titre d’empereur ; il ramassa des troupes de tous côtés pour résister aux forces de l’usurpateur ; il en demanda aux rois de Tsi, de Tsou, et de Guei ; mais ces princes redoutant la puissance de Tchao siang, et uniquement occupés de leurs propres intérêts, refusèrent à l’empereur le secours qu’il leur demandait.

Ainsi Tcheou kiun se voyant abandonné et hors d’espérance de pouvoir se maintenir sur le trône, abdiqua la couronne, et se réduisit à mener la vie d’un particulier. C’est ainsi que la dynastie de Tcheou fut éteinte.

Tchao siang ne jouit pas longtemps de l’autorité qu’il avait usurpée, car il mourut avant même l’abdication de l’empereur : son fils Hiao ven vang mourut aussi dans la même année, et laissa la couronne impériale à son fils, nommé Tchuang siang vang qui fut fondateur de la dynastie de Tsin.