Description de la Chine (La Haye)/Quelques règles particulières de conduite

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Scheuerlee (3p. 223-224).


Quelques règles particulières de conduite.


La consolation la plus prompte et la plus capable de nous soulager, lorsqu’il nous arrive quelque disgrâce, c’est de réfléchir sur la situation de tant d’autres, qui sont encore plus malheureux que nous.

Les gens qui ont de la droiture et de la bonne foi ne se défient de personne, et tout le monde se fie à eux. Les gens soupçonneux qui ne se fient à personne, tiennent aussi tous les autres dans la défiance, et c’est là ce qui produit la division, même entre les plus proches parents.

On parle mal de moi ; je puis réfuter la médisance ; mais ne ferai-je pas plus sagement de supporter le médisant ? On me calomnie ; je puis empêcher la calomnie de me nuire en la faisant connaître : mais ne vaut-il pas mieux changer le cœur du calomniateur ? Pour y réussir, il faut beaucoup d’adresse et d’habileté.

Si je viens à avoir un démêlé un peu vif avec quelqu’un, et que la bile s’échauffe de part et d’autre, puis-je dire que la raison est toute de mon côté ? Si je songe que j’ai un peu de tort, ma colère se calme, et si je veux bien en faire l’aveu, ce sera le moyen d’adoucir un esprit qui s’aigrit, et qui s’irrite.

Si je me mêle d’une affaire qui intéresse un ami, je dois penser à ce que je ferais, s’il s’agissait de mon intérêt propre. Si c’est une affaire qui me regarde personnellement, je dois songer au parti que je prendrais, si c’était celle d’un autre. Voilà deux règles sûres pour ne point faire de fausses démarches.

Celui qui n’a jamais été malade, ne sait pas de quel prix est la santé ; il ne l’apprend que quand il lui survient une maladie. Celui qui vit dans sa maison sans nul embarras, ne connaît point son bonheur ; il s’en aperçoit quand il lui survient une fâcheuse affaire.

Supporter les défauts d’autrui, ce n’est pas y condescendre, les désordres du siècle trouveraient un appui dans les gens de bien ; nos anciens sages avaient beaucoup d’affabilité ; mais leur complaisance n’était pas aveugle, elle n’allait pas à flatter les vices, mais à gagner les vicieux pour les corriger.

Beaucoup réfléchir, et parler peu, c’est le secret de beaucoup apprendre.

Les grands génies sont peu éclairés dans les petites affaires, et les petits génies y sont très clairvoyants. La raison est que ceux-ci se défiant de leurs lumières, consultent des gens habiles, au lieu que ceux-là pleins d’eux-mêmes raffinent sur tout, et embrouillent les affaires les plus simples.

Si vous ne négligez point une petite affaire, elle ne deviendra jamais sérieuse : si vous ne vous alarmez point d’une affaire sérieuse, elle pourra devenir peu considérable.