Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 4

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La mission de Siam (1p. 113-121).


CHAPITRE QUATRIÈME.

OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES ET MINÉRAUX.





Lorsque j’étais à Juthia, ayant eu l’occasion de faire des fouilles, pour chercher les vases sacrés qui furent enfouis lors de l’invasion des Birmans, en 1766, j’observai, partout où je fis creuser, qu’à la profondeur d’environ trois mètres on rencontre une couche de tourbe noire d’un pied d’épaisseur, dans laquelle il s’était formé quantité de beaux cristaux transparents de sulfate de chaux. (Disons en passant que les Siamois recueillent ces cristaux, les calcinent, et en obtiennent une poudre extrêmement fine et très-blanche, dont les comédiens et les comédiennes se frottent les bras et la figure.) Dans cette couche de tourbe on trouve, en outre, des troncs et des branches d’un arbre, dont le bois est rouge, mais si fragile, qu’il se rompt sans effort. D’où je conclus, que c’était là le niveau primitif du terrain, qui se sera élevé peu à peu par le sédiment, qu’y déposent les eaux chaque année, à l’époque de l’inondation, aussi bien que par le détritus des feuilles et des plantes.

Il est dit dans les Annales de Siam, que sous le règne de Phra-Ruàng (environ l’an 650 de notre ère), les jonques chinoises pouvaient remonter le Më-Nam jusqu’à Sangkhalôk, qui est aujourd’hui à plus de cent vingt lieues de la mer ; ce qui fait supposer que la plaine de Siam a éprouvé un changement considérable dans ce laps de douze cents ans, puisqu’à présent les jonques ne remontent pas au-delà de Juthia, distante de la mer de trente lieues seulement.

En creusant des canaux, on a trouvé, dans plusieurs endroits, des jonques ensevelies dans la terre à quatre ou cinq mètres de profondeur. Plusieurs personnes m’ont rapporté que quand le roi fit creuser les puits pour les pèlerins, sur la route de Phra-Bat, à une profondeur de huit mètres, on trouva un gros cable d’ancre en rotin.

À l’extrémité nord de Bangkok à onze lieues de la mer, je vis des Chinois creusant un étang, ne rapporter du fond que des coquillages concassés, ce qui me confirma dans mon opinion, que cette plaine avait été mer autrefois. Voulant donc résoudre la question de manière à lever tous les doutes, je fis creuser dans le terrain de notre église à Bangkok un puits de vingt-quatre pieds de profondeur ; l’eau qui se rassemblait au fond était plus salée que l’eau de mer ; la vase molle qu’on ramenait du fond était mêlée de plusieurs sortes de coquillages marins, dont un bon nombre étaient en bon état de conservaiion ; mais, ce qui finit par lever tous les doutes, fut une grosse patte de crabe et des concrétions pierreuses auxquelles adhéraient de jolis coquillages.

La mer s’est donc relirée et se retire encore tous les jours ; car dans un voyage au bord de la mer, mon vieux pilote me montra un gros arbre qui était à un kilomètre dans les terres, en me disant : « Voyez-vous cet arbre là-bas ? Quand j’étais jeune, j’y ai souvent attaché ma barque ; et aujourd’hui, voyez comme il est loin. » Voici la cause qui fait croître si vite la terre au bord de la mer. Pendant trois mois de l’année, quatre grands fleuves charrient, jusqu’à la mer, une quantité incalculable de limon ; or, ce limon ne se mêle pas à l’eau salée, comme je m’en suis convaincu par mes propres yeux, mais il est ballotté et refoulé par le flux et reflux sur les rivages où il se dépose peu à peu, et à peine s’est-il élevé au niveau de l’eau qu’il y croît des plantes et des arbres vigoureux qui le consolident par de nombreuses racines. J’ai tout lieu de croire que la plaine de Siam s’est accrue de vingt-cinq lieues en largeur sur soixante en longueur, ce qui ferait une étendue de quinze cents lieues carrées.

J’avais lu dans un ouvrage de géologie, qu’on a trouvé en Amérique des traces de pattes d’oiseaux et autres animaux profondément empreintes dans des rochers ; or, j’ai découvert précisément la même chose dans ma course à la montagne de Para-Bat. Comme je me promenais autour d’une source qui jaillit au bas de cette montagne, j’aperçus une empreinte qui me parut être celle du pied d’un tigre j’appelai mes gens, qui dirent tous que c’était en effet la trace d’un tigre bientôt nous en découvrîmes d’autres, et de plusieurs espèces d’animaux ; nous vîmes des traces d’éléphants, de cerfs et de grands oiseaux. Toutes ces empreintes étaient profondes, bien modelées et bien nettes, comme si elles eussent été faites sur une argile molle. Pour expliquer une chose si extraordinaire, il faut nécessairement supposer qu’il y a eu un temps où ces rochers avaient assez de mollesse pour recevoir de pareilles empreintes. D’après ce que j’ai vu, je suis porté à croire que le vestige du pied de Bouddha, dont j’ai parlé, sera l’empreinte réelle d’un pied d’homme, ou peut-être d’un mastodonte ou de quelque autre animal antédiluvien.

MINÉRAUX.

Je vais passer en revue les principales substances minérales qu’on trouve à Siam. J’ai déjà dit qu’il y avait d’immenses salines où l’on fait évaporer l’eau de la mer aux ardeurs du soleil. Quand la croûte est assez épaisse, on la casse, on ramasse le sel en gros tas, et on en charge les barques. Au milieu des salines, il se forme, à part, du sel amer ou sulfate de magnésie, qui est employé comme purgatif.

À Siam, on consomme beaucoup de salpêtre pour confectionnerla poudre et les feux d’artifice, et voici comment on le prépare on va dans les cavernes où séjournent les chauves-souris, on ramasse leur fiente ammoniacale qu’on laisse tremper plusieurs jours dans une lessive de cendres après quoi on filtre, on évapore dans une grande chaudière évasée, et on obtient par le refroidissement d’assez beaux cristaux de salpêtre.

L’or se trouve dans plusieurs localités, mais la mine d’or la plus célèbre est celle de Bang-Taphan, dans la province de Xumphon, au pied de hautes montagnes qu’on appelle les Trois-Cents-Pics. On y trouve l’or en grain, et même en pépites, de la grosseur d’un grain de poivre. On creuse la terre et on va la laver dans des sébilles en bois qu’on fait tourner dans l’eau ; la terre s’en va et l’or reste au fond. Le roi a mis des gardes autour de cette mine précieuse, qu’il fait exploiter selon ses besoins ; cependant les particuliers peuvent aussi y aller ; mais ils sont taxés à payer au gouvernement tant d’or par jour ; d’ailleurs, presque tous ceux qui y vont sont pris de la fièvre jaune, et meurent après quinze jours ou un mois de langueur ce qui empêche bien du monde d’y aller.

On n’a pas encore trouvé l’argent à l’état natif, mais il s’y trouve combiné au cuivre, à l’antimoine, au plomb et à l’arsenic. Les mines de cuivre sont très~abondantes il y a des montagnes presque toutes formées de carbonate de cuivre, qui donne trente pour cent de métal presque tout le cuivre qu’on en retire, a été jusqu’à présent employé à fondre des idoles colossales.

C’est l’étain qui fait la plus grande richesse minérale de Siam, parce qu’on le trouve en abondance dans plusieurs provinces, surtout celles de Xaláng, Xaija, Xumphon, Rapri et Pak-Phrëk. D’ailleurs, il s’est établi dans plusieurs localités des compagnies de Chinois qui l’exploitent activement. Il y a aussi dans les montagnes de Pak-Phrëk et de Suphan des mines de plomb abondantes qui, sans doute, sont argentifères, puisque d’un échantillon de sulfure de plomb pesant cinquante grammes, j’en ai retiré un gramme d’argent. On trouve l’antimoine et le zinc dans les montagnes de Rapri ; mais les Siamois, ignorant l’usage de ces métaux, croiraient perdre leur temps que de s’en occuper. J’ai vu la mine de fer de Thé-Sung dont les Chinois ont su tirer un parti si avantageux ; ce sont de gros cailloux de carbonate de fer qui couvrent la plaine sur une étendue considérable. Il y a un canal qui y conduit ; les Siamois vont en charger leurs barques, et viennent les vendre à vil prix aux l’orges chinoises, où travaillent jour et nuit cinq à six cents ouvriers ; le fer, coulé en plaques épaisses, est expédié tous les jours pour Bangkok. On m’a dit que ce fer était un acier naturel, mais je ne me suis pas assuré du fait.

Il est certain qu’il y a des pierres précieuses dans plusieurs localités du royaume de Siam, puisque, dans mes voyages, j’en ai rencontré souvent dans le lit des torrents et parmi les cailloux des rivières ; mais nulle part il n’y en a autant que dans la province de Chanthaburi. Les Chinois qui plantent le poivre tout autour de la grande montagne Sabab, en recueillentune quantité ; les hautes montagnes qui environnent la tribu des Xongs, et les six collines qui sont à l’ouest de la ville, en recèlent en si grande quantité, que les planteurs de tabac ou de cannes à sucre, établis au pied de ces collines, vendent ces pierres à la livre ; les plus petites se vendent 16 francs la livre, les moyennes 30, et les plus grosses 60 francs. Voici les principales pierres que le gouverneur de Chanthaburi m’a montrées : de gros morceaux de cristal de roche d’une transparence parfaite, des œils de chat ou pierres chatoyantes, de la grosseur d’une petite noix, des topazes, des hyacinthes, des grenats, des saphirs d’un bleu foncé et des rubis de diverses nuances. Un jour, j’allai avec une troupe de nos chrétiens faire une promenade aux collines voisines de Chanthaburi, et je les trouvai parsemées de cailloux noirs ou verdâtres à demi transparents (corindon), parmi lesquels sont épars les grenats et les rubis, dont nous ramassâmes, en une heure, une quantité suffisante pour remplir les deux mains. Comme il n’y a pas de lapidaires dans le pays, les habitants qui ont ramassé des pierres précieuses en plantant leur tabac ou leurs cannes à sucre, ne sachant qu’en faire, les vendent à vil prix aux Chinois brocanteurs, lesquels les expédient en Chine. Il faut observer, toutefois, que le roi de Siam s’est réservé certaines localités où les pierres sont plus belles et plus abondantes ; c’est le gouverneur de Chanthaburi qui est chargé de l’exploitation, et fait parvenir les pierres au palais, où quelques méchants lapidaires malais les polissent et les taillent à leur façon.


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