Deux Ans de vacances/Chapitre 28

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Hetzel (p. 438-452).

Une détonation éclatait. (Page 437.)

XXVIII

Interrogatoire de Forbes. – La situation. – Une reconnaissance projetée. – Évaluation des forces. – Reste de campement. – Briant disparu. – Doniphan à son secours. – Grave blessure. – Cris du côté de French-den. – Apparition de Forbes. – Un coup de canon de Moko.


Le lendemain, si fatigante qu’eût été cette nuit sans sommeil, personne n’eut la pensée de prendre une heure de repos. Il n’était pas douteux, maintenant, que Walston emploierait la force, puisque la ruse avait échoué. Rock, échappé au coup de feu du master, avait dû le rejoindre et lui apprendre que, ses agissements étant découverts, il ne pourrait plus pénétrer dans French-den sans en forcer les portes.

Dès l’aube, Evans, Briant, Doniphan et Gordon sortirent du hall, en se tenant sur leurs gardes. Avec le lever du soleil, les brumes matinales se condensaient peu à peu et découvraient le lac que ridait une légère brise de l’est.

Tout était tranquille aux abords de French-den, du côté du rio Zealand aussi bien que du côté de Traps-woods. À l’intérieur de l’enclos, les animaux domestiques allaient et venaient comme à l’ordinaire. Phann, qui courait sur Sport-terrace, ne donnait aucun signe d’inquiétude.

Avant tout, Evans se préoccupa de savoir si le sol portait des empreintes de pas. En effet, des traces y furent relevées en grand nombre, – surtout près de French-den. Elles se croisaient en sens divers et indiquaient bien que, pendant la nuit, Walston et ses compagnons s’étaient avancés jusqu’au rio, attendant que la porte de Store-room leur fût ouverte.

Quant à des taches de sang, on n’en vit aucune sur le sable, — preuve que Rock n’avait pas même été blessé par le coup de fusil du master.

Mais une question se posait : Walston était-il venu, comme les faux naufragés, par le sud du Family-lake, ou n’avait-il point plutôt gagné French-den, en descendant par le nord ? Dans ce cas, ce devait être du côté de Traps-woods que Rock se serait enfui pour le rejoindre ?

Or, comme il importait d’éclaircir ce fait, il fut décidé que l’on interrogerait Forbes afin de savoir quelle route Walston avait suivie. Forbes consentirait-il à parler, et, s’il parlait, dirait-il la vérité ? Par reconnaissance de ce que Kate lui avait sauvé la vie, quelque bon sentiment se réveillerait-il au fond de son cœur ? Oublierait-il que c’était pour les trahir qu’il avait demandé l’hospitalité aux hôtes de French-den ?

Voulant l’interroger lui-même, Evans rentra dans le hall ; il ouvrit la porte du réduit où était enfermé Forbes, relâcha ses liens, l’amena dans le hall.

« Forbes, dit Evans, la ruse que Rock et toi vous méditiez n’a pas réussi. Il importe que je sache quels sont les projets de Walston que tu dois connaître. Veux-tu répondre ? »

Forbes avait baissé la tête, et, n’osant lever les yeux sur Evans, sur Kate, sur les jeunes garçons devant lesquels le master l’avait fait comparaître, il gardait le silence.

Kate intervint.

« Forbes, dit-elle, une première fois, vous avez montré un peu de pitié, en empêchant vos compagnons de me tuer pendant le massacre du Severn. Eh bien ! ne voudrez-vous rien faire pour sauver ces enfants d’un massacre plus affreux encore ? »

Forbes ne répondit pas.

« Forbes, reprit Kate, ils vous ont laissé la vie, quand vous méritiez la mort ! Toute humanité ne peut pas être éteinte en vous ! Après avoir fait tant de mal, vous pouvez revenir au bien ! Songez à quel horrible crime vous prêtiez la main ! »

Un soupir, à demi-étouffé, sortit péniblement de la poitrine de Forbes.

« Eh ! que puis-je ?… répondit-il d’une voix sourde.

— Tu peux nous apprendre, reprit Evans, ce qui devait se faire cette nuit, ce qui doit se faire plus tard. Attendais-tu Walston et les autres, qui devaient s’introduire ici, dès qu’une des portes aurait été ouverte ?…

— Oui ! fit Forbes.

— Et ces enfants, qui t’avaient fait bon accueil, eussent été tués ?… »

Forbes baissa la tête plus bas encore, et, cette fois, il n’eut pas la force de répondre.

« Gare ! » cria soudain Cross. (Page 445.)


« Et maintenant, par quel côté Walston et les autres sont-ils venus jusqu’ici ? demanda le master.

— Par le nord du lac, répondit Forbes.

— Pendant que Rock et toi, vous veniez par le sud ?…

— Oui !

— Ont-ils visité l’autre partie de l’île, à l’ouest ?

— Pas encore.

— Où doivent-ils être en ce moment ?

— Je ne sais…

— Tu ne peux en dire davantage, Forbes ?

— Non… Evans… non !…

— Et tu penses que Walston reviendra ?…

— Oui ! »

Évidemment, Walston et les siens, effrayés par le coup de fusil du master, comprenant que la ruse était découverte, avaient trouvé prudent de se tenir à l’écart, en attendant quelque occasion plus favorable.

Evans, n’espérant pas en apprendre davantage de Forbes, le reconduisit dans le réduit, dont la porte fut refermée extérieurement.

La situation était donc toujours des plus graves. Où se trouvait présentement Walston ? Était-il campé sous les futaies de Traps-woods ? Forbes n’avait pu ou n’avait pas voulu le dire. Et pourtant, rien n’eût été plus désirable que d’être fixé à cet égard. Aussi, la pensée vint-elle au master d’opérer une reconnaissance dans cette direction, bien que ce ne fût pas sans danger.

Vers midi, Moko porta quelque nourriture au prisonnier. Forbes, affaissé sur lui-même, y toucha à peine. Que se passait-il dans l’âme de ce malheureux ? Sa conscience s’était-elle ouverte au remords ? On ne savait.

Après le déjeuner, Evans fit connaître aux jeunes garçons son projet de s’avancer jusqu’à la lisière de Traps-woods, tant il avait à cœur de savoir si les malfaiteurs étaient encore aux environs de French-den. Cette proposition ayant été acceptée sans discussion, les dispositions furent prises pour parer à toute fâcheuse éventualité.

Sans doute, Walston et ses compagnons n’étaient plus que six, depuis la capture de Forbes, tandis que la petite colonie se composait de quinze garçons, sans compter Kate et Evans, – en tout dix-sept. Mais, de ce nombre, il fallait éliminer les plus jeunes, qui ne pouvaient prendre directement part à une lutte. Donc, il fut décidé que, pendant que le master opérerait sa reconnaissance, Iverson, Jenkins, Dole et Costar resteraient dans le hall, avec Kate, Moko et Jacques, sous la garde de Baxter. Quant aux grands, Briant, Gordon, Doniphan, Cross, Service, Webb, Wilcox, Garnett, ils accompagneraient Evans. Huit garçons à opposer à six hommes dans la force de l’âge, cela ne ferait pas la partie égale. Il est vrai, chacun d’eux serait armé d’un fusil et d’un revolver, tandis que Walston ne possédait que les cinq fusils provenant du Severn. Aussi, dans ces conditions, un combat à distance paraissait-il offrir des chances plus favorables, puisque Doniphan, Wilcox, Cross, étaient bons tireurs, et, en cela, très supérieurs aux matelots américains. En outre, les munitions ne leur manqueraient pas, tandis que Walston, ainsi que l’avait dit le master, devait être réduit à quelques cartouches seulement.

Il était deux heures après midi, lorsque la petite troupe se forma sous la direction d’Evans. Baxter, Jacques, Moko, Kate et les petits rentrèrent immédiatement dans French-den, dont les portes furent refermées, mais non barricadées, afin que, le cas échéant, le master et les autres pussent se mettre rapidement à l’abri.

Du reste, il n’y avait rien à craindre du côté du sud, ni même de l’ouest, car, pour suivre cette direction, il aurait fallu que Walston eût gagné Sloughi-bay, afin de remonter la vallée du rio Zealand, — ce qui aurait demandé trop de temps. D’ailleurs, d’après la réponse de Forbes, c’était par la rive ouest du lac qu’il avait descendu, et il ne connaissait point cette partie de l’île. Evans n’avait donc pas à redouter d’être surpris par derrière, l’attaque ne pouvant venir que du côté du nord.

Les jeunes garçons et le master s’avancèrent prudemment, en longeant la base d’Auckland-hill. Au-delà de l’enclos, les buissons et les groupes d’arbres leur permettaient d’atteindre la forêt, sans trop se découvrir.

Evans marchait en tête, – après avoir dû réprimer l’ardeur de Doniphan, toujours prêt à se porter en avant. Lorsqu’il eut dépassé le petit tertre qui recouvrait les restes du naufragé français, le master jugea opportun de couper obliquement, afin de se rapprocher de la rive du Family-lake.

Phann, que Gordon eût en vain essayé de retenir, semblait quêter, l’oreille dressée, le nez au sol, et il parut bientôt qu’il était tombé sur une piste.

« Attention ! dit Briant.

— Oui, répondit Gordon. Ce n’est point la piste d’un animal ! Voyez l’allure de Phann !

— Glissons-nous entre les herbes, répliqua Evans, et vous, monsieur Doniphan, qui êtes bon tireur, si l’un de ces gueux se montre à bonne portée, ne le manquez pas ! Vous n’aurez jamais si à propos envoyé une balle. »

Quelques instants après, tous avaient atteint les premiers groupes d’arbres. Là, sur la limite de Traps-woods, il y avait encore des traces d’une halte récente, des branches à demi consumées, des cendres à peine refroidies.

« C’est ici, à coup sûr, que Walston a passé la nuit dernière, fit observer Gordon.

— Et peut-être y était-il, il y a quelques heures ? répondit Evans. Je pense qu’il vaut mieux nous rabattre vers la falaise… »

Il n’avait pas achevé qu’une détonation éclatait sur la droite. Une balle, après avoir effleuré la tête de Briant, vint s’incruster dans l’arbre près duquel il s’appuyait.

Presque en même temps se faisait entendre un autre coup de feu, qui fut suivi d’un cri, tandis qu’à cinquante pas de là, une masse s’abattait brusquement sous les arbres.

C’était Doniphan, qui venait de tirer au juger d’après la fumée produite par le premier coup de fusil.

Mais le chien ne s’arrêtant plus, Doniphan, emporté par sa fougue, se lança derrière lui.

« En avant ! dit Evans. Nous ne pouvons le laisser s’engager seul !… »

Un instant après, ayant rejoint Doniphan, tous faisaient cercle autour d’un corps étendu au milieu des herbes et qui ne donnait plus signe de vie.

« Celui-là, c’est Pike ! dit Evans. Le coquin est bien mort ! Si le diable s’est mis en chasse aujourd’hui, il ne reviendra pas bredouille ! Un de moins !

— Les autres ne peuvent être éloignés ! fit observer Wilcox.

— Non, mon garçon ! Aussi, ne nous découvrons pas !… À genoux !… À genoux !… »

Troisième détonation venant de la gauche, cette fois. Service, qui n’avait pas assez promptement baissé la tête, eut son front rasé par une balle.

« Tu es blessé ?… s’écria Gordon en courant à lui.

— Ce n’est rien, Gordon, ce n’est rien ! répondit Service. Une égratignure seulement ! »

En ce moment, il importait de ne point se séparer. Pike tué, restaient encore Walston et quatre des siens, qui devaient être postés à petite distance derrière les arbres. Aussi Evans et les autres, accroupis entre les herbes, formaient-ils un groupe compact, prêt à la défensive, de quelque côté que vînt l’attaque.

Tout à coup, Garnett s’écria :

« Où est donc Briant ?

— Je ne le vois plus ! » répondit Wilcox.

En effet, Briant avait disparu, et comme les aboiements de Phann retentissaient encore avec plus de violence, il était à craindre que le hardi garçon ne fût aux prises avec quelques hommes de la bande.

« Briant… Briant !… » cria Doniphan.

Et tous, inconsidérément peut-être, se jetèrent sur les traces de Phann. Evans n’avait pu les retenir. Ils allaient d’arbre en arbre, gagnant du terrain.

« Gare, master, gare ! » cria soudain Cross, qui venait de se jeter à plat ventre.

Instinctivement, le master baissa la tête, au moment où une balle passait à quelques pouces au-dessus de lui.

Puis, se redressant, il aperçut un des compagnons de Walston qui s’enfuyait à travers le bois.

C’était précisément Rock, qui lui avait échappé la veille.

« À toi, Rock ! » cria-t-il.

Il fit feu, et Rock disparut, comme si le sol se fût subitement ouvert sous ses pas.

« Est-ce que je l’ai encore manqué ?… s’écria Evans. Mille diables ! Ce serait de la malchance ! »

Tout cela s’était fait en quelques secondes. Tout aussitôt, les aboiements du chien éclatèrent à proximité. Immédiatement la voix de Doniphan se fit entendre :

« Tiens bon, Briant !… Tiens bon ! » criait-il.

Evans et les autres se portèrent de ce côté, et, vingt pas plus loin, ils aperçurent Briant aux prises avec Cope.

Ce misérable venait de terrasser le jeune garçon, et il allait le frapper de son coutelas, lorsque Doniphan, arrivé juste à temps pour détourner le coup, se jeta sur Cope, avant d’avoir eu le temps de saisir son revolver.

Ce fut lui que le coutelas atteignit en pleine poitrine… Il tomba, sans pousser un cri.

Cope, observant alors qu’Evans, Garnett et Webb cherchaient à lui couper la retraite, prit la fuite dans la direction du nord. Plusieurs coups de feu furent simultanément tirés sur lui. Il disparut, et Phann revint sans avoir pu l’atteindre.

À peine relevé, Briant était revenu près de Doniphan, il lui soutenait la tête, il essayait de le ranimer…

Evans et les autres les avaient rejoints, après avoir rapidement rechargé leurs armes.

En réalité, la lutte avait commencé au désavantage de Walston, puisque Pike était tué, et que Cope et Rock devaient être hors de combat.

Par malheur, Doniphan avait été frappé à la poitrine, et mortellement, semblait-il. Les yeux fermés, le visage blanc comme une cire, il ne faisait plus un mouvement, il n’entendait même pas Briant qui l’appelait.

Cependant Evans s’était penché sur le corps du jeune garçon. Il avait ouvert sa veste, puis déchiré sa chemise qui était trempée de sang. Une étroite plaie triangulaire saignait à la hauteur de la quatrième côte, du côté gauche. La pointe du coutelas avait-elle touché le cœur ? Non, puisque Doniphan respirait encore. Mais il était à craindre que le poumon eût été atteint, car la respiration du blessé était extrêmement faible.

« Transportons-le à French-den ! dit Gordon. Là, seulement, nous pourrons le soigner…

— Et le sauver ! s’écria Briant. Ah ! mon pauvre camarade !… C’est pour moi que tu t’es exposé ! »

Evans approuva la proposition de ramener Doniphan à French-den — d’autant plus qu’en ce moment il paraissait y avoir quelque répit à la lutte. Vraisemblablement, Walston, voyant que les choses tournaient mal, avait pris le parti de battre en retraite dans les profondeurs de Traps-woods.

Toutefois — ce qui ne laissait pas d’inquiéter Evans — c’est qu’il n’avait aperçu ni Walston ni Brandt ni Book, et ce n’étaient pas les moins redoutables de la bande.

L’état de Doniphan exigeait qu’il fût transporté sans secousse. Aussi Wilcox et Service se hâtèrent-ils d’établir une civière de branchages, sur laquelle le jeune garçon fut étendu, sans avoir repris connaissance. Puis, quatre de ses camarades le soulevèrent doucement, tandis que les autres l’entouraient, leur fusil armé, leur revolver à la main.

Le cortège regagna directement la base d’Auckland-hill. Cela valait mieux que de suivre la rive du lac. En longeant la falaise, il n’y aurait plus à veiller que sur la gauche et en arrière. Rien, d’ailleurs, ne vint troubler ce pénible cheminement. Quelquefois, Doniphan poussait un soupir si douloureux que Gordon faisait signe de s’arrêter, afin d’écouter sa respiration, et, un instant après, on se remettait en marche.

Jacques lui déchargea son revolver en pleine poitrine. (Page 451.)

Les trois quarts de la route furent faits dans ces conditions. Il ne restait plus que huit à neuf cents pas à franchir pour atteindre French-den, dont on ne pouvait encore apercevoir la porte, cachée par une saillie de la falaise.

Tout à coup, des cris retentirent du côté du rio Zealand. Phann bondit dans cette direction.

La yole et la chaloupe à l’abri de la digue. (Page 458.)


Évidemment, French-den était attaqué par Walston et ses deux compagnons.

En effet, voici ce qui s’était passé – ainsi que cela fut reconnu plus tard.

Pendant que Rock, Cope et Pike, embusqués sous les arbres de Traps-woods, occupaient la petite troupe du master, Walston, Brandt et Book avaient gravi Auckland-hill, en remontant le lit desséché du torrent de Dike-creek. Après avoir rapidement parcouru le plateau supérieur, ils étaient descendus par la gorge qui aboutissait à la berge du rio, non loin de l’entrée de Store-room. Une fois là, ils étaient parvenus à enfoncer la porte, qui n’était pas barricadée, et avaient envahi French-den.

Et maintenant, Evans arriverait-il assez tôt pour prévenir une catastrophe ?

Le master eut rapidement pris son parti. Tandis que Cross, Webb et Garnett restaient près de Doniphan qu’on ne pouvait laisser seul, Gordon, Briant, Service, Wilcox et lui s’élancèrent dans la direction de French-den, en prenant au plus court. Quelques minutes plus tard, dès que leurs regards purent s’étendre jusqu’à Sport-terrace, ce qu’ils virent était bien pour leur enlever tout espoir !

En ce moment, Walston sortait par la porte du hall, tenant un enfant qu’il entraînait vers le rio.

Cet enfant, c’était Jacques. En vain, Kate, qui venait de se précipiter sur Walston, essayait-elle de le lui arracher.

Un instant après, apparaissait le second compagnon de Walston, Brandt, qui s’était saisi du petit Costar et l’emportait dans la même direction.

Baxter, lui aussi, vint se jeter sur Brandt ; mais, repoussé violemment, il roula sur le sol.

Quant aux autres enfants, Dole, Jenkins, Iverson, on ne les voyait pas, non plus que Moko. Est-ce qu’ils avaient déjà succombé à l’intérieur de French-den ?

Cependant Walston et Brandt gagnaient rapidement du côté du rio. Avaient-ils donc la possibilité de le franchir autrement qu’à la nage ? Oui, car Book était là, près de la yole, qu’il avait tirée hors de Store-room.

Une fois sur la rive gauche, tous trois seraient hors d’atteinte. Avant qu’on eût pu leur couper la retraite, ils auraient regagné leur campement de Bear-rock, avec Jacques et Costar, devenus des otages entre leurs mains !

Aussi, Evans, Briant, Gordon, Cross, Wilcox couraient-ils à perte d’haleine, espérant atteindre Sport-terrace, avant que Walston, Book et Brandt se fussent mis en sûreté au-delà du rio. Quant à tirer sur eux à la distance où ils se trouvaient, c’eût été s’exposer à frapper Jacques et Costar en même temps.

Mais Phann était là. Il venait de bondir sur Brandt et le tenait à la gorge. Celui-ci, très gêné pour se défendre contre le chien, dut lâcher Costar, pendant que Walston se hâtait d’entraîner Jacques vers la yole…

Soudain, un homme s’élança hors du hall.

C’était Forbes.

Venait-il se joindre à ses anciens compagnons de crime après avoir forcé la porte du réduit ? Walston n’en douta pas.

« À moi, Forbes !… Viens… Viens ! » lui cria-t-il.

Evans s’était arrêté, et il allait faire feu, lorsqu’il vit Forbes se jeter sur Walston.

Walston, surpris par cette agression à laquelle il ne pouvait s’attendre, fut obligé d’abandonner Jacques, et, se retournant, il frappa Forbes d’un coup de coutelas.

Forbes tomba aux pieds de Walston.

Cela s’était fait si vite qu’à ce moment, Evans, Briant, Gordon, Service et Wilcox étaient encore à une centaine de pas de Sport-terrace.

Walston voulut alors ressaisir Jacques, afin de l’emporter jusqu’à la yole, où Book l’attendait avec Brandt, lequel était parvenu à se débarrasser du chien.

Il n’en eut pas le temps. Jacques, qui était armé d’un revolver, le lui déchargea en pleine poitrine. C’est à peine si Walston, grièvement blessé, eut la force de ramper vers ses deux compagnons qui le prirent dans leurs bras, l’embarquèrent et repoussèrent vigoureusement la yole.

En ce moment, retentit une violente détonation. Une volée de mitraille cingla les eaux du rio.

C’était la petite pièce, que le mousse venait de décharger à travers l’embrasure de Store-room.

Et maintenant, à l’exception des deux misérables, qui avaient disparu sous les massifs de Traps-woods, l’île Chairman était délivrée des meurtriers du Severn, entraînés vers la mer par le courant du rio Zealand !