Dialogue (Gilkin)
DIALOGUE
L’être d’ironie et de haine
Qui pour cible a choisi mon cœur.
De l’arc de sa bouche d’ébène
M’a décoché ce trait moqueur :
« Cet enfant tout en fleur d’enfance,
Divin de joie et de santé,
Qui t’adore sans méfiance,
Crédule en ta fausse bonté, —
— A son abandon simple et tendre,
Au doux velours des doux baisers
Que son sourire laisse prendre,
Que répondent tes sens blasés ?
Que répondent tes lèvres lasses,
Veuves de tant de baisers morts,
Et qui bleuissent de leurs glaces
Les lèvres fraîches que tu mords ?
Tes yeux, qui savent trop de choses,
Pour s’être repus nuit et jour
De la pourriture des roses
Et des dégoûts des lits d’amour, —
Et ta mémoire, noire armoire
Où tous les espoirs sans espoir
Moisissent avec maint grimoire
En l’ennui de ton vain savoir ?
— Ô âcres larmes ! Pleurs funèbres !
Mes lourds sanglots ont répondu
À l’Inquisiteur des Ténèbres :
« Oui, tout mon bonheur est perdu.
« Ruine ma chair épuisée,
Les cantharides et l’alcool
L’ont brûlée et décomposée.
Mon amour sénile est un vol.
Mon âme jadis intrépide,
Drapeau chantant aux vents joyeux,
Pend, morne, trouée et sordide,
Sur mes os mous et carieux.
C’en est fait des parfums en flammes
Brûlant sur des bûchers de fleurs
Ces beaux yeux d’enfants et de femmes
Qu’enivraient ma joie et mes pleurs !
Mais, — ô démon qui me tortures ! —
Fou de désir et de rancœur,
Par de câlines impostures
J’ai fardé mon pauvre vieux cœur.
Et j’offre encor mes lèvres peintes,
Les feux calculés de mes yeux,
Mes mains et leurs feintes étreintes
Et mon doux parler captieux
À la rose Idole aurorale
Qui luit dans l’ennui de ma nuit,
À la lumière triomphale
Qui me fortifie et m’instruit,
À la Vigueur, à la Jeunesse,
Dont la claire et chaude santé
Rayonne comme une promesse
Flamboyante d’éternité.