Dialogue de messieurs de Mallepaye et de Baillevent

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Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 164-177).

XXIII.
DIALOGUE
DE MESSIEURS
DE MALLEPAYE ET DE BAILLEVENT.

M. Hée, Monsieur de Baillevent ! B. Quoy
De neuf ? M. On nous tient en aboy,
Comme despourveuz, malureux.
B. Si j’avoye autant que je doy,
Sang bieu ! je seroye chez le Roy,
Un page après moy ! M. Voire deux !

B. Nous sommes francs… M. Adventureux.
B. Riches. M. Bien aises B. Plantureux.
M. Voire, de souhaits. B. C’est assez.
M. Gentilz hommes. B. Hardis. M. Et preux.
B. Par l’huys. M. Du joly Souffreteux
Heritiers. B. De gaiges cassez.

M. Nous sommes, puis troys ans passez
Si minces. B. Si mal compassez.
M. Si simples. B. Legiers comme vent.

M. Si esbaudiz. B. Si mal pansez,
De donner pour Dieu dispensez,
Car nous jeusnons assez souvent.

M. Hée, monsieur de Baillevent,
Qui peult trouver, soubz quelque amant,
Deux ou troys mille escus, quel proye !
B. Nous ferions bruyt. M. Toutallement.
B. Le quartier en vault l’arpent,
Pardieu ! Monsieur de Mallepaye !

M. J’escripz contre ces murs. B. Je raye,
Puis de charbon et puis de craye.
M. Je raille. B. Je fays chère à tous.
M. Nous avons beau coucher en raye,
L’oreille au vent, la gueulle baye,
On ne faict point prochas de nous.

B. Helas ! serons-nous jamais soulx ?
M. Il ne fault que deux ou trois coups
Pour nous remonter. B. Doux. M. Droictz.
B. Druz.
M. Pour fringuer. B. Pour porter le houx.
M. Gens… B. A dire : D’ond venez-vous ?
M. Francs. B. Fins. M. Froidz. B. Forts.
M. Grans. B. Gros. M. Escreuz.

B. De serjens sommes tous recreux,
Et si n’avons nulz bien acreuz.
M. Nous debvons. B. On nous doibt.
M. Fourraige.
B. Entretenus. M. Comme poux creux.
B. Jurons sang bieu, nous serons creuz :
Arrière, piettons de village !

M. Ne suis-je pas beau personnaige ?
B. J’ay train de seigneur. M. Pas de saige.
B. Ressourdant. M. Comme bel alun.
B. Pathelin en main. M. Dire raige.
B. Et, par la mort bieu ! c’est dommaige,
Que ne mettons vilains en run.

M. Hée ! cinq cens escus ! B. C’est esgrun.
M. Quand j’en ay j’en offre à chascun,
Et suis bien aise quand j’en preste.
B. Mes rentes sont sur le commun ;
M. Mais povres gens n’en ont pas ung ;
B. J’y romproye pour néant la teste.

M. S’il povoyt venir quelque enqueste,
Quelque mandement ou requeste,
Ou quelque bonne commission !
B. Mais en quelque banquet honneste,
Faire accroire à cest ou à ceste
La Pragmatique Sanction !

M. Et si elle y croit ? B. Promision.
M. Se elle promet ? B. Monition.
M. Se on l’admoneste ? B. Qu’on marchande.
M. Se on faict marché ? B. Fruiction.
M. Se on fruict ? B. La Petition
En façon de belle demande

D’ung beau cent escus. M. Quelle viande !
B. Qui l’auroit quand on la demande,
On feroit… M. Quoi ? B. Feu. M. Sainct
Jehan, voire !
B. On tauxeroit bien grosse amende

Sur le faict de ceste demande,
Se j’en quictoye le petitoire.

M. Quel bien ! B. Quel heur ! M. Quel accessoire !
B. Je me raffroichiz la memoire
Quand il m’en souvient. M. Quel plaisir !
B. Se on nous bailloit par inventoire
Deux mil escuz en une armoire,
Ilz n’auroient garde d’y moysir.

M. Qui peut prendre ! B. Qui peut choisir !
M. Gaigner ! B. Espargner ! M. Se saisir !
Nous serions partout bienvenuz.
B. Ung songe ! M. Mais quel ? B. De plaisir.
M. Nous prendrons si bien le loisir
De compter ne sçay quantz escuz.

B. Nous sommes bien entretenuz.
M. Aymez. B. Portez. M. Et soustenuz…
B. De nos parens. M. De bonne race.
B. Rentes assez et revenuz,
Et s’à présent n’en avons nulz,
Ce n’est que malheur qui nous chasse.

M. Je n’en fais compte. B. Je raimasse.
M. Je volle par coups. B. Je tracasse,
Puis au poil et puis à la plume.
M. Je gaudis, et si je rimasse,
Que voulez-vous ! il ne tient qu’à ce
Que je ne l’ay pas de coustume.

B. D’honneur assez. M. Chascun en hume.
B. Je destains le feu. M. Je l’allume.

B. Je m’esbas. M. Je passe mon dueil.
B. Le plus souvent, quand je me fume,
Je batteroye comme fer d’enclume,
Si je me trouvoye tout seul.

M. Je ris. B. Je bave sur mon sueil.
M. Je donne à quelqu’une ung guin d’œil.
B. Je m’esbas à je ne sçay quoy.
M. J’entretiens. B. Je fais bel accueil.
M. On me fait tout ce que je vueil,
Quand nous sommes mon paige et moy.

B. Je ne demande qu’avoir dequoy,
Belle amye, et vivre à requoy,
Faire tousjours bonne entreprise,
Belles armes, loyal au Roy.
M. Mais trois poulx rempans en aboy
Pour le gibier de la chemise !

B. Je porteroye pour ma devise
La marguerite en or assise
Et le houx partout estandu.
M. Vostre cry, quel ? B. Nouvelle guise.
M. Riens en recepte, tant en mise,
Et, toute somme, item perdu.

B. Je vous seroye, au residu,
Gorgias sur le hault verdi
Le bel estomac d’alouette.
M. Robbe ! B. De gris blanc, gris perdu,
Bien emprunté et mal rendu,
Payé d’une belle estiquette.

M. Puis la chaîne d’or, la baguette,

Le lacqs de soye, la cornette…
B. De velours. M. C’est bel affiquet.
B. Quand nous aurions fait nostre emplète,
La porte seroit bien estroicte
Se ne passions jusqu’au ticquet.

M. Nectelet. B. Gorgias. M. Friquet.
B. De vert ? M. Tousjours quelque bouquet.
B. Selon la saison de l’année.
M. Et de paige ? B. Quelque naquet.
M. S’il vient hasart en ung banquet ?
B. Le prendre entre bond et vollée.

M. Aux survenans ? B. Chère meslée.
M. Aux povres duppes ? B La havée.
M. Et aux rustes ? B. Le jobelin.
M. Aux mignons de court ? B. L’accollée.
M. Aux gens de mesmes ? B. La risée.
M. Et aux ouvriers ? B. Le pathelin.

M. D’entretenir ? B. Damoiselin.
M. Et saluer ? B. Bas comme lin.
M. Et diviser ? B. Motz tous nouveaulx.
Pour contenter le femynin.
Nous ferions plus d’ung esclin
Qu’ung aultre de quinze royaulx.

M. Hée, cueurs joyeux ! B. Hée, cueurs
loyaulx !
M. Prests. B. Prins. M. Prompts. B. Preux.
M. Especiaulx.
B. Aymez. M. Supportez. B. Bien receuz.
M. Nous devrions passer aux sceaulx

Envers les officiers royaulx,
Comme messieurs les despourveuz.

B. De congnoissance bien pourveuz
Et de sagesse. M. On nous a veuz
Si gentilz et si francs. B. Si doulx.
M. Helas ! cent escuz nous sont deubz.
B. Au fort, si nous les eussions euz,
On en tint plus compte de nous.

M. Nous avons faict plaisir à tous.
B. Chère à dire : D’ond venez-vous ?
M. Esmerillonnez. B. Advenans.
M. Cent escus, et juger des coups.
On auroit beau mettre aux deux bouts,
Se nous ne tenions des gaignans.

B. Nous sommes deux si beaulx gallans.
M. Fringans. B. Bruyans. M. Allans. B. Parlans
M. Esmeuz de franche volunté.
B. Aagez de sens. M. Et jeunes d’ans.
B. Bien gays. M. Assez rescéans.
B. Povres d’argent. M. Prou de santé.

B. Chascun de nous est habité.
M. Maison à Paris. B. Bien monté,
Aussi bien aux champs qu’en la ville.
M. Il y a ceste malheurté
Que de l’argent qu’avons presté
Nous n’en arrons ne croix ne pille.

B. Où sont les cens et deux cens mille
Escus que nous avions en pile,

Quand chascun avoit bien du sien ?
M. Au fort, se nous n’en avons mille,
Nous sommes, selon l’Evangile,
Des bienheureux du temps ancien.

B. J’aymasse mieulx qu’il n’en fust rien.
M. Trouvons en par quelque moyen.
B. Qui en a à present ? M. Je ne sçay.
B. Hé, ung engin parisien…
M. Art lombard. B. Franc praticien,
Pour faire à present ung essay !

M. Je vis le temps que j’avancay
L’argent de chose, et adressay
Tel et tel et tel benefice.
B. Et, pour moy, quand je compassé
Monseigneur tel, et pourchassé
Moy mesmes tout seul son office.

M. J’estois tousjours à tous propice ;
Mais je crains. B. Et quoy ? M. Qu’avarice
Nous surprint, si devenions riches.
B. Riches, quoi ! Ceste faulce lisse,
Pouvreté, nous tient en sa lice.
M. C’est ce qui nous faict estre chiches.

B. Nous sommes legiers. M. Comme biches.
B. Rebondis… M. Comme belles miches.
B. Et fraysés… M. Comme beaulx ongnons.
B. Aussi coustelez. M. Comme chiches.
B. Adventureux. M. Comme Suysses
À Nancy, sur les Bourguygnons.

B. Entre les gallans. M. Compaignons.

B. Entre les gorgias. M. Mignons.
B. Entre gens d’armes. M. Courageux.
B. S’on barguigne. M. Nous barguignons.
B. Heureulx. M. Comme beaux champignons.
Mis sus en ung jour ou en deux.

B. Nous sommes les adventureux
Despourveuz. M. D’argent. B. Plantureux.
M. De nouvelles plaisantes. B. Tant.
M. Pour servir princes. B. Curieux.
M. Et pour les mignons. B. Gracieux.
M. Et pour le commun. B. Tant à tant.

M. Hée, monsieur de Baillevent,
Quand reviendra le bon temps ?
B. Quand chascun aura ses souhaits.
M. Cent mille escus argent comptant,
Sur ma foy, je seroye content
Qu’on ne parlast plus que de paix.

B. Nous sommes si francs. M. Si parfaits.
B. Si sçavans. M. Si cauts en nos faiz.
B. Si bien nez. M. Si preux. B. Si hardis.
M. Saiges. B. Subtilz. M. Advisez. B. Mais
Faulte d’argent et les grans prestz…
M. Nous ont ung peu appaillardis.

B. Abandonnez. M. Comme hardis.
B. Requis. M. Comme les gras mardis.
B. Et fiers. M. Comme ung beau pet en
baing.
B. J’ay dueil que vieulx villains tarnys

Soient d’or et d’argent si garnis,
Et mignons en ont tant besoing.

M. Nous avons froid. B. Chauld. M. Faim.
B. Soif. M. Soing.
B. Nous tracassons. M. Çà. B. Là. M. Près.
B. Loing.
M. Sans prouffit. B. Sans quelque advan-
taige.
M. Mais, s’on nous fonçoit or au poing,
Nous serions pour faire à ung coing
Nostre prouffit d’aultruy dommage.

Avez-vous tousjours l’heritaige
De Baillevent ? B. Ouy. M. J’enraige
Qu’en Mallepaye n’a vins, blez, grains.
B. Cent francs de rente et ung fromaige,
Vous m’orriez dire de couraige :
Vive le roy ! M. Ronfflez, villains !

B. Qui a le vent ? M. Joyeulx mondains.
B. Gré de dames ? M. Amoureux craints.
B. Et l’argent, qui ? M. Qui plus embource.
B. Qu’est-ce d’entre nous courtissains ?
M. Nous prenons escus pour douzains,
Franchement, et bourse pour bource.

B. Ha ! Monseigneur ! M. Sang bieu, la
mousse
M’a trop cousté. B. Et pourquoy ? M. Pource.
B. Hay ! hay ! tout est mal compassé.
M.Comment ? B. On ne joue plus du poulce.
M. Qui ne tire. B. Quicte la trousse ;
Autant vauldroit ung arc cassé.

M. Monsieur mon pere eust amassé
Plus d’escus qu’on eust entassé
En ung hospital de vermine.
B. Mais nous avons si bien sassé,
Le sang bieu ! que tout est passé,
Gros et menu, par l’estamyne.

M. Si vient guerre, mort ou famine,
Dont Dieu nous gard, quel train, quel myne
Ferons nous pour gaigner le broust ?
B. Quant à moy, je me determine
D’entrer chez voisin et voisine
Et d’aller voir si le pot bout.

M. Mais regardons, à peu de coust,
Quel train nous viendroit mieulx à goust
Pour amasser biens et honneurs.
B. Le meilleur est prendre partout.
M. De rendre, quoy ? B. On s’en absoult,
Pour cinq solz, à ces pardonneurs.

M. Allons servir quelques seigneurs.
B. Aucuns sont si petitz d’honneurs
Qu’on n’y a que peine et meschance.
M. Et prouffit, quel ? B. Selons les heurs ;
Mais entre nous, fins estradours,
Il nous fault esplucher la chance.

M. Servons marchans pour la pitance,
Pour fructus ventris, pour la pance.
B. On y gaigneroit ses despens.
M. Et de foncer ? B. Bonne asseurance,
Petite foy, large conscience ;
Tu n’y scez riens et y aprens.

M. De procès, quoy ? B. Si je m’y rens,
Je veulx estre mis sur les rangs,
S’ilz ont argent, si je n’en crocque.
M. Quels gens sont-ce ? B. Gros marchesens,
Qui se font bien servir des gens ;
Mais de payer, querez qui bloque !

M. Officiers, quoi ? C’est toute mocque :
L’ung pourchasse, l’autre desroque,
Et semble que tout soit pour eulx.
B. Laissons-les là. M. Ho ! je n’y tocque.
Il n’est point de pire defroque
Que de malheur à malheureux.

B. Pour despourveuz adventureux
Comme nous, encor c’est le mieulx
De faire l’ost et les gens d’armes.
M. En fuite je suis couraigeux.
B. Et à frapper ? M. Je suis piteux ;
Je crains trop les coups, pour les armes.

B. Servons donc Cordeliers ou Carmes,
Et prenons leurs bissacs à fermes,
Car il n’y a pas grand debit.
M. Ilz nous prescheroient en beaulx termes,
Et pleureroyent maintes lermes
Devant que nous prinssions l’habit.

B. Se en cest malheur et labit
Nous mourions, par quelque acabit,
Âme n’y a qui bien nous face.
M. J’ay ung vieil harnoys qu’on forbit,

Sur lequel je fonde ung obit,
Et du surplus, Dieu le parface !

B. Hée, fault-il que Fortune efface
Nostre bon bruyt ? M. Malheur nous chasse ; trasse.
Mais il n’a nul bien qui n’endure.
B. Prenons quelque train. M. Suyvons
B. Nous trassons, et quelqu’un nous trasse :
À loups ravis grosse pasture.

M. Allons ! B. Mais où ? M. À l’adventure.
B. Qui nous admoneste ? M. Nature.
B. Pour aller ? M. Où on nous attend.
B. Par quel chemin ? M. Par soing ou cure.
B. Logez où ? M. Près de la clousture
De monsieur d’Angoulevent.

B. Comment yrons ? M. Jusqu’à Claqdent
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et passerons par Mallepaye.
B. Brief, c’est le plus expedient
Que nous jetons la plume au vent :
Qui ne peult mordre, si abaye.

M. Où ung franc couraige s’employe,
Il treuve à gaigner. B. Querons proye.
M. Desquelz serons-nous ? B. Des plus forts.
M. Il ne m’en chault, mais que j’en aye,
Que la plume au vent on envoye.
B. Puis après ? M. Alors comme alors.

B. La plume au vent ! M. Sus. B. Là.
M. Dehors !

B. Au hault et au loing. M. Corps pour corps.
Je me tiendray des mieulx venuz.
B. On n’yra point, quand seront mors,
Demander au roy les tresors
De messieurs les despourveuz.

La plume au vent ! M. Je le concluz.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour les povres de ceste année.
B. Ne demeurons plus si confuz.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Au grat, la terre est degelée !

M. Allons, suyvons quelque traînée.
Devant ! vostre fievre est tremblée,
Car nous sommes tous estourdiz.
B. Dieu doint aux riches bonne année !
M. Aux despourveuz grasse journée !
B. Et aux femmes pesans mariz !

Prenez en gré, grans et petiz.


FIN DU DIALOGUE DE MALLEPAYE
ET DE BAILLEVENT.