Les Repeues franches de François Villon et de ses compagnons

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Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 178-219).

XXIV.
LES REPEUES FRANCHES
DE FRANÇOIS VILLON
ET DE SES COMPAGNONS.


Vous qui cerchez les repeues franches,
Et, tant jours ouvriers que dimenches,
N’avez pas planté de monnoye,
Affin que chascun de vous oye
Comment on les peut recouvrer,
Vueillez vous au sermon trouver
Qui est escript dedans ce livre.
Mettez tous peine de le lire,
Entre vous, jeunes perrucatz,
Procureurs, nouveaulx advocatz,
Aprenans aux despens d’aultruy.
Venez-y tost, sans nul estrif,
Clercz, de praticque diligens,
Qui congnoissez si bien vos gens ;
Sergens à pied et à cheval,
Venez-y d’amont et d’aval,

Les hoirs du deffunct Pathelin,
Qui sçavez jargon jobelin ;
Capitaine du pont-à-Billon ;
Tous les subjetz Françoys Villon,
Soyez, à ce coup, reveillez.
Pas ne devez estre oubliez,
Tous gallans à pourpointz sans manches,
Qui ont besoing de repeues franches,
Et tous ceulx, tant yver qu’esté,
Qui en ont grant necessité.
Venez vous apprendre comment
Les maistres anciennement
Sçavoyent tous les tours de ce faire :
Messire Chascun Poicdenaire,
Qui de livres sçait les usaiges,
Et veult lire tous les passaiges,
De celuy en prins appetis ;
Venez-y donc, grans et petis,
Car, de la science sçavoir,
Vous ne povez que mieulx valoir.
Venez, chevaucheurs d’escuyrie,
Serviteurs de grant seigneurie,
Venez-y sans dilation,
Tous gens sotz et toutes gens sottes ;
Venez-y, bigotz et bigottes ;
Venez-y, povres Turlupins
Et Cordeliers et Jacopins ;
Venez aussi, toutes prestresses,
Qui sçavez piecà les adresses
Des presbitaires hault et bas ;
Gardez que vous n’y faillez pas !
Venez, gorriers et gorrières,
Qui faictes si bien les manières
Que c’est une chose terrible.

Pour bien faire tout le possible ;
Toutes manières de farseurs,
Anciens et jeunes mocqueurs ;
Venez-y tous, vrays macquereaulx
De tous estatz, vieulx et nouveaulx ;
Venez-y toutes, macquerelles,
Qui, par vos subtilles querelles,
Avez tousjours en vos maisons
Pour avoir en toutes saisons,
Tant jours ouvriers que dimenches,
Souvent les bonnes repeues franches.
Venez-y tous, bons pardonneurs,
Qui sçavez faire les honneurs,
Aux villages, de bons pastez,
Avecques ces gras curatez,
Qui ayment bien vostre venue
Pour avoir la franche repeue ;
Affin que chascun d’eulx enhorte
Les paroissiens, qu’on apporte
Des biens aux pardons de ce lieu,
Et qu’on face du bien pour Dieu.
Tant que le pardonneur s’en aille,
Le curé ne despendra maille,
Et aura maistre Jehan Laurens
Fermement payé les despens
Et quarte de vin, simplement,
Au curé, à son partement.
De tout estat, soit bas ou hault,
Venez-y, qu’il n’y ait deffault ;
Venez-y, varletz, chamberières,
Qui sçavez si bien les manières,
En disant mainte bonne bave,
D’avoir du meilleur de la cave,
Et puis joyeusement preschez,

Après que vos gens sont couchez.
Ceulx qui cerchent banquets ou festes
Pour dire quelques chansonnettes,
Affin d’atrapper la repeue,
Que chascun de vous se remue
D’y venir bien legièrement ;
Et vous pourrez ouyr comment
Ung grant tas de bonnes commères
Sçavent bien trouver les manières
De faire leurs marys coqus.
Venez-y, et n’attendez plus,
Entre vous, prebstres sans séjour,
Qui dictes deux messes par jour
A Sainct-Innocent, ou ailleurs ;
Venez-y, pour sçavoir plusieurs
Des passaiges et des adresses
De maintes petites finesses
Que l’en faict facillement
Qu’advient, par faulte d’argent,
En maint lieu, la franche repeue,
Qui ne doit à nul estre teue.
Par tel, cil qui veue ne l’aura,
Paiera, et celuy qui fera
De ceste repeue le present,
De l’escot s’en yra exempt,
Moyennant qu’il monstre ce livre :
Par ce moyen sera delivre ;
En lieu où n’aura esté veu
Il sera franchement repeu,
Ainsi qu’on orra plus à plain,
Qui de l’entendre prendra soing.


BALLADE DE L’ACTEUR

Quant j’euz ouy ce present mandement :
Qu’on semonnoit venir, de par l’Acteur,
Le dessusdict, j’ay pensé fermement
De moy trouver, et en prins l’adventure,
Comme celuy, de droicte nature,
Vouloit de ce faire narration,
A celle fin qu’il en fust mention,
A ung chascun, pour le temps advenir,
Qui s’attendent et ont intention
Que les respeues les viendront secourir.

Mais ce secours est d’anciennement
De tous repas le chief, et par droicture ;
Pourquoy, aulcuns, qui ont entendement,
Le treuvent bon, et aultres n’en ont cure,
Et ne cerchent tant que l’argent leur dure,
Mais font du leur si grant destruction,
Qu’ilz en entrent en la subjection
De faire aux dens l’arquemie, sans faillir,
En attendant, pour toute production,
Que les repeues les viendront secourir.

J’en ay congneu, qui souvent largement
Donnoyent à tous repeues outre mesure ;
Qui depuis ont continuellement
Servy le Pont-à-Billon, par droicture,
Dont la façon a esté à maint dure,
En leur grant dueil et tribulation ;
Mais lors n’avoyent nulle remission,
Combien que ce leur fist le cueur fremir,

Ilz n’attendoyent aultre succession,
Que les repeues les viendront secourir.

ENVOI.

Prince, pour ce que ne me puis tenir
Que de telz faitz ne face mention,
Puisque à mon temps les ay veu avenir,
J’en vueil faire quelque narration,
Et escripre, soubz la correction
Des escoutans, affin d’en souvenir,
La présente nouvelle invention,
Que les repeues les viendront secourir.



BALLADE DES ESCOUTANS.

Qui en a est le bien venu ;
Qui n’en a point, l’en n’en tient compte,
Cil qui en a est bien congneu,
Cil qui n’en a point vit à honte.
Qui paye l’on exauce et monte
Jusque au tiers ciel, pour en prester :
Son honneur tout aultre surmonte,
Par force de bien acquester.

Quand entendismes les estatz
De telz dissimulations,
Congnoissant les hauts et les bas,
Par toutes abreviations,
Nous mismes, sans sommations,
Aux champs, par bois et par taillis,

Pour congnoistre les fictions,
Qui se font souvent à Paris.

Pource que chacun maintenoit
Que c’estoit la ville du monde
Qui plus de peuple soustenoit,
Et où maintz estranges abonde,
Pour la grant science parfonde
Renommée en icelle ville,
Je partis, et veulx qu’on me tonde,
S’à l’entrée avois croix ne pille.

Il estoit temps de se coucher,
Et ne sçavoye où heberger ;
D’ung logis me vins approcher,
Sçavoir s’on m’y vouldroit loger,
En disant : « Avez à menger ? »
L’hoste me respondit : « Si ay. »
Lors luy priay, pour abréger :
« Apportez-le donc devant moy. »
 
Je fus servy passablement,
Selon mon estat et ma sorte,
Et pensant, à part moy, comment
Je cheviroye avec l’hoste,
Je m’avisé que, soubz ma cotte,
Avois une espée qui bien trenche :
Je la lairray, qu’on ne me l’oste,
En gaige de la repeue franche.

L’espée estoit toute d’acier,
Il ne s’en failloit que le fer ;
Mais l’hoste la me fist machier,

Fourreau et tout, sans fricasser ;
Puis, après, me convint penser
De repaistre, se faim avoye ;
Rien n’y eust valu le tencer :
De leans partis sans monnoye.

L’ACTEUR.

Lendemain, m’aloye enquerant
Pour encontrer Martin Gallant.
Droit en la Salle du Palays
Rencontray, pour mon premier mès,
Tout droit soubz la première porte,
Plusieurs mignons d’estrange sorte,
Que sembloit bien à leur habit
Qu’ilz fussent gens de grant acquit.
Lors vins pour entrer en la Salle :
L’ung y monte, l’aultre devalle.
Là me pourmenoye, de par Dieu,
Regardant l’estat de ce lieu,
Et quand je l’euz bien regardée,
Tant plus la voys tant plus m’agrée ;
Je vis la tant de mirlificques,
Tant d’ameçons et tant d’afficques,
Pour attraper les plus huppez.
Les plus rouges y sont happez ;
A l’ung convient vendre sa terre ;
Maint, sans sainctir, là se detterre,
Partie ou peu en demourra
De tout ce que vaillant aura ;
Cuydant destruyre son voysin
De Poytou, ou de Lymousin,
Ou de quelque aultre nation,
Maint en est en destruction,

Et fault, ains partir de léans,
Qu’ilz facent l’arquemye aux dens.
On emprunte, qui a credit,
Tout ainsi que devant est dict.
Quand leur argent fort s’appetisse,
Lors leur est la repeue propice,
Et lors cerchent (plus n’en doubtez),
Hault et bas et de tous costez,
Comme on verra par demonstrances
En ce traicté des Repeues franches.

Et quant au regard de plusieurs
Aultres repeues, sont escriptes
Affin qu’on preigne les meilleurs,
En lisant, grandes ou petites.
Vous orrez maintz moyens licites
Comment ilz ont esté happez,
Hault et bas, par bonnes conduictes
De ceulx qui les ont attrapez.



LA REPEUE
DE VILLON ET DE SES COMPAIGNONS.

« Qui n’a or, ny argent, ny gaige,
Comment peult-il faire grant chère ?
Il fault qu’il vive d’avantaige :
La façon en est coustumière.
Sçaurions-nous trouver la manière
De tromper quelqu’ung, pour repaistre ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Qui le fera sera bon maistre ! »

Ainsi parloyent les compaignons
Du bon maistre Françoys Villon,
Qui n’avoient vaillant deux ongnons,
Tentes, tapis, ne pavillon.
Il leur dit : « Ne nous soucion,
Car, aujourd’huy, sans nul deffault,
Pain, vin, et viande, à grant foyson,
Aurez, avec du rost tout chault. »

La manière d’avoir du Poisson.

Adoncques il leur demanda
Quelles viandes vouloyent macher :
L’ung de bon poysson souhaita ;
L’autre demanda de la chair.
Maistre Françoys, ce bon archer,
Leur dist : « Ne vous en souciez ;
Il vous faut voz pourpointz lascher,
Car nous aurons viandes assez. »

Lors partit de ses compaignons,
Et vint à la Poyssonnerie,
Et les laissa delà les pontz,
Quasy plains de melencolie.
Il marchanda, à chere lye,
Ung pannier tout plain de poysson,
Et sembloit, je vous certiffie, ·
Qu’il fust homme de grant façon.

Maistre Françoys fut diligent
D’achapter, non pas de payer,
Et dist qu’il bailleroit l’argent
Tout comptant au porte-pannier.
Ils partent sans plus plaidoyer,
Et passèrent par Nostre-Dame,

Là où il vit le Penancier,
Qui confessoit homme ou bien femme.

Quant il le vit, à peu de plait,
Il luy dist : « Monsieur, je vous prie
Que vous despechez, s’il vous plaist,
Mon nepveu ; car je vous affie
Qu’il est en telle resverie :
Vers Dieu il est fort negligent ;
Il est en tel merencolie,
Qu’il ne parle rien que d’argent.

— Vrayment, ce dit le Penancier,
Très voulentiers on le fera. »
Maistre Françoys print le pannier,
Et dit : « Mon amy, venez ça ;
Velà qui vous depeschera,
Incontinent qu’il aura faict. »
Adonc maistre Françoys s’en va,
Atout le pannier, en effect.

Quand le Penancier eut parfaict
De confesser la créature,
Gaigne-denier, par dit parfaict,
Accourut vers luy bonne alleure,
Disant : « Monsieur, je vous asseure,
S’il vous plaisoit prendre loysir
De me depescher à ceste heure,
Vous me feriez ung grant plaisir.

— Je le vueil bien, en verité,
Dist le Penancier, par ma foy !
Or, dictes Benedicite,
Et puis je vous confesseray,

Et, en après, vous absouldray,
Ainsy comme je doy le faire ;
Puis penitence vous bauldray,
Qui vous sera bien necessaire.

— Quel confesser ! dist le povre homme :
Fus-je pas à Pasques absoulz ?
Que bon gré sainct Pierre de Romme !
Je demande cinquante soulz.
Qu’esse-cy ? À qui sommes-nous ?
Ma maistresse est bien arrivée !
À coup, à coup, depeschez-vous,
Payez mon panier de marée.

— Ha ! mon amy, ce n’est pas jeu,
Dist le Penancier, seurement :
Il vous fault bien penser à Dieu
Et le supplier humblement.
— Que bon gré en ayt mon serment !
Dist cet homme, sans contredit,
Depeschez-moy legierement,
Ainsi que ce seigneur a dit. »

Adonc le Penancier vit bien
Qu’il y eut quelque tromperie ;
Quand il entendit le moyen,
Il congneut bien la joncherie.
Le povre homme, je vous affie,
Ne prisa pas bien la façon,
Car il n’eut, je vous certifie,
Or ne argent de son poysson.

Maistre François, par son blason,
Trouva la façon et manière

D’avoir marée à grant foyson,
Pour gaudir et faire grant chère.
C’estoit la mère nourricière
De ceulx qui n’avoyent point d’argent ;
À tromper devant et derrière,
Estoit ung homme diligent.

La manière d’avoir des Trippes pour dîner.

Que fist-il ? À bien peu de plet,
S’advisa de grant joncherie :
Il fist laver le cul bien net
A ung gallant, je vous affie,
Disant : « Il convient qu’on espie :
Quand seray devant la trippière,
Monstre ton cul par raillerie,
Puis, après, nous ferons grant chière. »

Le compaignon ne faillit pas,
Foy que doy sainct Remy de Rains !
À Petit-Pont vint par compas,
Son cul descouvrit jusque aux rains.
Quand maistre Françoys vit ce train,
Dieu sçet s’il fit piteuses lippes,
Car il tenoit entre ses mains
Du foye, du polmon et des trippes.

Comme s’il fust plain de despit,
Et courroucé amèrement,
Il haulsa la main ung petit,
Et le frappa bien rudement,
Des trippes, par le fondement ;
Puis, sans faire plus long caquet,

Les voulut, tout incontinent,
Remettre dedans le baquet.

La trippière fut courroucée
Et ne les voulut pas reprendre.
Maistre Francoys, sans demourée,
S’en alla, sans compte luy rendre.
Par ainsi, vous povez entendre,
Qu’ilz eurent trippes et poisson.
Mais, après, il faut du pain tendre,
Pour ce disner de grant façon.

La manière d’avoir du pain.

Il s’en vint chez un boulengier
Affin de mieulx fornir son train,
Contrefaisant de l’escuyer
Ou maistre d’hostel, pour certain,
Et commanda que, tout souldain,
Cy pris, cy mis, on chappellast
Cinq ou six douzaines de pain,
Et que bien tost on se hastast.

Quand la moytié fut chappellé,
En une hotte le fist mettre,
Comme s’il fust de près hasté,
Il pria et requist au maistre
Qu’aucun se voulsist entremettre
D’apporter, après luy courant,
Le pain chappellé en son estre,
Tandis qu’on fist le demourant.

Le varlet le mist sur son col ;

Après maistre François le porte,
Et arriva, soit dur ou mol,
Emprès une grant vielle porte.
Le varlet deschargea sa hotte
Et fut renvoyé, tout courant,
Hastivement, tenant sa hotte,
Pour requerir le demourant.

Maistre Françoys, sans contredit,
N’attendit pas la revenue.
Il eut du pain, par son édit,
Pour fournir sa franche repeue.
Le boulengier, sans attendue,
Revint, mais ne retrouva point
Son maistre d’hostel ; il tressue,
Qu’on l’avoit trompé en ce point.

La manière d’avoir du vin.

Après qu’il fut fourny de vivres,
Il fault bien avoir la mémoire
Que, s’ils vouloyent ce jour estre yvres,
Il falloit qu’ils eussent à boire.
Maistre Françoys, debvez le croire,
Emprunta deux grans brocs de boys,
Disant qu’il estoit necessaire
D’avoir du vin par ambagoys.

L’ung fist emplir de belle eaue clère,
Et vint à la Pomme de Pin,
Atout ses deux brocs, sans renchère,
Demandant s’ils avoient bon vin,
Et qu’on luy emplist du plus fin,

Mais qu’il fust blanc et amoureux.
On luy emplist, pour faire fin,
D’ung très bon vin blanc de Baigneux.

Maistre Françoys print les deux brocs,
L’un emprès l’autre les bouta ;
Incontinent, par bons propos,
Sans se haster, il demanda
Au varlet : « Quel vin est ce là ? »
Il luy dist : « Vin blanc de Baigneux.
— Ostez cela, ostez cela,
Car, par ma foy, point je n’en veulx.

« Qu’esse-cy ? Estes-vous bejaulne ?
Vuidez-moy mon broc vistement.
Je demande du vin de Beaulne,
Qui soit bon, et non aultrement. »
Et, en parlant, subtillement
Le broc qui estoit d’eaue plain
Contre l’autre legierement
Luy changea, à pur et à plain.

Par ce point, ils eurent du vin
Par fine force de tromper ;
Sans aller parler au devin,
Ils repeurent, per ou non per.
Mais le beau jeu fut au souper,
Car maistre Françoys, à brief mot,
Leur dit : « Je me vueil occuper,
Que mangerons ennuyt du rost. »

La manière d’avoir du rost.

Il fut appointé qu’il yroit
Devant l’estal d’ung rotisseur,
Et de la chair marchanderoit,
Contrefaisant du gaudisseur,
Et, pour trouver moyen meilleur,
Faignant que point on ne se joue,
Il viendroit un entrepreneur,
Qui luy bailleroit sur la joue.

Il vint à la rostisserie,
En marchandant de la viande ;
L’autre vint, de chère marrie :
« Qu’est-ce que ce paillart demande ? »
Luy baillant une buffe grande,
En luy disant mainte reproche.
Quand il vit qu’il eut ceste offrande,
Empoigna du rost pleine broche.

Celuy qui bailla le soufflet
Fuist bien tost et à motz exprès.
Maistre Françoys, sans plus de plet,
Atout son rost, courut après.
Ainsi, sans faire long procès,
Ils repeurent, de cueur devot,
Et eurent, par leur grant excès,
Pain, vin, chair, et poisson, et rost.


SECONDE REPEUE
DE L’EPIDEMIE

Et pour la première repeue
Dont après sera mention,
Bien digne d’estre ramenteue
Et mise en revelation,
Et pourtant, soubs correction,
Affin que l’en en parle encore,
Comme nouvelle invention,
Redigé sera par memoire.

Or advint, de coup d’aventure,
Que les suppostz devant nommez,
Ne cherchoyent rien par droicture,
Qu’en richesse gens renommez.
Ung jour qu’ilz estoient affamez,
En la porte d’ung bon logis
Virent entrer, sans estre armez,
Ambassadeurs de loing pays.

Si pensèrent entre eux comment
Ilz pourroient, pour l’heure, repaistre,
Et, selon leur entendement,
L’ung d’iceulz s’aprocha du maistre
D’hostel, et se fit acongnoistre,
Disant qu’il luy enseigneroit
Le haut, le bas marché, pour estre
Par luy conduyt, s’il luy plaisoit.

Je croy bien que monsieur le maistre,

Qui du bas mestier estoit tendre,
Fit ce gallant très bien repaistre,
Et luy commenda charge prendre
De la cuysine, d’y entendre,
Tant que leur train departira,
Et bien payera, sans attendre,
A son gré, quand il s’en yra.

Lors s’en vint à ses compaignons,
Dire : « Nostre escot est payé ;
Je suis jà l’ung des grans mignons
De léans et mieulx avoyé,
Car le maistre m’a envoyé
Par la ville, pour soy sortir ;
Mais, se mon sens n’est desvoyé,
Bien brief l’en feray repentir.

— Va, lui dirent ses compaignons,
Et esguise tout ton engin
A nous rechauffer les rongnons
Et nous faire boire bon vin.
Passe tous les sens Pathelin,
De Villon et Pauquedenaire,
Car se venir peux en la fin,
Passé seras maistre ordinaire. »

Ce gallant vint en la maison
Où estoyt logé l’ambassade,
Où les seigneurs, par beau blason,
Devisoyent rondeau ou ballade.
Il estoit miste, gent et sade,
Bien habitué, bien en point,
Robbe fourrée, pourpoint d’ostade ;
Il entendoit son contrepoint.

Le principal ambassadeur
Aymoit un peu le bas mestier,
Dont le gallant fut à honneur,
Car c’estoyt quasi son mestier,
Et luy conta que, à son quartier,
Avoit de femmes largement,
Qui estoyent, s’il estoit mestier,
A son joly commandement.

Le gallant fut entretenu
Par ce seigneur venu nouveau,
Et léans il fut retenu,
Pour estre fin franc macquereau.
Le jeu leur sembla si très beau ;
Aussi, il fit si bonne mine,
Qu’il fut esleu, sans nul appeau,
Pour estre varlet de cuysine.

Les ambassadeurs convoyèrent
Seigneurs et bourgeois à disner,
Lesquels voulentiers y allèrent
Passer temps, point n’en faut doubter.
Toutesfoys, vous debvez sçavoir,
Quelque chose que je vous dye,
Que l’ambassadeur, pour tout veoir,
Craignoit moult fort l’Epidemie.

Ce gallant en fut adverty,
Qui nonobstant fist bonne mine,
Et quand il fut près de midi,
A l’heure qu’il est temps qu’on disne,
Il entra dedans la cuysine,
Manyant toute la viande,

Comme docteur en médecine
Qui tient malades en commande.

Tous les seigneurs la regardèrent
Son train, ses façons et manières ;
Mais, après luy, pas ne tastèrent,
Aussi ne luy challoit-il guères.
Après il print les esguières,
Le vin, le clairé, l’ypocras,
Darioles, tartes entières :
Il tasta de tout, par compas.

Et, pour bien entendre son cas,
Quand il vit qu’il estoit saison,
A bien jouer ne faillit pas,
Pour faire aux seigneurs la raison,
Si bien que dedans la maison
Demoura tout seul pour repaistre,
Soustenant, par fine achoison,
Qu’il se douloit du cousté destre.

Lors y avoit une couchette
Où il failloit la feste faire,
Et n’a dent qui ne luy cliquette ;
Là se mist, commençant à braire
Que l’on s’en fuyt au presbytaire,
Pour faire le prebstre acourir,
Atout Dieu et l’autre ordinaire
Qu’il fault pour ung qui veult mourir.

Quand les seigneurs virent le prebstre
Avec ses sacremens venir,
Chacun d’eulx eust bien voulu estre
Dehors, je n’en veulx point mentir :

Si grant haste eurent d’en sortir,
Que là demourèrent les vivres,
Dont les compaignons du martir
Furent troys jours et troys nuyts yvres.

Par ce point eurent la repeue
Franche chascun des compaignons.
La finesse le prebstre a teue,
Affin de complaire aux mignons ;
Mais les seigneurs dont nous parlons
Eurent tous, pour ce coup, l’aubade :
Chascun d’eulx fut, nous ne faillons,
De la grant paour troys jours malade.



LA TROISIEME REPEUE
DES TORCHECULS.

Un Lymousin vint à Paris,
Pour aulcun procès qu’il avoit.
Quand il partit de son pays
Pas gramment d’argent il n’avoit,
Et toutefoys il entendoit
Son fait, et avoit souvenance
Que son cas mal se porteroit
S’il n’avoit une repeue franche.

Ce Lymousin, c’est chose vraye,
Qui n’avoit vaillant ung patac,
Se nommoit seigneur de Combraye,
Sans qu’on le suivist à son trac.

Plus rusé estoit qu’ung vieil rat,
Et affamé comme un vieil loup,
Avec monsieur de Penessac,
Et le seigneur de Lamesou.

Les troys seigneurs s’entretrouvèrent,
Car ilz estoyent tous d’ung quartier
Et Dieu sçait s’ilz se saluèrent.
Ainsi qu’il en estoit mestier ;
Toutesfoys, ce bon escuyer
De Combraye, propos final,
Fut esleu leur grant conseillier,
Et le gouverneur principal.

Ils conclurent, pour le meilleur,
Que ce bon notable seigneur
Yroit veoir s’il pourroit trouver
Quelque bon lieu pour s’y loger,
Et, selon qu’il le trouveroit,
Aux aultres le raconteroit.

Or advint, environ midy,
Qu’il estoit de faim estourdy,
S’en vint à une hostelletie,
Rue de la Mortellerie,
Où pend l’enseigne du Pestel :
À bon logis et bon hostel,
Demandant s’on a que repaistre :
« Ouy, vrayment, ce dist le maistre ;
Ne soyez de rien en soucy,
Car vous serez très bien servy
De pain, de vin et de viande.
— Pas grand chose je ne demande,
Dist le bon seigneur de Combraye :

Il n’y a guère que j’avoye
Bien desjuné ; mais, toutesfoys,
Si ai-je disné maintes foys
Que n’avoye pas tel appetit. »

Ce seigneur menga ung petit,
Car il n’avoit guère d’argent,
Commendant qu’on fust diligent
D’avoir quelque chose de bon,
Pour son soupper : ung gras chapon ;
Car il pensoit bien que, le soir,
Il devoit avec luy souper
Des gentilzhommes de la cour.

L’hostesse fut bien à son gourt,
Car, quand vint à compter l’escot,
Le seigneur ne dist oncques mot,
Mais tout ce qu’elle demanda
Ce gentilhomme luy bailla,
Disant : « Vous comptez par raison ! »
Puis il sortit de la maison,
Bouta son sac soubs son esselle,
Et vint raconter la nouvelle
À ses compaignons, et comment
Il failloit faire saigement.
Il fut dit, à peu de parolles,
Pour eviter grans monopolles,
Que le seigneur de Penessac
Yroit devant louer l’estat
Et blasonner la suffisance
De ce seigneur, car, sans doubtance,
La chose le valoit très bien,
Et, pour trouver meilleur moyen,
Il menroit en sa compaignie,

Lamesou ; et n’y faillit mye.
Si vint demander à l’hostesse
S’ung seigneur remply de noblesse
Estoit logé en la maison.
L’hostesse respondit que non,
Et que vrayement il n’y avoit
Qu’ung Lymousin, lequel debvoit
Venir au soir souper léans.
 « Ha ! dist-il, dame de céans,
C’est celuy que nous demandons ;
Par ma foy ! c’est le grant baron,
Qui est arrivé au matin.
— Je n’entens point vostre latin,
Dist l’hostesse ; vous parlez mal :
Il n’a ne jument ne cheval ;
Il va à pied, par faulte d’asne. »
Lors Penessac respondit : « Dame,
Il vient icy pour ung procès ;
Il est appellant des excès
Qu’on luy a faictz en Lymousin,
Et va ainsi de pied, affin
Que son procès soit plus tost faict. »
L’hostesse le creut, en effet.
Alors, le seigneur de Combraye
Arrive, et Dieu sçait quelle joye
Ces deux seigneurs icy lui firent ;
Et le genoil en bas tendirent
Aussi tost comme il fut venu,
Et par ce point il fut congneu
Qu’il estoit seigneur honorable.
Le bon seigneur se sist à table,
En tenant bonne gravité.
Vis-à-vis, de l’autre costé,
S’assit le seigneur de l’hostel,

Et eurent du vin, Dieu sçait quel !
Il ne le fault point demander.
Quand ce vint à l’escot compter
L’hostesse assez hault comptoit,
Mais au seigneur il n’en challoit,
Feignant qu’il fust tout plain d’argent.
Lors il dist qu’on fust diligent
De penser à faire les litz,
Car il vouloit en ce logis
Coucher ; puis après, par exprès,
Il print son grand sac à procès,
Et le bailla léans en garde,
Disant : « Qu’on me le contregarde.
Si de l’argent voulez avoir,
Il ne faut que le demander. »
L’hostesse ne fut pas ingrate,
En disant : « Je n’en ay pas haste.
N’espargnez rien qui soit céans. »
Ces seigneurs couchèrent léans
L’espace de cinq ou six moys,
Sans payer argent, toutesfoys,
Non obstant ce qu’il demandoit
A l’hostesse s’elle vouloit
Avoir de l’argent, bien souvent ;
Mais il n’estoit point bien content
De mettre souvent main en bourse.
L’hostesse n’estoit point rebourse,
Et dist : « Ne vous en soucyez ;
Dieu mercy ! j’ay argent assez,
A vostre bon commandement. »
Ces mignons pensèrent comment
Ilz pourroyent retirer leur sac ;
Et lors monsieur de Penessac
Dist à ce baron de Combraye

Qu’il se boutast bientost en voye,
Jugeant qu’il fust embesongné.
Ce seigneur vint, tout refrongné,
Vers l’hostesse, par bon moyen,
Et lui dit : « Mon cas va très bien ;
Mon procès est ennuyt jugé.
A coup, qu’il n’y ait plus songé,
Baillez-moy mon sac, somme toute,
Car j’ay paour et si fays grant doubte,
Que les seigneurs soyent departis. »
Il print son sac : « Adieu vous dis !
Je reviendray tout maintenant. »
Il s’en alla diligemment,
Atout ses procès et son sac ;
Et les seigneurs de Penessac
Et de Lamesou l’attendoyent ;
Lesquelz seigneurs si s’esbatoyent,
A recueillir les torcheculz
Des seigneurs qui estoyent venus
Aux chambres, et bien se pensoyent
Qu’à quelque chose serviroyent
Ilz ostèrent tous ces procès
De ce sac, et, par motz exprès,
L’emplirent de ces torcheculz ;
Puis, au soir, quand furent venuz
A leur logis, fut mis en garde,
Et, pour mieulx mettre en sauvegarde,
Il fut bouté, par grant humblesse
Avec les robbes de l’hostesse,
Qui sentoyent le muguelias.
Au soir, firent grant ralias ;
Le lendemain il fut raison
De departir de la maison
Pour s’en aller sans revenir.

On cuydoit qu’ilz deussent venir
Lendemain soupper et disner,
Pour leurs offices resiner,
Maiz ilz ne vindrent oncques puis.
Ils faillirent cinq ou six nuitz,
Dont l’hostesse fut eschec et mac.
Elle n’osoit ouvrir le sac
Sans avoir le congé du juge,
Auquel avoit piteux deluge ;
Tellement qu’il fut necessaire
Qu’on envoyast ung commissaire
Pour ouvrir ce sac, somme toute.
Quand il fust là venu sans doubte,
Il lava ses mains à bonne heure,
De paour de gaster l’escripture,
Car à cela estoit expert.
Toutesfoys, le sac fut ouvert ;
Mais, quand il le vit si breneux,
Il s’en alla tout roupieux,
Cuydant que ce fust mocquerie,
Car il n’entendoit raillerie.

Ainsi partirent ces seigneurs
De Paris, joyeux en couraige.
De tromper furent inventeurs :
Cinq moys vesquirent d’avantaige ;
De blasonner ilz firent raige ;
Leur hoste fut par eulx vaincu.
Ils ne laissèrent, pour tout gaige
Qu’un sac tout plain de torchecu.


La
QUATRIESME REPEUE FRANCHE
DU SOUFFRETEUX.

« Où pris argent, qui n’en a point ?
Remède est vivre d’avantaige.
Qui n’a ne robbe ne pourpoint,
Que pourroit-il laisser pour gaige ?
Toutesfoys, qui aurait l’usaige
De dire quelque chansonnette
Qui peust deffrayer le passaige,
Le payement ne seroit qu’honneste. »

L’ACTEUR.

Ainsi parloit le Souffreteux,
Qui estoit fin de sa nature ;
Moytié triste, moytié joyeux.
Du Palays partit, bonne alleure,
En disant : « Qui ne s’adventure,
Il ne fera jamais beau fait, »
Pour pourchasser sa nourriture,
Car il estoit de faim deffaict.

Pour trouver quelque tromperie,
Le gallant se voulust haster :
En la meilleure hostellerie
Ou taverne s’alla bouter,
Et commença à demander
S’on avoit rien pour luy de bon ;

Car il vouloit léans disner,
Et faire chère de façon.

Lors on demanda quelle viande
Il falloit à ce pelerin.
Il respondit : « Je ne demande
Qu’une perdrix ou un poussin,
Avec une pinte de vin
De Beaulne, qui soit frais tirée.
Et puis après, pour faire fin,
Le cotteret et la bourrée. »

Tout ce qui luy fut convenable
Le varlet luy alla quérir.
Le gallant s’en va mettre à table,
Affin de mieulx se resjouyr,
Et disna là, tout à loisir,
Maschant le sens, trenchant du saige ;
Mais il fallut, ains que partir
Avoir ung morceau de formaige.

« Adonc dit le clerc : Mon amy,
Il fault compter, car vous devez,
Tout par tout, sept solz et demy,
Et convient que les me payez.
— Je ne sçay comment les aurez,
Dist le gallant, car, par sainct Gille !
Je veulx bien que vous le saichez,
Je ne soustiens ne croix ne pille.

— Qui n’a argent si laisse gaige ;
Ce n’est que le faict droicturier.
Vous voulez vivre d’avantaige,
Et n’avez maille ne denier !

Estes-vous larron ou meurtrier ?
Par Dieu, ains que d’icy je hobe,
Vous me payerez, pour abréger,
Ou vous y laisserez la robbe.

— Quant est d’argent, je n’en ay point,
Affin de le dire tout hault.
Comment ! m’en iray-je en pourpoint,
Et desnué comme ung marault ?
Dieu mercy ! je n’ay pas trop chault ;
Mais, s’il vous plaisoit m’employer,
Je vous serviray, sans deffault,
Jusques à mon escot payer.

— Et comment ? Que sçavez-vous faire ?
Dites-le moy tout plainement.
— Quoy ? toute chose nécessaire.
Point ne fault demander comment ;
Je gaige que, tout maintenant,
Je vous chanteray ung couplet,
Si hault et si cler, je me vant,
Que vous direz : « Cela me plaist ! »

L’ACTEUR.

Lors, le varlet, voyant cecy,
Fut content de ceste gaigeure,
Et pensa en luy-mesme ainsi,
Qu’il attendroit ceste adventure ;
Et s’il chantoit bien d’adventure,
Il lui diroit, pour tous desbats,
Qu’il payast l’escot, bon alleure,
Car son chant ne lui plaisoit pas.

L’accord fut dit, l’accord fut faict,
Devant tous, non pas en arrière.
Lors le gallant tire, de faict,
De dedens sa gibecière
Une bourse, d’argent legière,
Qui estoit pleine de mereaulx,
Et chanta, par bonne manière,
Haultement, ces mots tout nouveaulx :

De sa bourse dessus la table
Frappa, affin que je le notte,
Et, comme chose convenable,
Chanta ainsi à haulte notte :
« Faut payer ton hoste, ton hoste ! »
Tout au long chanta ce couplet.
Le varlet, estant coste à coste,
Respondit : « Cela bien me plaist ! »

Toutesfoys, il n’entendoit pas
Qu’il ne fust de l’escot payé,
Parquoy il failloit sur ce pas.
De son sens fut moult desvoyé.
Devant tous fut notiffié
Qu’il estoit gentil compaignon,
Et qu’il avoit, par son traicté,
Bien disné pour une chanson.

C’est bien disné, quand on eschappe
Sans desbourser pas ung denier,
Et dire adieu au tavernier
En torchant son nez à la nappe.



LA CINQUIESME REPEUE
DU PELLETIER.

Ung jour advint qu’ung Pelletier
Espousa une belle femme
Qui appetoit le bas mestier,
En faisant recorder sa game.
Le Pelletier, sans penser blasme,
Ne s’en soucioit qu’ung petit :
Mieulx aymoit du vin une dragme,
Que coucher dedens ung beau lit.

Ung curé, voyant cest affaire,
De la femme fut amoureux,
Et pensa qu’à son presbytaire
Il maineroit ce maistre gueux.
Il s’en vint à luy tout joyeux,
A celle fin de le tromper,
En disant : « Mon voysin, je veux
Vous donner ennuyt à soupper. »

Le Pelletier en fut content,
Car il ne vouloyt que repaistre,
Et alla tout incontinent
Faire grant chère avec le prestre,
Qui luy joua d’un tour de maistre,
Disant : « Ma robbe est deffourrée ;
Il vous y convient la main mettre,
Affin qu’elle soit reffourrée.

— Et bien, ce dist le Pelletier,
Monseigneur, j’en suis bien content,
Mais que vous m’en vueillez payer ;
Je suis tout vostre, seurement. »
Ils firent leur appoinctement
Qu’il auroit, pour tout inventoire,
Dix solz tournois entièrement,
Et du vin largement pour boire,

Pourvu qu’il la despecheroit,
Car il luy estoit necessaire,
Et que toute nuyt veilleroit,
Avec son clerc, au presbitaire.
Il fut content de cest affaire.
Mais le Curé les enferma
Soubs la clef, sans grant noyse faire,
Puis hors de la maison alla.

Le Curé vint en la maison
Du Pelletier, par ses sornettes,
Et trouva si bonne achoyson
Qu’il fist très bien ses besongnettes.
Ilz firent cent mille chosettes,
Car, ainsi comme il me semble,
Il contenta ses amourettes,
Et puis hors de la maison emble.

Ce fourreur, pour la repeue franche
Fut fait coqu bien fermement ;
Et luy chargea la dame blanche
Qu’il y retournast hardiment,
Et que, par son sainct sacrement,
Jamais nul jour ne l’oubliera,

Mais luy fera hebergement,
Toutes les foys qu’il luy plaira.

Et pourtant, donne soy bien garde
Chascun qui aura belle femme
Qu’on ne lui joue telle aubade
Pour la repeue : c’est grant diffame ;
Quant il est sceu, ce n’est que blasme
Et reproche, au temps advenir.
Vela des repeues la grant game ;
Pourtant, ayez-en souvenir !



SIXIESME REPEUE FRANCHE
DES GALLANTS SANS SOULCY.

Une assemblée de compaignons,
Nommez les Gallans sans soucy,
Se trouvèrent entre deux pontz,
Près le Palays, il est ainsi ;
D’aultres y en avoit aussi,
Qui aymoient bien besoigne faicte,
Et estoient, de franc cueur transi,
A l’abbé de Saincte Souffrette.

Ces compaings ainsi assemblez
Ne demandèrent que repas ;
D’argent ilz n’estoyent pas comblez,
Non pourtant ne faillirent pas.

Ilz se boutèrent, c’est le cas,
A l’enseigne du Plat d’estaing,
Où ilz repeurent par compas,
Car ilz en avoient grant besoing.

Quant ce vint à l’escot compter,
Je crois que nully ne s’en cource ;
Mais le beau jeu est au payer,
Quant il n’y a denier en bourse.
Nul d’eulx n’avoit chère rebourse :
« Pour de l’escot venir au bout,
Dist ung gallant, de plaine source,
Il n’en faut qu’ung pour payer tout. »

Ilz appointèrent tous ensemble,
Que l’ung d’iceulx on banderoit :
Par ainsi, selon qui me semble,
Le premier qu’il empoigneroit,
Estoit dit que l’escot payeroit.
Mais ilz en eurent grand discord :
Chascun bandé estre vouloit,
Dont ne peurent estre d’accord.

Le varlet, voyant ces desbas,
Leur dit : « Nul de vous ne s’esmoye ;
Je suis content que, par compas,
Tout maintenant bandé je soye. »
Les gallans en eurent grand joye,
Et le bandèrent en ce lieu,
Puis chascun d’eux si print la voye
Pour s’en aller sans dire adieu.

Le varlet, qui estoit bandé,
Tournoyoit parmy la maison.

Il fut de l’escot prébendé
Par ceste subtile achoison.
Affin d’avoir provision
De l’escot, l’hoste monte en hault :
Quand il vit ceste invention,
A peu que le cueur ne lui fault.

En montant, l’hoste fut happé
Par son varlet, sans dire mot,
Disant : « Je vous ay attrapé,
Il faut que vous payez l’escot,
Ou vous laisserez le surcot. »
De quoy il ne fut pas joyeux,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cuydant qu’il fust mathelineux.

Quand le varlet se desbanda,
La tromperie peut bien congnoistre :
Fut estonné quand regarda,
Et vit bien que c’estoit son maistre.
Pensez qu’il en eut belle lettre,
Car il parla lors à bas ton,
Et, pour sa peine, sans rien mettre,
Il eut quatre coups de baston.

Ainsi furent, sans rien payer,
Les povres gallans délivrez
De la maison du tavernier,
Ou ilz s’estoyent presque enyvrez
Des vins qu’on leur avoit livrez
Pour boire à plain gobelet,
Que paya le povre varlet.

Et que ce soit vray ou certain,
Ainsi que m’ont dit cinq ou six,
Le cas advint au Plat d’estain,
Près Sainct-Pierre-des-Arsis.
Bien eschéoit ung grant mercis,
A tout le moins, pour ce repas,
Et si ne le payèrent pas.

Aussi fut si bien aveuglé,
Le povre varlet malheureux,
Qui fut de tout l’escot sanglé,
Et fallust qu’il payast pour eulx ;
Et s’en allèrent tous joyeux
Les mignons, torchant leur visaige,
Qui avoyent disné d’advantaige.




LA SEPTIESME REPEUE
FAICTE AUPRÈS DE MONTFAULCON.

Pour passer temps joyeusement,
Raconter vueil une repeue
Qui fut faicte subtillement
Près Montfaulcon, c’est chose sceue,
Et diray la desconvenue
Qu’il advint à de fins ouvriers ;
Aussi y sera ramenteue
La finesse des escolliers.

Quand compaignons sont desbauchez,
Ilz ne cherchent que compaignie ;

Plusieurs ont leurs vins vendangez
Et beu quasy jusqu’à la lye.
Or advint qu’une grant mesgnie
De compaignons se rencontrèrent.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et, sans trouver la saison chère,
Chascun d’eulx se resjouyssoit
Disant bons motz, faisant grant chère ;
Par ce point le temps se passoit.
Mais l’ung d’iceulx promis avoit
De coucher avec une garce,
Et aux aultres le racontoit,
Par jeu, en manière de farce.

Tant parlèrent du bas mestier,
Que fut conclud, par leur façon,
Qu’ilz yroyent ce soir-là coucher
Près le gibet de Montfaulcon,
Et auroyent pour provision
Ung pasté de façon subtile,
Et meneroyent, en conclusion,
Avec eulx chascun une fille.

Ce pasté, je vous en respons,
Fut faict sans demander qu’il couste,
Car il y avoit six chapons,
Sans la chair, que point je n’y boute.
On y eust bien tourné le coute,
Tant estoit grant, point n’en doubtez.
Le Prince des Sots et sa routte
En eussent esté bien souppez.


Deux escolliers voyant le cas,
Qui ne sçavoyent bien que tromper,
Sans prendre conseil d’advocatz,
Ilz se voullurent occuper,
Pensant à eux, comme atrapper
Les pourroyent d’estoc ou de trenche ;
Car ilz voulloyent ce soir soupper
Et avoir une repeue franche.

Sans aller parler au devin,
L’ung prist ce pasté de façon,
L’autre emporta un broc de vin,
Du pain assez, selon raison,
Et allèrent vers Montfaulcon,
Où estoit toute l’assemblée.
Filles y avoit à foyson,
Faisant chère desmesurée.

Aussi juste comme l’orloge,
Par devis et bonne manière,
Ilz entrèrent dedans leur loge,
Esperant de faire grant chière,
Et tastoient devant et derrière
Les povres filles, hault et bas.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les escolliers, sans nulle fable,
Voyant ceste desconvenue,
Vestirent habitz de diable,
Et vindrent là, sans attendue :
L’ung, ung croc, l’autre, une massue,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour avoir la franche repue,
Vindrent assaillir les gallans.

Disant : « À mort ! à mort, à mort !
Prenez, à ces chaisnes de fer,
Ribaulx, putains, par desconfort,
Et les amenez en enfer ;
Ilz seront avec Lucifer,
Au plus parfond de la chauldière,
Et puis, pour mieulx les eschauffer,
Gettez seront en la rivière ! »

L’ung des gallans, pour abbreger,
Respondit : « Ma vie est finée !
En enfer me fault heberger.
Vecy ma dernière journée ;
Or suis-je bien ame dampnée !
Nostre peché nous a attains,
Car nous yrons, sans demourée,
En enfer avec ces putains ! »

Se vous les eussiez veu fouyr,
Jamais ne vistes si beau jeu,
L’ung amont, l’aval courir ;
Chascun d’eulx ne pensoit qu’à Dieu.
Ilz s’en fouyrent de ce lieu,
Et laissèrent pain, vin et viande,
Criant sainct Jean et sainct Mathieu,
À qui ilz feroyent leur offrande.

Noz escolliers, voyant cecy,
Non obstant leur habit de diable,
Furent alors hors de soulcy,
Et s’assirent trestous à table ;

Et Dieu sçait si firent la galle
Entour le vin et le pasté,
Et repeurent, pour fin finalle,
De ce qui estoit appresté.

C’est bien trompé, qui rien ne paye,
Et qui peut vivre d’advantaige,
Sans desbourser or ne monnoye,
En usant de joyeux langaige.
Les escolliers, de bon couraige,
Passèrent temps joyeusement,
Sans bailler ny argent ny gaige,
Et si repeurent franchement.

Si vous vouliez suyvre l’escolle
De ceulx qui vivent franchement,
Lisez en cestuy prothocolle,
Et voyez la façon comment ;
Mettez-y vostre entendement
A faire comme ilz faisoyent,
Et, s’il n’y a empeschement,
Vous vivrez comme ilz vivoyent.


Fin des Repeues franches
et des Poésies attribuées à Villon.