Dialogues des morts/Dialogue 60

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Texte établi par Émile FaguetNelson (p. 385-386).


LX

LOUIS XI ET CHARLES, DUC DE BOURGOGNE


Les méchants, à force de tromper et de se défier des autres, sont trompés eux-mêmes


Louis. — Je suis fâché, mon cousin, des malheurs qui vous sont arrivés.

Charles. — C’est vous qui en êtes cause ; vous m’avez trompé.

Louis. — C’est votre orgueil et votre emportement qui vous trompaient. Avez-vous oublié que je vous avertis qu’un homme m’avait offert de vous faire périr ?

Charles. — Je ne pus le croire ; je m’imaginai que si la chose eût été vraie, vous n’auriez pas eu assez de probité pour m’en avertir, et que vous l’aviez inventée pour me faire peur, en me rendant suspects tous ceux dont je me servais : cette fourberie était assez de votre caractère, et je n’avais pas grand tort de vous l’attribuer. Qui n’eût pas été trompé comme moi dans une occasion où vous étiez bon et sincère ?

Louis. — Je conviens qu’il n’était pas à propos de se fier souvent à ma sincérité ; mais encore valait-il mieux se fier à moi qu’au traître Campobache, qui te vendit si cruellement.

Charles. — Voulez-vous que je parle ici franchement, puisqu’il ne s’agit plus de politique chez Pluton ? Nous étions tous deux dans d’étranges maximes ; nous ne connaissions, ni vous ni moi, aucune vertu. En cet état, à force de se défier, on persécute souvent les gens de bien ; puis on se livre par une espèce de nécessité au premier venu ; et ce premier venu est d’ordinaire un scélérat qui s’insinue par la flatterie. Mais, dans le fond, mon naturel était meilleur que le vôtre ; j’étais prompt et d’une humeur un peu farouche, mais je n’étais ni trompeur ni cruel comme vous. Avez-vous oublié qu’à la conférence de Conflans vous m’avouâtes que j’étais un vrai gentilhomme, et que je vous avais bien tenu la parole que j’avais donnée à l’archevêque de Narbonne ?

Louis. — Bon ! c’étaient des paroles flatteuses que je vous dis alors pour vous amuser et pour vous détacher des autres chefs de la ligue du bien public. Je savais bien qu’en vous louant je vous prendrais pour dupe.