Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Denis (porte Saint-)

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Denis (porte Saint-).

Située à la jonction des boulevarts Bonne-Nouvelle et Saint-Denis. — 6e arrondissement.

Sous le règne de Louis XIV, la France offrait un magnifique spectacle : ses poètes, ses artistes, ses généraux remplissaient l’Europe. À ces époques de grandeur où la sève est si puissante, parfois il arrive qu’un double génie rayonne au front de quelques privilégiés qui tracent pour l’honneur de leur patrie un double sillon de gloire. François Blondel fut un de ces élus. Sa bravoure chevaleresque, ses talents militaires l’élevèrent au rang de maréchal des camps et armées du roi ; son chef-d’œuvre de la porte Saint-Denis l’a placé parmi les plus grands artistes.

Nous parlerons à l’article de la rue Saint-Denis des portes qui furent successivement construites dans cette voie publique. En 1671, les prévôt des marchands et échevins décidèrent qu’on érigerait un arc de triomphe en mémoire des glorieux exploits de Louis XIV, dans la Flandre et la Franche-Comté. François Blondel s’exprime ainsi dans son Cours d’architecture publié en 1698 : « Dans la construction de la porte Saint-Denis, qui est peut-être un des plus grands ouvrages qui soient de cette nature au reste du monde, sa masse ayant plus dfe 23 m. 40 c. de hauteur et autant de largeur, avec une ouverture de plus de 7 m. 80 c. dans le milieu, je me suis principalement appliqué à la rendre plus considérable par la justesse des proportions qu’elle a, du tout à ses parties et de ses parties entr’elles, que par la quantité d’ornements dont elle aurait pu être chargée. J’ai même recherché avec soin que le peu d’ornements dont elle est parée fut extraordinaire et choisi parmi ceux qui ont eu et ont encore le plus de réputation dans les ouvrages des anciens. Et comme tout le monde tombe d’accord qu’il n’y a rien de plus beau parmi les restes de l’antique que la colonne Trajane, que les obélisques qui ont été transférés d’Égypte en la ville de Rome, et ce reste de la colonne rostrale que l’on voit encore au Capitole, j’ai voulu que l’ornement de la porte Saint-Saint-Denis fut composé de parties copiées sur ces beaux originaux. Pour cet effet j’ai placé deux pyramides aux côtés de l’ouverture de la porte, que j’ai engagées suffisamment dans le mur du massif et qui, posées sur des piédestaux semblables à celui de la colonne Trajane, s’étendent avec leur amortissement jusqu’au-dessous de l’architrave du grand entablement, et tiennent pour ainsi dire la place des colonnes, sans être néanmoins obligées de rien porter, parce que l’entablement n’a de saillie que ce qui lui en faut pour être distingué du massif sur lequel il est entièrement assis. Pour donner plus de grâce aux pyramides, je les avais fait accompagner de trois rangs de rostres, c’est-à-dire de proues ou de pouppes de galères antiques semblables à celle de la colonne rostrale, et faisant face de trois côtés dans chaque rang, c’est-à-dire sur le devant de la pyramide… Mais la rapidité des conquêtes du roi dans son voyage de Hollande, et ce fameux passage du Rhin à Tholus, qui arriva dans l’année que la porte Saint-Denis fut commencée, nous obligea de prendre d’autres mesures. Messieurs les prévôt des marchands et échevins crurent que l’on ne pouvait point accompagner la porte Saint-Denis d’autres ornements, ni plus heureux, ni plus magnifiques que de ceux qui pourraient servir de marques de ces grandes actions et de ces victoires. J’ai cru que je ne pouvais mieux faire que d’attacher sur les pyramides et aux distances où j’avais voulu placer les rostres des galères, des masses de trophées antiques, pendues à des cordons noués à leur sommet, entremêlés de boucliers chargés des armes des provinces et des villes principales que le roi avait subjuguées. J’ai même fait asseoir des figures colossales au bas des mêmes pyramides, à l’exemple des excellents revers de médailles que nous avons d’Auguste et de Titus, où l’on voit des figures de femmes assises aux pieds des trophées ou des palmiers, et qui marquent ou la conquête de l’Égypte par Auguste ou celle de la Judée par Titus. C’est ainsi que d’un côté j’ai fait mettre une statue de femme affligée assise sur un lion demi-mort qui d’une de ses pattes tient une épée rompue et de l’autre un trousseau de flèches brisées et en partie renversées, et de l’autre la figure d’un fleuve étonné. Et dans l’espace qui se trouve entre le haut de l’arc de la porte et l’entablement, j’ai trouvé place pour un grand cadre de bas relief où j’ai fait tracer cette action si surprenante du passage du Rhin à Tholus. »

La ville de Paris fit les frais de cette construction. Ils s’élevèrent à 500 122 fr. Les sculptures, commencées par Girardon et d’après les dessins donnés par François Blondel, furent achevées par Michel Anguier. Cet arc de triomphe a été restauré en 1807 par M. Cellerier.