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Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Français (théâtre)

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Français (théâtre).

Situé dans la rue de Richelieu, no  6. — 2e arrondissement, quartier du Palais-Royal.

L’enfance de l’art scénique offre chez tous les peuples anciens et modernes les mêmes traits de ressemblance. Des compositions ridicules et grossières, des parades obscènes et burlesques, telle fut l’origine des théâtres grec et romain, comme celle du Théâtre Français. Les arènes, les cirques, les amphithéâtres, dont nous possédons encore de précieux débris, nous indiquent que les Romains établirent, surtout dans le midi de la Gaule, les jeux et les spectacles en usage à Rome. Les emplacements réservés pour les luttes de gladiateurs, les jeux et les combats de bêtes féroces, étaient élevés en général par les soldats des légions. Ces jeux disparurent à peu près à la chute de l’empire romain ; cependant à l’est de la montagne Sainte-Geneviève, dans l’emplacement limité aujourd’hui par les rues Saint-Victor, Neuve-Saint-Étienne et des Boulangers, existait un terrain nommé clos des Arènes. Chilpéric le fit réparer en 577, et Saint-Foix rapporte que Pépin s’y rendait pour voir combattre des taureaux contre des ours. Plus tard des bouffons, des farceurs, des bateleurs, connus sous le nom général d’histrions, formèrent en France une espèce de corporation assez dangereuse par les obscénités qu’elle débitait, pour qu’on dût s’occuper de la détruire. Dans un capitulaire de l’an 789, Charlemagne met les histrions au nombre des personnes infâmes dont le témoignage n’est pas admis en justice. Les conciles de Mayence, de Tours, de Reims et de Châlons-sur-Saône, qui furent tenus en 813, défendirent aux évêques, ainsi qu’aux simples prêtres, d’assister à ces spectacles sous peine de suspension. Une ordonnance de Charlemagne de la même année autorisa cette disposition. Il est dit : « que pour se conserver l’âme pure de tous vices, il faut éviter de voir et d’entendre les insolences des jeux sales et honteux des histrions (histrionum turpium et obcænorum insolentias jocorum). » Le mépris public fut encore plus funeste pour les histrions dont le nombre diminua insensiblement. On les vit reparaître au milieu du XIIe siècle, mais avec une meilleure réputation. Les uns portaient le nom de trouvères ou troubadours, les autres étaient appelés conteours ou conteurs, plusieurs étaient connus sous la dénomination de jongleours ou jongleurs. Presque tous étaient nés en Provence, sous ce beau ciel dont le spectacle est un poème et la langue une musique. Les trouvères ou troubadours composaient des vers dont les sujets étaient tirés de l’histoire des grands hommes. Ils nommaient ces productions leurs gestes, du latin gesta ; parfois ils y mêlaient quelques traits satiriques dirigés contre les vices du siècle ; souvent aussi leurs compositions respiraient l’éloge de la vertu. Quelques uns récitaient des histoires fabuleuses en forme de dialogues entre amants et maîtresses, qu’ils nommaient tensons. Les conteours ou conteurs inventaient des historiettes en prose, que Boccace a depuis imitées. Les jongleours ou jongleurs jouaient de plusieurs instruments. Pour se rendre plus agréables, souvent ils réunissaient leurs talents qui servaient à divertir les princes et les grands seigneurs qui les récompensaient avec libéralité. Peu à peu les plus habiles d’entre les troubadours disparurent et furent remplacés par de moins capables. Tous ceux de cette profession se séparèrent, puis formèrent deux différentes espèces d’acteurs : les uns, sous l’ancien nom de jongleurs, joignirent aux instruments le chant ou le récit des vers ; les autres prirent simplement la dénomination de joueurs (joculatores). C’est ainsi qu’ils sont appelés dans les anciennes ordonnances. Les jeux de ces derniers consistaient en tours de force et d’adresse, qu’ils exécutaient eux-mêmes ou qu’ils faisaient faire par des singes. Les uns et les autres tombèrent dans un tel mépris, que leur profession donna naissance à cette épithète : lorsqu’on voulait parler d’une chose mal faite, mauvaise ou ridicule on disait : c’est une jonglerie. Philippe-Auguste n’imita point l’exemple de ses riches vassaux, qui accueillaient ces acteurs avec munificence. « Donner aux histrions, disait-il, c’est faire sacrifice au diable. » Saint Louis montra la même répugnance pour ces amusements profanes.

Cependant, malgré les excommunications des évêques et les ordonnances sévères des prévôts de Paris, les jongleurs se multiplièrent dans la capitale et se réunirent en confrérie en 1331. Dans une ordonnance du prévôt de Paris du 14 septembre 1395, il leur fut défendu de rien dire, représenter ou chanter qui pût causer quelque scandale, à peine de deux mois de prison, au pain et à l’eau. Ces jeux furent plus tard perfectionnés, et une troupe d’acteurs s’établit en 1398 à Saint-Maur-des-Fossés. Le prévôt de Paris voulut s’opposer à cette innovation et rendit le 3 juin de la même année une ordonnance portant défense à tous les habitants de Paris de représenter aucuns jeux de personnages, soit de vies de saints ou autrement, sans le congié du roy, à peine d’encourir son indignation et de forfaire envers lui. Ces acteurs s’adressèrent au roi, et pour se le rendre favorable, proposèrent d’ériger leur troupe en confrérie. Le roi approuva leur dessein et autorisa leur établissement par des lettres-patentes, dont nous citons un extrait : — « Charles, par la grâce de Dieu, roy de France, etc… Nous avons reçu l’humble supplication de nos bienamez les maistres, gouverneurs et confrères de la confrairie de la Passion et Résurrection de notre Seigneur, fondée en l’église de la Trinité à Paris, contenant que comme pour le fait d’aucuns mystères de saints, de saintes, et mêmement du mystère de la Passion, qu’ils ont commencé dernièrement et sont près de faire encore devant nous, comme autrefois avoient fait, et lesquels ils n’ont pu bonnement continuer parce que nous n’y avons pu être lors présents, et pour quel fait et mystère la dite confrairie a moult frayé et dépensé du sien, et aussi ont fait les confrères chacun d’eux proportionnellement ; disans en outre que s’ils jouoient publiquement et en commun, que ce seroit le proufit de la dite confrairie ; ce que faire ils ne pouvoient bonnement sans notre congié et licence, requérons sur ce notre gracieuse provision. Nous qui voulons et désirons le bien, proufit et utilité de la dite confrairie et les droits et revenus d’icelle estre par nous accrus et augmentez de grâce et privilèges, afin qu’un chacun par dévotion se puisse adjoindre et mettre en leur compagnie, à iceux maistres, gouverneurs et confrères d’icelle confrairie de la Passion de notre dit Seigneur, avons donné et octroyé de grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale cette fois pour toutes et à toujours perpétuellement pour la teneur de ces présentes lettres, autorité, congié et licence, de faire jouer quelque mystère que ce soit, soit de la Passion et Résurrection, ou autre quelconque, tant de saints comme de saintes qu’ils voudront élire, et mettre sur toutes et quantes fois qu’il leur plaira, soit devant nous, nostre commun ou ailleurs, tant en recors qu’autrement ainsi par la manière que dit est, puissent aller et venir, passer et repasser paisiblement, vestus, habillez et ordonnez un chacun d’eux, en tel estat ainsi que le cas le désirera, et comme il appartiendra selon l’ordonnance du dit mystère, sans détourner ou empêcher et en pleine confirmation et seureté, nous iceux confrères, gouverneurs et maistres, de notre plus abondante grâce, avons mis en notre protection et sauvegarde durant le recors de iceux jeux et tant qu’ils joüeront seulement, sans pour ce leur méfaire ou à aucuns d’eux à cette occasion ne autrement, etc… Ce fut fait et donné à Paris, en nostre hostel lès Saint-Pol, au mois de décembre l’an de grâce 1402, de nostre règne, le 23e. Signé Charles. » Les confrères de la Passion, dirigés par des maîtres ou gouverneurs, donnèrent à la Trinité un grand nombre de mystères dont les plus celèbres sont le mystère du viel Testament, celui de la vengeance de la mort de Notre-Seigneur, la destruction de Jérusalem, la conception, nativité et mariage de la glorieuse Vierge-Marie. Les confrères de la Passion n’étaient pas des comédiens proprement dits. Voici de quelle manière on recrutait les acteurs : la représentation des mystères exigeait un grand nombre de personnages, on faisait alors un cry et proclamation. La trompette ordinaire de la ville et le juré-crieur marchaient en tête, puis venaient les six trompettes aux armes du roi, les sergents et archers du prévôt de Paris, vêtus de leurs hoquetons paillez d’agent et armoriez, ensuite on voyait les officiers de ville à robes de couleur avec le navire d’argent brodé sur leurs habits ; puis montés sur deux beaux chevaux s’avançaient les deux hommes chargés de faire le cry et proclamation ; ils avaient une robe de velours noir avec des manches tricolores (jaune, gris et bleu). Les deux directeurs du mystère, vestus honnestement et bien montez selon leur estat, paraissaient ensuite. La marche était fermée par les quatre entrepreneurs à pourpoint de velours, les quatre commissaires du châtelet et un grand nombre de bourgeois. À chaque carrefour le cortège faisait une station, les trompettes sonnaient trois fanfares. Au nom du roi et du prévôt, le prieur réclamait le silence et faisait au peuple l’annonce du spectacle ; ensuite il invitait ceux qui voulaient jouer dans la pièce à se rendre à la Trinité ou ailleurs, pour être choisis par les directeurs qui devaient distribuer les rôles. Quelques bons bourgeois de Paris, des nobles, des magistrats, des ecclésiastiques composaient la confrérie de la Passion. Non seulement l’église protégeait leurs représentations, mais pour faciliter au peuple les moyens d’y assister, elle avançait tout exprès les heures du service divin. Ces mystères étaient divisés en plusieurs journées interrompues elles-mêmes par des épisodes d’une bouffonnerie souvent obscène. Jésus-Christ y prononçait quelquefois des sermons, moitié en français, moitié en latin ; s’il donnait la communion aux apôtres, c’était avec des hosties. Dans une de ces représentations, sainte Anne et la Vierge-Marie accouchaient dans une alcôve pratiquée sur le théâtre ; on prenait seulement la précaution de tirer les rideaux du lit. Dans une autre pièce, Judas tuait sans façon le fils du roi de Scarioth à la suite d’une querelle survenue en jouant aux échecs. Le même Judas assommait ensuite son père et devenait le mari de sa mère ; cette heureuse conclusion amenait une reconnaissance et une cinquantaine de vers boursouflés. Dans la même pièce, le gouvernement de Judée vendait les évêchés à l’enchère ; Satan priait Lucifer de lui rendre le service de lui donner sa bénédiction. Les bourreaux, les diables, les archers, les voleurs étaient les personnages qui avaient le privilège d’égayer le public. La décoration du théâtre restait toujours la même depuis le commencement jusqu’à la fin du mystère. Tous les acteurs paraissaient en même temps et ne sortaient plus de la scène qu’ils n’eussent achevé leur rôle. L’avant-scène était disposée d’une manière semblable à celle de nos théâtres modernes, mais le fond en était bien différent ; il était occupé par des estrades nommées établis, dont l’usage était indiqué par de grands écriteaux ; le plus élevé était le paradis. Le Père-Éternel, entouré des saints et des anges, s’y tenait assis ; l’établi qui se trouvait au-dessous était l’endroit le plus éloigné du lieu où la scène se passait ; le troisième en descendant représentait la maison de Pilate, etc… suivant le pièce que l’on jouait. Sur les parties latérales étaient élevés des gradins sur lesquels s’asseyaient les acteurs lorsqu’ils avaient terminé leur scène, ou qu’ils attendaient leur tour de parler. Un énorme dragon représentait l’enfer ; le monstre ouvrait et fermait ses mâchoires pour laisser entrer et sortir les diables. Que l’on ajoute à cette description une espèce de niche avec des rideaux formant une chambre où se passaient les choses qui ne devaient pas être vues du public, telles que l’accouchement de sainte Anne et de la Vierge-Marie, et l’on se fera une idée assez complète de l’appareil théâtral des confrères de la Passion. En 1542, ils jouèrent à l’hôtel de Flandre le mystère de l’Ancien-Testament. Le parlement crut devoir en interrompre les représentations. Les confrères s’adressèrent alors au roi qui leur donna des lettres-patentes portant autorisation de jouer ce mystère. Le parlement les enregistra, en imposant néanmoins l’obligation de ne mêler à cette représentation aucune chose profane, lascive ou ridicule ; de ne prendre que deux sous par personne, et pour la location de chaque loge, durant ledit mystère, que la somme de trente écus. Le spectacle devait commencer à une heure après midi et finir à cinq ; les entrepreneurs étaient en outre tenus de verser une somme de mille livres au profit des pauvres. — François Ier ayant ordonné par lettres-patentes du 20 septembre 1543, la démolition de l’hôtel de Flandre, les confrères de la Passion furent obligés de placer ailleurs leur théâtre. Le 18 juillet 1546, ils achetèrent une partie de l’hôtel de Bourgogne, situé dans la rue Mauconseil, et bâtirent un pouveau théâtre. Ils adressèrent ensuite une requête au parlement à l’effet d’y continuer leurs jeux. La cour rendit le 17 novembre de la même année un arrêt « qui inhibe et défend aux sieurs suppliants de jouer les mystères de la Passion de Notre-Sèigneur, ni autres mystères sacrés, sous peine d’amende arbitraire, leur permettant néanmoins de pouvoir jouer autres mystères profanes, honnêtes et licites, sans offenser ni injurier aucunes personnes, et défend la dite cour, à tous autres de jouer ou représenter dorénavant aucuns jeux ou mystères tant en la ville, faubourg que banlieue de Paris, sinon que sous le nom de la dite confrérie et au profit d’icelle. » Le plus important privilège, celui de jouer des mystères, fut donc enlevé aux confrères de la Passion, qui furent obligés de créer un nouveau répertoire composé seulement de pièces profanes. Ils s’associèrent avec les enfants sans souci, ou principauté de la sottise, dont le chef était connu sous le nom de prince des sots. Cette confrérie, formée sans doute par des comédiens de profession, avait pris naissance peu de temps après celle de la Passion ; c’était une troupe nomade qui donnait plusieurs fois dans l’année des représentations à Paris.

Sous le règne de Louis XII, le Mardi-Gras de l’an 1511, ces comédiens représentèrent aux halles une sotie ou pièce satirique dirigée contre le pape Jules II. Cette sotie était intitulée : Le Jeu du Prince des Sois et Mère-Sotte.

Le pape, sous le personnage de Mère-Sotte, s’exprime ainsi :

Si deussai-je de mort mourir
Ainsi qu’Abiron et Dathan,
Ou damnée être avec Satan,
Si me viendront-ils secourir ;
Je ferai chacun accourir
Après moi, et me requérir
Pardon et merci à ma guise,
Le temporel veux acquérir
Et faire mon nom florir,
En bref voilà mon entreprise.

Je me dis, Mère Sainte-Église,
Je veux bien que chacun le note,
Je maudis, j’anathématise ;
Mais sous l’habit pour ma devise
Porte l’habit de Mère-Sotte.

Bien sçais qu’on dit que je radotte
Et que suis folle en ma vieillesse,
Mais grumeler veux à ma porte
Mon fils le prince en telle sorte
Qu’il diminue sa noblesse.

Puis le pape ou plutôt Mère-Sotte parle ainsi des prélats de la cour :

Mais dessous les courtines,
Ont créatures féminines.
Tant de prélats irréguliers !
Tant de moines apostats !
Il y a un tas d’asniers
Qui ont bénéfices à tas.

Arrive un personnage nommé La Commune, qui représente le peuple français ; il s’exprime ainsi :

Les marchands et gens de mestier
N’ont plus rien, tout va à l’église.

Mais bientôt Mère-Sotte cherche à attirer les seigneurs français dans son parti ; et voyant qu’elle n’y peut réussir, elle excite les membres du clergé qu’elle a séduits à combattre la royauté, en leur disant :

Prélats, debout, allarme, allarme,
Abandonnez église, autel,
Que chacun de vous soit bien farme,
Que l’assaut aux princes on donne
J’y veux être en propre personne,

. . . . . . . . . .


À l’assaut, prélats, à l’assaut !

Puis Mère-Sotte faisant allusion au roi de France, disait :

… Je vueil par fas ou néphas
Avoir sur lui l’autorité
De l’espiritualité
Je jouis, ainsi qu’il me semble ;
Tous les deux vueil mesler ensemble.

La commune déclare alors que les rois ne veulent plus souffrir que le pape s’empare du temporel. Le pape persiste et répond :

Veuillant ou non, ils le feront,
Ou grande guerre à moi auront

. . . . . . . . . .


Du temporel jouir voulons.

Un combat s’engage, Mère-Sotte est vaincue. Le roi de France s’aperçoit alors que le pape n’est pas l’Église, qu’il s’est déguisé et qu’il n’est que Mère-Sotte.

Peut-être que c’est Mère-Sotte,
Qui d’Église a vestu la cotte,
Par quoy il faut qu’on y pourvoie.

Le Prince

Je vous supplie que je la voie.

Gayeté

C’est Mère-Sotte, par ma foy.

Le roi se décide alors à détrôner le pape.

Mère-Suite, selon la loi,
Sera hors de sa chaire mise.

. . . . . . . . . .


Pugnir la fault de son forfait ;
Car elle fut posée de fait
En sa chaire par symonie.

Les comédiens ne se faisaient pas faute de critiquer aussi les actes du gouvernement, de blâmer les profusions, les vices des nobles, et de railler l’ambition du clergé. Louis XII prenait plaisir à leurs représentations. Le roi disait qu’en y assistant il apprenait beaucoup de choses qui étaient faites en son royaume. Quelques courtisans s’étant plaints devant lui de la hardiesse des comédiens qui les jouaient sur leur théâtre, il leur répondit : « Que le théâtre n’était redoutable qu’à ceux dont la conduite n’était pas réglée ; qu’ils n’avaient qu’à se bien conduire, et qu’alors ils ne fourniraient plus matière à la satyre ; que son intention était d’ailleurs que ces gens-là pussent donner carrière à leur bile satyrique sur toutes sortes de sujets et de personnes, sans excepter la sienne, pourvu qu’il ne parlassent pas mal de sa femme, car il voulait que l’honneur des dames fût respecté. » — Un édit de décembre 1676, registré au parlement le 4 février 1677, supprima la confrérie de la Passion.

Nous retrouvons au temps de Molière les comédiens français à l’hôtel de Bourgogne, où ils s’étaient vus souvent forcés d’alterner avec les comédiens italiens. Le cardinal de Richelieu, qui ne se contentait pas d’être un grand ministre, et ambitionnait la gloire du poète, établit deux théâtres dans son palais, l’un destiné à une société choisie, l’autre au public. De jeunes acteurs de Paris, à la tête desquels était Molière, formèrent une troupe de comédiens ambulants.

Ils firent bâtir un théâtre dans le jeu de paume de la Croix-Blanche, situé dans la rue de Buci, et lui donnèrent le nom de Théâtre illustre. Après y avoir joué pendant trois ans, ils parcoururent la province, et revinrent à Paris en 1658. Molière et sa troupe débutèrent au mois d’octobre de cette année sur un théâtre élevé dans la salle des gardes au Louvre. Louis XIV honora ce théâtre de sa présence. La première représentation fut composéé de Nicomède et du Docteur amoureux. Satisfait des acteurs, le roi leur accorda une partie de l’hôtel du Petit-Bourbon, où ils débutèrent le 3 novembre suivant par l’Étourdi et le Dépit amoureux. En 1660 l’hôtel du Petit-Bourbon devant être abattu, la troupe de Molière fut logée au Palais-Royal ; elle y débuta le 5 novembre. Ce théâtre, déjà illustré par les chefs-d’œuvre de Corneille et de Racine, se maintint avec éclat jusqu’à la mort de Molière. C’est là que fut joué Tartufe. Le théâtre du Palais-Royal fut, après la mort de Molière, donné à l’Opéra. La troupe royale, privée de son illustre chef, promena tristement ses pénates dans tout Paris. En juillet 1673, elle jouait dans un local de la rue Mazarine, dans le jeu de paume du Bel-Air, où l’Opéra avait pris naissance. Peu de temps après elle construisit un théâtre dans la rue Guénégaud. Lors de la réunion du collège Mazarin à l’Université, les docteurs de Sorbonne exigèrent, comme condition préliminaire, l’éloignement du théâtre Guénégaud ; mais les réclamations des curés empêchant qu’ils ne s’établissent ailleurs, on fut obligé de les tolérer dans ce quartier. Le roi, par lettres-patentes du 22 octobre 1680, réunit à la troupe de la rue Guénégaud celle de l’hôtel de Bourgogne. Trouvant le local trop étroit, les deux troupes achetèrent l’hôtel de Lussan et une maison voisine, dans la rue Neuve-des-Petits-Champs ; mais le roi annula cette acquisition, et permit aux comédiens de s’établir dans le jeu de paume de l’Étoile, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés. Ils occupèrent cette salle sous le titre de Comédiens ordinaires du roi, jusqu’à Pâques 1770. À cette époque les bâtiments menaçaient ruine. Ces acteurs allèrent jouer provisoirement sur le théâtre des machines, au palais des Tuileries. Après avoir occupé pendant dix années environ cette salle de spectacle, les comédiens ordinaires du roi s’installèrent dans le théâtre de l’Odéon, construit pour eux. Cette salle ayant été incendiée en 1799, ils prirent possession du théâtre du Palais-Royal, bâti de 1789 à 1790 sur les dessins de Moreau, pour le spectacle des Variétés, qui resta en cet endroit jusqu’au moment de la translation des comédiens français qui l’occupent encore aujourd’hui. — Un décret impérial daté de Moscou, le 15 octobre 1812, donna au Théâtre Français une organisation qui subsiste encore dans presque toutes ses parties. — Prix des places en 1844 : balcons, loges de la galerie du rez-de-chaussée, des 1res de face et avant-scène des 1res, 6 fr. 60 c. ; orchestre, 5 fr. ; 1res de côté et 1res galeries, 5 fr. ; 2mes loges, 4 fr. ; galeries des 2mes loges, 3 fr. ; 3mes loges et cintre, 2 fr. 75 c. ; parterre, 2 fr. 20 c. ; 2mes galeries, 1 fr. 80 c. ; amphithéâtre, 1 fr. 25 c.

Voici quelques renseignements relatifs à l’impôt perçu dans Paris sur les théâtres au profit des hospices.

Durant trente-cinq années, que nous divisons en périodes quinquennales, l’Opéra a versé pour sa part une somme de 2,573,000 fr. ; le Théâtre-Français 2,214,000 fr. En voici le détail :

1807-11. Opéra 293,000. Français 351,000.
1812-16. 305,000. 383,000.
1817-21. 282,000. 344,000.
1822-26. 314,000. 348,000.
1827-31. 309,000. 234,000.
1832-36. 498,000. 251,000.
1837-41. 572,000. 303,000.

On voit que les recettes de l’Opéra ont à peu près doublé depuis trente ans, tandis que celles des Français sont réduites d’un sixième ; encore se sont-elles relevées durant ces derniers temps. De 1832 à 1836 elles n’ont pu atteindre que la moitié de celles de l’Académie-Royale-de-Musique.

Si nous passons à d’autres théâtres, nous trouvons les résultats suivants :

1807-11. Opéra-Comique 334,000. Italiens »»
1812-16. 337,000. »»
1817-21. 323,000. 113,000.
1822-26. 306,000. 120,000.
1827-31. 243,000. 179,000.
1832-36. 215,000. 224,000.
1837-41. 302,000. 315,000.

Le Vaudeville, 193,000 fr. de 1837 à 1840 ; — Variétés, 238,000 fr. ; Ambigu-Comique, 162,000 fr. ; Gaité, 201,000 fr. ; Folies-Dramatiques, 124,000 fr. ; il est question ici de la période quinquennale 1837-41.

Le Gymnase paya aux hospices en 1821, première année de son existence, plus de 68,000 fr., ce fut la plus forte recette de tous les théâtres de Paris. Depuis, ce théâtre a perdu de sa vogue ; sa contribution qui avait été de 274,000 fr. en 1821-25, n’a pas dépassé 216,000 fr. en 1837-41.

Le Palais-Royal est en voie de prospérité ; de 1832 à 1836, il a donné 189,000 fr. ; de 1837 à 1841, 277,000 fr.

La Porte-Saint-Martin est demeurée à 180,000 fr. en 1837-41 ; elle était allée à 226,000 fr. en 1826-30.

Le Cirque-Olympique avait payé 329,000 fr. en 1827-31 ; 160,000 fr. en 1832-36 ; mais il a d’un élan vigoureux remonté à 356,000 fr. pour les cinq années 1837-41.

En 1842 l’impôt en faveur des indigents a présenté les résultats suivants : Académie-Royale-de-Musique, 113,427 fr. 68 c. ; Français, 52,305 fr. 60 c. ; Opéra-Comique, 66,366 fr. 84 c. ; Italiens, 73,370 fr. 22 c. ; Odéon, 16,599 fr. 27 c. ; Gymnase-Dramatique, 44,832 fr. 39 c. ; Vaudeville, 42,141 fr. 19 c. ; Variétés, 41,703 fr. 86 c. ; Palais-Royal, 48,844 fr. 97 c. ; Porte-Saint-Martin, 60,449 fr.30 c. ; Cirque-Olympique (les deux théâtres), 88,743 fr. 55 c. ; Ambigu, 30,885 fr. 86 c. ; Gaîté, 41,185 fr. 19 c. ; et Folies-Dramatiques, 25,796 fr. 36 c.