Dictionnaire analytique d’économie politique/S

La bibliothèque libre.



◄  R T  ►


SALAIRES. — Les salaires sont la récompense du travail de l’ouvrier.

Il sont nominaux ou réels.

Les salaires nominaux sont ceux qu’on paie en monnaie.

Les salaires réels sont ceux qui sont acquittés • en denrées.

Dans tous les cas ils sont réglés par une convention particulière entre le maître et l’ouvrier ; mais leur convention n’est pas arbitraire ; elle est subordonnée à des lois générales, qui déterminent sa justice et sa légitimité.

Les salaires du travail, comme le prix de tout ce qui se vend et s’achète, est réglé par là proportion de la quantité de l’ouvrage avec le nombre des ouvriers.

S’il y a plus d’ouvrage à faire que d’ouvriers pour l’exécuter les salaires sont élevés.

Si le nombre des ouvriers l’emporte sur la quantité de l’ouvrage, les salaires sont bas.

Telle est la loi fondamentale et régulatrice des salaires. On n’a découvert que peu de cas qui doivent la faire modifier, et même il n’y en a qu’un seul qui soit bien fondé.

Une de ces modifications résulte de l’état de la richesse sociale.

Si elle est progressive, les salaires haussent au delà de la proportion de la quantité de l’ouvragé et du nombre des ouvriers, parce que les progrès de la richesse sont plus rapides que les progrès de la population laborieuse. Du jour où la richesse d’un pays augmente, jusqu’à celui où la population laborieuse peut fournir un plus grand nombre d’ouvriers, c’est-à-dire pendant 15 ans, les capitalistes ouïes personnes qui font travailler se disputent le travail de la population laborieuse actuellement existante, et leur concurrence doit être d’autant plus forte que leurs capitaux ou leurs moyens de travail sont progressifs, et qu’ils ne peuvent en faire l’emploi. Dans ce cas la cas concurrence doit porter le taux du salaire au maximum.

Mais si la richesse est stationnaire, quelque considérable qu’elle soit et surtout si sa stabilité est ancienne, elle a peu d’influence sur le taux des salaires. Comme la population laborieuse est toujours en proportion avec l’ouvrage, la stabilité de la richesse arrête la multiplication de la classe laborieuse ; une sorte d’équilibre les maintient au même état ; et la population laborieuse ne peut pas rompre cet équilibre sans détériorer sa condition et se condamner à une déplorable misère.

Enfin, si la richesse décline les salaires baissent, et toutes les combinaisons, toutes les usures, tous les sacrifices qu’on a jusqu’ici imaginés pour arrêter leur baisse ou détourner et atténuer les malheurs qui en sont inséparables, ont été sans utilité et sans efficacité ; on a encore aggravé le mal auquel on voulait remédier. (Voyez Population et Pauvres.)

Ainsi l’état de la richesse d’un pays modifie la loi de l’offre et de la demande qui règle le taux des salaires ; mais cette modification ne fait que lui donner plus de force et d’autorité, comme il arrive toutes les fois que l’exception confirme la règle.

Combien donc s’abusent les lois et les gouvernemens qui interviennent entre le maître et l’ouvrier, interposent leur autorité pour régler leurs intérêts, et substituent leurs lumières bornées et incomplètes à l’impérieuse nature des choses. Tout ce qu’ils peuvent faire de plus sage et de plus utile à cet égard, c’est de préserver les maîtres de la violence des ouvriers, et les ouvriers de la supériorité de position des maîtres ; tâche difficile sans doute, mais qu’on accomplirait facilement, si l’éducation des classes laborieuses les mettait en état de discerner leurs véritables intérêts, de se garder des influences perverses et de veiller elles-mêmes à ce qu’on ne portât aucune atteinte à leurs droits légitimes. Partout où il y a trouble et désordre dans les relations des maîtres et des ouvriers, on ne doit en accuser que l’ignorance de ceux qui les commettent : les lumières sont le frein des passions même les plus violentes.

On a cru découvrir une autre modification à la loi régulatrice des salaires dans l’intérêt qu’un pays peut avoir à ce qu’ils soient hauts ou bas ; mais il me semble qu’on est tombé à cet égard dans une grave méprise.

Sans doute quand les salaires sont bas les produits du travail sont à bon marché, trouvent facilement des consommateurs, et la reproduction s’étend par la rapidité de la consommation.

Mais qu’est-ce qui produit la baisse des salaires ? Ce n’est pas la modicité de la récompense du travail. Quand l’ouvrier est mal payé, il est mal portant, sans force, sans courage, sans industrie et sans activité. Il fait peu d’ouvrage et le fait mal, et le bas prix de ses produits n’empêche pas qu’ils ne coûtent fort cher.

Il en est autrement quand l’ouvrier est bien payé. Alors il se porte bien, il est robuste, courageux, industrieux et actif ; il travaille davantage et mieux, ses produits sont plus abondans ; et quoiqu’ils coûtent plus cher, ils sont en effet à meilleur marché que ceux de l’ouvrier mal payé.

Sous ce rapport il est rigoureusement vrai de dire que les hauts salaires sont la cause du bas prix des produits, et que les bas salaires en augmentent le prix.

Mais ce n’est pas ainsi qu’on doit entendre les avantages qu’un pays tire de la baisse du taux des salaires. Quand la baisse n’a lieu qu’aux dépens de l’ouvrier, elle est odieuse et sans profit pour la richesse. La baisse des salaires n’est vraiment utile à un pays que quand elle ne coûte rien à l’ouvrier, et s’opère pour ainsi dire sans son concours. C’est ce qui arrive quand la baisse des salaires est produite par le perfectionnement des instrumens et des machines, des méthodes et des procédés du travail. Alors, on peut mieux récompenser l’ouvrier, et son travail est moins cher. Voilà ce qui constitue la baisse des salaires ; et l’on doit reconnaître que cette baisse résulte encore de l’état de la richesse qui, par ses progrès, améliore à la fois les travaux et la condition de l’ouvrier.

L’intérêt qu’un pays peut avoir à la baisse des salaire n’influe donc en aucune manière sur leur taux.

On fait résulter une autre modification du principe régulateur du taux des salaires, de la nécessité de proportionner les salaires ail prix des subsistances.

Si l’on a seulement voulu dire que l’ouvrier doit vivre de son travail, et que les salaires doivent suffire à son entretien, il y a sur ce sujet peu de matière à controverse ; car on doit sentir que si l’ouvrier ne peut pas subsister avec Ce qu’il gagne, il ne peut pas travailler, ou du moins il ne peut pas travailler long-temps.

Mais ce n’est pas ainsi que la question se présente, et qu’il faut la résoudre.

Elle consiste à savoir si le prix des denrées règle le taux des salaires, ou influe sur leur règlement et il ne peut pas à cet égard s’élever le moindre doute.

Les salaires sont, comme nous l’avons dit, assujettis à la loi de l’offre et de la demande. Y a-t-il plus d’ouvriers que d’ouvrages ? Les salaires sont à bas prix, à quelque taux que s’élève la valeur des denrées qui font subsister l’ouvrier ; seulement si les salaires ne suffisent pas à sa subsistance, ceux qui veulent le faire travailler ne peuvent obtenir son travail qu’en lui donnant les denrées nécessaires à sa subsistance. Mais tant que les salaires suffisent à la subsistance de l’ouvrier, la cherté ou le bon marché des denrées n’a aucune influence sur le taux des salaires. On serait même fondé à croire que le haut prix des denrées, loin de faire hausser les salaires, les fait baisser, parce que alors l’ouvrier a plus besoin de travailler ; parce que la concurrence des ouvriers est plus active ; parce qu’on ne travaille pas pour gagner, mais pour vivre ; parce que l’aiguillon de la nécessité est plus pressant que celui de la cupidité.

Le prix des denrées ne porte donc aucune atteinte à la loi générale de l’offre et de la demande, qui règle le taux des salaires.

Enfin, on a cherché une dernière modification à cette loi dans la variation du taux des salaires des divers travaux dans le même lieu, variation occasionée,

Soit par le genre du travail.

Soit par la facilité ou la difficulté de l’apprentissage.

Soit par la continuité ou l’interruption de l’ouvrage.

Soit par le plus ou moins de confiance qu’il faut placer dans l’ouvrier.

Soit à cause du plus ou moins de chance de succès de l’ouvrage.

Soit à cause des obstacles que les lois de police et d’administration opposent à la circulation des ouvriers.

Mais ces causes de la variation du taux des salaires dans les divers emplois du travail n’altèrent pas la loi dont il dépend. Toujours le taux des salaires dans chaque emploi du travail est réglé par la proportion de l’ouvrage et de l’ouvrier, quelle que soit d’ailleurs la cause qui fait affluer un plus grand nombre d’ouvriers dans cet emploi, ou qui les en éloigne. Toujours c’est le nombre des ouvriers qui offrent leur travail pour un certain ouvrage, comparé à la quantité de l’ouvrage dans cet emploi, qui en règle le salaire ; et par conséquent la loi générale, conserve encore dans ce cas toute sa puissance.

En un mot, s’il y a une vérité démontrée en économie politique, c’est que le taux des salaires du travail est, sans réserve, comme sans restriction, réglé par la loi de l’offre et de la demande. Les exceptions qu’elle peut éprouver méritent à peine d’être remarquées, et ajoutent encore à l’évidence de la règle.

SPÉCULATION. — On entend par ce mot l’industrie intellectuelle appliquée à l’industrie pratique et au commerce.

Envisagée sous les rapports de l’industrie pratique, l’industrie intellectuelle l’observe dans ses procédés et ses méthodes, les perfectionne et souvent les combine pour étendre leur puissance ou leur en créer une nouvelle, et par ses perfectionnemens et ses créations donne une nouvelle impulsion à l’industrie générale, et lui ouvre de nouvelles sources de richesse et d’opulence.

C’est à l’industrie intellectuelle qu’on doit faire honneur des innombrables découvertes dans tous les branches du travail, de l’invention des machines, et de la marche rapide des arts, de la paix et de la guerre.

C’est elle qu’ont illustrée tant de grands génies, depuis Archimède et Pascal jusqu’à Watt, qui compte tant de prodiges et de phénomènes parmi ses titres de gloire, et qui a eu une si grande part à l’avancement des lumières et de la civilisation des peuples modernes. En leur donnant pour principe et pour appui l’intérêt des richesses, elle l’a mise à l’abri des préjugés et des superstitions ; de l’ignorance et de l’ambition, des excès et des abus du pouvoir. Dans son état actuel, l’industrie spéculative peut être considérée comme le mobile, le régulateur et la mesure de tous les avantages de l’industrie pratique.

Sous le point de vue du commerce, l’industrie spéculative domine tous les genres de commerce, les embrasse dans ses combinaisons, et en tire des bénéfices qu’ils ne pourraient pas obtenir par leurs seuls efforts. Le commerce spéculatif ne se restreint ni à un commerce régulier, ni à un commerce usuel, ni à un commerce établi et particulier à un genre d’affaires. Le spéculateur est tantôt marchand de grains, tantôt marchand de vins, tantôt marchand d’une ou de plusieurs denrées coloniales ; en un mot il entre dans tous les commerces, quand il croit y faire de grands profits, et il les quitte quand il ne peut y faire, que des profits ordinaires : Ses profits ou ses pertes n’ont par conséquent aucune proportion régulière avec ceux des autres branches d’affaires établies et bien connues. Un hardi aventurier peut faire une fortune très-considérable par deux ou trois spéculations heureuses ; mais il peut aussi, se ruiner par un petit nombre de revers. C’est seulement dans les places où le commerce est le plus étendu et la correspondance la plus rapide que le spéculateur peut se livrer avec plus de succès à ses vastes spéculations, parce que c’est là qu’il est le plus à portée de connaître les besoins des divers pays et les ressources qui existent pour les satisfaire.

Jusqu’à quel point la spéculation est-elle utile ou contraire aux intérêts de la richesse des peuples ? c’est un point sur lequel la science est encore muette. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est qu’elle est nécessaire à tous les pays pour les préserver de la spéculation étrangère qui non-seulement les priverait de bénéfices certains, mais leur ferait éprouver des pertes fâcheuses ; cela arrive toutes les fois que la spéculation prévoit les besoins d’un pays, le devance sur les marchés où il peut s’approvisionner, et lui fait subir les dures conditions du monopole. Un gouvernement éclairé doit donc seconder de tout son pouvoir le commerce de spéculation, parce que c’est celui de qui il peut recevoir le plus de secours en paix comme en guerre. Hors ce cas, qui, il faut en convenir, est d’une grande importance, le spéculateur n’est utile qu’à lui ; ses profits sont pris sur la, richesse générale, et ne l’augmentent pas d’un centime. Il faut donc bien prendre garde de le confondre avec le commerce ordinaire qui favorise la production par l’écoulement de ses produits, et encore moins avec l’industrie spéculative qui favorise, étend et développe toutes les facultés productives. Ces lignes ne sont pas encore tracées d’une main ferme ; mais il est permis de croire qu’elles n’échapperont pas aux prévisions de la science.

SYSTÈMES. — En économie politique, on entend par ce mot les doctrines erronées sur la nature et les causes de la richesse moderne.

Dans l’histoire de la science économique deux systèmes ont tour à tour usurpé l’autorité de la science ; mais ses progrès les ont entièrement déconsidérés, et il n’en reste que quelques faibles débris qu’elle a recueillis et incorporés avec les principes, les préceptes et les règles qui la constituent.

Au premier rang, dans l’ordre chronologique de l’économie politique, figure le système mercantile qui fait consister la richesse dans les métaux précieux, se flatte d’en augmenter la quotité par les priviléges, les prohibitions et les restrictions, qu’il croit propres à favoriser le commerce avec l’étranger, et à le dépouiller de son or et de son argent.

Cette illusion a été de longue durée ; elle se prolongea jusqu’à ce qu’on eût reconnu que le commerce avec l’étranger n’importe des métaux précieux qu’en échange des produits du sol et de l’industrie du pays ; que des produits qui s’échangent contre des métaux précieux sont richesse comme eux, autrement on donnerait la richesse pour rien. D’où l’on est arrivé à la conséquence qu’un pays est plus riche avec des produits qui s’échangent contre des métaux, qu’avec des métaux qui s’échangent contre des produits. Là finit le charme des métaux précieux.

Il en est cependant résulté d’heureux effets. On a donné aux produits agricoles et manufacturiers une considération qu’ils n’avaient pas obtenue jusqu’alors. On s’est efforcé de les introduire là où ils n’existaient pas, de les multiplier et de les perfectionner là où ils existaient. Le commerce étranger lui-même n’a rien perdu de sa faveur parce qu’on a compris qu’il ouvre une issue illimitée aux produits de l’industrie et leur donne une plus grande valeur dans le marché étranger que dans le marché national.

Ce n’est que fort tard qu’on a mis en question l’utilité des faveurs dont on l’avait comblé, et cette question n’est pas encore résolue ; il est cependant permis de croire qu’on ne doute plus, à présent, que ces faveurs ne doivent être maintenues que pendant le temps nécessaire pour mettre toutes les branches de l’industrie en état de soutenir la concurrence étrangère dans tous les marchés, et qu’elles doivent cesser dès qu’on a acquis la certitude ou qu’on a perdu l’espoir de l’atteindre. (Voyez Primes.) Déjà l’Angleterre, qui se trouve dans cette situation, donne aux autres peuples l’exemple de la liberté générale du commerce, comme elle leur avait donné l’exemple de ses prohibitions et de ses restrictions. (V. Navigation.)

Au système mercantile succéda le système agricole plus imposant, beaucoup plus spécieux et surtout plus propre à faire illusion que le système mercantile.

Ce système faisait découler la richesse de l’agriculture, dont les produits sont la matière première de la richesse ; mais la matière de la richesse n’est pas plus la richesse que les mines d’or et d’argent ne sont de l’or et de l’argent. Le système agricole ne fit donc que déplacer le problème sans le résoudre.

Toutefois il ne fut pas inutile, il éveilla l’attention générale sur la richesse, ses causes et ses résultats. De nombreuses controverses firent éclore beaucoup d’erreurs qui, si elles avancèrent peu la science, lui firent prendre place parmi les connaissances humaines.

Après de longues et laborieuses divagations, on parvint enfin à reconnaître que l’agriculture n’est que le travail qui produit la matière de la richesse, matière inerte sans le travail de l’industrie qui l’approprie à la consommation, et sans celui du commerce qui le met à la portée du consommateur.

De là est résultée la conséquence, qu’il n’y a de richesse que par le travail, ou, ce qui est la même chose, que le travail est la source de la richesse.

Mais alors s’est élevée la subtile controverse du travail productif, du travail stérile, et du travail plus ou moins productif ; controverse qui n’est pas encore finie, mais qui ne peut pas longtemps compliquer la science, et doit nécessairement finir, aussitôt que la doctrine des valeurs aura obtenu toute l’autorité qu’on ne peut lui refuser. Si en effet, comme cela est évident, chaque chose, chaque travail ne contribue à la formation de la richesse que dans la proportion de sa valeur, tout travail qui a de la valeur est nécessairement productif de la richesse ; et, comme il n’y en a point qui n’ait de la valeur, puisque sans cela il n’existerait pas, on peut conclure avec certitude que tout travail est productif de la richesse dans la proportion que la folie ou la sagesse met à ses produits et à ses services. (Voyez Travail et Valeur.)

C’est à ce point que les doctrines erronées sur la richesse ont fait arriver la science.

◄  R T  ►