Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Apôtres
APOTRES — L L apostolat n est pas une institution empruntée au judaïsme. — IL Qu est-ce que l apôtre, d après saint Paul ? — IIL Zes Douze dans le Nouveau Testament. — W. Doit-on distinguer une notion primitive, une notion pauline et une notion post-pauline ou catholique ?
L — Le mot apôtre, ἀπόστολος, appartient au grec classique, où, pris substantivement, il a le sens d’envoyé, missus. Le mot ἀπόστολος ; ne ne rencontre dans les Septante qu’une fois, où il a un sens tout pareil : « Je suis [envoyé] vers toi messager de malheur », ἀπόστολος πρὸς σε σκληρός, dit le prophète Allias à la femme de Jéroboam à qui il apprend que son lils Aa mourir (I lieg., xia-, 6). Au contraire, le mot ἀπόστολος est courant dans le Xouvcau Testament : Liglitfoot {Galatians, p. 94) l’y relève 79 fois, dont 68 chez saint Paul et saint Luc. Ce pourrait être un premier indice que l’apostolat est une dénomination proprement chrétienne. H. Bhlders, Verfassung der Kirclie (Mainz, 1904), p. 344-348.
A vrai dire, le judaïsme a connu lui aussi un apostolat, mais ce serait une erreur d’identilier ces apôtres, quant à leur office, avec ceux que le christianisme primitif a connus. Premièrement, l’i-iiTS/v ; juiAC est une institution tardive : ni Josèphe, ni les sources rabbiniques anciennes ne la connaissent. Elle paraît être postérieure à la destruction du temple et se rattacher à ce patriarcat juif, qui, à labné, reconstitua longtemps pour le judaïsme une sorte de
centralisation nationale et religieuse. Scuuerer, Geschichte des jiidischen Volkes, t. III, p. 77. Rexax, Origines du christianisme, t. V, p. 22. Eusèbe deCésarée témoigne (In /saiam. xaiii, i) qu’au ia-<^ siècle les juifs avaient coutume de donner le nom d’v.~o7zo’/ot aux messagers par qui ils faisaient porter à destination les lettres circulaires de leurs autorités, entendez le patriarche d’Iabné : évidemment cette attestation ne vaut que pour l’époque contemporaine d’Eusèbe. Pareille attestation chez saint Epiphane, à la fin du iv^’siècle (Ilær. xxx, 4) ; chez saint Jérôme (In Gal., t. i) ; dansle Code Théodosien (xvi, 8, 1 4). Cependant, Eusèbe affirme avoir trouvé « dans les écrits des anciens » que, à l’origine du christianisme, les prêtres et les anciens du i^euple des Juifs qui résidaient à Jérusalem, avaient euvoyé partout des àroVri/n, accrédités par des lettres, et chargés de dénigrer par toute la terre ce qui était dit de notre Sauvcur (Euseb. Loc. cit.). Eusèbe a pris cette information « dans les écrits des anciens », dit-il : or trois fois dans le Dialogue avec le juif Tryphon, saint Justin fait allusion aux hommes choisis <i euvoyés de Jérusalem par toute la tei-re pour dénoncer l’hérésie athée des chrétiens » (Dialog. 17. Cf. 108 et 117). Le dire de Justin paraît être une supposition suggérée par la démarche faite par les princes des prêtres et les pharisiens auprès de Pilate, sinon par la mission confiée à Saul auprès des Juifs de Damas.
Néanmoins le judaïsme contemporain de l’EAangile et de la première prédication ciirétienne a connu une sorte d’apostolat, car Jérusalem communiquait aACC les juivcries de la Dispersion par lettres et pai* messagers. Lorsque saint Paul, prisonnier, arriAC à Rome et qu’il mande auprès de lui les principaux d’entre les juifs de Rome, pour se disculper dcvant. eux, ceux-ci lui répondent qu’ils n’ont reçu de Judée aucune lettre à son sujet et qu’aucun des frères qui sont rcvenus de Judée n’a rien rajjporlé ni rien dit de défavorable à son égard ; ils savent seulement que la secte à laquelle Paul appartient rencontre partout de l’opposition {Act. xxviii, 21-22). On doit donc supposer que les juifs de Rome auraient pu reccvoir quelque lettre autorisée leur dénonçant Paul. Mieux que personne, saint Paul savait quel était l’usage des juifs, lui qui était allé jadis trouver le grand prêtre et lui demander des lettres pour les synagogues de Damas, afin de faire arrèteice qui s’y rencontrerait de chrétiens et de les amener enchaînés à Jérusalem {Act., IX, 1, 2). En cette occurrence, Saul aurait été dépêché par le sanhédrin et dans ce sens il aurait été un K7757TÎ/0 ; juif : mais il ne paraît pas qu’il ait porté là pareil nom. Et si jiarcilles missions ont été à cette époque fréquemment données par les autorités de Jérusalem à des juifs ainsi dépêchés Acrs des juiACries de la Dispersion, ces missions supposées analogues à celle dont se chargea Saul à Damas, n’avaient rien que de temporaire et d’occasionnel.
Nous pensons donc, à rencontre de M. Harnack, que l’apostolat de la première génération chrétienne n’est pas une institution prise au judaïsme. Harnack, Mission und Ausbreitung (Leipzig, 1906), t. I, p. 274277. Dans le même sens que nous, H. Moxxier, La notion de l’apostolat (Paris, 1903), p. 1-22.
IL — Essayons de préciser ce cjne saint Paul d’abord a désigné sous ce nom d’àTrsjrî/î ;.
En premier lieu, ce nom a une acception commune, dans laquelle il signifie purement « messager ». Les Pliilippiens ayant à euA oyer des secoiu’s à saint Paul, les lui font porter par un îles leurs, nommé Epaphrodite : Paul reuvoie Epaphrodite porteur de l’épître aux Philippiens, où il le nomme : « Epaphrodite, Aotre apôtre, ù/xîij àr5Vr ; /îj(/’A17/., 11, 25). Dans le même sens, Paul parle aux Corinthiens de deux chrétiens
qu’il leur envoie avec Tite et qu’il appelle « apôtres des E^jlises », àrsVri/ît i/ziïîTtôiv (II Cor., viii, 23). Le mot apôtre ne semble pas, en ces deux cas, dépasser la signilication de messager ou de courrier, autant dire de serviteur. En ce sens, saint Jean met sur les lèvres du Christ la parole : « Un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un «-oT-ro/iç plus grand que qui l’envoie > (Jo.. xiii, 16. Cf. Kph., vi, 21-22 et
Act., XV, 22-23).
En second lieu, le mot apôtre, en restant commun, s’achemine à sa signitication historiijue par l’expression " apôtre de Jésus-Christ «, qui est l’expression chère à saint Paul. En tête de la plupart de ses épîtres, en effet, c’est la qualité dont il accompagne son nom. Quand saint Paul met dans la suscription d’une épître, avec son nom, celui de (jnelqu’un de ses collalioratcurs, il a grand soin de ne pas leur donner, à eux, une qualitication qui ne leur appartient pas. Il écrit en tête de l’épître aux Philippiens : « Paul et Timothée, serviteurs du Christ Jésus « (Phili., 1, 1). Aux Colossiens : « Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté deDieu, et Timothée [son] frère » (Col., 1,)). Aux Thessaloniciens : « Paul, Silvanos et Timothée), sans plus (let II Thess., i, i). Aux Corinthiens : u Paul apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et Timothée, [son] frère » (/ Cor., 1, i). Le qualificatif « d’apôtre du Christ » n’est donc pas, comme celui de « serviteur du Christ », l’expression d’une qualité morale, mais d’une mission exceptionnelle.
Paul cependant ne revendique pas pour lui seul cette qualité d’apôtre du Christ : il la reconnaît, en effet, à d’autres, ^( les autres apôtres », parmi lesquels il énumère « les frères du Seigneur et Céphas », et aussi Barnabe (I Cor., ix, 6-7). Au contraire, Timotliée n’est nulle part donné comme un apôtre, pas plus ((A’Apollos, pas plus, quoi qu’on en ait dit, que Silvanos. Pour Andronicos et Junias (Boni., xvi, 7), il y a doute : nous inclinons à penser que ces deux chrétiens, juifs de naissance, convertis avant Paul,
; i])partenant ainsi aux chrétiens de la première heure,
missionnaires de la Dispersion et emprisonnés un temps on ne sait en quelle cité comme saint Paul l’avait été maintes fois (II Cor., xr, 23), sont « considérés parmi les apôtres », plutôt que u considérés aux yeux des apôtres » (è7T(’c"/ ; uît kv to ? ; àTroTTî/ot ; ). Ita, Ac.nrh’ooT, Galati(tns, p. g6. Hahn.a.( : k, Mission, t. I, p. 269.
On part de là pour induire qvu>, aux jeux de saint Paul, le nombre des apôtres a pu être un nondjre large, et saint Paul, en ellet, le donne à entendre : Dieu, écrit-il aux Corinthiens, a établi dans l’Eglise premièrement des ai)ôlrcs, secondement des propliètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont les dons de guérir, d’assister, de gouverner, de parU’r diverses langues. Tous sont-ils apôtres ? tous prophètes’.' tous docteurs ? tous thaumaturges ? « (I Cor., xii, 28-30). C’est le Christ, dit-il ailleurs, qui a fait « les uns apôtres, les autres jirophètes, d’antres évangélistes, d’autres pasteurs et docteurs, en vue du perfi’ctionnement des saints, pour l’édilication du coips du (Christ > (Kph., IV, 1 1-12).
A(’cept<ms à titre liypot ! Hti((ue que le nondjre des a[)ôtresa été unnoml>re large, par analogie a^ec les prophètes, les docteiu-s, les thaumaturges de la prendère génération chrétienne. S’ensuivra-t-il que l’apostolat soit un pur charisuu’? (Jn nous assure cpie telle est la conception que saint Paul a de l’apostolat. Monmkh. p. 3ô. S’il en est ainsi, eu (pu)i (h)nc lapôli-e a-t-il différt-r du pr()pliète ? D’où ieudra à l’apôtre la primauté constante (pu ; lui atlribiusaint l’aid ? Si l’apostolat est un charisme. poiu(pu)i jx-rsonne n’a-t-il hérité de rapostolat en tant que tel,
alors que les iirophètes, et aussi bien les prophétesses, se perpétuaient au moins un temps ? Et comment ne pas supposer que la primauté de l’apostolat, dont personne n’a hérité, tenait à une circonstance de fait qui ne pouvait pas se reproduire ?
Saint Paul va nous en instruire. Caril aeu à défendre sa prérogative d’apôtre contre luie campagne, tenace et peu bienveillante, menée un peu partout sur ses traces, à Antioche, en Galatie, à Corinthe surtout, pour lui dénier le nom et la qualité d’apôtre. A elle seule, cette contestation manifeste l’importance qui s’attachait à la qualité d’apôtre.
Les gens qui harcèlent ainsi saint Paul sont des éndssaires Aenus de Judée, sans doute des à-îsTî/ît au sens que nous avons relevé d’aljord d’apôtres des églises, des éndssaires accrédités jiar des lettres, coinniendatitiae epistulæ des « saints » de là-bas, sans doute (II Cor., iii, i). Paul les considère comme des apôtres qui ont reçu des honimes leur mission (Gai. 1,)), et rien que ce reproche atteste que Paul entend ne pas tenir des hommes la sienne. Ce sont de faux apôtres, « déguisés en apôtres du Christ », et en réalité ministres de Satan (II Cor., xi, 13-15). Le vrai apôtre est donc apôtre ou envoj é du Christ.
Mais ces émissaires ont la prétention de parler au nom de vrais apôtres, ceux qui sont à Jérusalem, et Paul, accusé d’usurper son apostolat, se défend. Il faut lire sa défense (I Tor., xv, i-io). — Prendèrement l’authenticité de son apostolat est prouvée par l’authenticité de l’évangile qu’il a annoncé : Paul a enseigné ce qu’il a appris kd-mème. Nous vojons à ce premier trait que l’apôtre est d’ollice un miî ; sionnaire de l’Evangile. — Secondement, l’authenticité de l’apostolat de Paul est prouvée par le concours que Dieu lui a donné : une communauté comme celle de Corinthe, qu’il a fondée et où Dieu a coniirmé son œuvre par l’effusion de ses grâces, devient une justitication de l’apostolat de l’apôtre. « Avons-nous Ijesoin, comme certaines gens, de lettres dereeomnuindationauprèsdevous ou de votre part ? C’est vous-mènu’s qui êtes notre lettre, écrite dans nos cœurs, connue et lue de tous les hounnes. Oui, manifestenu-nt, vous êtes une lettre du Christ, écrite par notre ndnistère, non avec de l’encre, nuiis par l’Esprit du Dieu vivant. » (II Cor., m. i-3). — Troisièmement, l’authenticité de l’apostolat de Paul est prouvée par le fait qu’il a vu le Seigneur. Il estime qu’il n’est « inférieur en rien à ces apôtres par excellence » à qui on l’oppose (II Cor., xi, 5) : les apôtres de là-bas se donnent ou sont considérés comme les apôtres après lescjuels iln’yenapas, ùr.- : pMv.-jy.T : drrro).’ii. Je suis hébreu comme eux, poursuit Paul ; je suis israélite comme eux ; je suis de la postérité d’Al)raham comme eux. » Sont-ils serviteurs du Christ ? Ah ! je vais parler en insensé, je le suis plus cpi’eux » (/^., 22, 23). Et ailleurs, reprenant le même argument, Paul y ajoute un trait ilécisif : a Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus notre Seigneur ? N’ètes-vous pas mou ouvrage dans le Seigneur ? Si pour d’autres je ne suis pas apôtre, je le suis au moins pour vous, car vous êtes le sceau (ayi : t/.yù) de mon apostolat dans le Seigneur. Voilà ma réponse à mes détracteurs » (1 Cor., IX, 2, 3). En d’autres termes, Paul n’est pas inférieur aux apôtres indiscutés, puisque connue eux il a vu le Seigneur.
On est donc apôtre parce qu’on prêche l’Evangile, l’Evangile authentique ; parce qiuDieu collabore par son Esprit à cette prédication ; parce qu’on a vu Jésus-Christ. Toutefois ces trois critères ne sont pas encore le critère spécitique de l’apostolat. En effet, les deux premiers titres invoqués par Paul ne différencieraient l)as son otlice de celui de Tinuîthée ou d’.Vpollos : quant au fait d’avoir vu Jésus, il n’est pas une préro(3
j, ^ative des seuls apôtres, puisque le Seigneur ressuscité est apparu « en une seule fois à plus de cinq cents frères, dont la plupart sont encore vivants » (I Cor., XV, 6), et qui ne sont pas apôtres jjour cela.
En dernière analyse, être apôtre du Christ, connue Paul en revendique la qualité, signiiic être envoyé du Christ, envoyé par le Christ, comme être apôtre des églises signilie être envoyé par les églises : Paul parle des àrsVrs/ît 'S.prrzoZ (II Cor., xi, 13) comme il parle des àrc7T ; /st é/./.'/r^'jiw {/b., viii, 28). Si les apôtres des églises ont pour les accréditer une lettre que leur donne l'église qui les envoie, l'à-cVrî/j ; XcurcO dcvrait cti’c accrédité par une lettre du Christ : condition irréalisable. On recourra donc à un équivalent, et voilà pourquoi Paul dit aux Corinthiens : u Vous m'êtes une lettre du Christ. » Etre envoyé par le Christ supijose qu’on a vu le Christ, non pas dans le troisième ciel, si on y est ravi, mais sur terre et comme l’ont vu les témoins de sa résurrection. Voilà pourquoi Paul est le dernier des ajjôtres (I Cor., xv, 8, 9), étant le dernier qui a vu le (Christ ressuscité : après Paul, il n’y a plus d’apôtres. Enlin et surtout, être envoyé par le Christ implique qu’on a reçu mission sur terre du Christ en personne, là est la -raie racine de l’apostolat. Si Paul peut se proclanuM « apôtre, non de la part des homnies, ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le père qui la ressuscité d’entre les morts » (Gal., 1, 1), c’est qu’il n’y a d’apôtre du Christ que celui que le Christ désigne et envoie : « Il a plu à Dieu de révéler en moi son Fils, afin que je l’annonçasse parmi les Gentils)>, et sur-le-chanq) Paul est parti jiour l’Arabie, « sans considter ni la chair, ni le sang, sans monter à Jérusalem vers ceux qui étaient déjà apôtres » (roùc -npô ifj.cj K7ro7ro/ij ; , Gal., 1, j6, 17). Paul a reçu directement sa mission de Dieu par Jésus-Christ : « Jésus-Christ par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat « {Rom., 1, 5). C’est en ce sens plein que Paul est apôtre, non simplement apôtre, mais a apôtre du Christ », appelé et euvoyé personnellement par le Christ en personne (Hom., 1, i, Act., xxii, 21, et xxvi. 16-18). Voyez dans ce sens, R. Sohm, Kirchenvecht, t. I (Leipzig 1892), p. 42.
III. — Cette première donnée est acquise que Paul est le dernier des apôtres, puisqu’il est le dernier à qui le Christ ressuscité s’est montré : Paul peut appeler tous les autres apôtres « antecessoresmei » (Gai. 1, 17). Il est l’avorton, mais il est de même famille que les autres (I Cor., xv, 8).
Une seconde donnée est acquise d’ailleurs : Paul a la conviction d’avoir reçu de Dieu la mission d'être l’apôtre de la gentilité (Rom., 1, 5 et xi, 13), tandis que les autres apôtres, ses antecessores, sont envoyés aux circoncis. Le texte célèbre de l'épître aux Galantes II, i-14) l'établit surabondamment. Paul, après quatorze premières années de mission est averti par une révélation cjli’il doit monter à Jérusalem, où il n’a point paru depuis sa première visite, trois ans après sa conversion. Là, tout un parti de zélotes veut l’obliger à imposer la circoncision aux Gentils qu’il a gagnés au christianisme. Paul s’adresse à ceux qu’il appelle les « notables », par allusion à l’importance qu’ils ont et que ses adversaires reconnaissent : ce sont Pierre, Jacques et Jean. Si les notables avaient désavoué Paul, c’en eût été fait de son apostolat, de ses missions, de ses quatorze années de prédication, il aurait « couru en vain ». Où l’on voit clairement que l’apostolat n’est pas un charisme qui se justifie par lui-même. Les « notables » de Jérusalem n’imposèrent pas à Paul l’oljligation de la circoncision pour ses convertis : au contraire, dit-il, « voyant que l’Evangile m’avait été confié jjour les incirconcis, comme à Pierre pour les circoncis, — car Celui qui a
fait de Pierre l’apôtre des circoncis, a aussi fait de moi l’apôtre des païens, — et ayant reconnu la grâce qui m’avait été accordée, Jacques, Céphas et Jean me donnèrent à moi et à Barnabe les mains en signe d’accord, afin que nous allassions, nous aux païens, eux aux circoncis » {Gal., 11, 6-9).
Ainsi, aux yeux de saint Paul, d’un côté l’aposlolat des païens confié à lui et à Barnabe, de l’autre l’apostolat des circoncis confié aux apôtres qui sont avant lui. Du même coup, voici des noms : Pierre, Jacques, Jean. — Pierre, que (sauf Gal., 11, 7-8) Paul appelle toujours Céphas {Gal., 11, 14 ; / Cor., , 12 ; 111, 22 ; IX, 6 ; XV, 5), est apôtre et cette qualité vient de lui être donnée par Paul {Gal., 11, 8). — Jacques, de même, au témoignage de saint Paul écrivant de sa première visite à Jérusalem, celle qui se place trois ans après sa conversion : « Je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je demeurai quinze jours auprès de lui ; mais je ne vis aucun autre des apôtres, si ce n’est Jacques, frère du Seigneur » {Gal., 1, 18, 19). L’expression si ij.r, dont use ici saint Paul, exprime que Jacques est du nombre des apôtres. Il est, au moment de la seconde visite de Paul à Jérusalem, comme au moment de la première A’isitc, un notable de premier rang, avec Pierre ; et il doit cette considération au fait que Jésus ressuscité lui est apparu, à lui individuellement, comme à Pierre. C’est ce dont témoigne saint Paul dans l'énumération des apparitions : « Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres » (/ Cor., xv, 5).
Dans les textes cités jusqu’ici, le nombre des apôtres est indéterminé. Il n’y a qu’un texte, dans toutes les épîtres paulines, où saint Paul parle des Douze : le Christ ressuscité, dit-il, u est apparu à Céphas, puis aux Douze » (/ Cor., xv, 5). Ce texte, dont il n’y a pas lieu de suspecter la valeur critique, suffirait à établir que, pour saint Paul, les Douze sont un nombre consacré par la tradition existante, d’autant que, ici. Paul aurait dû dire onze, et non douze. De fait, la Vulgate a traduit àùôs/.y. par iindecim.
III. — Dans l’Evangile de saint Jean, les Douze sont mentionnés comme formant le groupe des disciples les plus étroitement, les plus fidèlement attachés à Jésus. Saint Jean ne raconte pas leur Aocation collective, et il ne donne pas la liste de leurs douze noms : jamais il ne leur donne le nom d’apôtres. Dans l’Apocalypse (xxi, i ! ) toutefois il est parlé de la cité dont le mur a douze fondements et sur ces douze fondements sont « les noms des douze apôtres de l’Agneau ». Dans son Evangile, saint Jean atteste que Jésus les a choisis : « N’est-ce jias moi qui aous ai choisis, aous les Douze ? Et l’un de a’ous est un démon. Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote, car c'était lui qui dcA ait le trahir, lui, l’un des Douze » (./o., AI, 70, 7 i). Saint Jean mentionne un second nom d’apôtre, saint Thomas, « l’un des Douze, celui qu’on appelle Didyme » (/o., xx, aij). A la Cène, il n’est pas dit expressément que Jésus ait autour de lui les Douze, mais il y a nommément Pierre, Thomas, Philippe, Jude, Judas et le disciple préféré, Jean. Le discours du Sauveur après la Cène est, en quelque sorte, une investiture des Douze : n C’est moi qui vous ai choisis et qui aous ai établis, pour que a ous alliez, et que aous portiez du fruit, et que A-otre fruit demeure » (fo., XA', 16). Puis, s’adressant au Père, « j’ai gardé ceux que aous in’avez donnés, et pas un d’eux ne s’est i^erdu, hormis le fils de perdition » (xaii, 12). « Comme aous m’aveZ envoyé (K7r£7T£t/ « ç) dans le monde, je les ai aussi euA’oyés ( « rc7T£(/a) dans le monde » {Jo., xvii, 18).
On Acut que ce discom-s ait en vue, non les Douze, mais les disciples au sens le plus large, et qu’il s’adresse ainsi à tous les croyants qui AÏendi-ont
ensuite : on en conclut que la notion du collège apostolique est absente du quatrième Evangile. Nous croyons, au contraire, que tous les traits que nous venons de relever s’entendent directement et premièrement des Douze que Jésus a choisis, qu’il a établis, parmi lesquels Judas seul a été infidèle, et enfin qu’il a envoyés lui-même en son nom dans le monde. La notion d’apostolat (le mot même se laisse entrevoir) est ici essentiellement la même que chez saint Paul, à cette différence près qu’elle n’est réalisée semblet-il, que dans les Douze. ous reviendrons plus loin à ce problème. Quant aux croyants, ils sont au-delà et n’apparaissent que comme les convertis des Douze :
« Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour
ceux qui. par leur parole, croiront en moi n(/o., xvii, 20). Dans les épîtres johannines il n’est pas fait mention des apôtres. Dans l’Apocalypse, nous avons relevé la mention des douze apôtres de l’Agneau (xxi, 14). Ailleurs, dans la description de la chute de Babylone, c’est-à-dire de Rome, l’auteur écrit : « Réjouis-toi sur elle, ciel ; et vous aussi, saints, apôtres et prophètes, car Dieu vous a fait justice d’elle)>(xvni, 20). Ailleurs, enfin, l'église d’Ephèse est félicitée d’avoir « mis à l'épreuve ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas » (11, 2). Ces faux apôtres sont les mêmes que l’Apocalypse appelles Nicolaïtes (11, 6). En ces divers textes, on ne voit pas que saint Jean ait pensé à d’autres apôtres que les Douze.
Dans l'évangile de saint Marc, il n’est parlé que des Douze. Une fois seulement les Douze sont appelés apôtres, au retour de la mission que leur a donnée Jésus au cours du ministère galiléen : « Alors il appela près de lui les Douze, et commença de les envoyer (K7T07T£/y- : tv) deux à deux » (vi, 'y). Ils reviennent :
« de retour près de Jésus, les âTrsVrî/it lui rendirent
compte de tout ce qu’ils avaient fait et de tout ce qu’ils avaient enseigné » (vi, 30). Mais' il semble bien <(ue dans ce passage unique le mot àircVrî/îi n’ait pas d’autre signification que celle du verbe à-07T£/y£i>. Dans l'évangile de saint Matthieu, il n’est pareillement parlé que des Douze. Mat., x, 5 ; xx, 17 ; xxvi, 14, ^7- Marc, III, 14 ; IV, 10 ; vi, 7 ; ix, 35 ; x, 82 ; xi, 11 ; XIV, 10, 17, 20, 43. Quand saint Matthieu ne dit pas « les Douze >'. il dit les « douze disciples » . Mat., X, I ; XI, I ; XXVI. 20.
La constance des témoignages qui parlent des Douze ne permet pas de douter que ce choix de douze disciples n’ait été vraiment fait par Jésus en personne conformément au récit des Synoptiques. Voyez les récits de la vocation des Douze, Marc, iii, 18-19 ; Mat., X, 1-4 ; Luc, VI, 12-16. Cf. Wf.iszæckkr, Apostolische Zeitalter^ (Leipzig, 1902), p. 58/| ; Wernle, An fange unserer Religion (Leipzig, 1901), p. 71 ; Harxack, Mission, t. I. p. 268. Sur les divergences des listes des Douze données par les Synoptiques, voy. MoxNIER, f.a notion de l’apostolat, p. joo-108.
Sur la primauté de Pierre parmi les Douze, voyez l’article Piehue de ce Dictionnaire.
IV. — Mais si on en croyait certains critiques, il y aurait lieu de distinguer une notion primitive de l’apostolat, puis une notion pauline. enfin une notion postpauline ou catholique, et ces trois notions seraient irréductibles. Nous croyons qu’il s’agit là seulement de nuances et de moments.
Il est sur que Jésus a choisi douze de ses disciples pour les attacher par un lien spécial à sa personne et à son œuvre : il a fait d’eux ses témoins. Voilà pourquoi, au jour du renouvellement, les Douze siégeront sur douze trônes et jugeront les douze tribus d’Israël (J/r//., xix, 28), auxquelles ils auront porté l’cvangile du Christ. Y a-t-il une connexion entre ce nombre douze des apôtres et le nombre des tribus, en sorte que les Douze n’auraient de mission que pour
Israël ? Non, pas plus qu’on n’a le droit de dire que Jésus réservait son message au seul Israël, on ne peut dire que le nombre douze implique et confirme cette liniTtation. Voyez notre Enseignement de Jésus (Paris, 1905), p. 174-180, et notre Eglise naissante (Paris, 1909), p. 109-112.
Il est sur également que, au premier jour, on a attaché à ce nombre douze une importance spéciale qui s’est ensuite effacée. On en a la preuve dans l'élection de Mathias, en remplacement de Judas : le nombre douze est à ce moment un nombre que les onze veulent maintenir. « Il faut donc que, parmi les hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a A'écu avec nous, à partir du baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection » (Acf., 1, 21-22). Les onze survivants ont ceci de commun qu’ils ont été avec Jésus tout le temps de son ministère, et qu’ils sont maintenant les témoins qui certifient sa résurrection. Mais ils ont ceci encore de commun qu’ils ont été choisis par le Sauveur lui-même. Le douzième, qu’on va élire à la place de Judas, ne sera-t-il donc pas l'élu du Sauveur ? « Ils en présentèrent deux : Joseph appelé Barsabas et surnommé le juste, et Mathias. Et s'étant mis en prière, ils dirent : Seigneur, vous qui connaissez le cœur de tous, indiquez lequel de ces deux vous avez choisi, pour recueillir la place et le ministère de l’apostolat que Judas a laissé pour son crime pour s’en aller en son lieu ! On tira leurs noms au sort, et le sort tomba sur Mathias, qui fut associé aux onze apôtres » (Act., 1, 28-26). Mathias ne reçoit aucune imposition de mains : il est censé élu par Jésus.
Une autorité exceptionnelle est restée aux Douze, qui eux, au début au moins et quelques années durant, demeurèrent à Jérusalem. Si les Douze n'étaient pas encore missionnaires, s’ils témoignaient de JésusChrist sans sortir de la cité sainte, ils avaient une vraie intendance sur tout ce qui était mission au loin, et la preuve en est que Paul fut harcelé par de soidisant apôtres qui se réclamaient d’eux, et que Paul en fin de compte vint à Jérusalem pour se voir donner les mains par eux. Weizsâcker, qui a analysé leur situation avec beaucoup de finesse, observe tpie d’abord les Douze n’avaient pas intendance sur la communauté de Jérusalem seulement, mais sur les communautés en général ; et secondement que les Douze nous apparaissent, non pas comme un collège ou une corporation, mais comme des personnalités. Apostol. Zeitalter, p. 585.
En même temps, d’auprès des Douze des missionnaires partent et A’ont répandre l’Evangile dans le monde. Les sept qui sont élus pour aider les Douze (Act., VI, 1-6) sont des juifs hellénistes, et non plus hébreux comme les Douze : Etienne est mort trop tôt pour devenir un missionnaire, mais Philippe l’est devenu, et a porté le nom d'évangéliste (Act., viii, 5 et XXI, 8). Paul et Barnabe portent le nom d’apôtres et sont missionnaires. S’il est sûr que l’apostolat de saint Paul a été contesté par des judaïsants qui avaient à Jérusalem levu-point d’appui, il est sur que ces judaisants contestaient par-dessus tout l'évangile de Paul et sa propagande chez les incirconcis. Or un de leurs arguments était de contester à Paul la qualité d’apôtre, sans qu’aucun lui reprochât de n'être pas des Douze. Les adversaires de Paul avaient donc une notion de l’apostolat qui coïncidait avec celle de Paul, puisque le débat ne portail pas sur cette notion, nuiis sur la légitimité de l’attribution que s’en faisait Paul. Il a donc pu exister d’autres apôtres que les Douze, en y joignant Paul et Barnabe. Nous avons vu, en effet, saint Paul rapporter que le
Christ ressuscité est apparu cVabord à Ccplias, puis aux Douze (I Cor., xv, 5). Paul ajoute que le Christ est apparu ensuite « à Jacques, puis à tous les apôtres B (il- : v. rsîç àrî7rs/îu ràjtv, xA, 7). Eniin, il est apparu à Paul lui-même, « le dernier des apôtres » (xv, 8). Le groupe de « tous les apôtres » comprend tous ceux que Paul appelle ailleurs « les apôtres avant moi » .
Nous conclurons que l’apostolat des Douze ne s’oppose pas à l’apostolat de Paul comme une antithèse dont les deux termes s’excluraient. Il y a les apôtres, « tous les apôtres » , qui reçoivent leur mission du Christ ressuscité, Paul est le dernier des ajîôtres, étant le dernier auquel le Christ ressuscité est apI)aru. Il y a les Douze, cpii sont du nombre de « tous les apôtres » , mais qui représentent une élection antérieure faite par Jésus au coiu-s de son ministère, à une lin coordonnée d abord à ce ministère.
Quant à la notion « postpauline » de l’apostolat, elle consisterait en une élimination du souvenir des apôtres autres que les Douze et une sorte de monopolisation de l’apostolat pai-les Douze, considérés dès lors comme les fondateiu^s de l’Eglise. Ici encore les faits ne se ramènent pas à des vues si simplifiées.
Il est incontestable que de très bonne heure on n’a plus parlé que des douze apôtres. La Didaché par exemple, qui appartient (croyons-nous) à la seconde génération chrétienne, connaît encore des apôtres, missionnaires mendiants, contre lesquels elle met les églises en garde ; mais les grands apôtres ont disparu, ceux dont la Didaché se réclame, elle qui s’intitule « Enseignement du Seigneur aux nations par les douze apôtres » . Dans le même sentiment, l’Apocalypse parle de ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas (11, 2), et elle compte « douze apôtres de l’Agneau » (xxi, 14). L'épître de Barnabe parle de l'élection que le Christ a faite de ses apôtres pour prêcher l'évangile (v, g), ce qui implique que l’auteur de l'épître pense aux douze apôtres, et il le dit même clairement plus loin (viii, 3).
L’expression « les douze apôtres » est une expression synthétique plutôt qu’une énumération rigoureuse. Ainsi, on a dit les Douze, sans exclure pour autant Paul et Bai-nabé de l’apostolat, et sans s’inquiéter que les Douze fussent quatorze. En Aertu du même principe, on a pu dire que les Douze avaient prêché l'évangile à toutes les nations, ce qui n’est vrai qu’en un sens, puisque saint Paul revendiquait l’apostolat des gentils et attribuait à saint Pierre l’apostolat des circoncis, alors que Pierre a lui aussi prêché aux gentils, et alors surtout que des apôtres autres que les Douze et autres cpie Paul ont collaboré à la prédication primitive. Les Douze, par une simplilication qui n’a rien d’exceptionnel et moins encore de mensonger, ont sj^nthétisé ime prédication qui avait été l'œuvre collective d’apôtres peut-être bien plus nombreux. Qu’on se rappelle la vocation des soixante et dix disciples, dans saint Luc (Luc, x
Ces apôtres, ces disciples immédiats de Jésus-Christ, ces témoins de la vie, de la résurrection, de l'évangile de Jésus-Christ, se sont trouvés être, en ces premières années du christianisme où tout l'évangile était oral, la parole authentique et qui faisait foi : la parole de Jésus, et aussi bien sa personne, avait pour garant la pai’ole de l’apôtre. Saint Paul, parlant aux Galates de l’enseignement qu’il leur a donné, les conjure de ne pas « passer à un autre Evangile » (G<7/., i, G). Si quelepi’un. fût-ce un ange venu du ciel, vous annonce « un autre EAangile que celui que vous avez reçu » qu’il soit anathème (Gal., 1, 8-9). Quand les fidèles de Corinthe auraient & dix mille maîtres dans le Christ » ils n’ont qu’un apôtre qui les a
« engendrés en Jésus-Christ par l’Evangile » (I Cor.,
IV, 15). Timothée ira à Corinthe leur rappeler de quelle manière Paul c> enseigne dans toutes les églises » {Id., l’y). « Si quelqu’un croit être prophète ou riche en dons spirituels, qu’il reconnaisse que les choses que je vous ai écrites sont des commandements du Seigneur » (I Cor., xiv, 3^). « Si je retourne chez vous, je n’iiserai d’aucun ménagement, puisque vous cherchez une preuve que le Christ parle en moi » (U Cor., XIII, 2, 3). Rapprochez ICor., v, 4-5. Après avoir observé que chaque communauté une fois formée s’administre elle-même (entendez par une hiérarchie locale), Weizsacker écrit : « Un apôtre, qui fait part à une communauté d’une parole du Seigneur luimême, donne une è-try.yr ;, un précepte de caractère obligatoire. Voyez I for., vii, 10 et 25. Quand il n’a pas une jjarole du Seigneur à rapporter et quand il parle de son propre fond, il n’exprime plus qu’une /'ùy-r, , un simple jugement personnel, pour si grand qu’en soit le poids, et ayant d’ailleurs reçu du Seigneur la grâce d'être un sur garant (Id., vii, 25)… Distinguer les paroles du Seigneur lui-même de ce qui était l’esprit contenu dans ces paroles, n’est guère possible : les deux éléments sont unis chez saint Paul, c’est à savoir l'énoncé de la parole du Seigneur, considérée comme une loi, et les décisions fondées sur cette parole, et là est le fondement de l’autorité possédée par les apôtres primitifs. » Apostol. Zeitalter. p, 590. Si je cite ces lignes deWeizsacker, ce n’est pas pour laisser croire comme lui que l’autorité effective des apôtres implique une confusion entre l’autorité du Seigneur qu’ils attestent et la leur propre : mais c’est que "Weizsacker me semble avoir, bien mieux qu’Harnack qui minimise le rôle des apôtres, entrevu la plénitude de ce rôle. Les apôtres ont.de leur vivant et dans l'œuvre de la fondation des églises, une autorité que l’on ne* saurait mieux comparer qu'à celle de l’Ecritiu’c en tant qu’ils attestent la parole du Seigneur, une autorité cpii, en tant qu’elle s’attache à leurs propres avis, est comparable à celle du Seigneur qui les envoie. « Si quelqu’un se plaît à contester, nous n’avons pas cette habitude, non plus que les églises de Dieu » (I Cor., x, 16). En s’exprimant de la sorte, Paul exprime un principe d’autorité qui est reçu évidemment partout dans les communautés chrétiennes, et aussi bien dans celles dont il n’a pas été l’apôtre premier, par exemple l'église de Rome {Rom., VI, 'f). Et c’estainsi que, aux mains des apôtres de Jésus-Christ, est une autorité qui exiilique celle de la nouvelle Ecriture que sera le Nouveau Testament, celle de l’enseignement non écrit qui procédera d’eux jîar tradition.
La considération que, au second siècle, on aura pour les apôtres, le rôle qu’on leur reconnaîtra comme garants de la vraie doctrine et de la vraie Eglise, n’est pas un argument apologétique créé pour les besoins de la lutte contre le gnosticisme : c’est l’expression de ce qui fut la vie même des premières communautés chrétiennes. Saint Clément Romain, près d’un siècle avant saint Irénée, disait : a Les apôtres ont été faits pour nous prédicateurs de l'évangile par le Seigneur Jésus-Christ, et Jésus-Christ a été envoyé par Dieu » (lxii, 1). Voilà bien la notion catholique de l’apostolat, et on vient de voir comment elle tient, en fait, à l’origine même du christianisme.
BiELioGRAPniE. — Sur les apôtres, dans l’Ecriture, dans la Tradition, et dans la légende, on consultera Tillemont, Mémoires pour sen-ir à l’histoire ecclésiastique (Paris 1701), t. I. Cf. Lipsils, Apostelgeschichten u/id JposteLlegende (Brunsvvick 1883 et suiv.). Dans la théologie, Bainæl, art. « Apôtres v
du Dictionnaire de théologie (Paris 1901, fasc. vi) de Vacant. Nous avons cité, au cours de notre article ci-dessus les publications récentes qui intéressent l’apologétique : Lightfoot >'. Paul' s Episth to ilte Galatians (Londres 1890, io « édition), renferme un iuiportant excursus sur le nom et le rôle d’apôtre : Harnack. Mission iind Aiisbreitung des Christentums (Leipzig 1906, 2e édition), livre III, cliap. i, sur les missionnaires du christianisme primitif, est riche de faits, mais tendancieux ; H. Moxmer, La notion de l’apostolat, des origines à Irénée (Paris 1908). est une thèse anticatholique, expose lono-uement les vues protestantes sur le sujet. On pourra consulter de l’auteur du jjrésent article L’Eglise naissante et le Catholicisme (P-Ai’is, 1909). chap. II, p. 46-48. P-Batiffol.