Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Exégèse

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 914-929).

EXEGÈSE. —
I. Exégèse et méthode. — i. Antécédents de l’exégèse chrétienne, a) Ze commentaire palestinien, b) Uallégorisme de l'école judéo-alexandrine. 2. Origines de l’exégèse chrétienne. « ) N.-S. Jésus-Christ et l’Ancien Testament, b) Les auteurs du Nouveau Testament, surtout saint Paul. 3. Exégèse patristique. a) Les Pères apostoliques, b) Les Apologistes du ii'= siècle, c) L'école d’Alexandrie, d) L'école d’Antioche. e) L’exégèse des Latinsauxiv^ etv^ siècles : saint Jérôme, saint Augustin. 4- Conclusion.


II. Exégèse et dogme. — i. Les abus, a) Moins considérables du côté des catholiques que du côté de leurs adversaires, b) Exégèse tendancieuse. 2. Développement du dogme et exégèse historique. a) En quoi ils consistent, b) Intention divine et intention humaine, c) Exégèse historique.


III. Exégèse, tradition et église. — i. Etat de la question, i. La législation de l’Eglise, a) Sa nature, b) Son objet. 3. Valeur historique de la tradition ecclésiastique en matière d’exégèse.

A ne tenir compte que de l'étymologie (uryr.rtç, e.tplication), le terme d’exégèse peut s’entendre de l’interprétation de n’importe quel texte ; pratiquement, il ne se dit guère que de l’explication du texte biblique. L’exégèse est scienlitique dans la mesure où elle dépend de principes d’ordre rationnel, elle est authentique (on dit encore traditionnelle ou ecclésiastique) si elle se fonde sur la tradition apostolique et l’enseignement de l’Eglise. L’exégèse adéquate des Livres saints, telle que l’entend l’Eglise, réunit ces deux caractères.

On fait à l’exégèse catholique trois griefs que l’apologiste doit discuter. Elle serait a/-/. » /f/ « z7e, sans principes ni méthode ; dogmatique, inspirée par la formule actuelle du dogme et préoccupée avant tout de la retrouver dans le texte ; asservie à la tradition et au magistère de l’Eglise, manquant, à cause de cela, de la liberté nécessaire à toute recherche scientifique. Pour ces raisons, il y aurait incompatibilité entre l’exégèse traditionnelle et l’exégèse dite historique.

I. Exégèse et méthode. — Dans l’article consacré à I’Inspiration biblique, on étaljlira que le caractère transcendant reconnu par le croyant à la Bible, à cause de son origine divine, n’est ni un préjugé ni un postulat injustifié ; ici, qu’il suffise de faire voir que, nonobstant ce point de départ, l’exégèse traditionnelle a toujours été conduite d’après certaines règles. Il est vrai que l’herméneutique sacrée n’a été formulée que progressivement, mais tous les arts en

sont là. Il y aurait de l’infatuation, et plus encore de l’ignorance, à s’imaginer que la « science » des Ecritures commence, au xviii' siècle, avec Semler. Wetstein et Ernesti. Ces auteursprotestants ont contribué à fonder l’exégèse rationaliste, mais ils n’ont pas inventé, ni même formulé, les premiers, des règles rationnelles pour l’interprétation de la Bible. La meilleure façon de justifier l’exégèse traditionnelle est d’en faire l’histoire.

I. Antécédents de Vcrégèse chrétienne. —

a) Dès le second siècle avant notre ère, les Scribes ou Docteurs de la Loi, pour la plupart de la secte des Pharisiens, expliquaient le Livre sacré dans les écoles publiques de la Palestine. Les résultats de cette exégèse primitive sont restés consignés dans le Targoum et le Midras. Ses règles ne tardèrent pas à être systématisées par un contemporain de J.-C, Rabbi Hillel ; plus lard, elles furent développées par R. IsMAiiL, et surtout par R. Eliézer. Les Juifs crojaient déjà que leurs Ecritures avaient sur les textes simplement humains l’avantage d'être révélatrices de choses mystérieuses et cachées, notamment de celles avenir. D’autres peuples de l’antiquité ont cru être en possession de livres fatidiques ; ce qu’il y a de particulier dans la tradition des Juifs, c’est la façon de dégager de leurs textes sacrés le sens prophétique. D’ordinaire, ils le demandent directement aux mots, comme dans Ge/i., XXVI, 4 ; xlix, lo ; ^Ao/wi., xxiv, i^ ; Am., iii., 1 1, etc. ; mais, souvent aussi, ils cherchent et découvrent un sens plus bas que la lettre, dans les choses elles-mêmes : personnes, institutions, événements. A leurs yeux, ce sens mjstérieux est légitime, parce qu’il est voulu de Dieu, l’auteur principal des Ecritures. Grâce à cette signification, qui entre dans le plan divin, l’histoire d’Israël prend, d’un bout à l’autre, un caractère sjmbolique ; elle devient une figure de « l'âge à venir », du Messie et de son Royaume. C’est pourquoi ceux qui dressèrent le Canon hébraïque ont rangé les historiens sacrés parmi les Prophètes (npbiim). L’appendice très compréhensif consacré par Edersiieim, The. Life and Times of Jésus tlie Messiah, igoi, II, p. 710, aux textes de l’A. T. regardés comme messianiques parmi les Juifs, donne à connaître que le sens prophétique résultait pour eux tantôt de la lettre et tantôt des choses signifiées par la lettre.

Naturellement, ce sens profond et caché (sôd) se laissait chercher. Aussi bien, l’exégète était-il appelé

« chercheur » (darsan) et son œuvre « recherche ou

étude » (midras). Le midras haggadique (de l’hébr. higgid, raconter) était plutôt moral et populaire ; il visait directement à l'édification religieuse ; tandis que le midras halakhique était un commentaire juridique, ayant pour objet de retrouver dans le texte de la Loi mosaïque la tradition des Scribes, et de résoudre avec ce même texte tous les cas de conscience que des circonstances nouvelles faisaient- naître à l’infini. Il va sans dire que ce double commentaire eut ses excès, et ils furent grands. Pour trouver dans les Ecritures tout ce qu’ils y cherchaient, les Scribes en vinrent à prétendre que chaque mot de laïhorah (le Pentateuque) était susceptible de soixante-dix explications différentes. La Bible était l’unique livre des Juifs, il devait tout contenir. En outre, à cause de l’unité qu’elles tenaient de leur commune origine divine, toutes les Ecritures étaient censées formei" contexte. De là l’habitude, dès cette époque jirimitive, de les citer en rapprochant différents passages pris dans n’importe quel livre, à raison de l’analogie ou même de la dissemblance qu’ils présentaient. Ces citations composites, dites haraz « enfilade », rappelaient assez bien les centons des scoliastes grecs. Dans 1813

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le commentaire des Scribes, l’arbitraire, l’intempérant, le subtil et l’absurde voisinaient pèle-mèle avec des interprétations plus sobres, mieux établies, qui devaient rester. Du reste, il ne faut pas perdre de vue que les Docteurs de la Loi ne sont pas dupes de leurs procédés exégétlques. Comme ils reconnaissent à leur tradition une valeur indépendante des textes, la j.reuve scripturaire n’est le plus souvent, à leurs yeux, qu’un conlirmatur, un ornement, bref un hommage rendu au Livre. Ce qu’ils tiennent pour indiscutable, c’est qu’il y a dans l’Ecriture « lettre et esprit)>. La formule n’est pas encore trouvée, mais la chose existe déjà, et elle remonte aussi haut que lexégèse biblique.

Weber, Jildische Theolo’^ie aitf Grand des Talmud, iSq^’^, p. 86, 109-125. E. SciiiiRER, Gescliichle des jiid. Volkes, 18983, II, p. 330 ; III, 548. L. AVogue, Ilisi. de la Bihle et de l’exégèse biLl. jusqu’à nos jours, 1881. W. Bâcher, 7)ie âltesie Terminologie der judiscli. Scliriftausleoung, 1899. L. Dobschiitz, Die ein fâche Bibelexegese der Tannaiten, 1893. H. S. Hirschfeld, Halachische Exégèse, 1840 ; Die Ilagadische Exégèse, 1847. W. Bâcher and Me Curdy. Bible Exegesis dans’J’Iie jeirisli Encrclopedia, igo3, III.

b) L’exégèse des Juifs vivant dispersés au milieu des Gentils ne différait pas essentiellement de celle pratiquée en Palestine. Son trait caractéristique a été (i l’allégorie ». C’est à Alexandrie, grâce surtout à Philon, que ce système d’herméneutique fut florissant. Le principe fondamental de l’interprétation allégorique appliquée à la Bil)le est d’ordre rationnel, savoir que le texte sacré ne saurait être pris au pied de la lettre, aussi souvent quentendu de la sorte il énoncerait quelque chose indigne de Dieu, contraire à la saine raison et à la morale, ou encore mettrait un passage de l’Ecriture en contradiction avec un autre. Dans tous ces cas, disaient les allégoristes, il faut supposer que Dieu a voulu donner à entendre autre chose que ce que la lettre paraît signifier de prime abord. C’était voir dans le texte biblique une allégorie, au sens littéraire du terme, ay/î-àvîcîvoj dire une chose pour en faire comprendre une autre.

Philon assimile l’Ecriture au composé humain, elle a corps et àme. De niigr. Abrah., 93 ; De conf. ling., 190. Quand rien ne s’j- oppose, il retient le sens corporel ou grammatical de la lettre (rj pr-d-j), — aujourd’hui, nous dirions que son commentaire est, dans ce cas, littéral, ou plutôt réaliste ; — ce qui ne l’empêche pas, même alors, d’éditier sur ce premier sens, qu’il estime infime, Ijon tout au plus pour un lecteur vulgaire, des considérations morales et mystiques. Quand il ne retient que l’àme ou mieux l’esprit de l’Ecriture, c’est-à-dire son sens allégorifjue. c’est le plus souvent dans les passages où les modernes ne voient qu’un sens littéral figuré, par exemple celui qui se dégage des anthropomorphismes. Il allégorise encore certaines lois dont il estime l’observation à la lettre impossible, ou même des événements qui lui paraissent incompatibles avec le caractère du texte sacré ; mais il est si loin de n’avoir reconnu aucune réalité à l’histoire biblique qu’il proteste expressément contre ceux qui allégorisent tout. De niigr. Abrah., 16. Du reste, il faut conenir que Philon s’exprime trop souvent d’une fa^oii confuse et fuyante. Il n’est pas rare que nous soyons end)arrassés pour dire si, oui ou non, son commentaire allégorique se substitue ou s’ajoute au commentaire littéral. C’est ni)tamment le cas de l’histoire des patriarches. Philon n’a codilié nulle part les règles du commentaire allégorique, mais il sait qu’il y en a ; à l’occasion il justiiie tantôt l’une et tantôt l’autre. Sieoi-rie », Philo von Alex, als Ausleger des A. T., p. 165.

Faut-il se représenter le thcosophe alexandrin

comme créant de toutes pièces l’allégorisme biblique ? Lui-même a protesté contre cette appréciation sommaire de son anivre. Il a conscience de ne rien innover, mais seulement de développer. Il connaît, autour de lui, trois sortes d’exégètes : des « littéralistes », dont il parle avec assez de dédain, même il les traite de sophistes ; des « rationalistes », apostats de la religion de leurs pères, qui n’ont droit qu’à son indignation ; enlin des « allégoristes » qui savent le secret d’accorder la Bible avec la culture hellénique. En plus de Aingt passages, il parle des devanciers qui lui ont ouvert la voie dans cette direction. Zeller, Die Philosophie der Griechen, 1903, III, 2, p. 285 ; E. Bré-HiER, Les idées phil. etrelig. de Philon d’Alexandrie, 1908, p. 55.

Avant Philon, il existe déjà à Alexandrie une exégèse allégorique traditionnelle. Comment en expliquer les origines ? C’est une question encore ouverte. A rencontre des conclusions de Frankel, de Siegfried, de ScHi’.RER, etc., il y a tendance aujourd’hui à rendre compte de tout par les influences helléniques. D’après M. Brkhier, op. cit., p. 45-61, le commentaire allégorique de la Bible serait un produit naturel de la culture judéo-alexandrine. Ce n’est pas en Palestine, mais en Egypte, aux portes d’Alexandrie, parmi les Thérapeutes, qu’il faudrait chercher les premiers précurseurs de Philon. M. Bréhier n’ignore pas que Philon, Quod omn. prob. lib., 12, dit expressément que les Esséniens, qui habitaient sur les bords de la mer Morte dès avant le règne d’Aristobule I" (io5 av. J.-C), allégorisent déjà à la façon des anciens, àoyctorporru :. Mais l’auteur ne reçoit pas le témoignage de Philon à ce sujet, il préfère s’en tenir à ce que celui-ci a écrit dans le traité De vita contemplativa, (Conybeare, p. G4), encore que l’authenticité et la portée réelle de cet écrit soient chaudement contestées.

Malgré tout, rien ne s’oppose à ce que nous maintenions un point d’attache entre le commentaire alexandrin et le commentaire palestinien. Il est vrai que les derniers livres du Canon hébraïque, quand ils utilisent les textes plus anciens, le font d’après une exégèse littérale ; bien plus, dans les écrits d’origine grecque, comme la Sagesse, ou encore dans l’Ecclésiastique, traduit en grec de bonne heure, on ne recourt pas à l’interprétation allégorique, de la façon dont on la pratiquait à Alexandrie. Mais on } rencontre çà et là des traits qui rappellent nettement le midras palestinien. Tout en retenant la réalité de l’histoire biblique, l’Ecclésiastique, xliv-l, et la Sagesse, x-xix, s’attachent à sa valeur didacticjuc. Là où le texte ancien s’était borné à rappeler le fait, l’auteur de la Sagesse met en relief le caractère « monumental » du lait, en s’aidant, à l’occasion, de la tradition populaire. Cf. x, 7 (Gen., XIX, 26) ; xvi, 5-7 (IVomb., xxi, 9). Ailleurs, xA’i, 20-21, il idéalise le fait à cause de la réalitéspirituelle qu’il figurait par avance (cf. Exod., xvi, 31 ; Aomb.. XI, 5-8 ; xxi, 5). Un autre exemple intéressant de sa manière est la façon dont il traite, au chap. xvii, la plaie des ténèbres survenues en Egypte ; non seulement à cause des dévelopi)einents qu’il donne à deux Aerscts de l’Exode, x. 22-23, mais encore parce qu’il j » asse des ténèbres extérieures aux ténèbres intérieures qui devaient remplir d’elfroi les Egyptiens. Dans le même lire, les Egyptiens ne sont j)lus simjilement les habitants de la vallée du Nil, mais les impies en général, et, par contre, les Israélites deviennent les justes. Ce caractère typique s’accuse encore dans l’absence de noms j^ropres. Adam s’ai>i)ell<’l’Homme, le .Juste se dit indill’éremmentdeJoseph.de Lolh et d’Abraham ; le Serviteur de Dieu, c’est Moïse ; le Pèlerin(fugitiO, c’est Jacob. Pas un j)alriarche n’est aj)pelé de son nom. Israël lui-même n’est nommé qu’une fois, xi, 5 ; partout ailleurs il est appelé « mon peuple >. IL Bois, 1815

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Essai sur l’origine de la philosophie alex., 1890, cite encore d’autres exemples. Les anthroponiorpliismes des vieux textes sont remplacés, dans la Sagesse, par des équivalents. Les traducteurs grecs, qui devaient porter le nom de Septante, en avaient déjà fait tout autant, et sous l’empire des mêmes préoccupations. Gen., I, 2, VI, 2 ; Ps.iA, 14 ; ^s., vi, i, etc. Cf. SwETE, Introd. ta the O. T. Greek, 1900, p. 315. Dans son apologétique, l’auteur de la Sagesse tient compte de l’aspect nouveau pris par la ditiiculté. A la question : Que sont devenues les promesses faites par Dieu à Israël ? il répond en subordonnant expressément les biens temporels aux biens spirituels, la vie présente à une vie future. Cf. m et iv.

Il y avait déjà dans cette intelligence spirituelle de la Loi et des Prophètes une note évangélique. Les Juifs avaient été préparés à la comprendre. Les psaumes dits historiques (lxxvii, civ-cvi, cxxxiv, cxxxv) voient dans l’histoire d’Israël non seulement une leçon morale, mais encore une « figure » de l’avenir. Voilà pourquoi l’auteur du ps. lxxvii, 1-2 (Vulg.) appelle son œuvre un masal, c’est-à-dire un I)oème mystérieux, une méditation religieuse, dont le sens caché se fait chercher. E. Reuss a pu dire avec raison que, sous sa plume, l’histoire biblique devient une « théorie », sans cesser d’être un récit. C’est dans cette tendance à faire prévaloir l’esprit sur la lettre, comme encore dans le commentaire i)alestinien midraèique, qu’il faut, semble-t-il, chercher le jioint de départ de l’allégorisme judéo-alexandrin. Mais pour en venir à la négation du sens historique, il fallait franchir une étape décisive, passer du « ligurisme » juif à l’allégorie littéraire, telle que les Grecs l’entendaient. Ce devait être l’appoint de la culture hellénique. Depuis longtemps, les Stoïciens faisaient l’apologie des poètes, surtout d’Homère et d’Hésiode, par l’exégèse allégorique. De la sorte, ils transformaient l’histoire scandaleuse des dieux en symboles littéraires, dont l’unique objet aurait été de donner à entendre des doctrines ou d’exprimer des réalités d’ordre psychologique. Philon se crut le droit d’en faire autant aA’cc la Bible. Cette exégèse avait, à ses yeux, un double avantage. Du coup, elle supprimait nombre de ditricultés, soulevées par les Grecs contre le réalisme des Ecritures juives et leur manque de philosophie. En outre, elle lui permettait de maintenir, en face de la Sagesse grecque elle-même, l’absolue transcendance doctrinale de la Bible si chère à toute âme juive. Déjà se répandait parmi les Juifs d’Alexandrie l’opinion, qui devait avoir une si étonnante fortune, des emprunts faits à Moïse par la Sagesse grec([ue. E. GisMONDi, La Bihbiae la Sapienza greco, 189^. Aux Pjthagoriciens Philon doit sa théorie sur la valeur des nombi’es, mais c’est aux Platoniciens qvi’il a pris ce qu’il y a de caractéristique dans son interprétation allégorique : le rapport de l’histoire extérieure d’Israël avec l’histoire intérieure de l’àme. Le monde matériel est un symbole révélateur du monde intelligible, bien mieux, il lui a servi de modèle, ri ToO (jiy.vjcfj.i-jvj T’/Oôs àpyéxur.o-j, De conf. liiig., 34.

En résumé. L’exégèse judéo-alexandrine relève bien d’une tradition juive. A Alexandrie comme à Jérusalem, on admet que la Bible a un sens mystérieux, en quelque sorte « sublittéral » ; les hellénisants l’appellent ù-ndvnr/.. Seulement, les Alexandrins en vinrent non seulement à faire prévaloir ce sens, mais à le retenir exclusivement, du moins en bien des cas, comme si l’auteur du texte sacré n’avait eu en vue que lui seul.

A. Gfrôrer, P/(170 und die alex. Theosophie, 1831, I, p. 68. Frankel, Einfluss der palest. Exégèse auf die alexand. Ilenneneiitik, 1851. Siegfried, Pliilo von Alex, als Aiisleger des A. T., 1875. Ryle, Philo

and Iloly Script., iSgS. E. BuÉiiiKn, Les idées phil. et relig. de Pliilon d’Alexandrie, 1908, p. 35 ; Cornmeut, allégor. des saintes Lois, 1909. Martin, Philon, dans la coUect. Les grands p /hVoso/vA es (Alcan), 1909. Decharme, Critique des traditions relig. chez les Grecs, 1906, p. 270, 347- Loris, Doctrine relig. des philosophes grecs, igog, p. 247- Gefecken, Allegory, dans « Encycl.of Relig. and Ethics », 1909, I, p. 828.

2. Origines de iexégcse chrétienne. — « ) N.-S. Jésus-Christ recourt souvent au texte de l’A. T. ; Isa’ie, les Psaumes et le Deuléronome sont ses livres préférés. DanslesEvangiles, il ne cite expressément l’Ecriture qu’une quarantaine de fois, mais son langage a constamment une saveur biblique. (En ce qui concerne les citations dans S. Marc, voir Swetb, The Gospel accord, to S. Mark, 1906, p. Lxxvi.) Jésus suppose admis le sens messianique des Ecritures, auxquelles il en appelle plus d’une fois pour établir qu’il est le Christ promis à Israël. Marc, xiv, 49 (Mat., xxvi, 56) ; Luc, IV, 21, VII, 22, XXIV, 44 ; cf. Jean, v, 89, xix, 28. Quanta sa manière de les expliquer, la foule lui rend spontanément le témoignage qu’elle ne ressemble en rien à celle des Scribes et des Pharisiens. Marc, i, 22. Ceux-ci se réclament d’une tradition humaine, celle des Anciens ; tandis que lui, il parle comme quelqu’un qui a autorité, qui tient sa « maîtrise » de Dieu lui-même. Jean, iii, 2. On sent qu’il est le maître des Ecritures, tout comme il s’est déclaré maître du Sabbat et plus grand que le Teinyile.Marc, 11, 28 ; Mat., xii, 6. Il reproche aux Docteurs de la Loi d’en altérer le sens. Mat., xv, 3-^, et auxSaducéens d’en méconnaître le caractère, 3/12/c, xii, 24. Dans le parallèle que Jésus établit entre la Loi des Anciens et celle qu’il prêche lui-même, son exégèse est admirable de clarté et d’élévation. Mat., v, 17-48. Elle va droit aux choses, à la différence des Scribes qui s’attachent superliciellement à la lettre. S’il rapproche les textes, ce n’est pas pour en tirer un vain cliquetis de mots, mais pour les éclairer les uns par les autres et en dégager les Aérités fondamentales de la A’raie religion, celleci par exemple : La loi est pour l’homme et non pas l’homme pour la loi. Marc, 11, 25 ; Mat., xii, 5 8, xv, 2, XXII, 29-80. Certes, il maintient la « lettre », mais cette lettre n’est qu’un signe, un moyen matériel d’atteindre le sens. C’est dans le sens seulement que palpite l’esprit qui animait les Prophètes. II Petr.,

I, 21. Le messianisme prêché par eux est avant tout d’ordre spirituel ; les « promesses » ont été faites à la postérité d’Abraham, qui descend de lui par l’esprit et non pas seulement par la chair. Mat., viii, 1 1 ; Luc, XIX, 8 ; Jean, viii, 89. Le Royaume de Dieu, tel que Jésus l’entend, n’a rien de l’appareil mondain et tapageur dont les apocalypses juives l’accompagnent ; même, il est, sans comparaison, plus spirituel, surtout plus religieux, que celui de Philon. Vita Mos.,

II, 8 ; De execr., ç^ ; De præni. et poen., 19. Cf. Freppel, Les Pères apostoliques, p. 70.

Une seule fois, la manière de Jésus semble rappeler l’exégèse froide et subtile des Scribes, quandilrépond aux Saducéens que Dieu n’est pas « un Dieu des morts, mais des vivants ». Mat., xxii, 31-33. En y regardant de près, on s’aj)erçoit que le raisonnement de N.-S. est concluant. Dans la Loi (c’est-à-dire le Pentatcuque, la seule portion des Ecritures reçue des Saducéens), Dieu se donne lui-même comme étant actuellement le Dieu des Patriarches, bien que ceuxci soient morts selon la chair, depuis longtemps. C’est donc qu’ils vivent encore quelque part selon l’esprit. Cf. J. LiGHTFOOT. //o/Yf^ /16>/^r., in Mat. xxii, 82. Du reste, dans son interprétation des Ecritures, J.-C. suppose les notions couramment admises. C’est ainsi que, dans le présent passage, survivance de l’àme et 1817

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foi dans la résurrection sont envisaj^ées comme une seule et même chose, parce que, d’après la conception juive, les âmes justes n’étaient gardées dans le ieol qu’en vue d’une résurrection future. Ailleurs, les croyances populaires, même celles où le trait légendaire s’était peut-être fait une place, sont utilisées, c’est-à-dire servent à enseigner autre chose. Cf. Mat., XII, 43 avec les comm. de Maldonat, de Knabenbauer et de Plummer in h. l. — Jésus cite comme on faisait de son temps. Il combine parfois différents passages qu’une identité ou similitude de sens autorisait à rapprocher. Marc, xi, 17 (/s., lvi, ’^, Jéi-., vii, 11) ; il adapte légèrement le texte, en se fondant sans doute sur des précisions données au passage par l’exégèse courante. Marc, x, 11, 10 ; J/rt/., xxi, ^^ (cf. Âct., iv, 1 1, Jlom.. IX, 33, 1 Petr., ii, 6). Parfois il fait d’une parole de l’Ecriture la formule de sa propre pensée. Luc, xxiit, 4tJ.

L’exégèse de J.-C. est littérale, mais non littéraliste, au sens défavorable du terme ; jamais elle ne sacrifie l’esprit à la lettre ; encore moins est-elle allégoriste, à la manière des Alexandrins. Chose étonnante, elle est tributaire du « iigurisme » palestinien beaucoup moins qu’on aurait pu s’}' attendre. Hal>ituellement, presque toujours, N.-S. se contente du sens littéral ; quatre fois seulement, Marc, ix, 13 ; Mat., xii, liO ; Jean, III, i/), VI (Elie, Jonas, le serpent d’airain, la manne), il autorise l’interprétation tjpique, qui édifie un sens spirituel prophéli(iue sur le sens littéral historique, d’après le procédé courant des Scribes (voir ci-dessus I, I, a), auquel les auteurs du N. T. devaient souvent recourir.

Il) L exégèse des auteurs du N. T. ne présente aucun caractère qui soit réellement nouveau, elle a seulement accentué certains traits de l’exégèse communément reçue des Juifs et pratiquée par le Christ en personne. Ils y font au sens spirituel une large place, mais, même alors, leur commentaire contraste avantageusement avec celui des rabbins par sa sobriété et le soufïle de vie religieuse qui le pénètre.

1° Tous les auteurs du N. T., saint Paul surtout, citent les Septante. Il n’est pas jusqu’aux citations scripturaires de Jésus lui-même qui ne soient rapportées d’après la teneur de la version grecque courante. Mais on peut se demander si cette circonstance n’est pas le fait des évangélistes. On s’en tient à cette manière de citer, même dans les passages où le grec s’écarte de l’iiébreu, tel du moins que nous le lisons aujourd’lnii dans l’édition massoiétique. Les exemples les plus connus sont Marc, 1, 2-3 ; Ilebr., i, 6-7, x, 5-7, 37, XI, 21, XII, 5-6, 26.

2° Les rapports de l’A. T. et de l’Evangile tiennent dans la formule de S. Paul : La fin de la Loi, c’est le Christ, Rom., x, 4- C’est vers lui que tendaient toutes les anciennes Ecritures. Maintenant qu’il est venu, c’est en lui, et en lui seulement, qu’elles sont i)leinement intelligibles. Le Christ (Jésus de Nazareth ) est l’Esprit quivivilie, sans lui la Lettre n’est bonne qu’à tuer. II Cor., iii, 4-18. L’histoire évangélique est la clef de la Loi et des Prophètes. La catéclièse primitive des Apôtres, comme aussi la liturgie chrétienne, ont invariablement deux parties : la propliétie de l’A. T., et, en regard, l’histoire racontée dans le Nouveau. ^ic^, i, 16, 11, i ! , iii, 12, iv, 8, vii, i, VIII, 30, X, 34, XIII, iG, xv, 7, XVIII, 28, xxir, i, xxiv, 10 ; XXVI, 24 ; xxviii, 20, 23. Ce procédé d’exégèse et d’apologétique était légitime. Ne lisait-on pas dans le Dcutéronome, xviii, 22, qu’à l’événement on discernerait la vraie projjhétie de la fausse ; que le Messie, docteur suprême, une fois venu, il faudrait l’écouter. Par sa vie et sa doctrine, il devait manifester la vraie nature du Royaume de Dieu. Jusque-là, bien j des textes resteront énigmati<iues. Iloni., xi, 26, ’xvi, 25 ; I Cor., ii, 7 ; xv, 51 : II Cor., v, 16 ; Eph., i, 9, III, 3-4, 9 ; Col., I, 26 ; II, 2 ; IV, 3.

Le sens messianique donné à certains textes, Mat., 1, 23 : 11, 15, 18, surtout entendus littéralement, étonne le lecteur d’aujourd’hui ; mais la manière dont les auteurs du N. T. les introduisent avec ce sens, cest-à-dire de piano, sans juslilication d’aucune sorte, donne assez à comprendre que ces passages étaient couramment appliqués au Messie, du moins du côté des chrétiens. De ce que les Juifs du II siècle se refusaient à entendre Isaïe, vii, 14 de la conception virginale, comme faisaient les chrétiens (S. Justin, Dial., xuii, lxvu), il ne faut pas se hâter de conclure qu’il en a été de même dans la première moitié du 1" s., avant la controverse entre Chrétiens et Juifs. S’il n’y avait pas eu une série de textes précis et connus de tous concernant la résurrection du Christ, S. Paul se serait-il contenté d’écrire : Resurrexit tertia die secnnduni Scripturas. I Cor., xv, 4’3° La distinction entre la « lettre et l’esprit » trans-Ogurait les Ecritures, ou plutôt en révélait tous les trésors. Elle permettait d’y découvrir partout le Christ, du moins zKrànviv^uiK. Cf. Saxday, J’he Epistle to the Romans, 1900’, p. 302. De tous les sens spirituels, le plus utilisé dans le N. T. est le sens « typique » ou « Oguratif ». Le mot est de S.Paul, z-^-i/.’ :. : , in figura, l Cor., X, Il ; cLRom., v, 1 ^ ; vi, 17 ; I Cor., y., 6 ; I Tliess., 1, 7, II Tltess., 111, 9. Ce sens est essentiellement prophétique. A la lettre, un texte concerne une chose, un événement, une personne de l’histoire biblique ; mais « selon l’esprit « se rapporte à une chose future du N. T., et, le plus souvent, au Christ en personne. Jean, xix, 36 ; Rom., v, 12-21 ; I Cor., , ~j, X, 3-4, 6-1 1, XI, 7-18, XV, 4Ô ; Gal., IV, 23-24 ; Col., 11, 7 ; Epltes., V, 22-33 ; Hebr., i, 5, 7, ix, 9, iii, 14, x, i, xii, 22 ; Apoc, II, 7, xxii, 2.

Parce que l’objet de ce sens est d’ordre spirituel et qu’il n’est perceptible que sous l’action de l’Esprit de Dieu, les choses auxquelles il est attacliérevêtent, par le fait mêmCj une sorte d’être spirituel. Aussi bien, S.Paulparlede « nourritureet de boisson spirituelle » à propos de la manne et de l’eau tirée par Moïse du rocher. I Cor., x, 3-4. Une fois même il emploie le terme d’allégorisation, ûnvy.i^zi-j c/J)r ; /opoju.i, iy.. Gal., i, 24 ; mais il est aisé de s’apercevoir que son exégèse allégorique n’a rien de commun avec celle de Philon. Elle sauvegarde le sens littéral, auquel elle s’appuie. Adam et Eve restent, pour l’Apôtre, des personnages historiques, /("ow., v, 12-20 ; I To/-., xi, 8-12, xv, 45-46 ; Eph., , ’ii-^Z, I Tim., 11, 13 ; tandis que pour Philon, Leg. alleg., II, 1-9, ils ne sont, semble-t-il, rien autre que la Raison et la Sensualité. Cf. J. B. Ligiitfoot, S. Paul’s epistle to the Galat., 1900, p. 198-200 ; F. Prat, Théologie de S. Paul, t. I, 1908, p. 253.

Il est manifeste que, dans sa manière d’envisager le sens tjpique, S. Paul relève du « Iigurisme » palestinien. Enva-t-ilde même de l’épilre auxHébreux ? On a prétendu que non. Mais, ce faisant, on a confondu son ])rocédé exégétique aec la conception philosophique que l’auteur se fait des rajjports du monde visil)lcet du monde invisil)le, qui se trouve en ellet être conformeàrexemplarisme alexandrin. Voir ci-dessus I, 1°, h. Quand il interprète les textes des anciennes Ecritures, il le fait tout comme S..Paul. Pour seconvaincre qu’il maintient la réalité de l’histoire l)ibli(]ue, il sullit de lire son chap. xi, où il résume toute l’histoire sainte, d’Abel aux Prophètes. Aux cliap. m et v, il maintient le personnage historique de Moïse, d’Aaron et de Melchisédech ; mais il voit en eux une figure transitoire du Christ législateur et prêtre. Le judaïsme tout entier n’était qu’une

« ombre » du christianisme, viii, 5, qui, à son tour, 

est une « image » du ciel, où se trouve la « réalité » ; 1189

EXEGESE

1820

VIII, 5 ; X, I. La terminologie elle-même de l’épître aux Hébreux n’est pas aussi différente de celle de S. Paul qu’on Ta dit. Dans l’épître aux Colossiens, ii, 17, l’Apôtre appelle « ombre », : y.i’y., ce qu’il appelle plus communément ailleurs « type n ; il donne le nom de « corps » à la réalité de 1’x antitype ». Du reste, il faut convenir que l’emploi des termes TiiTrîç et

« vTiTvr’. ; dans le N. T. n’est pas uniforme. Pour s’en

assurer il n’y a qu’à rapprocher Boni., v, 14 ; Helir.,

IX, il’i I Petr., iii, 21. B. P ^VESTCoTT, The epistle ta the Hebrens, igoG-*, p. 4/2, et F. Prat, Théol. de S. Paul, 1908, p. 514, ont fait un relevé exact des citations bibliques qui se rencontrent dans l’épître aux Hébreux.

4° Que, dans l’usage qu’il fait de l’Ecriture, S. Paul se ressente de son éducation rabbinique, c’est un fait qui n’a rien de surprenant. Plus que les autres auteurs du N.T, il recourt aux citations composites ou par « enfilade ». Rom., iii, 10 ; cf. Sanday, J’he epistle to the Bomans, igoo’, p. 77, 264, 288 ; mais ce procédé ne lui est point particulier. Ci. Marc, i, 2 ; Mat., xxvu, 9. Il adapte le texte pour le rendre plus intelligible ou même plus probant. Dans ce dernier cas l’Apôtre doit se fonder sur une exégèse courante du passage. Boni., ix, 25-33, x, 6-8 ; Il Cor., i, 18. (Cf. Mat., II, 6, XXVII, 10 ; Act., i, 20). A supposer que, de ce cLef, le raisonnement perde parfois quelque peu de sa portée absolue, il reste, pour le moins, une argumentation ad honiinem, dont toute logique humaine reconnaît la valeur. De l’adaptation à l’accommodation il n’y a qu’un pas, et les hagiogi’aphes l’ont plus d’une fois franchi. Rom., x, 18 ; I Cor., ix, 9. Au sentiment de graves exégètes (Jansexius de Gand, Maldonat, D.Calmet) la simple accommodation d’une parole d’Ecriture peut être introduite par les formules : tune impletum est, ut adimpleretur. La-GRAXGE, La méthode historique…, 1908, p. 99-104. D’autres auteurs sont x^lus exigeants à ce sujet. Cf. CoRNELY, Hist. et crit. Inirod. in l’. T. Ubros, S%h,

I, p..555 ; Ubaldi, Introd. in S..S., 1881, IIl, p. 128 ; Delattre. Autour de la question biblique, 1904, p. 345 ; Patrizi, Inst. de interpret. Bibliorum, 1844.

n. 477 Tout en convenant que par son exactitude à interpréter la lettre, par sa modération dans la recherche et l’emploi du sens spirituel, S. Paul est incomparablement supérieur aux Scribes de son temps, on s’est néanmoins demandé si, en certains passages de ses épîtres, il n’a pas retenu quelque chose de leur commentaire haggadique. Voir ci-dessus, I, 1°, «. N’a-t-il pas accepté des traditions populaires à cause de leur utilité didactique ? On signale les points suivants, y.) Le rôle des mauvais anges dans la séduction de la première femiue et la perversion du genre humain. II Cor., XI, 2-3, 8-10 ; 1 Tim., 11, 12-15 qui ferait allusion à Gen., iii, vi, i-4 et Sa^., ii, 24. /’) Le rôle des Anges dans la promulgation de la Loi au Sinaï. Gal., m, 19 ; cf. Hebr., ii, 2 ; Act., vii, 53. 7) La hiérarchie des Esprits (tant bons que mauvais) et des Cieux. Philip., Il, 10 ; Eph., I, 21 ; IV, 10 ; VI, 12 ; Col., i, 16 ;

II, 15 ; 1 Cor., xv, 24 ; II Cor., xii, 2 ; I Thess., iv, 16. î) Le rocher dont Moïse tira de l’eau, accompagnant les Hébreux dans le désert. I Cor., x, 4- -) Isaac persécuté par Ismaël, Gal., iv, 21-31. Ç) Les deux mages de Pharaon, appelés Jannés et Mambrés, II Tim., iii, 8. v ;) La loi concernant le bœuf foulant sur l’aire, I Cor.. IX, 9. Cf. H. S.-J. Thackeray, The relation of S. Paul tri tlie contemporar^ Jewish thought, 1900.

A la question ainsi posée on peut répondre : î’) Aucun des passages objectés n’est interprété de la sorte par l’ensemble des auteurs catholiques. C’est ainsi que l’on a vu dans I Cor., ix, 9, un sens littéral conséquent fondé sur l’argumentation a fortiori, ou un

sens accommodatice, ou même un sens tjpique, encore que la chose soit moins vraisemblable. Il faut convenir pourtant que l’ensemble des textes cités ci-dessus ne manque pas de faire impression. /3) En soi, l’exégèse haggadique, ramenée à de justes limites, n’est pas incompatible avec l’inspiration. Un auteur inspiré a le droit de recourir à toutes les formes légitimes de la pensée humaine, fussent-elles rudimentaires, même si elles supposaient quelque conception erronée, pourvu que l’erreur elle-même ne soit pas enseignée. Voir Lvspiration biblique. Nombre d’exégètes, et des meilleurs, ont pensé que S.Paul a usé de ce droit à propos du « baptême pour les morts », 1 Cor., xv, 29. Cf. Corxely, in h. L, p. 482. Le procédé est particulièrement démise dans des écrits qui ne s’attachent pas exclusivement à établir le dogme, mais encore à le défendre, et aussi à en tirer des conclusions morales d’ordre pratiqite. Telle est bien la nature des épîtres de S. Paul. /) Enfin, il est difficile de ne pas reconnaître qu’en d’autres passagesduN.T.on a pareillement accueilli, tout au moins par voie d’allusion, des traditions populaires. Jud., 6, 9, 14 ; II Petr., II, 10. Cf. Brassac, Man. bibl., 1909, t. IV, p. 666-670. Sur tout ceci, voir

IXERRANCE BIBLIQfE.

BoEHL, Die alttest. Citate ini A’. T., 1878. Toy, Quotations in the xV. T., 188^. Wollmer, Die alttest. Citate bei Paiilus, 1895. Monxet, Les citations de l’A. T. dans les épîtres de S. Paul, 1895. Massebiau, Examen des citations de l’A. T. dans l’Etang, selon S. Matthieu, 1885. Tlrpie, The O. T. in the Aetr, , 1868. DiTTMAR, Vet. Test, in Xovo, 1904. Hûhx, Die altest. Citate und Reminiscenzen iniX. T., 1900. Prat, La théol. de S. Paul, 1908, p. 35, 514- Me Neile, Our Lords use of the Old Test., dans <( Cambridge biblical Essays », 1910, p. 215.

3. Exégèse patristique. — « ) Pères apostoliques. A l’exception de Clément de Rome et de Barxabé (auteur supposé de l’épître de ce nom), ils citent peu, même l’A. T. ; S. Polycarpe n’utilise guère que le Nouveau. D’ordinaire, leur exégèse est littérale, bien qu’ils soient enclins à transformer les paroles de l’Ecriture en formules d’une portée générale. Il faut faire une place à part à l’épître de Barnabe, dont l’interprétation est franchement allégoriste ; elle va même plus loin que Philon, et tombe, à propos des noms et des nombres, dans des divagations dignes de la cabale juive. A ce point de vue, le ch. ix est surprenant. C’est un écrit antijudaisant : le judaïsme n’a pas été une économie préparatoire au christianisme ; de ses deux aspects, l’un extérieur et charnel, l’autre intérieur et spirituel, le premier n’a jamais été voulu de Dieu et les Juifs qui s’en sont contentés ont été trompés jiar le mauvais esprit (chap. iv, ix, xvi) ; le second aspect constitue le christianisme avant le Christ, c’est avec ce seul judaïsme que le pacte divin avait été passé. En ce qui concerne sa partie cérémonielle, la Loi n’était qu’une enveloppe, elle n’aurait pas dû être comprise comme les Juifs l’ont fait en matière de sacrifices et même au sujet de la circoncision. Les Prophètes avaient condamné d’avance leur façon réaliste de comprendre les textes. Du reste, lauteur retient le messianisme de l’A. T., et, en cela, il contraste avec Philon, qui l’a atténué le plus possible. Après les épîtres de S. Paul, l’épître de Barnabe est le premier liioiniment qui témoigne des efforts de la conscience chrétienne pour prendre une position cohérente vis-à-vis de l’A. T. En cherchant l’accord entre l’Evangile et la Loi dans la suppression de la lettre, elle est sortie de la tradition chrétienne ; sur ce point, elle prélude à l’école d’Alexandrie, où on lui fera, en elTct, bon accueil (Clément et 1821

EXEGESE

1822

Origène la citent encore avec les livres canoniques) ; mais on aurait tort de la rendre responsalile du mouvement d’idées qui devait aboutir au Marcionisme et au Manichéisme, puisqu’elle maintient une commune inspiration à l’Ancien et au Nouveau Testament, comme aussi une continuité suffisante entre les deux. Hatch, Essors in liiblical Greek, 188g. p. io3. Oxford Society of historical Theology, The X T. in the Apostolic Fathers^ igoô.

h) Les Apologistes du n’siècle. — L’apologie cLrétienne ayant à tenir tête aux philosophes grecs, aux Juifs et aux Gnostiques, devient tout naturellement syncrétiste. D’ailleurs, l’Ecriture reste le champ de bataille. Les apologistes sauvegardent le plus sou. vent le sens littéral, exploitent largement le sens spirituel, et, à l’occasion, recourent volontiers à l’allégorie.

Aec les Grecs^ l’apologie s’appuie principalement sur les prophéties. S. Justix, 1 Apol., xii, xxx-Lin ; Tertl’ll., Apol., x

i-yi ; S. Thkopu., Ad. Aut., 1, xiv ;

Recogn. Clem., v, lo. On reprend l’idée judéo-alexandrine de la dépendance d’Homère et de Platon vis-àvis de Moïse et des Prophètes. Les mythes païens ne sont qu’une contrefaçon du récit biblique. S. Just., Dial., LXix, Lxxvm ; I Apol., xliv ; S. TuÉo^., Ad Aut., I, xn- ; III integr. ; Min. Fel., xxxiv ; Tertull., Apol., xLvii, XLviii. Pour rendre compte de la polygamie des patriarches, des adultères de Juda et de David, S. Justin recourt à leur caractère figuratif, mais en maintient la réalité historique ; Liai., cxxxiv, cxxxi. Sans sacrifier l’histoire, S. ïhéoph.. Ad Aut., Il, XV, fait un commentaire allégorique moral qui le rapproche de Philon. — Le dialogue avec Tryphon est le principal monument de la polémique entre chrétiens et juifs. La plupart des paragraphes, surtout de Lvi à LXA III, ne sont qu’un tissu de citations bibliques. Cet écrit nous renseigne sur les habitudes exégétiques du tenq)s, aussi bien du côté des juifs que du côté des chrétiens. Le point de départ commr.n, c’est qvi’il y a des prophéties messianiques. S. Justin s’attache à montrer l’insullisance de l’exégèse que les Juifs enfont, etmême son manque de sincérité. Après S. Paul, il ajoute que ces prophéties ne sont pleinement intelligibles que réalisées dans le Christ et expliquées par lui. Dial., lxxvi. C’est un point sur lequel S. Ihénke insistera. Adv. hær., IV, xxvi, i, 2. S. JisTiN développe avec complaisance certains types de l’A. T., Dial., xc, cxi, cxxviii ; il reproche aux Juifs d’interpréter pauvrement, r'>^-ïiv ?5 ; , et sèchement, ~i’^Cii., leurs Ecritures. Dial., cxii. Pour lui, il admettrait Aolontiers que tout le culte mosaïque avait un caractère symbolique. Sous sa plume, les termes de mystère, type, symbole, signe et même de parabole se confondent facilement. Dial., xl, xliv, lxviii, Lxxviii, 1.XXXVI, cxv, cxvi ; I Apol., xxvii, xxxii. D’ordinaire, S. Justin fait effort pour rester dans le contexte et le sens naturel des mots ; et l’on doit convenir que le plus souvent il y réussit. Encore que sa eonce[)tion de la loi juive se ressente de la polémique (cf. Dial., xvi-xvni) ; il n’est pas allé jusqu’à dire avec les Gnostiques antijudaïsants que, dans le plan même de son.uteur, cette loi était ordonnée à égarer le peu[)le juif. — Les Gnostiques de culture hellénique (les Gnostiques judéo-chrétiens n’ont guère survécu au 1 siècle), les Marcionites notamment, se disaient « spirituels », c’cst-à-dirc capables d’une vue intérieure et transcendante des choses qui n’avait pas été donnée à ceux qu’ils appelaient, non I sans quehfuc dédain, « psychiques ». C’est à dessein 1 qu’ils re[)rcnai(nt la terminologie de S. Paul, I Cor., II, i/t-r5. pour la transporter, en l’altérant, sur le terrain cxégéti(iuc. Adversaires radicaux de l’A. T., ils niaient qu’il eût été inspiré par le vrai Dieu et qu’il

fût continué par le Nouveau. C’est à les réfuter sur ce point que S. Ircnée consacre tout le 1V° livre de son traité Contre les hérésies. Ce livre présente un des exposés les plus profonds, que nous ait laissés l’antiquité, du développement et de l’harmonie des deux Testaments. Les Gnostiques étaient des allégoristes à outrance, surtout en matière de paraboles, de noms et de nombres. S. Irénée leur reproche une exégèse arbitraire, forcée et tendancieuse. Ad^’. hær., I, i, i ; m, integr ; viii, 9 ; xiv, 2-7 ; xxiv, 1-6 ; II, x, i, 2 ; III, XXI ; etc. Ce qui ne l’empêche pas de les imiter à l’occasion, bien que rarement, II, xxiv, 2. Pour être très réaliste, S. Irénée n’exclut pas le sens typique, III, xvii, 3 ; XX, I ; XXI, 7 ; IV, XV, xix.Maissa règle souveraine est le contexte et le sens naturel desmots, V, ix-XII ; il veut que l’on entende les textes figurés, y compris les paraboles, d’après les passages plus clairs où les termes gardent leur sens propre, II, x, 2. Le littéralisme de S. Irénée n’a été dépassé que par celui de Tertullien. Ce n’est pas qu’il ignore l’exégèse allégorique ni qu’il la dédaigne (encore qu’il n’y excelle pas) ; mais il s’en défie, il sait qu’on en abuse. De resur. carn., xxxiii ; Scorp., xi. Du reste, il admet les types bibliques. Tertullien formule magistralement certaines règles d’exégèse déjà énoncées par ses devanciers, par exemple : Duhia certis, obscura manifestis adumbrantiir. De pudic.. xvii ; c’est pourquoi l’Ancien Testament doit être éclairé par le Nouveau, Scorp., ix-xii. Son littéralisme ne l’empêche pas de pénétrer jusqu’à l’àme des mots : « Verba non solo sono sapiunt, sed et sensu, nec auribus tantummodo audienda sunt, sed et mentibus «. Scorp., vu. Il ne partage pas le préjugé de la suffisance du texte biblique, il sait que la révélation écrite n’est pas la source unique de la vérité. Cf. De virg. yel., xvi, et De Pænit., i, où on lit « res Dei ratio ».

En sonnne, les Apologistes sont restés dans la tradition exégétique chrétienne. Seulement, les uns : S. Justin, Talien, Athénagore, Aristide, S. Théophile d’Anlioche, ne craignent pas, à l’occasion, de recourir à l’allégorie. Ils ont été tributaires du goùl de leur époque. L’interprétation allégorique est tellement à la mode que personne n’y échappe complètement. Celse reproche aux chrétiens de dissimuler la pauvreté et les hontes du récit biblique sous le Aoile de l’allégorie (Orig., c. Cels., I, xvii ; IV, xlviii), mais, au besoin, il allégorise lui-même, Ibid., I, xlii. Il est vrai que S. Irénée et Tertullien ont réprouvé énergiquement ce procédé d’exégèse, mais il faut convenir aussi que leur littéralisme excessif a été cause, en partie, qu’ils sont tombés dans l’erreur millénariste. De ce double courant vont sortir deux écoles chrétiennes.

K. L. GnvBE, Die hernien. Grundsdtze Justins d..^f., dansDer Katholik, 1880, p. 17. Sprinzl, Die Théologie des heil. Justinus, p. 290. Tii. Zahn, Geschichte des neut. Nations, I, p. l-i. A. L. Feuer, Justins des Mart. I.clire von J.-C, 1906, p.6/(. A. d’Alès, l.a théologie de Tertullien, 1906, p. 2^2. Hatcii, Influence of GreeJi Ideas and i’sages upon the christ. Church, p. 76. P. IIeimsch, Der Einfuss Philos auf die dlteste christ. E.regese, 1908.

r) /.’école d’Alexandrie. — Jusqu’ici l’exégèse avait eu principalement un intérêt doctrinal. Voilà pourquoi on s’était contenté d’assembler des textes ayant trait à un même sujet intéressant le dogme ou la morale. Personne n’avait encore commenté mélhodi([uemcnt un livre d’un bout à l’autre, comme les scoliasles faisaient pour Honu’-re. Papias (150) avait bien écrit un ouvrage intitulé Aî/iwv z^^iazàv i^r/r.’ye.u, les gnosti(iucs Maucion (150) et IIkhacléon (170-200) avaient pareillement com[)osé, l’un ses Antithèses et l’autre son Explication du quatrième évangile ; 1823

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1824

mais il ne reste de ces écrits que des fragments, à peine suffisants pour en préciser la nature. C’est avec le II' siècle que commence, parmi les chrétiens, le commentaire proprement dit ; et avec lui, le texte des Ecritures devient un thème sur lequel on fondera la science ecclésiastique. Cette forme nouvelle de la littérature chrétienne se fait jour de tous les côtés à la fois : à Rome avec S. Hippolytiî et Caius, à Alexandrie avec les premiers maîtres du Didascalèion, mais surtout avec Origène ; à Anlioche avec Skrapion et Paul de Samosate.

On a dit, non sans raison, que le fondateur de l’exégèse chrétienne est Origène (7 253). Sous forme de T5, « ît, iuùivi, Ty/^Mv., Tcij.-i’jnnz, il a donné le commentaire continu de presque toute l’Ecriture. Nous n’avons plus de son œuvre que des fragments, dont la teneur reste imposante. Cf. Prat, Orig’ene dans le Dict. de la Bible (Vig.), t. IV, c. 1881. Au IV » livre du Périarchon, qui est un vrai traité d’herméneutique, Origène expose son système d’exégèse. L’allégorisme en est le trait caractéristique. A vrai dire, il n’a rien inventé, mais repris, développé, synthétisé les principes et les procédés de l'école juive d’Alexandrie. Voir ci-dessus I, i*, b. Seulement, il a animé le tout de l’esprit chrétien. Il étend l’interprétation allégorique au N. T. et à l’Evangile lui-même, mais il le fait avec beaucoup plus de réserve. Cf. In Joan., t. X,

4. Sa terminologie ne se confond pas de tous points avec celle de Philon. S’inspirant de la trichotomie platonicienne, qui distinguait dans l’homme corps, àme et esprit, Origène parle plus volontiers d’un triple sens de l’Ecriture, savoir : le corporel, le psychique et le spirituel, qu’il appelle encore historique, moral et mystique. In Les’it., hom. v, 5 ; Périarchon, IV, xi-xii. Le sens psychique reste assez indéfini et d’un emploi très restreint. L’allégorisme chrétien est né des mêmes préoccupations qui ont suscité celui de l'école judéo-alexandrine : défendre victorieusement l’Ecriture contre la critique des Grecs et en tirer toute une philosophie. Les docteurs chrétiens ont cru y trouver un aulre avantage : accorder plus facilement l’Ancien Testament avec le Nouveau et établir, à rencontre des Juifs, que les prophéties ne devaient pas se réaliser toujours à la lettre. Origène estime que la Loi mosaïque, même dans ses prescriptions cérémonielles, oblige encore les chrétiens. Comment ? sinon <- quant à l’esprit ». Avant le Christ, les Ecritures étaient de l’eau, le Christ les a changées en vin. Mais le facteur le plus actif de l’allégorisme chrétien a été, sans doute, la culture littéraire et philosophique de ses propagateurs. Cependant, ils n’ont pas omis de justifier leur position par l’autorité de

5. Paul ; ils prétendaient que Gal., iv, il, I Cor., x,

6. II, leur donnaient le droit d’allégoriser et que II Tim., III, 16, les invitait à chercher dans l’Ecriture tout ce qui est capable de contribuer à la perfection de l'àme. On peut ramener à deux points ce qu’il y a de commun entre tous les tenants de l’allégorisme alexandrin, r^ En outre du sens corporel, il y a un sens spirituel qui est beaucoup plus relevé. Le sens corporel est à écarter dans certains passages, comme celui où l’on parle de l’inceste des filles de Loth, qui historiquement n’a jamais eu lieu ; mais le sens spirituel se rencontre partout. Car, notre éducation religieuse et morale est le but de l’Ecriture. Du reste, sans ce sens spirituel, la Bible ne serait plus digne de Dieu, puisqu’elle ressemblerait à n’importe quel livre profane. 2° L’absence du sens corporel n’est qu’accidentelle. D’ordinaire, le texte doit être compris tout d’abord en un sens historique, et ensuite en un sens spirituel. Orig., Périarch., IV, xix ; Comm. sur l'ép. à Philéni., cité par S. Pampiiile, Apol., vi. Cependant, il est à noter que Clû-ment d’Alex, allait i)lus

loin qu’Origène, il allégorisait jusqu’au Décalogue.

S. H1PP0LYTE de Rome n’appartient pas à l'école d’Alexandrie, mais c’est un contemporain d’Origène, le plus grand assurément. A-t-il eu des rapports ave lui ? Y a-t-il eu influence de l’un sur l’autre ? Ce poini d’histoire reste encore à éclaircir. L’exégèse de S. Hippolyte est parfois si étrangement littérale qu’elle rappelle celle de Tertullien. D’autre part, il allégorise largement dans son £ommentaire de Daniel et du Cantique. Il est vrai que le sujet y prêtait. Cependant, mêiue ici, surtout dans le Cantique, sa manière n’est pas celle d’Origène. « Son exégèse, écrit M. A. d’Alès, La théol. de S. Hippulyte, p. i-ib, rappelle souvent celle de Philon et l’on y rencontre des traits de provenance juive. Mais tandis que le théosophe d’Alexandrie empruntait ses développements au spiritualisme platonicien, le prêtre romain s’inspire de l’Evangile ; l’opposition des deux Testaments remplace l’opposition entre la chair et l’esprit, ramenée assidûment par l’exégèse philonienne ». S. Hippolyte se complaît à interpréter les types bibliques. M. d’Alès, o/j. laud., ^. 111-120, a analysé ses plus beaux développements à ce sujet. Par la justesse et la fermeté 4e ses principes d’herméneutique, il l’emporte sur Origène. Ce n’est pas à dire qu’il soit toujours heureux, par exemple quand il suppose que les prophètes ont brouillé à dessein l’ordre des événements pour déconcerter le démon et lui soustraire l’intelligence des prophéties. On retrouve la même idée dans Tertullien, Adv. Marc, III, v ; cf. xni, xiv.

Parmi les écrivains qui ont exploité Origène, il faut compter Eusèbe. Bien qu’il soit plus remarquable par ses œuvres historiques et apologétiques que pai" son exégèse, l'évêque de Césarée ne laisse pas d’avoir bien mérité de lEcriture. Il nous reste de lui trois volumes de commentaires. P. G., XXII-XXIV. Encore n’est-ce là qu’une portion de son œuvre. Malheiu*eusement, la plupaiH de ces textes ne nous ont été conservés que dans des « chaînes », ' et cette circonstance donne à penser que leur teneur primitive a dû souffrir. Comme exégète, Eusèbe manque d’originalité ; c’est un compilateur soigneux, toujours docte, rarement suggestif. Les Questions et solution sur les Evangiles (P. G., XXII, 879) valent mieur ;. S. Jérôme a jugé sévèrement son œuvre exégétiquc. Il lui reproche de ne pas donner autant qu’il promet, de s'égarer dans des fantaisies allégoriques, de rapprocher violemment les textes. P. Z., XXIV, ïbl, 17 j.

Freppel, Origène, II, p. 1 37-186. Reinkex, De démente alex., 1851. M. J. Denis, La philosophie d’Origène, 1851. Redepexxing, Origenes, 1841-1846, I, p. 365. Z0ELLIG, Die Inspirationlehre des Origenes, 1902. F. Prat, Origène, 1907, p. iii, 186. A. d’Alij.s, La théologie de S. Ilippolrte, 1906.

Apprécier l'œuvre d’Origène uniquement, ou même surtout, par les excès de son allégorisme, serait bien mal la connaître. Nonobstant cet écart, son exégèse a eu de grands mérites : elle est pénétrante, synthétique, déjà soucieuse des graves problèmes d’histoire et de psychologie, avec lesquels la critique moderne est encore aux prises. L’influence d’Origène sur les exégètes venus après lui, tant latins que grecs, a été unique, tellement que S. Grégoire de Nazianze (d’après Suidas) aimait à l’appeler h tm-zwj / ; , </*> à/.dyr, « la pierre qui nous a tous aiguisés ». Le tort des allégoristes a été de porter arbitrairement atteinte à l’intégrité de l’histoire sainte. En cela, ils sont sortis de la tradition, aussi bien de la tradition juive primitive que de la tradition chrétienne. D’autre part, on ne doit pas perdre de vue que leur position s’explique assez nalurellement par les mœurs littéraires de leur milieu, les antécédents de l'école philonienne, les difficultés 182c

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très réelles de l’exégèse biblique ; mais surtout par la nécessité où ils se trouvaient de réagir contre un littéralisme outrancier, qui créait injustement à l’apologétique chrétienne et même à l’orthodoxie de multiples embarras. Les Juifs prétextaient, pour ne pas croire en Jésus de Nazareth, qu’il n’avait pas accompli toutes les prophéties ri la lettre ; les millénaristes et les anlhropomorphistes chrétiens partaient du même faux supposé pour enseigner un christianisme grossier et charnel. Le principal mérite de l’effort qui s’est égaré dans l’exégèse allégoriste est d’avoir mis en relief le caractère spirituel de la Bible, en inculquant cette idée fondamentale, que, dans le plan même de Dieu, l’Ecriture a été donnée, avant tout, pour être comprise et goûtée de l'àme religieuse, c’est-à-dire de l'àme qui a reçu l’onction de l’Esprit-Saint.

cT) L'école d’Antioche. — Le mouvement d études bibliques qui se produisit en Syrie, du iii'^ au iv' siècle, est comparable à celui d’Alexandrie. Avec la controverse entre origénistes et antiorigénistes, il devint, dans la seconde moitié du iv' siècle, une réaction contre l’allégorisme ; mais, en prenant cette position, l'école d Antioche restait bien dans sa tradition exégétique, qui était le littéralisme. Disciples d’Aristote en philosophie et, conséquemment, enclins aux méthodes empiriques, les Syriens se délient du mysticisme des néoplatoniciens. Ils ne rejettent pas le sens spirituel, mais ils entendent qu’il ne supplante jamais la réalité historique. Le caractère « figuratif » de l’A. T. leur suffît. Diodore dk Tarse l’appelait t/.icr/fiy.fiv.. Le même auteur admet trois sortes de prophéties : celle qui est purement messianique, et à la lettre ; celle qui est messianique, mais en figure ; celle enfin qui n’intéressait que l’histoire juive. Il avait

écrit un livre intitulé ti ? ôtaç-i/sà Qt’jtpiy.ç, zai yj)r : /opiy.i ;

sur la différence à mettre entre le sens spirituel et le sens allégorique, qui malheureusement est perdu. A ce qu’il semble, il y soutenait que l’interprétation allégorique, d’après la manière des Alexandrins, n'était de mise que dans les passages d’un style figuré, comme sont les livres Sapientiaux. La spéculation (îîwccy) ne doit être rien autre chose que la recherche du sens spirituel dans la lettre de l’histoire (iTTî^ia). Du reste, a raison de son objet, on peut l’appeler mystique (prophétique) ou simplement morale.

En défendant les droits de la « lettre », l'école d’Antioche avait raison contre les Alexandrins ; la postérité devait ratilier l’essentiel de leur système exégétique. Cependant, beaucoup d’entre ses partisans n’ont pas su éviter les excès du littéralisme. Dans leur commentaire, Ihistoire fait oublier, quand elle ne détruit pas, toute signification spirituelle. La Bible en reste singulièrement appauvrie et son texte risque fort de perdre sa transcendance. Le næssianisme de l’A. T. se trouve être extrêmement réduit, l’Evangile, ainsi interprété, ne donnerait plus guère à connaître que l’histoire extérieure de Jésus, celle qui révèle l’homme. Tels sont les déficits et les abus condamnés par d’anciens conciles, notamment le v « œcuménique, dans Diodore de Tarse et Tuéodork DE Moi’suESTE. S’il fallait juger l'école d’Antioche par les hérésiarques sortis de son sein (Paul dk SaMOSATE, Arius, Nestorius), OU encore par les hérétiques qui se réclament volontiers de sa méthode (les Pélagiens, sans parler des rationalistes modernes), on perdrait facilement confiance dans la valeur de ses procédés. Par bonheur, l’orthodoxie a compté aussi dans cette école des exégètes de première valeur : S. Curysostome, Thkodoret et S. Isidore DE PÉLUSE. L’attachement à la tradition les a préservés des écarts où d’autres sont tombés, sans rien enlever à la pénétration de leur exégèse.

A l'école d’Antioche se rattache celle dite des Ca/?^fl</oc/e7 ! s, exclusivement composée d’orthodoxes. Us ont essayé, mais sans y réussir complètement, de tenir une sorte de via média entre le littéralisme et l’allégorisme. Une commune admiration pour Origène avait fait concevoir à S. Basile et à S. Grégoire de Nysse le désir de retenir ce qui se pouvait de son œuvre exégétique ; mais, tandis que celui-ci en conservait le plus possible, l’autre y trouvait Ijeaucoup moins qui méritât son approbation. Voir le commentaire consacré par les deux frères à i’Hexaméron de Moïse. S. Grégoire de Xazianze marche entre les deux.

L’Ecole syriaque, — d’abord à Edesse, puis à Nisibe après l’apparition du Xestorianisme, — relève davantage encore de celle d’Antioche. S. Epiirem, son plus glorieux représentant, professe et pratique un grand attachement pour la lettre. Néanmoins, son àuie poétique se laisse gagner çà et là par le mysticisme des allégoristes.

H. KiHN, Die Bedeutitng der antiochen. Schule auf deni exeget. Gebiete, 1866 ; Tkeudor von Mopsuestia iind Jiinilius Afric. ah Exegeten, 1880 ; et un article dans Tlieolog. Quaitalschrift, TUbingen, 1880, p. 551. P. Hergexroether, Die antiochen. Schule und ihre Bedeutung auf exeget. Gebiete, 1866. Swkte, Theodori ep. Mops. in epist. Pauli comm., 1880- 1882. A.Harxack, Antiochen. Schule dans « Protest. Realencyclopâdie », 1896, I, p. 592. DoBscniiTz, dans Encycl. of Religion and Ethics, 190g, II, p. 697. C. von Lengerke, Comm. critica de Ephræmo syro S. S. interprète, 1828 ; De Ephræmi syri arte hermeneutica, 18'ii. Lamy, L’exégèse en Orient au quatrième siècle ou les commentaires de S. Ephrem, dans la « Revue biblique », 1898, p. 5, 161, 465.

e) L’exégèse des Latins aux LV^ et F* siècles. — C’est à l'école des Grecs qu’ils ont appris l’art de commenter l’Ecriture. Tout d’abord, l’influence d’Origène fut parmi eux prépondérante. La controverse origéniste n’ayant eu que peu d'écho en Occident, l’opinion publique n'était pas choquée des eniprunts faits au grand Alexandrin. S. IIilaire et S. Ambroise, ce dernier surtout, ne font souvent que le traduire. L'évêque de Milan se contente parfois de solutions franchement allégoristes. Cf. P. L., XV, 1790. (Conciliation de Luc, XVIII. 35 avec Mat., xx, 30.) Ce n’est pas sans raison qu’on l’a appelé le « Philon chrétien ». Ihm, Philon und Ambrosius dans « Neue lahrbiicher fur Phil. und Padag., 1890 ». Souvent aussi, il emprunte à S. Hippolyte et même à des exégètes plus récents, par exemple aux Cappadociens.

i' S. JÉRÔME est de tous les Latins celui que son éducation avait le mieux préparé à l’exégèse. La connaissance de l’hébreu et du grec, son séjour en Palestine lui donnaient une incontestable supériorité. Il a formulé la règle souveraine dont il en entend relever : « Régula Scripturarum est, ubi manifestissima prophelia de fuluris lexitur, per incerla allegoriæ non extenuare quæ scripta sunt. » In Malach., i. 10 ; P. L., XXV, 1551 ; cf. In epist. ad Gal., II, IV, 24, P. L., XXVI, 389. C’est un principe que nous avons déjà rencontré chez Tertullien. Voir cidessus, I, 2°, c. Le génie latin, qui a besoin de clarté, ne s’est jamais engoué pour l’allégorisme. Si la position de S. Jérôme au regard d’Origène et de son œuvre est écpiivoque, ce n’est pas à une indécision d’esprit qu’il convient de l’attribuer, mais aux vicissitudes des controverses dans lesquelles il se trouva engagé. D’habitude, son commentaire s’attache au sens littéral, sans détriment pour le sens typique et surtout pour les applications morales. Même, chose étrange ! il a cru pouvoir surmonter, du moins une fois, ce qu’il appelle la « turpitude de la lettre », en recourant à

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l’allégorie proprement dite. A l’entendre, Abisag la Sunamite, introduite auprès de David devenu vieux. ne serait autre que la Sagesse. Epist, , lii, 3 ; P. Z., XXII. 528. Le fait que le S. Docteur a, ailleurs, C. Jovinian., I. XXIV ; P. L., XXIII, 2^3, interprété littéralement le même passage nous avertit assez de ne pas attacher trop d’importance à cette suggestion dune apologétique aux abois. C’est par sa traduction de l’A. T., beaucoup plus que par ses commentaires, que S. Jérôme a mérité le titre de « prince des exégètes latins ». En commentant, il écrit à la hâte, prend sans scrupule à ses devanciers, et souvent sans en avertir. Les représentations de ses adversaires et de ses amis l’ont amené à s’expliquer, dans plusieurs de ses lettres, sur ce procédé de compilation. Il n’a composé aucun traité d’herméneutique, car sa lettre lui' Ad Paulin., et même la lvii' De optiino génère interpretand’u doivent s’entendre plutôt de la manière de citer et de traduire que de la méthode à suivre dans un commentaire.

2° S. Augustin a été plus grand comme théologien et controversiste que comme exégète. Il avait abordé les Ecritures sans une préparation suffisante. Il ne savait rien de l’hébreu et assez peu du grec. De ce chef, il était forcément tenu à l'écai-t des textes et des commentaires grecs. Quant aux commentaires latins qu’il avait à sa disposition, même ceux de S. Ambroise, ils étaient notoirement insuffisants. Il est vrai cpie par la pénétration de son esprit, l'élévation de sa pensée et son sens très sûr de la tradition, il a suppléé en partie à ce déficit. Son esj)rit subtil, ingénieux et systématique, lui a fait trouver dans les textes beaucoup plus qu’il n’y avait. Spéculatif par inclination naturelle, il se laissa aller tout d’abord au plaisir d’allégoriser. Avec l'âge, il devint littéraliste ; mais sur le sens littéral il échafauda, toujours davantage, des applications mystiques. L'étude des divers commentaires qu’il a donnés de la Genèse permet de suivre l'évolution de sa manière. Le plus grand défaut de son exégèse est d’avoir été dominée par des préoccupations dogmatiques, surtout au cours de la polémique pélagienne. Il a égaré pendant longtemps l’exégèse courante des Latins sur plusieurs passages doctrinaux de l’cpitre aux Romains, 11, 14, vil, integr., viii, 19, 28-30, ix, 20-2^, xiv, 23.

On lui a fait un reproche plus graA’e encore, celui d’avoir jeté, pendant dix siècles, l’herméneutique des Occidentaux dans la confusion et l’arbitraire, par sa théorie malencontreuse de la multiplicité du sens littéral pour un seul et même passage. Cf. Confes., XII, xxxx ; De doctr. christ., III, xxvii, 38 ; I, xxxvi, 37, 41 ; ^e Gen. ad lit., I, xxi, 41 ; Serino, vii, 3. On peut dire, à la décharge de S. Augustin, qu’il a proposé le sens littéi"al multiple comme une opinion pieuse et personnelle, « religiosius me arbitrer dicere ». Dans sa pensée, il n'était question que des interprétations seulement probables, là où le sens de l’auteur inspiré n’a pas encore été précisé avec certitude. Il ne s’agissait pas tant du sens objectif du texte que des explications qu’on en a données. Le S. Docteur pensait que ces explications avaient été non seulement

« prévues » de Dieu, mais « procurées » par une disposition providentielle, et qu'à ce titre elles méritaient

toutes d'être regardées comme « sens d’Ecriture ». Enfin, il ne donnait pas sa théorie pour servir de règle à l’exégèse dogmatique, celle qui est ordonnée à l'établissement des dogmes, mais comme un expédient, une aide offerte à la piété et surtout à la charité ; elle devait permettre d’accorder plus facilement les versions et les commentaires avec le texte, comme aussi les commentateurs entre eux. S. Thomas ne s’est avancé dans cette même direction que pour ne pas fausser compagnie à S. Augustin, Sum. theoL,

I, q. I, a. 10 ; De Potent., q. 4. a- i ; mais surtout Quodl., VII, a. l ! ^, ad. 5. Malgré tout, la multiplicité du sens littéral n’a jamais été enseignée communément par les scolastiques, pas même au xvi* siècle. Aujourd’hui, elle est délaissée. Cf. Corxely, Introd. in r. T. libros, 1885, p. 523.

Encore que S. Augustin n’ait pas pratiqué l’exégèse avec autant de bonheur que ses devanciers grecs, la théorie qu’il en fait dans son traité De Doctrina christiana a de grands mérites. Les éloges ne lui ont jamais manqué. Hier encore, l’anglican Farrar écrivait à ce sujet : « Ses règles théoriques étaient excellentes. Pourquoi ne s’y est-il pas tenu fidèlement ! I. Le but de l’Ecriture est d’exciter en nous l’amour de Dieu. 2. Les exemplaires fautifs sont à corriger sur de meilleurs. 3. Il faut décider tout d’abord si le sens est littéral ou mystique. l. Avant tout, donner son attention au contexte. 5. Les passages obscurs sont à comprendre d’après ceux qui sont clairs. 6. L’exégète doit mettre à profit l’histoire, la géographie, la grammaire, la rhétorique, l’archéologie, l’histoire naturelle, etc. » History of Interprétation, 1886, p. 239.

Les essais d’herméneutique sacrée antérieurs à S. Augustin sont : Mélitox de Sardes, H y/it : -. OriGÈ.NE, Usfil àpyûv lihri IV ; Diodore de Tarsk, Ti ; èiv.fOf.c/. 6îMpir/.t y.rjÀ i/Jl-rjorvu. :. : TicHoxius, De septem reguUs. Après S. Augustin : Adrien, E(aa/w/< £{' ; rxiôna. : /pa^Ki ; S. EucHER, Liber formulariim spiritalis intelligentiae ; S. Isidore de Péluse, Epist. de interpret. diy. Legis ; Junilius afr., Inst. reg. divinæ Legis ; Cassiodore. De instit. divin, litter.

Cf. Clausen. Aurel. Augustinus Script, sacræ inierpres, 1828, Trench, Augustine as interpréter of Scripture, dans l’ouvrage intitulé « Exposition of the Sermon on the Mount », 1869, p. i-152.Mgr Douais, S. Augustin et la Bible, dans la Revue biblique,

1893, p. 62, 35 1 ; 1894, p. III, 126, 4 10. PORTALIÉ,

iS. Augustin, dans le Dict. de théol. cath. (Vacant), I, col. 3343. L. Hugo, Der geistige Sinn der heil. Schrift beim hl. Augustinus, dans Zeitsch. f. Kat. TheoL, 1908. p. 65-. L. Sanders, Etudes sur S. Jérôme, 1908, p. 150. J. Van den Gheyn, ^ Jérôme, dans le Dict. de la Bible (Vigouroux), III, col. 1306. A. Delattre, Autour de la question biblique, 1904, p. 143, et l’important ouvrage de G. Griïtzmacher, Ilieronrmus, eine biographische Studie zur alten Kirchengeschichte, 1901-1908. Récemment, L. Schxde, Die Inspirationslehre des heil. Hieronymus, 1910.

4. Conclusion. — a) Il n’entre pas dans le plan de cette étude de pousser plus loin les recherches historiques sur l’exégèse traditionnelle. L’apologétique n’a pas besoin de ce surcroit d’information. A partir des iv' et v* siècles, l’herméneutique chrétienne est en possession de tous ses principes et de ses organes essentiels. On peut déjà la juger à sa valeur. Dans les siècles qui suivent, on reprendra le commentaire détaillé de chaque livre ; on écrira des traités plus complets, mieux raisonnes sur l’art d’interpréter le texte sacré (voir Critique biblique, p. 779) ; mais la science des Ecritures restera, en substance, ce qu’elle était déjà avec S. Jérôme et S. Augustin. Le grand mérite du Moyen Age sera d’introduire dans la terminologie plus d’exactitude et de précision. On sait combien les termes de « cor porel », « figuré », « spirituel », a allégorique » avaiei prêté à la confusion sous la plume d’Origène et S. Augustin. Les scolastiques font rentrer tous l€ sens vraiment bibliques dans le sens littéral ou ' sens spirituel, en subdivisant le premier en sens li* téral propre et sens littéral figuré, par exemple le' anthropomorphismes. S. Thom., p. I, q. i, a. 10. "^ 1829

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reste, il ne faut pas leur savoir gré de la subdivision très défectueuse des sens bibliques, telle quils l’ont formulée dans le distique célèbre :

Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia.

Cf. Prat, Origène, 1907, p. 178. Le sens littéral, aussi bien que le sens spirituel, peut être dit propliétique, moral, mystique et anagogique, d’après son objet.

De tout temps, aussi bien chez les Juifs que chez les Chrétiens, le commentaire des Eorilures a sup])osé l’existence du double sens littéral et spirituel. Cette persuasion ne s’explique pas suflisamment par le préjugé juif, accepté en partie par les premières générations chrétiennes, savoir qu’il y a dans la Bible tout ce qu’il est utile à l’houime de connaître. Au contraire, cette idée ne paraît avoir été qu’un corollaire de la foi dans la transcendance du Livre inspiré. J.-C. et les Apôtres ont cru au sens spirituel des Ecritures. Pour les croyants, ce fait est à lui seul d’une autorité indiscutable. Aussi bien, la tradition chrétienne est unanime à ce sujet.

S. Justin, P. G., VI. 636, 566, 679, 781. S. Irénée, P. G., VII, io51-io52.S. Hippolyte, P. G., X, 689, 698. Tertullien, P. L., II, ^85-488. Clément d’Alex., P. G., IX, 55, 87. S. Cyprien, P. L., IV, 628. Origène, P. G., XI, 119. S. Hilaire, P. L., IX, 687, 520. S. Ambroise, P. L., XIV, 432. S. Ephrem, Be^^. bibl, 1893, p. 21, 162, 471, 482. S. Chrysostome, P. G., LI, 285, 867 ; LV, 209. S. Basile, P. G., XXIX, 281, 306, 465. S. Grégoire de Nysse. P. G., XLIV, 755-760, 34d, 1829. S. Grégoire de Naz., P. G., XXXVII, 1561, 1095. Théodoret, P. G.. LXXX, 457 ; LXXXII, 490 ; LXXI, 318. S. Jérôme, P. L., XXV, 1282, 1288, 147 ; XXIV, 260, 315 ; XXII, ioo5 ; XXV, 1027. S. Augustin, P. L., XLII, 2 1 8 ; XXXVIII, 876 ; XXXIV, 628 ; XLI, 626, 526.

Pour rincroyant lui-même, ce fait garde une signification considérable ; car on ne saurait le négliger qu’en s’écartant d’une tradition exégctique aussi ancienne que l’étude de la Bible elle-même.

Cette croyance n’introduit nécessairement ni confusion, ni arbitraire dans l’intelligence du texte, puisque, pour affirmer, avec certitude, l’existence d’un sens spirituel, il faut avoir un témoignage à ce sujet dans les monuments de la révélation. (Sur la manière dont les auteurs inspirés eux-mêmes ont connu les sens spirituels, voir Inspiration biblique.) S. Thomas va même jusqu’à enseigner que toute exégèse dogmatique se fonde en définitive sur la lettre ; il est d’avis que les sens spirituels de l’A. T. nous sont toujours enseignés quelque part dans le N. T. au sens littéral. Siim, TheoL, p. I, q. i, a. 10, ad i ; Qiiodl. VII, q. 6, a. 14, ad 4- Ce n’est, en définitive, qu’une application de la règle générale énoncée déjà par S. Irénée et Tertullien : Le texte oliscur doit se comprendre à la lumière de celui qui est clair.

b) A toutes les époques, l’exégèse a eu ses déficits et ses écarts. Ceux qui la représentaient ont payé tribut aux préjugés et au mauvais goût de leur temi)s. Mais, étudiée de près et sans parti pris, son liistoirc force de convenir que, malgré tout, elle s’est appliquée à rester méthodique. Sa loi souveraine a été celle du sens naturel des mots et du contexte. C’est précisément dans la détermination de ce contexte que les écoles et les générations ont différé, d’après leurs tendances philosophiques et littéraires. Les Scribes, qui étaient, avant tout, des juristes, ramènent toutes les Ecritures à l’intelligence de la Loi. Le théosophe Philon, ne voyant dans le récit l)ibli(iuc qu’une sorte de drame [)sychologiqiie, a suixn-donné son exégèse à la scieiuîe de l’àme humaine. Origène y a cherché surtout une révélation à la fois cosmique et historique donnant à connaître l’invisible dans le visible,

le présent dans le passé et l’avenir dans le présent. Les Pères des iv’et v* siècles, les latins principalement, préoccupés qu’ils étaient de formuler le dogme, ont demandé à l’Ecriture l’expression orthodoxe des doctrines qu’ils avaient à préciser et à défendre. Et ici, ils sesontattachésvolontiersàl’analogie de la foi. Cette même préoccupation sera plus sensible encore dans l’exégèse du xvi’siècle. Depuis la fin du xviiie, on lit la Bible à la lumière des découvertes modernes : textes et monuments. L’histoire, la connaissance des langues et la critique des textes, font incontestablement aux exégètes d’aujourd’hui une condition meilleure qu’à leurs devanciers. Tous les Pères, à l’exception de S. Jérôme, ont ignoré l’hébreu ; — S. Justin, Origène, S. Ephrem, Dorothée d’Antioche, S. Epiphane et, peut-être, S. Lucien n’en ont eu qu’une connaissance très imparfaite. Cf. C. J. Elliot, Hebrew learning dans « Dict. of Christian Biography », II, 850. La plupart des Pères latins, y compris S. Augustin, ne lisaient pas couramment le grec. Par malheur, la traduction latine, dont ils se servaient exclusivement jusqu’au v’siècle, était défectueuse. Ils ont racheté ces insuffisances par un sens très ferme de la tradition, et aussi parce qu’ils se sont attachés à la substance même des choses, qui restait identique, en dépit des infidélités accidentelles du traducteur. Que, dans ces conditions, l’exégèse des anciens ait donné néanmoins les résultats que nous connaissons, c’est là une preuve, et non la moindre, qu’elle n’allait pas à l’aventure.

IL Exégèse et dogme. — i. Les abus, a) Nous n’avons pas à justifier les abus. Que l’exégèse traditionnelle se soit parfois laissé conduire par des préoccupations dogmatiques, et qu’à cause de cela elle ait méconnu le sens et la portée du texte ; qu’elle soit devenue çà et là tendancieuse et polémique à l’excès, c’est un fait que l’apologiste doit reconnaître. Du moins, peut-il plaider ici les circonstances atténuantes.

D’abord, j)ourquoi reprocher aux exégètes catholiques ce qui a été le tort de tout le monde ? Dans l’inventaire entrepris par la critique moderne des travaux des anciens, ceux qui représentent l’exégèse traditionnelle ont mieux résisté que les commentaires des hétérodoxes. Que reste-t-il des spéculations des Gnostiques ? Les rêves que les millénaristes mettaient au compte des Prophètes et des Apôtres se sont évanouis. La discontinuité que les Manichéens disaient être entre la Loi et l’Evangile n’a pas été maintenue, même par la plupart des critiques incroyants. Dans la grande querelle arienne, les orthodoxes ont fait preuve d’une modération qu’il est permis de trouver excessive, par exemple quand il s’agit du texte fameux tant exploité par leurs adversaires : « Le Père est plus grand que moi ii, Jean, xiv, 28. Cf. Recherches de Science religieuse, 1910, p. 587.

C’est au cours de la controverse pélagienne que l’exégèse des Latins s’est peut-être trouvée le plus en défaut. S. Augustin, tout le premier, en a eu conscience ; il ne pouvait pas ne pas s’apercevoir des incertitudes de son argumentation par l’Ecriture ; mais il proteste que, dans celle question, il entend relever île quelques idées chrétiennes fondamentales, aussi nettement affirmées dans l’Ecriture que dans la tradition, et dont la certitude domine toutes les difficultés qu’on lui crée avec certains textes. La même observation s’applique aux théologiens scolasliques. qui se servent parfois de l’Ecriture non ])as tant pour construire que pour meubler. Il suffit d’avoir feuilleté la Somme de S. Thomas pour constater que I le texte dont il accompagne chacun de ses articles 1831

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est plutôt une formule du dogme qu’une preuve rigoureuse. Ce texte, il l’apporte dans le sens qu’on lui donne couramment, celui qui figure dans la Glose ordinaire. Du reste, le plus souvent, il est ad rem, encore que le S. Docteur ne s’attarde pas à le faire voir.

C’est surtout dans la grande controverse entre catholiques et protestants que les tendances confessionnelles ont influencé l’exégèse. Dans les deux camps, on a tiré à soi l’Ecritm-e. De quel côté a-t-on abusé davantage ? A distance, nous pouvons mesurer le déchet subi respectivement par l’exégèse catholique et l’exégèse protestante des siècles derniers. Bien entendu, la comparaison ne doit porter que sur les textes vraiment représentatifs, qui, de part et d’autre, ont été proposés et défendus comme décisifs pour ou contre une position dogmatique. Or, du côté des catholiques, il y a bien peu de textes de cette catégorie qui soient aujourd’hui communément délaissés. Les plus compromis concernent le purgatoire et la nature de la foi. Encore faut-il observer qu’une interprétation ne doit pas être dite « catholique » par le fait seul qu’elle figure dans les Controverses de Bel-LARMiN, mais il faut voir encore si elle a eu pour elle le sentiment des grands exégètes d’alors, par exemple de Jansenius de Gand et de Maldonat. Plus d’une fois, ce dernier fait observer, à propos de telle ou telle explication qui lui plaît davantage, que son seul tort est d’être en faveur auprès des protestants, et, par contre-coup, en suspicion parmi les catholiques.

On n’a que l’embai’ras du choix pour faire voir combien l’exégèse protestante d’aujourd’hui, même quand elle entend rester confessionnelle, s’écarte de celle des grands exégètes réformés de jadis : Luther, Calvin, Mélanchton, etc. Ici, je me contente d’en appeler aux travaux sortis de l’école anglicane. Par leur science et leur méthode, Lightfoot, Sanday, Westcott, Hort, Liddon, Allen, Plummer, Milligan, Swete, Maj’or, Arm. Robinson, etc., sont, de nos jours, les a leaders » incontestés du renouveau des études bibliques à Oxford et à Cambridge. Or, que l’on compare leur exégèse des textes concernant la foi et les œuvres, la justification, le mérite, TEucharislie, l’Eglise : sa visibilité, sa hiérarchie, son magistère, le primat de Pierre ; et l’on constatera qu’elle se rapproche singulièrement de ceUe des catholiques, quand elle ne se confond pas avec elle. Il y aurait tout un livre à écrire à ce sujet. Je me borne à quelques brèves indications. A comparer W. Saxday, A crit. and exeg. comment, on ihe epistle ta tlie Bomans, 1900, p. 28, 31, 34, 91, 12g, 147, 220 avec le commentaire de Calvin sur la même épître. Quand on a lii, sur l’épître de S. Jacques, J. B. Mayor, The epistle of S.James, 1892 et Hort, The epistle ofS. James, 1909, on a une tout autre idée que Luther de « l’épître de paille », comme il l’appelait. Ces récents commentateurs trouvent que, siu" la justification parles œuvres, la doctrine de S.Jacques est compatible avec celle de S. Paul. Or, l’on sait que c’est le sentiment contraire qui avait amené Luther à retrancher l’épître du canon. H. B. Swete, The Apocalypse of S. John, 1906, p. ccix, et MiLLiGAX,.S’. Paul’s epistles ta the Thessal., 1908, p. 169, avancent loyalement que l’exégèse protestante s’est égarée pendant deux siècles en entendant du pape et de la Rome pontificale ce qui est dit dans le N. T. de l’Antéchrist et de la Rome de Néron. Ch. Bigg, Crit. and exeg. comm. on the epistles of S. Peter, 1901, p. 269, est bien près de voir dans la II" Pétri, i, 20 « omnis prophetia Scripturae propria interpretatione non fit i> une condamnation du sens privé en matière d’interprétation scripturaire. A. Plummer, An exeget. comment, on the Gospel according to S. Matthew, 1909, p. 229, entend S. Matth.,

XVI, 18, d’une primauté réellement conférée à S. Pierre. H. J. Holtzmann, Hand-Comment. zum i’. T., IV, p. iio, soutient que le chap. vi de S. Jean n’est intelligible que si on l’entend du rit eucharistique.

b) Une exégèse tendancieuse peut s’alliera la bonne foi. Elle résulte alors d’un sentiment qui est en soi très louable : le dévoîiment à ce que l’on croit être la vérité. C’est un fait qu’il n’est pas de reproche que les historiens s’adressent aussi souvent les uns aux autres. Comment expliquer qu’avec les mêmes documents ils arrivent à des conclusions si différentes, sinon par la diversité même des dispositions d’esprit qu’ils ont apportées à l’étude des textes ? L’exégèse indépendante n’est pas à l’abri, tant s’en faut, de ces surprises du préjugé ; elle est, pour le moins, tout autant systématique que l’exégèse traditionnelle. C’est ce qui explique, pour une bonne part, ses variations, dont A. Scuwbitzer vient d’écrire l’histoire : Von Reimarus zu Wrede, 1906. Il faudrait redire ici ce que nous avons écrit sur l’influence des préjugés et du parti pris dogmatique en matière de critique. Voir Critique biblique, c. 806. Qu’il suffise d’ajouter, aurisque deparaître paradoxal, que le croyant est en meilleure situation que l’incroyant pour faire une exégèse correcte des textes bibliques. Ces textes ont été écrits par des croyants, pour qui la religion n’était pas une pure afl’aire de curiosité et d’étude, pour qui Jésus n’était pas simplement un personnage historique, ni son œuvre un événement comme les autres. Les évangélistes et S. Paul nous ont fait part de choses qu’ils croient vraies et qu’ils ont aimées plus que leur vie : toute leur àine a passé dans leurs écrits. Qui donc est capable de les suivre jusqu’au bout : celui qui pense et aime comme eux, ou bien celui qui regarde du dehors, en spectateur indifl’érent ? Il est à croire qu’un Grec du temps de Périclès, enraciné dans la terre d’Hellade, imbu de culture grecque, ayant foi dans les origines et les destinées de sa race, se trouvait beaucoup mieux préparé à comprendre Homère que le plus fin des hellénistes modernes. Cf. S. Aug., De utilitate credendi, vi, 6. On adit, et il faut le répéter, qu’un incrédule est radicalement incapable d’écrire la Vie de Jésus ; tout au plus composera-t-il une de ces histoires sans souplesse ni chaleur, qui ne laissent entrevoir que le dessin extérieur de son existence.

Prétendre que l’incroyant est en meilleure posture vis-à-vis delà Bible, parce que son incroyance même lui laisse la liberté nécessaire pour juger l’auteur qu’il entreprend d’expliquer, c’est confondre l’exégèse avec la critique. L’exégèse n’a d’autre objet que le sens du texte, son rôle est d’en dégager la pensée de l’auteur ; quant à savoir si cette pensée est vraie ou fausse, c’est l’œuvre ultérieure de la critique. (Voir Critique biblique, col. 806.)

2. Développement du dogme et exégèse historique. a) Le danger le plus sérieux que la formule actuelle du dogme fait courir à l’interprétation des anciens textes est de méconnaître le développement doctrinal qui s’est fait de l’A. T. au Nouveau, et de celui-ci jusqu’à nos jours. Voir Dogme (Développement du). Si l’on n’y prend garde, on ne tient pas compte de la distance qui sépare deux textes l’un de l’autre, on voit dans le premier une plénitude de sens qui n’est en réalité que dans le second ; ici, le dogme est épanoui, tandis que là. il se trouve seulement en germe. La croyance d’un Dieu en trois personnes est spécifiquement chrétienne. C’est donc qu’elle n’est passuftisamment enseignée dans l’A. T., et l’exégète ignorerait le progrès de la révélation, qui interpréterait tout uniment de la seconde et de la troisième personne de la Trinité les passages des Ecritures1833

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où se lisent les termes de Fils et d’Esprit, qu’ils se rencontrent dans le Nouveau Testament ou dans l’Ancien. Une exégèse qui ne tient pas compte des précisions historiques concernant les origines du texte, qui envisage isolément les difîérentes propositions de l’Ecriture comme si elles se suffisaient à elles-mêmes en dehors de tout contexte ; qui confond la signification absolue d’une proposition avec le sens qu’elle pouvait avoir raisonnablement sous la plume de tel auteur, étant donné Tépoquc et les circonstances où il vivait ; une pareille exégèse n’est pas historique.

Le plus grave reproche, et disons aussi le plus fondé, que l’on ait adressé au commentaire des anciens est d’avoir été conçu d’un point de vue trop transcendant, sans tenir suflisamnient compte des contingences de l’histoire. Tout en convenant de leurs torts à cet égard (encore qu’on les ait beaucoup exagérés), il est juste de distinguer ici entre la pratique, qui a été défectueuse, et la théorie. En principe, les représentants les plus autorisés de l’exégèse traditionnelle ont sauvegardé les droits de l’histoire et les exigences du contexte. S. Jérôme et S. Augustin s’accordent à enseigner que l’objet de l’exégèse est uniquement de préciser la pensée de l’auteur que l’on explique. S. Aug., De doctr. christ., I, xxxvixxxvm ; II, v ; />. i., XXXIV, 35, 38 ; S. Jérôme, P. Z., XXII, 507 ; XXIV, 869, 38, 56 ; XXVI, 66, 155, 400. Quant au développement dogmatique, il a été expressément reconnu et même assez bien formulé par plusieurs d’entre les Grecs, notamment par S. Grégoire de Nazianze, S. Cyrille d’Alexandrie, et plus tard par S. Thomas.

b) D’ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’inspiration, qui fait de Dieu l’auteur principal de toutes les Ecritures, amène forcément l’interprète croyant à se demander, si en précisant le sens voulu par l’auteur inspiré, il a épuisé toute la signification de son texte, telle que Dieu lui-même l’a entendue ; si l’intention divine est adéquatement mesurée par l’intention humaine. La question a de tout temps soulevé des controverses, et récemment encore. Cf. Lagraxge dans la Re<, ue biblique, 1896, p. 506 ; 1900, p. 141 ; et F. Prat dans les Etudes, 1901, t. LXXXVI, p. 496 ; P. Perret, dans la Re ie thomiste, 1910, p. 8.

S. Augustin, Z ?e doctr. christ., 11, v, P.L., XXXIV.38, paraît autoriser la réponse afhrmative, tandis que S. Thomas, II^ Il^e, q. l’jS, a. ! ^, fait observer, en y insistant, que le prophète reste, entre les mains de Dieu, un instrument défectueux. A ce sujet, on peut, semble-t-il, se tenir aux conclusions suivantes. S’il s’agit du sens spirituel, il n’est pas douteux que l’hagiograplie ait pu l’ignorer. Quant au senslittéral, il y a lieu de distinguer. On ne a oit pas pourquoi l’hagiograplie n’aurait pas entendu pleinement son texte aux endroits où il ne présente qu’un intérêt historique. Les prophéties seules font difliculté.Mais peut-on raisonnablement douter qu’elles ne soient mieux comprises aujourd’hui qu'à l'époque où elle^ furent écrites ? Celte circonstance tient à deux causes : les diverses prophéties ayant un même objet sont allées en se complétant les unes les autres, l'événement a éclairé d’un jour nouveau la prédiction qui en avait été faite. Ce surcroit do lumière n’ajoute pas en signification au texte lui-même, seulement il permet de le pénétrer davantage. S. Jkrôme, in epist. ad IJph., ^u, b ; P.L., XXXI, 479 ; Encycl. Proi Deus, 16 ; Litt. apost. Leonis XIII, l’igilantiae, 30 oct. 1902.

L’exégèse, d’après « l’analogie de la foi r>, qui consiste à lire les Ecritures à la lumière du dogme catholique, envisagé à son point d’arrivée, est traditionnelle. Volontiers, les Pères ont entendu du Verbe incarne ce qui est dit, au livre des Proverbes, viii.

3 1, de la Sagesse divine, « mettant ses délices à habiter parmi les enfants des hommes ». Mais, ce faisant, ils n’ont pas prétendu que cette interprétation laborieuse fournit à la théologie de l’incarnation un point d’appui aussi ferme que la simple lecture du premier chapitre de S. Jean. Ils ne confondaient pas l’ombre avec la réalité, et, à maintes reprises, ils ont fait observer que l’Ancien Testament n’est tout à fait compréhensible que dans le Nouveau. C’est là un axiome sous la plume de S. Augustin : « In Veteri Voi’Hm iatet, et in iVoio Vêtus patet », Comme norme négative, pour écarter un sens erroné, l’analogie de la foi se suffit à elle-même ; mais, s’il s’agit d’en faire une norme positive, on n’avancera ici qu'à bon escient, avec toutes les précautions commandées par la nature même du procédé.

c) De ce qui précède, on peut conclure dan squel sens un croyant doit entendre et pratiquer l’exégèse purement historique. Il va de soi qu’il ne saurait prendre comme point de départ la négation de l’inspiration, ni, par conséquent, se faire une loi de rejeter positivement toute explication qui suppose l’intervention de quelque facteur surnaturel dans la composition des textes canoniques. Mais faire abstraction n’est pas nier. On peut s’attachera l'étude des Ecritures comme si elles étaient uniquement l'œuvre de l’homme. N’est-ce pas la position de l’apologiste chrétien dans le traité de la Religion révélée, quand il envisage dans les écrits des Prophètes et desEvangélistes des monuments du témoignage historique ? L’exégèse conduite d’après cette méthode n'épuise pas nécessairement la portée du texte inspiré, surtout elle ne conclut pas toujours avec la même certitude, puisque, de propos délibéré, elle s’est interdit l’usage de certaines ressom-ces d’ordre surnaturel, dont l’auteur pinncipal des Ecritures a accompagné son œuvre pour en assurer la pleine intelligence.

Même si l’on tient compte de l’inspiration du texte, il peut se faire que l’exégèse purement historique ne rejoigne pas l’exégèse dogmatique, celle de l’Eglise retrouvant l’expression de son dogme dans un texte donné. Cette extension, cette précision de sens, qui se rencontre dans le commentaire ecclésiastique, n’est pas arbitraire, ni apportée du dehors, puisque Dieu, l’auteur premier des Ecritures, avait prévu et voulu qu’elle fût un jour reconnue par une exégèse authentique. Soit, par exemple, la doctrine du péché originel dans les chap. Il et m de la Genèse, (cf Labauche, Z^fons de théol. dogm.. L’homme, i<^o8, p. 55) ; ou encore le caractère spirituel du Royaume messianique dans les prophètes de l’A. T. (Cf. Touzard, dans la Revue prat. d’Apologétique, t. VII, p. 88, 736 ; abl)é de Broglie, Questions bibliques, 1897, p. 377.) L’exégèse historique, réduite aux ressources d’ordre rationnel, n’est pas tenue de découvrir dans ces textes autre chose que ce que les premiers lecteurs pouvaient raisonnablement } trouver. D’autre part, elle ne saïu-ait arriver légitimement à un résultat qui soit contraire aux données de l’exégèse dogmatique. Voilà pourquoi l’Eglise a condamné récemment plusieurs propositions affirmant ou supposant qu’il y a un conflit irréductible entre l’histoire et les conclusions certaines de la théologie ; que le seul moyen d’accorder désormais la raison et la foi est de les confiner sur des terrains absolument séparés, sans rapi)orts possibles/ de l’une avec l’autre « parce que la foi n’est pas matière de science expérimentale, ni même d’histoire, à proprement parler, mais d’expérience morale ». A. Loisy, Simples ré/Je.rions sur le décret Lamentabib, 1908, p. 169. Voir les proposition, 1-7, 12, 23, 2li, 'd-2 du décrci /.amentabili sane exitu, du 3 juil. 1907. 1835

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183e

Cette division à cloison étanclie dans l’àme humaine est inacceptable. Du reste, elle est impossible. Les diverses sciences peuvent bien être autonomes, avoir leur objet propre et l’atteindre par des méthodes distinctes ; mais elles ne sauraient prétendre à jouir les unes vis-à-vis des autres d’une indépendance absolue. Forcément, les sciences particulières dépendront de celles qui présentent un intérêt plus général, la mécanique ne réussira jamais à s’affranchir des mathématiques. Sans perdre l’autonomie qui lui convient, l’exégèse restera solidaire de la logique majeure et de la théologie.

Au témoignage d’un protestant, peu suspect de partialité à notre endroit, l’exégèse catholique se trouve vis-à-vis des exigences de l’exégèse historique, telle que les critiques indépendants l’entendent, dans de meilleures conditions que l’exégèse protestante.

« Les rapports entre l’histoire et la doctrine, écrit

Pf.rcy Gardner, sont à l’heure qu’il est, pour toutes les branches de l’Eglise chrétienne, une brillante question… Or, il est de tous points évident que l’Eglise de Rome est dans une situation exceptionnelle pour faire des concessions à la science historique, puisqu’elle n’a jamais édilié son système de croyances sur le texte de l’Ancien et du N. T., comme l’ont fait, pour notre plus grand malheur, les Réformateurs du XVI’siècle. » Hibbert Journal, 1904, p. 127 ; cf. A. Sabatier, Les Relig. d’autorité et la Relig. de V Esprit, igo/i^, p. 306. Mise à part l’idée peu exacte que M. P. Gardner se fait de notre dogmaticpie, il est certain que le dogme catholicjue, aussi bien par ses origines que par ses moyens de conservation, ne saurait être irrémédiablement compromis par la ruine d’un texte dont la critique viendrait à démontrer l’inauthenticité ou l’exégèse erronée.

P. Lagrange, La méthode historique surtout à propos de VA. T., 1903. P. Lemonnyer, Théol. positive et théol. historique, dans la Bévue du Clergé français, i" mars 1908 ; cf. 1" oct. 1908. J. Fon’taine, dans Zrt Science catholique, mai 1908, cf. mai 1904 ; Lievue du Clergé français, mai 1904 ; cf. La Théologie du A’. T. et l’évolution du dogme, 1906. F. Dubois, dans la Revue du Clergé français, 15 fév. 1904, i" mai 1904. avril 1908, oct. 1909, p. 28. P. Brucker, L’Eglise et la Critique biblique, 1907, p. 28, 289. Mgr Mignot, L’Eglise et la Critique, 19 10, p. 71, 89 ; cf. Bévue du Clergé français, 15 dcc. 1901.

III. Exégèse, Tradition et Église. — i. État de la question. — De tout temps l’Eglise a revendiqué un droit de contrôle et, au besoin, de magistère sur l’explication des Ecritures. C’est un fait établi par le témoignage historique. Les textes à ce sujet se trouvent réunis dans tous les cours de théologie, spécialement dans Franzelin, De div. Trad., sect. III, th. xviii, XIX, et, avec plus de développements, dans Bellarmin, De verbo Dei scripto, lib. III. Les plus anciens de ces témoignages sont déjà aussi signiûcatifs que les plus récents. Voir S. Irénée, II, ix, x ; III, iMv ; IV, XXVI, xxxiii. Aujourd’hui, des protestants ne font pas difficulté d’accorder que le magistère de l’Eglise en matière d’exégèse biblique est normal. Cf. « Dict. of Religion and Ethics « , 1909, II, art. liibliolatry ; Hibbert Journal, oct. 1908, The Bookless Religion. Plusieurs conviennent que la nécessité d’un magistère extérieur au texte sacré est déjà enseignée dans lia Petr., i, 20. Voir ci-dessus II, 1% «. A défaut de cette preuve, d’autres comprennent que, dans toute société sagement organisée, un code ne saurait être abandonné à l’interprétation privée.

L’exégèse ecclésiastique est dite authentique, parce qu’elle tire sa valeur propre non pas des raisons d’ordre scientifique, mais de la mission qu’elle a reçue

de l’Auteur même des Ecritures, C’est de cette mission qu’elle dérive sa compétence ; et elle l’exerce par voie d’autorité. Ici, comme pour le reste, son magistère peut prendre deux formes, selon qu’il s’exprime par l’enseignement quotidien, conforme à la tradition exégétique communément reçue ; ou bien par l’intervention extraordinaire du Siège apostolique. Sous cette dernière forme, les manifestations du magistère ecclé siastique peuvent être des définitions proprement dites (conciliaires ou extra-conciliaires), ou des décisions d’ordre inférieur. Voir Congrégations romaines, p. 892 ; cf. L. Billot, De Ecclesia, th. XIX.

2. Zrt législation de l’Eglise, sa nature, son objet.

— a) Cette législation tient essentiellement dans deux décrets promulgués par le concile de Trente, et par le concile du Vatican. Denz.^o, 786(668), 1788(1687). Tous les actes subséquents de l’autorité ecclésiastique en cette matière sont comme autant d’articles organiques de cette double décision conciliaire. Cf. Denz.^f^, 995, 1942, 2002, 2004. Par son objet, le décret du concile de Trente (celui du Vatican n’a fait que le renouveler) est disciplinaire, il s’agit d’abus à prévenir et à réprimer ; seulement, il se fonde sur un principe d’ordre dogmatique, savoir que l’interprétation de l’Ecriture n’est pas livrée au libre examen, mais relève du magistère ecclésiastique.

D’où il suit qu’on ne saurait soutenir avec Jahn, Lntrod. in libr. V. T., p. I, § 91, que cette législation est de tous points révocable, qu’elle impose à l’exégète catholique une obligation purement négative : celle de ne pas interpréter l’Ecriture en un sens qui soit contraire au dogme catholique, ou encore à quelque interprétation unanimement reçue des Pères ; mais que, du reste, il lui est loisible de donner ses préférences à une explication différente. A ce compte, l’exégèse traditionnelle ne serait plus qu’une norme négative, elle nous apprendrait comment nous ne devons pas interpréter l’Ecriture, mais non pas comment il faut l’interpréter. C’est précisément cette manière d’entendre le décret du concile de Trente que le concile du Vatican a entendu exclure : « Quoniam vero quae Sancta Trid. Synodus de interpretatione divinæ Scripturae ad coercenda petulantia ingénia salubriter decrevit, a quibusdam hominibus prave exponuntur. Nos… declaramus… is pro vero sensu sacræ Scripturae habendus sit queni tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia. »

b) Pour préciser l’objet et la portée du décret du concile de Trente, il suffît d’en peser tous les termes.

1° Ln rébus fidei et morum. — Cette incise, qui passa sans dilTiculté à Trente, fut l’objet d’une vive discussion dans le concile du Vatican. Plusieurs Pères prétendaient qu’elle restreignait indûment le droit de l’Eglise. Mgr Gasser, rapporteur de la commission conciliaire Pro fide, ne nia pas le caractère restrictif de la clause, mais se contenta de répondre que, nonobstant les termes du décret, l’Eglise gardait le droit inaliénable de juger et de condamner toute interprétation qui porterait atteinte au dogme de l’inspiration ou à l’inerrance biblique, même si cette interprétation portait sur des passages n’intéressant pas directement le dogme et la morale. Const. Concil. Frt</c. dans la Collectio Lacensis, VII, p. 226. L’incise

« in rébus fidei et morum » limite, tout au moins

de fait, l’objet direct du magistère ecclésiastique aux choses qui par elles-mêmes concernent la foi et les mœurs.

D’une façon plus précise, que faut-il entendre par

« les choses qui concernent la foi et les mœurs » ? On

discute à ce sujet. M. Vacant, Etudes théol. sur les const. du conc. du Vatican, 1896, I, p. 628, pense qu’il ne s’agit pas de distinguer dans le contenu 1337

EXEGESE

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l)iblique des textes dogmatiques et des textes non dogmatiques (bien que cette distinction soit en elle-même recevable) ; mais que la distinction porte siu- le commentaire qu’on en fait, qui peut être doctrinal ou non doctrinal (philologique, archéologique, purement historique). Or, le décret ne viserait que le commentaire doctrinal. M. Vacant propose, lui-même, lexemple suivant : « Ainsi, nous lisons la généalogie de J.-C. dans les Evangiles. Si on commente cette généalogie en faisant ressortir que J.-C. est véritablement homme, puisqu’il descend d’Adam, et qu’il est le Messie puisqu’il descend d’Abraham, de Jacoli et de David, on en donnera une interprétation doctrinale… Si, au contraire, on cherche dans cette généalogie l’âge du monde, le nombre des ancêtres de J.-C, la date oùils ont vécu…, on donnera de cette généalogie une interprétation qui ne sera pas doctrinale ; car ces points de chronologie n’appartiennent pas à la doctrine chrétienne et ne rentrent pas dans les énoncés qui font partie de la révélation. » D’autres, par exemple le P. Granderath, Der Katliolik, 1898, p. 297, estiment qu’il s’agit des textes eux-mêmes intéressant directement le dogme ou la morale. L’opinion de M. Vacant rend compte d’un fait considérable, savoir que, de l’aveu de tous, l’obligation créée par le décret du concile ne s’étend pas, du moins directement, aux explications philologiques, scientiliques, purement historiques, sans connexion nécessaire avec la doctrine catholique, ni aux applications morales d’un caractère simplement édifiant ; alors même que, pour des raisons étrangères à la révélation, les Pères s’accorderaient à entendre, de ce point de vue, un texte dogmatique. Dans l’interprétation traditionnelle de Geit., 11, 19, il y a lieu de distinguer la doctrine concernant la domination donnée à l’honime sur les animaux et certaines conclusions que Ton a cru pouvoir tirer du même passage : la présence de tous les animaux au paradis terrestre, l’hébreu langue primitive, etc. L’encycl. Provid. Deus, 29, fait observer, en citant S. Thomas, II Sent., Dist. xiv, q. i, a. 2, que, dans les choses où ils n’avaient pas dans la révélation une lumière de foi, les commentateurs de l’Ecriture ont suivi les opinions de leur temps, ou les principes reçus dans l’école de philosophie à laquelle ils appartenaient.

Dans le commentaire ([ue les Pères nous ont laissé de l’Ecriture, S. Thomas distingue ce qui appartient à la substance de la foi et les explications ultérieures qu’ils y ont ajoutées. Le premier de ces commentaires est seul une règle inviolable pour l’exégète catholique. « Il faut savoir, écrit-il, qu’en ce qui concerne le commencement des choses, les saints, d’accord sur ce qui est de foi, à savoir que Dieu seul existe de toute éternité, se trouvent avoir parlé diversement, du moins à s’en tenir à la surface des mots, touchant les autres points, qui ne sont pas de l’essence de la foi ; sur ces points il leur a été permis d’avoir des opinions diirérentes, comme nous en avons encore le droit nous-nu>mes. » In II Sent., Dist. II, q. I, a. 3. Il est encore plus explicite dans la Dist. XII, q. I, a. 2, et Dist. xiv, <(. i, a. 2. Les anciens ont interprété Jos., x, 13, Stelit itaqiie sol in medio coeli d’après la cosmographie de Ptolémée ; mais leurs explications scientiliques restent distinctes du fait, reconnu par eux, de la prolongation miraculeuse du jour. Un des torts des théologiens qualKlcateurs du S. Office dans l’affaire de Galilée a été de méconnaître la distinction faite par S. Thomas, et déjà autorisée par certains passages de S. Augustin dans son De Gen. ad lit. II, ix, 20 ; VIII, vii, 13. Voir Galilée et Inerrance h115Lii)UE.

C’est un fait (dont il faut rendre compte) que, de nos jours, beaucoup d’excgètes ne font pas le même

accueil à l’opinion limitant le déluge biblique à une portion de la terre, et à l’opinion qui le restreint à une portion de l’humanité ; alors pourtant que les anciens n’ont pas distingué, du moins expressément, entre l’extension ethnographique du déluge et son extension géographique. Il est vrai que des apologistes croient pouvoir soutenir que les anciens n’ont pas été réellement unanimes à tenir l’universalité du déluge quant à la terre. Voir Déluge, col. 91 3.

2° Ad aedificationein doctrinæ cliristianæ pertinentium. Cette clause se rattache étroitement à la précédente, non pour la restreindre, ni pour l’étendre, comme a pensé le P. Granderath, Der Katholik, 1898, p. 385, mais pour la préciser d’après la distinction que nous venons de faire. Même dans les choses qui, prises en bloc, intéressent la foi et la morale, il est des circonstances qui n’ont pas de caractère dogmatiqvie. Il s’agit donc ici des « choses qui contribuent à l’établissement du dogme », c’est-à-dire du commentaire théologique.

3’^ Contra enm sensum qitem tenait et tenet sancta mater Ecclesia. — Le Card. Franzelin, De div. Trad. et Script., 1873, p. 223, entend ces paroles de la prédication quotidienne de l’Eglise, mais le contexte invite, semble-t-il, à les entendre, du moins principalement, de son magistère extraordinaire, définissant le sens d’un texte ou condamnant une interprétation qu’on en a proposée. S’il ene ?, 1311rs, i, que m te nuit concerne les décisions passées etquein tenet les décisions présentes. Les textes directement définis par l’Eglise sensu affirmante sont très peu nombreux, le sens d’un plus grand nombre a été déclaré sensu negante (dans quel sens il ne faut pas les exposer), soit directement, cf. Denz.** 224 (183), 1022 (902), io50(930), 1075 (966), 1076(906), 2047 ; ^^^^ indirectement par la condamnation de certaines erreurs qu’on prétendait fonder sur l’Ecriture. Le Card. Franzelin, /. c, p. 222, n. 2, a écrit : « Sensus multorum lextuum hoc modo (par définition solennelle et directe) declaratus est. » En réalité, il ne cite que neuf passages qui aient été définis de la sorte ; encore qu’il ajoute etc. De son côté, le P. Cornely, Introd. in U. T. libros, I, p. 589 (edit. ait., p. 610-611), n’en connaît que dix. On peut dire que le nombre des textes directement définis par l’Eglise ne dépasse pas la douzaine.

Pour qu’un texte soit censé défini de la sorte, il n’est pas nécessaire qu’il soit présenté comme tel par un canon de concile, l’exposition d’un chapitre dogmatique peut y sufiire. C’est ainsi, qu’au sentiment de la plupart, Matth., xvi, 16, Tu es Petrus…, se trouve défini dans laconst. « Pastor aeternus)^.Denz.^^’, 1833 (1678). D’autre part, un texte apporté comme argument, même dans un document ex cathedra, n’est pas censé, par ce fait seul, être authentiquement défini ; bien qu’il jouisse, de ce chef, d’une autorité particulière. Les textes développés dans la bulle dogmatique fnejfabilis Deus ne sont pas définis. Un argument d’Ecriture peut fig.rer dans un canon conciliaire, sans que la définition s’étende au texte lui-même, par exemple Prow, viii, 35, Præparatur voluntas a Domino, cité d’après les LXX dans le quatrième canon du second concile d’Orange. Denz.*’177.

4° Aut etiam contra unanimem consensuni Patrum.

— Le seul fait du consentement des Pères, surtout en matière d’exégèse, autorise à présumer qu’il n’a pas eu sa cause dans une opinion purement humaine, mais qu’il se fonde plutôt sur les données de la révélation. Cependant, ce n’est là qu’une présomption. Il faudra considérer encore l’objet précis sur lequel porte le consentement. En y regardant de près, on constatera que parfois cet objet est beaucoup plus restreint qu’on ne l’avait pensé de prime abord ; 1839

EXEGESE

1840

inême, il peut arriver qu’il n’y ait pas réellement accord sur un seul et même objet. Le P. Patrizi, in Act. Jpost., VIII, 33, a fait une enquête complète de la tradition exégétique au sujet d’Isaîe, lui, 8, Generationein ejus quis enarraliit ? A l’exception de trois auteurs seulement, avant le xvi « siècle, tous les autres ont interprété ce texte de la génération du Christ, mais 89 de la génération éternelle, 4 de la génération temporelle, 20 de l’une et de l’autre. Le P. Patrizi croit devoir, au nom de l’interprétation traditionnelle, luaintenir que, dans ce passage, il est question de la génération du Christ en un sens vague et transcendant ; mais le P. Knabexbauer, in Isaïam, II, p. 310 et la plupart des modernes (cf. CoxDAMiN, Le Livre d Isaïe, p. 821) délaissent cette explication, par la raison qu’il n’y a pas réellement ici d’exégèse traditionnelle. « Patres certe non consentiunt in una interpretatione cum très habeant », dit le P. Corluy, Spicil. dogni. bibl., 1884, II, p. 99 ; et le P. Chr. Pesch, Prælect. dogm., 1898", t. I, n. 587, ajoute : « Patet neutram explicationem tradi ut pertinentem ad tidem catholicam. » Trop souvcnt, le consentement des Pères est allégué à tort, faute d’avoir été vérifié et analysé consciencieusement. Du reste, c’est à celui qui l’allègue d’en faire la preuve. Jusque-là, on n’est pas tenu de le croire, et il est permis de réserver son jugement. C’est à une facilité indiscrète d’écrire : Omnes Patres consentiunt que nous devons le discrédit qui s’attache de nos jours à l’argument de tradition, tel qu’il a été pratiqué par beaucoup de théologiens et d’exégèles depuis le xa-i’= siècle.

Même quand le consentement existe, on doit se demander en outre si les Pères ont donné leur explication comme nécessaire à l’unité catholique. C’est la circonstance la plus difficile à déterminer, mais aussi celle qui, malheureusement, retient le moins l’attention des auteurs. C’est uniquement par l’histoire des opinions et des controverses que l’on arrivera à se faire une certitude à ce sujet. S. Augustin et ses contemporains s’insurgèrent contre S. Jérôme, quand celui-ci prétendit que les LXX n’avaient pas été inspirés, mais ils ne menacèrent pas de rompre avec lui comme avec un hérétique ; ils eussent été, sans doute, plus exigeants dans la question du canon de l’A. T., si Jérôme n’avait pas fait prévaloir, du moins en pratique, l’autorité de la tradition ecclésiastique sur ses conjectures de savant. Voir Canon catholique, col. 447-448. Parfois, on se demandera utilement ce que les anciens auraient pensé s’ils avaient eu nos connaissances historiques et géograpliiques. Si S. Augustin vivait de nos jours, maintiendrait-il que le paradis terrestre existe actuellement dans quelque partie du globe encore inexplorée ? Bellarmin, De gratia primi hominis, c. xiv ; édit. Vives, V, p. 201, a cité et aprouvé les passages du S. Docteur à ce sujet.

Le fait que le consentement des Pères n’a pas été durable est, à lui seul, une preuve théologique qu’il n’était pas nécessaire. J’entends nécessaire à l’établissement du dogme, car il peut se faire (l’histoire de l’exégèse nous apprend que le cas n’est pas chimérique ) qu’une interprétation perde pour un temps, même pour longtemps, le consentement unanime des commentateurs, encore qu’elle soit la véritable.

Pratiquement, le recours aux commentaires des Pères de l’Eglise fournit le plus souvent une direction plutôt qu’une règle de foi. Cette direction, l’exégète catholique ne s’en écartera que pour de graves raisons. C’est le sentiment du C. Corxely, LIist. et crit. Introd. in U. T. lib. sac. Compendium, iSgô, p. 146. « Non multos textus ab Ecclesia directe vel indirecte défini tos esse diximus ; in paucioribus forte consensus ille Patrum invenitur ; at in reliquis ideo

nondum licet indulgere ingenio. » Même dans le cas où le commentaire traditionnel des anciens se présente avec un caractère doguiatique bien défini, s’il s’agit de questions controversées aujoiu-d’hui entre catholiques, une intervention de l’Eglise sera le plus souvent nécessaire pour le faire accepter de tous. C’est dans ce sens que Bellarmin a écrit : « Non desunt loca Scripturae, ex quibus character (sacramentalis ) colligi possit, præsertim adjuncta explicatione Patrum et Ecclesiae, sine qua nulluni dogma ecclesiasticum omnino certo statui potest. » De Sacrum. , ch. xx ; édit. Vives, III, p. 4^2.

Dans l’article Critique biblique, col. 81 3-8 18, on a déjà dit que le magistère de l’Eglise étendu à l’Ecriture est compatible avec la juste liberté dont l’exégète a besoin pour ses recherches.

8. Valeur historique de la tradition ecclésiastique en matière d’exégèse. — La société chrétienne est antérieure au Nouveau Testament. Le livre n’est que l’expression écrite d’une doctrine dont l’Eglise vivait déjà, d’une histoire qu’elle racontait depuis près d’un demi-siècle. En recevant certains textes comme canoniques, elle s’est assurée qu’ils étaient conformes à sa foi, ou du moins qu’ils ne contenaient rien de contraire. C’est ce que l’histoire du Canon atteste. D’une façon générale, la foi de l’Eglise n’est pas née des textes ; au contraire, elle s’est formulée dans l’Evangile et les Epîtres. D’autre part, aucun de ces textes n’a la prétention de réfléchir l’enseignement ecclésiastique en son entier, ni de se passer, pour être compris, de la tradition vivante qui les a précédés et à la lumière de laquelle ils veulent être lus. Ecrits par des croj’ants et pour des croyants, ces livres resteront, dans une bonne mesure, lettre close, pour ceux du dehors. La dépendance de l’Ecriture vis-à-vis de l’Eglise ne s’affaiblira pas avec le temps, elle ira plutôt en grandissant à mesure que se multiplieront les controverses sur la lettre du texte.

Indépendamment de sa valeur dogmatique, envisagée du point de vue historique et dans sa valeur purement humaine, la tradition de l’Eglise sur les origines du Livre, sur la signification exacte de son contenu, s’impose à toute exégèse qui veut être réellement critique. C’est à cette attitude de l’Eglise au regard de l’Evangile que pensait sans doute S. Augustin quand il écrivait : Evangelio non crederem nisi me catliolicæ Ecclesiæ commoveret auctoritas.

Corluy, LJ interprétation de la S. Ecriture, dans « La Controverse et le Contemporain », 1885, p. 420-438. Graxderath, Constit. dogm. sacros. oecum. Concil. Vaticani, 1892, Collect. Lac. VII, ’^2, 80, 124, 144, 154, 226, 240, 251, 508, 628 et I)er Katholik. 1898, p. 289, 385. LoisY, La critique biblique, dans « Etudes bibliques 2 », p. 190 ; *Commentaire du décrets Lamentabili sane exilu », 1908. Vac.xt, Etudes théol. sur les const.du Conc. du Vatican, 189.5, p. 516-552. Kaulen, Grundscitzliches zur Kathol. Schriftauslegung, dans

« Litterarischer Handweiser », 1896, n. 4-5. Bruc-KER, 

Questions actuelles d Ecrit, sainte. 1895, p. 81. E. ScHŒPFER, Das Trid. Décret, iiber Kathol. Schriftauslegung, dans’( Bibel und Wissenschaft », 1896, p. 86. Egger, Streiflichter iiber die freiere Bibelforschung, 1899. Nisius, Zeitschrift fiir Kathol. Tlieol. (Innsbruck), 1899, p. 185, 282, 460 ; cf. 1897, V-’55-Lagrange, f.’interprét. de la S. Ecriture dans l’Eglise, dans la « Revue biblique », 1900, p. 185. Maxgexot, ILerméneutiqiie, dans le Dict. de la Bible (Vigouroux),

1901, p. 61y. G’ir. Pesch, Theologische Zeitfragen,

1902, p. 42. ViNATi, De magisterio Ecclesiæ e.regetico, dans « Divus Thomas », 1908. p. 259 ; cf. 1886, p.53.BoNACCORSi, L’interpret. délia Scrittura seconda 1841

EXEMPTION DES REGULIERS

1842

la dottrina cattoUca dans « Questioni bibliche », 190^, p. 141-263 ; cî. Rev. bibl., igo^, p. 141. Voir, en outre, les « Introductions générales à l’Ecriture >^ où l’on traite d’ordinaire des rapports de l’exégèse avec le magistère ecclésiastique.

Alfred Durand, S. J.