Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Extase

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 941-942).

EXTASE. — I. Définition. — II. Espèces. — III. Effets. — IV. Erreurs concernant l’extase.

I. Définition. —

Les mytiques entendent par extase l'état qui, non seulement à son début, mais pendant toute sa durée, renferme deux éléments essentiels : le premier, intérieur et invisible, est un état très intense d’attention à Dieu ou à quelque autre objet religieux ; le second, corporel et visible, est l’aliénation des sens.

Cette dernière expression signifie, non seulement que les impressions des sens cessent d’arriver à l’àme, mais qu’on éprouverait une grande difficulté à provoquer des sensations, soit qu’on en ait soi-même la volonté, soit que d’autres personnes essaient d’agir sur les organes.

II. Espèces. — L’extase est appelée incomplète, si les sens donnent des connaissances confuses, ou si la personne garde le pouvoir de faire certains mouvements ou de prononcer des paroles.

L’extase s’appelle r^ extase simple, si elle se produit doucement, peu à peu, ou si elle n’est pas très forte ; 2" ravissement, lorsqu’elle est subite et violente ; S vol de l’esprit, lorsqu’elle semble séparer l’àme du corps.

La plupart des saints canonisés dans les temps modernes ont été gratifiés de l’extase. Quelques-uns, comme S. Josephde Cupertino, y étaient plongés tous les jours. Les extases durent souvent plusieurs heures, et on en a vu de plusieurs jours. (Pour plus de détails, voir mon livre Des Grâces d’oraison, ch. xviii, 6* édition ; Beauchesne, 1909.)

III. Effets. — D’après les témoignages unanimes des extatiques, leur intelligence s’agrandit pendant l’extase. Des vues très hautes, des idées profondes sur les attributs de Dieu les plus cachés occupent leur esprit. Toutefois ils sont impuissants à expliquer en détail ce qu’ils ont vu. Cela vient, non de ce que leurintelligencea été comme endormie, mais de ce qu’elle s’est élevée à des vérités qui dépassent la force naturelle de l’esprit humain et qu’ensuite leur mémoire ne peut d’ailleurs reproduire adéquatement. Demandez donc à un savant d’exprimer les profondeurs du calcul infinitésimal avec le vocabulaire des petits enfants et des bergers !

Comme l’a remarqué le P. de Bonniot, « ce n’est pas assez de dire qiie la langue adaptéeaux opérations ordinaires de l’esprit humain est forcément insutllsante ; les idées mêmes, ces idées par lesquelles nous comprenons tout, parce qu’elles sont la base de nos jugements, ne s’ai)pliquent plus aux intuitions de l’extase, qui sont d’un ordre infiniment supérieur » (ie miracle et ses contrefaçons, part. II, ch. vii, s. 2).

On ne saurait trop insister sur ce point : ce qui fait lavaleur des extases des saints, ce qui en établit l’origine divine et la transcendance, c’est l’extrême élévation des connaissances intellectuelles, avec les actes héroïques de vertu que pratiquent ces âmes.

IV. — Examinons maintenant les principales erreurs qui concernent l’extase.

Première erreur. — Beaucoup de nos adversaires (parmi les plus récents citons Mi’risier et Lkuha) ont essayé de déprécier l’extase, déclarant que l’intelligence n’y est pas inondée de vives lumières, mais que, tout au contraire, on y arrive à un monoidéisme très pauvre, puis à l’inconscience et à ral)rutissement.

1° Cette doctrine dénature audacieusement les faits et les renq)lace par des descriptions fantaisistes. C’est aux extatiques de nous renseigner sur ce qu’ils

éprouvent, et non aux médecins de leur expliquer ce qu’ils devraient éprouver,

Un savant, M. Darlu, a eu le courage de se plaindre de cette fausse méthode, dans une séance de la Société française de philosophie, qui réunissait vingt-cinq professeurs de la Sorbonne ou de l’Université.’( Un profane en ces matières, dit-il, peut donner son impression. L’histoire du mysticisme offre le plus grand intérêt : outre qu’elle est une partie notable de l’histoire des idées, elle nous fait réfléchir sur nos aspirations intimes, peut-être sur notre pauvreté spirituelle. Mais c’est à la condition d’être de l’histoire, de rapporter impartialement ce que pensent les mystiques, ce qu’ils éprouvent ou croient éprouver. Au contraire, la psychologie du mysticisme se substitue au mystique ; elle analyse, elle prétend modifier les états intérieurs qu’il atteste, les classer dans tel ou tel de ses coTupartiments. Elle est courte, elle est superficielle, elle est exposée, par les partis pris de sa méthode, à déformer, voire à rabaisser ce qu’elle prétend expliquer. >(fi « //e ; //i de la Société, janvier 1906, p.’(I.) Dans la même séance, M. Bloxdel présenta des critiques analogues.

2° Cette doctrine a un autre défaut. Elle n’explique pas pourquoi les sens sont suspendus. Parce qu’on ne pense à rien, ce n’est pas une raison de cesser de voir et d’entendre.

S"^ Autre réponse. Les mystiques admettent que généralement on n’arrive pas d’un bond à la période des extases. Celles-ci sont précédées d’une série d’états préparatoires dont le plus faible est appelé par Ste Thérèse oraison de quiétude. Si l’extase était un simple abrutissement, les états qui la précèdent seraient le commencement de cette situation lamentable, ce qui ne répond nullement aux descriptions classiques. Les mystiques et leurs directeurs se défieraient de cette misère psychologique et la repousseraient.

Certains auteurs ont essayé d’adoucir un peu la doctrine précédente ; ils ont donné l’explication émotionnelle. Celle-ci concède que l’extatique n’est pas plongé dans une sorte de sommeil épais. Il éprouve au contraire des émotions violentes qui lui font perdre l’usage des sens. Cependant son esprit ne s’applique qu’à une petite idée banale, si banale même que les auteurs ne songent pas à s’en occuper. — Mais ici encore on dénature les faits : on admet le contenu émotionnel de l’extase, et on rejette a priori le contenu intellectuel d’ordre supérieur. De plus, on afllrme l’existence d’une émotion absolument disproportionnée avec la connaissance qui la provoque. Enfin, si l’extase se réduit presque uniquement à une immense éruption d’amour, cette violence devrait commencer dès la quiétude. Tout ceci est contraire à l’expérience.

Seconde erreur. — On a voulu expliquer l’extase en disant que c’est un état maladif. Pour préciser davantage, on la confond avec l’évanouissement, ou avec la léthargie et la catalepsie.Mais dans ces états, l’àme est privée de connaissance ; tandis que dans l’extase elle est remplie de lumière et de joie ; l’aliénation des sens n’en est pas le seul élément, ni même le principal. La ressemblance est donc purement physique.

On a aussi voulu assimiler l’extase à l’hypnose. Mais les causes extérieures diffèrent totalement : les saints n’entrent pas dans leur état sous l’influence d’un opérateur, ainsi que cela arrive aux hypnotisés. D’autre part, au point de vue de l’àme, il y a une grande différence entre les deux états, soit pendant l’extase, soit en dehors. Car nous avons vu que, pendant l’extase vérital)le, la faculté intellectuelle grandit d’une manière surprenante. L’effet contraire est 1867

EXTREME-ONCTION

1863

produit par la fausse extase. On le constate clairement sur les névropathes qu’on exliibe en séance dans les hôpitaux. Dans l'état hypnotique, il y a diminution delintelligenceau profit de quelque pauvre image. Il sullit d’une seule idée, absolument insignifiante, l’idée d’une Heur, d’un oiseau, pour absorber profondément l’attention. Pendant la crise, on obtient que le malade parle, mais il ne dit que des banalités.

Puis les hallucinations observées dans les hôpitaux consistent toujours en représentations de l’imagination. Elles sont visuelles, auditives ou tactiles ; et dès lors très différentes des perceptions éminemment intellectuelles qu’ont généralement les saints.

Mais c’est en dehors de l’extase que l’opposition devient encore plus facile à constater. — i" Le névropathe en sort déprimé, éteint, hébété. Il ne montre habituellement qu’une intelligence médiocre, dominée par l’imagination ; il n’a aucune suite dans les idées. Les saints, au contraire, par exemple sainte Thérèse, saint François Xavier, etc., sont des esprit s fermes, concevant des projets difficiles à exécuter et se guidant par la raison. — 2>^ C’est surtout la volonté du névropathe qui est très faible. Tel est même là, d’après les médecins, le caractère fondamental de l’hystérie. On explique par cette faiblesse maladive que le sujet ne puisse résister à la suggestion. Il veut immédiatement ce qu’un autre comuiande énergiquement, surtout s’il a pris l’habitude de « éder. Ces pauvres détraqués sont des rêveurs stériles, des abouliques, des impuissants. Au contraire, les saints ont une volonté tellement énergique qu’ils luttent contre toutes les oppositions pour faire réussir leurs entreprises ; mais surtout ils luttent contre eux-mêmes, et le travail prolongé qu’il leur a fallu développer, pour pratiquer certaines vertus, nous jette dans l'étonnement. Pendant que le névropathe ne sait pas souffrir, qu’il s’impatiente, murmure et s’affole comme un enfant, l’extatique accepte avec enthousiasme son mal et le domine. — 3° Enfin le niveau moral du névropathe est très bas, comme sa raison. On se demande parfois si ces malades ont vraiment la notion du devoir et si cette idée a quelque prise sur eux. Les saints ont toujours un idéal moral très élevé, le besoin de s’oublier pour se dévouer à la gloire de Dieu et au bien des autres. Ils fuient les honneurs, tandis que les hystériques ne songent souvent qu'à jouer un rôle devant un petit cercle de curieux. On est en face d’un dégénéré, d’une nature appauvrie. Le saint, au contraire, est un héros. C’est lui qui mériterait d'être appelé un Surhomme.

Enfin on a voulu identifier l’extase à certains somnambulismes naturels. Dans ces états, les sujets composent des vers ou des discours. Mais ces faits ont été exagérés. On n’obtient guère que des réminiscences. C’est l’imagination et la mémoire, plus que l’intelligence, qui sont en action.

Parmi les manifestations somnambuliques les plus parfaites, il faut compter celles d’Hélène Smith, qui, pendant cinq ans, ont été étudiées scientifiquement par M. Flour.xoy. professeur de psychologie à l’Université de Genève (voir son livre : Des Indes à la planète Mars. Alcan, 1900). Or les descriptions qu’Hélène fait pendant ses crises ne sont guère que des répétitions de souvenirs, et surtout elles sont toutes d’ordre très inférieur, ne s’adressant qu’aux sens et à l’imagination, et très enfantines. Les saints s'élèvent bien au-dessus de ce niveau.

Notons, en passant, que la plupart des médecins s’occupant de psychologie religieuse sont des aliénistes. Fréquentant des hallucinés, ils sont portés à leur assimiler quiconque a des états d’esprit exceptionnels. Ils aiment à s’occuper de mystique ; ils y

voient un prolongement de leur spécialité et en parlent souvent sans une préparation suffisante.

Troisième erreur. — On nous dit : même en admettant que, dans l’extase, l’intelligence est très éveillée, on peut regarder cet état comme purement naturel. En effet, ajoute-t-on, dans la vie ordinaire, il y a deux cas où nous constatons que nous devenons presque immobiles, ne nous apercevant plus de certaines impressions sensorielles. C’est quand nous sommes très absorbés soit par une idée, soit par une émotion. Eh bien, supposons que cette concentration de l’attention sur 1 idée ou l'émotion soit d’une force extraordinaire, anormale, nous pouvons concevoir que les sens éprouvent eux-mêmes une diminution d’action extraordinaire, et même complète. Vous obtenez ainsi l’extase.

Réponse. Nous ne prétendons pas que tout commencement d’aliénation des sens est surnaturel ; puisque certaines crises morbides peuvent avoir cet effet. Mais nous disons : il est telle aliénation morbide qui ne peut venir que de Dieu ; il n’y a pas d’autre cau^-e assignable de la très haute contemplation qui l’accompagne. C’est toujours à ces idées transcendantes qu’il faut en revenir.

De plus, l’objection revient à admettre qu’il y a des extases purement naturelles. Il faudrait le prouver historiquement, au lieu de se livrer à des hypothèses. Or on n’y a jamais réussi d’une manière satisfaisante (voir Les Grâce.' d’oraison. ch.xxx, §3). Aucun géomètre ou géologue n’a été vu contemplant ses idées familières, en ayant l’aliénation des sens. Les deux ou trois exemples qu ont voulu citer les anciens ne tiennent pas devant la critique.

On fait le même sophisme quand on veut expliquer les stigmates des saints par une action de l’imagination. On vous dit : « L’imagination peut produire certains effets, très faibles, il est vrai, sur la peau. Donc si cette faculté devient très puissante, on co71fo/< qu’elle puisse produire des effets considérables, tels que des trous et un grand écoulement de sang. » — Il ne s’agit pas de conce’oir la possibilité en soi, mais d'établir expérimentaleinent que ce genre de phénomènes se produit dans l’ordre profane. Que deviendrait la physique, si on procédait ainsi par hypothèses plus ou moins vraisemblables, sans apporter d’expériences positives ? Les libres penseurs euxmêmes proclament que ces expériences ont seules une valeur scientifique.

Ces messieurs continueront cependant à donner des explications antiscientifiques pour l’extase, comme pour les stigmates. Ils y sont forcés par leurs préjugés. D’après eux, il n’y a pas de surnaturel. Dès lors il doit exister des explications naturelles, et on en essaiera toujours tant bien que mal.