Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Galilée

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 80-103).

GALILÉE.

Avant-propos.

1° Histoire des documents du procès de Galilée. 2° Causes qui ont contribué à mettre en relief la condamnation de Galilée.

I. — Question histohique.

]" Les différents systèmes astronomiques. 2* Galilée et le système de Copernic. 3’Le procès de 1016.

! t’Le procès de 1633.

II — Question scientifique.

1° Sens et râleur des affirmations de Galilée. 2° Argument apporté par Galilée en 1616. 3* Arguments apportés pur Galilée en 1633. 4" Probabilités qu apportait Galilée en faveur du système de Copernic.

III. — Question kxéiiétique.

r Opinion des l’éres et Docteurs de l’Eglise. 2° Intervention de Galilée.

IV. — Question canonique. 1°, alure de la question.

2" Valeur des décrets de 1616 et de 1633. 3° liéponse aux objections.

Conclusions.

1° Galilée croyait-il à la valeur du système de Copernic ?


2" Les adversaires de Galilée ; leurs motifs et leurs

excuses. 3° Suites el conséquences de la condamnation de

Galilée.

AVANT-PllOPOS

1° Histoire des documents du procès de Galilée’. — Le tribunal de l’Inquisition ou du St.-Ollice possède dans son grelTc deux séries de registres olliciels, ceux des Procès et ceux des Décrets.

Les registres des l’rocès renferment les dossiers de toutes les pièces pouvant éclaireir les causespendantes : lettres autographes ou copies des minutes originales, mémoires et avis, procès-verbaux d’interrogatoires, duplicata des arrêts rendus et autres documents analogues.

Les registres des Décrets contiennent les procèsverliaux des séances et les minutes des jugements et des arrêts. A l’époque de Galilée, l’assesseur du St. -Office écrivait sur des feuilles vidantes un brouillon des délibérations et décisions ; il le résumait ensuite, transcrivait ce résumé sur le registre, et le faisait ap|)rouver et signer, après lecture, au début de la séance suivante. Les brouillons étaient naturellement détruits.

1. Pourdc plus amples détails el pour lu hihliogrnpliie de cette histoire, cf. Âa nouvelle édition des pièces du J’ro<<’, ! de Galilée, nrlicle de H. Bosmans, S. J., dmis lu Kerue lies Qitfations scienlifi(/ucs, a"ril 1903, et Civiltà CattoUca, 1 iiuirs 1903. 149

Les pièces du Procès et des Décrets concernant l’affaire de Galilée ont eu des destinées différentes, mais également mouvementées,

Le Proces se conserva à Rome, dans les Archives du St.-Office, jusqu’au commencement du x1x° siècle, et c’est chose fort connue que la tradition constante de la Congrégalion fut d’en refuser conununication. Longtemps donc les historiens qui écrivirent sur Passaire furent dans Fimpossibilité de recourir aux sources originales, et ce n’est pas l’une des moindres causes pour lesquelles l’histoire du procès de Galilée est restée obscure jusqu’en ces dernières annees

En 1811, quelque temps aprés l’occupation de Rome par les troupes françaises, Napoléon I’ordonna le transfert des Archives du St.-Oillice à Paris. A cette occasion, les pièces du proeës de Galilée furent soigneusement recherchées, puis confiées au bibliophile Barbier, bibliothécaire de l’empereur, qui forma le projet de les publier intégralement. Les ditticultés du travail le retardèrent sans doute ; les soucis des derniérescampagnes ventousensuite détourner l’attention’le Napoléon, et il ne semble pas avoir été question de l’édition des pièces du Procès jusqu’à la chute de l’Empire.

En 1814, Pie NH fit redemander à Louis

XVHI le célèbre dossier ; jour et lieu avaient été pris par le comte de Blacas et Myr Marini, Garde des Archives Pontificales, pour la remise des pièces, lorsque le roi manifesta le désir de les parcourir, Survent la débàele des Cent-Jours, pendant laquelle le dossier s’égara.

A la fin de 1815, les pourparlers reprirent. entre les Cours de Rome et de Paris. mais sans résultat, le dossier demeurant introuvable ; à partir de 1817, le Saint-Siège semble même avoir renonce à de nouvelles réclamations.

Conumentles piéces perdues furent-elles retrouvées ? On l’ignorera sans doute toujours. Ce qui est certain, c’est qu’en 1845 elles furent rendues au Pape par l’intermédiaire du comte Rossi, sous la promesse expresse qu’elles seraient livrées à la publicité. Pendant les malheureux événements de 13848, Pie IX confia la garde des précieux documents à Myr Marini et, le 8 juillet 1850, il les déposa à la Bibliothèque Vaticane. Depuis. le dossier à été restilué aux Archives secrètes du Vatican, où il se trouve aujourd’hui.

La promesse faite à Rossi fut remplie, mais fort incomplétement, par Mgr Marini, en 1850. Une deuxième édition du procès, plus complète, mais encore partielle, fut donnée en 1867 par Henri de l’Epinois. Berti, en 1836, donna une troisième édition, plus étendue, mais toujours incomplète, et il en donnait une nouvelle deux ans plus tard. De son côté Charles von Gebler donnait, en 1897. une excellente édition à laquelle on se référe depuis trente ans. Mais le manuscrit du Procès est. par endroits, des plus malaisés à déchiffrer ; d’ailleurs il a subi des remaniements récents. On pouvait done espérer une édition plus exacteet plus minutieusement critique. Un savant dont la compétence est hors de pair quand il s’agit de Galilée, M. A. Favaro, obtint de Léon XII toutes les facilités désirables pour étudier le manuscrit à son aise. Il l’a soigneusement décrit dans son état actuel et nous en a donné, en 1907. un texte détruitif !.

Nous venons de retracer à grands traits l’histoire du Procès de Galilée ; l’histoire de la publication du manuscrit des Décrets est également intéressante.

Ce manuscrit avait échappé aux perquisitions des agents de Napoléon 1’ ; pourtant l’on en supposait à bon droit l’existence. A plusieurs reprises, des éru-




1. Galileoe l’Inquisizione, pp. 33-140. C’est à ce texte que nous donnerons nos références.

GALILÉE

150

dits en avaient demandé communication ; on leur avait poliment répondu que les archives ne contenaient rien sur le sujet qui les intéressait. La réponse n’arien qui doive étonner : tous lestribunaux agissent de méme en pareil cas, tenus qu’ils sont par le secret professionnel.

Au mois de décembre 1848, Pie IX, fuyant l’émeute, s’était réfugié à Gaëte. Soueieuse de ne pas laisser détruire les archives du St-Office, la Constituante romaine les avait fait transporter à l’église de l’Apostanaire, où elle les croyait plus à l’abri qu’au grette de l’inquisition, Ce transfert se fit dans le plus grand désordre et l’on se contenta d’entasser pêle-mêèle regis- Les et feuilles volantes.

Protilant de leur situation officielle, Sylvestre Gherardi, ministre de l’instruction publique de la Constiluante, et son collègue des finances, Jacques Manzari, pénétrérent à plusieurs reprises dans l’église de l’Apostanaire pour y rechercher tout ce qui concernait l’affaire de Galilée. Ils ne lrouvérent pas le registre du Proces, que Pie IX avait contié à Myr Marini, mais ils mirent la main sur dix-sept décrets authentiques ce sur une copie manuscrite de trente-deux décrets ayant trait à la condamnation de Galilée. Cette copie paraissait être de la fin du xvin siècle ; en la collationnant avec les décrets authentiques, Gherardi acquit la conviction qu’il avait là une collection complète, ou à peu prés, des décrets.

Sur ces entrefaites, les troupes françaises entrérent dans Rome et Gherardi fut obligé de quitter la ville. Plus de vingt ans il tarda à faire connaitre le document dont ilétait en possession ; mais, en 1867, Henri de l’Epinois ayant publié la majeure partie du roces de Galilée, Gherardi, à son tour, édita sa copie des Décrets.

Convaineu de l’existence des pièces originales, M. Favaro aurait vivement désiré les éditer avec les picees originales du Proces. Malgré la réponse dilaloire qu’il avait reçue, en 1900, du cardinal Parocchi, il eut l’heureuse inspiration de s’adresser « à l’autorité suprème du St.-Office ». Cette autorité lui accorda gracieusement de faire des recherches dans les archives. M. Favaro put ainsi préparer à loisir une édition complèle et reconstituer même quelques pièces lacérces et trunquées. On peut regarder cette édition comme la première des Décrets.

Cette double publication, concordant avec une remarquable édition des œuvres complètes de Galilée ?, due également à M. Favaro, permel désormais de donner aux discussions une base ecrtaine, et l’on ne pourra plus arguer de falsilications où d’intercalations, comme cela a eu liou dans le courant du xix. siècle.

2° Causes qui ont contribué à mettre en relief la condamnation de Galilée. — La condamnation de Galilée et de sa doctrine par les congrégations romaines, en 1616 et en 1633, est, depuis trois siècles, l’objet de vives discussions entre les catholiques et leurs adversaires. [Il n’est guère d’ouvrage polémique, de conférence contradictoire, de conversation entre chrétien et libre-penseur, où le nom du champion du mouvement de la terre ne soit jeté, comme un argument ou une injure, à la face des fils de l’Eglise.

Pourquoi cette place importante faite à la question Galilée ?

On peut en donner des raisons d’ordre historique et d’ordre religieux ; quelques-unes apparaîtront

1. /d., pp. 13-33. C’est également à ce texte que nous nous réfercrons

%. Le Opère di Galileo Galilei, Edizione Nazionale. Nos références se rapporleront également à ceste édition. 151

mieux dans la suite de Ia discussion, mais il n’est pas inutile de les signaler ici toutes ensemble.

Les raisons d’ordre historique sont au nombre de trois principales.

En premier lieu, il faut noter que les lutte : soutenues par Galilée, pendant presque toute sa vie, constituent le premier effort sérieux fait par la science au sens moderne du mot — pour s’émanciper de la tutelle de la philosophie. Jusqu’à Galilée, la physique, la mécanique, l’astronomie n’avaient été que d’humbles et timides servantes, louées sans doute à cause de leur évidente urrière pratique, mais n’ayant nulle méthode autonome et nulle personnalité, A la fin du xvi° siècle. des idées nouvelles commencent à se faire jour, dont Galilée est l’ardent défenseur ; Galilée a des précurseurs, mais avec lui surtout se crée la science, basée sur l’expérience et l’analyse mathématique. Cette jeune science ne peut continuer à vivre sous la dépendance de la philosophie : ses objets, ses métliodes de recherche sont différentes. Elle se sépare d’elle avec éclat. Fière de sa longue emprise, la philosophie ne se résigne pas facilement à pareille rupture ; elle tient surtout à ses principes, vieux de tant de siècles, tant aflinés au cours des âges, et qui lui ont permis des explications si ingénieuses des choses de la nature. Quel déplaisir de voir troubler cette barmonie par le Florentin !

En second lieu, Galilée qui avait si beau jeu sur le terrain scientifique, commit pratiquement une faute énorme en transportant la discussion sur le domaine de l’exégèse. A faire cela. le moment était aussi mal choisi que possible : les progrès de la libre interprétation protestante qui, d’Allemagne. menaçait d’envahir l’Italie, avaient mis en éveil les gardiens de l’orthodoxie, et ceux-ci se virent forcés de faire un exemple sur l’audacieux laïque,

Enfin, pour tout dire, la mauvaise foi, au moins apparente, de Galilée, sa ténacité à soutenir ses idées, ses machinations pour les faire triompher attirérent sur sa personne et sa doctrine des foudres d’autant plus marquées que personne et doctrine étaient plus brillantes et plus soutenues en haut lieu.

Ces motifs expliquent l’importance prise par la condamnation de Galilée à l’époque même où elle eut lieu. Les raisons qui, depuis lors, ont eontrihué à attirer Pattention sur cette condamnation sont plutôt d’ordre religieux.

La premiére à signaler est l’oubli dans lequel est tombée, depuis trois siècles, par suite des circonstances politiques et du mouvement d’émancipation des esprits, l’existence du pouvoir coercitif de l’Eglise. Bien des gens, même parmi les catholiques, ont de la peine à admettre que l’Eglise puisse, comme toute société, contrôler les doctrines enseignées par ses membres, arrêter ceux qui lui paraissent propager scrreur dans son sein et, dans certains cas dont elle est juge, recourir à des peines spirituelles ou temporelles, Devant des esprits imbus des préjugés du rationalisme amlnant, onu volontairement aveuxtes, se dresse, à tout propos, le spectre de l’Inquisition. Galilée aurait été l’une de ses plus nobles vietimes et l’une des plus injustement frappées aussi : c’en estassez pour que le nom de ce savant personnifie une odieuse et déraisonnable persécution.

Secondement, c’est un fait incontestable que, depuis la Renaissance, beaucoup d’intelligences sesont soustraites à la domination pourtant trés rationnelle de la Foï et, proclamant leur anlonomie, revendiquent le droit de juger et de penser librement de tout. Comme conséquence, l’aulorité doctrinale de l’Eglise est de moins en moins comprise et acceplée, et l’on rejette a priori ses verdicts, non seulement sur les points essentiels du dogine, mais à plus forte

GALILÉE

152

raison sur les points de philosophie ou de science connexes avec le dogme. Les décisions de cette autorité dans la question de Galilée ne peuvent donc être que très injustement jugées, parce que l’on ne se place pas au vrai point de vue, et cette soi-disant mainmise de l’Eglise sur la Science demeure pour beaucoup une pierre d’achoppement et de scandale.

Entin, nous ne craignons pas de le dire, poussés par leur haine de l’Eglise, des hommes qui sont parfaitement au courant de l’histoire se font un mauvais plaisir de rééditer contre elle des calomnies cent fois répétées. Ils comptent bien qu’il en restera quelque chose ce ils ne setrompent pas. Comme dans l’affaire de Galilée il y a une erreur réelle, mais très explicable et toute humaine, de la part d’ecclésiastiques constitués en dignité, c’est cette faute que l’on exploite. que l’on grossit à plaisir, dont on fait un épouvantail, en dépit de la plus élémentaire loyauté.

Nous essayerons, dans les pages qui suivent, de donner une idée aussi objective que possible des faits. persuadés d’ailleurs par avance que le nom de Galilée restera longtemps encore l’une des armes favorites de la libre-pensée bourgeoise et populaire.

I

QuESTION

HISTORIQUE

1° Les différents systèmes astronomiques !. — Sans entrer dans des détails techniques qui n’auraient ici aucun intérêt, il peut être utile de rappeler, dans leurs grandes lignes, les différents systèmes astronomiques connus à l’époque de Galilée.

Système des sphères homocentriques. Ce système fut celui qu’admirent Socrate, Platon, Eudoxe et Aristote. La terre est au centre de l’univers et son centre de gravité se confond avec celni du monde ; tout autour du globe terrestre existent des sphères concentriques sur lesquelles sont situées les diverses planèêtes ; la sphère ayant le plus grandrayon porte les étoiles ; l’ensemble tourne autour d’un axe commun, en vingt-quatre heures, avec une régularité parfaite. Mais alors comment expliquer les mouvements, en apparence si irréguliers, des planèles ? — Eudoxe essaie de résoudre la dissoulté : il fait porter chaque planète par plusieurs sphères, tournant toutes d’un mouvement uniforme, sais autour d’axes diversement placés. L’ensemble forme un total de vingt-sept sphères, Un nouveau perfectionnement de Calippe porte ce nombre à trente-trois. Aristote Féléve à cinquante-cinq ce il attribue une existence réelle aux sphères qui n’avaient jamais été pour Eudoxe que des moyens de représenter schématiquement les phénoménes. Dieu, le Premier Moteur, communique le mouvement à la sphére des étoiles et ce mouvevement se transmet d’une sphère à l’autre par frottement. Si, pour Aristote, ce systéme n’est pas imaginé absolument & priori, il repose du moins sur un grand nombre de principes abstraits. Cerlaines hypothèses lui semblent imposées par la perfection de l’essence des cieux ce par la nature du mouvement circulaire et il les justifie par des propositions tirées de ses spéculations sur la nature des corps ?. En particulier, c’est un principe métaphy-

1. Cf. Delumbre, Hist, de l’Ast. anc, — Schiaparessi, Le stere omocentriche, Milan. 1873.

2. Au reste, Aristote reconnaitlu part due à l’expérience : « Beaucoup de faits que nous connaissons ne sont pas certains. Lorsqu’ils le seront, alors il faudra nous fier à l’expérience plutôt qu’à des spéculations théoriques. Cellescine méritent créance que lorsqu’elles s’accordent avec l’expérience. » (De gen. anim., 111, 10.) 153

GALILÉE 15%

sique qui fonde sa théorie de la gravité et c’est pour obéir à ce principe que la terre est ronde et qu’elle occupe le centre du monde.

Système de l’Ecole prthagoricienne. D’après les disciples de Pythagore, interprètes de sa doctrine, la terre, simple planète, est animée d’un mouvement de rotation autour d’un axe et d’un mouvement de tranétation autour d’un foyer central, principe de l’activité cosmique, autour duquel tourne le soleil luiméme, Les cieux sont soumobiles et la terre tourne par l’effet d’un principe interne. Il y a là un preimier effort pour expliquer, par la seule rotation du wlobe. la succession des jours et des nuits. Au bout de quelques siècles, les néo-pythagoriciens modifférent du reste profondément le système de leur maïitre, afin de le concilier avec celui d’Aristote, et ils le réduisirent finalement à n’être plus qu’un système géoccntrique.

Système d’Héraclide et d’Aristarque. Pour Hérælide, la terre tourne sur elle-même, le soleil tourne autour d’elle et les planètes tournent autour du soleil. Ce système constitue un progrès sur les précédents. Si même l’on en croit une citation de Simplieius, Homèrede aurait entrevu la possibilité d’expliquer les apparences célestes en donnant à la terre, outre son inouvement de rotation, un mouvement annuel de tranétation autour du soleil supposé tixe. (Son système, dans ce cas, ne différerait pas de celui qu’iuaginera Tycho, deux mille ans plus tard. — Aristarque de Samos précisa, à son tour, les idees d’Héraclide et indiqua, dans ses grandes lines, le système que retrouvera un jour Copernic. Le soleil, devenu une simplectoile, occupele centre des orbites planétaires ; la terre est animée d’un double mouvement et l’inclinaison de son axe explique les chanwements de saisons. Malzré leur simplseité, ces idées trouvèrent peu d’adhérents.

Nrstème de Ptolémée. L’hypothèse du globe terrestre, mobile dans l’espace, paraissant absurde aux péripatèticiens aussi bien qu’aux néo-pythagoriciens, il fallait trouver une autre explication des phénoimènes célestes. Apollonius de Perge, puis Ptolémée proposèrent le système des épicycles et des excentriques. La terre est immobile au centre du monde ; autour d’elle les planètes tournent, d’un mouvement uniforrue, en décrivant une ligne bouelée épieycloïdale ; de cette façon, les mouvements apparents se trouvent représentés avec une cerlaine approximation. Une disticulté subsiste pourtant : le soleil ne décrit évidemment pas un épicyele ; faut-il donc, eontrairement à tous les principes admis, affirmer qu’il ne possède pas un mouvement uniforme ? Hipparque résolut la question en donnant à l’orbite circulaire du soleil un eentredifférent du centre de la terre, solution ingénieuse mais qui équivalait à faire décrire à cet astre un épicycle de second ordre

Il est aisé de deviner quelle complication l’hypothèse des épieycles et des excentriques introduisait dans les mouvements planétaires. Cette complication, d’ailleurs, s’accrut de sièele en siècle, à mesure que, la précision des observations augmentant, on fut amené à modifier le système pour les représenter ; au xvu ssecte, elle était bien prés de devenir invraiserblable.

Système de Copernic !. Dès 1530, à la suite de patientes recherches astronomiques et historiques qui durent lui révéler des précurseurs, lechanoine Copernic formulait ses principales idées dans un petit livre, destine à ses seuls amis, mais dont la renommée S’étendit rapidement. Sur les instances du car-

1. CF. A. Muller, S. 1, Nikolaus Kopernthus. Fribouryen-Brisgnu, 1898,

dinal Nicolas de Schônbers, il se décida à les dèvelopper dans son fameux ouvrage Le revolutiontbus orbium cuelestium, qui parut en 1543, et dont Le pape Paul III accepta la dédicace.

Le systéme de Copernierepose principalement sur les trois lois suivantes :

1° La terre tourne, de l’ouest à l’est, autour d’un axe fixe ce de là résulte le mouvement diurne apparent des corps célesles en 5ens contraire ;

2° La terre se meut, de l’ouest à l’est, autour du soleil, de façon que son axe demeure parallele à luiméme, en faisant un angle déterminé avec le plan de l’orbite terrestre ;

3° Toutes les planttes tournent, comme la terre, autour du soleil,

Aux complications de jadis, se substituait la plus belle harmonie. Pourtant, dans le détail, subsistaient bien des erreurs et des imperfections, Ainsi Copernic eonsidérail les orbites planétaires comme des cercles excentriques parcourus d’un mouvement régulier, estimant, suivant les vieux préjugés, que le mouvement circulaire et uniforme, le seul parfait, convient seul aux corps eclestes !. Outre les deux mouvements de tranétation ce de rotation, Copernic attribuait encore deux autres mouvements à la terre : l’un produisait le parallélisine plus où moins rigoureux de son axe, dans ses diverses positions autour du soleil, et expliquait les changements de saisons ; l’autre, légérement conique et très lent, rendait compte de la précession des équinoxes ?.

Copernic ne secontenta pas d’exposer son systéme ; il s’efforça de l’établir, d’abord en réfutant les uhjections que, de longue date, on opposait à la possibalisé du mouvement de la terre, puisen apportant des arguments positifs. Il était si convaincu de la réalité de ce système, qu’il évite avec soin, dans son exposition, tout ce qui pourrait le faire prendre pour une simple hypothèse ; son but semble avoirété de faire une sorte d’histoire du ciel, dans laquelle il décrivait les phénomènes sans en rechercher les causes. En fait, cependant, il s’en occupait ; développant et moditiant des principes métaphysiques émis avant lui par Empédocle, Albert de Saxe, Léonard de Vinei, il mari le principe aristotélicien de la tendance de chaque élément vers son lieu naturel, et substituait à cette tendance la sympathie mutuelle des parties d’un même tout cherchant à reconstituer ce tout. En vertu de ce nouveau principe, la gravité universelle, portant chaque corps lourd vers Le centre du monde, est remplacée par la gravité particuliére à chaque astre. IL n’y a donc plus aucune nécessité de placer la terre au centre du monde : du même coup tombent le système géocentrique et la théorie aristotélicienne de la pesanteur.

Il faut bien le dire, Copernic n’apportait aucune preuve décisive en faveur deses idées ; aussi ne s’imposérent-elles qu’à peu d’esprits. D’ailleurs, le systéme de Ptolémée était trop ancien et trop généralement acecpté, il paraissait trop bien cadrer avec la lettre de la Ste.-Ecriture pour pouvoir disparaitre en un jour. En Allemagne, en Autriche, les progres du systéme copernicien furent enrayés par le crédit de Tycho-Brahé qui s’en déclara l’adversaire, et par les attaques furieuses des premiers chefs protestants, Lustrer et Mélanchton.. En Italie, par contre, le pape

1. Kepler prouvera, quarante ans plus tard, que les planétes décrivent, d’un mouvement non-uniforme, des ellipses dont le soleil occupe l’un des foyers.

2, En fait, le premier de ces mouvements n’existe pas, et le parallélisme de l’axe terrestre est une simple conséquence de la loide l’même.

3. CF. Jean Janssen, L’Allemagne et la Réforme, t. NII. p-. 309. 155

GALILÉE

Clément VIL s’y montrait plutot favorable ! , tandis que onze papes. ses successeurs, n’y trouvaient rien de répréhensible. IL fallut que Galilée prit. un peu maladroitement, la défense des idées nouvelles. pour susciter contre elles la crise qui “a nous occuper.

2° Galilée et le système de Copernic.. — Nous n’avons pas à raconter ici en détail la vie de Galilée ni à apprécier son œuvre scientifique. On ne doit done s’attendre à trouver, dans les lignes qui suivent, que les faits en rapport avec le but que nous nous proposons.

A l’époque où il commence à nous intéresser, Galilée est professeur de physique et de rmathématiques à Pise (158ÿ-1592) et à Padoue (1592-1610), et déjà ses premiers travaux sur la gravité l’ont fait connaitre du monde savant. Les opinions qu’il professe alors, dans ses cours et ses écrits, portent l’empreinte profonde des principes péripatéticiens et laissent voir en lui, non point un furieux novateur, mais un homme qui reflète assez fidèlement, tout en se les assimilant, les opinions de ses prédécesseurs. En astronomie, Galilée enseigne le système de Ptolémée. En dynamique, il admet le principe fondamental de la mécanique aristotélicienne. à savoir la proportionnalité entre la puissance qui sollicite un mobile et la vitesse qui l’entraîne, principe qui restera d’ailleurs pour lui, jusqu’à la fin de sa vie, une vérité hors de conteste et un axiome intangible. Il reprend également plusieurs des principes sur lesquels Aristote basait sa théorie de la pesanteur ; après même qu’il aura fait sienne la révolution copernicienne, Galilée gardera tout ce qu’il pourra de la doctrine d’Aristote.

Dés cette époque. apparait nettement aussi la tournure d’esprit qui oriente le savant Florentin vers la méthode expérimentale, dont il est l’un des plus brillants initiateurs ; grâce à elle, il fait d’intéressantes découvertes, qui attirent sur lui l’attention et les faveurs.

D’après certains historiens, Galilée aurait été convent au système de Copernic par le copernicien Michel Mastlin, le maitre de Kepler, ou par le Bälois Christian Wursfessen. Selon d’autres, ses premiers doutes sur la valeur des idées astronomiques des péripatéliciens lui seraient venus à la suite de l’apparition d’une étoile nouvelle, en 1604, car, pour les disciples du Philosophe, les cieux incorrnptibles étaient dans l’impossibilité d’engendrer ainsi un nouvel astre, Ces doutes se conlirmèrent à la suite des brillantes découvertes que tit Galilée, en 160) et 1610. Mis au courant, par l’un de ses amis, de l’invention récente des lunettes, il s’empresse d’en construire une et de la tourner vers le ciel, Il observe les inégalités de la surface de la lune, la Voie lactée, les satellites de Jupiter, et décrit ces curiosités dans un ouvrage intitulé Sidereus nuncius (1610)., dont la publication fait grand bruit. Nommé professeur bonoraire à l’université de Pise ce mathématation officiel du dne Cosme IT de Toscane, il poursuit ses recherches. observe les taches du soleil, les phases de Vénus, et n’hésite pas à donner ces phénomènes comme d’éelatantes confirmations du système de Copernic, Les protestations des partisans de Ptolé-

1. C’est un fuit Connuqu’en 1533, Jenn Widmanstad discourail devant Clément VIT, duns les jardins du Vatican, sur la doctrine héliocentrique,

2. Cf. Favaro, Gal, Gal.e lo studio di Padova, Firenze, 1883. — A. Mülier. S. J., Galileo Galilei und das kopernikanische Weltsystem, Fribourg, 1909.

3. Op. Gal., t. ii, p. 203-205.

4. Op. Gal., t. IlU, p.59.

156

mée ne se font point attendre ! , et la discussion ne tarde pas à s’animer. D’ailleurs ces nouveautés étonnantes rencontraient aussi des incrédules, qui les mettaient sur le compte d’illusions d’optique. Les télescopes étaient encore bien imparfaits comme construction. clarté et grossissement, et des yeux fatigués par une observation un peu prolongée pouvaient bien croire à l’ohjectivité de phénomènes purement physiologiques. En tout cas, les découvertes de Galilée ne constituaient pas des preuves péremptoires-

Au mois de mars 1611. Galilée vient à Rome, où l’on mène grand bruit autour de son nom ; son arrivée fait sensation ; pape. prélats et princes veulent se faire expliquer et montrer les merveilles dont il parle. Dans une lettre du 22 avril, Le grand homme se félicite de ce succès ? et le cardinal del Monte, éerivant au duc de Toscane, constate la satisfaction de son protégé.

On eût donc pu s’entendre sur le terrain scientitique ; malheureusement, Galilée avait à peine quitté Rome, qu’il acceptait de descendre dans l’arène théologique où l’un de ses adversaires lui présentait le combat. Vers la fin de 1611, François Sizi l’accuse, dans un écrit intitulé Dranoïta _{stronomica À, de se mettre en contradiction avec l’interprétation reçue de la Ste.-Ecriture. Galilée répond. en 1613, en exposant dans un lettre au P. Castelli, Bénéèdictin. sa manière d’expliquer les textes de la Bible qui semblent contraires au systéme de Copernic®. En 1615. il reprend le même sujet dans un opuscule dédié à Christine de Lorraine, la mère du Grand-due, où il cite en sa faveur des textes de Pères et de théologiens®., Les idées exprimées dans ces écrits étaient en somme trés soutenables, mais Galilce eut le tort de mêler à ses explications des allusionset des mots provocants pour ses adversaires, Il défiait tuême l’autorité ecclésiastique, la mettant en demeure cle se prononcer sur la question. La réponse ne se lit pas attendre.

Dès 1614, le P. Caccini. Dominicain, avait tonné en chaire, à Florence, contre une doctrine nouvelle qu’il déclarait contraire à la foi catholique. Le 15 février 1615, le P. Lorini. Dominicain également, envoie au cardinal Sfondrati, Préfet de la Congrégation de l’Index, une copie de la lettre de Galilée au P. Castelli, et motive ainsi son envoi : Galilée et ses partisans sont d’honnètes gens et de bons chrétiens, mais ils font peu de cas de l’interprétation habituelle de l’Ecriture, et foulent aux picds les principes de la philosophie d’Aristote, dent Ia théologie a toujours tire si grand prolit : entin la lettre de Galilée contient des expressions dangereuses qu’il convient d’examiner ?. Du reste, le P. Lorini se défendait de faire de cette démarche une déposition juridique. Les pieces furent communiquées par le cardinal Sfondrati à la Congrégation du St.-Office qui ordonna. comme elle le fait toujours en parcil cas, d’ouvrir une enquête secrète. En même temps, l’examen de la lettre de Galilée à Castelli fut confié à un théologien consulteur : celui-ci exprima l’avis qu’il ne s’y trouvait rien de condamnable, sauf trois expressions qui. d’après l’ensemble, pouvaient cependant s’interpréter dans un bon sens..

Bien que l’enquête ordonnée par le St-Office se fit dans le plus grand secret, Galilée devina san

Op. Gal..t. NI, p.127.

Op. Gal., t. XL p. 89. Op. Gal. 1. XI, p. 81.

. Op. Gal.. L IlI, p. 201. Op. Gal. t. NV, p. 279.

Op. Gal..t. Y, p— 307. Galil.e l’Ing., p. 37.

Galil.e l’Ing., p. 45.

NID UM Ce 18

Z il 157

doute que quelque chose se préparait et il se rendit à Rome, au mois de décembre 1615, pour essayer de parer les coups. Il était, du reste, résolu à accepter toute décision qui émanerait de l’autorité ecclésiastique !. Cela ne l’empéchait pas de faire uneactive propayande en faveur de ses opinions exégetiques, Ses amis trouvaient qu’il manquait de calme., et, très sagement, le priaient de s’en tenir aux arguments smentifiques. Pour les salisfaire, Galilée compose, au mois de janvier 1616, un petit traité sur la question des marées3,

3° Procès de 1616. — Au moment même où l’attention du St.-Office était attirée sur Le système deCopernie, paraissaient coup surcoup deux ouvrages qui tentaient d’accorder ce système avec la Bible : l’un était du Carme Paul Antoine Foscarini, l’autre de Augustin Jacques de Zunica. La Congrégation était done amenée à juger la question au fond, car de tous côtés s’élevaient des réclamations. L’affaire personnelle de Galilée passa au second plan.

Le 19 février 1616, les deux propositions suivantes furent soumises à l’examen des théologiens consulteurs de l’Inquisition : 1° Le solcil est le centre du monde et il est immobile. — 2° La terre n’est pas le centre du monde et elle à un mouvement de tranétation et de rotation. Le 24, les théologiens se réunirent pour qualifier ces propositions qui résumaient le système incriminé ; ils le firent dans les termes suivants : 1° La première proposition est philosophiquement fausse et absurde ; elle est de plus formellement hérétique, parce qu’elle contredit expressément plusieurs textes de la Ste.-Ecriture, suivant leur sens propre et suivant l’interprétation connnune des Pères et des docteurs. — 2° La deuxième proposition mérite la même censure au point de vue philosophique ; au point de vue théologique, elle est à tout le moins erronée.. Onze théologiens signèrent ces déclarations,

Le 25, le pape Paul V donnait au cardinal Bellarmin les instructions suivantes : faire venir Galilce et l’avertir d’avoir à abandonner ses idées ; s’il refusait, lui signifier, devant témoins et notaire, de s’abstenir d’enseigner, défendre ou parler de la doctrine en question, sous peine d’emprisonnement. Le 26, Bellarmin remplit les ordres du Souverain Pontife : Galilée promit d’obéir 6,

Le 3 mars, Bellarmin rendit compte de sa mission au pape, qui présidait ce jour-là une séance de l’Inquisition. Deux jours plus tard, sur l’ordre de Paul V, paraissait un décret de la Congrégation de l’Index ::le livre de Foscarini était condamné ; les ouvrages de Copernic et de Zuniea prohibés jusqu’à corrcclion ; d’une manière générale étaient interdits tous les livres enseignant la doctrine de l’immobilité du soleil. Nulle mention spéciale n’était faite de Galiste et de ses écrits.

La procédure du St.-Office étail restée secrète ; quelques ennemis de Galilée en profitèrent qreur répandre le bruit que la congrégation l’avail condamné à une pénitence et à une abjuration, eomme étant soupçonné de sentiments peu orthodoxes. Pour réfuter cette allégation, l’intéressé obtint du cardinal pou une attestation écrite rétablissant les aits,

1. Op. Gal., t. XII. p.28.

2. Op. Gal., t. XI, p. 241.

3. Op. Gal., t. V, p.371.

h. Cf. E. Vacandard, Etudes de critique et d’histoire relisieuse. Paris, 1905. — A. Muller, S. J., Der Gulilei- Process. Fribourg, 1909.

5. Galil.e l’Ing., p. 61.

6. Galil.e l’Ing., p— 62.

7. Galil.e l’Ing., p. 62.


CALILÉE 158

Le 9 mars, Paul V lui-même accordaune audience au savant Florentin ; il lui déelara de façon fort birnveillante qu’il connaissait la droiture de ses intenlions, et le rassura sur les ditlicultés qu’if craigniut pour l’avenir de la part de ses adversaires ! Peu de temps aprés, Galilée quitta Rome et alla reprendre à Florence le cours de ses travaux.

4° Procès de 1833. — Les choses en seraient restées là, sans doute, si, moins de trois ans plus tard, un Jésuite n’eût, bien malgré lui, lait renaitre la discussion.

En 1619, le P. Horace Grassi publie un ouvrage De tribus cometis anni IÜIS, dans lequel il soutient que les eomètes sont de véritables planètes qui reçoivent, comme les autres, leur lumière du soleil et dont les révolutions peuvent être prévues de manière certaine. Mario Guiducci, élève de Galilée, attaque ce sentiment dans un Discorso delle comete del IGÜIS. Le P. Grassi, soupçonnant à bon droit Galilée d’avoir aidé son élève, lui répond directement par un ouvrage intitulé Zibra Astronomica, qu’il signe du nom de Sarsi., Galilée répond à son tourpar /1 Saggiatore. C’était une défense en règle du système de Copernie, mais fort habilement conduite. L’imprimatur fut accordé et le pape Urbain

VIIT, successeur de Paul V, aceepta la dédicace de l’ouvrage. Piqué au jeu, le P. Grassi répliqua par (atio ponderum libraëe et simbellac. Guisineci continua seul la polémique, à laquelle Galilée ne prit plus aucune part,

Le Saggiatore availparu en 1623 ; ravi de l’accueil fait à son œuvre, l’auteur, dès l’année suivante, s’était rendu à Rome, estimant l’occasion excellente de pousser ses idées, étant donné surtout qu’il était personnellement connu d’Urbain VIH et comptait de nombreux amis parmi les prélats de la cour pontificale ?. De fait, il ÿ trouva un aceueil plus bicnveillant encore que lors de son précédent voyage, mais il essaya vainement de gagner complétement le pape à ses arguments, comme il s’en était flatté peut-être. Malgré tout, se sentant appuyé, il ne se cachait pas pour faire de la propagande ; c’est ainsi qu’a la fin de l’année 1624, il publiait sous forme de lettre à Mgr Ingoli une apologie du système copernicien3 à propos de laquelle on évita de l’inquicter.

Six ans se passent, pendant lesquels Galilée travaille à un ouvrage de fond sur la question du mouvement de la terre. Au mois de mai 1630, il est de nouveau à Rome, cherchant à obtenir l’unprimatur. Mgr KRiccardi, Maitre du Særé-Palais, chargé par office de surveiller Lx publication de tous les livres qui paraissaient à Rome, examina le manuscrit et constata, au premier coup d’œil, que Galilée ne tenait aucun compte des décisions de 1616. Il exigea en conséquence qu’une préface et une conclusion indiquassent nettement que le système de Copernic n’était exposé que comme une hypothèse, comme un système scientifique, el que les arguments apportés contre le système de Ptolémée n’étaient que des arguments ad hominem et non des preuves décisives de sa fausseté. La revision de delail fut confiée au Dominicain Raphæl Visconti qui indiqua plusieurs corrections. Non sans répugnances, Galilée accepta de les faire’. Mur Riccardi accorda alors son imprimatur pour la ville de Rome, sous les conditions désignées ; il se rèserva méme le droit de revoir les épreuves en feuilles, afin de contrôler les corrections.


Op. Gal., t. XIT, p. 217.

Op. Gal., t. XI p. 155. Op. Gal., t. VI, p. 501.

Op. Gal., t. XIV, p. 258. Cal, e l’Ing., p. 65.

ET 00 19 me 159

Le pape Urbain VILL ayant entendu parler de l’ouvrage projeté par Galilée, s’en était lui-même enquis auprès de son secrélaire particulier, Mgr Ciampoli ; ce dernier le rassura en lui affirmant que tout se faisait réguliérementf,

Sur ces entrefaites Galilée repartit pour Florence ; il y était à peine revenu qu’il faisait dejà des instances à Rome pour obtenir de faire imprimer son livre sur place. Riccardi refusa, rappelant les conditions acceptées par l’auteur. Sur de nouvelles instances, appuyées par le Grand-due de Toscane, le Maitre du Sacrt-Palais finit par renvoyer l’affaire à l’Inquisiteur de Florence, lui donnant une direction pour la correction de l’ouvrage, et lui spérissant qu’il le laissait juge de l’opporennisé de l’impression, mais que lui dégageait sa responsabilité2,

En 1632 paraissait enfin l’ouvrage, intitulé Dialogo delli due massimi sistemt del Mond03 ; il portait, outre l’autorisation de linquisiteur ce du Vicaire général de Florence, l’imprimatur de Mgr Riccardi, lequel n’avait été accorde qu’à des conditions qui ne se trouvaient pas remplies, En tête et à la fin du volume se lisaient bien une préface et une conclusion dans le genre de celles qui avaient été imposées, mais tournées de telle sorte qu’elles frisaient la imoquerie. De plus, ilétait manifeste pour tout lecteur que Galilée défendait formellement et positivement les opinions prohibées et que, tout en affectant de les donner coume des hypothèses, il s’en servait pour malmener les adversaires de Ptolémée et d’Aristote de façon fort vive..

Tout ceci conslituail un manque de probité et de franchise qu’on ne pouvait laisser passer, Le pape. mécontent d’avoir été trompé, donna des ordres très nets ; Mgr Riccardi signifia à l’imprimeur de Florence de suspendre la vente du Zralogoÿ et l’ouvrage fut immédiatement soumis à l’examen d’une commission de théologiens. L’opinion des commissaires fut que Galilée, en dépit des locutions plus ou moins flottantes cmployées par lui pour atténuer ses aflirmations, transgressait les ordres qui lui avaient été donnés en 1616. En conséquence, Galilée reçut une citation juridique d’avoir à comparaitre, au mois d’octobre, devant la Congrégation de l’inquisition. Le prévenu se déclara prêt à obéir, mais tenta, par tous les moyens possibles, d’éluder cet ordre et d’obtenir que l’affaire se traität à Florence. Le pape fut inchranlable : Galilée pouvait prendre son temps et voyager conne il l’entendrait, mais il fallait qu’il se présentat devant le S1.-Office. Comme il retardait toujours son départ, une seconde citation lui fut remise. le 14 novembre, lui fixant le terme d’un mois. Galilée fit de nouvelles instances, invoquant sun élat de santé. A la fin de décembre, Urbain VIH fit écrire à l’Inquisiteur de Florence qu’il allait envoyer un commissaire ce un médecin pour constater l’état réel du malade : si sa santé l’exigeait. il y aurail sursis : mais si son état le permettait, on l’aménerait prisonnier et chargé de fers, comme c’était l’usage en parcil cas, la contrainte par corps étant de règle contre tout accusé qui refusait de se présenter librement. Galilée comprit que la volonté du Pape était inchranlable, et se mit en route. Il fit le voyage dans une litière du Grand-duc, et arriva à Rome, assez bien portant, le 16 février 1633. Il descendit chez Niceolini, l’ambassadeur de Toscane, et y trouva non seulement le logement et la table, mais tous les agréments de la vie, au sein d’une famille

1. Op. Gal., t. XIV, p. 430.

2. Gal.e l’Ing., p. 67.

3. Op. Gal., 1. NIT, p. 20-489.

4. Op. Gal., t. XIV, p. 368, 373.

ne Op. Gal., t. XIV, P— 406,

GALILÉE

160

riche et dévouée. C’était une exception faite en sa faveur, car il eùt dû, comme tous les autres accusés, même ceux du rang des princes ou des prélats, être interné dans l’une des cellules du St.-Office. Cette faveur dura presque tout le terups du procès ; cependant, lorsque les interrogastices furent commencés, Galilée dut, pour éviter les interruptions de la procédure, habiter les bâtiments mêmes de l’Inquisition ; mais alors encore, on lui assigna pour demeure, au lieu d’une prison, l’appartement du procureur fiscal, composé de trois belles pièces. IL ÿ demeurait avec son domestique, et Niccolini lui fournissait tout ce qui pouvait lui être agréable pour sa subsistance. Il passa en tout vingt-deux jours dans cet appartement, et sa santé n’en souffrit point, Comme il l’atteste lui-meème.

Beaucoup d’amis de Galilée l’entretenaient dans l’idée qu’il ne pouvait être condamné !, mais Galilée en doutait. Niccolini lui conseillait de ne pas entrer en discussion avec les Inquisiteurs, mais de déférer à ce qu’ils demanderaient et de rétracter ce qu’ils désireraient. À la note pratique : « autrement vous vous créerez de grandes difficultés », il ajoutait même la note doctrinale : « ce tribunal suprême ne peut errer = ».

Le premier interrogatoire eut lieu le 12 avril. Suivant les procédés ordinaires du Sl.-Office, il porta sur deux points : 1° Le prévenu avait-il, dans le Zralogo, enseigné l’opinion condamnée en 1616, enfreint la défense de l’Index et violé la promesse formelle faite par lui à cette époque ? — C’était la question du factum hæreticale. — 2° Le prévenu avait-il, intérieurement, adhéré à l’opinion condamnée et l’avaitil tenue pour vraie ? — C’était la question de l’ententio hæreticalis.

À la première question Galilée répondit de la façon suivante : On m’aceuse d’avoir enfreint la défense formelle qui rue fut faite, en 1616, par le cardinal Bellarmin, au nom du pape ce du St.-Office, d’enseigner la doctrine de Copernic en quelque manière que ce soit, quovis modo. Ces mots se trouvent, il est vrai, dans le texteotliciel du décret du 26 février 1616. mais jen’enavais aucune souvenance. Ils ne se trouvent pas dans la déclaration autographe qui m’a été remise par Bellarmin, le 26 imai de la même année ; celle-ci porte simplement : non si poussa disendere ne tenere, J’ai supposé que ces mots, écrits par l’un des Iuquisiteurs, traduisaient exactement la pensée du St.-Office, etje les ai interprétés, quant à leur sens, d’après une lettre écrite par le même Bellarmin au P. Fosearini, le 32 avril 1015, dans laquelle il dit : « Galilée agira prudemment en se contentant de parler ex suppositione, comme l’a fait Copernic. » C’est bien ainsique j’ai prétendu traiter du mouvement de la terre ; peul-être n’ai-je pas été clair dans la a manière de le faire et ai-je affaibli la valcur des arguments de Ptolémée. En ce cas, je promets de revoir mon ouvrage et de réfuter les preuves de l’opinion condamnée, plus catégoriquement que je ne l’ai faits.

Galilée attirmait donc qu’il n’avait enseigné le systéme de Copernic que comrue une théorie hypothetique. Tel ne fut pas l’avis des théologiens consulteurs ; sous trois furent unanimes à déclarer que le mouvement dela terre était aflirmé catégoriquemeut et positivement dans le l’Drialogo #. Les Inquisiteurs se rangerent à cette conclusion ; dès lors la question du factum hæreticale était tranchée et l’on passa à la question de l’intentio.

1. Op. Gal., t. NIV. p.415.

2. Op. Gal. t. XIV, p 415. 3. Gal.e l’Ing., p. 76-87.

1. Gal. c’l’Ing., p. 88-100. \ "4

161 +

t A plusieurs reprises déjà, Le prévenu avait répété’qu’en son for intérieur il ne tenait pas l’opinion de Copernic pour absolument vraie. Etait-ce bien là le fond de sa pensée ? Pour essayer de s’en rendre “compte, Urbain VII ordonna, le 16 juin. de faire subir à Galilée ce que, dans la procédure du temps, on appelait l’examen rigoureux. L’accusé devait être menacé de la torture ; si, malgré cela, il persistait à nier ce qui semblait à tous les juges la flagrante vérilé, il serait jugé coupable et, comme tel, condamné à l’ahjuration et à la prison !.

Le 21 juin, Galilée comparut de nouveau devant le St.-Office ; on lui réitéra la demande : Croyez-vous ou avez-vous cruau mouvement de laterre ? — Avant 1610, répondit Galilée, je tenais les deux systèmes de Ptolémée et de Copernic pour scientifiquement équivalents et comme ayant une égale probabilité. Depuis les ordres que je reçus à cette époque, j’ai toujours tenu pour indubitablement vrai le système de Ptolémée. — Mais, lui dit-on, vos ouvrages montrent positivement le contraire. Dites la vérité, sans

quoi l’on en viendra à la torture. — Galilée ayant répété sa pensée dans les mêmes termes, on le congedia ?.

La menace de la torture n’ayant produit aucun elfvt, il ne restait aux Inquisiteurs qu’à remplir le reste des instructions données par Urbain VIIL Galilée, ayant persisté à atlirmer la droiture de ses intentions, ne pouvait être qualifié d’hérétique formel, mais il restait véhémentement soupçonné d’hérésie. En conséquence, le 22 juin, il fut conduit au couvent des Dominicains de Sainte-Marie-sur-la-Minerve, et comparut en présence des cardinaux du St.-Office pour entendre sa sentence. Le livre du Dialoso devait être prohibé par un décret publie : son auteur serait « délenu en prison à la discrétion de la Congrégation et réciterait, pendant trois ans, une fois par semaine, les Psaumes de la Pénitence. La sentence prononcée, Galilée lut et signa un acte d’abjuration dans lequel il se déclarait à bon droit soupçonné d’hérésie, détestail ses erreurs, promettait de se soumettre aux pénitenves qui lui étaient imposées et de ne plus soulenir les opinions condamnées ?.

C’est à ce moment que, d’après des récits relativement récents {, Galilée aurait frappé du pied la terre en s’écriant : « Et pourtant elle tourne ! » Mais il sutsit de jeter les yeux sur les actes du procès pour se rendre compte de l’invraisemblance de cette exclamation, en un pareil moment. Durant de longues semaines, Galilée venait de soutenir constamment qu’il ne croyait pas à la réalité du mouvement de la terre ; il ne pouvait pas, en présenee de ses juges, se contredire ce se passurer de la sorte, au risque d’encourir de nouveaux chäliments.

Dès le lendemain de sa condamnation, Galilée fut informé que, du consentement du pape, il pouvait se rendre au palais du duc de Toscane, à Rome, et le considérer eomme sa prison. Le 30 juin, il reçut l’autorisation d’aller habiter à Sienne, « sans le palais de Myr Piccolument, son ami dévoué. il y a rrivale 9 juillet et y demeura cinq mois, comblé d’attentions par l’archevêque et visité par toute la noblesse de la ville. Vers la fin de 1633, il obtint d’être interné dans sa propre villa d’Arcetri, près de Florence, et il y resta jusqu’aux dernières années de sa vie, travaillant en

1. Gal.e l’Ing., p. 21 et 100.

2. Gal.e l’Inq.

☞ 101.

3. 1d.

☞ 146. Le Dialogo fut mis au catalogue de l’Index le 23 août 163%. Cf. Gal.e l’Ing.

☞ 155.

1. La première mention faite de cette parole ne date que de la fin du xvuie siècle. Elle se trouve dans Les Querelles littéraires de l’abbé Irailli (Paris, 1761) ce dans le Dictionnaire historique (Cæn, 1789).

Tome IE.

GALILÉE

162

compagnie de ses amis et recevant de nombreuses visites.

Pourtant. en lui accordant ces adoucissements à sa peine, le pape ne lui laissait pas oublier qu’il était en état de détention ; il lui refusa même quelque temps la permission de retourner habiter à Florence. La raison de cette sévérité fut sans doute une dénonétation anonyme saise peu de temps auparavant contre le prisonnier !. Dans la suite, la permission fut accordée.

Bientat les infirmites accablérent le grand homme et il perdit même complélement sa vue, déjà depuis longtemps affaiblie par ses travaux. Cette nouvelle épreuve augmenta sans doute les sentiments d’irritation que lui causait parfois sa détention et dont il reste des traces. Cependant, il édifia toujours ceux qui l’entouraient par sa fidélité à ses devoirs religieux, jusqu’à sa mort, survenue le 8 janvier 1642.

El

QuESTION

SCIENTIFIQUE

1° Sens et valeur des affirmations de Galilée.. Les hypothèses ne sont point des jugements sur la nature réelle des choses ; ce sont seulement des prémisses destinées à fournir des eonséquenees conformes aux lois expérimentales, Par suite, les théories scientitiques, basées sur ces hypothèses, ne sont pas des cxplications wais bien des représentations de la réalité.

Dans leurs discussions d’une théorie du mouvement des astres, les Grecs surent nettement distinguer ce qui est du métaphysicien et ce qui est de l’astronome. Au premier il appartient de décider, par des raisons lirées de la Cosmologie, quels sont [es mouvements réels des astres ; l’astronome, au cor : traire, n’a pas à s’inquiéter si les mouvements qu’il imagine sont réels ou floriss ; le seul objet de ces mouvements est de représenter exactement les déplacements relatifs des astres.

Ces idées furent formellement adoptées par toute l’Ecole Scolastique ; saint Thomas, son plus illustre représentant, s’en est inspiré en de nomhreux passages. Dans son commentaire au De cælo d’Aristote, il s’exprime de la manière suivante au sujet d’un mouvement des planètes : « Les astronomes se sont efforcés de diverses façons d’expliquer ce mouvement. Mais il n’est pas nécessaire que les suppositions qu’ils ont imaginées soient vraies, car peut-être les appitrences que les étoiles présentent pourraient être sauvées par quelque autre mode de mouvement encore inconnu des hommes. » Dans la Somme Théolog’que, il marque plus nestement sa pensée : « En astronouie, on pose l’hypothèse des épicyeles et des excentriques, parce que, cette hypothèse faite, les apparences sensibles des mouvements célestes peuvent être sauvegardées : mais ce n’est pas une raison suffisamment probante, car elles pourraient être sauvegardées par une autre hypothèse. »

C’est en s’inspirant de ces idées que le cardinal Nicolas de Cues avait publié à Bale, en 1145, un ouvrage intitulé De docta ignorantia, dans lequel il parlait du mouvement de la terre, mais ne proposait la chose que comme une ingénieuse hypothèse. Aussi ne fut-il nullement inquiété.

Dans l’un de ses premiers ouvrages, Commentartolus de hypothesibus motuum cælestium, Copernic est

1. Gal.e l’Ing., p. 143.

2. Cf. P. Duhem, Essai sur la notion de théorie physique, de Platon à Galilée, dans Annales de Philosophie chrétienne, mai-juin 1908. — fil., La Théorie physique, son objet et sa structure, Paris, 1906. 163

fidèle aux doctrines héritées de la Scolastique, et présente l’inmobilité du soleil et la mobilité de la terre comme des postulats qu’il demande qu’on lui concède : « & nobis aliquæ petitiones concedentur. » Mais, dans son fameux livre Le revolutionibus orbium cælestium, il est beaucoup moins réservé et présente ses idées nullement comme une hypothèse, encore moins comme un ingénieux paradoxe, mais bien comme l’expression de la réalité ! , Prévoyant que, pour cette raison, l’ouvrage pourrait être malaccueilli, André Osiander, à qui la publication du manuscrit avait été confiée, le fit précéder d’une préface de sa composition, qui attribuait à tout l’ensemble la valeur d’une simple théorie hypothétique. Aussi nul homme d’Eglise ne songea-t-il à attaquer Copernic, durant l’espace de plus de soixante ans.

Dans sa préface, Osiander s’exprimait ainsi : « Il n’y a aucune nécessité à ce que ces hypothéses soient vraies ni même à ce qu’elles soient vraisemblables ; il suflt qu’elles permettent de rendre compte des observations par le calcul. » Une telle doctrine, au sujet des hypothèses astronomiques, indignait Kepler : « Jamais, dit-il dans son Prudromus dissertationum cosmographicarum ?, je n’ai pu donner mon assentiment à l’avis de ces gens. qui s’efforcent de prouver que les hypothèses admises par Copernic peuvent être fausses et que, cependant, des phénomènes réels peuvent en découler comme de leurs principes propres. Je n’hésite pas à déclarer que tout ce que Cupernic a amassé a posteriori et prouvé par l’observalion, tout cela pourrait, sans diflivulté, être démontré a privri, au moyen d’axiomes géométriques. »

Cette confiance un peu naïve de Copernie et de Kepler dans la puissance de la méthode physique à expliquer la nature vraie des phénomènes, se retrouve en Galilée. Galilée, il est vrai, distingue bien entre le point de vue de l’astronomie, dont les hypothèses n’ont d’autre sanction que l’accord avec l’expérience, et le point de vue de la philosophie naturelle, qui saisit ou, du moins, s’efforce de saisir les réalités ; il prétend, lorsqu’il soutient le mouvement de la terre, discourir seuleruent en astronome et proposer de simples hypothèses ; mais il se dément sans cesse et laisse voir que ces distinctions ne sont chez lui que des faux-fuvants pour éviter les censures de l’Eglise. Si les juges de Galilée eussent pensé qu’il parlait sincèrement, en astronome et non en philosophe, s’ils eussent regardé sa doctrine comme un pur système et non comme une ailirmation absolue sur la nature des choses, ils n’eussent point censuré ses idées. Nous en avons l’assurance par la lettre qu’écrivait le cardinal Bcllarmin au P. Foscarini, le 12 avril 1615 : « Votre Paternité et le seigneur Galilée agiront prudemment en parlant non pas absolument, Mais ex suppositione, Comme l’a toujours fait, je crois, Copernic ; en effet, dire qu’en supposant la terre mobile et le soleil immobhile, on rend compte

1. La préface originale de Copernic, deineurée à l’état de manuscrit entre les mains du Comte Nostiz, à Prague, ne fut imprimee pour la première fais, en latin. qu’en 1854. dans une édition de luxe publiée par Baranowski. Dans la dédicace de son ouvruge au paye Paul III, Copernic présente, avec autant de finesse que d’hubileté, ses idées comme des hypothèses, mais tout le livre montre que "ces idées étaient en lui des convictions profondes. Cf. Moutucla, list. des Math, , t. 1, p. 628.

2. Juannis Kepleri astronomi opera omnia, t. X, p. 112- 153. — Eu 1597, Nicolus Raïmarus Ursus publia à Prugue un écrit intitulé De hypothesibus astronomicis, où il soutenait, en le exagérant, les opinions d’Osiander ; trois ans plus tard, Kcpler répondit par l’écrit suivant : Joaunis Keplert apolosia Tychonis contra Nicolaum Raymarum Ursum. Cet écrit fut publié seulement en 1858 par Frisch. Il contient de vives réfutations des idées d’Osiander.


GALILÉE

164

de toutes les apparences beaucoup mieux qu’on ne pourrait le faire avec les excentriques et les épicycles, c’est très bien dire ; cela ne présente aucun danger et cela suffit au mathématation !. » Dans ce passage, Bellarmin maintenait la distinction scolastique entre la méthode physique et la méthode métaphysique, distinction qui, pour Galilée, n’était plus qu’un subterfuge.

Cependant, admettons, pour l’instant, que Galilée ait été fidèle à la ligne de conduite qu’il prétendait s’être tracée et que, renonçant à être cosmologue, il n’ait voulu se placer qu’au point de vue de l’astronomie. Le seul contrôle logique d’une théorie, d’un système scientifique, est l’accord avec l’expérience. Il s’agissait donc de montrer que le Système de Copernic s’accordait avec les faits connus. Galilée ne put y parvenir.

2° Argument apporté par Galilée au procès de 1616°. — L’unique argument qu’apportait Galilée en 1616 est contenu dans son Zrattato del Flussoe Reflusso del mare3 ; non seulement cet argument ne prouve rien, mais il conduit à des conclusions en contradiction avec les faits.

D’après Galilée, les marées sont dues à la vitesse plus ou moins grande dont sont animés, au même moment, des points de la surface terrestre diversement placés par rapport au soleil. En effet, soient (lig. 1) le soleil Set la terre T tournant autour de lui, d’un monvement supposé circulaire et uniforme.

es

Fig. 1

En même temps qu’elle est animée d’un mouvement de tranétation, la terre est animée d’un mouvement de rotation sur elle-même ; le mouvement résultant, dont seront animés les divers points de la surface du globe, différera donc en chaque point, suivant que les mouvements de tranétation et de rotation s’ajouteront vu se retrancheront en ce point. À un instant donné, par exemple, la vitesse du point À sera beaucoup plus considérable que celle du point B, qui lui est diamétralement oprosé. Les eaux de l’Océan, par suite de leur mobilité, ressentent ces variations de vitesse ; elles oscillent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, s’élevant et s’abaissant tour à tour.

1. Op. Gal., t. XII, p. 171. | 2. Cf. A. Müller, S. J., Die Erscheinungen von Ebbeund

Flutk in Zusammenhang mit dem Kopernihanischen W’eltsystem, dans Slimmen aus Maria Laach, 1899., k

3. Le manuscrit autographe de ce petit traité, Composé par Galilée en 1616, a été retrouvé de nos jours à la Bibliothéque Vaticane. Il est intitulé : Trat{ats… composto da Galileo Galilei ad istanza dell Illme Revo Sig. Card. Flavio Orsino (société di propria sua mano}, in Roma agli 8 di gennaio 1616, mentre egli stava per le persecutioni (de) riccvute dagli emolé suoë sequestrale alla Trénità dè Mont : nel giardino Medici. Op. Gal., t. V, p. 371-39%. 165

Laissant de côté toute autre ditlicvulté, si cette explication était exacte, il ne devrait y avoir qu’une ruarée complète par jour, en chaque point. Au lieu de cela, on observe chaque jour, en un point donné, deux marées complètes !.

La théorie de Galilée était donc inacceptable. De plus, elle marquait un recul sur l’opinion dès longtemps soutenue par Pline, admise par Kepler et plus en harmonie avec les faits, que le phénomène des marées était dû à l’action combinée de la lune et du soleil. Aussi avait-elle peu de chances de convaincre les adversaires du systéme de Copernic.

3° Arguments apportés par Galilée à l’époque du procès de 1633. — Dans l’intervalle de temps qui s’écoula entre ses deux procès, Galilée eut à sou-


Fig. 2

tenir une polémique acharnée qui le força à compléter et à préciser ses idées. Donc, lorque vers 1633 ses adversaires le mirent en demeure de donner des preuves de la vérité du système de Copernic, vérité au nom de laquelle il attaquait les opinions reçues, on pouvait supposer qu’il apporterait de bons arguments. Or il n’en fut rien.

Les preuves données alors par Galilée se réduisent à trois : l’une est basée sur les phénomènes de station et de rétrogradation des planètes ; la seconde sur les mouvements des taches solaires et la troisième sur le phénomène des marées, Examinons-les successivement.

Première preuve. Cette preuve n’est que la reproduction de celle donnée par Copernic dans son livre De revolutionibus. Elle est hasée sur ce fait que les mouvements apparents des planètes s’expliquent aisément en supposant que la terre tourne autour du soleil, Galilée illustrait cet argument par une nouvelle figure ?.

Soient (fig. 2) le solcil S supposé au centre, T l’orbite de la terre, J l’orbite d’une planète, par exemple celle de Jupiter, et Z le plan du zodiaque, sur lequel un observateur, placé en un point de la terre, prosette la planète. Lorsque la terre, dans son mouvement annuel, occupe, sur le cercle T, les positions 1, 2, 3, 4, 5, 6, la planète Jupiter occupe sur le cerele, les positions 1, 2, 3, 4, 5, 6 et apparait projetée sur le zodiaque, dans les positions indiquées par les chiffres correspondants. La figure montre que cette planète, après s’être déplacée dans le sens direct, reste

1. En réalité, les marées étant dues surtout à l’influence de la lune, il y a deux marées complètes dans le temps qui s’écoule entre deux passages consécutifs de la lune au méridien, c’est-à-dire en 2% h. 50m.5 «.

2. Op. Gal, t. VIX, p. 371. Nous modifions légèrement

la figure pour rendre plus apparentes les diverses positions des planctes.

GALILÉE

166

stationnaire, prend un mouvement rétrograde, reste de nouveau stationnaire, puis reprend un mouvement direct.

Ceci posé, disait Galilée, les mouvements apparents des planètes cessent d’être extraordinaires ; ils deviennent parfaitement uniformes et réguliers, comme le veut Copernic. Et il ajoutait que cette vérification devait sustice à emporter l’adhésion de tous les esprits raisonnables et non prévenus !.

Mais Galilée exagérait la force de son argument. En fait, que l’on suppose les planètes décrivant des cereles ayant un centre commun au solcil, le soleil décrivant lui-même un cercle autour de la terre, ou que l’on suppose le soleil tixe et les planètes, y compris la terre, décrivant des cercles autour du soleil, les apparences s’expliquent, dans les deux cas, avec le même degré de préeision ?. Donc, & priori, rien ne permet de préférer une solution à l’autre. Le système de Copernic, il est vrai, explique les phénoméenes avec plus de simplicité, mais, il importe de ne pas l’oublier, la simplicité d’une théorie physique n’est nullement un argument en fuveur de sa vérité.

D’ailleurs, on aurait pu faire à Galilée bien des objections de détail. Dire que, dans le système de Copernic, le soleil occupe le centre des orbites, c’est parler inexactement ; car, pour Copernic, les eercles décrits par les planètes sont excentriques au soleil ; de plus ils n’ont pas un centre commun, Ces imperfections disparaissent avec les lois de Kepler ; mais précisément la preuve donnée par Galilée contredisait ces lois, puisque, d’après Kepler, les planètes ont un mouvement elliptique non-uniforme. Galilée, pourtant, connaissait ces lois : sa correspondance le montre ; d’où vient donc qu’il n’en ait pas tenu compte et n’ait pas une seule fois nommé Kepler ? La raison de ce silence semble être celle-ci : Kepler était un protestant convaincu et, dans plusieurs de ses ouvrages, s’était occupé de concilier ses découvertes avec la Bible, interprétée selon les principes de la religion réformée. Galilée redoutait, sans doute, de voir mal appréciés, à Rome, des argumuents d’origine aussi peu orthodoxe.

Deuxième preuve. Cette preuve s’appuyait sur le mouvement des taches solaires. ; elle était encore woins convaincante que la précédente.

Galilée avait constaté le fait suivant : lestaches solaires, observées plusieurs jours de suite, ne gardent pas la mérue position relative sur le disque, mais se déplacent de l’est à l’ouest ; il en concluait avec raïison que le soleil tourne sur lui-même, autour d’un axe NS (tig. 3) passant par ses pôles. Or, si l’on considère une tache située près de l’équateur de eetastre et que l’on pointe sur une figure les diverses positions qu’elle occupe successivement, on constate que la ligne AO, qui joint sur la figure les différents pointés, prend une forme variable suivant les époques de l’année. Tantôt elle est droite, tantôt elle est elliptique ; de plus, lorsque cette ligne est droite, elle présente une inclinaison sur le plan de l’écliptique, de telle sorte que l’axe de rotation NS fait avec l’axe de l’écliptique N S’un angle d’environ 7°. Le sens de cette inclinaison change tous les six mois, de même

1. Op. Gal., t. VII, p. 370.

2. Cf. Leçons de Cosmographie par F. Tisserand et H. Andoyer, Paris, 3° édit, p. 241.

3. Op. Gal., 1. VII, p. 352. CF. t. V, p. 7.251. — À. Müller, S. J., Die Sonnenflecke un Zusammenhang mit dem Kopernihanischen Weltsystem, dans Stimmen aus Marta Laach, 1597. 167

que le sens de la concavité de l’ellipse décrite par les taches.

A tout cela une seule explication est possible, disait Galilce. et ces divers aspects sont dus à ce que la terre tourne, en un an. autour du soleil.

L’argument est loin d’être irréfutable et ces différents phénomènes s’expliquent tout aussi bien en supposant que le soleil tourne autour de la terre, pourvu que l’on admette, comme le veut en réalité la loi de l’même, que son axe de rotation reste toujours parallèle à lui-même. La réponse devait sauter aux yeux des partisans de Ptolémée. Galilée s’en est si bien rendu compte qu’il s’est posé l’objectiont. Il y répond en disant qu’il lui paraît impossible d’admettre ce parallélisme de l’axe solaire. Mais alors comment pouvait-il admettre le parallélisme de laxe terrestre, indispensable au systeine de Copernic ?

Troisième preuve. Elle reproduisait, avec quelques additions, la preuve de 1616. Galilée continuait d’attacher à cette preuve des martes la plus grande importance 2. Un examen plus approfondi des faits lui avait montré qu’il était impossible d’expliquer le plhénomene du flux et du reflux sans tenir compte de l’action de la lune ; aussi, tout en maintenant le rai-

NN


sonnement fait en 1616 et que nous avons exposé, avait-il consenti à introduire dans le phénomène une période nouvelle, d’ailleurs absolument en désaccord avec la réalité. Selon lui, les plus faibles marées devaient se produire à l’époque de la nouvelle luneetles plus hautes marces à l’époque de la pleine lune ; or il n’en est pas ainsi 3.

Dès la publication du Pialogn, plusieurs des amis de Galilée lui avaient exposé leurs ohjections contre ect argument et l’avaient avent qu’ils ne pouvaient se ranger à son avis. Mais le grand homme se montra intraitable, se déclarant prêt à douter des faits plutôt que de ses calculs, et qualifiant cette preuve d’irréfutable i,

4° Probabilités qu’apportait Galilée en faveur du système de Copernic. — Un fait est done certain : des explications que Galilée prétendait déduire du Système de Copernic, les unes ne prouvaient rien, les autres étaient en contradiction formelle avec les faits. Par contre, il lui faut rendre cette justice qu’il réfutait fort bien les objections de ses adversaires.

L’une des objections ctait celle-ci : si Vénus tourne autour du soleil, elle doit avoir des phases, comme la lune ;  : or personne neles voit. — Oui, avait répondu Copernic, et on les distinguerait si l’on trouvait un

1. Op. Gal..t. VI, p. 382.

2. Op. Gal… XIV, p. 289

3. Les plus grandes marées ont lieu vers les syzygies (nouvelles et pleines Innes) et les plus petites marées vers les quadrutures (premiers et derniers quartier »).

4. Op. Gal..t. VIE, p. 472. — Kepler n’admoetluit pas que l’argument de Galilée fut probant. Cf. Op. Gal.. X1. 16. — Bertrand regrettuilt que Galilée « lui eût accordé une place ». Cf. Les fondateurs de l’astronomie moderne, Pari, 1865, p. 227. — Arago de même. Cf. Notices biog., t. D, p— 262.


GALILÉE

L

168

moyen d’augmenter la puissance de vision desastronomes. — Ce moyen [ut réalisé par l’invention des lunettes, et, en 1010, Galilée observa les phases de Venus.

On avait beaucoup de répngnance à admettre le mouvement de la terre, ce mouvement ne se manifestant par aucune impression directe. Or Galilée observe les taches du soleil : il les voit se déplacer sur le disque, disparaitre à l’occident et revenir de l’autre côté du disque. au bout de quelques jours. Donc le soleil tourne sur lui-même ; pourquoi n’en serait-il pas de méme de la terre, dont le globe est considérablement plus petit ?

Une troisième objection paraissait assez spécieuse : le système de Copernic, beaucoup plus simple que celui de Ptolémée pour représenter les mouvements des planètes, était, au contraire, beaucoup plus compliqué pour la lune, laquelle, tout en effectuant son mouvement de rotation autour de la terre, est entrainée par elle dans sa tranétation autour du soleil. Or Galilce découvre, en 1010, quatre des satellites de Jupiter et voit leursorbiles se combiner avec l’orbite de la planète, Du coup, la lune perd de son importance et devient un satellite de la terre, animé d’un

N’N N’N

S s’s

ig. à

mouvement semblable à celui des lunes de Jupiter, Ainsi disparait l’objection.

On faisait entin à Galilée une difficulté basée sur les lois de la chute des corps. Si la terre est animée d’un mouvement de rotation, lui disait-on, un corps lourd, laché du sommet d’une tour, ne tombera pas au pied de la tour, mais en arrière, à l’ouest de sa base, en admettant que la terre tonrne de Fouest à l’est. — Non, répondait Galilée ; an moment où ce corps est abandonné à lui-même. ilparticipe au mouvement horizontal du point où il se trouve ; ce mouvement se compose avec le mouvement vertical de chute et la résultante est un mouvement en apparence parallèle au côté de la tour. — En réalité, comme l’ont montré depuis des expériences précises, le corps est dévie vers l’est. en avant de la tour, justement à cause de la rotation de la terre ; en effet, la vitesse du point de départ, plus éloigné du centre de rotation, est plus grande que celle du point d’arrivée ; par suite, le corps qui participe au mouvement de son point de départ, doit tomber dans le sens du mouvement de rotation. — Quoi qu’il en soit, la solution de Galilée ce les expériences nombreuses par lesquelles il s’efforçait de l’appuyer pararent salisfaisantes à ses contradicteurs !.

En somme, Galilée, comme le dit l’astronome Laplace 2, étayait sa théorie par des preuves d’analogie : rotation du soleil, phases de Vénus, mouvement des satellites de Jupiter. Les preuves d’analogie ont

1. Op. Gal… t. NH, p. 152. C’est scolement en 1679 que Newton réfutera rigoureusement cette objection des anticoperniciens.

9. Essai sur les probabilités, Paris, 19420, p. 247, — Le 17 novembre 1632. Gnssendi écrivait à Galilée : « Vos hypothèses sont fort vraisemblubles, inais elles restent pour vous des hypathéses ». Op. Gel, & NIV, p. 422

169

GALILÉE

170

leur valeur : aujourd’hui même, deux siècles après Galilée, elU-s consliluenl l’une des principales raisons qui fondi’nl notre croj’anee à la rotation de la terre. Mais ees raisons, convaincantes peut-être pour le ffénic intuitif qu’i’tait le savant Florentin, ne lurent pas assez par lui mises en lumière ; il leur préfera à tort des preuves qui avaient infiniment moins de valeur, ou même des arffunients absolument faux. Cela seul sullirait à excuser, au point de vue seientili (pie, l’attitude de ses adversaires et leurs fins de non-recevoir.

Galilée, il faut le répéter, n’avait qu’un moyen de faire triom|ilier ses idées : c’était de les ensciffuer comnii’une Inpotbèse scientifique et d’essayer de les étayer peu à peu de preuves qui pussent faire impression sur ses adversaires. Le P. lîaldigiani, S. J., sincère admirateur du jrrand homme, voyait très juste quand il écrivait à Viviani ; « Si Galilée avait su être ]>lus a isé et i>lus prudent ; si, conservant danstoute leur intéitrité les théories de Copernic, il avait siraplenu’nt changé sa manière d’écrire, il n’eût pas rencontré tant de contrariétés et rien ne manquerait à sa gloire. »

m

QUESTION EXKGKTIQfE

("Opinion des Pères et des docteurs de l’Eglise.

— L’Eglise considère l’Ecriture sainte comme un texte inspiré.

Elle a constamment revendiqué le droit de l’interpréter authentiquement. Les conciles de Trente et du Vatican l’ont aux exégètes un devoir de se tenir au sens unanimement reçu par les Pères, ou encore défini par l’Eglise, dans les questions qui concernent la loi et les mœurs et intéressent la doctrine chrétienne’.

Sur le cas qu’il convient de faire des interprétations courantes que les anciens exégètes nous ont laissées des choses dont l’intérêt est par lui-même scientifique mais qui sont incidemment liées au contenu doctrinal de la Bible, Léon XIII s’est nettement expliqué dans l’encyclique Providentis.’iimiis, du 18 novembre 1898 : « De ce qu’il faiit défendre vigoureusement l’Ecriture sainte, il ne résulte pas qu’il soit nécessaire de conserver également tous les sens que cliacun des Pères ou des interprètes qui leur ont succédé a employé pour expliquer ees mêmes Ecritures. Ceux-ci, en effet, étant données les opinions en cours à leur époque, n’ont peut-être pas toujours jugé d’après la vérité au point de ne i)as émettre certains principes qui ne sont maintenant rien moins que prouvés. Il faut donc distinguer avec soin, dans leurs explications, ce qu’ils donnent comme concernant la foi ou comme lié avec elle, ce qu’ils allirment d’un commun accord. En elïet, pour ce qui n’est pas de l’essence de la foi, les saints ont pu avoir des avis différents, ainsi que nous en avons nous-mêmes. Telle est la doctrine de St. Thomas. Celui-ci, dans un autre passage, s’exprime avec beaucoup de sagesse en ces termes : « Pour ce qui concerne les opinions que les philosophes ont communément professées et qui ne sont pas contraires à notre foi, il me semble qu’il est plus sûr de ne pas les allirmer comme des dogmes, bien que quelquefois elles soient introduites dans le raisonnement au nom de ces philosophes, et de ne pas les noter comme contraires à la foi, pour ne pas fournir aux sages de ce monde l’occasion de mépriser notre doctrine- ». D’ailleurs,

1. Cf. Denzingcr, Enchiridion, 785, 1788 flO* édition.

2. Oj>use. X.

quoique l’interprète doive montrer que rien ne contredit l’Ecriture, bien explitiuce, dans les vérités que ceux qui étudient les sciences physiques donnent comme certaines et ap[iuyées sur de fermes arguments, il ne doit pas oublier que parfois plusieurs de ces vérités, données aussi comme certaines, ont été ensuite mises en doute et laissées de côté. Que si les écrivains qui traitent de physique, franchissant les limites assignées aux sciences dont ils s’occupent, s’avancent sur le terrain de la philoso])hie en émettant des opinions nuisibles, le théologien peut faire appel aux philosophes pour réfuter celles-ci. »

En parlant ainsi, le Souverain Ponlife ne l’ait que traduire fidèlement l’enseignement de l’Ecole. Un principe déjà entrevu des anciens et expressément formulé par St. Augustin et St. Thomas, au sujet du sens et de la portée du texte biblique, dans les passages où il est question des phénomènes de la nature, était celui-ci : l’Ecriture en [larle comme tout le monde en parlait alors, d’après les a])|>arences. C’est encore la doctrine expresse de l’encjclique Providentissimus :

«. Les écrivains sacrés ou, plus exactement, ’1 l’Esprit de Dieu qui parlait par leur bouche, n’a

pas voulu enseigner aux hommes ces vérités concernant la constitution intime des objets visibles, parce qu’elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut’». Aussi ces auteurs, sans s’attacher à bien observer la nature, décrivent quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de métaphore, ou comme le comportait le langage usité à cette époque ; il en est encore ainsi aujourd’hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus savants. Dans le langage vulgaire, on désigne d’abord et par le mot i)ropre les objets qui tombent sous les sens ; l’écrivain sacré s’est de même attaché aux caractères sensibles — le Docteur .

gélique en a pareillement fait la remarque — c’est-à-dire à ceux que Dieu lui-même, s’adressant aux hommes, a indiqués suivant la coutume des hommes, pour être compris d’eux. »

La solution est nette et semble très naturelle : les auteurs sacrés ont parlé comme parlaient leurs contemporains ; ils ont employé les expressions usitées de leur temps. Le plus souvent ces expressions sont empruntées a)ix apparences et n’ont pas la rigueur scientifique ; elles ne jugent ni ne préjugent la question.

Aux xvi’et xvii’siècles, malheureusement, on oublia la modération de St. Augustin et de St. Thomas ; par suite de circonstances dans le détail desquelles il serait trop long d’entrer, on admit couranunent l’opinion qvie l’Ecriture devait s’interpréter d’après la physique d’Aristote et la cosmographie de Ptolémée. Pour ce qui est du système de Plolémée, l’erreur était explicable, sinon excusable : ce système ayant été, de fait, admis par tous les savants jusqu’à la fin du XVI’siècle, le tort des gens d’Eglise ne fut pas de l’admettre comme vrai, mais bien de le croire enseigné dans la Bible. Ils se trompaient, du moment qu’ils cherchaient dans le texte sacré ce qui n’y était pas enseigné de fait, mais enfin, en afllrmant la vérité du système de Ptolémée, ils étaient d’accord avec la science de leur temps.

Lorsque les découvertes de Galilée et de Kepler eurent porté les premiers coups au système géocentrique, lorsque surtout les calculs de Newton eurent péremptoirement montré sa fausseté, tous ceux qui voulaient faire l’accord entre la sainte Ecriture et l’astronomie se trouvèrent en fort mauvaise posture. Les Pères, dont la science physique n’était pas sensiblement plus étendue que celle des hagiographes,

1. St. Augustin, De Gen. ad litt., Il, 9, 20. 171

GALILEE

172

n’avaient pas trop de difTicullé à opérer la conciliation, au moins sur certains points, comme celui du mouvement des astres ; mais il n’en allait plus de même au xvii* siècle, et les excgètes d’alors, en essayant de travailler dans le même sens, marchaient d’avance à un échec.

Pour en venir au point particulier qui nous occupe, il faut avouer que beaucoup d’auteurs se sont crus autorisés à apporter, en confirmation de leurs idées astronomiques, certains passages de la Bible qu’ils prenaient dans le sens propre. Ils alléguaient, par exemple, en faveur du système géocentrique, les textes de Jos., x, 12 ; Eccles., i, ^ ; Ps. xviii, 6 ; Ps. xcn, I ; Ps. ciii, 5 ; Eccli., xliii, 26. Ce sont ces textes qui ont empêché Tycho-Bralié d’admettre le système de Copernic, dont il était pourtant un sincère admirateur ; ce sont ces textes que les premiers chefs protestants opposèrent, dès le début, au chanoine astronome’. Le célèbre Serarius lui-même, dans son commentaire du chapitre X de Josiié, condamnait expressément la doctrine du mouvement de la terre, comme en contradiction avec l’Ecriture et avec l’opinion des philosophes, des théologiens et des Pères’-.

Voici le passage qui sert de thème ordinaire à la discussion ; il est tiré du Livre de Josué, à l’endroit où riiistorien raconte comment se termina la bataille de Béthoron, dans laquelle furents défaits les Chananéens du sud de la Palestine :

12. <i Alors Josué parla à lahve, le jour où lahve livra les Amorrhéens aux enfants d’Israël ; il dit à la -ue d’Israël :

Soleil, arrctc-toi sur Gabaon

Et toi, lune, sur la vallée d’Aialon ! 13. Et le soleil s’arrêta, la lune se tint immobile,

Jusqu’à ce que la nation se fût vengée de ses ennemis.

N’est-ce pas écrit dans le I.iire du Juste ?

Le soleil s’arrêta au milieu du ciel

Et ne Iivta pas son coucher comme tout un jour.

14. Il n’y eut pas, avant ni après, de jour comme celui-là, où lahve obéit à la voix d’un homme, car lahve combattait pour Israël. »

Nous n’avons pas à nous occuper ici de l’historicité du récit, ni à faire la critique littéraire du texte. La question, pour nous, se réduit à ceci : quel sens avait-on donné à la lettre du texte jusqu’à Galilée ?

— Quel sens convenait-il de lui donner, si l’opinion soutenue par Galilée était exacte ? N’ayant pas à faire l’exégèse ni l’apologie du texte biblique lui-même, nous passerons sous silence les explications que des auteurs plus modernes ont cru pouvoir donner de ce passage de Josué ^. Qu’il nous suffise de rappeler celle que les juges de Galilée auraient pu lui donner, sans s’écarter de la plus stricte orthodoxie, en se tenant aux principes d’exégèse posés par les anciens auteurs.

Le texte que nous venons de rapporter ne souleva, dans l’antiquité chrétienne, aucune controverse ; chacun l’entendait dans son sens obvie, celui que suggérait tout naturellement la lettre, étant donnée la science d’alors. On a noté que les anciens exégètes, qui s’étaient assigné la tâche d’élucider les passages obscurs de la Bible, n’avaient point cliissé celui-ci dans cette catégorie’. St. Augustin n’en dit pas un

1. Cf. Jean Jansscn, L’AUema/jne et la lii-forme, t. Vil, p. 307.

2. Nie. Serarii,.S. J., Josiic ab utero ad utque ej’us turnuhtm. .. explttnatu », Moguntioe, 1609.

: (. Revue pratii/ue d’Apologétique, 15 juin 1907, p. 3.’il.

Article de H. Lcsétre.

4. F. Vigoureux, Les Livre » saints et la critique rationaliste, Paris, 1902, t. IV, p. 459.

mot dans ses Questions sur le Livre de /oshc. Quant aux commentateurs de ce passage, Origène.Théodoret de Cyr, Procope de Gaza, le Vénérable Bède, ils n’en parlent qu’incidemment et se bornent à constater le fait’.

De ce que les Pères ont interprété ici l’Ecriture d’après les théories de Ptolémée, peut-on inférer que leur témoignage s’impose sur ce point à l’adhésion des fidèles ? En aucune façon, car ce témoignage ne porte pas sur un texte doctrinal, c’est-à-dire ayant trait à une question dogmatique ou morale et, en second lieu, les Pères, quand ils parlent d’astronomie, ne s’expriment pas en docteurs catholiques, c’est-à-dire ne donnent pas leur interprétation comme étant celle de l’Eglise. Leurs affirmations scientifiques n’ont donc que la valeur des arguments sur lesquels ils les appuient.

Si, des Pères, nous passions aux docteurs du moyen-âge, nous constaterions que les seconds, pas plus que les premiers, n’ont compromis l’autorité de leur enseignement dans une aventure scientifique et n’ont jamais soutenu conmie obligatoire, au nom de la révélation, le système de Ptolémée. Qu’il nous suffise de citer St. Thomas ; dans son commentaire sur le Traité du ciel et du monde d’.ristote, il affirme que la terre est immobile, mais, fidèle à ses principes, il n’a garde d’apporter en preuve des textes tirés de la Ste. -Ecriture,.illeiirs, parlant du miracle raconté au /.ivre de Josué, le Docteur Angélique prend le texte dans son sens littéral, mais n’en infère rien au point de vue dogmatique. Et nous savons d’ailleurs qu’il admettait que la Bible parle le langage des apparences 2.

2" Intervention de Galilée. — De ce qui précède l’on peut conclure que, jusqu’à la lin du xvi’siècle, aucune voix autorisée ne s’était élevée dans l’Eglise pour déclarer la doctrine de l’immobilité de la terre comme étant de foi divine, parce que contenue dans la Ste.-Ecriture. Mais, dans les discussions entre particuliers, on était sans doute moins réservé. Nous avons vu que, dès l’apparition du système de Copernic, on avait fait arme contre lui des textes bibliques. Dans la préface de son ouvrage De Hevolutionibus, le chanoine avait protesté d’avance contre ceux qui lui opposeraient certains passages détournés de leur véritable sens : « S’il se trouve des sots qui, tout ignorants qu’ils soient des sciences, s’en croient assez pour arguer contre mon système de quelques textes de l’Ecriture qu’ils interprètent faussement suivant leurs idées, je m’en soucie assez peu et méprise leurs appréciations sans valeur’. » Plus tard, le grand Kepler lui-même s’unissait à ces protestations :

« Les Stes. -Lettres parlent des choses vulgaires

d’une façon commune, de façon à être comprises de ceux à qui elles s’adressent, et leur but n’est pas de nous instruire sur ces points-là’. « 

D’autres ne s’en tenaient pas à ces remarques fort justes et, tombant d’un excès dans un autre, ils cherchaient dans l’Ecriture des textes positifs en faveur du mouvement de la terre. Ainsi faisaient Foscarini et Zunica. Ceci était regrettable, mais l’autorité ecclésiastique n’aurait sans doute pas été amenée à trancher la question d’une façon aussi bruyante, sans l’intervention de Galilée.

En iGii, François Sizi publiait, contre les idées

1. Cf. ])0ur le détail des références Cursus Scripturac Sncrae, Paris, Lelhiilleux. In Josue, p. 239.

2. De cæli’et mnndo, lib. II, lcct. 26. — S « mm. T/ieo/. Il’II", q. Vk, t,. 4. — Id. I’. q. 70, a. 1.

3. /Je 7î « i(i/w<ionivuj… Nuremberg, 1543. Ad. S. S. Paulum III Præfotio. p. iv.

4. Asironomia Nova…Prague, 1609, p. 4-5. 173

GALILEE

174

coperniciennes exposées dans le Sidereiis A’unciits un écrit intitulé Diaiioia astronoinicn, dans lequel il rejetait ces idéesau nom de la tradition. Nous avons dit plus haut comment, en 1613, Galilée réfuta Sizi dans sa lettre au P. Castelli, puis, en 1615, dans son opuscule à Christine de Lorraine. Après avoir montré, dans ce dernier ouvrage, que c’est une erreur de vouloir toujours prendre les paroles de l’Ecriture au pied de la lettre, l’auteur exposait les raisons pour lesquelles elle adopte le langage comuiun et concluait, avec plusieurs Pères et docteurs, qvi’il était très naturel que les auteurs sacrés aient employé le langage des apparences, en parlant du soleil.

Le fond de ces idées étaient juste et sage ; si quelques expressions manquaient de clarté, on ne pouvait guère en faire un crime à Galilée, qui n’était pas théologien de profession. On s’en rendit compte à Rome ; mais des adversaires du grand homme n’eurent point la même modération et interprétèrent ses expressions dans un sens défavorable ; d’autres, bien intentionnés pourtant, se crurent obligés en conscience de signaler l’auteur à l’autorité ecclésiastique ; Galilée lui-même mit cette autorité en mesure de se prononcer.

Du moment qu’il s’agissait de l’interprétation des textes de l’Ecriture, l’Eglise pouvait didicilcment ne pas intervenir, alors surtout que l’on en référait à son magistère. Ses décisions constituent le fond du procès de 1616.

La question, à cette époque, présentait deux aspects bien différents :

I" Le système de Copernic est-il suffisamment prouvé pour qu’il y ait lieu d’abandonner le sens traditionnel des textes de l’Ecriture qui lui semblent opposés ?

a" Supposé que ce système doive être admis, quelle est l’interprétation qu’il conviendrait de donner aux textes ?

Si quelques esprits outranciers voulaient a priori maintenir le sens propre des passages discutés, d’autres, plus clairvoyants, se rendaient compte de la nécessité qu’il y avait à séparer ces deux questions et à répondre à la première avant d’aborder l’autre. Le 12 avril 1615, le cardinal Bellarmin écrivait à Foscax’ini :

« Je dis que, s’il y aune vraie démonstration

que la terre tourne, alors il faudra apporter beaucoup de circonspection dans l’explication des passages de l’Ecriture qui paraissent contraires et dire que nous ne les entendons pas, plutôt quede déclarer faux ce qui serait démontré. Mais je ne croirai pas à l’existence d’une pareille démonstration, avant qu’elle m’ait été faite et, dans le cas de doute, on ne doit pas abandonner l’interprétation traditionnelle’. » Le P. Grienberger, Jésuite du Collège romain, disait de son côté à Mgr Dini, un ami de l’astronome :

« QueGalilée nous apporte d’abordquelques preuves

scienliliques convaincantes ; il lui sera ensuite loisible de parler de la Sle.-Ecriture^. » Tout ceci était fort juste, car c’est un principe fondé en raison qu’il ne faut s’écarter du sens ])ropre que lorsqu’on a des motifs positifs de le faire.

Nous pensons l’avoir suffisamment montré, le système de Copernic était loin de se présenter, à l’époque dont nous parlons, avec des garanties seientiliques sérieuses ; il se présentait même assez défavorablement. Dès lors, à juger la première question du point de vue auquel se plaçaient les juges de 1616, onne pouvait lui faire qu’une réponse négative. Du moment que le principe de l’emploi du lan 1. Op. Gal., l. XII, p. 171.

2. On pourrait, sur ce point, accumuler les références. Citons ; Op. Gal., t. VUl, p. 366, 375.

gage courant, par les hagiographes, n’entrait pas en ligne de compte, il eût été irraisonnable et antiscientilique d’abandonner le sens reçu pour un sens que rien ne semblait juslilier. On peut en dire autant pour les juges de 1633 et leur manière d’interpréter les textes : les probabilités apportées alors par Galilée ne constituaient pas encore des preuves suffisantes.

Ajoutons que, I)ien qu’on répondit négativement à la première question, on faisait à la seconde une réponse fort correcte. Sur ce point, tout le monde est d’accord.

De tout ce qui précède, il semble que l’on puisse conclure ceci : les théologiens, dont les consultations furent la base des décrets de iC16 et de 1633, eurent tort de ne pas appliquer au passage discuté le principe formulé par St. Augustin et St. Thomas, à savoir qu’en ce qui concerne les choses de la nature, les données de la Hihle ne doivent pas être prises avec une rigueur scientifique. Leur erreur, du reste, est assez excusable ; on pourrait même dire que l’engoûluent péripaléticien de l’époque, sans ])arler d’inévitables rivalités personnelles, la rendaient prati(iuement insurmontable.

IV

QUESTION CANONIQUE

I* Nature de la question’. — Les objections populaires, faites à l’Eglise à propos de Galilée, se tirent des circonstances extérieures du procès ; elles sont peu sérieuses. Plus graves sont les objections que les gens instruits formulent à propos de la valeur juridique des décrets de 1616 et de iG33. Il importe donc de préciser la question et de rappeler certaines notions théoriques sur la valeur des décisions de l’Eglise.

Le Souverain Pontife peut promulguer deux sortes de décret : les uns, infaillibles, sont des décisions e.r cathedra : les autres, tout en étant des documents pontiûcaux, ne portent pas un jugement déûnitif et absolu.

L’Eglise représentée par ses évéques, sous la présidence du pape, i^eut promulguer des décrets conciliaires qui jouissent également du privilège de l’infaillibilité.

De plus, l’Eglise enseignante peut également, par la voix du magistère ordinaire, imposer des vérités d’une manière infaillible.

La Congrégation du St.-Offîce peut rendre deux sortes de décrets : décrets doctrinaux ou décrets disciplinaires. Les décrets (/oc(ri>ia » j’renferment les décisions de la Congrégation sur un point ayant trait au dogme ou à la morale ; ils sont toujours soumis à l’approbation du pape, lequel est, de droit, préfet de la Congrégation. Celui-ci peut les approuver in forma conimuni ou in forma specifica. Si le décret est simplement approuvé dans la forme commune, il est et reste un décret de la Congrégation, ni plus ni moins. Au contraire, l’approbation en forme spéciale transforme la décision en un acte pontifical, dont le pape devient juridiquement responsable, mais qui n’est pas infaillible pour autant.

Les décrets disciplinaires du St. -Office, de beaucoup les plus fréquents, n’ont jamais pour but de qualilier une doctrine, mais seulement de faire acte de police doctrinale, en iirohibant un ouvrage ou une catégorie d’ouvrages, ou en condamnant personnellement un individu.

La Congrégation de l’Index ne peut promulguer

1. Cf. L. Choupin, Valeur des décisiom doctrinales et disciplinaires du St.-^iège, Paris, lyu".

175

GALILEE

ITÔ

que des décrets disciplinaires, censurant ou proliibant certains ouvrages ; elle est incompétente pour qualilier une doctrine.

Il l’aut faire ici une remarque importante : les considérants de tous les décrets, quels qu’ils soient, ne font jamais partie intégrante et essentielle du décret ; ils expriment l’esprit du législateiu-, ses motifs d’agir ; ils n’expriment pas sa volonté. Les considérants peuvent donc être erronés et la sentence rester obligatoire ; ils peuvent être d’ordre doctrinal et la sentence demeurer purement disciplinaire.

Ceci posé, quelle adhésion est due par les fidèles à ces dififérentes sortes de décrets ?

Aux décisions doctrinales duSouverain Pontife qui ne sont pas des décisions infaillibles, tout fidèle doit, d’obligation stricte, l’adhésion intérieure.

Aux décrets doctrinaux du St.-Office approuvés in forma speci/ica, nous devons naturellement, la même adhésion qu’aux décrets précédents, puisqu’ils n’en ililTérent pas.

Quant aux décrets doctrinaux du St.-Office, approuvés in forma communi, nous leur devons, proportion gardée, un assentiment intérieur de même genre que celui que nous devons à ces mêmes décrets pontificaux.

Enfin, aux décrets disciplinaires est due l’obéissance extérieure.

Une difficulté spéciale peut se présenter au point de vue de l’adhésion intérieure qui est due aux décrets doctrinaux non infaillibles ou aux décrets du St.-0 ! iicc approuvés in forma communi, lorsqu’il se présente c’.cs doutes sur la doctrine imposée.

Dans le cas de simple difficulté, la présomption reste en faveur de l’autorité. Si quelqu’un avait des raisons sérieuses de douter, il pourrait proposer ses doutes, mais il devrait, néanmoins, continuer à incliner son jugement du côté de l’autorité.

Si enfin il arrivait qu’un fidèle eîit l’évidence objective de la vérité d’une proposition réiirouvée ou de la fausseté d’une proposition jugée vraie, il est clair qu’il ne pourrait plus accorder à la décision doctrinale aucune adhésion intérieuie ; mais il devrait encore garder à son sujet un silence respectueux.

1° Valeur des décrets de 1616 et de 1633. — Examinons d’abord la valeur canonique des décrets proprement dits.

Le décret rendu par la Congrégation de l’Index, le 5 mars 1616, est de soi un décret discipUnaire.

Le décret rendu par le St.-Oflice, le 22 juin 1 633 est également un décret disciplinaire. Sur ce point, aujourd’hui, l’accord est fait : ce décret a seulement pour but de condamner un livre et son auteur.

A ces décrets il n’était dû, par conséquent, qu’une obéissance extérieure.

Quel est, en second lieu, le sens et la portée des considérants motivant ces décrets ?

Le considérant unique du décret de 1616 est celui-ci : La doctrine du mouvement de la terre, fausse et contraire à l’Ecriture, se répand et fait courir des dangers à la foi catholique’… » C’est un considérant d’ordre doctrinal.

Les deux considérants du décret de 1633 sont les suivants : i" Galilée a cru et tenu une doctrine fausse et contraire à l’Ecriture ; 2° Galilée a soutenu que l’on peut défendre une opinion comme probable, après même qu’elle a été déclarée contraire à l’Ecriture^… » Ce sont des considérants doctrinaux.

Ces considérants n’empêchent pas les décrets de rester disciplinaires.

A ces décrets, Galilée, comme tout fidèle, devait

1. Gai. e. riiKj.. p. 63.

2. Gai. e. Vlnq, , p. 145.

obéissance extérieure complète ; il ne pouvait donc ni enseigner le système de Copernic, ni publier des ouvrages pour le défendre.

Les décrets disciplinaires, n’ayant pas pour but de qualifier)ine proposition ou une doctrine, ne peuvent le faire olficiellement. On peut cependant se demander quelle note théologique les auteurs des décrets de 1616 et de 1633 associaient, dans leur esprit, au système de Copernic. La chose n’est pas évidente ; il seudile pourtant ressortir de l’examen des divers documents annexés aux décrets, que le système de Copernic était considéré comme hérétique’.

Aujourd’hui le mot hérétique a un sens très net : il n’est strictement api)licable qu’à quiconque nie une vérité de foi définie, c’est-à-dire une vérité révélée et proposée comme telle par l’Eglise enseignante ; dans un sens plus large il peut cependant s’entendre de celui qui nierait une vérité de foi divine, c’est-à-dire une vérité révélée, mais non officiellement proposée comme telle. A l’époque de Galilée, ces deux sens n’étaient peut-être pas toujours aussi nettement distingués. En tout cas, c’est évidemment dans le sens large que l’opinion de Galilée était taxée d’hérésie. Les qualificateurs de 1616 et lesjuges qui adoptèrent leurs conclusions, crurent que cette proposition Sol sietit, entendue au sens propre, était une proposition de foi divine ; en cela ils faisaient erreur, puisque celle proposition, bien que révélée, ne l’est que dans son sens métaphorique. Mais, pour eux, Galilée était hérétique, puisqu’il niait précisément, dans son sens propre, sans motifs suflisants. cette proposition révélée. Si Galilée fut condamné seulement comme suspect d’hérésie, ce n’est pas que ses juges doutassent de la fausseté de sa doctrine, mais c’est que la preuve juridique n’était pas faite que l’accusé eût réellement adhéré à cette doctrine.

Notons encore que, outre les décrets officiels dont nous avons parlé, il existe un document d’ordre privé qui concernait Galilée seul : nous voulons parler de la défense qui lui fut faite, en 1616, par les commissaires du St.-Office, sur l’ordre de PaulV. Cette défense, bien que de la catégorie des actes administratifs, obligeait Galilée en conscience ; de plus. Galilée avait promis expressément d’y être fidèle. Ce n’est donc pas sans motif que l’acte d’accusation de 1633 relève la transgression de cet ordre.

Avant de terminer l’examen delà question canonique, il nous reste quelques mots à dire de l’acte d’abjuration qui fut imposé à Galilée et qu’il dut lire et signer devant les Inquisiteurs, après avoir entendu prononcer leur sentence. Dans cet acte, Galilée déclarait considérer le système de Copernic comme hérétique, en tant que contraire à l’Ecriture ; il regrettait de l’avoir enseigné malgré les défenses qui lui avaient été faites et prolestait de sa soumission filiale à l’Eglise. Cette alijuration n’a rien qui puisse choquer : le prévenu, pendant toute la durée de son procès, avait protesté de l’orthodoxie de ses intentions, atlirmé que, s’il avait enseigné une doctrine considérée comme hérétique, c’était que les mots l’avaient trompé et que, dans l’ardeur delà discussion, il avait dépassé sa pensée intime. En signant un acte dans lequel il ne faisait que répéter ces affirmations et regretter les préventions d’hérésie relevées contre lui, Galilée était conséquent avec lui-même et donnait au

1. Nous parlons des auteurs dos décrets, exclu : ml, parle fait, les Souverains Pontifes Paul Y cl Urbain VIII. qui n’en sont pas les auteurs juri’liquement resjionsables. Quelle étnît la pensée personnelle du Pape Urbain Vfll sur ce point de la note à attribuer an système de Copernic ? La chose n’est pas nette, el les diverses paroles prononcées par lui peuvent s’entendre dans des sens assez différents.

GALILEE

178

Sl.-Oflice une assurance de sa lionne foi el une attestation oiKcielle de son orthodoxie.

3" Réponse aux objections. — Après ce que nous venons de dire, il nous est jdus facile de répondre aux ol)jeclions que l’on pense tirer de la condamnation de Galilée.

Notons, en premier lieu, que l’inraillibilitc de l’Eylisc est complètement liors de cause.

L’autorité personnelle du Souverain Pontife n’est jias non plus cn^’agée, puisque les décrets qu’il a approuves ne l’ont été que iii fornia conununi.

D’une manière très générale, l’autorité de l’Eglise enseignante n’est pas en question, puisque les décrets de 161O et de 1033 sont des décrets disciiilinaires.

Les considérants sont doctrinaux, il est vrai ; mais, 1 comme nous l’avons fait remarquer, ces considérants n’engagent pas la responsabilité des congrégations ; ils ne sont imputables qu’à chaque juge individuellement.

Pratiquement donc, l’erreur des juges de Galilée se réduit à ceci : ils ont jugé le système de Copernic contraire à la lettre de l’Ecriture, alors que, de fait, la lettre <le l’Ecriture, entendue correctement, n’exige pas le sens qu’ils lui donnaient.

Les juges île Galilée ont donc commis une erreur objective, matérielle. Reste à savoir s’il était sage et prudent <le leur part d’agir comme ils l’ont fait. — Nous dirons plus loin les circonstances qui les mirent dans la nécessité morale de condamner Galilée. Mais nous pouvons, dès maintenant, justifier leur conduite.

C’est une règle courante en exégèse, qu’il faut ])rendre les textes au sens propre, toutes les fois que l’on n’a pas de motifs plausibles d’en agir autrement. Or, à l’époque de Galilée, l’interprétation courante des passages discutés les entendait au sens propre et cette interprétation était légitime, car non seulement on n’avait aucune raison de les prendre au sens métaphorique, mais l’accord de ces passages, entendus au sens propre, avec les données de la science du temps, semblait, à lui seul, une raiscm sulhsante de les entendre dans ce sens. — Sans doute, il eût été préférable, en soi, de ne pas perdre de vue les règles très sages d’exégèse préconisées par St..ugustin et St.Thomas, et d’admettre que l’Ecriture fait complètement abstraction du point de vue seientilique ; mais, pour nous, il s’agit de ce qui a été et non pas de ce qui aurait pu être.

Ceci étant donc, du moment que, comme nous l’avons montré, Galilée n’apportait pas de preuves péremptoires de la vérité du système de Copernic et, par suite, de la fausseté de celui de Ptolémée, il n’existait aucune raison décisive de ne pas entendre les passages de l’Ecriture au sens propre. Les juges de Galilée n’avaient donc rien ()ui pût les porter à qiiitler l’interprétation Iratlitionnelle, et ils auraient fait preuve de légèreté en agissant autrement.

Mais, dira-t-on, les arguments de Galilée indiquaient au moins la possibilité d’une preuve scicntilique du système de Copernic, et il eût été plus prudent, devant cette possibilité, de ne pas confirmer le sens pro[)re des passages discutés par une décision onicicUe. Nous répondrons : 1° Quelques-uns des juges de Galilée, Bellarmin spécialement, ont admis la possibilité d’ime preuve et ils ont allirmé fort raisonnablement que, du jour où cette preuve serait fournie, l’Eglise se rangerai ! au sens métaphorique ; 2" précisément parée que la Congrégation du St.-Ollice était I)rudente, elle s’est gardée de donner, sur ce point particulier de l’interprétation au sens propre, aucune décision doctrinale. Elle a seulement témoigné, par une décision disciplinaire, qu’elle prohibait, de fait, une doctrine qui, sans motifs suffisants, contredisait

cette interprétation. C’était son droit ; on peut même ilire que c’était son devoir, et nous allons essayer de le montrer.

Nous le dirons plus loin, bien des motifs secondaires, très humains el très peu surnaturels, sont inler^cnus dans la condamnation de Galilée ; mais le motif dernier et prineij)al qui guida les auteurs de cette eondamnation fut, très certainement, le désir de sauvegarder l’intégrité de la doctrine catholique. Objectivement parlant, le système de Copernic se présentait de façon très défavorable : on ne voyait guère qiuds avantages il oll’rait au point de vue scientifique, tandis que l’on voyait nettement les ellets de démolition et de destruction qu’il opérait dans l’étlifice très complexe de la théologie du temps, si intimement mêlée à la philosophie et à la cosmographie, et étajée, l)ien qu’à tort, de leurs conclusions. Sans doute, la théologie peut, par elle-même, rester debout, sans ces appuis caducs ; mais fallait-il, au nom d’une hypothèse scientifique, nouvelle venue et n’ayant pas fait ses preuves, saper ces étais qui en étaient arrivés à faire corps avec le reste : fallait-il, pour contenter Galilée, et pour se l’anger à un avis encore très discutable, troubler cette harmonie qui avait fait l’admiration de grands esprits, jiendant des siècles ?

Il y a plus ; au imimenl où le système de Copernic fut défère en cour de Home, le protestantisme faisait rage en.Vllemagne, en Autriche, en France ; la guerre de Trente ans (1618-16^8) n’allait pas tarder à conférer aux hérétiques une existence légale el des droits politiques. L’un des plus grands soucis de la papauté était de préserver de la contagion les Etats de l’Italie et elle prenait dans ce but îles mesures énergiques. De lui-même, le système de Copernic n’avait rien qui pût elTarouclicr les plus rigides censeurs, du moins s’il se contentait de demeurer un système scientifique et, en f.iit, nous avons vu que, tous les premiers, les protestants lui firent 1res mauvais accueil, ce qui pouvait être unebonnenote aux yeux des catholiques. Mais, du moment que Galilée s’en constituait le champion, la situation changeait. Galilée plaçait la question sur le terrain théologique et exég’étique ; il prétendait interpréter à sa façon et dans un sens contraire au sens communément reçu, les textes de la Sle. -Ecriture et l’on pouvait voir là un essai de libre interprétation protestante. De plus, Galilée était en relations constantes avec r.llemagne et l’Autriche ; ses correspondants, Marc Wclser, Kepler étaient eux-mêmes en relation avec des Jésuites’ ; mais, en Italie, on n’était pas forcé de le savoir. Le seul fait de cette correspondance avec des paj s hérétiques fit mauvaise impression ; les pièces du procès en font foi. On s’explique dès lors que les juges de Galilée aient tenu en suspicion et jugé défavorablement une opinion qui, sous coxileur scientifique, pouvait favoriser, d’insidieuse façon, les erreurs que l’on redoutait. Peut-on dire que cette crainte fût chimérique ? Dès lors, une mesure de police doctrinale, comme celle qui fut portée, se trouvait légitimée.

D’ailleurs, il y a lieu, croyons-nous, de considérer les choses de plus haut encore, et nous dirons ici le fond de notre pensée. L’Eglise, en condamnant Galilée, n’a fait que suivre ses principes ordinaires de conduite, et l’objection tirée de cette condamnation n’est qu’une des variantes de l’assertion, plus générale, que l’Eglise a toujours tenté de barrer le chemin à la science. Sans nous étendre à montrer ce que l’Eglise a fait pour la science, nous répondrons simplement ceci :

1. Cf. Jean Janssen, VAUemagne et la Hi’fvrnw, t. VII, p. 308 aqq.

179

GALILEE

180

1° Ce n’est pas à la science que l’Eglise s’attaque, mais à l’erreur qui menace la doctrine dont elle a la garde. A un moment donné, cette doctrine peut lui paraître menacée par des conclusions prétendues scientiliques et alors elle se doit d’intervenir. Si ces conclusions sont légitimes, elles triompheront d’ellesmêmes, fortes de leur vérité ; l’Eglise, dans ce cas, les accueillera volontiers, persuadée qu’elle est que le vrai ne saurait contredire le vrai.

2° Par sa fonction même, l’Eglise est essentiellement conservatrice ; corps enseignant, la prudence lui fait un devoir de contrôler activement toutes les nouveautés ; delà un danger, qui n’est pas chimérique, celui de faire, momentanément, opposition à des nouveautés qui sont en même temps des vérités.

3" Les erreurs, les excès, les abus de pouvoir, quand ils se produisent, ne sont pas le fait du magistère souverain en vertu duquel l’Eglise définit la doctrine en matière de foi et de mœurs ; ils sont le fait de ce que nous avons appelé son droit de police doctrinale. Ces obstacles, rares et temporaires, mis au progrès sur un point très particulier, sont comme la l’ançon de 1 unité et de la sécurité de doctrine que toutes les sociétés envient à l’Eglise catholique.

CONCLUSIONS

1° Galilée croyait-il réellement à la valeur du système d « Copernic ? — La question est délicate ; de plus, elle est importante car, de la réponse que l’on y fera, ilépend la réponse à cette accusation, souvent répétée, que Galilée fut violenté dans sa conscience et forcé d’abjurer une doctrine qu’iltenait pour certaine.

Ici, une remarque préalable s’impose : nous n’avons le droit de juger des sentiments intimes de Galilée que d’après ses actes et ses paroles, d’après les documents qui nous ont été transmis, et ces documents doivent être interprétés d’après les règles ordinaires et les lois comnmnes de la psychologie. Il est de la plus élémentaire honnêteté de ne pas prêtera Galilée d’autres sentiments et d’autres pensées que ceux qu’il a manifestés : s’il en eut d’autres et quels ils furent. Dieu seul le sait.

Ceci posé, il faut avouer que nous nous trouvons en présence de documents assez contradictoires.

D’une part, un fait paraît certain : si Galilée ne fut pas toujours irréprochable au point de vue des mœurs, il fut toujours un chrétien foncièrement convaincu. Ici, les témoignages abondent ; nous en citerons quelques-uns qui se rapportent directement à la condamnation de ses idées et qui sont adressés à des correspondants sans position officielle dans l’Eglise.

« Je m’arracherais l’œil, écrivait Galilée, le iG février

1614> plutôt que de résister à mes supérieurs, en soutenant contre eux, au préjudice de mon âme, ce qui me paraît certain aujourd’hui comme si je le touchais de la main’. »

Et, le 6 octobre 1632 : « Je veux me montrer ce que je suis, lils très obéissant et très zélé de la Sainte Eglise’. >.

Et, le 3 luai 1631 : « Si vous pouviez voir avec quelle soumission et quel respect je consens à traiter de songes, de chinières, d’équivoques, de paralogismcset de faussetés lovites les preuves et tous les arguments qui paraissent âmes supérieurs ecclésiastiques étaycr le système qu’ils désap|)rouvcnt, vous comprendriez, vous et le pulilic, combien vif est le sentiment que je professe de n’avoir, en cette matière,

I. Op. Gal., t. XII, p. 28.’1. Op. Gal., t. XIV, p..’102.

d’autre opinion et intention que celle qu’ont eue les Pères et les docteurs de la Sainte Eglise’. »

Devant ses jugesde 1633, Galilée parlera de même :

« C’est parce que je suis convaincu de la prudence

de mes supérieurs ecclésiastiques que je me suis rangé à leur avis. » Et il ne cessera de protester de sa soumission et de sa déférence.

D’accord avec ces sentiments, dont nous n’avons aucune raison de douter, Galilée affirme n’avoir jamais adhéré intérieurement, d’une façon expresse, au système de Copernic : « Avant le décret de 1616, a-t-il avoué, j’étais indécis ; je tenais les deux opinions de Ptolémée et de Copernic pour soutenables et je pensais que l’une aussi bien que l’autre pouvait être fondée en nature. Depuis le décret de 1616, toute indécision a cessé dans mon esprit, et je liens l’opinion de Plolémée pour vraie et indubitable. »

Et pourtant, ces assurances, il faut en convenir, étaient en contradiction avec l’attitude générale de Galilée. Dans ses con>ersations, dans ses lettres, dans ses ouvrages, il soutient le système de Copernic, pai-fois avec acharnement. Inutile, sur ce point, d’accumuler des citations ; un simple coup d’œil sur les œuvres du savant suffirait à convaincre les plus, incrédules.

Comment concilier tout cela ? Les membres du Saint-Office, en 1633, ne crurent pas possible de le faire, et ne pensèrent pas pouvoir accepter des affirmations et des protestations si catégoriquement démenties par les actes de l’accusé.

Si l’on ne veut pas admettre que, en présence de ses juges, Galilée a subi une défaillance de sa volonté, il faut croire qu’une conviction ferme et rationnelle manquait à son intelligence, et cette explication nous semble la plus naturelle et la phis exacte.

Livré à son propre génie et tout à l’enthousiasme de ses premières découvertes astronomiques, Galilée pensa d’abord que ses preuves du mouvement de la terre avaient uneréelle valeur. Le respect qu’il témoignait à l’autorité ecclésiastique changea le cours de ses idées ; ses opinions scientifiques n’étant pas absolument arrêtées, il les sacrifia à ce qu’on lui présentait comme une vérité certaine, persuadé qu’il mettait ainsi sa raison d’accord avec sa foi.

Puis, lorsqu’il se retrouva en présence de ses livres et de ses instruments, en compagnie de ses amis, fervents coperniciens pour la plupart, et dans le fende la lutte contre ses adversaires, de nouveau l’autre côté de la question s’éclaira pour lui d’une vive lumière. De rai)ides intuitions, des probabilités impressionnantes sollicitant de nouveau son génie, les idées d’obéissance passaient au second jilan, et Galilée se sentait redevenir, presque malgré lui, champion de Copernic.

Durant son second procès, remis en présence defs arguments d’autorité qui l’avaient, une première fois, arrêté, passant au crible serré de la réflexion des preuves scientifiques qui, dans le fond, n’étaient pas convaincantes, il se reprenait à douter de Copernic et de sa propre raison, et abandonnait l’opinion qui, un instant, l’avait séduit. Il est faux qu’rprcs son abjuration Galilée ait prononcé la fameuse exclamation :

« E pur si muovc ! », mais ce mot, s’il ne franchit

pas ses lèvres, put fort bien se formuler en son esprit.

De 1633 à sa mort, Galilée garda-t-il toujours une sérénité parfaite au souvenir de sa condamnation ? Nous avons des motifs de penser le contraire. Les suggestions de ses amis, les attaques de ses adversaires durent exciter en lui des retours offensifs. Des scnliuicuts de révolte semblent même avoir fait

1. 0 ; >. G.t/., I. XIV, p. 258. ISI

GALILEE

182

explosion dans quelques notes qu’il jeta sur le papier, et montrent que, malfjré sa docilité, il n’avait pas perdu toute foi dans son pénie et dans ses découvertes. Mais rien ne nous permet de penser qu’il ait regretté son abjuration. La soumission intellectuelle à la manière de voir de l’Eglise était habituelle en lui, sous l’intluencede sa volonté. Rien d’étonnant qu’aux heures de doute et de souffrance sa volonté n’ait pas toujours gardé un parfait empire. En cela, du reste, Galilée est excusable, car l’adhésion intérieure qu’il devait n’était ni complète, ni absolue, et n’était basée que sur des motifs de prudence.

Galilée a donc pu être torturé dans son intelligence ; quiconque se trouve dans l’alternative de désobéir à l’Eglise ou de sacrifier de chères idées, connaît cette torture. Mais il semble faux d’affirmer que Galilée a été forcé d’abjurer une doctrine qu’il tenait comme certaine ; il est faux qu’il ait été violenté dans sa conscience. Ue la vérité du système de Copernic, Galilée n’eut jamais l’évidence et la certitude, tandis que jamais il ne douta de son devoir.

C’est ici le lieu de répondre à une confusion que l’on a faite parfois. Le devoir de Galilée, dit-on, était net, après 1616 ; il ne pouvait plus enseigner le mouvement de la terre, en quelque manière que ce fût. Aux termes du décret de 1616, rien doplusexact ;

— nous l’avons fait remarquer déjà, les documents officiels portaient en elTet quoris modo ; — mais ces mots ne se trouvaient pas dans la pièce remise à Galilée par Bellarmin. Il n’y a pour nous aucun doute : Galilée était loyal en pensant qu’il lui était permis encore de parler du système de Copernic comme d’une hypothèse scientilique. Le 6 mars 1616, il écrivait : Il L’issue de cette alTaire a montré que mon opinion n’est pas acceptée par l’Eglise. Celle-ci a seulement fait déclarer qu’une telle opinion n’était pas conforme aux Stes. -Ecritures ; d’oii il suit que les livres voulant prouver ex professo que cette opinion n’est pas opposée à l’Ecriture sont seuls prohibés*. «  Et, de fait, Galilée s’abstint dès lors de parler exégèse.

Celte interprétation du quovis modo n’était pas particulière à Galilée et plusieurs pensaient comme lui sur ce point 2. Si donc, en 1633, l’on a failà Galilée un reproche d’avoir continué à enseigner le système de Copernic, malgré qu’il fût contraire à la Ste.-Ecritvrc, c’est que, en dépit de ses protestations, l’auteur du Dialugo parlait toujours ex tliesi et non pas ex liypothesi, comme on le lui avait prescrit. Et ceci est tellement vrai que l’un des chefs de l’accusation de 1633 est précisément que le prévenu a affirmé que l’on peut enseigner une vérité scientilique comme encore probable, alors qu’elle a été déclarée contraire àl’Ecriture. En parlant ainsi, il semblait révoquer en doute le droit qu’a l’Eglise d’interpréter authentiquement l’Ecriture, puisqu’il témoignait par sa manière de parler qu’il n’admettait pas le sens propre des passages discutés. On admettait la possibilité de l’inlerprétation au sens métaphorique, mais on refusait à Galilée le droit de donner cetteinterprétation comme seule vraie, tant qu’il n’aurait pas fourni de preuves convaincantes.

2" Les adversaires de Galilée, leurs motifs et leurs excuses. — On a dit etréi)cfé que la condamnation de Galilée n’était que le résultat d’une machination ourdie contre lui par d’envieux adversaires. Nous avons montré qu’au point de vue juridique, cette condamnation s’était faite d’une façon absolument régulière. Pourtant, même dans un procès ré 1. Op. Gal., t. XII, p. 243.

2. Up. Gal., t. XIII, p. 203.

gulièrement institué et conduit, il peut y avoir place à des dessous ; les intentions qui animent accusateurs et juges, peuvent être plus ou moins louables ; bien des influences secrètes peuvent s’exercer et peser sur les décisions prises. Il est donc nécessaire, pour éclairer la question au point de vue apologétique, d’examiner la part qui revient aux principaux adversaires de Galilée et d’éclaircir les motifs qui les ont réellement guidés.

Parmi ces adversaires, on a rangé les papes Paul V et Urbain’VIII, le cardinal Bellarmin, les Jésuites, les péripatéticiens. Examinons la responsabilité de chacun d’eux.

Des auteurs, peu au courant des règles canoniques et des usages de la cour romaine, ont fait au pape Paul’V un grief de son intervention dans le procès de 1616. Cette intervention est historiquement incontestable : elle ressort de l’examen des pièces officielles ; mais elle s’est produite d’une façon absolument normale. Paul V, en présidant les séances du Saint-Office, remplissait un des devoirs de sa charge, puisque le pape est, de droit, préfet de cette congrégation ; en approuvant le décret del’lndex in forma cornmuni, il faisait un acte de tout point conforme aux dispositions légalement établies ; l’ordre qu’il donne au St.-Office de procéder administrativemcnt contre Galilée et d’abandonner contre lui les poursuites judiciaires, loin de prouver sa malveillance à l’égard du savant, montre bien plutôt le désir sincère qu’il avait de ne pas le voir entrer en démêlés avec l’Inquisition. Sans doute, les hautes protections que Galilée invoquait, à Florence et à Rome, purent entrer en ligne de compte dans cette décision, mais l’on sait, d’autre part, que Paul V admirait Galilée et qu’ilétait fort bien disposé à son égard. Il lui donna de nombreux témoignages de sa bienveillance, le reçut plusieurs fois avec grand honneur, et six jours seulement après la publication du décret de l’Index, lui déclarait qu’il était persuadé de la droiture de ses intentions.

Pour le pape Urbain VIII, la question est plus complexe et plus délicate. N’étant encore que cardinal, Maffeo Barbcrini professait pour Galilée la plus vive admiration et la plus tendre sympathie : n’allat-il pas jusqu’à lui dédier, en 1620, une ode latine en dix-neuf strophes, dans laquelle il célébrait ses découvertes astronomiques’. Ce fut, paraît-il, sur son invitation, que Galilée publia son Traité des taches solaires. La conclusion de cet ouvrage est ouvertement favorable au système de Copernic ; elle ne déplut pourtant pas à Barberini, qui déclara trouver danscetëcrit « des choses neuves, ciu-ieuses, établies sur de solides fondements- ». En 1623, à peine élevé au trône pontifical, Urbain VIII accepte la dédicace du Saggiatore ; en 1624, il fait à Galilée l’accueil le plus flatteur : a Sa Sainteté m’a accordé de très grands honneurs, écrit le savant, le 8 juin, et j’ai eu avec elle, jusqu’à six fois, de longues conversations. Hier, elle m’a promis une pension pour mon fds ; trois jours auj)aravant, j’avais reçu en présent un beau tableau, deux médailles, une d’or et une d’argent’. » Il est permis de croire qu’Urbain VIII n’était pas opposé à la doctrine copernicienne’et qu’il était prêt, tout comme plusieurs prélats de sa cour, à encourager sou développement, pourvu que cette doctrine se maintînt dans les limites de l’astronomie pure.

l.Cf. S.Pieralisi, Urbano VIIIe Galileo Galilei, Rome, 1875, p. 22.

2. Op. Gai, t. VIII, p. 208.

3. Op. Gal., t. Xiri, p. 182.

4. Cf. P. Aubanel, Galilée et l’Eglise, Avignon, 1910, p. 88.

183

GALILEE

184

Profitant « le ces lionnes dispositions, Galilée eut avec le pape plusieurs entretiens scientiliciues. Espérait-il l’amener à rapporter le décret de 1616 et à accorder toute liherlé de parler et d’écrire sur cette matière ? Cela est fort probable, comme en témoigne une lettre adressée au j)rince Cesi’. Toute question scripturaire mise à part, Urbain VIII accepta de discuter avec Galilée les preuves scienliliques que ce dernier prétendait apporter en confirmation de sa thèse, et la discussion roula principalement sur la preuve tirée des marées. Le pape n’approuvaitpas l’argument et il avait raison ; mais sa bienveillance pour Galilée n’en fut pas diminuée. En 1630. il reçoit encore Galilée qui est venu chercher imprimatur pour son Dialogo, et il élève de soixante à cent écus la pension faite à Vincent Galilée. La confiance du Souverain Pontife dans les dispositions orthodoxes de l’astronome était entretenue d’ailleurs par plusieurs prélats de sa cour, amis de l’auteur ; au point de vue des mesures canoniques, il s’en remettait à Mgr Riccardi, Maître du Sacré Palais, à qui incombait la charge d’examiner l’ouvrage.

Lorsque parut le Dia}ogo, dans les circonstances que l’on sait, Urbain VU ! fut fort mécontent d’avoir été trompé par Galilée et ses amis, et il témoigna hautement de son intention de mettre un terme à l’alTaire -. On a dit, à diverses reprises, que la colère du pape Acnait de son amour-propre blessé. Il se serait reconnu, dans le Duilo°o, sous le personnage un peu ridicule deSimplicio, dans la bouche duquel se trouvait un argument « |u’il avait jadis opposé à Galilée De fait, dans les documents annexes ilu procès, se trouve une annotation mise par Mgr Riccardi au bas de la préface donnée à Galilée pour être insérée en tête du Dialogo. « La péroraison de l’ouvrage, dit cette note, devra se faire en accord avec la préface, le seigneur Galilée ajoutant à son texte les raisons tirées de la Toute-Puissance divine qui lui ont été suggérées par Sa Sainteté, raisons qui doivent satisfaire l’intelligence, alors même <iu’on ne saurait se dégager de l’argumentation des Pythagoriciens [Coperniciens]3. „ Galilée présenta l’argument, mais sous une forme assez niaise. — On le remarqua vite’, mais nous devons ajouter que Galilée s’est défendu d’avoir jamais voulu se mocjucr d’Urbain VIII =.

Quoi qu’il en soit, il faut bien convenir que des motifs plus graves poussaient le pape à agir ; sur son ordre, le procès canonique fut activement mené, mais par sa permission Galilée obtint, nous l’avons vu, de respectueux égards et de nombreux passedroits. En qualité de préfet du St.-Oilice, Urbain VIII devait diriger la procédure. On lui a reproché comme un crime d’avoir fait menacer Galilée de la torture. Laissant de côté les ridicules amplifications de la légende, dont on a de|)uis longtemps fait justice, il ne faut voir, dans cette menace, qu’un de ces moyens juridiques d’intimi<lation, usités dans tous les tribunaux d’alors et analogues à l’isolement et au secret, dont on se sert aujourd’hui pour obtenir d’un coupable l’aveu de sa faute. Galilée ayant persisté dans ses négations, on s’en tint là, disent les actes du procès, pour ne pas dépasser les ordres exprès du pape.

1. Op. Gal., t. VI, p. 289.

2. Op. Gal., t. XIV, p. 383, 388.

3. Gai.e l’/nq., p. 71.

4. Op. Gn ;., l. XIV, p. 371h t. Vn, p.72, note. — Cf. /..K/nal des.Savanh, 1858, p. 140.

5. Op. Oui., t. XVI, p. 455.

6. Gai.e l’inj., p. 21 et 102. L’étudi » des ducumpiits montre qu’il y iivait trois degrés dans l’ustige des nioyens de rigueur pour obtenir la confession df ; l’accusé : 1* menace verbale de la torture, fuite dans le lieu ordinaire des interrogatoires (terrilio iierbalis)-^ 2° injonction plus près Après la condamnation de Galilée, L’rbain VIII se montra pour lui « l’une grande indulgence, excluant pourtant toute faiblesse. Galilée était prisonnier de l’Inquisition, il ne devait point l’oublier ; ce point maintenu, il faut avouer quejamais prisonnier n’eut un sort plus doux. Le pape lui conserva même, jusqu’à sa mort, une pension de cent écus.

On fait également à Urbain Vlllun grief d’avoirperséeuté Galilée jusijue dans sa tombe. Le fait est que. Galilée ayant été inhumé dans une dépenilance de la basilique de Ste. -Croix, à Florence, et ses amis ayant voulu lui élever un mausolée dans l’église même, le pape refusa rautorisati « )n : II ne serait pas d’un bon exemple, dit-il àXiccolini, ipie leGrantlduc élevât un monument à uncon « lamné du St.-Ollice dont les opinions ont séduit tant d’intelligences et causé à la chrétienté un grand scandale. » On peut trouver ces paroles un peu dures ; elles montrent du moins que le pape ne se laissait pas guider par des motifs d’inimitié personnelle, mais par le souci du bien de l’Eglise. A ce point de vue, il est certain i]ue le fait d’élever un mausolée, dans une église, à un homme mort prisonnier de l’Ini^juisition, eût paru aux contemporains assez déplacé.

Il sera moins long de justifier le cardinal Bellarmin, dont on a voulu faire un persécuteur de Galilée et la cheville ouvrière du procès de 1616. La vérité est tout autre. Avant 1616, Bellarmin est en relations amicales avec Galilée et échange avec lui des billets affectueux. Comme on fait grand liruit autour des découvertes de l’astronome, Bellarmin cherche à savoir ce qu’elles valent et s’en enquiert auprès des savants du Collège romain, mais sans mettre dans cette démarche aucune intention hostile. Le cardinal tient pour le système de Ptolémée et condamne une exégèse imprudente, mais il est un de ceux qui’ailmettent la |>ossibilité d’un interprétation au sens métaphorique des passages discutés. Durant le procès de 1616, Bellarmin n’agit que sur les ordres du pape, comme en Ibnt foi les actes olficiels. Evidemment, en transmettant à Galilée la décision qui lui enjoignait « l’abandonner ses opinions, il ne pouvait guère être auprès de lui persona grata, mais il ne faisait qu’exécuter la mission dont on l’avait chargé. Personnellement. Bellarmin restait bien disposé envers Galilée, puisque, deux mois et demi plus lard, il acceptait de lui donner une atleslati « >n écrite d’orthodoxie, destinée à démentir des bruits calomnieux, et dont la teneur adoucissait beaucoup le texte des décisions ofiicielles.

Passons maintenant aux accusations formulées contre les Jésuites. La première émane de Galil «  « ’Ivii-même.Le i.’i janvi « T 1633, ccrivanlà Elia Di « >dali, il raconte rque, peu de jours auparavant, le P. Grienberger aurait jtrononcé cette parole : « i Si Galilée avait su se concilier l’alTection des Pères du Collège romain, il vivrait heureux et tranquille et il aurait i)U écrire, comme bon lui eût send)lé, sur tous les sujets, et même sur le mouvement de la terre. — Vous voyez bien, ajoute Galilée, que ce ne sont pas mes idées qui m’ont fait déclarer la guerre, mais plut « ">t le fait

santé, dons la snllo de torture, en face des instruments [lerrilio realis) ; 3 » application de la torture. L’i’nseiable de ces moyens de rigueur était connu sous le nom de rxamen ri’f ; orositm. On n’em|iloy « eonlie Galilée que la menace verbale. L’expression et si susliniierit. omployi’e diuis le (léciet du Ki juin ll>3 : i. ne signifie pas i-omme on la « lit : si Calitér supporte lu l<irliire, mais bien : si Galilée persiste dans ses ni’/^alions. Sur ce point, aujouril’bui. lue-cor

« l est fait.

D’nprès les rèifles ilu Tribunal « le l’Inquisition, les sexagénaires ne pouvuient i : ’tre soumis de fait ii la Imture : Il Non sunt toniuenili, possunl verii lerreri. n (Cf. Hordoni. S. Tribunal judieum in cansis fidri, Koniae, 1<)48, p. 5/6.) 183

GALILEE

186

li’êti-c en (lis^’ràce aupri-s des Jésuites’. » Que penser lie cette allinuation souvent répétée depuis- ? Quelle Cul l’altitude des Jésuites à i’cf ; ard de Galilée, auK (lilîérenles époques de ses démêlés avec Rome ?

Jusqu’en 1611, Galilée est au mieux avecles Pères ; le 22 avril de cette année, à peine arrivé à Rome, il écrit : « Tout le monde ici est très bien disposé pour moi, en particulier les Pères Jésuites. » De l’ait, l’une des premières visites du yrand homme est pour le Collège romain, où il est reçu Iriomplialemenl.

Que pensent les Jésuites des nouvelles découvertes de Galilée ? Us doutaient d’abord de leur réalité, mais ils se sont i)rocuréou ont fabriciué eux-mêmes de bonnes lunettes et ils ont pu se rendre compte par leurs yeux que le savant Florentin disait vrai’.Aussi, lorsque Bellarmin les interroge, sont-ils d’accord pour répondre favorablement. Ces belles découvertes astronomiques excitent même chez quel([ues-uns d’entre eux un certain enthousiasme ; les Pères Grienberger, Clavius.van Mælcote, Guldin, qui comptent parmi les plus savants mathématiciens d’alors, ne se cachent pas pour en témoigner dans leurs lettres, que l’on peut lire nombreuses dans la collection des œuvres de Galilée. Pourtant quelques philosophes de l’ordre ne sont pas sans protester contre l’engoiiment de leurs confrères les phsiciens ; ils murmurent contre ces nouveautés".

Dans les années qui suivent 161 1, Galilée esquisse puis accenlue un dangereux mouvement vers l’exégèse, el, du coup, les Jésuites modilient leuratlitude. Ceux mêmes que l’astronomie intéresse ne peuvent oublier qu’ils sont théologiens avant tout, de par leur profession, et ils manifestent leurs craintes. D’ailleurs, Galilée attaque Aristote ; or, par devoir. les Jésuites doivent le défendre : un décret de leur cinquième congrégation générale, tenue en 1693, leur en l’ail une obligation, et leurs supérieurs veillent à son exécution. On se rend compte, dans le public, que plusieurs de ceux qui penchaient visiblement vers le système de Copernic l’attaquent un peu « par force et par obédience " ».

Des questions d’amour-propre viennent bientôt se mêler aux discussions scientifiques. En 1619, le 1*. Grassi et Galilée engagent une lutte où les argui ; ients alternent avec des expressions assez peu courtoises. Puis, c’est le P. Sclieiner qui revendique la priorité de la découverte des taches solaires. Galilée est mécontent, et on se fait un jeu de l’exciter contre les Jésuites. Au moment du second procès, en 1633, les amis de jadis sont complètement brouillés.

Est-ce à dire que ce sont les Jésuites qui vont faire condamner Galilée ? L’accusation de leur prétendue victime ne repose sur aucune preuve positive ; d’ailleurs elle est certainement exagérée. Nous venons de le dire, beaucoup des Pères qui ont attaqué les doctrines coperniciennes, l’on fait par ordre ; si d’autres l’ont fait par suite de leurs opinions péripatéticiennes, leur cas rentre dans le cas général que nous examinerons bientôt, mais leurinlluence n’était pas spécialement prépondérante auprès du pape et de l’Inquisition. Un seul des consulteurs de 1633 était membre de la Compagnie de Jésus ; aucun Jésuite n’était Inquisiteur à cette époqiu". C’est certainement aux Pères Dominicains que revient la part la plus activedans les deux procès de Galilée, et cela à

1. Op. Gal., t..VI, p. 117.

2. Cf. CCu.Tci de Pascal, édit. Faugére, t. 11, p. 231.

3. Op. Gal., t. XI. [). 89.

k. Op. Gal., t. XI, p. : tl.

">. Op. Gal., t. XI, p. 92.

C. Cf. Œuvres complètes de //in/gens, la Hâve, t. ii, p. 489.

:. Op. Gal., t. XV, p. 2d ! i, et t. XVIII, p.’123.

cause de la position qu’ils occupaient dans les différents tribunaux du St. -Odice. Seulement, Galilée ayant eu avec quelques Jésuites d’assez blessants rapports, a fort bien pu en garder à leurs confrères une spéciale inimitié.

Bien plus vraies et bien plus fondées sont les plaintes qu’à diverses reprises Galilée a formulées contre les péripatéticiens, car c’est à eux qu’il faut attribuer la vive campagne menée, pendant plus d’un demi-siècle, contre le système de Copernic et son champion.

L’influence d’Aristote et de ses principes sur les doctrines et les idées était depuis longtemps considérable. Sa philosophie, que les premiers Pères de l’Eglise dénonçaient comme la source de toute incrédulité et, en particulier, des hérésies arienne et monophysite, était devenue, avec St. Thomas, le fondement de la théologie, et elle participait au respect que tous avaient pour cette science des sciences. Seulement, par une exagération regrettable, la faveur dont jouissait cette philosophie péripatélicienne s’était étendue à des théories scientiliques qui, pour être énoncées par Aristote, n’avaient pourtant qu’une assez médiocre valeur. Bien peu d’esprits échappaient à cette contagion de respect ; les coperniciens et Galilée lui-même gardaient d’Aristote bien des idées et bien des principes a priori.

! Ces principes, en eux-mêmes, n’avaient rien d’ab-I

surde, mais, appliqués à la nature, ils étaient absolument stériles, jjuisque ce n’était pas d’après le type lixé par eux que la nature est faite.. Vussi, fatalement, le désaccord devait un jour éclater : u Est-ce que la nature est forcée de s’accommoder à Aristote, écrivait un correspondant de Galilée ; est-ce qu’il ne lui est pas permis de [)roduire quelque nouveauté, si .risfote ne l’a pas décrite’? > En fait, on prétendait bien refuser ce droit à la nature : c’est au nom d’Aristote que l’on contestait l’existence des taches du soleil, des montagnes de la lune, de l’étoileliouvelle découverte par Galilée, parce que ces phénomènes contredisaient ses principes.

Bien qu’acceptant certaines idées d’Aristote, Galilée, vu sa tournure d’esprit, de ait assez vile échapper à son emprise : il a déjà l’esprit moderne ; il ne se demande pas pourquoi les corps lond>ent, mais comment ils tombent ; pour expliquer leur chute il fait des hypothèses, mais il ne se borne pas à les poser, il cherche à les vérilier par l’expérience. Cette conliance dans la méthode expérimentale est caractéristique de Galilée : « Il ne faut pas admettre de principes contredits par l’expérience, écrira-t-il ; Aristote a parlé d’après ce qu’il savait ; il ne savait pas tout, et les nouvelles découvertes changeraient certainement ses idées. Les règles de raisonnement qu’il donne sont parfaites ; je les ai employées pour faire faire de grands progrès aux sciences ; là, je suis j)éripatétieien. Mais maintenir une aflirmation d’Aristote envers et contre tout, c’est extravagant’-. >

Ces idées étaient fort justes, mais un préjugé vieux de plusieurs siècles ne disparait pas en un jour. Les plaintes des péripatéticiens attirèrent prom|)tement l’attention ; elles s’accrurent lorsque, conjointement avec le système de Copernic, Galilée commença à soutenir la théorie copernicienne de la gravité ; elles ne connurent plus de bornes devant les sarcasmes blessants prodigués par Galilée à Aristote et à ses disciples. — En jetant ainsi par-dessus bord les principes cosmologiques d’Aristote, Galilée allait un peu vite en besogne : d’une part, il était assez facile de débarrasser la cosmologie de l’Ecole des explications

1. Op. Gal., t. XV, p. 12.

2. Op. Gai. t. XVIII, p. 2’iS. 187

GALILEE

188

sans portée et des discussions oiseuses qui l’encombraient ; d’autre part, elle pouvait fort bien se plier aux exigences des découvertes nouvelles. Galilée ne sut pas le reconnaître, et un excès en amena un autre. Entre les représentants des doctrines péripatéticiennes, traditionnalistes par formation intellectuelle et un peu par devoir, et le turbulent champion des idées nouvelles, le conflit devait arriver à l’aigu. Il suffît de lire la correspondance de Galilée pour se rendre compte que, durant les trente années qui s’écoulèrent de 1610 à 1640, l’autorité ecclésiastique fut sans cesse harcelée des réclamations bruyantes des disciples fanatiquesd’Aristote. La pression morale qu’ils exercèrent sur elle hâta évidemment son intervention.

Les juges de Galilée condamnèrent-ils sa doctrine comme portant atteinte au péripatétisme ? Ce ne fut pas leur motif principal, mais ce fut certainement l’un de leurs motifs. Dans les consultations des théologiens du St.-Oflice, dans les actes d’accusation, dans les sentences, ce grief est souvent mentionné, et l’on blâme Galilée de vouloir parler en eosmologue tout en poursuivant de ses invectives le fondateur de la cosmologie. Agissant ainsi, les juges de Galilée eurent-ils tort ? Nous ne le pensons pas. La philosophie aristotélicienne avait été assez longtemps l’auxiliaire dévouée de la théologie, elle faisait trop corps avec elle, elle avait par elle-même fait d’assez belles découvertes pour qu’on lui p.Trdonnât des exagérations plus ridicules que nuisibles, et pour qu’on ne se hàtàt pas de la détruire avec une précipitation insensée.

Ce que nous concédons facilement, c’est que, entourés de théologiens vieillis dans l’école et péripatéticiens eux-mêmes, les juges de Galilée ont pu subir des influences qui n’étaient pas directement ordonnées au plus grand bien de la religion. Rien en cela qui ne soit excusable, puisque ces juges étaient des hommes,

3° Suites et conséquences de la condamnation du système de Copernic. — Rappelons d’abord les suites historiques de cette condamnation.

Le 30 juin 1633, le Souverain Pontife ordonnait de faire parvenir à tous les Nonces et Inquisiteurs copie de la condamnation et de l’abjuration de Galilée. Cet ordre s’exécuta et les destinataires, les uns après les autres, accusèrent réception de l’envoi.

Le 23 août 1634, le livre du Dialogo fut mis au catalogue de l’Index.

Le 8 janvier 16^2, Galilée mourait, et Urbain VIII s’opposait à ce qu’on lui élevât un monument dans la basilique de Ste. -Croix à Florence.

Le 14juin 1^34, le St.-Oflice accordait cette autorisation.

Le 16 avril 175^, la Congrégation de l’Index effaçait de son catalogue des ouvrages prohibés les livres enseignant le système de Copernic.

En 1820, Mgr Anfossi, Maître du Sacré Palais, ayant refusé au chanoine Settele Y imprimatur nécessaire à la publication de ses Eléments d’Astronomie, celui-ci en appela au pape, qui donna tort à Anfossi.

Le II septembre 1822, la Congrégation de l’Inquisition décida que l’impression des livres enseignant le mouvement de la terre serait désormais permise à Rome. Le 26 septembre, le pape Pie VII approuva ce décret.

Quelles furent, en second lieu, les conséquences de la condamnation du système de Copernic, au point de vue théologiijue et disciplinaire ?

Le décret de 1033 n’atteignait que Galilée seul ; mais les décrets de l’Index, de 1616 et de 163’i con cernaient tous les fidèles. Le premier prohibait tous les ouvrages traitant du mouvement de la terre. De quelle manière fut-il compris et accepté ?

Il fut pris pour ce qu’il était réellement, un décret disciplinaire, révocable par conséquent et auquel on devait obéissance extérieure. Voici quelques témoignages.

Citons d’abord des théologiens de profession :

En 1626, le P. Tanner, S. J., citant le décret, en conclut simplement que le système de Copernic ne peut être enseigné avec sécurité : a Tuto defendi non potest’. »

En 1631, Libertus Fromont, professeur de théologie à Louvain et ardent adversaire de Galilée, déclare expressément qu’il ne peut considérer le système de Copernic comme définitivement jugé, u à moins, dit-il, que je ne voie autre chose de plus précis, émanant du chef même de l’Eglise^. »

En iG51, le P. Riccioli, S. J., théologien et astronome, adversaire de Galilée, s’exprime ainsi :

K Comme il n’y a pas eu, sur cette matière, de définition du Souverain Pontife, ni d’un concile dirigé et approuvé par lui, il n’est nullement de foi que le soleil tourne et que la terre est immobile, du moins en vertu mciiie du décret, mais tout au plus et seulement à cause de l’autorité de l’Ecriture sainte, pour ceux qui sont moralement sûrs que Dieu l’a ainsi révélé. Cependant, nous tous catholiques, nous sommes obligés par la vertu de prudence et d’obéissance d’admettre ce qui a été décrété, ou du moins de ne pas enseigner le contraire d’une manière absolue’. Il

En 1651 également, le fameux Caramuel, évêque et théologien, combattant le système de Copernic, se posait cette question : Qu’arriverait-il si les savants trouvaient une preuve du mouvement de la terre ? Et il répondait : « Si cela se produit, les cardinaux permettront simplement d’expliquer les paroles du chapitre X de Josué comme des expressions métaphoriques’.)>

En 1660, le P. Fabri, S. J., s’exprimait ainsi : « On a souvent demandé aux partisans de Galilée s’ils pouvaient fournir une démonstration du mouvement de la terre ; ils n’ont jamais osé répondre aflirmativement. Rien ne s’oppose donc à ce que l’Eglise prenne et ordonne de prendre dans le sens propre les passages de l’Ecriture, jusqu’à ce que l’opinion contraire ait été démontrée. Si vous trouvez cette démonstration, chose que je crois dillicile, alors l’Eglise ne fera nulle dilliculté de reconnaître que ces passages doivent être entendus dans un sens métaphorique et impropre’. »

On ne connaît pas un seul théologien de profession qui ait considéré les décrets en question comme des décrets définitifs et irréformables. Berti avait prétendu ^ que cette opinion se trouvait défendue dans un ouvrage manuscrit du P. Inchofer, S. J., l’un des consulteurs du procès de 1633". Mais il est reconnu aujourd’hui que pas une syllabe de ce manuscrit ne peut donner lieu à cette interprétation.

Voici maintenant des témoignages moins autorisés, bien qu’intéressants encore.

En 1633, Boulliau écrit à Gassendi : a Je ne puis penser que le Pape, le Vicaire du Christ, veuille

1. Theol. scolasl.. 11, 6, 4.

2. Anti-Aristarc/ius, Anvers, 1631, p. 17.

3. Alma°€stum yoi’um, Bologne, 1651, t. I, p. 52.

4. Théo), mvrnl. fiindam., t. I, p. 273,

5. Bret’is annaiatio in systema saiurntnum Chr, Hugenti, Rome. 1660, p. 32.

6. // Proceaso di Ga/ileo Galilei, Rome, 1876, p, xciii.

7. Vindiciæ Sedis Apostolirae, Ms. XX-Mi-9 de la Bibliolhi’que Cosanalense, fi Rome, p. 201. 189

GALILEE

190

étendre le pouvoir dus clefs à des questions qui ne sont pas du domaine de la foi. Evidemment, si l’opinion du mouvement de la terre était réellement contraire à la Sle.-Ecriture, aux décrets des Souverains Pontifes et des conciles, je serais prêt à l’attaquer et à détester ses auteurs, avec autant d’ardeur quej’en mets à la défendre comme la plus vraisemblable et la mieux fondée’. »

En iG34, Descartes assurait ses correspondants de son respect pour les décisions de Rome, mais exprimait ouvertement son espoir qu’elles ne seraient pas indéliniment maintenues : « Je ne perds pas tout à fait espérance qu’il n’en arrive ainsi que des antipodes, qui avoient esté quasi en mesme sorte condamnez autresfois^. »

Gassendi, un grand ami de Galilée, parle en ces termes : o Je respecte la décision par laquelle quelques cardinaux, à ce que l’on dit, ont approuvé l’opinion de l’immobilité de la terre… Je n’estime pas néanmoins que ce soit un article de foi : je ne sache pas, en elTet, que les cardinaux l’aient ainsi déclaré, ni que leur décret ait été promulgué et reçu dans toute l’Eglise, mais leiu- décision doit être considérée comme un préjugé qui est nécessairement d’un très grand poids dans l’esprit des lidèles 3. »

Gassendi faisait bien la distinction entre l’obéissance extérieure due aux décrets des congrégations et l’assentiment intérieur dont la simple prudence humaine faisait une obligation à quiconque ne voyait pas le bien-fondé du système de Copernic. Certains hommes d’Eglise montraient moins de délicatesse. Le P. Mersenne, par exemple, ne se lassait pas de témoigner publiquement son admiration pour Galilée :

« Tous ceux qui ont écrit contre ce grand homme, 

écrivait-il, ne sont quasi pas dignes qu’on les nomme’. » Le P. Campanella, Dominicain, allait plus loin et publiait un ouvrage pour montrer que le système de Copernic n’était pas contraire à l’Ecriture ^.

Tous les personnages dont il vient d’être question sont antérieurs à Newton. A mesure que les travaux du fondateur de la Mécanique céleste furent connus du monde savant, les probabilités amassées depuis un siècle en faveur du système de Copernic s’allirmèrent et se coordonnèrent. Parallèlement, l’interprétation métaphorique des textes de la Bible controversés devint de plus en plus raisonnable. L’Eglise, pourtant, ne se hâta point de retirer ses défenses, et, jusqu’en 1767, nul ne pourra enseigner ouvertement le mouvement de la terre, s’il veut rester fidèle à la lettre du catalogue de l’Index. Empressons-nous d’ajouter que si cette lettre donnait quelques scrupules à des laïques comme Eustaclie Manfredi, elle était déjà considérée comme lettre morte par des religieux comme Boscovicli.

Ceci nous amène à examiner cette dernière objection, souvent formulée dans la presse radicale, que la condamnation de Galilée eut de funestes effets au point de vue du progrès de la science. Précisons la question. II ne s’agit pas démontrer que les écoles, les académies, les observatoires continuèrent à vivre et à travailler : la réponse serait aisée, mais elle ne résoudrait pas l’objection. On peut facilement supposer que, du fait des décrets de l’Index, les observations sélénographiques, les mesures du méridien

1. Op. G<i/., t. W, p. 161.

2. Correspondance (Edit. Adain-Tannery t. I, p. 288.

— Cf. t. I, p. 270.

3. Epistolæ très de motu inipiesso a motore translato^ Pari », 1643, t. III, p. 471.

4. Correspondance (Edit..dani-Tanneiy t. I, p. 5T8. h, Thoinæ Campanellæ ord. Prædic. DUputaltonum…

libri quatuor, Pans, 1637.

terrestre ou les expériences sur la diffraction ne pouvaient guère être gênées. Ce qu’il faut examiner, c’est la répercussion que l’attitude défavorable de l’autorité ecclésiasti(iuea pu avoir dans la ligne même où les disciples de Copernic avaient dirigé le mouvement astronomique, et le retard que les décrets ont pu apporter au triomphe du système copernicien.

L.a question est complexe et, parce que l’on n’a pas su l’envisager d’assez haut, les réponses que l’on y a faites sont fort peu satisfaisantes.

Faisons remarquer d’abord que, quelles qu’aient été les idées personnelles de ses promoteurs, le système qui fait du soleil le centre de circulation des planètes, est, au sens propre, une théorie physique’. Comme tel, il ne doit pas avoir la prétention d’expliquer la nature intime des réalités, mais bien de représenter, aussi exactement que possible, les mouvements des astres et leurs combinaisons compliquées. Or, pour qu’une théorie soit bonne, pour qu’elle soit préférable à une autre, il faut avant tout qu’elle ait pour elle des raisons logiques, et c’est dans le choix des hypothèses fondamentales delà théorieque l’exigence logique doit intervenir. Pour expliquer la circulation apparente des astres, deux systèmes sonten présence, celui de Ptolémée et celui de Copernic ; l’un fait l’hypothèse que la terre est immobile et que le ciel tourne, l’autre fait l’hypothèse inverse. De ces deux hypothèses il s’agit de savoir laquelle doit être acceptée ; pour ce faire, on compare successivement le système entier des représentations théoriques ploléméennes, d’une part, et le système entier des représentations théoriques coperniciennes, d’autre part, avec le système entier des données d’observation. Tant que les données d’observation furent peu nombreuses, comme cela avait lieu à l’époque de Copernic, l’un et l’autre système {)araissait bien s’accorder avec les apparences : le savant n’avait donc aucune raison physique de fixer son choix ; s’il choisissait la première hypothèse plutôt que la seconde, c’était pour des raisons tout extrinsèques. A mesure q<ie les observations de Tycho, de Galilée, de Scheiner, de Halley eurent précisé dans le détail un nombre plus grand de phénomènes dont la théorie devait rendre compte, l’hypothèse de Ptolémée apparut de plus en plus inapte à son but ; puis l’on s’aperçut que le système que fondait cette hypothèse offrait des conséquences en contradiction manifeste avec les lois observées. De ce jour, on se rendit compte qu’il faudrait l’abandonner, — ou lemodilier.

C’est à dessein que nous opposons ces deux mots : parce que l’expérience frappe de contradiction certaines conséquences d’une théorie, il ne faut pas conclure que l’on doit la rejeter sous peine d’illogisme. Un physicien pourra s’efforcer, en sauvegardant l’hypothèse fondamentale, de multiplier les corrections pour rétablir l’accord ; un autre préférera changer l’une des suppositions essentielles qui portent le système entier. S’ils parviennent tous deux au résultat, ils sont logiques tous deux, et il est permis à l’un comme à l’autre de se déclarer satisfait. Mais alors doivent intervenir des motifs qui ne relèvent pas de la logique et qui peuvent, très justement, faire préférer l’œuvre de l’un à l’œuvre de l’autre. Ces motifssontce que l’on appelle des raisons de bon sens : arguments d’autorité et arguments scripturaires, raisons d’harmonie et d’unité trouvent alors leur place naturelle et légitime. Seulement, empressons-nous de le remarquer, les raisons de bon sens ne s’imposent pas avec la même implacable rigueur que les règles de la logique ; elles ne s’imposent pas en même temps, avec la même clarté, à tous

1. Cf. P. Duhcin, La Théorie physique, Paris, 1906. 191

GALILEE

192

les esprits. De là la possibilité de Ioniques querelles, dont riiisloire de lu physique fournit d’innombrables exemples, à toutes les époques, dans tous les domaines.

Or, au point de vue scientitique, la condamnation du système de Copernic n’est qu’une simple i)liase de l’une de ces querelles.. l’époque de Galilée, répétons-le nettement, l’accord avec l’expérience n’avait pas atteint un degré suffisant pour permettre de faire logiquement un choix entre les ileux théories de Ptolémée et de Copernic. Les claires intuitions que lui suggérait son génie pouvaient, peut-être, imposer à Galilée son choix personnel. Pour l’ensemlile des esprits, les raisons de bon sens conservaient leur valeur et elles pesaient, dans la balance, du côté de Ptolémée. Près de cent ans encore, elles pèseront de ce côté ; puis des jours viendront, jours différents pour tous, jours espacés aussi, où les arguments s’accuniulant du côté de Copernic feront pencher vers lui la balance. Dece jour, ne pas se rendre sera man(iuer de jugement. Le seul reproche que l’on puisse faire à l’Eglise est d’avoir mis longtemps à se rendre ; mais ce reproche ne porte guère et bien des académies des sciences ont à leur passif de plus étonnantes lenteurs.

Faisons remarquer, en second lieu, que ceux qui reprochent à l’Eglise d’avoir arrêté le développement de la science en condamnant le système dcCopernic, parlent de ce système comme si, à l’époque de Galilée, il était déjà constitué de toutes ])ièces et arrivé au degré de perfectionnement que nous admirons aujourd’hui. Ceux qui dissertent ainsi montrent qu’ils sont bien ])eu au courant de l’histoire de la physique et du mouvement d’évolution des théories. Historiquement parlant, ce serait une grave erreur de croire que le savant qui a à faire un choix entre deux théories les voit devant lui, sous une forme concrète et nettiinent dessinée, et exposanttourà tour leurs prétentions à régner sur son esprit. Si la théorie qu’il est question d’abandonner s’est, grâce au temps, constitué une personnalité définie, si l’on peut faire nettement son bilan d’avantages et d’inconvénients, il n’en va pas de même pour la nouvelle venue dont les grandes lignes seules sont estonqiées et dont on ne fait que soupçonner faiblement ce qu’elle donnera. Pratiquement, il ne [leut y a oir de distinction tranchée qu’entre deux théories ])arvenues à leur complet développement ; dans la réalité, une théorie germe d’une autre ou de plusieurs autres, elle en procède par une transformation lente et graduelle, par une longue et laborieuse évolution. Chaque théorie emprunte à celles ((ui l’ont ]irécédée leurs matériaux et c’est de ces nxèmes matériaux, vériliéset retouchés, qu’elle va construire un édilice sur un plan différent. Le i)lan même de cet édilice n’est pas dessiné de toutes pièces, par une décision libre et créatrice ; il va se modilier au cours de la construction, aux prix de bien des tâtonnements, de bien des retouches partielles. A. constituer la théorie planétaire actuelle, des milliers d’observateurs et de théoriciens ont contribué ; à l’amener au point où les calculs de Xewton, en 1682, lui donnaient vraiment droit à la vie, les hypothèses gratuites de Copernic, les mesures scientiliquesdeTycho, les observations de Galilée, les lois formulées par Ive[der avaient concouru, aussi bien que les doctrines métaphysiques des péripatéticiens et les tourbillons des cartésiens.

A l’époque où l’Eglise défendit d’enseigner le système de Copernic, elle ne voyait et ne pouvait voir, de ce système, que l’hypothèse fondamentale, ni plus ni moins gratuite que l’avait été jadis celle de Ptolémée, à l’époque où son auteur l’avait conçue. L’hypothèse d’une terre tournant sur elle-même et autour

du soleil n’avait pas encore été soumise au contrôle de l’expérience d’une façon bien précise, et les déductions que Galilée en prétendait tirer logiquement étaient en contradiction formelle avec les faits. L’Eglise n’a donc pas fait preuve d’autant d’obscurantisme qu’on veut bien le dire, et, en 1616 comme en 1633, les coperniciens ne faisaient pas montre de plus d’esprit scientilique en adoptant, sans motifs suffisants, le système du chanoine de Frauenburg, que les disciples de Ptolémée en gardant le système géocentri(iue.

Dira-t-on qu’il n’a pas tenu àl’Egliseque le système de Copernic pût jamais être prouvé ou que ses défenses ont tyrannisé les savants ? Accordons sans peine que les décrets de l’Index ont pu empêcher ou retarder la publication de quelques ouvrages, tel le Monde de Descartes ; mais, de bonne foi, peut-on affirmer que le triomphe du système en a été reculé ? — On a souvent signalé qvie le demi-siècle qui a suivi la mort de Galilée marque une interruption dans les progrès de l’astronomie physique ; cette interruption, si elle existe, ce qui est contestable, tient à de tout autres causes. L’.

gleterre, tout entière avix discordes religieuses, la France occupée parla lutte contre la maison d’Autriche, l’.^Uemagne ruinée par la guerre de Trente ans, l’Italie tiraillée par les querelles intestines, avaient pevi de temps à consacrer à la science. La science progressait pourtant et l’astronomie physique, à ne considérer que les dates des ouvrages publiés de iG50 à 1700 par les Gassendi, les Borelli, les Hooke, les Huygens, les Leibniz, les Halley et les Newton, semble avoir poursuivi son développement régulier. D’ailleurs, nous le répétons, l’accord avec l’expérience pouvait seul donner à l’hypothèse de Copernic une conlirmation décisive, et les décrets de l’Index n’empêchaient personne de chercher à réaliser cet accord.

BiBLiocnAPHiE. — Xous avons signalé, à propos de chaque question, les ouvrages les plus importants et qui peuvent être le plus utilement consultés, au point de vue apologétique.

Pour jilus de détails, on peut consulter Biblioi ; rn/ici GaUleiaiia (1568-1896) racculta ed illustrata da A. Carli ed A. Fmaro, Rome, 1896. Cet ouvrage contient l’indication, par ordre de dates, de 2. 108 publications concernant Galilée.

Comme ouvriiges de référence, nous citons :

— Le Opère di Galileo Giililei. Edizione iVazioiiale sotto gli auspici di Sua Mæstà il Re d’/talia. Promotore il li. Minislero délia Istriizioiie Ptiblilica. iJiretture Antonio Fa’aro, Firenze, 1890-1908 (20 vol.).

— Galileoe l Inquisizione.Docuînenlidel Processo Galileiano esistenti nell’Archi’io dal S. l’/fizioe netl’Archivio Se « reto Vaticano, per la prima i’olte inlegralmenle piilihlicaiida A. Facaro, Firenze, 1907.

Parmi les ouvrages antérieurs à 1908 et qui sont forcément inconqilets, puisque certains documents importants n’étaient pas connus de leurs auteurs, mentionnons les suivants, qui ont gardé leur valeur :

— H. de l’Eninois, /. « question de Galilée, les faits et leurs conséqnenres, Paris, 1878.

— H. Grisar, S.J., Galileistudien. Historisch-theolo ^isclte Untersucluingen itber die Vrtheile der rï>misclien Kongregationen im Galileiprozess, Ratisbonne, 1882.

Pierre de Vuegille.

193

GALLICANISME

194