Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Gallicanisme

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 103-143).

GALLICANISME. — I. Définition. — II. Les différents {(iilUcanisiiies. — III. Développement historique des doctrines gallicanes. — IV. Condamnations.

I. — Dlh’INITION

Le j ; allicanisiue est un ensemble de tendances, de pi’atii|ues, et surtout de doctrines relatives à la constitution et à l’étendue du pouvoir spirituel, répandues principalement dans l’ancienne France, et opposées, eu des mesures diverses, à certaines prérogatives du pape à l’égard de l’Eglise, et de l’Eglise vis-à-vis de l’Etal : Oppressio jurisdiclionis ecclesiuslicue u luica et (U’pressiu uucloritatis romani l’ontificis a clero gallicano, était tenté de dire de lui un de ses i>lus pénétrants adversaires du xvii* siècle, le toulousain Antoine Ciiarlas (t. I, c. xvi, n » 6 de son Traclaliis de libertatibiis Ecclesiæ gallicane, 3’édition, Rome, 1720, 3 vol. in-/)°).

II, — Les difféhb.ms gallicanismes

Les doctrines sur la constitution du pouvoir spirituel (droit public interne de l’Eglise) portent le plus souvent le nom de gallicanisme ecclésiastique, les théories sur les rapports des deux pouvoirs (droit I)id)lic externe) celui de gallicanisme politique.

D’un autre point de vue, on distingue généralement après BossuBT (Lettre au cardinal d’Estrées, déc. 1681, Correspondance, édit. Urbain et Levéqiie, t. II, p. 277). le gallicanisme des évêques et celui des magistrats, auxquels M. Hanotaux (Introduction au h’ecueil des Instructions données au.r amiiassadeiirs… Rome, t. I, Paris, 1888) ajoute le gallicanisme du roi {gallicanisme épiscopal, parlementaire et royal). On dirait mieux gallicanisme des ecclésiastiques et gallicanisme des politiques, n’était la trop grande ressemblance de ces expressions avec celles qui sont consacrées pour désigner chacune des deux thèses centrales des divers systèmes gallicans.

^ I. — Le gallicanisme épiscopal ou des ecclésiastiques a cherché sa formule délinitive jusque vers la lin du xvii’siècle. En 1663, à la suite des tlièses ullramoutainesde Gabriel Drouet de Villeneuve et de Laurent des Plantes, la Faculté de théologie fut contrainte de présenter au roi et au parlement de Paris une déclaration en sixarlicles (imposée ensuite par arrêt et édit à toute la France) précisant ce qui était ou n’était pas en ces matières doctrine de laFaculté : elle n’enseigne pas que le pape ait quelque autorité sur le temporel du Roi très chrétien (art I, II, III et partie du IV’) ni qu’il soit supérieur au concile général ou infaillible V, VI et partie du IV*). Ce que la Faculté se contentait de ne pas professer en 1663. l’Assemblée du Clergé de 1 68a — à l’occasion de la querelle de la Régale entre les cours de France et de Rome — le repoussa formellement :

a Déclaration du Clergé de France sur la puissance ecclésiastique (ig mars 1682) … I. Que saint Pierre et ses successeurs vicaires de Jésus-Christ et que toute l’Eglise même n’ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, — et non point sur les choses temporelles et civiles, Jésus-Christ nous apprenant lui-même que son royaume n’est point de cemonrft ? eten un autre endroit

« lu’il faut rendre à César ce qui est à César, et

(i Dieu ce qui esta Dieu et qu’uinsi ce préceptedel’Apôtre S. Paul ne peut en rien être altéré ou ébranlé : que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu et c’est lui quiordonne celles qui sont sur la terre. Celui donc qui s’oppose aujc puissances résista à l’ordre de Dieu. Nous déclarons en conséquence que les Rois et Souverains ne sont soumis à aucune puis-Tome II.

sance ecclésiastique par l’ordre de Dieu dans les choses teuq>orelles ; qu’ils ne peuvent être déposés directement ni iudireetenient par l’autorité des clefs de l’Eglise ; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent, ou absous du serment de lidélilé ; et que cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique et non moins avantageuse à l’Eglise qu’à. l’Etat, doit être invariablement suivie, comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des SS. Pères et aux exemples des Saints.

" II. Que la plénitude de puissance que le S. Siège apostolique et les successeurs de S. Pierre, vicaires de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles, est telle que néanmoins lesdécrets du saintConcile œcuménique de Constance, contenus dans les sessions , y « gf yi.^ approuvés par le S. Siège apostolique, confirmés par la pratique de toute l’Eglise et des pontifes romains et observés religieusement dans tous les temps par l’Eglise gallicane, demeurent dans leur force et leur vertu ; et que l’Eglise de France n’approuve pas l’opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou qui les alïaiblissent en disant que leur autorité n’est pas bien établie, qu’ils ne sont point a[)prouvés ou qu’ils ne regardent que le temps de schisme. …^

u III. Qu’ainsi il faut régler l’usage de la puissance apostolique en suivant les canons faits par l’Esprit de Dieu et consacrés par le respect général de tout le monde ; que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l’Eglise gallicane doivent avoir leur force et vertu, et que les usages de nos pères doivent demeurer inébranlables, qu’il est même de la grandeur du S. Siège apostoli([uc que les lois et les coutumes établies du consentement de ce Siège respectable et des Eglises subsistent invariablement.

« IV. Que, quoique le pape ait la part principale

dans les questions de foi et que ses décrets regardent toutes les Eglises et chaque Eglise en particulier, son jugement n’est pourtant pas irréformable, à uîoins que le consentement de l’Eglise n’intervienne… » En somme, à la double question :

1° Jusqu’où a’élendla. puissance spirituelle " ! 2° Quel est le sujet de la suprême puissance spirituelle : ’le gallicanisme épiscopal répond : 1° La puissance spirituelle ne s’étend pas sur le temporel des rois, surtout de manière à pouvoir les en dépouiller, même indirectement.

2" Le sujet de la suprême puissance spirituelle n’est pas le pape seul, car au point de vue disciplinaire il est lié par les décisions de l’Eglise entière, voire par les coutumes des Eglises locales, et au point de vue doctrinal son enseignement n’est infaillible que par son accord avec l’Eglise entière.

La première de ces négations vaut pour tous les rois ; mais c’est très loin d’être une profession de césaropapisme. c’est une simple négation de certaines thèses ultramontaines ; la seconde essaie de déterminer quelle place lepape n’occupe pas dans l’Eglise : question théologique, tranchée par des procédés théologiques, mais à laquelle on répond sans exposer de doctrine positive sur la constitution de l’Eglise. Les prélats auraient-ils pu s’entendre sur une allirmation à cet égard ? Ou peut en douter. En fait, plusieurs théories ecclésiologiqucs différentes, les unes hétérodoxes, les autres presque orthodoxes (comme celles qui furent proposées par les PP. de la Ciiaize et Faiîhi et M. Ejiery), s’accordent avec la lettre, sinon avec l’esprit de la Déclaration. Le seul point positif fortement marqué par le rappel des décisions de Constance, est la prépondérance des conciles (et donc des 195

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évêques dansia pensée des prélats de 1682, car il en était autrement pour les docteurs de 14’5), dans l’exercice de la juridiction et du magistère ecclésiastiques.

§ 2. — Toute la substance du gallicaDisme parlementaire a été condensée en 1694 dans un opuscule de Pierre Pnnov, dédié au roi Henri IV : Les libertés de l’Eglise gallicane, commenté et appuyé de preuves aux xvii* et xviii’siècles par Pierre Dupuv et DuHANu DB Maillane.

Pierre PiTHOune s’est pas contenté de ramasser en quatrevinut-trois courtes propositions tout ce qui était qualitié chez nous de liberté, il l’a rattaché à deux principes.

« Les particularitez de ces libertez pourroiU sembler

inlinies et néanmoins eslantbien considérées se trouveront dépendre de deux maximes fort connexes que la France a toujours tenues pour certaines. La première est que les papes ne peuvent rien commander, ny ordonner, soit en général ou en particulier de ce qui concerne les choses temporelles es pays et terres de l’obéissance et souveraineté du Roy très chrestien ; et s’ilsy commandent ou statuent quelques choses, les subjets du Roy.encore qu’ils fussent clercs, ne sont tenus de leur obéir pour ce regard. La seconde, qu’encore que le pape soit recogneu pour souverain es choses spirituelles, toutefois en France la puissance absolue et intinie n’a point de lieu, mais est retenue et bornée par les canons et règles des anciens concilesde l’Eglise receus en ceRoyaume. Et in hoc maxime consistit lihertus Ecclesiæ gallicaiiae… De ces deux maximes dépendent ou conjointement ou séparément plusieurs autres particulières qui ont esté pluslôt pratiquées et exécutées qu’escrites par nos ancêtres… »

Si l’on s’en tenait à ces deux négations fondamentales de l’autorité du pape et de l’Eglise, on aurait quelque peine à assigner une dilVérence entre le gallicanisme des ecclésiastiques et celui des politiques : les divergences apparaissent quand on parcourt les conséquences que Pithou prétend en tirer ; son souci dominant n’est pas le même que celui des prélats, ni sa méthode, ni ses conclusions.

Pierre Pithou veut fixer les droits du pouvoir civil en France (et non ailleurs) en matière mixte et ecclésiastique : c’est du gallicanisme politique, et ses négalions recouvrent une doctrine positive. Il n’a point la préoccupation de déterminer la place du pape dans la hiérarchie sacrée, mais seulement de marquer ce qu’il ne peut point faire en F’rance : aussi ne parle-t-il pas de son infaillil>ililé (il la croyait conciliable avec nos libertés) ; s’il mentionne que le pontife Il n’est estimé estre par dessus le concile universel, mais tenu aux décrets et arrests d’iceluy », c’est pour lier sa puissance par les canons reçus dans notre pays ; s’il trace soigneusement les limites étroites où doit se renfermer cliez nous son action (le roi seul peut convoquer les conciles nationaux, autoriser l’entrée des légats, les voyages à Rome de nos jjrélals, la levée des svibsides pour la curie, la ])ubIicalion des bulles, etc.), ce n’est pas poiu- étendre les bornes du pouvoir épisc<q)al, au contraire… Pithou s’occupe spécialement de la jiapauté parce que le pape réside hors de F>ance, et qu’il est à son épocpie la seule puissance ecclésiasli(iue capable de balancer la prépondérance du pouvoir ci^ il, le dernii’r représentant notable de cette juridiction ecclésiasliijue qu’ont rognée de toutes manières les libertés gallicanes.

La méthode de Pithou n’a rien de Ihéologique, ni même de ])hilosophi(iue : d’autres avant et ajirès lui s’essaient à étalilir la sj ntliésc rationnelle et dogmatique du gallicanisnu^ poIiti(iuc, et leurs elTorls n’ont

pas été sans influence sur nos institutions, mais cette influence ne fut pas, jusqu’à la Révolution — aussi profonde que la sienne. Son opuscule sera commenté jusqu’aux derniers jours de l’Ancien régime (Durand i)K Mau-lane est l’un des auteurs de la Constitution civile du Clergé), et sa méthode sera chère à nos magistrats : attentif à collationner les précédents, même abusifs, pour établir la coutume, à rassembler

« les choses plus tost pratiquées qu’escrites par

nos ancestres ».le gallicanisme parlementaire est un sjslème avant tovit juridique, et sans diminuer le rôle du droit romain dans la conception que nos pères se firent de la prérogative de l’Etat, on peut dire que, par sa méthode préférée, ce système fut, en bonne part, un système de droit eoutumier.

Enfin, et c’est ce qui obligeait les évêques à marquer très fortement les différences des deux gallicanismes, nos magistrats étendaient le droit du pouvoir séculier jusqu’à envahir presque tout le domaine spirituel. Pierre de Mahca, dans les justifications de sa Coiicoi-diu contre les censures romaines (édit. de i{J63, p. 66), a noté les prétentions de ceux qu’il nomme les /r « ^ » ia ?/c( (défenseurs de la Pragmatique sanction de Bourges), Ch. nu Moulin, Fauchkt, Pasquieh, PiTHoi, HoTMAN, Skhvin, etc. ; il ne les calomnie guère quand il leur attribue ces deux propositions, histori(|Ucmenl absurdes, mais caractéristiques : I. Ponti/icem rumiinuin riiillum aiictoritiitem in Galliis exercuisse ante se^lnm sæciitiim : II. Tolo illa siieculoiiim annoruin intenallo JRegem fJ) solum Ecclesiae Gallicanæ ut capiit prtiefuisse, non autem papam.

« Le moyen de ce l>on gouvernenu^nt (de l’Eglise), 

avaitécrit dès 1551 Jean DUÏiLLKT(.)/é ; » o/>es et avis… sur les libériez Je l’Eglise gallicane), était qu’en ce dit rojaume, les juridictions ecclésiastique et temporelle étaient par ensend)le concordablement administrées sous et par l’autorité desdits rois… » Dans un opuscule publié avec privilège de Henri IV (/e la liberté ancienne et canonique.de l’Eglise gallicane), Jacques Leschassier assignait pour tâche aux magistrats de ramener l’Eglise à la discipline primitive : au droit antérieur au Décret et aux Décrétales de Grégoire IX.

En pratique, les parlements se contentaient d’affirmer que toute la discipline extérieure de l’Eglise était en quelque manière de leur ressort ; ils restreignaient ou surveillaient l’administration des évêques et du pape, contrôlaient, au moins quant à l’exécution et pour prévenir les désordres, les actes de leur ministère et de leur magistère, et se substituaient le plus possible à leur autorité judiciaire. La pré ention ou le cas privilégié qui enlèvent ses justiciables à la cour d’Eglise, l’appel comme d’abus et l’arrêt conséculif qui casse, réforme, annule les procédures du pouvoir spirituel, frappe dans son temporel le juge ecclésiastique abusant, q>ii fait lacérer les bulles et mandements, ont réduit ]iresque à rien, à la fin de r.

cien régime, la juridiction du Clergé dans l’Eglise gallicane. De son vrai nom, le gallicanisme de nos parlementaires est souvent un anticléricalisme. Il n’est pas tout le gallicanisme politique.

§ 3. — Entre le gallicanisme épiscopal et le gallicanisme parlementaire, M. Hanotaux, dans la belleétude qui ouvre le Recueil des Instructions données à nos ambassadeurs à Home (I. Paris 1888, p. L sq.), place un gallicanisme royal. Dans sa pensée, c’est nuiins une théorie qu’une pratique : le roi se sert tour à tour des doctrines <le ses évêques, des enseignements des iiapes et des théologiens ultramontains ou des systèmes de ses légistes pour assurer son indé])en<lanceet sa domination exclusive. » Entre les mains du roi, écrit dans le méuu’sens M. Imuaht 197

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DB LA TouH (Aes origines de la Hé forme, Paris, 1909, l. II, p. gi), le gallicanisme n’esl pas une doctrine, mais un instrument i>, et il ajoute à propos désaccords intermittents de la couronne avec la curie romaine : Ce que le roi laisse à Rome, c’est la région théorique des doctrines ; ce qu’il garde, ce sont les avantages réels et tangibles. » De part et d’autre, ce n’était pas un marché de dupes : gardienne des doctrines, l’Eglise, pour les sauvegarder, peut parfois sacritier le reste.

Il ne faudrait pourtant pas pousser à l’extrême la tluse de MM. Hanotaux et Inibart de la Tour. Il a existé dans l’ancienne France une doctrine des droits spéciaux que possédait le Roi très chrétien, premier fils et protecteur de l’Eglise, comme écrivait Pithou à Henri IV, sur notre Eglise nationale ; elle est du reste compatible avec tontes les thèses ultramontaines. Ces droits étaient établis sur le triple fondement du sucre, qui en fait une personne quasi-ecclésiastique, des services très particuliers rendus par la monarchie /"r(in< « /se, soit aux Eglises locales (fondation et garde), soit à l’Eglise romaine (établissement de son pouvoir temporel), enfin des devoirs incombant à la fonction souveraine pour la protection de la foi et l’exécution des canons. Cette théorie constitue un des éléments les plus importants du gallicanisme polili(|Uc, le fondement même de « nos libertés » telles que Pithou les énuiaérait.

A un autre point de vue, le gallicanisme royal est l’expression, telle que la comportait l’époque, d’un gallicanisme qui n’est point mort tout entier avec l’ancienne monarchie ; ce n’est ni une pratique ni une théorie, mais un sentiment : susceptibilité, très tôt éveillée chez nous, contre tout ce qui [leut diminuer notre indépendance ; il se doubla longtemps d’un respect presque superstitieux pour la personne de nos rois, de ce que Renan appelle très heureusement

« la religion de Reims ». Ce gallicanisme

national est la source commune, mais non unique, de notre gallicanisme ecclésiastique comme de notre gallicanisme politique.

Le gallicanisme politique est en somme un compromis pratique, puis théorique, entre l’égoisme de notre patriotisme et l’universalisme de notre religion, un mouvement qui tend à nationaliser, aussi complètiMient (pi’il est possible de le faire sans cesser il’i’lre catliolii|ue, l’Eglise de France, et à la mettre si>us la tutelle du pouvoir séculier.

Si. — Tels qu’ils apparaissent dans leurs déclarations les plus olliciellos du xvii’siècle, le gallicanisme des politiques et celui des ecclésiastiques sont des systèmes composites. Quoi qu’en dise Pithou, entre nos deux maximes fondamentales, il n’j" a jias connexion logique, mais seulement historique et sentimentale.

On peut en elTet repousser toute dépendance du pouvoir temporel à l’égard de la puissance spirituelle, sans nier du même coup (lue la plénitude de cette [luissance réside dans le pape, et réciproquement l’allirmation que le pape est soumis au concile, s’accorde fort bien avec la thèse du pouvoir même direct de l’Eglise sur le temporel des rois. On conçoit aussi bien une Eglise aristocratique ou même démocrati (iue dont les rois tireraient toute leur puissance, qu’une Eglise strictement monarchique sans autorité aucune en matière temporelle. La première conception l’ut celle de Guillaume Durand II, évêque de Meiide, qui, dans son fameux traité De modo Concilii generalis celehrandi, partageait la puissance spiritvu’lle entre le successeur de Pierre et les évéques, pari consortio (Eglise aristocratique), et pour les relations entre les deux puissances renvoyait à

Gilles de Romk, le théoricien du pouvoir direct de l’Eglise sur l’Etat. La seconde conception, qu’on rencontre dans tout le moyen âge français, est très nette au XVII* siècle chez André DuvALetses disciples (et chez Richelieu). « Le Duvallisme, écrit Mgr Puvol, unit le gallicanisme politique à rultramontanismè ecclésiastique. » (Edmond Jliclier, II, p. 365, Paris, 1 87C.) C’est aussi celle de nombreux jésuites français : RiciiEOME, d’Avrigny, etc., etc.

Cependant si, au lieu de s’en tenir à la maxime négative que Pithou met en tête de son recueil, on considère la doctrine positive sur les droits du pouvoir civil en général à l’égard des matières mixtes ou spirituelles qu’on pourrait dégager de la suite de son exposé, alors on découvre une connexion logique entre cette conception des rapjjorls de l’Eglise et de l’Etat et l’une des conceptions ecclésiologiques professées par quelques gallicans ; rien n’autorise du reste à penser que Pilhou l’ait aperçue. Si l’Eglise était une société striclemenl démocratique, où les lidèles détiendraient toute l’autorité spirituelle, alors les souverains et les magistrats, représentants naturels et nécessaires de la communauté, auraient en matière religieuse les prcrogati^ es les plus étendues. Ainsi, s’il n’y a pas de connexion logiijue entre les deux thèses fondamentales du gallicanisme, il y en aune et fort étroite entre les théories multitudinistes et le Césaropapisme. En fait les théologiens qui ont imaginé des systèmes démocratiques sur la constitution de l’Eglise — Mahsile de Padoub, et bien des réformés duxvi’siècle — l’ont théoriquement et pratiquement soumise à l’Etat. Quelque chose de leur doctrine a survécu à la ruine de leurs systèmes, et c’est peut-être une des mulliples causes de la connexion de fait établie entre nos deux maximes gallicanes.

Dans tous les autres systèmes gallicans, le dualisme subsiste ; même quand, avec presque tous nos vieux auteurs, on fait entrer le i)Ouvoir civil comme tel dans la délinilion de l’Eglise gallicane. On verra plus loin la définition qu’en donne Le Va ver deBoutigny. Voici celle de Mahca (Concurdia, II, e. 1, ^ 3) : Consortium diiarum poteslatum : et d’après le même auteur, nos libertés doivent-être définies : Munera utriusque potestatis, lam ecctesiasticæ tjuam civilis quibusdam liinc inde finibus circnmscripta. Idée profonde, essentielle au gallicanisme, qui est un système non pas de séparation, mais d’union intime des deux pouvoirs dans la main du roi ; idée issue d’une situation dominante jusqu’à la Révolution : la France a été jusque-là une portion de la société chrétienne politi (iuement organisée ; mais idée qui n’empêche pas nos théories gallicanes d’être composites. Si l’on est en droit de définir le gallicanisme : un système des relations du chef de l’Ef ; lise avec ce membre de l’Eglise gallicane qui est le gouvernement français, aussi bien qu’avec cet autre membre qui est l’épiscopat français, il reste que c’est pour des raisons logiquement hétérogènes qu’on nie à la fois l’autorité souveraine du chef de l’Eglise sur cet épiscopat et son pouvoir indirect sur l’Etat. Il y a pourtant, comme je l’ai dit, entre nos deux maximes fondamentales une connexion historique : non pas que leur histoire coïncide dans toutes ses parties, mais parce que ces parties se compénètrent bien souvent et que les deux négations procèdent parfois des mêmes causes politiques ou sentimentales.

III. — DÉVELOPPEMENT IlISTORIQUB

DES THÉORIES G.I.LICANES

S’— Théories sur la Constitution de l’Eglise

A) Toujours les Gallicans prétendirent que l’ancienne Eglise fui gallicane, en pratique comme en 199

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théorie. De nos deux maximes Pniiou disait que la France les a toujours tenues pour certaines. Pierre DuPUY ajoutait : « Nos libertés sont quelque partie du droit commun de l’Ejflise universelle, conservée en France contre divers établissements faits et admis en d’autres provinces. » Presque en tous temps (il y a des exceptions), nos pères ont protesté contre la qualification d’exemptions, de privilèges, donnée par les ultramontains à nos coutumes : privilèges et exemptions sont postérieurs à la loi dont ils dispensent, tandis que les pratiques gallicanes prétendaient être la pratique même de l’antiquité chrétienne. Quant à la doctrine sur la constitution de l’Eglise, elle serait aussi la plus traditionnelle : « Ce sont les maximes que nous avons reçues de nos pères », disait la Déclaration de 1682, et Bossuet intitulait la 3< ; partie de la Defensio Declarationis :

« De Parisiensiiiiii sententia ah ipsa Christianitatis

origine repeleiida. »

Celte thèse — atténuée et modifiée — est encore admise, non seulement par les vieux catlioliques et protestants (vg. Fr. v. ScnrLTE dans le remarquable article Gallikanismiis de la R. E. d’IlERzoG-llAUCii), mais par la plupart des historiens rationalistes ou indépendants. M. IIanotaux écrit (p. ix) : « Les Eglises locales (en Gaule) restaient attachées à Koræ comme à une mère ou du moins comme à une sœur ainée… Quoique l’Eglise fût loin d’avoir élahli dès lors le lien hiérarchique qui devait plus tard rattacher au successeur de Pierre le dernier des fidèles, les idées de fraternité chrétienne et de catholicité facilitaient une organisation qui, religieuse à son origine, pouvait devenir politique. « Donc, à l’origine, pas de lien hiérarchiijiie, mais un lien de tout autre nature, incapable de devenir, sans évolution radicale. un lien de subordination : pas d’obéissance, mais respect et charité. Or ceux qui retiennent aujourd’hui encore cette antique conception ecclésiastique : Orientaux, Vieux-catholiques de Hollande, de Suisse et de Bavière, fidèles de la haute Eglise anglicane, sont tous regardés par la grande Eglise, non plus seulement comme des schismatiques, mais, depuis le Concile du Vatican, comme des hérétiques. Si bien qu’à lire l’histoire du gallicanisme, telle qu’elle se présente, toujours fragmentaire du reste, dans la plupart des historiens, on croit assister aux luttes malheureuses et à l’écrasement final de l’idée première des chrétiens sur la constitution de l’Eglise : une théorie plus récente, tout humaine par conséquent, aurait fini par la supplanter. Ce serait un des exemples les plus nets de la faillite des promesses du Christ.

B) En réalité, à regarder de plus près textes cl faits, on s’aperçoit qu’on peut appliquer aux (/oc//(V(es gallicanes ce que l’un des historiens les plus récents et les mieux informés du gallicanisme écrit des libertés gallicanes, survivance, disait-on, de la discipline primitive : « Ce n’est qu’une fiction, affirme M. J. IIali. KU (l’apsttum und Kirchenreforin, , 20^1, Berlin, 1908), utile sans doute et bien excusable ; mais enfin une fiction, qu’on ne peut mettre d’accord avec les faits : œuvre d’une science tardive, un peu comnie ces témoignages de généalogistes complaisants qui s’elforcent lie démontrer l’antique noblesse de leur client en dressant des arbres généalogiques artificiels. »

L’artifice inconscient des historiens du gallicanisme semble être celui-ci : ils cherchent, sans la trouver, dans les périodes primitives, l’expression adéipiateou équivalente de nos thèses catholi([ues actuelles sur la nature de la liiérarchie ; ils n’y rencontrent pas davantage l’exercice fréquent, précis, incontesté, des droits pontificaux qui en découlent ; ils assignent au

contraire la date plus ou moins tardive où, pour la première fois, chacune des théories ultraïuontaines a été formulée, chacune des interventions papales inaugurée ; ils relèvent les preuves de l’autonomie des Eglises locales et de leurs résistances aux aflirluations comme aux ingérences romaines ; et de cette enquête ils concluent à la nouveauté, partant à l’illégitimité des usurpations ultramontaines, à l’antiquité des conceptions gallicanes. Le procédé parait rigoureux ; il est pourtant artiliciel : il n’est pas de bonne méthode historique ou théologique de vouloir trouver une théorie adulte et des applications fréquentes et précises du droit pontifical à une époque où l’on ne doit rencontrer que le germe de cette théorie, où les conditions intellectuelles et matérielles de la chrétienté rendaient impossibles les interventions pontificales auxquelles nous ont habitués des siècles d’élaboration scientifique et de gouvernement centralisé. D’autre part, quand on aura établi Vabsolue autonomie des Eglises locales (ce qu’on ne fera point) et décrit les résistances qu’elles opposèrent aux empiétements de Rome, on n’avira rien démontré au sujet de la doctrine, tant qu’on n’aura pas prouvé que ces situations de fait et ces révoltes sont nées d’une théorie primitive contradictoire des affirmations romaines, ou l’impliquent. La doctrine gallicane peut être postérieure aux faits issus d’autres causes, et avoir été imaginée pour les justifier. Le généalogiste qui a réuni des noms doit encore en établir la filiation. Les historiens du gallicanisme n’ont-ils pas substitué à ses ancêtres réels : usages, intérêts, sentiments, théories philosophi(iues, un ancêtre mythique, projection du présent dans le passé, une doctrine gallicane primitive, ou un germe traditionnel de doctrine gallicane ? Pour répondre pleinement à cette question, il faudrait reprendre après Bossuet (Defensio Declarationis) l’enquête qu’il a esquissée sur la tradition de toutes les Eglises, On se bornera ici à chercher dans notre pays, patrie d’élection du gallicanisme puisqu’il lui a donné son nom, l’origine des doctrines gallicanes et la loi de leur développement.

C) I.e gallicanisme ecclésiastique n’est primitif ni comme doctrine explicite, ni comme doctrine impliquée dans les principes ou la constitution de notre ancienne Eglise. Nos auteurs ont passé de nos libertés à nos maximes comme à reculons, pour défendre contre les développements théoriques et pratiques de la primauté de Pierre, admise par tous, des institutions particulières auxquelles notre clergé — traditionnel comme tous les Français et plus enclin à accepter une révolution qu’une réforme, à abandonmr une synthèse mentale ([u’à la modilier — tenait beaucoup Souvent il s’agissait de sauvegarderdes intérêts matériels que lésaient les conséquences fiscales de la centralisation romaine et de l’action mondiale des papes, ou des susceptibilités nationales : on coranu’nça par traiter d’abus les applications odieuses des principes, puis on excipa de privilèges consentis par Rome ou de coutumes a.yant prescrit, enfin on nia les ])riucipes eux-mêmes. On les nia d’autant plus facilement au cours du xiV siècle, que le renouveau de l’arislolélisnie avait créé dans les esprits un concept démocratique (le la société, qui ne convient qu’analogiiiuement à la société théocratique et monarchique (]u’est l’Eglise : on voulait à tort ramener au type de la société politique, conçue alors comme essentiellement constituée par l’accord de volontés égales, la société surnaturelle, laquelle est pluti">t du type de la soii<-té familiale, étant constituée par la transmission d’une vie (la grâce) passant d’un auteur (le Christ) aux fidèles par le ministère de ses vicaires ici-bas. Il fallut 201

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enfin, au début du xv siècle, remédier au scliismo pontilical par des mesures iégilimées seulement à bien des yeux par les théories gallicanes canonisées, disail-on, à Constance.

Pour qu’une pareille doctrine put évoluer — sans sortir du catholicisme, — elle devait avoir évidemment quelque suhslratiun traditionnel ; les exemples africains, le respect universel pour les conciles et les canons, le canon sur le pai>e hérétique dans le Décret de Gratien l’ont fourni ; mais tout cela est invoqué assez tardivement : le gallicanisme vient d’ailleurs. Ici l’action a primé la spéculation et l’a engendrée.

On peut prouver ces vues directement, en établissant l’accord théorique sur la constitution ecclésiastique qui existe entre l’Eglise ronuiine d’autrefois et d’avijourd’hui d’une part, et l’Eglise gallo-romaine, mérovingienne, carolingienne et capétienne d’autre part ; et en déterminant à chaque époque la portée et l’origine des résistances gallicanes. On peut ensuite les confirmer indirectement, comme on fait d’une hyi)otlièse dont on vérifie les conséquences. Si les tliéories gallicanes, au lieu d’être la cause de ces révoltes contre Home, ont été au contraire imaginées pour les justifier, il est vraisemblable que, d’accord à leur point de départ commun) (l’inviolabilité de la situation de fait qu’on voulait défendre), elles ne le seront plus à leur point d’arrivée, aux principes. Chaque auteur aura son système, variable avec la variété des cultures et des éducations théologiqæs et philosophiques. En fait, les prélats de 1682 ne s’entendaient guère que sur des négations, et dans leur partie positive les gallicanismes deMAnc.A, de Kio.uEn, d’jVi.M.vi.N, de Gerson, de Pierre d’Aii.LY, de GuillvtJME UiHAND cl de Gerbert sont dilTérents entre eux et ne ressemblent pas à celui de Bossiet. Dans cette longue histoire du gallicanisme, nous rencontrerons bien moins un système gallican qui se développe que des systèmes gallicans qui se succèdent. Le cbntrastc de cette succession avec la croissance vitale du système romain, tiré tout entier d’une donnée primitive simple et féconde, aurait pu fournir à Newman un argument apologétique en fæur de l’ultramonlauisme. Au simple point de vue historique, la variété des systèmes gallicans, inexplicable si l’oO admet la prétention de nos docteurs d’avoir seuls conservé lu doctrine originelle, n’a plus rien de mystérieux si ces théories ne sont que des constructions factices. Autre conséquence : si les diflfér&nts gallicanismes ne sont que des sj-stèmes de fortune, aux |)risesavecle développement normal il’une véiité de tous temps admise et qu’on ne veut ni ne peut renier, il est probable qu’au jour où éclatera l’opposition radicale des principes, l’opinion nouvelle, au lieu de pousser à l’extrême les conséquences logi(lui’s des prémisses imaginées par ses défenseurs, tâchera d’accorder vaille que vaille ses conclusions avec le ilogme ancien. Tous les historiens du gallicanisme — adversaires et même amis — l’ont remari|ué : c’est le sort de toutes les théories gallicanes ; une fois leurs systèmes constitués, jamais leurs auteurs n’ont osé leur laisser prendre leur plein déelopiii-ment logique : presque toujours ils auraient abouti au schisme, dont ils ne voulaient à aucun prix.

Tardives, hétérogènes, inconséquentes, ce sont des qualificatifs bien durs pour qu’on ose les appliquer aux constructions savantes ou subtiles de ces très grands esprits qui furent les auteurs de l’ecclésiologie gallicane : elles les méritent pourtant en quelque mesure, dans la mesurequi suffit à marquer leur origine purement humaine.

(Pour la doctrine catholique, ses preuves et les objections tiréesd’auteurs non français, ^ oir les articles Papb, Eglise, Concile, etc.)

(i) L’Eglise gallo-romaine

i) Sou vent les anti-gallicans(vg.Si-oNi)HATE, , SoARi)i, MizzAUELu, etc.) ont prouvé les thèses ultramontaines, notamment l’infaillibilité pontificale, avec des témoignages e.i’cli(sii’enient empruntés à l’Eglise gallicane : aucune, en elVet, sauf celle de Rome, n’en présente autant et qui soient à la fois aussi explicites et aussi précoces. L’histoire littéraire <le notre Eglise s’ouvre par le nom de S. Irknéb, évcque de Lyon vers i ;  ; ^, que les protestants désignent à tort, comme le premier témoin de la doctrine catlinlique sur l’Eglise (cf. dans P. Batiefoi., L’Eglise naissante et le catholicisme, Paris 1909, ch. iv, démonstration de son accord avec latra<liiion antérieure). Contre l’hérésie, Irénéc en ai)pelle « à la foi de l’Eglise très grande, très antique, connue de tous, qu’ont fondée à Rome les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul », « toute Eglise doit s’accorder avec cette Eglise » qui n’a pas seulement comme les autres fondations apostoliques K une principalitas » ; mais bien, à cause de l’éminence de ses fondfiteurs explicitement indiqués et non à cause de celle de l’i’rhs Huma passée sous silence, une « principalitas potentior » (.4dt Ilær., III, 11, i et 2 ; cf. Batiffol, op. laud., p. 2^9 sq., et O. Bah-DENiiEWER, Gescllichte der altlnrchlichen Litcratur, Fribourg en B., 1902, I, p. ^^6-^22). A côté de ces textes probants contre qui nie la primauté de juridiction de l’Eglise romaine, les gallicans aiment à placer la lettre où Pévêiiue de Lyon morigène le pape Victor, trop dur, à son ais, à l’égard des qtiartodécimans asiates (dans Eusébe, //. E., V, xxiv). En réalilé, ce texte même se retourne contre eux, car Irènce ne conteste pas l’extraordinaire étendue du pouvoir dont l’évêque de Rome paraît revêtu et si l’on ignore quel cll’et produisit sur Victor la lettre pacilicatrice d’Irénée, on constate qu’au siècle suivant la coutume pascale que condamnait ce pajjc avait disparu de l’Asie.

Ainsi chez nous apparaît, dès les premiers temps, une tradition très ferme sur le rôle exceptionnel du pape de Rome dans l’Eglise.

2) D’autre part, de très bonne heure l’Eglise des Ganles se prétend fondée par des encovés des papes. A part la courte période où elle subit aussi l’inlluence milanaise, elle demeure sans intermédiaire unie à Rome, aucune primatie locale ne s’y constitue ; le vicariat même d’Arles, extorqué, seinble-t-il, par Patrocle au pape Zosiine, retiré, puis concédé de nouveau, instrument d’influence romaine qui eût i)u devenir un obstacle, n’a guère été qu’une prééminence théorique. De là les recours spontanés de nos évêques directement à l’évêque de Rome (innombrables dira S. Léon, Epist. ad Gallos, x, P. /,., LIV, 628 sqq.), la soumission générale avec laquelle sont reçues la plupart de ses décisions, le malaise caractéristique de tous ceux qui résistent à ses interventions. Rien ne ressemlde moins à une Eglise autonome, autocé|)hale, gallicane en un inol, que l’ancienne Eglise gallo-romaine.

Ce suprême pouvoir de gouvernement, que notre Eglise reconnaissait au successeur de Pierre, peut-il s’enfermer dans une formule juridique précise ? Mgr L, Duchesne (IListoire ancienne de l’Eglise, édit. de igio, III, p. 667 sq.), après un exposé très nuancé de l’exercice de la prérogative romaine en Orient jusqu’à la lin du v siècle, terminé par ces mots : « Je ne parle pas ici, on le voit, d’une simple primauté de rang et d’honneur », ajoute pour nos régions : En somme, le groupement de l’épiscopat, le régime des conciles, les rapports avec le Saint-Siège, tout cela était en Occident fort peu défini. On vivait sur la 203

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conviction que le pape avait charge générale de 1 épiscopal occidental, qu’il en était le supérieur. » Son action ne s’enfermait nullement dans les formules qui. depuis le iV siècle, réglaient les plus hautes attributions des patriarches ; dans son ressort patriarcal, pendant longtemps le pape n’exerce pas la plus haute fonction du patriarche, il n’intervient pas régulièrement dans les élections épiscopales. mais dans ces élections comme dans toutes les autres alïaires, il intervient suivant les besoins, sans qii’on puisse assigner à son action d’autre titre à se produire qu’une cura et une custodia suprême de tous les intérêts de nos Eglises ; et il intervient en chef : dans les plus vieilles décrétales adressées aux pasteurs des églises gauloises, les évêques de Rome ne manifestent pas seulement (ce que les auteurs les moins favorables aux doctrines romaines accordent sans peine) la prétention de présenter à l’Occident leur propre Eglise comme un modèle, ils en imposent l’imitation : « Si quelqu’un viole les prescriptions sur les ordinations, dit le chapitre i^ de la décrétale aux Gaulois (qui pourrait être de S. Damase, 366-384, et par conséquent la plus ancienne de toutes, cf. E.-Ch. Babit, l.a plus ancienne Décrétale, Paris, igo^) qu’il sache qu’il est séparé de la société des catholiques : chapitre 18, qu’il sache qu’il est en danger de perdre son rang… n C’est l’écho lidèle des menaces de Victor aux Asiates.

Dans sa Concordia (lib. 1. c. x et lib. Vil), Pierre DB Ma.rca a essayé de montrer qu’au cours des iV et v « siècles, pour les affaires importantes et dilhciles, les causai’majores (dogme et discipline), les Eglises particulières et les conciles usaient à l’égard de l’évêque de Rome de la procédure même qu’en des cas analogues de la vie civile, les magistrats supérieurs (gouverneurs, préfets des prétoires) employaient à l’égard de l’empereur seul : les uns et les autres adressaient à l’autorité suprême une relatio sur la cause qu’ils venaient de juger, ou une consultatio, le souverain répondait, s’il le trouvait bon. par un rescrit (la Décrétale) qui faisait loi. Théorie séduisante, qui expliquerait la fréquence, dans les textes ecclésiastiques de l’époque sur les droits de l’Eglise romaine, des mots techniques relatio, referre, référendum (on les retrouve jusqu’au viii’siècle dans le continuateur de Frédègaire racontant l’élection royale de Pépin, missa relatione a Sede apostolica auctoritate percepta, et jusqu’à la (in du x’sous la plume de Gerbert au concile de Mouzon, 99."). Certe uiliil aclum tel a^endiim fuit quod Apostolicae Sedi relatum non fuerit), théorie qui ferait bien comprendre pourquoi les papes, depuis Innocent I" écrivant à Victrice de Rouen, Epist., ii, 6, P.L., XX, 4^3, réclament qu’on leur envoie sicut srnodus statuit et beata consuetudo exi^it, de » relations sur toutes les causes majeures. Malheureusement cette thèse de Marca, accueillie avec quelque dédain au xvii’siècle par Jean Davio (Du jugement canonique des é^éques). combattue ex professa par J. H. Borhmbr, le canoniste protestant qui fut le premier commen tateur de la Concordia, et assez mal défendue par son second commentateur ultramontain, le Napolitain C. Fimi. i

(èdit. de namberg, l’jSS, t. I, p. 168 sq.), n’a pas encore été sérieusement vèriliée. Mais si vraiment, à l’époqvie où justement le cérémonial de la curie romaine se modelait sur celui de la cour impériale (iv’siècle), où partout la procédure des tribunaux ecclésiastiqvies se calquait jusque dans les petits détails sur celle des tribunaux de l’Emjjire (cf. H. Grisxr, /fist, de Home et des Papes, n" 3/(0 et 3^2). nos pères ont coulé dans le moule du concept fourni par l’autorité suprême de leur temiis, l’idée traditionnelle enseignée par Irénée, de la prim luté de Pierre

dans l’Eglise, il est tout à fait vain de parler de gallicanisme gallo-romain.

3) On en a parlé cependant à propos des rares résistances gauloises à l’action romaine dont l’histoire a gardé le souvenir. Assez récemment, M. E. Ch. Babut (Le Concile de Turin, etc., Paris, 1904) a voulu prouver qu’en 417 un concile d’èvêques gaulois réuni à Turin avait réglé la situation des métropoles d’Arles et de Vienne et celle du vieil évêque de Marseille, Proculus, en opposition formelle avec les ordres reçus au moment même du pape Zosime ; le pape aurait dû s’incliner devant la décision conciliaire. Cette thèse a été assez mal accueillie (cf. Dicuesne. Beiiie historique, hWXXll, 1900, pp. 278-382) : pour mettre en conflit pape et concile, M. Babut a dû dédoubler le seul concile de Turin (tenu vers l’an 400) qui nous soit connu, imposer aux actes, conservés sans indication consulaire, une date tardive mal d’accord avec les renseignements qu’ils contiennent sur le nombre des provinces gauloises (qui changea justement entre 400 et 4’7) bouleverser enfin la chronologie des lettres du pape. La crise gallicane de il7 semhle n’avoir pas existé et se réduire à la désobéissance par laquelle Proculus de Marseille se déroba aux fantaisies de Zosime et aux ambitions de Patrocle d’Arles, tandis qu’à côté Hilaire de Narbonnese pliait docilement aux ordres de Rome.

Fort peu de temps après, un successeur — fort vénérable du reste — de l’intrigant Patrocle se heurta très violemment contre un sucesseur de Zosime : S. Hilaire d’Arles contre S. Léon le Grand. Dans l’affaire de l’appel deChélidonius, déposé par un concile gaulois. Hilaire. s’il faut en croire celui de ses disciples qui écrivit sa vie, aurait, en pleine Rome et parlant au pape lui-même, décliné la compétence du tribunal romain : il était venu ad officia, non ad caiisam. par politesse et non pour plaider, il avait communiqué la procédure pour protester contre l’admission de l’évêque déchu à la communion du pape, et non pour l’accuser à son tribunal, protestandi « rdine, non accusandi (P.L., ii, i’i-) sqq.). Hilaire s’évadii à pied de la Ville éternelle, sans rendre sa communion à l’évêque qu’il estimait avoir été justement condamné en Gaule. S. Léon, dans les lettres très dures pour Hilaire, où il raconte aux Gaulois les insolences du saint provençal, ne parle pas de ce déclinatoire d’incompétence. Quoi qu’il en soit de son existence, le récit qu’on vient de lire révèle, au moins chez le biographe, une idée assez hétérodoxe sur les limites de la prérogative pontilicale. Hilaire. ou son disciple, peut-il être regardé comme un téiuoiii d’une tradition gauloise opposée aux droits de Rome ?N’on, semble-t-il ; outre que S. Léon, rappelant aux collègues de Hilaire les innombrables recours à son siège des évêques gaulois, ne paraît pas s’attendre à une contradiction de leur part, il ne faut pas oublier que l’évêque d’Arles était un de ces moines de Lérins, hommes du monde retirés au cloître et portés par leur renom de vertu sur les sièges épiscopaux du Midi de la France, réformateurs plus zélés que soucieux de la légalité, auxquels, dès 428 et 431, le pape Cklestin reprochait vivement leur parfait dédain pour les coutumes et les décrets des Pères. Hilaire d’Arles était directement visé ilans la seconde de ces diatribes. II mit de])uis tous ses soins à apaiser le pontife de Rome (cf. L. DrciiESNE, l.a primatie d’Arles, Paris, 1 898). C’est à l’occasion de ce conflit que rein])ereur’S’alestï-NIEN 1Il rédigea la constitution de 443. cause principale, au dire de M.Babut(()/>. cit.). de l’établissement en Occident de la monarchie romaine. Hypothèse déjà réfutée au xvii’siècle par Pierre de Marca. L’édit déclare que les ordres pontilicaux valent i>ar eux205

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nirmcs, l’empereur intervient afin (l’eiiipêcher les éviiiues de se servir des troupes impériales pour opprimer les lidèles et oblige les magistrats à prêter main-forte au pape, si le pape cite les prélats à son tribunal. L’intervention du représentant d’un empire déjà démembré serait une cause bien minime pour un effet aussi considérable que la création de la monarchie de révê((ue de Rome : la monarcliie romaine préexistait au décret de 44-^. et le monde barbare, quis’arradiait à la domination impériale, allait reconnaître, des qu’il se ferait catholique, la primauté pontificale.

/() l.’lCgUse après les invasions liaihares

Sur ce fait pourtant tout le monde n’est point d’accord. « La société chrétienne, a écrit en effet FusTBi. DB CouLANGBS (Monarchie fianque, a’édit., Paris, igoS, p. 522), était une confédération de cités épiscopales… La monarchieétait dans chaque diocèse. Là l’cvcque commandait à tous, et lui-même n’avait à obéir à personne… / ?ome ara(7 une prééminence, non un poiuiiir. u De cette théorie, M. P. VioLLETa dit rudement (Histoire des institutions, e/c., i, p. 341) qu’elle ne supporte pas le contact des documents. Elle est cependant professée par Haick (Kircliengeschiclite Deiilschlands, III, pp. 391-392) au moins pour la période qui s’étend entre la disparition du personnel gallo-romain et les missions anglo-saxonnes du VII siècle ; par Hixschics, par Lobnixg (attentif surtout au rôle du roi, qui seul autorise les rares interventions papales ; Geschichte des deutsclien A’irclienreclits, Strasbourg, 1878, II, 71), par M. F. Lot enfin : il nie que jusqu’à l’apparition des Fausses nécrétules, vers 850, le pape ait eu dans l’Eglise franque aucune autorité judiciaire ou disciplinaire (Etudes sur le règne de Hugues Capet, Paris, 1908, p. 138).

En réalité, la doctrine des prélats francs ou soumis aux rois barbares est celle qu’ils ont reçue des évêqucs gallo-romains : en cette lin du v" et ce début du xi" siècle, elle était très romaine. S. Avit, évêque de Vienne (de ^Qoà âig), ami des rois burgondes et correspondant de Clovis, prêche jusqu’en Orient le devoir de l’union à Rome (lettre à Jean de Cappadocc, P. /.., LXIX, 227), il proteste au nom des évéqucs gaulois empêchés d’aller à Rome ou de se réunir en sj’uodc national, contre l’assemblée qui osa siéger (mais ne jugea pas) dans la cause dupapeSymmaque (ilnd., 248) ; il assure le pape Hormisdas de la dévotion à son égard des cvêques de la Viennoise et de toute la Gaule (ilnd., 290). Un peu plus tard, Cksairk ii’.uLEs « un des fondateurs de l’Eglise de France < (P. Lejay, Dict.de Théologie de Vacant, art. Césaire) est le vicaire du pape. Malgré un heurt assez violent avec.gapit qui a réformé la sentence gauloise contre Contumeliosus de Riez pourtant confirmée déjà et aggravée par le pape Jean II, son prédécesseur, Césaire est un excellent témoin de la dévotion de notre Eglise à l’égard de Rome ; au concile de Vaison, en 629, il fait introduire dans l’ollice gallican le nom du pontife romain. Dans les conciles inspirés jiar le vicaire du pape, dans sesrecueils canoniques et danssessermons, l’épiscopat franc postérieur apprendra tout ce qu’il saura de science sacrée. Voilà pour la théorie et voici pour la pratique. A l’heure même où les conciles francs (l’organe autonome, dit-<m, du gouvernement ecclésiastique national, cf. FrsTEL DE CocLANGEs, loc. cit.) paraissent légiférer en pleine indépendance, ils tiennent toujours à renforcer leurs prescriptions en les appujant sur les décretsdu Siège apostolique(vg. Orléans, 538, can. 3 ; II Tours, 567, con. 21, etc., etc.). Le malheur des temps rend parfois les communications impossibles entre Rome et la Gaule (après la conquête de la Provence par les AVisigoths, le pape Gi.lase (, ^92-490)

doit attendre deux ans l’occasion de deux quêteurs gaulois venus à Rome, pour pouvoir notifier son élection à l’cvêquc d’Arles), néanmoins les interventions romaines sont relativement fréquentes, et elles présentent le même caractère qu’avant les invasions (cf. H. Grisar, Analecta romana, Rome 189g, I, pp. 333-384. Mgr. Vaks. l’niversité catholique de I.ouvain. Séminaire historique, //apport, etc., 1903- 1904, ])p. 38-50, et dans/fe17(e d’histoire ecclésiastique, VI, igo5, pp. 537-666 ; 765-784 : la Papauté et l’Eglise franque n l’époque de Grégoire le Grand, 6go-604). Voici quelques exemples plus significatifs, empruntés en grande partie à l’époque où le personnel galloromain a disparu, où la « nationalisation de l’Eglise franque atteint son apogée », où toutes les régions de la Gaule, y compris la Provence, sont conquises parles rois mérovingiens. En 538, ïhhodebert soumet à Rome un cas tranché par le concile national de 535. Vers 540, Liîon de Sens prévoit le cas d’un jugement du pape relatif à la création d’un évêchéà Melun. En 545, Auxanius d’Arles consulte Rome sur une ordination, il est vicaire du pape pour tout

« l’empire » de Childcbcrt, de même ses successeurs

Aurélicn et Sapaudus. Il faut voir avec quelle vivacité le pape Pklage défend contre le roi la juridiction supérieure de son mandataire. Pourtant Pelage est ce pape, promu par Justinien et suspect d’avoir acheté son élévation par une prévarication doctrinale, qui consentit à rassurer le roi Childebert et l’Eglise franque en leur envoyant à plusieurs reprises sa jirofession de foi purement chalcédonienne. En 667, appel célèbre de Salonus d’Embrun et de Sagittahius i>e Gap contre la sentence conciliaire qui les a déposés ; puis, de 5go à Go4, les interventions si variées de S. Grùgoire lb Grand : qu’il s’agisse d’instruire les é^cqucs francs sur la conduite à tenir à l’égard des Juifs, ou d’un collcgvie vertueux, mais de raison vacillante, de gourmander leur négligence, ou de défendre leurs inférieurs tyrannisés, de combattre la simonie, de concéder au monastère de la nonc Respecta l’exemption de l’autorité épiscopalc, ou de prescrire la tenue de conciles annuels, le pape manifeste la pleine conscience d’une autorité incontestée. Au vu" siècle, après S. Columban, l’Eglise franque est gouvernée par les disciples des moines Scots, tout dévoués à Rome. La fin de ce siècle et les débuts du viii « , périodes d’extrême désordre, n’ont pas laissé de souvenir sur l’action romaine en France ; au reste les conciles dis])araissent aussi ; après ceux de Langoiran, Saint-Jean-de-Losne et.utun (670-GSu), le silence se fait sur cet organisme de notre Eglise nationale : quand, vers 740, il réparait avec le concile bavarois, le délégué du pape qui a réuni cette assemblée, S. Bonhace, écrit au souverain pontife :

« Depuis quatre-vingts ans, disent les Francs, ils

n’ont pas vu de conciles. »

c) L’Eglise sous les Carolingiens

1) L’Eglise carolingienne fut réorganisée par BoNi-FACB sous les auspices de princes sacrés par les papes. Cependant — à partla collation du pallinm aux archevêques (insigne d’une puissance nouvelle créée par Rome et qui faisait de l’ancien métropolitain, jusqu’alors simple président d’un concile d’égaux, le supérieur de ses sulTragants, à charge de jurer obéissance aux conciles et aux décrétales pontificales), à part de rares interventions dans les dépositions épiscopales, à part la réserve de certains péchés que la coutume commence à déférer au pape, à part l’octroi de dispenses extraordinaires, par exemple celle de la résidence accordée aux évêques .Vngilram et Hildebold, archicliapclains du roi — 207

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l’aclion diiecle des papes est d’abord peu sensible. La personnalité de Ciiahlemagne domine alors l’Eglise comme l’Etal, c’est le grand électeur des évcques, et, malgré la persistance des formes et des distinctions théoriques, le législateur et lejiige.

L’épiscopat franc est dans sa main. Aussi, lorsqu’en 79^ le roi veut témoigner à H.drien n le mécontentement causé par ses avances aux Byzantins, le concile de Francfort (roi franc et évêques francs), l>ouscule sans ménagement, au sujet du culte des images, le second concile de Nicée, que l’Eglise regarde aujourd’hui comme œcuménique, qualifie de race dégénérée les Grecs qui le co.mposaien tel blâme le pape qui l’a approuvé ! Pour expliquer cette étrange attitude il faut tenir compte de la méprise sur le sens du mot grec 7t-, oî/v » ; 71 ; , traduit adorntio, qui scandalisa les Occidentaux, et de la naturelle infatualion de prélats assez inexpérimentés en théologie, flers de leur science renaissante et de la rapide hégémonie de leur race, ce sentiment se traduit naïvement dans les litres CoruUns (cf. IIei-ele, Histoire des Conciles, Irad. Leclercq, 111, 1061 sq., et la belle étude de M. F. Vernet, art. Carolins, dans Diction, de tliéol. cat. de Vacant). Trente ans après, au concile de Paris (8a5) les évcques francs accusent sans scrupules le pape Hadrien d’avoir péché par ignorance en défendant le concile de Nicée, ils font tenir à l’empereur Louis le modèle d’une lettre que le pape devrait écrire au basileus Michel. Avec une amusante inconséquence, ils y insèrent la traditionnelle allirmation de l’infaillibilité romaine : « Parles successeurs orthodoxes des SS. Apôtres, l’Eglise de Rome a toujours ramené au droit chemin ceux qui, dans loulesles parties du monde, se sont égarés de la vraie foi ! » (Bahonius, Annal., ad. ann. SaS.) Un peu plus tard, en 833, quand Lolhaire révolté contre son père fait venir en France le pape Gniir.oiRE IV, les évêques fidèles an vieil empereur profèrent à l’adresse du pontife cette menace : « Si cxconimunicataras advtniret, excommunicatus ahiret « , si contraire aux anciens canons (cum aliter se haheat antiquorum canonum auctorilas) qu’elle scandalise l’auteur de la Vila Illadoyici PU (P. /.., CIV, gôS). Les prélats le prenaient de très liatit avec leur frère de Rome et insinuaient la distinction, jadis formulécpar JusTi-NiEN et son concile d’Orient, entre la. S’crfc* et le.Sedens. Le pape réclama son titre de père et déclara sa personne inséparable de son siège (ibid., ay^-atjg). Au reste, au même moment, l’archevêque de Lyon Ago-BARi ) (dont on veut faire un gallican précoce, parce qu’il aggrave, jusqu’à l’erreur iconoclaste inclusivement, la méprise des pères de Francfort, qu’il voit des hérésies dans une antienne romaine que nous chantons encore la veille de Noël, et qu’il exalte nos anciens conciles), envoie à l’empereur les textes les plus formels des papes Pelage, Léon et Anastase, pour lui enseigner ses devoirs envers le pontife de Route. D’autre part, le groupe des |)rélats partisans de Lothaire envoyait à Grégoire IV par Wala un recueil d’autorités patrisliqucs, lui reconnaissant la plénitiule du magistère et de la juridiction (Pasguase Raiiiikrt, Vita Valae, II, 16, dans Pehtz, M. G., Scri/jtores, 11, 502). On peut voir là les premières escarmouches doctrinales entre gallicans et ullramontaius. ( ; elte esi)èce particulière de gallicanisme i)(ilitique, qui marque les débuts del’Emliire carolingien, aurait ainsi provoqué une éclosion de gallicanisme ecclésiastique. Mais la théorie est loind’èlre fermement constituée.

2) Elle s’organisa un peu plus pendant le siècle où se précipita l’elTrayante déconqiosition de l’œuvre politique et ecclésiastique de Charlcmagne.

La papauté, qui recueillit l’héritage de la pensée politiique du grand empereur à côté de ses propres traditions, pénètre alors de toutes parts la vie ecclésiastique de notre pays. « Si nous étudions en détail, dit excellemment M. Imbart de la Tour (f.es élections épiscopnles dans l’ancienne France Au ix"’au xii’siècle, Paris, 1890, p. lo), les difl’érents exemples de cette intervention (surtout sous NtcoLAS l’^r^ 868-867, et Jean VUI, 872-882)…, il est impossible d’en dégager une théorie juridique. Qnanàe ^a^te se montre dansune élection, ce n’est jamais en vertu d’un texte spécial, constitutionnel, qui lui donne dans tel ou tel cas la faculté d’intervenir. Il n’invoque jamais que les principes généraux qui ont formé le pouvoir papal ; il n’a d’autre titre que son droit à gouverner. » Il faut donc se garder d’attribuer, comme le fait M. Lot, ajirès bien d’autres (Etude sur le règne de Hugues de Capet, p. 138), les immenses progrès de l’intervention pontificale au ix’siècle, au succès des faux célèbres par lescjnels un auteur, ou l’.n groupe d’auteurs, le pseudo-lsidorus Mercator, chercha à assurer aux évêques des garanties légales contre l’arbitraire croissant des seigneurs laïcs, la faiblesse de leurs eomprovinciaux, la tyrannie de ces dignitaires jadis créés pour la réforme, mais ayant alors grand besoin d’être eux-mêmes réformés : les archevêques. Les Fausses Décrétalbs (voir ce mot), qui tendaient à ramener l’institution archiépiscopale aux anciennes limites de l’institution métropolitaine et à fortifier les juridictions d’appel (primaties et S. Siège), ont sans doute profité à l’Eglise de Rome, mais tardivement qusqu’à l’alsacien Léon IX qui acclimata an delà des monts la conviction franque sur leur authenticité, elles ne sont utilisées par les papes qu’avec une parcimonie assez défiante). Si elles ont si bien réussi en France, c’estsansdoute parce que, dans leurs textes fabriqués ou démarqués, elles traduisaient une conception de l’Eglise et de son gouvernement en harmonie avec le développement de la conception traditionnelle.

« La primauté du Siège apostolique reconnue

par Hincmar et tous ses contemporains, écrit M. E.Lesxb (/.a hiérarchie épiscopale… en Gaule et en Germanie, 7^2-882, Paris, igoS, p. 226 sq.), autorisait par son ca /a t(è ; e/Hrfé/i ; i( le travail de pénétration dans l’Eglise franque d’un Xicolas I<^’. Ce n’est pas le pseudo-Isidore qui imagina et exprima le premier l’idée que le pape possède une compétence universelle ; elle l’inspira lui-même et fit tout le succès des pièces qu’il mit sous le nom des anciens papes… [Cette croyance est] le véritable facteur des transformations qui se préparent. .. Dans l’alTairc de Rothad, l’autorité de Nicolas 1° a fait plus que l’autorité du pseudo-Calixte, car un concile franc avait <léposé Rothad l>icn qu’il in ocjuàt sans douteles/’aus « e5 Décrélales, c.c…

3) La réintégration de Rothad à Soissons et le rétablissementdes clercs ordonnés par Ebbon de Reims et déposés par son successeur Hincmar eomjitent, en effet, I)armi les coups les plus sensibles portés par Nicolas 1" à l’organisation spéciale de l’église carolingienne : les archeê(pics se défendirent, et c’est cette défense qui a valu à leur{)rotagonistc Hincmar de Reims, au-I )rès (le beaucoup d’auleurs, son renom de père du gallicanisme (cf. H. ScnnoERs, Jlinhmar c. Jleinis, Fribourg en B., 188/)). On ne trouve pourtant pas chez lui une négation nette des prérogati%cs iionlificalcs. Sa doctrine sur l’Eglise, sur son unité mysliquedans l’administration des sacrements et roirran<lc (lu sacrifice, et son unité extéricm’e assurée par la primauté de Pierre, est correcte. Il a l<)uj(Uirs professé en théorie sa soumission au pape (concile de Douzy, P. /.., CXXVI, G08). Il paraît avoir admis la supériorité du pontife siu- les conciles généraux (/>?

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GALLICANISME

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dtvortio f.olliarii I l, P.L., CW.j ! --’/l191) ; a’ymrmi ; me il ("crivit celle phrase que la Sorljoiine gallii^ane eût ccrtainemenl censurée : « Sedes npostoticn] a fjua rifiis reliy ; ionis et ecclesiasticæ ordinationis, atque canonicæ judicationis prnfliixit (Opiisc. i.v, cap. adv. Ilincmar. I.attd., c. 35, /". /.., CXXV, ’lai). Sa pensée ne se laisse donc pas réduire, comme le dit Sclirors, aux quatre articles de 1682. Il a pourtant préludé à certaines prati<jues ou à certaines thèses du (, ’allicanisme postérieur : en maintenant, à l’eucontre de la centralisation romaine, ses droits archiépiscopaux, en s’opposmt aux appels à Home des simples prêtres (par respect pour le pape), et en ne les permettant aux seuls évèqjies qu’après licence du roi et <lu nu-lropolitain (P. /,., GXXVI, SiS-Sii-iSô etc.), en dislin^uant (en raison, il est vrai, de leur Ijnt et non de leur origine) entre la valeur permanente des canons et la valeur passagère des décrétâtes (ibid.385 etc.), en propageant la formule d’obéissance au pape seciindum coHofics (conciles de Troyes, Douzy et Ponthion). Au reste, à cette date, tout le monde, Nicolas 1" surtout, proclamée l’égard des canons un respect inviolable ; le pape rompit avec Photius et l’Orient tout entier pour les faire observer : les canons sont int an gi blés. Pourquoi ?(Juand on aura répondu à cette

« [uestion en mettant l’Eglise, qui les a portés, au-dessus

du pape, le gallicanisme doctrinal sera né. IhNCMAR dit au contraire : « Quatinits et apostoUca Sedes propriuni vigorem retineatet se concessa aliis jnni non miiiunt. » (P. /.., CXXVI, C38.) Il n’est pas encore gallioan.

Après lui, tandis que l’Eglise, avec toute la société occidentale, était entraînée dans la féodalité et le morcellement seigneurial (tendance antagoniste à toute centralisation royale ou pontilicale), les moines clunisiens(fondationdeCluny 910), étroitement unis au S -Siège, conservèrent la tradition ancienne, et, même sous des pontifes indignes, rendirent, dans toute l’Europe, plus présente et plus efficace encore l’action romaine.

[M. D.]

d) L’Eglise sous la monarchie capétienne

Il l’aul descendre jus(]u’en ggl pour trouver une ébauche doctrinale de gallicanisme ecclésiastique nettement caractérisée : elle fut p^o^oquée par la politique.

lIiGiKS CapeI-, le duc des Francs devenu roi par l’initiative des évêques, avait donné l’archevèelié de Reims à in prince carolingien, Arnoil, dont le serment do fidélité avait fait son homme. Ce vassal trahit son suzerain au profit de sa famille et fut fait prisonnier. Hugues et les suffragants de Reims demandèrent au jiape sa déposition. Jean XV, favorable aux prétendants carolingiens, tarda à répondre : le roi traduisit alors le captif devant un concile de treize évêques, réuni à S.-Basle de VerzyprcsReims, les 17 et 18 juin ggi.

Des moines, en particulier Abbon de Fleuhy, défendirent l’arelievèque. Abbon invoqua : 1° contre la procédure suivie, les Fausses Décrétâtes, prescrivant le rétablissement complet et préalal)Ie du prélat accusé ; 2° contre la compétence du tribunal, le droit exclusif du S.-Siège à connaître en première instance des Cansæ majores.

C’est à cette seconde allégation que le propre évêque d’.A.bbon, avec lequel le moine avait eu déj.i maille à partir, Ar.noil D’OnLiÎANs, répondit par un réquisil<pire violent contre les pré tentions pou liiicales. Tout l’essentiel du gallicanisme s’y trouve (P. /.., CXXXIX, 287-338).

Après avoir rai)pelé l’aventure du pape ^osime en

querelle avecles Africains au sujet de l’appel d’.piarius, l’évèqne d’Orléans déclare : « Rome doit être honorée, mais sans préjudice de l’éternelle autorité des canons ; un pape ne peut y déroger, surtout s’il est mauvais, comme le pape d’aujourd’hui ; si l’on veut nous réiluire à la règle de Gélase (Rome juge de toutes les Eglises, à la place des conciles provinciaux), que les.fricains n’admettaient pas, parce que Dieu ne refuse pas son assistance à tous pour la restreindre i un seul, qu’on nous donne un bon pape ! Nous avons fait inutilement toutes les démarclies exigées par les prérogatives du premier Siège. Si la cause est douteuse (seusgallican de la Causa mayr ; /-) nous consulterons un concile général, ou même (quoique les Africains n’api)rouvent pas cette procédure) le Pontife romain. Rome doit être honorée ; dans les cas diirujiles elle doit être consultée ; mais si sa réponse est inique, qu’elle soit anathème. »

L’archevêque de Reims confessa son crime, fut déposé, et Gkhbkrt installé à sa place. Jean XV protesta. Ses légals, Léon et Dominique, convoquèrent les prélats français en terre allemande : ceux-ci refusèrent de s’y rendre. Le pape les appela à Rome Hugues Capet lui lit offrir de venir lui-même en France En gg3-9g^, les évêques des trois provinces de Sens, Tours et Bourges, assemblés à Chclles en présence du jeune roi Robert, entendirent lui rapport de Gerbert sur l’affaire, et approuvèrent la décision de S.-Basle. L’Eglise de France semblait donc d’accord avec Arnould’Orléans et Gerbert. « Lex communis Er.clesiae catlwlicae, écrit ce dernier à Séguin de Sens (P. /,., ibid, 268), erangelium, apostoli, prophetae, canones Spiritu Dei constitnti et tolius nuindi re^erentia consecrati, décréta Sedis Aposldliciieuliliisnon discordantia. » Dans une lettre à Wilderod de Strasbourg, il mettra tout son gallicanismedans une brève formule, empruntée du reste à S. Jérôme : Orhis major est Urhe, édit. Havet, n° 217.

Cependant cette attitude de révcdte contreRome ne put se soutenir longtemps, du moins en public : la théorie qui l’apjjujait n’était ni ferme ni traditionnelle. Tout en contestant les prérogatives pontilicales,.rnoul s’était acharné à démontrer qu’on les avait respectées ; Gerbert, à certains moments, ne met plus en cause le privilège de Pierre, mais son usage : c’est le sens de la formule de S. Léon, transposée jiar Hincmar, sur laquelle il insiste : Aon ma net Pétri prii’itegiiim, ubicunu/ue non fertur ex ejus aequitate jiidiciiim. Cela n’est plus du gallicanisme, mais un appel au droit naturel. Il suflit au légat Léon de montrer un peu d’énergie, pour que le nouvel archevêque de Reims vint lui-même à Mouzon dès ggS, assurer qu’à S.-Basle on n’avait rien fait contre Rome. Ne lui avait-on pas expédié la fameuse relation requise dans les causes majeures ? (IS’iliitaclum yet agendum fuit quod apostolicæ.Sedi non fuerit retatum.) Au reste, on n’avait pas à consulter Rome pour déposer Arnoul de Reims, qui n’avait jamais étéarchevêquelégilime : il avait supplanté, en le dénonçant comme trop dévoué au S.-Sil’ge, Cerbert lui-même, véritable élu, désigné par Adalbéron, dernierarehevêque de ce siège ! En outre, le mal était si grave et demandait un remède si prompt qu’on n’avait pas eu le temps d’agir suivant les règles. Enlin.Vrnoul, reconnaissant que sa trahison l’avait rendu indigne de l’épiscopat, s’était lui-même condamné.

Pour étayer ces arguties, Gerbert rédigea et publia (peut-être en aggravant le gallicanisme de révéque d’Orléans) les actes du concile de.S.-Basle. Le légal y répondit par une lettre foudroanle et vint à Reims, où l’archevêque déposé et celui qu’avaient inironisé les évèqut’s français, comparurent devant lui, le 1" juillet ggo. Gerbert y défendit la 211

GALLICANISME

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procédure de 991 et son élection, avec modestie. Il avança même un argument inattendu : le concile mis en cause n’avait agi que comme délégué du pape ; il était présidé par Seguin de Sens, légat-né du S.-Siége en France. En terminant, Gerbert en appela au Souverain Pontife.

L’honnête Grkgoihe V avait succédé au simoniaque Jean XV. Il traita Gerbert d’i/iiasor, suspendit a difiiiis les juges de S. -Basic (que les lettres de Gerbert n’arrivaient pas à rassurer), et rétablit provisoirement Arnoul de Reims jusqu’au jugement apostolique à intervenir (998).

Par un étrange retour des choses, ce jugement du S.-Siège, Gerbert lui-même, devenu le pape Sylvestre 11, le rendit l’année suivante. Il rétablit définitivement son conqiétilcur ; mais sans renier la sentence de 991 :

« Aposlolici ciilmiiiis est, dit-il, non solum peccantihiis

consntere, veriini etiam lapsos eiigere (/’. L., CXXXIX, 2 ;  ; 3). llconstata sans doute que l’abdication d’Arnoul « roinano iissensii caruit » ; mais sans dire que ce défaut l’annuIàl. En tout cas,.S. Pierre au pom’oir duquel celui d aucun nuirlel ne peut être comparé, réintégrait dans tous ses droits le prélat déposé ; et désormais nul ne pourrait lui objecter ni son crime, ni sa condamnation.

L’explosion gallicane de 991 n’eut pas d’autres suites immédiates (cf. F. Lot, Etudes sur le rèjine de Hugues Capet, Paris, 1903).

[M. D. et H.-X. A.]

Malgré l’indignité de plusieurs successeurs de Sylvestre 11, l’action romaine, au xi’siècle, fait des progrès dans notre pays : les voyages ad lii/iina desvvchcvêques deviennent une règle de plus en plus suivie.

Il y eut pourtant des résistances. On moleste le pape sur le dos des moines exempts, ses protégés et ses agents. En 1008, c’est à Josselin, abbé deS.-Benoit-sur-Liiire, dont les amis ont maltraité l’évêque Foulques (l’Orléans, que les jirélats s’en prennen t. Us veulent lirùler la bulle d’exemption de son monastère. A la même époque, Raoul le Glabre, moine lui-même quoique gyrovague, parle sans ménagement delà vénalité romaine et luit intervenir Dieu comme défenseur des canons contre lesingérenccspontilicales. En mai 1012, raconte-t-il. Dieu punit par un cyclone l’attentat commis au nom du pape contre les ilroits de l’archevêque de Tours [lar le canlinal Pierre, ((uanil il consacra, malgré ce prélat et sur son territoire, l’église du monastère de Beaulieu : /.icet namtjue, ajoute Raoul ilans une phras^e célébrée i)ar les Gallicans, Puntifex liomanæ Ecclesiae, ob dinnitatem apostolicae Sedis, céleris in orbe constitutis roerentior haheatur, non tamen ei licel trans^redi in aliquo canonici moderaminis Icnorein (llislor., II, c. ^, édit. Prou, p. 34" ;. Rome, malgré les avertissements célestes, maintint l’exemption de Beaulieu. En 1026, des doléances semblables se font jour au concile d’.Vnse. qui invoque les canonsde Chaleédoine contre l’exemption accordée à Cluny.

Mais ici encore, on voit cond)ien ces velléités gallicanes sont inqmissantes à arrêter le courant traditionnel. Au cours de ce xi’siècle, malgré l’hostilité des évêques simoniaques et du roi Henri, S.LiioN IX peut inaugurer en France, au concile de Reims(io49), l’œuvre gigantcsque de la réforme ecclésiastique. C’est le pape ipii agit et oblige les ])rélats tièdes à frapper sans ménagement les indignes et les indociles, même s’ils sont puissants. Les légats poursuivent la même fâche : ils suppriment peu à peu tovites les garanties que les anciens canons assuraient aux évêques accusés, et malgré cela, il n’y a point de révolte doctrinale. Ce ne sont pas en effet des op positions établies sur une théoriegallicane que celles des prélats de Paris, qui en io~4 faillirent massacrer l’abbé Gauthier de Pontoise, défenseur des décrets de Grkooirk Vil sur le célibat des clercs, décrets importabilia ideoque irrationalia, disent ces obstinés concubinaires (II i’iia, c. 2, n" 10. Acta Sanclorum, 8 avril), ni celles des évêques qui, sous Urbain II, se déclaraient prêts à absoudre des censures pontificales leur protecteur simoniaque, le roi Philippe I".

2) La France du xir siècle et celle du xiii’siècle n’était pas un milieu favorable à l’éclosion d’une ecclésiologie gallicane : la papauté entraînait aux Croisades le inonde occidental. Persécutés en Italie, les pontifes de Rome trouvaicnten France un asile et des défenseurs ; la protection apostolique, inaugm’ée chez nous, s’étendait de plus en plus aux lieux et aux personnes ; les clercs usaient et abusaient de l’appel au pape (si bien qu’en 1 198 Innocent III de%Ta prescrire de n’en pas tenir compte en certains cas et de punir les clercs usuriers, nonobstant tout appel). Le progrès même, à cette époque, d’un certain gallicanisme politique n’a pas entraîné un progrès parallèle du gallicanisme ecclésiastique. « Chaque évcque, écrivait alors S. Beiinard à Eugène III (De consid., c. 8, n° 15 et 16). a un troupeau qui lui est particulièrement assigné ; pour vous, tous les troupeaux ensemble n’en font qu’un seul, qui vous est confié. » Ailleurs (De erroribus Abætarbi præf., P. L., CLXXXII, io53), l’abbé de Clairvaux professe l’infaillibilité pontificale (Ibi potissimum resarciri damna fidei ubi non possit /ides sentiri defectum). Toute l’école lui fait écho. S. Thomas emploie des formules plus précises (cf. Il" II’*, q. i, art. 10, etc.) et aussi S. Bonaventure. Pour ce docteur, toute juridiction découle du pape : Cliristi yicarius… a quo tanquam a summo derii’olur ordinata potestus usquc ad infinia niembra (Brefiloquium, vi, 12) et Guillaume Durand, le Spéculateur, est en parfait accord avec les autres maîtres (Hationale divinnrum o/ficioruni, 11, c. i, n" >"})’Apostolica autem jides… caput et cardo est aliaruni : qnoniam sicut ostiuni curdine regitur, sic illius authoritate omnes Ecclesiæ reguntur… Illius autem prætalus papa, id est pater patrum, vocatur, et unii’Crsalis, quia unifprsæ Ecclesiæ principotur, et apostolicus, quia princii)is npostolorum vice fungitur, et Summus Pontifex, quia caput est omnium ponti/icum a quo illi tanquam a capite membra descendant et de cujus plenitudine omnes accipiunt, quos ipse vocat in partent sollicitudinis, non in plenitudinem potestatis. Toute l’Eglise de France enfin, assemblée au concile (ccuménique de Lyon (127^) ad(q)le la ])rofession de foi de l’empereur grec Michel Paléologue, Dciizinger Bannwarf, f('>ù (889) : la sainte Eglise romaine a sur l’Eglise universelle une primauté (principatum) suprême et pleine… Si au sujet de la foi quclquc problême est agité, il doit être défini par soti jugement. Tmit fidèle, et en tout état de cause, iieut recourir à son tribunal. Elle , 1 la plénitude du [louvoir, et appelle les autres Eglises au partage de sa sollicitude.

Les faits parlent encore plus clairement que les textes. Ils sont inconciliables avec les doctrines gallicanes postérieures. Ils semblent être l’expression pratique de ce jxuivoir immédiat et souverain, atteignant tout fidèle en particulier comme l’Eglise entière, que définira cx[>licitement le concile du Vatican : réservede certains péchésau pape, réserve de certains bénéfices à sa collafion ; dès le temps (I’Innocent II, on trouve des recommandations papales aux collaleurs, sous Lucius H îles mandata de confcrendo, sous Innocent III des grâces expectatives au temps de S. Louis (iaG5), Clément IV établira la première réserve générale des bénéfices vacants in curia. En 213

GALLICANISMR

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1232, GKKGOinK IXinsliluc rimiuisileur, jiijje dék-jjiu|K-niianeiU [>ar l((|iiel l’autorilé ponlilitalc, dans le diocèse « If révéi|iie, frappe directement ses diocésains suspects d’Iiérésie. En laS^. le uiênie pape transmet aux Universités de Bolojfiie et de Paris la eoUeclitm des /iéc/é/ « /es(Spoléte, 5septenil)re) : Voleiites… ut hue tanliiiii cumpilalione uniKCrsi uluntur in judiciis et III scliolis. Le code de la calliolicité lui est imposé par le pape seul. Quand Alexanduk 1’fera entrer de force les mendiants dans le Stiiiliiini parisien, la lutte sera chaude ; mais toujours les universitaires protesteront de leur soumission au S.-Siège et ils obéiront.

La seconde moitié du xiii’siècle est du reste le temps des papes français : Ukbai.n IV, Cli’j.ment IV, I.NNor.KNT V, Mautin IV. Le premier fit entrer dans le Sacré CoUèffe autant de ses compatriotes qu’il y avait d’italiens (sept). Alors s’inauyura cette es[>èce de gallicanisme (si on peut ainsi le nommer) qui triomphera aux. jours d’Avignon, « tendance, dit M. N’oiiL Valois, non pas à écarter la papauté |ou à diminuer son pouvoir], mais au contraire à l’attirer rt jusqu’à létoulTer dans nos bras. » (/.a France et le grand Schisme. II, /i^g.)

|M. D. ; i

Cependant, dès cette épotpie aussi, s’annoncent les abus et les mécontentenunts qui amèneront un con(lit durable entre l’Eglise gallicane et l’Eglise de Rome. La fiscalité pontificale, obligée de faire face aux charges des croisades et aux déveloi)i)ements croissauts de l’administration romaine, s’appesantissait sur les églises locales. L’ingérence pontificale s’étendait de jdus en plus en matière bénéliciale. Dès lai’ ; , le clergé proteste contre le nombre excessif des collations papales. En i-ibû, S. Louis fait des observations à la Curie sur l’augmentation exagérée de ses taxes {Arch. Aal., K. 32). En 1-262, quand Urbain IV demande un subside pour entrer en lutte contre Michel Paléologue, l’archevêque de Tours, dans une assemblée épiscopale, déclare les impôts pontilicaux si onéreux qu’on ne peut plus payer. Les archevêques de Reims, Bourges et Sens, les évêquesde Màcon et d’.utun, absents de la réunion, réitèrent les mêmes plaintes dans une lettre collecli^e adressée au souverain pontife. Le pape cependant, dès l’année suivante, demande pour cinq ans un centième du revenu ecclésiastique, requête motivée par la guerre contre les.Sarrasins. L’Eglise de France refuse d’abord. Les |irogrésdu sultan et l’insistance de S. Louis fléchissent le Clergé qui l’accorde (novembre 1203). non en lertu des ordres apostoliques, mais comme don folonlriire. .près la mort d’Urbain IV, Clk.mhnt IV eut quelque peine à percevoir le reliquat de ce centième. Trois ans après, lui-même réclame un (/éc// » e. Toute la province de Reims proteste, prête à braver les censures pour faire cesser l’abus (Raynaldi, ann. 126^, 5j-5y). En 12^4. fil concile de Lyon, dans un mémoire fameux, notre clergé se plaint avec acrimonie de l’avidité romaine. Le synode reconnait les abus, et s’attache à réprimer les excès des collecteurs. Les mêmes préoccupations modératrices inspirent ses décrets contre les appels frivoles et sa désapprobation des trop fréquentes interventions pontificales au détriment des collateurs naturels des bénéfices… Mais la machine était lancée, des catastrophes seules pourront l’arrêter : en France, de 1296 à 1301, sur seize vacances épiscoi)ales, il n’y eut qu’une seule élection. Cf. U.-X. AKc^uiM.iKnE, I.’EidlulioH du gallicanisme sous Philippe le liel (en préparation). Les doléances s’élèveront vainement pendant tout le xiv’siècle : le système administratif et fiscal de la pajyauté était trop intimement lié à l’inlluence et au ministère pastoral

du souverain pontife pour que celui-ci put y renoncer sans y être contraint par des résistances insurmontables.

[II.-X. A.]

c) Les temps d Avignon et du Schisme

1) On dit souvent que les doctrines du gallicanisme ecclésiastique apparurent à l’occasion de la querelle de BoMKACE Vlli et de Puilutb i.i : 15el : le dominicain Jban de Paris passe pour avoir prononcé alors la formule : Conciliiiiit mnjus est papa sulo. Si la chose est vraie, Jean de Paris, sans être un isolé, ne rei)résente pas ro|>iMion moyenne île notre clergé. C’est au pape IJoniface que s’adressent r.irchevèque de Reims, Pieure Baruet, et lesévcquesct abbés de sa province pour le prier de retirer la bulle Clericis laicos, au pape aussi que nos prélats demandent de ne point conférer de bénéfices à des étrangers non résidents. L’assemblée même du Louvre (ij juin 1303), où 21 prélats adhérèrent, avec les légistes et les barons, à l’appel au Concile de Nog.vret et de Plaisun, entoura cette adhésion de tant de réserves <iue la prérogative pontificale semble n’avoir pas été mise en cause (IIefele, Cunciliciigeschichle, VI, 23yS).L’appelqu’acccpte notre Egliseest, au fond, ra[)pel même desCoLONNA(1297-12y8) : jiour eux Bonifacc n’est qu’un intrus, parce queCéleslinV n’avait pas le droit d’abdiquer ; depuis la mort de celui-ci (1296), l’Eglise n’ai)lus de chef, il faut un concile pour remédier à ce mal. Les légistes français ajoutent à la thèse des Colonna une considératioij qui n’est pas plus gallicane que la précédente : Bonifaceest notoirement hérétique ; si jamais il a été pape, il a dimc cessé de l’être (cf. H. X. ARQriLLiiaiK, Lappel au concile sous Philippe le Ilel et la genèse des théories conciliaires. Ii’eviie des Quesi. Iiistorir/iies, 1911, LXX.XIX, p. 23-55). Vieille doctrine, très propre à engendrer la thèse de la supériorité du concile sur le pape, mais qui n’est pas gallicane : antérieure même au cas d’HoNORRS, explicitement ])rofessée par Hadrien II. InnocentIII et Innocent IV, admise dans le Décret de Ghatien, reprise par Clément V, Paul IV, Hadrien VI, etc., défendue [larCAjÉTAN et Bellarmin, déclarée doctrinu communi.-siina i)arToLFT, la théorie du pa])e (ilocteur [irivé) hérétique notoire, exclu de l’Eglise cl déchu ipso facto ou après sentence déclarative du concile, peut être encore aujourd’hui librement enseignée. Le gallicanisme ecclésiastique devait naître seulement au cours du xiv siècle, du besoin d’une réforme in capite et in memhris, des théories ])hilosopliiques introduites à l’Université de Paris, du scandale du grand Schisme.

Cf. R. ScHOLZ, Die Puhlizistik zur Zeit Philipps des Sckonen, Stuttgart, igo3, p. 208 sq.

|H.-X. A. et M. D.]

2) C’est à Cli’ment V « lue Guillaume Durand II, évêque de Mende (neveu du Si>éculateur), adresse son Œ modo concilii generalis celebrandi, qu’il aurait mieux nommé De reformiitione Ecclesiæ in capite et in memhris. Sous prétexte de revenir à l’antiquité, l’évêque de Mende propose de bouleverser de fond en comble la constitution ecclésiastique. C’est un épiscopalien. Le bien de l’Eglise et de l’Etal exigent la limitation du pouvoir papal et sa soumission aux canons. Il faut relever le pouvoir des évêques que les fonctionnaires pontificaux traitent aujourd’hui lie si haut, et qui sont i)ourtant successeurs de ces Apôtres qui pareiii cuui Pctro honorent et polesluleni acceperunt a Deo (yinv^ III, fit. 37). Dans son diocèse, l’évêque doit être maître absolu, avoir la cura pecuniarum comme la cura aniinarum, sans qu’il y ait de 215

GALLICANISME

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religieux exeiiii>U qui sont, dit-il, acéphales. L’cpiscopat doit intervenir dans le gouvernement de l’Eglise universelle, se réunir deux fois par an en conciles provinciaux qui nommeront des exécuteurs de leurs décrets, tous les dix ans en conciles généraux dont le pape fera oI)server les canons.

Guillaume Durand était en avance d’un siècle.

Au début du XIV* siècle, il ne parvint qu'à se faire mettre en prison. Au Concile de Vienne, premier concile de réforme (ad reparaiioiiem, ordinaiiunem et stabiUialein Ecclesiarnm et ecclesiasticarain pcisonaruin et lihertatem eariim, dit la Inille de convocation), l’aljbé de Chailli proclame au contraire que le i>ape est pasteur immédiat de tous les chrétiens, et qu’il a tout pouvoir spirituel et temporel pour les conduire au salut (Hist. Kgl. galL, t. XII, p. 46g). Si Guillaume lk Maire, évêque d’Angers, se plaint de s'être vu enlever en vingt ans d'épiscopat sur trente-cinq vacances des trente bcnéliues à sa collation, trente-trois fois le droit d’y pourvoir, c’est au [lape lui-même qu’il demande respectueusement de remédier à cet abus. Ses collègues et lui laissent la curie en possession de ses droits liscaux (il est vrai que phisieurs ayant proposé de les remplacer tous par un impôt du vingtième, on y renonça, de peur que Rome, acceptant cette nouvelle taxe, ne maintint par surcroît les anciennes). Jamais concile ne fut dominé par l’autorité pontilicale, comme ce concile, le dernier avant ceux du grand schisme ; c’est sur le pontife romain que tous comptaient pour la réforme de l’Eglise dans son chef et ses membres et ce pontife était Clément V (V. Arcliiy fiir Lilerat. and h’irclieng., t. 111).

La réforme ne se fit pas. Les tentatives de Benoit XII et d’UuB.iN V avortèrent : le nombre des collations pontificales s’accrut démesurément, Urbain V Unit par se réserver tous les gros bénéfices. La fiscalité pontificale, tout en se régularisant, se lit chaque jour plus pressurante. Dans les douze ou dix sept collcclories de France, collecteurs et sous-collecleurs centralisaient les droits de dépouilles, les décimes, les annales, les vacants devenus énormes de|iuis la réserve générale de Jean XXII, les procurations, les cens, les services caritatifs, etc. D’autre part la curie, à chaque promotion où à chaque voyage ad liinina. percevait du nouveau titulaire ou du visiteur, les services communs, les droits de bulle, de pallium, etc., etc. (cf. Ch. Samahan et g. Mollat, la /iscalite ponti/irale en France au xiv « siècle, Paris, iijo5). Les sommes considérables ainsi obtenues par la chambre apostolique, ont servi sans doute à de grandes œuvres, dont les moindres furent les merveilles artistiques du château de Sorgues, de la Chaise-Dieu, du palais des Doms ou la restauration des uumuments de l’aiiciennc Home ; elles ont été le nerf de la grande politiijuc poursuivie, de la Hongrie jusqu'à l’Espagne, par des pontifes qui n’ont rien laisse prescrire des prétentions de Boniface VIII ; elles ont alimenté la guerre nécessaire contre le roi allemand et les Italiens ou la Croisade, elles ont été em|)lojèes à doter des universités nouvelles, à souli’uir (c’est la gloire spéciale des pontificats avignonnais) les missions envoyées aux Etats barbarescpu-s, au Maroc, en Eg.vpte, en Nubie, en Abyssinie,.aux Indes et jusipTen Chine (cf. J. Doizii, /.es finances du Saint-.Sii’ge au temps d’Avignon, Etades, CGXI, 1907, p. 153). Mais le peu])lo savait aussi que ces trésors sacrés avaient satisfait l’avidité des parents de UnnTn.4.Ni) m ; Got et entretenu le luxe de Clkmknt VI, scandale que la simplicité ou l’austérité de ses successeurs (quelipiesuns sont béatiliés) n’a qu’en partie atténué. Déjà sous Bonifacc VIII, le franciscain spirituel Uiieutin DE Casal invectivait contre le faste du vicaire de

Jésus-Christ ; sous les papes d’Avignon, libertin est dépassé de loin, par les fratieelles ; les défenseurs mêmes de l’autorité pontificale, Alvar Pelayo, Pétrarque, les saintes Catherine de Sienne et Brigitte, etc., ne sont pas jilus indulgents pour les abus de la curie. La France fut longtem])s moins sévère : les papes d’Avigium étaient français, nos rois touchaient une large part des impôts levés sur les Eglises ; quant à nos clercs, ils avaient trop à attendre des uniques distributeurs de la fortune ecclésiastique, pour oser en parler librement. La première année du pontificat de Benoit XII sur 1679 faveurs, provisions ou expectatives, accordées par la cour d’Avignon, 12618 sont pour la F’rance, 315 seulement pour tout le reste de la chrétienté ! Au xiv siècle, au dire de Gerson, la doctrine de la France sur le pouvoir pontifical est l’ancienne doctrine traditionnelle, exagérée jusqu'à l’adulation (op. tiers.. II, 2^7). Il faudra le concours d’autres causes pour que du désir des réformes naisse le gallicanisme.

3) Deux hommes, un Italien et un Anglais, professeurs à l’Université de Paris, ont eu une grande, bien qu’inégale, infiuence sur le développement des doctrines gallicanes.

Le Defensor Pacis, que Marsile de Padoub (né en 1270) porta de Paris à Louis de Bavière en lutte avec Jean XXII (iSa^), est absolument révolutionnaire. Dans l’Eglise comme dans l’Etat, l’autorité réside dans le peuple qui, i)ar le vote de sa majorité, la délègue, la retire, la modifie à son gré. Au ccmeile, le peuple fidèle est juge de la foi et règle la discipline par ses représentants. Le chef élu n’a jamais qu’un pouvoir instrumental. Cependant le prêtre reçoit immédiatement du Christ le pouvoir de consacrer son corps et son sang et de déclarer les péchés remis. Ce sacerdoce est égal en tous : Pierre, qui n’est peut-être jamais venu à Rome, n’a eu aucune juridiction coactive sur les autres apôtres ; de même ses premiers successeurs sur leurs collègues. En somme, pour Marsile, l’Eglise n’est pas une société, mais une doctrine : on peut rapprocher cette théorie du gallicanisme extrême de nos parlementaires à la fin de l’Ancien régime. Ces idées, enqu’untées aux théories multitudinistes d’Aristote, dont saint Thomas avait fait une application judicieuse au pouvoir séculier et dont Marsile fait une application paradoxale à l’Eglise, finirent jjar [)énétrer, non sans résistance, dans la pensée de nos théologiens. En 1375, il court à Paris une traduction française du Defensor Pacis. Le pape s’en inquiète au point de faire jurer à tous les maîtres de la Faculté <|u’ils ne sont pas compromis dans ce scandale. L’auteur anonyme qui, sur l’ordre de Charles V, compila le Songe du Vergier, emprunta à Marsile l’idée que la prééminence de Rome sur les autres sièges est due à une concession des princes I, 58).

GiîillaumeOcku-vm (morten 1847), franciscain spirituel, est aussi un polémiste au service de Louis de Bavière. Il s’enfuit près île lui en 13j8, aii plus fort de la i|iierellc entre s<'s amis et les frères de la communauté, aiuès avoir introduit dans l’Ecole de Paris un nominalisme fort en vogue au xiv° siècle : il en est Vlncejilor venerabilis. Son principal ouvrage sur la constitution de l’Eglise est un Dialogus, genre qui autorise toutes les libertés, niais où la pensée personnelle de l’auteur ne se laisse i)as toujours discerner, surtout ipiand l’auteur est, comme Ockham, sinon un sceptique, du moins un douleur. Pour lui, seniblel-il, Pierre et ses successeurs ont une réelle ])riiiiauté de juridiction qu’ils tiennent du Christ. Celui-ci a donné au pape, pour le salut spirituel des fidèles, tout le pouvoir qu’on peut confier à un homme seul, 217

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sans danger pour le bien commun, sans détriment notable des droits qu’assurent aux princes et aux particuliers, après comme avant la loi évangclique, le JUS nalurale et le jus chile (Vialogus, Pars Ul, tract. I, 1. 1, c. 17). Au cas où ce pouvoir unique devient dangereux pour le salut éternel ou pour les droits temporels des peuples, il n’est pas interdit de changer la constitution même de l’Kglise, Ockham allirme sans cesse la supériorité du concile sur le Pape. Il distingue l’Eglise indéfectible, qui peut être réduite à une seule bonne femme, et sa hiérai’chie toujoui’s faillible.

4) On se fait diflicilement une idée de l’angoisse créée au xiv= siècle par ces coups inouïs et répétés : le « grand refus » de Gélbstin V, le procès d’hérésie et d’immoralité, encore troublant poiu- nous, que Ci.KMEXT V permit d’ouvrir contre la mémoire de boNir.vcE VIU, les accusations d’hétérodoxie lancées par les fralicelles, les dominicains et l’Université de P ; iris, et contii’mées par Benoit XII, contre les théories de Jbam XXll sur le délai de la vision bcalilique. C’est le temps des espérances joachimites, on attend le règne de l’Esprit, le retour de S. François, l’avènement du pape angélique qui remplacera l’antéchrist de Rome ou d’Avignon. Cependant, malgré ce trouble i)rofond, s’il n’y avait pas eu le scandale du grand schisme (iS^S), jamais le désir des réformes, ni les théories révolutionnaires de Marsile et d’Ockham n’auraient fait du gallicanisme une doctrine presque officielle dans l’Eglise.

Le serment des cardinaux, auteurs de la double élection de Rome et de Fondi, entraîna Charles V et ses alliés dans l’obédience d’Avignon. Il ne convainquit pas le reste de la chrétienté : on eut deux papes s’anathémalisant. Chez nous, malgré les malheurs de l’Eglise et de l’Etat, la cour d’.^vignon, remarque le Religieux de Saint-Denis, se fit plus fastueuse encore, solito pomposior : les frais de ce luxe insolent au sein de cette détresse grandissante que le P. Demfle a pu décrire sous le titre de désolation des églises et monastères, furent supportés par notre pays presque seul, sans qu’il eût même l’avantage de posséder le pape reconnu par tout le monde. Les princes français attendirent la mort île Clé.ment Vil, leur parent (iSg^) pour se détacher du pontife d’Avignon, le pays fut sur le point de se détacher même de la papauté.

L’Université de Paris, alors dans tout l’éclat de son iniluence européenne, assuma tout de suite la tâche de rétablir l’union..u nom île cpiels principes ? Xon pas au nom de ceux qui prévaudront à la lin de la crise. Ils furent pourtant exprimés dès son début. En 1380 Pierre d’.Villy, alors tout jeune, écrivait : Quis in Pelri in/irmitale Ecclesiæ firmitateni stabiliat : ’(op. Gerson, I, 604). Question douloureuse, née du scandale. Il répond : l’autorité suprême de l’Eglise n’est donc pas dans le pape, mais dans le concile des prélats tenant leur juridiction immédiatement du Christ, le pape n’a qu’un pouvoir ministériel, sa primauté n’est pas liée au siège de Rome, que le concile pourrait lui ordonner de quitter. Un maître plus mûr, Conrad de Gel-nhausex, dans deux éditionsde son Epistola concordiæ (13yg-1380) avait été plus hardi encore : Le i)ape est soumis au concile, lequel est lui-même un simple congrès de représentants de l’Eglise : « Multaruni personarum rite convocatarum gerentium vicem diiersorum statuum, totiiis Christianitatis. » Le pape et le Sacré Collège peuvent errer, mais non l’Eglise ; celle-ci a deux chefs, l’un essentiel et indéfectible : le Christ ; l’autre que la mort ou le péché peuvent lui enlever sans qu’elle en meure : le pape.

Ces idées révolutionnaires ont mis longtemps pour s’imposer : elles n’ont pas inspiré les premières démarches des universitaires. Au reste, d’abord les directeurs du mouvement, Simon Cra.maud par exemple, patriarche d’.lexandrie, élève de l’université d’Orléans et docteur in utrotjæ jure, ont été des juristes, spéculatifs moins audacieux que les théologiens. Dans les diverses assemblées du clergé, on peut suivre d’étape en étape les progrès que la pression des événements fait accomplir à la doctrine. Cf. J. Haller, Pupsttum und Kirchenreform, Berlin, iijo^ ; Nocl Valois, La France et le Grand Scliis/ne d’Occident, Paris, 1896-1902 ; L. Salembier, Le Grand Schisme d’Occident, Paris, 1902.

Les maîtres de Paris ont voulu forcer les papes rivaux à la cession simultanée. Dès que la cour les laisse agir, ils tentent d’y réduire Benoit XUI par la misère ; de là la soustraction partielle d’obédience : interdiction des collations papales et du payement de ses taxes — pratiquée du reste par des pays restés lidcles jusqu’au bout, comme l’Aragon, auxdoctrines anti-gallicanes. Elle fut votée aux synodes nationaux de 1395 et iSyô. C’est une voie de fait, disait Cramaud en iSyS, la seule qui soit ouverte contre celui qui n’a point de supérieur sur la terre. En 1397, l’Université avait fait observer au roi que les avantages temporels assurés aux deux prétendants par l’extrême étendue de leur droit de provision et de taxation, était la cause même de leur obstination dans le schisme ; pour remédier au mal présent, même pour en prévenir le retour, il fallait restaurer l’ancienne liberté : c’est ainsi que la question de la réforme se greffa sur celle de l’union… au grand désespoir de Gerso.n, qui eût voulu sérier les deux problèmes. Les résistances de Benoit XIII déterminèrent la première soustraction totale d’obédience (1398). On déclara le pape suspect d’hérésie, on ajouta ijue le pontife, n’ayant reçu pouvoir que pour édilier l’Eglise, ne devait plus être obéi quand il la détruisait. Beaucoup de Français excipèrent du cas de nullité contre cette décision — les Toulousains en particulier, dans une lettre célèbre. Notre Eglise ne iml vivre sans le pape : en 1403, sur les promesses que le duc d’Orléans prétendait avoir reçues de Benoit XIII, on lui restitua l’obédience. Le pape d’.vignon ne sut pas être modéré dans sa victoire, il ne tint pas ses prétendues promesses, laissa passer l’occasion de s’entendre avec son rival (plus désireux encore que lui d’éviter une entrevue), menaça le roi de France d’excommunication et de déposition. Il provoqua ainsi la seconde el délinitive rupture de 1406-i 407. Le concile seul pouvait réduire les pontifes récalcitrants. Jusqu’alors, toutes les fois qu’on avaitparlé de cette solution, par exemple en 13y4, les maîtres de Paris, tout en reconnaissant le droit exclusif des prélats à siéger dans cette assemblée, avaient demandé que poiu- cette fois on adjoignit aux évêques suspects de partialité envers le pape qui les avait promus, des docteurs impartiaux. Le plus souvent, ils n’atrirniaient la compétence du synode que sur un pape suspect d’hérésie, ou faisaient observer que le concile ne porterait pas de sentence sur la personne d’un pape incontesté, mais chercherait à savoir qui était le véritable pape. En iiio6, au contraire, en réponse au passage de la lettre de l’Université de Toulouse airirmant qu’iln’est jamais permis d’en appeler d’une sentence poutilicale, les Parisiens écrivaient : « Il s’en suivrait que dans aucun cas l’Eglise uniterselle ne serait supérieure au pape.’Or il est néanmoins constant parles Saintes Ecritures que l’Eglise universelle ne peut ni pécher, ni errer dans la foi, que le pape a été institué pour l Eglise et non l’Eglise pour le pape, et qu’enfin le pape, considéré même comme tel, est membre de 219

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l’Eglise. Par quelle raison doncla partie ne seruil-elhpas soumise au tout ? Celui qui peut pécher à cellf qui est impeccable, celui qui peut faillir à cette qui est infaillihle.’C’est aussi une ma.rime aouée d’Aristote et des anciens philosophes de la Grèce qui ont écrit sur le gous’ernement, que tout corps politique, lorsqu’il est bien ordonné, l’emporte sur le prince s’il est seul de son côté, et peut-être pourrait-on dire qu’on n’est obligé d’obéir aux ordonnances du prince qu’autant qu’elles sont fondées sur le droit divin ou sur l’autoritk de toute la commi : nautk(i>u Boulay, Hist. Universit. Paris., V. 35). Dans le même sens, Gerson dit dans son traité De auferibilitnte Papæ : Comme toute commniKiuté politique, l’Eglise peut corriger son prince et, s’il est incorrigible, le destituer ; c’est un droit essentiel à toute communauté, aucune loi ne peut l’en priver. » Tout le gallicanisme universitaire est là, l’iniluence d’Ockliam et même de Marsile y est sensilile. Ce n’est plus la tradition, quoiqu’on l’invoque, qui règle la pensée mais une théorie philosophique, et celle théorie est démocratique. L’Eglise seule a reçu directement l’autorité, dont elle délègue une partie au pape, son ministre.

Cependant, la grande aristocratie ecclésiastique, cause initiale du schisme, s’unissait alors, pour le réparer, àladéinoeratie universitaire. Les cardinaux romains, abandonnant Grkgoirk XII, en avaient appelé de leur pape à Jésvis-Christ et au concile général, a quo et in quo soient gcsia etiani sunimorum Ponli/uum quæcumque pertractari, decerni et judicari. C’était aller bien loin. Les trois universités de Bologne, Florence et Paris, consultées sur les pouvoirs du concile convoqué à Pise par les cardinaux de deux obédiences, répondaient avec plus de mesure que, dans les circonstances actuelles, un pape i)arjure et suspect d’hérésie était soumis au jugement de l’Eglise, et que les dillicultés insolubles depuis trente ans et l’opiniâtreté des deux rivaux autorisaient leur déposition. Conformément à ces princii)es et après avoir entendu, le 29 mai 1409, Piekre Plaoul déclarer au nom des qualre universités françaises, et l’évêque de Novare, au nom des universités de Florence et de Bologne, que Benoit XIII et Grégoire XII étaient formellement hérétiques, les vingt-trois cardinaux, les douze archevêques, les quatrevingts évêques, les quatre-vingt-sept abbés, les cent deux procureurs d’évêi|ucs absents, les deux cents procureurs d’abbés, les délégués de treize universités et les trois cents docteurs formant le concile de Pise, chargèrent, le 5 juin, Simon Cramaud de lire loir sentence : les deux papes convaincus d’être schismatiques, héréticiucs, parjures, scandaleux, opiniâtres et incorrigibles, sont (/aso/<(c^) retranchés de l’Eglise, et par c<)nscquent déchus : ad ciiulelam, le concile les en retranche lui-mcmc et déclare le Saint-Siège vacant ; il supplée aux défauts possibles des promotions des cardinaux des deux obédiences et les rend aptes à faire l’élection pontificale. Un conclave de Pise, le Franciscain candiote Pikrre Philahgi sortit pape avec le nom d’Alexandre V.

Par malheur ce concile, si nombreux qu’il fût, ne représentait pas l’Eglise entière : la moitié des archevêques, plus d’un tiers (les évê(]nes et des aljbés, un cin<iuième des procureurs étaient frani ; ais ; les Espagnols, les Ecossais, les Napolitains, une partie de l’Allemagne et de l’Italie s’étaient totalement abstenus. Le roi des Romains, RoriEUT, avait solennellement protesté contre la réunion. Benoit XIII à Perpignan et Grégoire XII à U<line-.qnilée, avaient tenu des anti-conciles et conservé leurs (idèles. Au lieu de deux papes douteux, il y en avait désormais trois. Le concile œcuménique paraissait, de plus en plus,

comme la dernière planche de salut et l’unique moyen de réunir la chrétienté divisée.

Le nouveau pape que la France reconnaissait ne fut pas longtemps l’homme des universitaires : ce moine favorisait trop les mendiants. Contre une de ses bulles, Gerson défendit, le 28 février 14’0, une thèse destinée à entrer dans la future synthèse gallicane : il y établissait une doctrine déjà professée par Guillaume de S.-Ajnour au xui’siècle, pseudo-Isidore au IX* et même par Gcsaire d’Arles, au vi"^, presque à l’origine des paroisses rurales (si l’admonition synodale que lui attribue Dom G. Nbu’in est de lui. Bev. Bénédictine, IX, 1892, p. gg). Cette thèse faisait des curés les successeurs des soixante-douze disciples, et de leurétat un état de droit divin, une prélature ordinaire, essentielle à l’Eglise, plus parfaite que l’état religieux. Sous Jean XXIII, qui succéda, le 23mai 14’0, à Alexandre V, les mauvaises pratiques, sujipliques, expectatives, avec leur cortège d’annales, vacants et dépouilles, l’imposition de subsides, etc., reprirent leur cours : son concile de Rome(1413) aggrava le mal en accordant aux princes des induits pour pourvoir eux-mêmes aux bènétiees que le pape se réservait. Cependant les hérésies de Wiclef et de Jean Hus, hérésies mystiques, mais destructrices de toute autorité dans l’Eglise connue dans l’Etat, bouleversaient l’Angleterre et l’Allemagne. Le nouveau roi des Romains, SigisnM)nd, força Jean XXIII à couaoquer à Constance un vrai concile de réforme et de défense de la foi. Ce devait être en plus un concile d’Union. Il déposa Jean XXIII et Benoit XIII, reçut la démission de Grégoire XII et élut Martin V, que la chrétienté entière reconnut. Ce fut enfin le concile qui lixa la doctrine gallicane.

Dès le début, Pierre d’AiLLV y avait fait donner voix décisive dans les congrégations des nations aux docteurs et ambassadeursdesprinces : ils préparaient avec les évêques les décrets acclamés ensuite en sessions conciliaires : ainsi se traduisaientdansles faits les conceptions ecclésiologiques de l’Ecole de Paris. La fuite de Jean XX1II(20 mars 1 415) faisant craindre la dissolution de l’assemblée, les Pères s’armèrent de ces doclrinesconlre la mauvaise volonté du pape. Voici le texte des fameux décrets des iv « et V sessions (30 mars, 6 avril) : « Le saint synode de Constance, dit le décret du 6 avril (reproduisant et complétant par la menace de peines, celui du 30 mars), formant un concile général légitimement réuni dans le Saint-Esprit pour l’extirpation du schisme, l’union et la reforme de l’Eglise de Dieu eu son chef et ses membres, pour la gloire du Dieu tout-puissant, alin de procurer plus facilement, plus sûrement etplus librement celle union et cette réforme de l’Eglise de Dieu, ordonne, délinit ctdcclarece i|ui suit : Il est lui-même légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, concile général représentant l’Eglise catholique et tenant immédiatement du Christ un poinoir auquel tous, de quelque état ou dignité qu’ils soient, même papale, sont tenus d’obéir en ce qui concernela foi (alias la fin) et l’extirpation du dit schisme et la réforme de l’Eglise en son chef et ses membres. En outre, quiconque, de quelque condition, état, dignité qu’il soit, même papale, refusera avec obstination d’obéir aux mandats, statuts, ordres et préceptes de ce saint synode ou de tout autre concile général légitimement assemblé, fait ou à faire sur les matières susdites ou connexes, sera soumis, s’il ne se repent, à la pénitence qu’il mérite et puni comme il le faut, même en recourant au besoin aux autres moyens de droit. »

On a discuté ailleurs (art. Conciles) la valeur Oogmatique de ce décret de circonstance, au sens probn221

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blcment Uiuilé au présent concile et à ceux qui s’assembleraient, si Jean XXIU parvenait à le dissoudre. Ceux qui le volèrent ne l’entendaient pas tcuis de la même nxanière ; pendant la préparation de la session suiante, les nations rectiliùrent en ell’et l’assertion des cardinaux sur l’Eglise romaine cliefJu concile, en ajoutant seulement : siiiif le cas de sc/iianie créé par elle : un peu plus tiird, au moment de condamner Wiolef et Hus, le concile refusa de se mettre au-dessus du pape ; il laissa à Martin V le soin de détinir la question de la conduite à tenir à l’égard du pape hérétique. Pierre d’Ailly lui-niènie, dans l’automne de 1/117, proposait la doctrine parisienne sur la supériorité du synode, comme une matière encore libre et soumise à une dclinition ultérieure de l’assemblée. Gerson au contraire, dès le 17 janvier l’ii^, la considérait comme délinitivement réglée, et dans les milieux ecclésiastiques français, ce fut l’opinion dominante. Martin V ne lit rien pour la conlirmer. Dans sa profession de foi la veille de son sacre, il s’abstint même de nommer les conciles de Pise et Constance avec ceux dont il acceptait les décisions ; mais publiquement il ne lit presque rien (ci-dessous, § IV) pour la combattre : jadis il avait lui-même signé ra|)pel contre Grégoire XII, et pour beaucoup la doctrine gallicane légitimait seule la déposition de Benoit XIII et de Jean XXIU et partant sa propre élection. Huit ans se passèrent, employés par Martin V à restaurer l’omnipotence papale. Quajid au concile de.Sienne, convoqué par lui en 14a3 conformément au plan de réforme élaboré à Constance, le pape apprit que les Pères professaient des théories analogues à celles qu’y prêchait le 3 octobre, le franciscain Guillaume JoMCAUME : comme laVierge eut deux époux, l’un qui lui commandait, le Saint-Esprit, l’autre qui la servait, S. Joseph, ainsi l’Eglise a deux époux, le Saint-Esprit qui la gouverne et le pape qui lui obéit » ; il procura sans bruit la dispersion du synode. Il en convoqua un autre à Bàle pour l’année 1431. Du conflit ajourné, son successeur Eugène IV porta tout le poids.

h) Bàle l’i’t le triomphe, les excès et la ruine de la démocratie universitaire et de ses doctrines. Les prélats y furent toujours une petite minorité, au plus une centaine, généralement une vingtaine contre cinq ou six cents docteirrs, et une minorité annihilée. Dans les députations où s’élaboraient les décrets à la majorité des sufTrages, la voix des clercs inférieurs valait exactement la leur (le cardinal d’Arles, Louis Aleman, fera en i’|3y la théorie explicite et l’apologie de cette égalité), et aux sessions solennelles on votait non point par ordre ou par tête, mais par députations. Le seul souci de cette plèbe ecclésiastique, souci fatal aux grands intérêts pour lesquels on était réuni (réforme, union des Grecs, croisade hussile), fut l’exaltation ou du moins la sauvegarde de la supériorité conciliaire : Sed et communis disceptatio, écrit Jean dk Séoovie, historien du concile et l’un de ses derniers lidèles, cntholicum fideni concernens, iinirersalis atque militas inclinlens particiilares, ah initia synodi fuit continue permanent in ea semper iisque ad finem, i-idelicet Je materia siiperioritatis respecta concilii et papæ (Mon. Concil., III. 696). Eugène IV, qui mena la lutte contre les gens de Bàle avec un mélange déplorable d’àpreté et de concessions toujours trop tardives, céda sur bien des points, jamais sur celui-là. Il reconnut, comme le dit un texte imposé parles Pères de Bàle et qu’il ne signa pas sans le uiodilier, Véminence des conciles, mais non pas leur viv.éminence. Toute l’hétérodoxie des Bàlois tient dans ce préfixe rajé par le pape.

L’accord ménagé à Florence entre les deux Eglises

occidentale et oricntale(ci-des60us, IV) sur la prérogative de Pierre cl, plus encore, les excès des clercs de Bàle, créant un schisme et f.iisant d’AMÉDÉE i>e Savoie un antipape (Félix V) discréditèrent la doctrine conciliaire. Les princes, disait aux envoyés de Bàle en ili^x") l’ambassadeur de Charles VII, Jacques Juvic-NAL DES Ursins ont tous « cu detcslacion, l’apiiellacion et le nom de concile, pour les inconvénieus qui en estoient advenuz au concile de Basie ». Le successeur d’Eugène IV, Nicolas V crut pouvoir laisser aux débris d’un syno<le abandonné de tous, la consolation de rentrer dans l’Eglise sans rien rétracter de leurs allirmalions ni de leurs actes : Félix V abdiqua, le cardinal Alcman et ses derniers adeptes réfugiés à Lausanne élurent Nicolas V lui-même et décrétèrent la dissolution du concile. Jean de Ségovie put louer la Providence d’avoir tout conduit pour que les décrets du saint concile de Bàle n’aient pas soulVert d’atteinte (cf. Noël Valols, Le pape et le Concile, Paris, igog, 2 vol.).

<^ette équivoque, tolérée pour le bien de la paix, liermit au gallicanisme de survivre. Depuis le concile de Constance, l’Université de Paris frappait toutes les thèses contraires aux décrets de i ! b. En mars 142g, le dominicain Jean Sakr.^zin ayant avancé dans ses vespéries que « seule l’autorité du pape donne force aux décisions conciliaires ; que le pape ne peut être simoniaque ; que, toute autorité dérivant de lui, aucune ne peut agir contre lui » dut se rétracter à l’évêchéet devant la Faculté ; de même, en illfi, l’augustin Nicol.vs Martin, qui faisait dériver du Christ aux cvèques immédiatement le pouvoir d’ordre et médialcmcnt seulement (par le pape) le pouvoir de juridiction. L’Aima mater semble avoir pris sous sa spéciale protection la thèse contradicloire à cette seconde assertion. En 1^38, une bonne partie de notre clergé était allée plus loin : elle a> ait fait entrer la doctrine bàloise dans une constitution célèbre aussitôt érigée en loi d’Etat : la Pragmatique sanction de Bourges.

A l’issue du concile de Constance, Martin V avait conclu, non pas avec les princes, mais avec les clergés nationaux (avec le nôtre le 2 mai l.’|18), diverses conventions quinquennales qui faisaient partiellement droit aux plaintes fondées contre les empiétements de la curie en matière fiscale ou de juridiction gracieuse (collations) ou contentieuse (appels). Ces conventions ne satisfirent personne. Dès le mois de mars i^iS, le gouvernement armagnac avait déclaré qu’à l’égard même du pape incontesté la France gardait ses libertés : le pape de son côté ne cherchait qu’à reprendre ses prérogatives abandonnées. Les circonstances le favorisèrent. L’atroce révolution qui renversa les Armagnacs, coupa la France en deux et en livra la moitié aux.

glo-bourguignons, permit

à Martin V de traiter, non pas avec le clergé, mais avec des princes que leur politique rendait accommodants. Dans la France anglaise, malgré l’Université c|ui trouvait trop large la part de collations laissée aux ordinaires, et le Parlement qui l’estimait trop réduite, le régenl Bedford imposa l’acceptation du concordat de Constance, puis celle des conventions de 1426, plus favorables encore au pape. Acceptation n’est pas observation : les Anglais, si jaloux chez eux de leur autonomie, laissaient taxer et pourvoir par le pape nos églises ruinées, à condition que le pontife plaçât sur les sièges français des prélats complaisants pour les envahisseurs.

Le Dauphin, bientôt Charles VII, entendait au contraire réserver à ses fidèles les bénéfices de France, et empêcher l’or français de sortir du roj’auine. Il demaïuia d’abord des modifications au Concordat de Constance, puis rétablit, sans plus, l’or223

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ilonnance des Armagnacs, revint anx négociations, et tnlin conclut en 1426 la convention de Genazzano, très large aussi povir le Saint-Siège. L’avènement d’Eugène IV et l’ouverture du concile de Bàlc lui semblèrent l’occasion de pourvoir par un règlement stable et à la détresse de l’Eglise gallicane et aux Ijesoins évidents du chef de l’Eglise universelle : il lit proposer un plan à la fois à Rome et à Bàle. Les Bàlois prirent les devants. En 1438, à Bourges, dans une assemblée du Clergé où les envoyés pontilicaux l)arlcrent vainement des droits du Saint-Siège, l’Eglise gallicane adopta quelques-unes des excellentes réformes qu’on venait de voter à Bàle (vie ecclésiastique, office divin, suppression des expectatives, etc.), en écarta quelques autres trop liosliles au Souverain Pontife (interdiction d’élever à la pourpre ses neveux), pourvut aux intérêts matériels de la curie romaine un peu plus cLicLement que ne l’avait proposé Charles VII (subventions pécuniaires, maintien de quelques réserves en faveur d’Eugène IV) et à ceux du roi (droit de recommandation dans les élections épiscopales) ; mais aussi affirma son adhésion à la doctrine de la supériorité du concile sur le pape. Conséquente avec ses principes, l’assemblée de Bourges lit demander à Bàle la conlirniation de ses décisions, et, sans avoir cure de l’approbation ou de la désapprobation pontilicale, supplia le roi d’homologuer ses règlements et d’en faire une Proj^matique sanction (7 juillet 1438). Eugène IV qualiQa l’acte d’impie, les Etals du Languedoc firent à Charles VII (au pèlerinage du Puy, avril i^Sij) de vigoureuses remontrances sur cet outrage au Saint-Siège, que réprouvait, à leur dire, la plus nombreuse, la plus saine, la plus instruite partie du clergé de France ! Pour rendre vénérable aux yeux de tous la Pragmatique de Bourges, il ne fallut rien moins que l’exhibition, à l’assemblée du Clergé de Chartres en 1450 et à celle de Bourges en i/(52, d’une prétendue Pragmatique sanction de S. Louis, presque en tout conforme à celle de 1 438 : le saint roi l’aurait faite en 1 269 contre les exactions de la cour de Rome. Rarement faussaire atteignit plus parfaitement son but : la sainteté de Louis IX garantit celle de l’acte de Bourges ; la dévotion du parlement y fut constante ; au xi.x’siècle seulement, on s’est accordé à reconnaître que le protocole de cette pièce ne peut être du xin’siècle. Quant au fond, bien qu’en 1269 S. Louis sollicitât lui-même des levées de subsides pour subvenir aux frais de la croisade de Tunis, on peut concéder que les préoccupations de son temps, la suprématie conciliaire mise à part, répondent assez bien à la teneur de ce document.

Les descendants de S. Louis, de Charles VII inclusivement jus(iu’à François I", eurent moins que les légistes le culte de la Pragmatique. Non seuleuuMit ils en violèrent l’esprit cl la lettre, n’ayant aucun scrupule de faire pourvoir leurs protégés par les papes ; mais, comme Louis XI, ils la supjjrimèrent plusieurs fois, et ne cessèrent de négocier avec Rome l>our établir un Concordat qui l’eût rendue caduque (Noël Valois, Histoire de la Pragmatique sanction de Bourges sous Charles TV/, Paris, 1906).

6) Pendant la seconde moitié du xv" siècle, dans toute la nation, le gallicanisme est en baisse. En 14Ô7, la province de Reims entière se soulève contre un décime prescrit ]iar Calixtk III, c’est la dernière grande révolte contre la liscalilé pontilicale. Les chapitres, directement lésés dans leiu’droit électoral, prolestent seulement un peu plus longtcmiis que les autres corps de l’Eglise gallicane contre les provisions de la cour de Rome ; puis ils se résignent. Les évêques, recrutés [larmi les serviteurs de la monarchie, et le plus souvent établis iiar l’accord direct du

pape et du roi, n’ont point d’hostilité contre leur bienfaiteur romain. Dans une bonne partie de la France, les doctrines ultramontaines sont hautement professées ; il est vrai que quand elles paraissent à Paris, l’Université les frappe (1508, rétractation imposée à Jacques du Moulin). C’est à l’Université de Paris qu’en 1512 Louis XII, en guerre avec Jules II, défère le De comparatione aullioritutis papæ et conci 7/( deTuo.MASDE Vio(Cajétan), paru en octobre 1511. Un docteur destiné à mourir tout jeune trois ans aiirès, Jacques Almain (1480-1515) fut chargé d’en faire une réfutation, demeurée célèbre : Pierre et les papes, enseigne le représentant de l’Ecole de Paris, ont reçu leur pouvoir immédiateinenl du Christ ; de même les autres apôtres et l’Eglise universelle. L’autorité du pontife romain, supérieure à celle de n’iraporte quel autre Odèle, est inférieure à celle de l’Eglise universelle, mère commune, maîtresse, et juge de tous ses enfants. Le pape a la suprême autorité executive. S’il recherche diligemment la vérité, il n’est pas probable que Dieu le laisse errer dans son magistère, mais on n’est jamais assuré qu’il n’ait point péché par négligence. Telle est la forme modérée du gallicanisme universitaire au début du xvis siècle. A la même date, Louis XII, cruellement joué par le pape sur le terrain politique, et jaloux d’une revanche sur le terrain doctrinal, avait bien pu trouver à Tours une assemblée de prélats et de docteurs l’autorisant à faire la guerre à Jules II et à lui soustraire, entre temps et partiellement, l’obédience de son royaume ; mais, même avec le concours des cardinaux rebelles et de l’empereur, il n’avait pu réunir à Pise ([u’un conciliabule misérable, où trois demi-douzaines de mitres, au milieu de l’indifférence générale, renouvelaient les décrets de Constance et citaient à leur barre un pape qui au moment même, ouvrait à Rome le concile général de Latranl A ce concile de Rome, les évéques de Pise, chassés sur Milan, puis dispersés, les cardinaux rebelles, le roi Louis XII lui-même seront heureux, dès la mort de Jules II, de pouvoir adhérer (cf. Imbaut de la. Tour, f.es origines de ta Hé forme, II, 126 sq.). Les doctrines gallicanes ne passionnaient plus la cliréticnté.

/) L’Eglise concordataire et l’Ai.cien Régime

1) Le Concordat de 1516 fut, en même temps qu’un triomphe pour le gallicanisme royal, la reconnaissance du bien-fondé des revendications pratiques du clergé gallican, et une déroute pour ses théories ecclésiologiqucs. A la première entrevue du aimjueur de Marignan avec Lkon X à Bologne, François I" demanda au pape de conlirmer la Pragmatiiiue sanction (le Bourges. « Au lieu d’icelle, répondit le Médicis, qu’on fasse un concordat qui serait semblable. » .insi futfail..-V l’issue des travaux, Antoine ou P «.4.T, le chancelier dont la ruse auvergnate avait la charge de débattre nos intérêts avec les diplomates romains ou florentins, pouvait écrire : « Il n’y eut d’autre différence, si ce n’est que ce qui s’appelait Pragmatique s’appelât Concordat, et que ce qui avait sa source et autorité du concile de Bàle, l’eût du concile de Latran.

« Tout l’intérêt delà coniliinaison est dans cette

dilTcrcnce : ce n’est plus un règlciiicnt fait par les prélats gallicans, mais un accord fait avec le chef de l’Eglise ; au concile de Bàle, les décrets sonlintilulés : Sacrosancta synodus… in Spirilu Sancto légitime congregata universalcm Ecclesiam repræsentans, etc. ; au concile de Latran, Léon X légifère en son propre nom, sacro approhanle concilio : à Bàle, toutes lis réformes dépendent du principe de la supériorité du concile sur le pape, au Latran, dans la bulle même 225

GALLlCAMSxME

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qui accorde à la France presque toutes les mesures iiiscriles dans la Praijiualique, le pontife condamne iiuiiliiemenl les théories que l’acte de Bourges a euipninlies aux décrets bàlois et il allirme le droit souverain dn [jcipc se » / au-dessus des conciles (voir ci-dessous IV). En faisant droit aux justes réclamations de l’KHlise gallicane contre les abus de la curie en matière de juridiction gracieuse et conlentieuse, en gardant sur la question liscale un silence prudent et qui laissait attendre des conventions équitables, le concordat enlevait aux doctrines gallicanes prescjue toutes leurs raisons d’être ; d’autre part, en accordant au roi, au détriment des droits traditionnels des électeurs consacrés parles canons, la nomination

« ux bénclices consistoriaux, le jiontil’c adirnuiit son

autorité suprême sur toutes les Eglises et toutes les lois. Léon X eut pourtant quelque peine à faire apj )r(mver au concile un accord qui créait au roi de France une situation privilégiée et qui, hâtant la concentration en ses mains des forces nationales, iui assurerait sans doute la prépondérance en Europe. François I", de son côté, se heurta à la résistance du parlement, qui défendit assez maladroitement ipu-1qucs-uns de ses empiétements sur la juridiction cc. lisiaslique, mais dut enregistrer le concordat le’22 mars 1617 ; et à celle de l’Université, dont les gradués obtenaienl pourtant des avantages inespérés. f/A faculté de théologie, directement intéressée, prottsla mollement ; il sullit d’arrêter les plus factieux des autres facultés pour calmer VAlnia iiuder. A part le chapitre de Paris, quijoignit son appel à celui des Maîtres, le clergé accepta sans grande dilliculté les faits accomplis. Tout de même, au cœur des gallicans, le souvenir de cet accord où le roi avait réglé, avec le pape seul, les intérêts les plus graves de l’Eglise galli<ane, demeura comme une rancune aniére ; on cnlonra d’un culte plus pieux encore la mémoire de la Pragmatique ; à chaque crise on en demanda le ré(ablissenient, et jusqu’à la fin de l’.^ncicn régime, Antoiiu- du Prat, rendu responsable de la suppression de cet acte, fut accusé d’avoir causé à l’Eglise « des maux intinis » (cf. J. Thomas, Le Concordat de 1516, Paris, uji 1).

2)Le Concile de Trente, où s’opéra entin la rél’orme si longtemps désirée, ne sanctionna pas la doctrine des réforniateiU’S de Constance etdeBàlc.L’inlluence française ne s’y lit sentir qu’à la lin de la troisième période, 1560-1563 : 1e cardinal de Lorraine, accompagné de douze évcques, trois abbés et dix-huit théologiens, n’y lit son entrée que le 13 novembre 1662, après la vingl-dcuxièine des vingt-cinq sessions que compta le synode. L’année précédente, les ambassadeurs <lu roi avaient demandé le transfert du synode dans une ville plus rapprochée de notre frontière, à Constance par exemple, et réclamé le renouvellement des décrets portés dans cette ville en i^ 15 sur les relations du concile et du pape. Bon nombre d’évêques, imbus des doctrines hostiles à la papauté, et mal disposés à l’égard des prélats italiens, n’attendaient que la venue des Français pour livrer aux thèses ultramontaines un assaut décisif. Heureusement pour l’Eglise, Lorraine était, par tradition de famille et par conviction doctrinale, assez dévoué an siège de Rome ; les prévenances dont l’honora l, i charité sainte, mais habile, du jeune neveu de Pie IV, le cardinal secrétaire d’Etat, Charles Borromée, aclie"vèrentdele gagner et empêchèrent l’issue fâcheuse des deux débats alors engagés sui’les relations de l’Eglise avec son chef. Stimmns pontifex, avait dit entre autres André CAMiTius.de Slilan, le 26 se[)l(’inhrc 1562, hahet immédiate potestatem a Deo, illi [episcttpi] médiate. C’était la thèse odieuse à la Sorbonne.

Tome II.

Pour la combattre, les Espagnols se joignirent aux Français. Malgré l’intervention réiiéléc de Lavnez, général des Jésuites, qui déploya un grand luxe d’érudition patristique pour démontrer d’abord que les apôtres avaient reçu leur [jouvoir de Pierre (l>osition qu’abandonnera Bellahmin), et ensuite que les évêqucs tenaient le leur du [lape, le concile ne fut pas convaincu. Après des discussions ardentes, qui eurent l’avantage d’éclaircir la distinction, encore obscure en beaucoup d’esprits, des jiouvoirs d’ordre et de juridiction, les présidents jugèrent prudent d’ajourner toute décision. Le 4 décembre 156’2, le cardinal de Lorraine proposa d’insérer dans le décret sur le sacrement de l’ordre les canons suivants : « Anathème à qui dirait que Pierre n’a pas été établi par le Christ chef des apôtres et son vicaire suprême, ou qu’un souverain pontife, successeur de Pierre avec une puissance égale pour gouverner l’Eglise, n’est pas nécessaire, ou que les successeurs de Pierre à Rome n’ont pas toujours eu le primat. » Le pape déclara insuflisante toute formule qui dirait moins que la ()rofession de foi acceptée par les Grecs auconcile de Florence(le pape a plein pouvoir de gouverner toute l’Eglise) ; à Trente, les adversaires du gallicanisme alUrmèrent préférer à un enseignement mutilé, un silence complet sur la prérogative papale. Au reste, les mots de poiestas sanima ou siipreni/i, appliqués au souverain pontife, avaient déjà été employés (ou devaient lèlre encore) par le concile (Sess. VII de Réf., prooem. : aess.XIV, e.7 de cas. reserw : sess. XXV, de reform., C.21, décret, ult.). Mieux valait ne pas les alTaiblir par des commentaires sujets à contestations. On s’en tint là.

3) La concentration, en face du protestantisme, de toutes les forces catholiques se faisait autour de Rome ; le Saint-Siège accomplissait suivant ses propres principes la réforme qu’à Constance et à Bàle les principes gallicans avaient été impuissants à accomplir ; de nouveaux ordres religieux, les Jésuites en particulier, par leur enseignement et leur action, prêtaient un puissant appui aux partisans que les doctrines ultramontaines avaient toujours comptés en France ; à latin du xvi’siècle, surtout au moment de la Ligue, et au début du xvu’siècle, la faculté de théologie de Paris elle-mêine se laissa gagner ; ce lut, au dire de RicHER, vers l’an iGoo qu’on cessa d’y soutenirdes thèses gallicanes (ladernière serait celle du franciscain Elle Beauvais, lâgg) : André Duval, professeur royal de Sorbonne. et ses amis } acclimatèrent l’ultramontanisme ecclésiastique. Duval, Maucleuc, Isambert, Cornet, Grandin et d’autres le défendirent avec un courage et des succès divers, jusqu’au coup de force de 1663, <iui i)rohiba toute atlac [ue contre le gallicanisme ; en attendant l’édit de 1682 qui en prescrivit l’enseignement.

Au début du xvu" siècle, le grand adversaire des doctrines romaines est ce personnage tout d’une pièce, Edmond Ricuer, jadis ultraniontain exagéré, que l’horreur des guerres civiles et du tyrannieide retourna d’un coup, en 1392, vers le gallicanisme politique et contre V infaillibilité pontificale : les papes, pensait-il, avaient engagé leur autorité en faveur des thèses odieuses et fausses de leur pouvoir sur le temporel des rois. Le culte de l’ancienne Sorbonne compléta la conversion de Richer aux systèmes ecclésiologiques professés par l’Université à l’issuedugrand schisme : il édita Gerson et nos vieux maîtres et se donna la mission de restaurer (en la transformant) la synthèse gallicane abandonnée par les doctem-s duvallistcs. Toutes ses idées tiennent dans un opuscule in-/ ! " de trente pages, paru anonyme en 161 1, De ecclesiastica et politica potestate libellus ; il ne 227

GALLICANISME

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cessera plus de commenter, d’éclaircir, et, malgré les rétraclationsimposées par force, de justilier ce manifeste. Pour lui, la juridiction ecclésiastique, bloc infrangible, comprenant à la fois pouvoir de sanctifier les lidéles, de les instruire et de les gouverner, est dans le corps entier de l’Eglise, comme la puissance de voir dans l’homme vivant ; mais aussi, comme la vue, elle ne peut s’exercer, pour le bénéfice du corps entier et sous sa dépendance, que par un organe approprié : la hiérarchie instituée par le Christ. Cette hiérarchie, VEcclesia sacerdotutis, est constituée par la communication à certains hommes du sacerdoce même du Sauveur : communication égale pour tous, de manière pourtant que les uns succèdent aux apôtres (les évêques), les autres seulement au soixante-douze disciples (les prêtres). Dans ces derniers une partie des pouvoirs inhérents à ce divin sacerdoce a été, par Jésus-Christ même, pour le bon ordre, et hors les cas de nécessité, liée ou paralysée ; cependant quiconque participe au sacerdoce du Seigneur est juge nécessaire de la foi (au moins par consentement tacite aux enseignements épiscopaux) et conseiller nécessaire pour le règlement de la discipline. Dans les successeurs de’s Apôtres, la puissance sacerdotale ne subit pas d’autre restriction que les limitations volontairement consenties parles évéqiies au bénéfice du pontife romain (chef secondaire, analogue, accidentel, ministériel, d’une Eglise dont Jésus-Chrisl est le seul chef essentiel), afin de mieux assurer l’unité ou la monarchie voulue par le divin Fondateur. hSL nionarckie, dans chaque diocèse comme dans l’Eglise entière, est la forme de lEtat, du principal (nous dirions aujourd’hui, du pouvoir exécutif) ; au contraire le gouvernement, reginien (pouvoir législa<i/)est aristocratique. il s’exerce par le synode dans l’Eglise locale, par le concile dans la chrétienté. L’Eglise, dit expressément Richer, est constituée comme le royaume de Pologne " avec un pape et des évêques que choisit et ordonne l’Eglise sacerdotale prise coUectivcmentet à qui elle transmet l’autorité » (De/’ensio lihelti etc., Cologne, i ; Oi, 1. II, c. i, n. i). Un adversaire de Richer résumait le système dans une autre comparaison : 1e pape n’est plus qu’un doge de Venise, simple exécuteur des ordres du Sénat ; il est moins encore, car il n’a point, dans les évêchés, ce que le doge possède dans les villes dépendantes de la Seigneurie : une autorité supérieure à celle des fonctionnaires locaux.

Pour propager ses idées, Richer, syndic de la Sorbonne, ne reculait devant aucune mesure : il interdisait impitoyablement toutes les thèses contraires aux doctrines gallicanes ; quand, aux disputes solennelles organisées par les Dominicains étrangers venus à Paris pour le chapitre général de 1611, on proposa des thèses ultraniontaines, il les tit attaquer, malgré les conventions et les ordres de la cour, comme formellement hérétiques. Ces violences le perdirent : le cardinal du Perron fit condamner le /.itietltis par le concile de Sens en 1612 ; Richer fut déposé de sa charge de syndic. Plus lard Richeliec, après l’avoir quelque temps ménagé, finit par le briser (cf. Ed. Plyol. Edmond Iticlier.. Paris, 1876, 2 vol.). Bon nombre de jansénistes devaient plus tard se faire les tenantsdes doctrines richcristes ; dès le milieu du xvii’siècle, le grand ami de Jansénius, Jean Divergikk de Hauraxne, abbé de S.-Cyra>% en adopta une partie dans son grand ouvrage pseudonyme, /’e/r/.^fHre/ii Opéra, que les deux assemblées du Clergé de 1641 et 164ô firent imprimer à leurs frais.

Il) Cependant les évêques de France n’approuvaient nullement le système de Richer : s’ils comblaient

d’éloges Petrus Aurelius, c’est que son ouvrage, composé à l’occasion des querelles entre les missionnaires réguliers et les vicaires apostoliques d’Angleterre, exaltait les droits de l’épiscopat au nom des anciennes doctrines et des anciens usages de l’Eglise. Notre épiscopat réformé du xvii’siècle avait très haute idée de ses devoirs (même quand par faiblesse il les négligeait) et de sa dignité ; il était attentif à régler sa jiensée et ses démarches sur le modèle idéal d’une antiquité que le réveil des études patristiques mettait à la mode, et enclin, par horreur pour les variations protestantes, à interpréter le canon lirinien quod ubique, quod semper, quod ab omnibus, danscesenslrop étroit qui détruit la plasticité vitale reconnue par l’Eglise catholique à sa discipline et dans une certaine mesure à son dogme ; par suite il était tout naturellement porté à considérer comme des aberrations et des abus les développements théoriques et pratiques de l’antique primauté romaine. De là, en bonne partie, le souci perpétuel qu’ont les prélats de limiter les privilèges des exempts, d’aflirmer (par exemple dans l’acceptation des constitutions pontificales contre le Jansénisme) leur qualité déjuges de la foi ; de là leurs tentatives pour réduire, ou définir à l’encontre des prétentions ultraniontaines, les causes majeures unecause majeure, disaitMABCA, est une cause pouvant entraîner la déposition d’un évêque, et que le pape juge en première instance, mais en France, par des commissaires délégués ; ce fut, malgré les protestations épiscojiales. la pratique suivie sous le gouvern’-ment de Richeueu et de Mazarix ; Jean David, qui supprimait cette obligation de donner des juges in partibus, fut contraint par l’assemblée du Clergé de 1680 d’expliquer son sjstème(el au fond de le rétracter) ; au contraire les prélats louaient fort l’ouvrage de son adversaire Gkrb.is (pourtant condamné par Innocent XI), qui réservait en première instance au tribunal métropolitain, complété jusqu’au nombre traditionnel de treize juges par les évêques circonvoisins, le jugement de toutes les causes épiscopales. Maintenir dans son ancienne étendue, étendre même l’exercice du magistère el de la juridiction épiscopale, c’est la grande pensée des évêques généralement assez éruditsel zélés de notre xvii’siècle. Dès 1651, Bossuet, alors âgé de vingt-quatre ans, avait esquissé dans sa mineure ordinaire (Quænam est civitas Dei ? publiée par le P. F. G.4^ZEAf, Etudes, juin 1869, p. 916) sa théorie de l’Eglise. Ses thèses, rédigées avec des formules empruntées à la plus vénérable antiquité, peuvent, comme ces formules elles-mêmes, recevoir une interprétation ultramontaine ; mais on y sent, avec le souci de ne point dépasser le stade oii se sont arrêtées la pensée et les institutions anciennes, la préoccupation dominante du rôle de l’épiscopat. Quand il veut déterminer les éléments constitutifs de la cité divine, Bossuet songe d’abord aux successeurs des Apôtres, ensuite seulement au successeur de Pierre. La relation des évêques avec l’Eglise romaine, à <iui Jésus-Christ acoii(créSi poteniiorprincipalilas.assire l’unité de l’épiscopat. La foi de Pierre est le fondement d’une Eglise que la foi devait construire, le successeur de Pierre paît le troupeau et les brebis ; « ainsi a-t-il, dès les premiers temps, comme un droit principal ausoin detouslesintérétschrétiens ", donc droit de recevoir el des relations sur les affaires les plus graves, et le recours de tous les évêques ; bref, jus appellationum longe laleque païens. D’après l’antique discipline, c’est aux évêques qu’on demande des instructions sur la foi orthodoxe ; le pajic, président de leur collège dispersé, a aussi la place d’honneur dans leurs assemblées ; ’i pour enlever toute ambiguïté en matière de foi, il est très utile que la chrétienté soit 229

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représentée dans des conciles généraux où préside le Saint-Espril ».

Lorsqu’on 1681-82 Louis XIV, reprenant à son compte, sous l’instijïation de Colbert, une tactique désastreuse quoique traditionnelle, tenta de faire llécLir Innocent XI sur la question de la Réf ; ale, en le faisant attaquer par son clergé sur le terrain doctrinal, liossiKT fut cbargé de rédiger une déclaration où se révèle toute sa pensée sur les précisions apportées par le travail lUéologique de plusieurs siècles aux formules archaïques, fécondes et vagues, que répétaient ses thèses de jeunesse. Ainsi qu’il l’écrivait au Cardinal d’Estrkbs à pro{X)s de son Sermon sur l’i’tiili}, il eut souci de parler net sur trois point s, au risque de blesser « les tendres oreilles des Uoiuains » : l’indépendance de la temporalité des rois, la juridiction épi scopale immédiatement de Jésus-Chris t, et l’autorité des conciles » (^Correspondance, éd. Urbain et Levêque, t. ii, p. 278). Le premier point tenait à son cœur de patriote, les deux autres à son intelligence de théologien. Dix-huit ans plus tard, en janvier l’joo, après avoir raconté à l’abbé Le Dieu les origines de la Déclaration, il se félicitait encore d’avoir aHirmé les principes du gallicanisme épiscopal : « Ce qui vient d’être l’ait pour l’acceptation de la constitution du pape contre M. de Cambrai, n’est qu’une suite des propositionsde 1682, dit M. de Meaux. On s’est senti ferme dans les maximes et on a agi en conséquence, en mettant ioujours la force des décisions de l’Eglise dans le consentement des £glises et dans le jugement des évètjues. » (Journal de l.e Dieu, édil. Guettée, Mémoires et Journal etc., II, p. 9.)

Cependant, au-dessus des évéques, la théologie traditionnaliste de Bossuet place le Siège romain, indéfectible dans sa foi. Il eut au sujet de ce siège, à l’assemblée même de 1682, une discussion assez vive avec Gilbert uk Ciioiseul, évêque de Tournai. La pensée de Choiseul se retrouve encore dans le rapl )orl (postérieur pourtant à la discussion, semble-t-il) qu’il lut à l’Assemblée le 17 mars : le seul siège de Pierre qui soit indéfectible, écrit l’évêque de Tournai, est l’Eglise unit’erselle, dont le pape est le chef :

« à elle seif/enieH^, dit-il dans la sixième proposition

de sa conclusion, l’infaillibilité est donnée » (cf. F. V>Rsyiosri, Gilbert de CA oiseii/, Tournai, ! 907, p. 346 sq.). Contre lui Bossuet maintient, avec toute la tradition. que l’Eglise particulière de Home est indéfectible. I Elle peut errer dans un cas et pour un temps, con-’cède-t-il, mais elle a la promesse de ne point persévérer dans son erreur si l’Eglise universelle la lui si-I gnale. Jusqu’à son dernier jour, l’évêque de Meaux travaillera à étayer cette ecclésiologie sur une argumentation palristique précise et étendue. La defensio Declarationis Cleri gallicuni, publiée posthume par son neveu l’évêque de Troyes, est, avec les travaux du Dominicain Nokl Alexandre, ce qu’on a écrit de plus fort en faveur des maximes gallicanes.

5) Bien qu’en 1698 Louis XIV eût retiré l’édit prescrivant l’enseignement de la Déclai’ation de 1682, et que les membres de l’assemblée promus à l’épiscopat se fussent excusés auprès du pape Innocent XII de l’avoir signée, la pensée de Bossuet et la formule rédigée par lui demeurèrent la pensée et la formule qui réglèrent l’attitude de nos évêques à l’égard du S. -Siège pendant toute la. première moitié du xviit" siècle. Quand Clément XI voulut refuser des bulles à l’abbé de S.-Aignan pour les avoir professées, le roi lit observer qu’il s’était seulement engagé à ne pas les imposer à ses sujets, nullement à les leur interdire ; le pape en convint, et les bulles furent expédiées.

Le pape eut qxielque raison d’être choqué de l’usage

qu’au sujet des GonstiSutions contre les jansénistes (l’iiieam Domini.’<abaotli et l’nigeiiitus) tirent nos évéques de ces doctrines tolérées.

Déjà en 1699, comme s’en réjouissait Bossuet, le bref d’I^NOCENT XU contre les.Ma.vimes des Saints avait été soumis au jugement autant qu’à l’acceptation d’assemblées métropolitaines. II est vrai que, sans cette précaution, des défauts de forme, sur lesquels les parlements ne passaient pas, l’eussent rendu inefficace en France. Il n’en était pas de même de la Constitution Vineam Domini.^iibaoth, publiée à la demande luêine de Louis XIV, et après remaniements opérés par le pape de concert avec le roi de manière à n’y point laisser de clause contraire à nos libertés ; l’assemblée du Clergé néanmoins jugea opportun avant de recevoir la constitution de déclarer : 1" que les évéques sont, de droit divin, juges des matières de doctrine ; 2° que les Constitutions papales obligent toute l’Eglise quand elles ont été acceptées de l’épiscopat par voie de jugement ; 3° que les évéques — ils seront invités à le dire dans leurs mandements sur la Constitution — ne sont pas simples exécuteurs des décrets apostoliques. Pour apaiser la juste susceptibilité de Clément XI, Fénelon écrivit au cardinal Gabrielli que ses confrères n’avaient pas entendu se réserver le jugement de l’acte pontifical, mais seulement condamner de leur chef, en conformité avec sa décision, les erreurs que le pape avait frappées : ainsi fait dans un concile le dernier évêque qui signe ; quoiqu’il n’ait plus le droit, après le pape, après les autres évêques tous d’accord, de contester la foi déjà sullisammcnt établie, il ne laisse pas que d’écrire : Ego definiens subscripsi.

Huit ans se passèrent ; avant de laisser paraître la Constitution i’nigenitus contre Quesnel, Clément XI en communiqua encore le préambule et le dispositif au cardinal de la Trémoille, ambassadeur du roi très chrétien, afin qu’il y modiliàt tout ce qui choquerait nos maximes : le pape ne voulait pas voir renouveler la déclaration de 1700. Dans l’assemblée du Clergé convoquée à 1 efïel de recevoir la bulle, les prélats les mieux intentionnés reprirent l’examen doctrinal de toutes les propositions condamnées par le pape, et quand, après d’infinis retards causés, il est vrai, par le désir de ménagerie cardinal de Noailles, ils envoyèrent au souverain pontife la réponse si longtemps attendue, ils disaient : «.Voks reconnaissons dans la Constitution… ta doctrine de l’Eglise et nous l’acceptons a^’ec soumission. » Le 19 mars 1714, Clément XI les félicita uniquement de leur soumission. Ainsi se marquait, à propos de tout, la divergence entre la conception gallicane de l’infaillibilité conjointe et la conception romaine de Vinfaillibilité personnelle.

6) La révolte des « appelants » contre la Constitution I’nigenitus rendit inopportunes, et partant plus rares, les manifestations collectives du gallicanisme modéré qui était alorsla doctrine de l’épiscopat antijanséniste. Jacques de Sainte-Beuve, au début de l’affaire des cinq propositions, avait prédit que’< leur condamnation ferait incliner beaucoup… dans les sentiments de Richer » (Journal de Saint-Amour, p. 522). La prédiction se réalisa à la lettre au xviii= siècle, quand l’appel au futur concile d’un certain nombre d’évêques (bientôt réduits à quatre), de plusieurs facultés de théologie et d’environ deux mille prêtres et moines, eut consommé la rupture entre les jansénistes et le S. -Siège. On dit que l’évêque de Troyes, Bossuet le neveu, réformant la liturgie de son diocèse, en til alors disparaître toute allusion à la primauté romaine, y compris le « Tu es 251

GALLICAXIS.ME

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Pctriis » ; l’abhé Travehs, l’abbé Corgxe et d’autres dissertaient abondamment sui- le droit divin des curés et leur qualité de juy^es de la foi ; en l’jSS le parlement de Paris défendit d’appeler œcuméniques les conciles de Florence et de Lalran, qui ont osé s’écarter des thèses l)àloises ou condamner la Pragmatique ! Entre les prêtres révoltés et les parlements tyranniques. les évoques auraient pu être tentés de répudier la tradition fixée en 1682 : ils n’en firent rien ; dans leurs séminaires ce ne sont pas seulement la Théologie de Lyon, à tendance janséniste, mais encore les manuels à tendances opposées, comme la Théologie de Houeii, qui professent la doctrine de la Déclaration : jusqu’à la Révolution, l’université de Toulouse a une cliaire des « Libertés », et en 1779 les Sulpiciens sont trouvés gallicans trop tièdes pour pouvoir l’occuper.

Mais tout de même nos maximes étaient soutenues avec moins d’àpreté qu’autrefois ; au grand scandale des I^’ouvelles ecclésiastiques, nos prélats se disaient tous « évéque par l’autorité apostolique », et quand, en 1^53, les parlementaires et le cliancelier parlèrent des hommages dus au pape, l’évêque d’Amiens rectifia et dit publiquement : « Il faut, en plus, filiale et sincère obéissance. » (Cf. Sicard, L’ancien clergé de France, I, Les éi’éques ayant la Béyolution, liv. ii, ch. vil, p. 42 ?-436.) Contre la Constitution civile du clergé, aljoutissant naturel des rêveries presbytériennes des appelants aussi bien que des pratiques parlementaires, les évêques prirent l’initiative de la lutte : ils ne voulaient ni du schisme qu’acceptaient certains constituants, ni de « l’unité de foi et de communion » avec l’Eglise de Rome que prônaient Grégoire et ses amis ; ils proclamaient avec M. de Boulogne, qu’il fallait reconnaître au pape « la primauté de juridiction dans toute l’Eglise, avec l’exercice liabituel qu’elle avait en France : institution canonique des évêques et souveraine compétence en appel ». La vieille Eglise gallicane se fit chasser du pays et mourut pour avoir dél’endu les principes de sa .--ubordination à l’Eglise romaine.

g) Le gallic inisme hors de France

Cependant le gallicanisme avait essaimé à l’étranger et par l’entremise des jansénistes. Dès la première moitié du xviii’siècle, une groupe d’appelants de la Sorbonne tenta de réconcilier l’Orient russe à l’Occident dans la communion gallicane. Après une ouverture orale au tsar Pierre le Grand en visite à Paris, ils dépêchèrent en Russie, avec des pouvoirs ecclésiastiques conférés par Rarchman AVuyters (arclievèque installé à Utrecht malgré le pape et sacré par un vicaire apostolique suspens, Varlet), un ami du saint diacre Paris, l’habile et généreux curé d’Asnières, Jubé de la Cour. Sa mission échoua (cf. P. P1ERLING, La Liussie et le Saint-Siège, l. IV, Paris igo’j.p. 332 sq.) ; mais le rêve des Sorbonnistes ne s’est pas évanoui : aujourd’liui encore, les successeurs de Barcliman poui’suivent leurs négociations avec les orthodoxes.

Le succès fut plus prompt en Allemagne : Marie Thkrèsb et Joseph II ont adopté plus que les princiiies du gallicanisme polilique ; les maximes du gallicanisme ecclésiastique leur furent portées peut-être d’Utrecht, par le fameux médecin van Swieten, dont la famille était de l’entourage de Barcliman. En 17C9, le prélat i>e Stoch, grand ami dumédecin hollandais, fit un sommaire en cent articles des doctrines imposées à tous les aspirants au doctorat dans l’université de Vienne : on y trouvait, non seulement la déclaration de 1682, mais tous lesprincipes des appelants français et hollandais. Un autre ami de Barcli man, qui passa exilé à.mersfoort la fin de sa longue et laborieuse carrière, le célèbre canoniste gallican Zegerv.

EspEN(161C-1728), forma à Louvain

le fameux Fkbronius : Nicol.sdeHonïheim. Devenu évéque de Myriophite et auxiliaire de Trêves, Hontlieim publia en i ;  ; 63 sous son pseudonyme (Justin Febronius) un De statu Ecclesiæ deque légitima potestate Honiani pontijicis. qui Ut scandale. Sous prétexte de rendre plus facile laréunion des protestants, Febronius demandait qu’on ramenât l’Eglise catholique à sa prétendue constitution primitive : sorte de démocratie (quoiqu’il affirme ne pas aller jusque là et se séparerainsi de Riclier à qui il attribue l’erreur multitudiniste), où le peuple fidèle délègue aux évêques, ses commis, un pouvoir des plus étendus et à peu près indépendant du premier de tous les commis qui est le pape. Le système, bien que passablement incohérent, comme prirent plaisir à le démontrer ses adversaires, Ut fortune dans toute l’Europe. Le pape Pie VI obligea Hontheim à lui envoyer une rétractation en 38 articles, que l’évêque atténua en 1781 par un commentaire mal reçu des catholiques aussi bien que des jansénistes, et qui n’empêcha point la diffusion de ses doctrines. Elles inspirèrent la Punctatiun d’Enis : 28 articles arrêtés par les délégués des électeurs ecclésiastiques de la vallée du Rhin et de l’archevêque de Salzbourg, le 26 août i- ; 86, et signés un peu plus tard par leurs commettants. En représailles de la création àMunich d’une nonciatui-e apostolique, pourvue, comme celle de Cologne, d’une juridiction propre, les évêques allemands déclaraient abolis toutes les réserves, exemptions, dispenses, appels, facultés quinquennales qui marquaient le pouvoir supérieur du pape : le souverain pontife n’était pour leur diocèse, ils le disaient expressément, qu’un évéque étranger.

La même année 1786 (en septembre), dans les Etats du frère de Joseph II, Léopold de Toscane, l’évêque de Pistoie et Prato, Scipion Ricci, convoqua ses prêtres en synode : il proclama leur juridiction de droit divin et leur caractère déjuges de la foi. Le synode de Pistoie porta en effet un décret sur la foi, où il inséra la Déclaration de 1682. Ces prétendues décisions, qui devaient être condamnées par Pie VI en 1794, furent repoussées par les dix-sept évêques du concile plénier de Toscane. Le peuple de Pistoie et celui de Prato finirent par chasser Ricci. Le gallicanisme n’était pas fait iiour l’Italie. |Cet évêque. qui tenta d’importer le gallicanisme au delà des monts, ne se décida que très tard (en 1805, après la tourmente révolutionnaire), et très péniblement à faire la rétractation qui lui permit de mourir catholique.

h) La nouvelle Eglise de France et la fin du gallicanisme ecclésiastique

1) Le Concordat de 1801 (voir art. Concordat) a canoniquement anéanti l’ancienne Eglise gallicane ; ses sièges ont été supprimés et remplacés par des diocèses nouveaux ; les anciens titulaires, non démissionnaires, dépossédés de toute juridiction, sans procès, sans consultation des intéressés, parun actesouverain du pape. « Il me semble, dit l’un des anciens évêques, Lally-Tollendal, que si l’on me montrait le texte même d’un canon en opposition directe avec ce qu’a fait ici le S. -Siège, je répondrais : l’esprit de ce canon prescrirait d’en violer la lettre. C’est ici, bien véritablement, que la lettre tue et que l’esprit vivifie, car bien véritablement il s’agit pour l’Eglise gallicane de vivre ou de mourir. » C’est là l’écho de la foi primitive de l’Eglise de France : au-dessus de toutes les règles, le successeur de Pierre a la cura et la custodia de toutes les Eglises. Tous les collègues 233

GAf.LICANIS.ME

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de Lally-Tolliiulal ne pensaient pas comme lui. Sur 95 prélats dont l’ic VII réclama la démission, ’6~ la relusèienl, et l’attachement tradiliunnel à la monarchie iléc’line ne l’ut pas la seule cause de cette attitude : Assi : i.iN[i, par exemple, évètiuc <le Boulosne, rcelamc le droit d’examiner le concordat avant d’y aequiesi’er, et de juger a’ec le pape si la démission exigée est nécessaire. Parmi les démissionnaires, plus d’un prétend exercer le même droit : plus tard, La Luzerne écrira « lu’il ne reconnaissait pas au pai)e le droit de le déposer ex piano ; aussi n’a-t-il pas envo_ é sa démission dans le délai lixé des dix jnurs, mais après un mois, et pur juf^eiiient, non pur obéismince (cf. C. Latrkille, L’opposition religieuse on Concordai, 1791-1803, Paris, 1910, et P. DunoN, Autoar des démissions épiscopales de l’an A’. Etudes, CXII (Mjo ;), p. 43 sq.).

2) Dans la nouvelle Fglise de France, Napoi.i’ox, brouillé avec Pik VII, proclama la déclaration de 1682 loi d’emi)ire (26 février 1810) : il prétendait être de la religion de Bossuet. Sonsla Restauration, en 1824, les démêlés du cardinal de Cleruionl-Tonnerre avec le Conseil d’Etat fournirent à M. de Coubière, ministre de l’intérieur du cal>inel Villéle, l’occasion d’imposer à nouveau aux professeurs des séminaires l’enseignement des 4 articles : on leur demandait de s’y enjjajirer. Notre clergé comptait encore, ou venait de perdre, d’éminents et très respectables défenseurs de nos maximes : les cardinaux de La Luzerne, de Bausset, Mgr Frayssinols… etc., ponr ne rien dire des gallicans exagérés comme l’aljbé TABAn.vun. A cette date pourtant avaient paru Le Pape (iSii^) et /.’Eglise gallicane (posthume, 1821) de Joseph de M.iSTRE. Lamennais, encore séminariste, fondait alors avec les jeunes aumôniers du Collège Henri IV, Ger-BET et S.4.LINIS, e Mémorial ratltolifjiie (iS^ ! i), qui jusqu’en 1830 allait mener rude guerre contre le gallicanisme. L’^"/Hi’pri, avec Louis Veuillot, lui succédera. La défaite du gallicanisme fut chez nous l’œuvre des publicistes : ils rendirent l’ultramontanisme populaire, surtout dans les rangs du clergé inférieur. De part et d’autre, du reste, on ne versa point d’arguments nouveaux au dossier du jiroecs séculaire : au xvii’siècle, tout ce qui pouvait être allégué dans les deux sens avait été dit et bien dit ; aussi, au point de vue de la théologie et de l’histoire, ces longues polémiques furent-elles pour le moins stériles (j’excepte le renouveau actuel des études liturgiques, issu en partie des travauxdeD. Guéranurr). L’autorité pontilicale précipita la déroute : le 9 décembre 1862, l’/ndei- frappa la théologie de Bailly, manuel suivi par uuequarantoine de séminaires ; celle de Mgr Bouvier. adoptée dansune vingtaine d’autres depuis 1820, ne fut sauvée de la censure que par une promesse d’amendement ; de même celle de "Toulouse. Le prestige personnel de Pie IX et ses malheurs, la dévotion cr(jissante deS peuples à l’égard de la papauté, les conciles provinciaux rétablis sous la seconde liépublique et le second Empire, lirent le reste. A la veille du concile du Vatican. Mgr Maret, évêque titulaire deSura, danslesdeux premiers volumes d’un ouvrage demeuré incomplet, livr.ala dernière bataille et exposa la dernière synthèse gallicane : elle se rapprochait beaucoup, prétendait-il, des positions tenues par les ultramontains modérés : « Le pape est de droit divin le chef suprême de l’Eglise ; les évêques, de droit divin, participent sous son autorité au gouvernement général de la société religieuse. La souveraineté spirituelle est donc composée <e deux éléments essentiels, l’un principal, la papauté, l’autre subordonne, l’épiscopat. L’Infaillibilité, qui forme le plus haut attribut de la souveraineté spirituelle, est nécesia/rt’men/ aussi

composée des éléments essentiels delà souveraineté. Elle ne se trouve d’une manière absolument certaine que dans le concours et leconcertdn pape mec les évéques, des éfèqucs avec le pape, et la règle absolument obligatoire de la foi cal lu di(]ue, sous la sanction des peines I)ortées contre l’hérésie, est placée aussi dans ce concours et ce concert de deux éléments de la souveraineté spirituelle. » (Du concile général et de la paix religieuse, 1. XX sq. Cf. Th. Gr.ander.vth, Histoire du Concile du)’atican, trad. française, I, i>. agô sq.) On a souligné ici quelques mots qui devaient être frappés parle concile de 18^0. Mgr Maret, et tons ceux qui en France se disaient ou étaient dits tenants de la doctrine gallicane, se soumirent à la décision conciliaire (sauf MM. LoYsoNet Michaud). Il n’en fut pas de même en Suisse et en Allemagne. Cen’estiiasici le lieu déparier de l’Eglise vieille-catholique ; il faut cependant noter le principe tliéologique ou canonique, proclamé par DoELLiNGER, VON Sciiui.TE et Friedrich dès avant la réunion des Pères, qui leur a permis de contester la légitimité du concile du Vatican et de justilier leur révolte. « Le concile, écrivait Doellinger (Allgemeine Zeitung, Il mars 1870, Colleclio Lacensis, Concilium Vaticanum, col. 1502, et Granderath, op. cit., I. io4). est la représentation (au sens moderne) de l’Eglise universelle ; les évêques y sont les députés, les chargés d’affaires de toutes les parties du monde catholique, ils ont à déclarer, au nom de la collectivité des ûdèles, ce que, surune question religieuse, cette collectivité pense etcroit.cequ’elleareçu comme étant la Tradition. Il faut donc les regarder comme des mandataires qui nejieuvent outrepasser les pouvoirs reçus. S’ils allaient au delà, l’Eglise, dont ils sont les représentants, ne sanctionnerait pas la doctrine définie par eux, mais la rejetterait, comme étrangère à sa foi. » Au concile ilu Vatican, le pape a fait admettre des prélatsqui nepouvaient être les témoins de la foi d’aucune Eglise (é^ êques titulaires et vicaires apostoliques des missions) ; il en a exclu les procureurs d’évêques et les vicaires capitulaires qui pouvaient faire connaître la foi de très nombreuses communautés… Les nullités fourmillent donc dans les procédés de ce concile… — Les conceptions du grand historien dévoyé sont devenues la charpente de l’ecclésiologie i)rofessée par les Vieux-callioliques : il est assez |)iquant de les trouver victorieusement refutées au nom de l’histoire de rantii]uité chrétienne, par le célèbre canoniste protestant Hinschius, J)as Kirchenreclit der Katholiken und Protestanten in Deutschland, III, 34 1. Cf. Granderath, Ioc. cit., io5.

§2.

_ [M. D.

Les doctrines sur les rapports

de l’Eglise et de l’Etat

Pour l’exposé de la doctrine catholique, voir Mgr d’Hulst, Conférences de A’.-D. (1896).

Le gallicanisme politique tend à nationaliser, autant cju’il est possible sans qu’elle cesse d’être catholique, l’Eglise en France, et à la mettre sous la tutelle de l’Etat. Ici encore, la pratique précéda la théorie ; mais cette théorie fut plus précoce que les doctrines du gallicanisme ecclésiastique. La conception du caractère sacré de la personne royale, qui justifie la tutelle, date au moins des temps carolingiens ; le principe de la comiiélence exclusive du pouvoir laïque en matière temiiorelle.non seulement est clairement formulé sous Philippe le Bel, mais est déjà la maitresse-pièce de tout un sj’stèine de droit ecclésiastique, que nos souverains travaillent à réaliser, d’abord par instinct naturel de domination, puis en vertu d’une théorie politique lentement élaborée. 235

GALLICANISME

236

A) L Eglise et l’Etat à l’époque mérovingienne.

i) Entre les rois francs et les Eglises gallo-romaines^ de très bonne heure leurs alliées et bientôt leurs sujettes, les relations ne se laissent pas facilement ramener à un système précis et cohérent. Elles ont quelque analogie avec celles qui s’établissent spontanément entre les curés et leurs paroissiens inlluents. Les droits respectifs sont théoriquement distincts ; mais dans la famille chrétienne comme dans l’administration paroissiale, les inlluences s’entremêlent et parfois se heurtent sans pouvoir se démêler. Assimilation d’autant plus légitime que la royauté barbare a conservé un caractère familial très accusé, et que le droit privé, dans cette société qui peu à peu redevient primitive, absorbe en grande partie le droit public : les évoques jouent un rôle politique, administratif, judiciaire, moral, irréductible à nos catégories modernes ; en revanche les rois ont sur la vie ecclésiastique une action des plus étendues. Dire qu’ils ont été les chefs de l’Eglise mérovingienne, est une exagération, voire une erreur ; ils ont pourtant exercé à son égard, mais du dehors, des prérogatives qu’aujourd’hui nous ne reconnaîtrions qu’à un chef. Ainsi s’établissent des précédents que le gallicanisme savant invoquera plus tard.

En vertu de quel droit les rois barbares dominent-ils l’Eglise ? On a voulu voir là une survivance des traditions religieuses de la Germanie. Le roi franc aurait eu un caractère sacré, transposition chrétienne des légendes païennes sur l’origine divine de la race royale. l’appui de cette théorie du caractère sacré de la monarchie franqiie. on ne cite guère que des textes de l’époque carolingienne : l’onction de Reims est une légende imaginée par les clercs du ix" siècle et qui n’a sûrement été pratiquée envers aucun des successeurs de Clovis, en tout cas elle n’est pas une réminiscence germanique, mais biblique ; par ailleurs, malgré leur souci d’imiter l’étiquette byzantine et de se rattacher à la hiérarchie impériale, les rois mérovingiens ne pouvaient hériter du prestige religieux dont jouissait encore, enGaule même, le successeur de Théodose, régnant àConstantinople. Il faut chercher autre cliose.

Dans l’Etat qu’il a conquis, et vis-à-vis des vaincus aussi bien qu’à l’égard de ses anciens compagnons de victoire, jadis presque ses égaux, le roi franc est devenu le maître : maître des terres et maître des hommes. Il lient sa dignité de sa naissance, mais sa puissance vient de la gloire de ses conquêtes {cf.G.KvRTa, Les origines de la cirilisalion moderne, II, 65 sq.). Il est tout l’Etat, quoiqu’il ne fasse rien sans l’assentiment des grands et du peuple, toujovirs mentionnés dans ses actes. Dans cet Etal embryonnaire, l’Eglise, comme les autres sociétés partielles, vit suivant sa loi, avec ses droits naturels ou acquis pendant la période gallo-romaine. Ses clercs sont sujets du roi, liés à lui par le serment de fidélité : ils entreront plus tard, eux et leurs Eglises, dans la mainbour royale et participeront ainsi aux droits du prince sur ses domaines. Ce maître est catholique : Clovis est le premier barbare dont les intérêts, pviis la foi, sont les intérêts et la foi du clergé orthodoxe. Il n’est pas encore chrétien que les cvêques arvernes pressentent en lui un allié contre ie Wislgoth arien et étroitement nationaliste. Dès que Clovis est baptisé, du fond de la Burgondie, arienne elle aussi, S..vit de Vienne le salue avec enthousiasme. L’Eglise peut proposer à ce nouveau catholique l’exemple de Constantin et surtout celui des pieux rois de Juda. L’alliance de fait de l’Eglise catholique des Gaules avec le roi franc, les souvenirs des histoires ecclésiastiques et

bibliques, les nécessités du moment, la pratique de la recommandation, le despotisme naturel aux princes barbares sullisent à expliquer la nature des relations établies dès l’origine entre les deux pouvoirs et leur développement ultérieur. Quehpies points — qui ont le caractère d’institutions stables — doivent être précisés.

2) En 51 1. Clovis réunit à Orléans, presque à l’ancienne frontière wisigothique, l’épiscopat de tousses Etais (nord, ouest, sud-ouest des Gaules). Il le consulte : comment traiter les criminels recourant à l’asile ecclésiastique, les ravisseurs, les esclaves fugitifs ; qui peut autoriser un laïc à se soustraire aux charges communes en se faisant clerc ; comment administrera-t-on et emploiera-t-on les donations royales ; quel recours au roi auront les clercs inférieurs, etc., etc., questions intéressant pour la plupart l’ordre public ou les relations du prince avec l’Eglise. On dirait un concordat partiel, dont Clovis demande à ses évêques de fixer les articles. Cent ans plus tard, le V concile de Paris (61/() présentera presque le même caractère, seulement Clotaire II, dans l’édit de 61 5, modifiera légèrement les décisions épiscopales et l’Eglise acceptera sa législation.

Au contraire, les premiers conciles nationaux qui suivirent le concile d’Orléans s’occupèrent principalement d’introduire dans la France du Nord la discipline inspirée par Cks.ire d’Arles. L’action royale ne s’y fait guère sentir que par la convocation ; encore peut-elle s’expliquer par le fait que, dans ce royaume composé de diverses provinces ecclésiastiques, sans primatie ni vicariat apostolique ayant plus qu’une autorité théorique, les évêques n’avaient point, en dehors du roi, de supérieur commun qui pût les assembler. Ce précédent créa pourtant une coutume, et sans qu’on puisse affirmer qu’aucun concile ne se réunit alors en dehors de l’appel royal, on compte généralement, parmi les droits du roi mérovingien sur l’Eglise Iranquc, celui de convoquer les synodes nationaux. Jusqu’à ces dernières années tous les gouvernements successifs de la France se sont réclamés de cette tradition à l’égard des assemblées d’évêques.

3) Au cinquième concile d’Orléans (5^9), apparaît la mention de l’assentiment royal comme requis pour toute élection épiscopale : auparavant les synodes légil’érant sur la matière avaient gardé sur ce point un silence calculé (car l’usage existait) ou avaient tenté de l’exclure (Clerraont 535). Vers 558, le concile de Paris (III) essaya de revenir sur la concession orléanaise ; de même en 61 4 les évêques assemblés par Clotaire II s’abstinrent de mentionner le roi dans leur canon sur les élections. Le prince le compléta : il assigne un privilège particulier aux clercs de son palais et prescrit qu’aucun prélat ne soit consacré sans l’ordre du roi. La coutume — légitimée du reste par le rôle politique et administratif de l’évêque, devenu sinon le seul, au moins le principal m.agistrat de la cité — était désormais une loi, elle fut acceptée par l’Eglise (cf. art. Elections épiscopales).

4) La juridiction de l’Eglise sur les laïques, soit en matière religieuse, en raison du caractère sacré du délit ou de l’objet en litige, soit en matière civile à cause de la compétence arbitrale reconnue aux évêques par le droit romain et les conquérants barbares, était estrêmcnient étendue. Sa juridiction exclusive en matière civile et criminelle sur les clercs, semble avoir été dès cette époque contestée par le pouvoir séculier. Les conciles s’elforcent de soustraire au tribunal laïc les causes des ecclésiastiques. Clotaire 11, 237

GALLICANISME

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encore par une atljonction aux canons de 61/|, fixa les principes. Son texte est niallieureusenient fort obscur pour nous. En somme, I Kiilise à cette date paraît vouloir reserver à son tribiinal les litiges entre clercs ; pour les contestations entre clercs et lai([ues, si l’on désire les j)orler au tribunal séculier il l’aul l’assentiment de l’évêque ; en matière criminelle, sauf le cas de crime très grave et nianifeste, aucune poursuite ne peut être exercée contre un clerc par un juge laïc à l’insu du supérieur ecclésiastlipic. Clotaire II semble avoir restreint ces prescriptions aux prêtres et aux diacres. Tout cela sans préjudice de la compétence personnelle, sans limite assignable, du roi sur tous ses sujets, que la pratique de la « recommandation », très Créquente pour les Eglises et les ecclésiastiques, dévelopjiait encore.

5) De la propriété ecclésiaslique, le roi est souvent l’auteur, toujours le protecteur : il autorise et confirme les donations des particuliers par un précepte ou même par un arrêt rendu au plaid ; très fréquemment il confère à l’ctablisseiuent religieux un dii>li")me d’immunité i]ui le ferme à ses fonctionnaires ; il le jirend, lui et les personnes qui l’administrent, dans son miindiuin, sa maimfiouv. Toutes choses qui ne protègent qu’à moitié des pilleries consécutives aux partages et aux guerres entre princes. En cas de trahison vraie ou supposée le roi met la main sur le temporel de l’évêque. En droit, le bien d’Eglise doit l’inqiôt, mais le roi donne des privilèges d’exemption, qu’il ne respecte pas toujours : Clolairel" voulait prendre un tiers des revenus ecclésiastiques, Dagobert à la Un de son règne passe pour avoir pressuré les clercs. Enfin, et c’est plus grave, le patrimoine de l’Eglise lui est souvent ravi tout entier. Est-ce parce que le conee]) ! de propriété germanique, moins évolué que le concept romain et encore plus proche de la primitive communauté des terres, ne comportait pas une appropriation complète el définitive du sol par les particuliers, ou parce que toute donation royale était, sauf clause contraire, sujette à révocation ? On ne sait. Le fait est que des laïcs ne se firent pas scrupule de demander et de recevoir des rois des domaines déjà concédés à l’Eglise. D’abord il ne s’agissait pas, comme on l’a cru, de simples précaires laissant à l’Eglise le domaine théorique ; il j’avait vraie spoliation, le précepte royal anéantissait les titres antérieurs. Les conciles s’en plaignirent dès 535, l’abus persista comme les plaintes. Après 614 et au cours des vu’et vm* siècles, les rois se contentèrent de prier les prélats de concéder à tel fidèle tel ou tel de leurs domaines : c’était un ordre, qui consomma sous CuARr.Es Martel la ruine du patrimoine de l’Eglise mérovingienne (cf. E. Lbuse, Ifistoire de la propriété ccclésidstiijiie en France, tome 1, iQio)..u reste, à cette date, conciles et législation, tout sombra dans l’anarchie. I C’est, à bien des égards, une création nouvelle que j l’Eglise carolingienne restaurée par les délégués du I pape d’accord avec les fils de Charles Martel.

[M. D.]

B) l’époque carolingienne

i) La personne et l’œuvre de Charlemagne ont engagé tout l’avenir. Sa politique eut pour résultat d’agrandir et de consolider la mission religieuse, partiellement exercée par les rois mérovingiens. L’empereur franc se croit le continuateur des Constantin et des Théodose. Il ne s’aperçoit pas qu’il est, en même tenqjs, l’héritier de la conception païenne de la souveraineté. Il rapplicjue, d’ailleurs, avec un tact politique et religieux qui la fait accepter sans

révolte. Mais, à regarder les choses de près, celle alliance avec l’Eglise, qui tend à concentrer les deux pouvoirs dans les mains de l’empereur, qui lui fait regarder son autorité comme divine cl inviolable, n’est pas dill’érente, au fond, de la prétcnlion des Philippe le Bel et des Louis XIV au droit divin de leur couronne.

L’œuvre de Charlcmagne avait été récemnicut préparée par son oncle Carloman et par son père Piirix, qui, avec saint Boniface, en réorganisant l’Eglise franque, convoquaient des conciles, nommaient des évêqucs, instituaient des archevêques. Le couronnement de Pépin et de ses fils à Saint-Denis par le pape Etienne II, hardie réminiscence des traditions bibliques, acheva la consécration de cette race et sanctionna son rôle religieux. L’onction sainte, désormais facteur essentiel dans la transmission du jiouvoir — sacramentum, dira-t-on parfois — fait du. roi une personne sacrée, cl lui confère des droits indéterminés sur l’Eglise. Ce fait, encore mal étudié, a eu une iniluence profonde sur l’institution rojale. La papauté a voulu jiar là donner à l’Eglise romaine un défenseur atlitrê, dont l’action fùl plus efficace que la protection théorique et lointaine de l’empereur bj’zantin. Elle n’a peut-être pas assez redouté de se donner un maître. D’autre part, cette consécration religieuse, qui était dans la logique des événements, pouvait rendre la royauté, en quelque sorte, justiciable de l’Eglise. Ces conséquences extrêmes el contradictoires sont, du reste, successivement venues au jour.

Sous Charlcmagne, la première seule apparaît. Du temps qu’il est seulement roi des Francs, Charles se considère <l’abord comme l’auxiliaire armé de l’Eglise. En 778, à la requête d’ILvoRiE.N, etmalgré la résistance des grands, il va mettre un terme aux empiétements des Lomliards sur le domaine pontifical. Cependant il tend peu à peu à protéger l’Eglise, non comme un serviteur, mais connue un maître. Il surveille de près les actes de la cour romaine. Tandis qu’il n’admet pas que ses sujets franchissent les Alpes sans sa perndssion, il est heureux d’accueillir les coniidenees des prêtres italiens (Jaffé, Nonumenla ("arolina, 2^1 3, i ! l, 2478). Il montra même une sévérité inattendue vis-à-vis du légat pontifical Anastase, qui lui avait tenu des propos inconsidérés : il le retint captif. Il ne céda aux réclamations d’Hadrien que sur la promesse d’une enquête sévère et l’assurance d’une obéissance complète (Codex Cttrotinns, 51, 76, r)4- — Cf. H.-X. Auouilliére, Cliarlemagne et les origines du Gallicanisme, dans L’Université catholique, 15 octobre igog).

Le pape Hadrien a fait ellort pour échapper à la tutelle eniahissanle de Charlcmagne. Tout en donnant au roi des Francs le titre de palrice des Romains, auquel il avait droit, le pontife alfeclait de n’y attacher qu’une importance honorifique. Ce dissentiment assombrit parfois leurs relations ordinairement cordiales. Ils s’entendaient, à condition de ne pas trop s’expliquer sur les limites de leurs pouvoirs. En 786, quand le pape se rapproche de la cour bjzantine, le roi des Francs en prend omlirage. Son mécontentement, longtemps contenu, se donne libre cours au concile de Francfort (79^. et va jusqu’à repousser les décisions du second concile de Nicée, approuvées par- le pape (voir plus haut dans le Gallicanisme ecclésiastique), Hadrien, dans une lettre mesurée, rétablit point par point la doctrine de Nicée sur les images. Jusqu’à la mort (79-5), il ni ; i que le patriciat de Charlcmagne fut difTérent de celui de Pépin. Ce titre est un honneur : « Nul ne lui a rendu et ne lui rendra plus v<dontiersque le pajie les hommages qui s’y r ; ittachent ; mais que le roi des 239

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Francs laisse inviolal)leir.enl à S. Pierre lepatrieiat effectif que Pépin lui a cnlièrement cnncédé et que lui-même Charleniagne a largement confirmé. » {Codex CaroL, 83, 85, 94.)

2) La mort d’Hadrien, l’avènement de Lkon III, la renommée yrandissanle de Charleniagne, le discrédit de la cour byzantine, la marche des événements et des idées, amenèrent le roi des Francs à ceindre la couronne impériale. Sa mission religieuse s’en trouva élargie. L’empire romain finissant avait légué aux imaginations du moyen âge un souvenir profond, de plus en plus dégagé de ses limitations passées, et idéalisé pav la légende : l’idée delà monarchie universelle (S.vr.MULLEB. Die idée i’Oh der Kirche ah iiiiperiuni romanum in kciiuitiischen Rechi dans Tlieologische Qiturtatschrift LXXX, p. 50)..u temps de Cliarlemagne, on crut sincèrement assister à une rénovation de l’empire romain. La confusion des idées p<di(iques et religieuses, le défaut de sens historique qui est resté une des caractéristiques du moyen âge, la fermentation des légendes impériales, firent attribuer au nouvel Auguste une puissance religieuse illimitée, assez voisine de celle des Césars païens. Cette conception était fortifiée par des traditions vénérables. Quand l’empire s’était cliristianisé, on avait cessé d’offrir de l’encens à 1 empereur, mais il était resté un jiersonnage sacré. Les papes le saluaient avec respect et ils estimaient son existence nécessaire (Grf.g. Magx., Epistol., Vil, XXVII, P. L., LXXVII, 883). Pour eux, le pouvoir impérial avait une origine divine : divins étaient les ordres des empereurs, sacrées leurs lettres (l.ihei- ponlificalis, Vitalianus ; Agalho, 2, 3 ; Benedictus, 11, 3 ; Cono, 3 ; éd. Duchesne). Ils regardaient comme un devoir d’affermir la suprématie impériale (OnEG.MAGN., Ep., IX, xliii, P. /,., LXXVII, y ; 5). Car la première obligation de l’empereur était de travailler à la conservation de la foi, maintenue sans tache dans la ville de Rome par les successeurs des apôtres. Et pour la faire régner dans tout l’empire, il devait la protéger contre les hérésies avec une incessante vigilance (Orbg. M.’IGN., Epist., VI, Lxv, ib., 849). Les contemporains du nouvel empereur étaient pénétrés de ces souvenirs qu’ils marquaient de leur naïve empreinte, et la faveur populaire s’était attachée au nom des empereurs qui avaient le pbis contribué à sauver l’orthodoxie, Constantin, Marcien, Valentinien, Thcodose, à côté desquels on plaçait Cliarlemagne.

Celui-ci étaitconvaincu d’avoir reçu l’héritage des Césars. Dans ses actes officiels, il s’intitule : « Enrôlas, sereiiissimtis Angiistiis, a Dco coronatus, mngniis, paci ficus imperator, romnnum giihcrnans imperiiim, et per misericordium Dei lex Framorum atque Lungot /urdonim. » (Boretius et Krause. fnpitulariii…, 1. 1, 126, 168, 169, 170, etc.) Dans les lettres qu’on lui adresse, il est comparé à Titus « le très-noble prince » (Alcuini Epistol., cil, P. /.., C, 398). L’empire a un caractère sacrée ! Charles se confond avec lui. Il est « le phare de l’Europe j>. Sa piété, brillante comme les rayons du soleil >', l’a désigné au choix de Jésus-Christ pour qu’ilcommandàt la troupe sacrée des chrétiens, ])our <|u’il devint « le remparl de la foi orthodoxe ». En faisant du baptême le lieu jjrincipal des nations si diverses qu’il a ait conquises, Cliarlemagne a contribué plus que personne à l’établissement de la chrétienté du moyen âge. Mais, avant ipie la papauté en devienne la tête, Cliarlemagne parait le véritable chef de cette unité mystique qui est l’œuvre de sa foi, de sa politique et de ses armes.

Toutefois, dans l’exercice de ce pouvoir extraor dinaire, il ne sut pas distinguer entre les affaires civiles, politiques et religieuses. Aux temiis mérovingiens, ces divers domaines étaient assez peu différenciés ; sous Gharlemagne, ils sont presque enticrenient confondus. Il veut « gouverner en tout les Eglises de Dieu et les proléger contre les méchants >. Il prétend « défendre par les armes partout à l’extérieur la sainte Eglise du Christ et la fortifier à l’intérieur dans la connaissance de la fui catholique » (Epistol. Carol., x). La profondeur de son sens religieux lui évita les erreurs irréparables et lui concilia la confiance universelle ; mais il a été trop porté par les idées courantes à identilier en sa personne l’idée do l’Eglise aussi bien que celle de l’empire. C’est par là qu’il a réalisé un des caractères païens de la souveraineté, que nous retrouverons identique dans le « droit divin » des rois, c’est-à-dire dans la prétention du prince à être, en son territoire, le chef de la société politique et religieuse et à ne relever, dans l’exercice de ses fonctions, que de Dieu seul. C’est par là aussi que, dans une société tourmentée par le besoin d’unité, il a acquis un prestige inouï, qui est allé grandissant, àmesure que s’est développée sa légende, et que les divisions et les troubles ultérieurs rendaient plus poétique l’image de l’unité perdue. Ce prestige a excité et favorisé plus tard les prétentions capétiennes.

3) Cliarlemagne n’eut pas de continuateurs capables de maintenir son œuvre. Pourtant le grand empereur s’en était préparé nn. En 81 3. à Aix-la-Chaïu-lle en pleine Francie, il couronnalui-mèiiicsonlils. Celuici, de la même manière, s’associa son fils Lothaire. L’empire tendait à devenir une dignité franque. Louis LK DÉBONXAinB, appuyé sur les survivants de la cour lettrée de son père, essaya de conserver la situation acquise. La force lui manqua. Elle manqua à son fils Lothaire. Alors le groupe des ailiiiiraleurs du grand empereur, dont Wala était l’àiiie, se tourna vers Rome. La consécration rimiaine pouvait seule rétablir le prestige de la dignité impériale et sauver, de l’institution compromise, ce qui pouvait être conservé. Cette phase d’histoire constitutionnelle révèle une transformation capitale : le centre de l’unité se déplace, il n’est plus en France, comme l’avait rêvé le premier em|icreiir, mais à Rome, et tandis que la maison carolingienne s’affaiblit et s’effrite, c’est l’Eglise, c’est surtout la papauté qui. à défaut de l’autorité laïque chancelante, veille au maintien de la concorde et, au nom de ses principes propres, maintient, vaille que vaille, l’unité politique de la Chrétienté occidentale.

Alors se dégage la subordination de l’Empire à l’Eglise, iiiipliquée parle sacre. Déjà en 829, 1e concile de Paris alTirme la supériorité de la hiérarchie ecclésiastique sur la hiérarchie laïque. Jonas d’Oulkans tance vivement les rois qui croient tenir leurs droits du privilège de leur naissance. Grégoire IV, vers la ménieéïKKiiie, a conçu peut-être le droit théocratique de la ]>apaulé sur l’Europe (peut-être… car s’il se considère comme chargé de veiller sur les institutions politiques, sur VOrdinatio imperii, il n’est pas sûr que ce ne soit pas seulement à cause du serinent religieux qui les a consacrées). Quoi qu’il en soit des motifs de son intervention, le pape invite les évoques à surveiller les rois, et les rois à respecter les principes de leur accord. IIincmar déterminera bientôt la distinction des deux pouvoirs, spirituel et temporel, avec une nuance de subordination du temporel au spirituel : les évêques sont les égaux et les conseillers des rois ; ceux-ci ne doivent pas empiéter sur les droits de l’Eglise. En matière religieuse, ils sont les exécuteurs de ses volontés. Parfois même 241

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l’archevêque tic Reims ira plus loin : sacrés par les pontifes, les rois onl unedifinitiinlVrieureà ladii ; nilé pontificale ; il sont soumis à la correction desévcques ; l’Eglise, qui fait les rois, peut aussi les déposer (A L., CXXY, looy, 1016).

Même thèse chez Nicolas I", avec cette différence qu’il concentre davantage en sa personne la suprématie de l’Eglise et qu’il ag : it en conséquence. Les ehroniipieurs en ont eu le sentiment très vif et nous ont transmis l’expression naive de leur étonnenient sug4 ; estif (.annales fSertiiiarii, lieginnnis ahbatis Piuiniensis Chrunicun. M. G. //., Script., I, 676, a II no 865).

Aussi liien, la théorie ecclésiastique de la subordination du temporel au siiiritucl rencontrait-elle des résistances. Hinemar ne paraît pas avoir inventé de toutes pièces le discours des seijjneurs francs qu’il transmit un jour à Hadrien II : ils se plaifjnaient très vivement de ce qu’on pcnirrait appeller des ingérences épiscopales dans la politique, et professaienllenlière indépendance des deux pouvoirs (P. /,., CXXVl. 176-183). Théorie bien illusoire, car la constitution même de cette société chrétienne, l’organisation de la justice, l’échange des relations sanctionnées par le serment, tous les actes de la vie privée et de la vie publique rendaient inévitables la rencontre et le coiillit des deux pouvoirs antagonistes. Au reste, les tliéoriciens de cette époque, Smaraode, Joas, SnnULRS ScoTTis, Hincjiar ne sont jamais parvenus à réduire leurs idées politico-religieuses en une doctrine logique et cohérente.

[H.-X. A.l

4) Si des thèses générales sur les relations des deux puissances on passe au détail des applications particulières, on s’aperçoit vite que la même incohérence règne dans la pratique. Sur certains points, la vie ecclésiastique, enserrée par Charlemagne dans des prescriptions très étroites, échappe à la prise d’un gouvernement central en dissolution ; mais sur d’antres elle s’assujettit aux nouvelles relations féodales qui s’établissent : l’empire, création factice d’un homme de génie, n’avait pu arrêter qu’un instant diins son évolution vers l’émiettcment de la souveraineté une société trop jeune et trop simple pour la vie savante et compliquée des grands corps centralisés.

D’abord, à certains égards, l’Eglise se libère de l’emprise de l’Etat, ou même succède à ses prérogatives. En 805, Charlemagne s’était réservé la faculté de permettre à un homme libre d’entrer dans la cléricature ; en S’]-}, cette entrave est abolie. En 79^, le concile de Francfort avait admis une sorte d’appel comme d’abus des décisions épisco[)ales an tribunal du roi, en 807 ces recours sont sévèrement prohibés. Lamême assemblée de 794 avait institué un tribunal mixte pour les causes entre clercs et laïques ; il subsiste, semble-t-il, mais il paraît bien aussi que les jiarties doivent se présenter préalablement devant l’évêque, au moins en conciliation, comme à l’époque mérovingienne. Les causes personnelles des clercs avaient été dès le temps de Charlemagne — sauf exceptions — réservées au tribunal ecclésiastique ; au ix’siècle, la compétence de ces tribunaux sur les laïcs s’étend beaucoup : tous les crimes et délits ne sont-ils pas péchés ? Un capitulairc de 807 attribue même au curé un conimeuccment d’action contre les malfaiteurs.

Par contre, les réunions conciliaires restent soumises au placet royal ; et sur deux points capitaux se préparent, entre les deux puissances, un dissentiment durable cl un nouvel assujettissement de l’E glise. Réformateur de l’Eglise, prolecteur des personnes et des terres ecclésiastiques, Charlemagne nom niait les évêques et distribuait les évêchés. En 818, son lils Louis rétablit la liberté des élections suivant les canons ; mais lui-même et ses successeurs exercent tous les droits anciens ; ils autorisent l’assemlilée électorale, conlirment l’élu, le plus souvent ils le désignent aux électeurs, parfois le nomment eux-mêmes et toujours reçoivent son serinent avant de lui remettre le domaine épiscopal placé, pendant la vacance, sous leur [iroteclion spéciale.

Tels sont les faits : l’Eglise et les princes n’y attachent pas la même signilicalion.

L’Eglise pense avoir contirmé, par une concession utile pour l’ordre public, la coutume des interventions royales dans le choix de l’évêque. Le prince remplit un de>'oir de jirotection sur les terres ecclésiastiques. La’( recommandation » que l’évêque lui fait de sa personne et de son domaine, tend uniquement à s’assurer cette protection, le serment qu’il prête est sim])le promesse d’obéissance, analogue au fond, quoique différente dans sa forme, à celle des autres sujets. La concession du domaine é/)iscopiil, de ce qu’on appelle l’éi’éc/ié, est la remise d un dépôt.

De la conduite et des diplùnics des rois, ressort une tout autre interprétation : le prince seul a droit d’élire l’évêque ; tout autre mode est pure concession de sa part, conditionnelle, limitée, révocable. Elu ou nommé, l’évêque doit se recommander et faire un serinent de fidélité qui n’est déjà plus celui du protégé, du sujet, mais celui du i, hissiiI. Sur le domaine épiscopal, le roi a, non un devoir de protection, mais une poteslas qu’il exerce de plein droit pendant la vacance, et dont il se dessaisit en faveur du nouvel évêque. Cette potestas s’allirme souvent dès le temps de Charles le Chauve par des aliénations abusives (cf. Imbart de la Tour, Elections épiscopales, p. 85 sq.).

5) Quand la crise féodale fut pleinement déchaînée, c’est-à-dire quand d’une part les droits souverains émiettés se muèrent en propriété privée, quand d’autre part dans cette société anarchique, pour suppléer à la défaillance de l’autorité centrale, se furent conclus d’innombrables contrats d’assurance mutuelle, liant l’homme à l’homme, celui qui concède une part lie sa richesse (terre) ou de sou pouvoir, tout en s’en réservant le domaine éminent, à celui qui en reçoit le domaine utile, à charge de services réciproques ; ijuaiid tout office devint bénéfice : alors la potestas du roi sur les évêchés elle aussi se changea en propriété : à Vévéque-vassal, le roi — partout où sa main atteignait encore — donna Véi’éché, fonction et terre. C’est l’investiture féodale, et aussi l’approiiriation et la sécularisation de l’Eglise. L’oubli de la notion d’Etat réduisait les évêchés à la condition misérable des égl ises rurales et des cli apelles étalilies par les i>en iores sur leurs domaines privés et exploitées par eux. Là où la main du roi n’atteignait plus — dans le Midi en particulier, — le granil seigneur, héritier d’un lambeau de la souveraineté, s’empara des églises. L’aristocratie féodale en lit des dots pour ses filles, ou des bénéfices pour ses fils. L’Eglise avait heureusement gardé dans les textes de ses vieux conciles la formule de son droit : la théorie, demeurée intacte, permettra à Grégoire Vil et.lex.xdre III de faire sortir les églises de l’appropriation pour les rendre au service public ; mais de leur passage dans la sujétion féodale, il restera les traces, souvenirs et précédents, qui ne seront pas sans infiuence sur l’évcdution ultérieure du gallicanisme.

[M. D.J

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Q L’époque des premiers Capétiens et des Valois jusqu’au Concordat de 1516

i) La maison capétienne Jevait restaurer en France la notion ella réalité du pouvoir souverain. En face de l’empire transféré en Germanie, les évêques ont fait, des ducs des Francs, nos rois nationaux. La volonté de soustraire la Couronne à la suzeraineté impériale les amènera à nier toute supériorité sur nos princes, de cette autre puissance mondiale qu’est la papauté. Dès 991, nous avons ^u nos évêques en conflit, à propos d’Arnoul de Keims, avec l’évèquc de Rome, protecteur de l’unité politique à laquelle la France voulait s’arraclier (voir plus haut dans Gallican is tue ecclésiastique).

La nouvelle monarcliie a un caractère aussi ecclésiastique querancienneroyauté carolingienne : « Nous savons, dira Louis VII, que, d’institution ecclésiastique, les rois et les prêtres sont seuls consacrés par l’onction des saintes huiles. » (Tardii-’, Mon. ///s/., n" ^65.) L’alliance du cleryé avec le roi devient plus intime ; les églises locales, pour échapper à la gène de la tutelle seigneuriale, se recommandent au souverain. L’action du roi se fait ainsi sentir jusqu’aux extrémités de la France : beaucoup d’évêques sont SCS hommes et reçoivent de lui, à cliarge de service, une ])uissance temporelle très étendue. Comme le chef de leur race, les successeurs de Hug’ues Capet montrent quelque indépendance à l’égard de Rome : affaire de passion, bien plus que de principe, mais qui ne fut pas sans conséquences. Rouert ferait volontiers des concessions au pape pour obtenir la reconnaissance de son union avec Berthe, mais il résiste au concile convoqué par le souverain pontife et où paraissent Othon III et Gerbeht. On l’excommunie, il reste trois ans sous l’anathème. Sylvestre II linit par le persuader (1001). Son fils Hexri I", en 10^9, craint que Léon IX, un lotharingien. ne euille l’assujettir à l’enqiire, et tente de dél’ondre aux é> êcjues français de paraître au concile réformateur de Reims. Ce concile frappa plus d’une de ses créatures. Philippe I", simoniaque et concubinaire, est menacé par le pape d’être privé de sa couronne : Grégoire VII rexcouimunie, Urbain II reste en eonilit avec lui pendant douze ans et s’entend dire que le peuple de France abandonnerait plutôt le pape que son roi (Yves i.e Chartres à Urbain H, 1’. /.., CLXII, 58). Cependant, ;  ! cette date, lapapauté dominait l’Europe : elle aail partout des domaines et des agents ; ses pontiA’s avaient montré tant de courage, de vertus et d’intelligence, que les princes français faisaient petite figure auprès d’eux. Toute la question des rapports entre l’Eglise et l’Etat se résumait alors dans la question des Investitures (voir ce mot) ; les pa|)es voulaient faire sortir les églises de la propriété privée : en France, ils y réussirent. Le concile où fut acclamée la première Croisade, défendit aux clercs de recevoir d’un laïc aucune charge ecclésiastique, aux laïcs de les conférer, aux évêques et aux prêtres de jurer à personne la fidélité-lige. « Le rôle des séculiers, dira bientôt Pascal II, est de protéger l’Eglise, non de la dominer. » C’est déjà toute la tliéorie du patronage substituée à la propriété, qui triomphera déllnitivement à la fin du xii’siècle avec .i.ExANi>RE III. En conséquence, par toute la France, les élections se rétablissent peu à peu : le roi garde seulement son droit d’autorisation préalable et de confirmation.

La poléinicpie littéraire sur les relations entre les deux pouvoirs, suscitéeen Italie et en.lleinagne par la querelle des Investitures, eut natiuelleiuenl un écho parmi les clercs français : les césaristes italiens ou lotliaringiensuep(uivaieiit guère faire de disciples

dans un pays attentif à se distinguer de l’Empire, tout au contraire la patrie des moines clunisiens devait faire accueil aux théories grégoriennes : IIildebert DU Mans, Geoffroy de Vendôme et surtout Honoré d’Aotun sont tout disposés à soumettre le pouvoir civil à l’autorité ecclésiastique, à faire nommer l’empereur par le pape, le roi par les évêques. Cependant ce n’est pas la doctrine dominante : chez nous, la théorie qui prévaut et va régler les rapports des deux pouvoirs jusqu’au temps de Philippe le Bel, est une théorie de juste milieu, celle d’Y^ es de Chartres et de Hugues de Fleury, prônant l’union de deux pouvoirs distincts se faisant des concessions réciproques. Hugues de Fleury a quelque complaisance pour le pouvoir séculier, il répète la comparaison carolingienne du roi, image de Dieu le Père, auquel l’évêque, vicaire de Dieu le Fils, doit être soviinis. En tout cas. si le roi ne donne plus l’évéché, l’évêque doit prendre de sa main les châteaux, villas, droits fiscaux, juridiction politique ou dignité civile, joints à l’évêché par la générosité royale.

[H.-X. A. et M.-D.]

2) Louis VI LE Gros. — Avec Louis le Gros, la monarchie acquiert une conscience plus nette de ses prérogatives. Ce monarque a passé la plus grande partie de son règne à les faire accepter par les souverains féodaux, encore détenteurs de la plupart des droits régaliens. De cette œuvre innnense, il n’a pu accomplir que la partie militaire : Louis était plus soldat que juriste ou théologien. Toutefois le sens de l’unité, qu’il possédait à un haut degré, l’a porté à faire progi’esser le gallicanisme politique, en assujettissant plus étroitement le clergé à l’autorité royale.

Son effort pour assurer la domination royale sur le clergé se manifeste d’une double façon. Il essaie de battre en brèche l’immunité judiciaire du clergé en cherchant à lui faire accepter la compétence de la justice roj’ale ; et, d’autre part, il maintient avec énergie son intervention dans les élections épiscopales et abbatiales.

Il assume, plusieurs fois, le rôle d’arbitre dans les différends ecclésiastiques. Non seulement il juge, mais il punit. En matière civile, il traduit devant sa cour Pierre, évêque de Clermont (1110). Il tient la même conduite vis-à-vis d’Arnaud, abbé de Saint-Pierre-le-Vif, en 1113. Dans la querelle qui mit aux prises, en 1130, les moines de l’abbaye de Morigny et les chanoines d’Etampes, il lit appliquer la même j)rocédure (Historiens de la France, XII, 77-78).

En matière criminelle, la justice roj’ale intervient également. En 1 1 10, elle prononce un arrêt qui liannit de sa ville épiscopale Batidri, cvêque de Laon. Cette politique n’allait pas sans résistances, témoin l’opposition énergique des chanoines de Beauvais en iii^ (P. A., CLXII, 138, 267, 268).

On ne saurait dire pourtant que Louis le Gros ait suivi, en cette matière, une ligne de conduite bien arrêtée. Il consultait, avant tout, ses intérêts ]iolitiques immédiats. Toutefois, ce qu’ilinqiorlc démettre en relief, c’est qu’il est le premier de sa race tù ait tenté, avec quelque succès, de subordonner l’Eglise comme la féodalité à la juridiction suprême de la cour royale. C’est sous son règne que l’on trouve le premier exemple très net d’un procès débattu, en ])remièri^ instance, devant un tribunal ecclésiastique et jugé souverainement par la cour du roi (Cii. A’. Lanc.lois, Textes relatifs à l’histoire du parlement, depuis les origines jusqu’en 1311, n" 7). Ce fait significatif nous révèle les obscurs commencements d’une institution qui jouera plus tard un rôle prédominant dans le développement du gallicanisme politique, le Parlement de Paris. Eu vain l’Eglise essaiera d’arrêter 245

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ses eni[)iétpinenls continus : le droit parlementaire unira jiar l’eniporlcr sur le droit canoniciue.

Dans l’élceliou des évcques et des al)l)és, Louis VI a maintenu les traditions de ses prédécesseurs. Il est juste de noter que, si Philippe h fut convaincu de simonie, Louis le Gros ne paraît pas avoirdonné prise à cette accusation. Cependant, ila ses candidats préférés et il les soutient énergiquemcnt. En iioi, dans l’cleclion épiscopale de lîeauvais, il réussit à évincer le candidat du pape. Galon (llislurien de la Fr., XV, I2y). En 1112, il transfère, même sans élection, le sièye de Laon à Hu^ue, doyen de Sainle-Croix d’Orléans. Ces tendances étaient opposées aux idées de la papauté réformatrice. Aussi voyons-nous ce roi, sincèrement pieux, lutter vigoureusement contre les principaux chefs du mouvement réformiste en France, notamment contre Yves ue Chartres, Hildebkht db Lavardin, archevêque de Tours ; Etienne de Sknlis, évèqiie de Paris ; Henri S.

glier, archevêque de Sens.

Cela faisait dire à saint Bernaro, dans un moment d’indignation : « Peut-on douter qu’il veuille attaquer et détruire la religion, qu’il appelle ouvertement la destructrice de son royaume et l’ennemie de sa couronne ? » (flisloriens de ta Fr., XV, 51îg.)

Paroles plus éloquentes que véridiques. Sous Louis VI, la France a été étroitement alliée à la papauté. Tandis que celle-ci poursuit avec Aprcté la lutte contre l’empire allemand représenté par Henri V, les jiapes trouvent dans le territoire français un aliri.et dans le roi un protecteur contre la fureur des impériaux. Cette conduite était, du reste, la plus conforme aux intérêts de la France.

Toutefois, l’intimité entre les deux pouvoirs ne fut jias sans ombrage. Le souci de ses intérêts politiques les plus prochains amena plusieurs fois Louis le Gros à des menaces de rupture. En 11 13, à propos de la division de i’évêché de Tournai, qui avait i)our effet de soustraire le nouveau diocèse à son intluence, il travailla aelivenient à faire revenir le pape sur sa décision. Yves de Chartres, lui-même, au courant des dispositions du roi, se crut oblige d’intervenir auprès de Pascal II : « Le roi de France, écrit-il. est un homme simple, dévoué à l’Eglise et plein de bienveillance pourle siège apostolique. N’allezpoint troubler la paix qui règne entre ousetne laissezpoint diminuer la sincère affection qvii vous l’attache. Votre paternité n’ignore pas que lorsque la royauté et le sacerdoce sont d’accord, tout va bien — mais que, s’ilssontdésunis, rien ne prospère et tout s’écroule. » (/fislorieiisdela Fr., XV, 160-161.) Pascal II lesavait. Il se le tint pour dit.

Calixte II conlirma cette concession. Comme ses lirédécesseurs, il fait de laFrance son principal appui contre l’empire. Toutefois, la bienveillance pontificale n’endormait pas les susceptibilités de Louis le Gros. Elles éclatèrent avec vivacité à propos de la priiuatie dcLyon : Il J’aimerais mieuxvoir mon royaume incendié et moi-même vouéàla mort que de subir l’alTront de l’assujettissement de l’Eglise de Sens à l’Eglise de Ljon… Le roi de France est le propre fils de l’Eglise romaine ; mais si on lui intlige un affront pour une affaire de peu d’imiiortance, il aura raison de croire qu’on est décidé à ne lui rien accorder dans les circonstances graves, et il ne s’exposera pas à subir un nouvel échec. » (IIi.’<loriens de la Fr., XV, 33g-340.) Calixtell n’insista i)as.

Le pontificat d’IIoxoRics II ne fut marqué, dans >cs rapports avec la France, par aucun incident grave. Innocent II, qui traita certaines affaires ecclésiastiques de France avec indépendance, notamment le procès relatif à la prébende de Saint-Mellon de Pontoisc, mécontenta le roi de France. Louis le lui lit sentir : quand le pape réunit le concile de Pise, en

1135, le roi s’opposa au départ de ses nationaux. Il y eut des protestations, surtout de la part de saint Bernard. On ignore comment le conflit se termina.

Telles furent les vicissitudes curieuses de la politique religieuse de Louis VI. Elles nous font saisir, sur le vif, les elTorls de la monarcliie qui se réveille, pour asseoir sa domination sir l’Eglise, efforts incohérents parce que le roi n’obéit cju’aux intérêts de’son pouvoir et non à une doctrine arrêtée, et parce que sa foi sincère a de la peine à s’habituer aux inconséquences religieuses qui découlent de l’indépendance gallicane. Mais la doctrine viendra justifier les actes et coordonner leurs significations éparses,

— et la foi des princes saura mettre une cloison élanche entre ses exigences et celles de la politique. A ce point de vue, le règne de Louis le Gros marque une étape importante dans l’évolution du gallicanisme capétien : une étape de transition.

3) Philippe-Auguste. — Comme il arrive ordinairement dans les doctrines composites, qui se forment d’additions successives et qui échappent aux lois du développement organique, les hommes eurent plus d’infiuence que la logique sur l’évolution du gallicanisme politique. C’est pourquoi la politique religieuse de Louis VII semble plutôt continuer celle de Robert le Pieux que celle de son père. En revanche, Philippe-Auguste, en même temps qu’il fonde l’unité territoriale de la France, donne à la politique gallicane une iuqnilsion décisive.

Il est le premier des Capétiens qui déclare nettement au pontife, à plusieurs reprises, qu’il entend être le maître unique dans les affaires de son royaume. Il réalise la théorie chère aux légistes, qui offre une adaptation nouvelle de l’idée impériale, et d’après laquelle « le roi de France est enqiereur dans son royaume ».Les souverains allemands et le roi d’Angleterre l’avaient précédé dans cette voie. Jamais l’Eglise n’avait aussi profondément qu’alors pénétré toute la vie de l’Europe : à l’intérieur des royaumes, sa juridiction s’étendait à presque tous les actes de la vie sociale, sa procédure, en avance sur la procédure civile, faisait préférer ses tribunaux aux justices séculières : les marchands surtout y accouraient. A l’extérieur, le pape, suzerain véritable de plusieurs rois, avait ailleurs une autorité mal définie, mais réelle, partout chef de croisade, i)artout juge suprême.,. Mais alors aussi, se dessinait partout le conflit entre cette institution universelle et les jeunes nationalités égoïstes. En même temps Arnaud deBkescia — et aprèslui les Vaudois — représentaient un courant d’idées hostiles à toute suzeraineté et même à toute propriété ecclésiastique ; en Italie, le droit romain, partiellement retrouvé et enseigné à Bologne en concurrence avecledroit canonique, exaltait le pouvoir des princes. B.rberousse, d’accord avec ses barons et ses évêques, avait déjà proclamé l’absolue indépendance de sa propre couronne. A la diète de Roncaglia, l’arclievêque de Milan rappelle en faveur de l’empereur l’adage ancien : Quidquid principi placuil, legishahct yigorcm. En Angleterre, Henri II Plant.genet fonde un gouvernement centralisé et appuie cette nouveauté sur de prétendues

« anciennes coutumes du royaume >< (déjà !) : les

clercs criminels sont envoyés devant les tribunaux laïcs, l’interdit des terres et l’excommunication des assaux anglais sont soumis au placct royal, l’immunité ecclésiastique a son martyr : Thomas Becket. Le gallicanisme — plus modéré — de Philippe-Auguste était dans le courant général de l’Europe.

A[>rèslaprisede JérusalemparSaladin(30ct. 1 187), Clément III fait prêcher une croisade : tous les princes font accueil à cette idée : Philippe trouve l’occa24’GALLICANISME

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sion propice pour attaquer lePlantagenet (printemps 1 188). Pape, légat’ ; , clercs, croises protestent en vain : la guerre Jure tant ([uc Philippe a des ressources. Il conclut le 8 novemlire la trêve de Bonnioulin. Le légat veut la faire proroger. Philippe refuse ; aux menaces d’interdit du royaume, il répond : n II n’appartient pas à l’Eglise romaine de porter aucune censure. .. quand leroi réprime ses vassaux rebelles… le légat a ilairé les sterlings anglais… je ne crains pas votre sentence, parce qu’elle est injuste. »

Philippe n’est pas plus souple dans l’affaire, pourtant morale et religieuse, de son mariage avec Ingehurge de Danemark (iigS). Les évêques avaient été déplorablen.enl faibles, les papes furent plus fermes. Mais le roi ne céda i|u’après vingt ans(i 213), quand il eut besoindes vaisseaux ilanoisetdel’uppui d’Innocent III pour réaliser son rêve de conquérir l’Angleterre.

Dans la question du schisme impérial, le roi de France garda toute son indépendance. A cette occasion, le roi et le pape firent des déclarations doctrinales qui marquent dans l’histoire du gallicanisme. I.VNOCF.NT III soutenait Othon de Hrunswick, neveu de Jean sans Terre. Pour mettre le roi d’Angleterre en état de l’aider, le pape essaie d’apaiser les différends anglo-français. En son nom, l’abbé de Casamario signifie aux belligérants d’avoir à cesser, sous peine d’anathéme, une guerre nuisible aux intérêts de la croisade projetée (1203). Philippe réplique qu’H en matière féodale, il n’a pas d’ordre à recevoir du S.-Siége. Le pape n’a pas à se mêler des affaires qui s’agitent entre les rois ».’(P. /,., CCXV, 177.) Innocent rectifie aussitôt : a Si le pape n’a pas le droit d’intervenir en matière féodale, au moins sa juridiction s’impose-t-elle ratione peccati. » Distinction célèbre sur laquelle s’appuie toute la théorie du pouvoir indirect. Philippe ne la discuta point, mais lit prendre à ses barons l’engagement de le soutenir : u Si le pape, disent-ils, voulait entraver les projets du roi, nous lui avons promis, comme à notre seigneur, sur les fiefs que nous tenons de lui, que nous lui prêterons secours selon notre pouvoir et ne ferons aucune paix avec le pape que p.ir son entremise et avec son consentement (Archnes nat., J 6a8). Les mêmes barons en voulaient du reste à toute jviridiction ecclésiastique : ils obtiennent du roi, à cette date, une ordonnance fixant les compétences sur divers points contestes : juridiction sur les veuves, compétence en matière de douaires, de serment ; et réglant la dégradation de clercs. Un peu plus tard cependant, Philippe- Auguste conserve aux cours spirituelles les actions dirigées contre les croisés, sauf en cas de crime grave. Le pape accepte cette restriction.

Ainsi ce roi, dévot à la manière de l’époque, qui, avant de partir en guerre « prie et pleure 1 sur le pavé de S.-Denis, suit avec « des soupirs et des larmes » les processions fciites pour arrêter les inondations de la Seine, enrichit et protège les églises, est le même qui repousse avec persévérance, et au nom d’un principe, l’ingérence de l’Eglise dans ses affaires temporelles : il est gallican.

La conception unitaire carolingienne est désormais brisée, l’unité qui n’est plus dans le tout se fait plus forte dans chacune des parties séparées.

i) LoLis VIII continue la politique de son père : de son vivant, n’avait-il pas bravé les anatlicmes d’Innocent 111. pour entreprendre la conquête de l’Angleterre, bien qu’elle fût récemment devenue terre vassale du S.-Siége’.' En 1225, ses barons se plaignent que l’Eglise ait attiré à son for certaines causes mobilières des laïcs : avec Pierre Mauclkbc, ils mettent en œuvre ces fameuses ligues de défense mutuelle contre les

censures, que les papes ne cessent de réprouver et que les peuples, toujours partisans de la justice indulgente de l’Eglise, ont en horreur.

La querelle continuera pendant tout le règne de S. Loiis : les statutarii, comme on les appelle, s’entendent pour refuser au clergé l’usage des moulins, des fours et des fontaines, Xs mettent en prison les notaires des ollicialités, répondent aux excommunications en saisissant le temporel des églises. Les clercs se défendent par des contre-ligues. Papes et conciles font dénoncer au peuple chaque dimanche, cierges allumés et au son des cloches, les excès des barons ; leurs lils sont déclarés inhabiles à tout bénéliee ecclésiastique. Les baillis du roi saint Louis prennent pres<iue partout le parti des seigneurs. Les souverains jiontifes s’en plaignent. S. Louis ne refuse pas au pape son appui contre les ligueurs.

Cependant, il lit preuve d’une ferme indépendance dans son gouvernement. « Il ne doit y avoir qu’un roi en France, avait-il dit à son frère Charles d’Anjou, et ne croyez pas, parce que vous êtes mon frère, que je vous épargnerai contre droite justice. » Il aurait dit volontiers la même parole aux évêques et au pape. Guy. évêque d’AuxEURE, lui demande — et c’était canonique — d’obliger les excommuniés à se faire absoudre : « Je voudrais d’abord être sur, répond le roi, qu’ils sont excommuniés à bon droit. » (JoiNviLLE, éd. Xatalis de Wailly, c. cxxxv, p. 451402.) Trois circonstances de son règne sont à signaler à cet égard : l’affaire de deux archevêques de Rouen, successivement frappés par lui, celle de Beauvais, où le roi dédaigne les interdits lancés par l’évêque de cette ville et l’archevêque de Reims, enfin l’aU’aire du chaptire de Paris.

On a vil plus haut (Gallitanisme ecclésiastique^ que le Clergé commençait dès lors à se jdaindre de la fiscalité pontificale. Louis IX appuie ses réclamations. A la Un de son règne, Clkment IV inaugure la pratiqvie qui va mettre aux prises toutes les puissances ayant intérêt à demeurer maîtresses des clercs en s’assurant la distribution des bénéfices : il décrète la réserve des liénélices et charges vacant in curia {Se.tt. Décret., lii, tit. IV, c. 2) S. Louis ne s’incline pas sans réserve devant cette décision. Quand sa nomination vient en concurrence de la nomination papale.il lutte pour faire prévaloir son candidat. Dans le conflit de la papauté avec l’Empire, il se tient sur la réserve : quand Innocknt IV, après avoir déposé Frédéric II, exciuuniunie quiconc|ue lui donnera encore les titres de roi et d’empereur, S. Louis ne cesse pas de les lui attribuer dans ses lettres (HriLLAun Bréholles, Hist. Diploni. Frederici II. t. VI, 501 sq.).

Le règne de son lils Philippe le Hardi est marqué par une réaction plus accentuée contre l’extension de la juridiction ecclésiastique : une ordonnance de 127 ! conserve au roi, là où la coutume est en sa laveur, le jugement des clercs homicides et maintient les droits de la justice séculière sur les causes immobilières. Une autre (1278) prescrit aux sénéchaux du Midi d’arrêter les clercs porteurs d’armes. En 1279, le Parlement de Paris inaugure une procédure que Philippe le Bel utilisera souvent : il ordonne aux baillis de saisir le temporel de l’Eglise lorsque lii cour ecclésiastique aura outrepassé sa compétence : c’est déjà la sanction du futur appel comme d’abus.

5).Sous Philippe le Bel, le gallicanisme politique franchit l’étape décisive : la lutte avec Boniiwc.e VIll fait saillir les principes depuis longtemps ébauchés ; les légistes constituent la doctrine et la vulgarisent. Jean de Paris, N’ogauet, Pierre Flote, Piehre Dubois et les auteurs anonymes de plusieurs factums célèbres travaillent à l’envi à dégager la royauté 249

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capétienne de toute subordination tliéorique à l’égard de l’autorité romaine (A. Baudhillart, /tes idées qu’on se faisait, au X/f siècle, de Viiitcrventioii du pu lie eu matière politii/ue, dans Bet’. d’histoire et de iitl. rel., 181j8 ; — R. Sunoi.z, Jlie Publizistih zur Zeit Philipps des Scluinen, Stuttgart, 1903).

Le conilit du roi et du pape a été raconté plus haut (article Bonh-ack VlU). Le roi y afliruia solennellement son indépendanie à réj ; ard de la papauté. En 12<j7, lorsque Boniface tenta de réconcilier les rois de France et d’Angleterre, Philii)pe lit répomlre à ses mandataires : « que le gouvernement temporel de son royaume appartenait à lui seul, qu’il ne reconnaissait en cette matière aucun supérieur… » L’année suivante, il accepta, cependant, la médiation non pas du pontife, mais de Benoît GAÏiTAM.

Ce n’est pas seulement à rencontre du pape que la doctrine gallicane s’allirine : les pani[)lilets, nés à l’occasion de la querelle, s’en prennent à toute immunité, à toute juridiction teuq)orelle ecclésiastique. Le plus célèbre commence par ces mots : Antequam clerici essent, Jtejc Franciæ luihebat custodiani regni su : et poterat statuta fucere. Le Dialogue entre un clerc et un c/ieiu/ier, auquel le Songe du Vergier empruntera beaucoup, bat en brèche rimmunité liscale des ecelésiasti<[ues, au nom des droits régaliens. Iniluence du droit romain exaltant la prérogative souveraine, rivalités de prétoire entre olliciers des juridictions rivales, développement de théories multitudinistes, tout contribue à faire mûrir les conce [)tions gallicanes des âges précédents. Les conciles légifèrent en vain : ils obligent les confesseurs à interroger leurs pénitents sur les atteintes portées à la juiidiction ecclésiastique et à les renvoyer, en cas de culpabilité, devant les évêques, ou même devant le pape : rien n’y fait. Quand le roi veut obtenir un décime, il donne une conlirmation ilhisoire des droits de l’Eglise ; mais c’est lui maintenant, et non plus seulement les seigneurs, qui conduit la guerre contre les justices ecclésiastiques. Auprès de cliaque ollicialité, il a son avocat, prêt à intervenir pour faire prévaloir le principe dont les conséquences indélinies amèneront l’anéantissementdes cours spirituelles, savoir : l’exclusive compétence du roi en matière temporelle et dans toutes les causes réelles de ses sujets : /(em certuni est.notoriuni et ind ubilatuin, d’iænl NoOARET et DU Plaisiaxs à Clément V, quod de hèreditatibus et juribus et rébus inimobilibus ad jus temporale spectantibus qui si^’e petiturio agatur, sive possessorio. sive pertineant ad licclesias et ecclesiasticas pcrsonas, sue ad dominos temporales, agendo et defendendo, cognitio pertinet ad curiam temporalem : specialiter autem domini régis ipsius. Le prince ne laisse à l’Eglise que la connaissance des causes personnelles et criminelles de ses clercs, sauf à employer la saisie du temporel pour obtenir, même en ces matières, l’exécution de ses volontés. La théorie du cas privilégié s’ébauche. Infraction de sauvegarde, bri d’asseurement, port d’armes, fabrication <Je fausses monnaies, de faux sceaux, de fausses lettres royales, crime de lèse-majesté, attentat, abus de justice, excommunication des olliciers royaux, rescousse, haro normand, amèneront les clercs devant le Parlement (R. Gi ; ni ! stal, Le cas prit’ilégié, cours professé à l’Ec. des H" » Etud., sect. des se. relig. 1909-1910, igio-1911). On en trouve déjà quel<[ues exemples dans les Olim et dans les registres inédits du Parlement au temps de Philippe le Bel. Les développements ultérieurs de cette procédure auront pour la justice ecclésiastique les mêmes conséquences désastreuses <(ue ceux des cas roi aux pour les justices seigneuriales (Ernest Peuhot, ies cas roraujc, Paris, 1910).

Quant au domaine de l’Eglise, des légistes hardis comme Piehue Dlbois en proposent l’aliénation. Le roi réclame la garde royale unit’erselle, qui figure en bonne place dans le scriptum contre Boniface VIII, et lui assure la tutelle et l’exploitation de tous les biens d’Eglise. [H-X. A.]

6) Les Valois liérilèrent des conceptions capétiennes. Tout au début du règne de Philii’pe VI, se tint à Vincennesune conférence i)lus notable parle retentissementdes théoriesdéveloppées que par ses résultats immédiats : Pierre ue Cugnières, représentant du roi, y dénonça l’extension exagérée de la compétence des ollicialités ; il ne proposa du reste aucun remède, et n’est pas, i|uoi qu’on ait dit, l’inventeur de l’appel comme d’abus. L’évêque d’Autun. au nom du clergé, revendiqua tout ce que la coutume avait attribué aux cours d’Eglise, et le mémoire remis au roi par ses confrères comprenait une longue liste de causes réelles, personnelles et mixtes. Aux prélats, Philippe donna de bonnes paroles, et laissa ses légistes continuer la lutte (Olivier Martin, L’assemblée de Vincenues, Paris, 1909).

Dans l’entourage royal, le principe de l’absolue indépendance temporelle de la couronne est un dogme qui doit mèmeréformcr l’histoire : les lirandes chroniquesde Saint-Denis, racontant lechangementdedynastie de 762, disaient après les continuateurs de Frédégaire : « Et lors feu esleu a roy de France, par l’autorité de V£glrse de Honte…, Pépin. » Sur son exemplaire, Charles V lit remplacer les mots sacrilèges par ceux-ci « par le conseil du pape de Rome ». Il fait écrire le, S’oH^’e rfii Fero-ier (iS^G-i 3^8), mosaïque reproduisant les morceaux anciens les plus hostiles à la juridiction ecclésiastique. Lorsqu’à l’assemblée de 1406, Guillaume Fillastre rapi)ela que Zacharie avait déposé Childéric, les princes qui gouvernaient pour Charles VI le contraignirent à déclarer qu’à la différence des empereurs et d’autres princes, le roi de France ne tenait pas sa couronne du pape.

Cependant en pratique le roi de France ne l’ait pas aux ingérences de la papauté dans notre Eglise nationale une opposition systématique. Cette papauté était du reste celle d’Avignon, qui mettait souvent au service de la politique française son iniluence européenne. Nos princes prenaient une bonne part des décimes levés par les papes sur notre clergé et conféraient un grand nombre des bénélices que les pontifes se réservaient : il y a là certainement une des causes du progrès de la tutelle royale sur l’Eglise gallicane. L’esprit nationaliste du clergé offrait un appoint favorable. Dans toute rEuro[ie du reste, le sentiment national était déjà fort : à Constance on votera par nation, et on réclamera une équitable représentation des peuples différents dans leSacré Collège, que les papes d’Avignon avaient trop francisé. Au (lire des Italiens, le concile de Bàle aurait été une revanche de la défaite subie à Constance par le nationalisme français : l’obstiiialioii du cardinal Aleman et son schisme savoyard s’expliqueraient par son dépit contre l’u italianisation » croissante de la curie romaine. Cette explication Fim[)liste fait du moins ressortir les réels progrès de l’idée nationale.

7) Plus que le nationalisme, le recours de l’Eglise à la puissance séculière pour mettre /in à la crise du grand schisme a inllué sur le développement du gallicanisme politique. Les théories fort démocratiques des universitaires, aussi dangereuses pour l’autorité royale que pour le pouvoir spirituel, n’ont pas empêché leurs appels aux princes et aux magistrats de sortir leurs effets. Le Parlement de Paris fut invoqué par eux dans l’affaire i)ureiuent doctrinale de la 251

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leilre de Toulouse : en i^oô, le procureur du roi, Jean JouvEMiL, rcel.aina pour son souverain, successevir de Chavieiaa’^ne (V électeur des papes J), le droit de convoquer un concile. En fait, ce seront les princes séculiers qui fcronl aboutir le concile de Constance et dissiperont le conciliabule de Bàle. Le niênie Jean Jouvenel disait aussi : « L’Eglise a été niauvaiscnient gouvernée, nous sommes ci pour y remédier ! » Quand les prélats français réunis à Bourges eurent adopté, eu les modilianl, les remèdes proposés par le concile de Bàle et que le roi eut iait de leurs décisions une Pragmatique Sanction (ilii^), les magistrats royaux assumèrent lacharge de faire appliijuer le traitement. Ce sont les infractions à la Pragmatique qui amenèrent à la barre du Parlement les juges ecclésiastiques et les prélats coupables d’ahus : l’abus n’est primitivement qu’une violation de cette loi fondamentale ; plus tard seulement on abusera en n’observant pas les ordonnances roy.ales ou ne seconformant pas aux arrêts de la Cour. La Pragmatique était pourtant en elle-même, nous l’avons vu, un code de libertés, elle devint ainsi un instrument de servitude.

Elle reconnaissait au roi un droit d’intercession dans les élections épiscopales rétablies : les souverains en usèrent et en abusèrent pour imposer aux chapitres leurs^candidats préféré ?. Souvent même, et dès le temps de Charles VII, ils s’adressèrent directement à Rome pour faire pourvoir leurs favoris ; Louis XI abolit pour un temps la Pragmatique, lui et son lils esquissent des projets de concordat avec le pape : le haut personnel ecclésiastique, recruté suivant le gré dvi roi, est formé de ses créatures.

La régale (pour les Eglises du Nord de France) et la garde royale ( pour le Midi) mettent entre les mains du prince, en moyenne tous les dix ans, pendant une année entière, les domaines des évèchés et des grandes abbayes. Dans la seconde moitié du xv’siècle, on ne demande plus l’assentiment du Clergé pour lever sur lui des décimes : la convention se fait directement entre le pape, qui endosse l’odieux, et le roi qui encaisse le bénélice. Après i ^38, il n’y a guère plus d’assemblées nationales de notre Clergé, après 1467 plus de concile provincial, sauf à Sens en 1485, et c’est le Conseil du roi, bientôt le grand Conseil, qui règle l’administration de l’Eglise. Sous Louis XII, un légat du pape, le Caudixal d’Amboise, est une sorte de ministre des cultes de la monarchie de plus en plus absolutiste : ses bulles sauvent les principes, mais en réalité il est dans 1 Eglise gallicane l’agent de la tutelle royale. Cette tutelle, au temps de Louis XII, s’emploie à procurer une vraie réforme dans l’Eglise de France : le roi l’impose de force aux communautés récalcitrantes.

Le Parlement, après avoir défendu j)endant quelque temps contre l’ingérence pontilicale le droit des eoUateiirs ordinaires, linit par les abandonner en échange d’une tolérance plus large pour ses empiétements judiciaires : à la lin du xv’siècle, il ne reconnaît plus aux ordinaires le droit d’excommunier les odiciers royaux, ni aux juges d’Eglise celui de procéder par censures dans les procès que les plaideurs veulent porter devant des juges séculiers. En tout état d’instance, laïc et clerc veut invoquer le juge royal et dessaisir ipso fado le tribunal d’Eglise : c’est la prévention. Comme gardien des libertés, le Parlement réclame enfin la police extérieure de notre Eglise, il intervient de ce chef dans toutes les querelles des clercs et des moines entre eux ou avec leurs supérieurs, fait lever les censures, oblige à donner des confesseurs et des absolutions, juge de la validité des indulgences, de l’authenticité des reliques, envole un procureurà Notre-Dame pour constater que la messe annuelle fondée par Louis XII est dite et bien dite,

et discute en 1487 si les évêques peuvent, hors de leur diocèse, porter une queue à leurs soutanes, etc. 1 La théologie de l’époque (AlmainbI Jean le Maire sont ses représentants les plus célèbres) ne va pas aussi loin que les légistes, elle pose nettement en thèse l’indépendance réciproque des deux pouoirs : Almain concède cependant au pape le droit de déposer un prince hérétique, ou qui refuse de rendre justice à ses sujets, ou qui les dépouille de leurs biens. Par ailleurs, la puissance spirituelle n’a d’elle-même que des moyens spirituels de coercition et ne jouit, de droit divin, que des produits de l’autel ; toute autre juridiction et tout autre domaine sont concessions du pouvoir civil. Jusqu’à Riciieh, ce sera la forme du gallicanisme politique de nos ecclésiastiques (cf. I.mbaht de la Touu, Les Origines de la Réforme, l et II, Paris, igo5 et 1909).

D) Les temps modernes et l’Ancien Régime

i).u début du XVI" siècle, la monarchie des Valois s’est l’aile presque absolue. h’Ecole de Toulouse, héritière directe des légistes du Moyen Age, exalte les regalia Franciae, Jean Fehrault les énumère dans un Ti actatus cum jucundus tum maxime utilis privilégia aliqua regui Franciæ conlinens (publié en ibili). En bref, le roi n’a jias de supérieur, taxe librement et seul tous ses sujets, confère tous les bénélices, juge seul au possessoire les causes des clercs, a seul le i)Ouvoir législatif, etc. Les juristes excellent alors à transformer en lois primitives, universelles, imprescriptibles (dont personne n’est exempt s’il ne prouve sa liberté en alléguant des concessions royales explicites), de vieux droits féodaux, locaux, restreints et aliénables : telle est la transformation subie par exemple par le droit d’amortissement, compensation du relief sur les liefs ecclésiastiques, qui devient alors loi primordiale interdisant à l’Eglise toute possession de terre sauf dispense du roi acquise à titre onéreux ; telle est encore la transformation de la RÉGALE (voir ce mot). Aucune liberté ecclésiastique ou locale ne résiste à pareille procédure.

2) Quand François 1" rencontra à Bologne le pape LÉON X, mis par sa politique de famille parmi les vaincus de Marignan, il ne lui imposa pas de reconnaître les regalia de Ferrault. Plus modéré que les prétentions des légistes, le Concordat de L’a 6 assure pourtant au roi d’énormes prérogatives à l’égard de notre Eglise nationale : plus de réserve apostolique, sauf les vacances in caria ; le roi de France nomme à tous les bénéfices majeurs ; les causes de ses sujets, sauf les causes majeures explicitement spéciOéesdans le droit et sur la nature desquelles on n’arriva jamais à s’entendre, ne seront plus évoquées en première instance au tribunal du pape. Nos auteurs soutinrent même que les causes majeures elles-mêmes et les appels devaient être tranchés inpartibus (en France) par des juges délégués. Léon X admettait même un certain contrôle du pouvoir séculier sur les excommunications abusives (voir article Concordat).

Le Parlement, on l’a vii, reçut très mal la convention bolonaise ; obligé de l’enregistrer, il lui donna seulement la valeur d’un privilège strictæ inlerpretationis, tandis que la Pragmatique, droit commun, restaitla règle ordinaire des arrêts : le Concordat eut donc peu d’action sur te gallicanisme parlementaire.

3) lien eut beaucoup sur le monde ecclésiaslirjuc : il acheva de mettre en la main du roi la fortune de l’Eglise et son haut personnel. Le roi de France, devenu

« le plus riche dispensateur de rentes viagères

qu’il y eut dans la chrétienté >, eut de ipioi 253

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récompenser niagnitiquement les serviteurs de la monaicliie (beaucoup, à commencer parlechancelier Antoinb du Puât, ncffocialcur du Concordat, mourront sous une mitre et pourvuse « commende de plusieurs abbayes), et à acheter des partisans en Italie et jusque dans le Sacré-Collège. L’Eylise, jusqu’au temps (le Henri IV, en soull’rit beaucoup : le mouvement lie réforme, estpxissé à la tin du xv’siècle, ne fut que mollement poursuivi par des prélats ambassadem’S et chefs de guerre. Lorsqu’en 1588 Henri de la Martonie prit possession personnelle du siège de Limoges sur lequel l’avaient précédé les diplomates Jean de Langeac, Jean du Bellay et Sébastien de Laubespine, le gouverneur militaire de Paris, Antoine Sanguin et l’Italien César des Bourguignons, il y avait plus d’un demi-siècle qu’aucun évéque n’avait mis le pied dans le diocèse. Limoges n’était pas une exception. Les Etats du Languedoc ne cessent de se plaindre des prélats non résidants ; au concile convoqué à Xarbonne en 1551 pour prendre des mesures contre l’envahissement du protestantisme, aucun évoque ne daigna paraître en personne.

4) On aurait eu besoin pourtant, surtout dans ce Midi, si profondément troublé par les querelles religieuses et par des défections retentissantes, d’un épiscopat attaché à ses devoirs. Les ordonnances royales constatent que les évêques ne remplissent i|ue très « petitement » leur tache de défenseurs de leurs ouailles contre l’hérésie. Aussi l’apparition du protestantisme eut-elle i)Our premier résultat un accroissement du gallicanisiiie parlementaire. Le juge d’Eglise — que son ancienne clientèle, surtout depuis l’ordonnance de Vitlers-Cotterets (iSSg) abandonnait de plus en plus, — ne sut pas retenir sa compétence exclusive pour la recherche et le jugement des hérétiques. Les évêques furent d’abord invités à donner des lettres de vicariat aux conseillersclercs du Parlement, puis obligés, sous peine de saisie de leur temi>orel, à consigner au grelïede la cour les deniers nécessaires pour la poursuite des coupables. Henri II et François II surtout (édit de Romorantin) essaieront bien de sauvegarder le droit essentiel de l’Eglise en la matière. Les cours séculières maintiendront le leurà « rechercher et à punir » : l’adlié--ion au calvinisme prohibé par ordonnances royales, est crime de lèse-majesté divine et humaine, donc cas privilégié. Les magistrats protesteront aussi contre les peines ])écuniaires et la prison infligées parfois par le juge ecclésiastique à des hérétiques repentants : toute coercition extérieure est du ressort exclusif de la puissance temporelle.

5) Cette coercition extérieure, très dure sous Henri II, fut absolument inctllcace ; la seule mesure capable d’enrayer la propagande protestante fut prise par l’Eglise romaine, quand Pail III décida d’o|iérer la réforme in captle et in niembris, si longtemps demandée, si longtenq)s dilTérée..Malheureusement la réforme disciplinaire du concile de Trente ne devint jamais en France loi d’Etat, et l’échec que la Curie et le Clergé français subirent à cet égard fut comme une revanche que le gallicanisme parlementaire prit du Concordat.

François 1" avait d’abord vu d’assez mauvais œil le choix de la ville de Trente comme lieu de réunion d’un concile : lesPèresy scraienttrop sous la main de Charles-Quint. Aussi, pendant la première période de l’assemblée (1545-1549), les Français ne parurent guère au synode qu’après son transfert à Bologne. La seconde période fut écovirtée par la guerre ; pendant la troisième (i 56 1-1 563) on a vu le rôle ini])ortant ([ue jouèrent le cardinal de Lorraine et nos natio naux : les décrets de Reformations s’ils ne furent pas tousà leur gré, furent souventportèsavec leur participation. Aussi, rentrés en France, les évêques insislèrcnt-ilspourleur publication. Justement un progrès tlii gallicanisme politique leur permettait alors défaire entendre périodiquement au roi leurs réclamations collectives. Depuis 1533, malgré les condamnations non avenues chez nous, de la bulle //i cæna Domini de 1536, les rois de France levaient sur l’Eglise gallicane, sans autorisation de Rome, des subsides extraordinaires ; à partir de 1560, ces exigences se légalisent, les rois demandent le consentement du pape et celui de leur clergé. En 1561, au colloque de Poissy, les prélats conclurent avec le souverain un contrat décennal qui amena l’institution régulière si originale et si importante dans notre histoire, des ^/ssenihlées du Clergé (puis, en lô^y, à l’assemblée de Mclun de l’Agence du Clergé) destinées à voter et à répartir la contribution io/o » / « /re de l’Eglise de France aux charges publiques : sous l’ancienne monarchie, toute réunion autorisée avait comme un droit naturel

— surtout quand elle payait — de porter au pied du trône ses doléances. Le premier usage que les jeunes Asseml)lées tirent de leur parole, fut pour réclamer la publication du Concile deTrente ; elles la réclameront encore sous Louis XIII. La Sorbonne se joignit àelles, et aussi les légats et nonces du pape, les ambassadeurs des princes étrangers. Les rois inclinaient à céder ; d’Ossat, au nom de Henri IV désireux d’obtenir l’absolution pontilicale, promit l’acceptation ofliciclle « sous réserve de nos libertés » ; les évêques crurent un moment l’avoir obtenue aux Etats de 161^. Vain espoir : toujours l’opposition parlementaire (même quand elle eut perdu l’appui des chapitres et du bas clergé, jaloux des prérog.itives reconnues par le concile aux évêques) se montra si irréductible qu’aucun souverain n’osa passer outre : le droit nouveau inauguré à Trente ne pénétra dans notre droit national que par quelques dispositions que lui emprunta, sans l’invoquer, l’ordonnance de Blois de 1576. Les évêques dans les conciles provinciaux publièrent le reste comme statuts synodaux ; mais les magistrats, appelés sous l’Ancien Régime à siéger dans tant de causes ecclésiastiques, purent ignorer les décisions de Trente. L’avocat protestant Cu.RLEs DU Moulin avait exprimé dès l’année 1564 dans son Conseil sur le fait du concile de Trente, toute la pensée des j)arlementaires : ses griefs seront répétés longtemps, car la polémique littéraire sur ce sujet se poursuivit pendant cinquante ans : les Pères de Trente ont retiré au tribunal laïc toute juridiction sur les clercs, soumis les laïcs à la juridiction ecclésiastique, rendu valables les mariages contractés malgré des empêchements reconnus comme dirimants par la loi civile (non-consentement des parents), empiété sur les prérogatives de l’Etat en imposant des peines extérieures ])our certains crimes (adultère, duel, libertinage), alUrmé les privilèges des réguliers, approuvé les Jésuites, choqué nos principes sur les causes majeures, aboli les comHieH</e5… depuis l’Edit de Nantes, on ajoute : condamné les calvinistes admis dans l’Etat. Sa législation ne peut donc devenir loi d’Etat.

6) te gallicanisme avait pourtant failli mourir du fait de l’introduction du protestantisme en France.

Dès le milieu du xvi* siècle, les théories royalistes de l’Ecole de Toulouse commencent à être battues en brèche. Les fluctuations de la politique royale, longtemps hésitante entre catholiques et réformés, leur ont suscité dansles milieux les plus divers des adversaires audacieux. Suivant que les princes favorisent les novateurs ou les combattent, les calvinistes sont 255

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royalistes ou révolulionnairos. tandis que les catlioliques, à l’inverse, proclament le devoir crobéir à Dieu d’abord, ou au contraire loliHyation indispensable de se souuiellre au roi : l’étude chronologique des pamplilets montre qu’ici encore la doctrine est l’onction de la conduite imposée par les variations des princes. Tous les systèmes sur l’origine et l’orifanisation du pouvoir — les plus extrêmes et les plus modérés, comme ce programme un peu contradictoire, mais fort admiré aujourd’hui, de monarcliie tempérée, gallicane et tolérante, que BoDiN expose en lô^ô dans son De la HépiiliVique,

— ont des partisans acharnés. En iô60, les Etats d’Orléans réclament — une fois encore — le contrôle de la nation sur le gouvernement ; le Clergé blâme nettement la monarchie absolue. Pourtant le gallicanisme se défend : la noblesse et le tiers pro-I )Osent Valiénation des biens d’Eglise, comme appartenant au corps de tel nation. En 1061, le Parlement oblige la Faculté de théologie de Paris à ilésavouer la thèse fie Tanquerel (l’Eglise, dont le pape seul vicaire du Christ est le monarque possédant pouvoir si)irituel et temporel, a pour sujets tous les lidèles, et peut priver de leur trône et dignité les princes rebelles à ses ordres). Le triomphe de l’absolutisme, avec l’Hôpital (1563), est un triomphe aussi du gallicanisme Caturrine ue Médicis proteste contre la déposition prononcée par le Saint-Olfice contre huit cvêques français suspects d’hérésie : ce tribunal n’a pas compétence en France, cette cause majeure aurait du être déléguée à des juges in parlibus ; la reine maintient les condamnés sur leurs sièges, ou, s’ils passent ouvertement au calvinisme, comme Je.vx de Saixt-Ro.main, archevêque d’Aix, leurpermet de résigner en faveur d’un tiers (A. Uegkrt’Procès de hait évêques français suspects de calvinisme ; Rev. Quest. Iiist., juillet 1904, p. 61-108). En mai 1580, Grk-TfOinE XIU croit le moment venu de faire pénétrer en France la bulle In Cæiia Dominide Pie 1^(1500), qui censure les |)ratiques gallicanes : le P. Castor, jésuite, la fait imprimer, et l’envoie, munie du sceau de la Compagnie de Jésus, à vingt-cinq archevêques ou évéques. L’un d’eux, de Thou, la livre au Parlement, qui fait mettre le jésuite en prison. Henri 111 interdit sa porte au nonce et obtient son rappel. Le Clergé et la Sorljonne avaient cefiendant pris parti pour le pape. Au bout de dix-huit mois seulement (1682), le Parlement consentit à laisser bilïer l’arrêt rendu contre la bulle, à condition qu’on ne la publierait pas (cf. P. Richard, (iallicans et i’ttramonlains, ib&o-iâS’i ; Annales de St-I.ouis des Français, iSijS).

Par réaction contre le gallicanisme de Henri III et aussi par nécessité logique, la Ligue, quand elle voulut écarter du trône son héritier calviniste, se lit antigallicane. .. elle le fut à l’excès. Des le mois de janvier 1589, la Sorlionnedéclarait lesFrançais déliés du serment de lidélitê (Sixte-Quint protesta contre cet empiétement sur le droit du pape), et laisait elTacer son nom des prières liturgiques. Des docteurs lirent ra[iologie du tyrannicide (IJouciier) ; Edmond Ricukr, alors jeune bachelier, y défendait en 1591 l’attentat de Jacques Clément et la théorie des deux glaives confiés à l’Eglise (voir sa thèse, publiée dans E. Pl’yol, op. laud.. ii, 139-143).

Au contraire, ceux des parlementaires qui mettaient avant tout la loi salii/ue, élaboraient alors les traités célèbres qu’on invoquera dans tous les conflits ultérieurs : en 1090, Claude Fai ! C.iiet, dans son Traité des libertés de l’Eglise gallicane, insiste sur les restrictions à apporter à la puissance du pape ; Charles Fave, dans son discours des raisons et nioveits pour lesfjuels Messieurs du Clergé ont déclaré nulles et injustes les baltes monitoriales de Gré goire AIV contre tes ecclésiastiques demeurés en ta fidélité du roi (iSgi), allirme la compétence du prince en matière de discipline ecclésiastique, et restreint l’autorité pontificale aux personnes privées ; Antoine HoTMAX (Traité des droits ecctésiaslif/ues, franchises et libertés de t’Egtise gallicane, lôg^). quoique très gallican, est plus attentif à ne pas trop favoriser l’erreur protestante ; Guy Coquille (Institution au droit français, Traité des libertés gallicanes, écrits en 1586et 15g4, mais publiés posthumes après 1603) expose nettement, avec les deux maximes fondamentales que reprendra Pithou, l’ensemble de nos libertés ; il les entoure d’un commentaire juridique et historique et en fait le fond d’un projet de réforme de notre législation ecclésiastique. Pierre PiTiiou enlin enferme tout le système en quelques articles, rattachés, comme on l’a vii, à deux principes : c’est l’évangile définitif du gallicanisme des politiques.

Les prélats, qui suivaient le même parti que ces légistes, allaient moinsloin. Lorsque le 25 juillet lôgS, ils donnèrent à Henri IV l’absolution des censures fulminées par les papes, ils eurent grand soin de mettre hors de cause l’autorité du Saint-Siège : ils invoquèrent le principe Ihéologique incontesté de la cessation de toute réserve in articiilu mortis : tout prêtre aurait pu, comme eux, réconcilier un prince exposé chaque jour aux hasards de combats meurtriers.

-) Avec la conversion de Henri IV, la monarchie française rentrait dans ses l’o/es traditionnelles : le protestantisme allait s’isoler de plus en plus de la vie générale d’une société redevenue ce qu’elle était avant la Réforme ; il n’y avait pas place pour lui dans cette Eglise gallicane, qui était toute la France : société une sous deux gouvernements ; naturellement, comme tout organisme retrouvant sa santé normale, cette société devait tendre à éliminer ce qu’elle ne pouvait assimiler. Le roi, en qui s’incarna le gallicanisme, Louis XIV bannit en effet le protestantisme. Celui-ci aura du reste sa revanche : la philosophie est née du libre examen ; Voltaire est l’héritier de Bayle. Quand on aura détruit la foi aux titres divins de l’Eglise, rendu l’Elat indifférint à toutes les religions positives, un système il’union des pouvoirs, comme est le gallicanisme, sera un non-sens et disparaîtra. Mais avant de mourir, ce système devait fournir les deux siècles les plus célèbres de sa carrière.

Le règne de Henri IV et sa mort tragique restaurèrent en France le culte monarchique. Déjà l’attentat de Chàtel avait déchaîné fort injustement les sévérités, et les cruautés mêmes du Parlement à l’égard des Jésuites ; celui de Ravaillac amena immédiat ?ment (8 juin 1610) la condamnation au feu du De Rege et Régis institutione de Marian.v. Peu après l’avocat général Servin profita du procès de Richer, syndic de la Faculté de théologie, contre le collège de Clermont, pour demander qu’on fit signer aux Jésuites et à leur général ces quatre articles : le concile est au-dessus du pape ; celui-ei n’a aucun pouvoir sur le temporel des rois et ne peut les enpri^er par excommunication ; un prêtre qui sait par la confession un attentat ou conjuration contre le roi ou l’Etat doit le révéler au magistrat ; les ecclésiastiques sont sujets du prince séculier et du magistral politique. — D’abord admise au Parlement, sa requête fut repoussée par le conseil de Régence. En revanche, le 2O novembre de la même année, les magistrats supprimèrent le Tractatus de potestate Summi Pontificis in temporalihus adi’ersus Guill.Barclaium, de Rkllarmin, exposé de la théorie du pouvoir indirect de l’Eglise sur les rois. Le Conseil royal ordonna de surseoir à l’exécution de l’arrêt. En iû14.

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on se pressa tant d’exécuter la sentence analogue rendue contre le livre de Suarbz, Defensio fidei, etc., que l’ouvrage du jésuite put être Ijrùlé avant toute intervention du nonce. Les Jésuites durent publi([ueuient renoncer à la doctrine de Suarez, et solliciter de leur général un nouveau décret contre l’enseignement du tyrannicide.

La théorie gallicane s’était du reste précisée. Jacques Lesciiassikr, en 1606, avait établi que nos libertés consistaient dans l’observation des anciens canons et indiqué les collections qui les contiennent : l’imprécision des anciennes formules laissait un vaste champ à l’arbitraire des magistrats. Edmond RicHBn, dans son titt"// » s, ajoutait au gallicanisme ecclésiastique traditionnel de l’Ecole de Paris, une théorie politique qui n’était point encore admise parmi les théologiens, il dépassait singulièrement la doctrine d’Almain. II professait un système parfaitement lié de quatre propositions : droit divin des rois, absolue indépendance du temporel, autorité purement spirituelle de l’Eglise (la conduite des choses tenq><)relles a totalement abruti l’Eglise, reddidit Ecclesicun tolam briitaleni), puissance du prince sur l’Eglise : conmie prince temporel, protecteur et vengeur des canons, il a la suprême administration de l’appel comme d’abvis. Eu 1617, Richer ne signait pas la censure par laquelle ses collègues déclai-aient hérétique la proposition de Marc Antoine de Domi-Nis, déniant à l’Eglise toute puissance coactive, et Servin au Parlement faisait bruyamment écho à la protestation silencieuse de l’ancien syn<lic.

8) Le Clergé de cette époque n’était pas disposé à se laisser imposer une doctrine ruineuse de toute son immunité et de toute sa juridiction : les évêques d’alors n’hésitaient pas à excommunier des magistrats comme il arriva à Aix, ou des gouverneurs, comme il arriva à Bordeaux. En 1612, au concile de Sens, présidé par le Cardinal du Perron, leLibelttis de Richer fut condamné, sous réserve pourtant des droits de la couronne et de nos libertés. Aux Etats généraux de 1614. lorsque le Tiers, pi’esque uniquement composé de magistrats, proposa d’établir

« comme loi fondamentale », « conforme à la

parole de Dieu » que le roi étant reconnu souverain, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume, etc., le même du Perron, dans une célèbre harangue de trois heures, essaya de lui démontrer que jusqu’à Calvin toutes les écoles de théologie avaient jugé fausse cette doctrine ; qu’une assemblée politique n’avait aucun droit à parler de sa conformité avec l’Ecriture ; que condamner l’opinion contraire était faire schisme avec toute la chrétienté, etc. Mikon répliqua que le Tiers demandait une loi de police : Servin obtint du Parlement des arrêts en ce sens ; le conseil de régence intervint, et. pour faire cesser la querelle, ferma la salle des Etats : « L’an 16 15, raconte malicieusement Bassompierre, commença par la contestation de l’article du Tiers, qui fit un peu de rumeur dans les Etats, enfin on le plâtra. Le Carnaval suivit, auquel Monsieur le prince lit un beau ballet, et le lendemain fut la cimolusion des Etats… 1. En 1682, Gilbert de Choisbcl réclama que dans les Mémoires du Clergé, on mit une note à la harangue dedu Perron pour dire que le Cardinal y défendait une vue personnelle. La note n’eût pas été tout à fait exacte ; on ne peut nier cependant que, même à cette date, les docteurs du reste ultramontains et opposés à Richer, comme Dlval, admettaient, avec des atténuations, l’indépendance du roi de France au temporel. En 1626, ce fut un adversaire

Tome II.

de Richer, le D Filesac, qui déchaîna contre le livre de Santarelli, où étaient soutenues des propositions contraires à nos maximes, la tempête qui occasionna la mort de Servin : le magistrat gallican fut frappé d’apoplexie en prononçant devant le roi un virulent réquisitoire. La Sorbonne censura l’ouvrage « lu jésuite italien et ses confrères désavouèrent sans peine sa doctrine.

Clergé et m.igistrats communiaient donc dans le culte toujours plus enthousiaste de notre monarchie nationale. La lutte entre eux pour la juridiction n’en devenait pas moins âpre : toutes les assemblées du Clergé portent au roi leurs griefs contre le Parlement.

En 1 638 parurent, sans nom d’auteur ni de libraire et sans privilège, deux volumes intitulés : Des droits et libertés de l’Eglise gallicane, arec leurs preuves. C’était une compilation des deux frères Pierre et Jacques Di’puy, gardes de la bibliothèque du roi : le nonce Bolognetti la trouva si dangereuse et en lit des plaintes si vives à Richelieu, qu’un arrêt du Conseil supprima l’ouvrage (20 décembre 1638). Le g février, 22 cardinaux, archevêques et évêques réunis à Paris la condamnèrent aussi : « C’était, disait M. de Montchal, archevêque de Toulouse et ra])porteur, un recueil de toutes les entreprises que la puissance séculière a jamais faites contre l’Eglise. » En elTet, en plus des traités d’anciens jurisconsultes qu’il iiubliait, Pierre Dupuv avait appuyé chacun (les articles de Pierre Pitliou sur des actes puisés dans les collections de nos conciles et de nos historiens, dans les ordonnances royales et les arrêts des Parlements. Jamais pareil arsenal de précédents n’avait été ouvert à nos magistrats. Richelieu n’était pas étranger, dit-on, à cette publication. Cependant il était homme d’Eglise et trop bon théologien pour faire sienne toute la doctrine de Dupuy ; c’est ailleurs qu’il faut chercher l’expression exacte de la pensée du grand ministre.

9) Comme, en 163g, la cour de France était brouillée avec la cour de Rome, le bruit se répandit qu’avec le concours d’un érudit, le cardinal préparait à son profit l’établissement d’un patriarcat national. Le P. d’Avrigny estime que la rumeur était fondée. Un docteur de Sorbonne, Claude Hersent, prit la chose au sérieux et, poussé peut-être par le nonce, en fit sous le pseudonyme d’OPTATus Gallus, une satire très aigre (mars 16^0). Richelieu chargea de la réfuter le savant même visé par ces bruits : Pierre de Marca, devenu depuis un an (grâce peut-être à Pierre Dupuy) membre du Conseil privé. La réplique de Marca déborde de beaucoup le pamphlet d’Hersent. Marca ne mentionne qu’incideninicnt l’alTaire du patriarcat gallican, prouve en passant que le pajjc est seul patriarche d’Occident, et s’étend sur les principes qui assurent à la fois la concorde des deux pouvoirs et nos libertés traditionnelles. Les deux mots Concordia Sacerdotii et Imperii et l.ibertates Gallicanæ sont dans le titre de son ouvrage. Les quatre premiers livres parurent en 16/|i, les quatre derniers furent publiés postliumes par Baluze (i 663). Marca, on l’a vu, admet presque toute la théorie romaine sur la constitution de l’Eglise, y compris la supériorité du pape sur les conciles. Mais pour lui, l’autorité pontificale, comme toute autre autorité, ne peut imposer l’observation de lois que le peuple n’accepte pas. L’acceptation est le troisième élément essentiel de la loi (volonté du législateur, promulgation, acceptation ) : cette vieille théorie, empruntée au droit romain, défendue par un grand nombre de théologiens et de canonistes fran( ; ais et espagnols (Gerson, Xavarro, CovARRUVivs, etc.) n’est pas nécessairement liée, à une conception démocratique de la société ; Marca 259

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dit très nettement : une loi non acceptée n’a pas de force obligatoire, parce qu’elle serait nuisible et parce que le législateur, surtout le législateur ecclésiastique, à qui Notre-Seigneur a interdit d’exercer une domination tyrannique, n’est pas censé avoir eu dans ce cas l’intention d’obliger. La loi ecclésiastique, conclut-il, doit donc être reçue par l’Eglise, c’est-à-dire par ce corps formé des clercs et du peuple représenté par son prince. La loi, ainsi parfaite, est stable : il n’est pas à présimier qu’un pape, faisant dans un cas particulier un décret contraire aux lois et décrélales acceptées, veuille absolument y déroger ; ainsi, pour savoir comment se règlent chez nous les rapports des deux pouvoirs, doit-on s’en tenir à l’étude des précédents nos libertés ne sont pas autre chose que l’observation des lois acceptées. Cette conception bistorique et juridique déplut à Rome ; la Coiicordiafut proscrite parle S.-Oflice. Marca, nommé à l’évêché de Couserans, dut, pour obtenir ses bulles, signer deux rétractations où il adhérait à la doctrine romaine

« tanquam juri communi canonicu « et déclarait

que toute prérogative du roi de France, contraire à ce droit, était privilège apostolique I Les gallicans n’ont pas pardonné àMarca cette palinodie. Les jansénistes, dont il fut r.ndversaire, l’ont discrédité ; sa théorie n’a point été adoptée par les légistes parisiens, et son système — celui de Richelieu, qui, tout en maintenant les libertés acquises, les arrêtait dans leur développement devenu dangereux pour l’Eglise

— n’a pas inspiré la conduite de Louis XIV.

lo) Louis XIV, écrit M. ILvnot.ux (Introduction, p. cxi) aborda… les matières de religion avec cet esprit de gravité qui lui était naturel ; mais aussi avec la vive persuasion de la sainteté et presque de l’infaillibilité de sa mission. De là la surprise qu’il manifeste dès les premières résistances, son entêtement, sa colère soudaine, ses violences ; assurément, ce qui lui paraissait le plus autorisé dans ses actes, c’était tout ce qui touchait à ces questions… //irt dans la conduite de J.ouis XIV quelque chose du poids et de la rigidité d’un système qui ne peut fléchir sansse rompre. Jl est le gallicanisme >iuint, agissant, militant, triomphant…

On ne fera pas ici le récit, qu’on trouve partout, des démêlés de Louis XIV avec les papes : ambassade de Créqui et all’aire des Corses, déclaration de la faculté de théologie en iG63, arrêt du Parlement et déclaration conforme du roi, défendant d enseigner une doctrine contraire, querelle de la Rkc.ale (voir ce mot), assemblée de 1O82, conflit au sujet des franchises de l’ambassade de Rome, appel au concile en 1688… (voir là-dessus les travaux un peu trop sévères pour Louis XIV de Ch. Gkrin, publiés soit à part. Recherches historiques sur rassemblée… de 168’J, 2" édition, Paris, 1 8^0. Louis XIV et le S.-Siége, Paris, 189^1, 2 vol., soit dans la lievue des questions historiques, t. Xll. WIU. l. XXV, XXVI, XXVIT, XXVIII, XXX, XXXIIl, XXXVI, XXXIX). On cherchera plutôt à délinir le système qu’incarnait le roi. L’explication de sa conduite est un peu courte quand elle se borne à parler de son orgueil, des nécessités de sa politique extérieure, dont le pape ne veut pas se faire l’instrument, des besoins de ses linances (qui inspirèrent cependant une part fâcheuse de sa législation ecclésiastique : création d’ollices, édit sur l’argenterie des églises, etc.), ou de l’idée assez commune dans son entourage et que le roi exprinu- lui-même dans ses mémoires, du droit de propriété royal sur tous les biens des Français, particulièrement des ecclésiastiques.

Le système de Louis XIV n’a jamais clé mieux exposé que par un des collaborateurs les plus éminents

de Colbert (par celui qui rédigea l’ordonnance de la marine sur laquelle nous vivons encore), Roland LE Vayer de Boutigny. Au plus fort de sa querelle avec Innocent XI, Loris XIV demanda à ce maître des requêtes, — moins pour lui-même évidemment que pour le public, — de « lui faire connaître avec précision toute l’étendue des prérogatives de sa couronne » en ce qui concerne l’administration de l’Eglise gallicane et sur quoi elles pouvaient être appuyées ». Les u Dissertations sur l’autorité du roi en matière deliégale » coururent manuscrites par toute la F’rance ; il y en a des copies dans toutes nos bibliothèques ; en 1682 on en fit à Cologne ( ??) une édition anonyme et subreptice que Le Va}er corrigeait encore quand il mourut en 1685. Reproduit depuis sous dillérents noms, sous celui de Talon en particulier, l’ouvrage ne pai-ut dans la forme définitivement arrêtée par l’auteur et avec son vrai nom. qu’en 1^53 (Traité de l’autorité des rois touchant l’administration de Z’£g/(.se, Londres ( ?) 40 + 512 pp. in- 16). C’est bien la synthèse la plus achevée du système gallican et le livre le plus représentatif de sa méthode.

L’Eglise gallicane, dit l’avant-propos, est en même temps : d’abord par relation avec l’Etat dont elle est unmembreo un corps ^o/i/içHe, ensemble de peuples unis par les mêmes lois et sous un même chef temporel [le roi| pour contribuer ensemble à la conservation de l’Etat et à la tranquillité publicpie », et ensuite o par relation au Fils de Dieu dont elle est l’épouse », « un corps mystique, assemblée de fidèles unis par une même foi et sous un chef spirituel |le pape], pour travailler ensemble à la gloire de Dieu, et chacun à son salut particulier ».

On le voit, la vieille conception du moyen âge est encore vivante, mais nationalisée : une seule société avec deux gouvernements.

Comment déterminer les relations des deux chefs’? Une première partie rappelle dans leur ordre chronologique les « exemples » du passé. En la lisant, Louis XIV se persuadait que, comparée à celle de ses prédécesseurs, son ingérence en matière ecclésiastique était fort discrète : c’est la réponse qu’il opposa toujours aux reproches des papes.

Cependant, ajoute Le Vayer, comme les faits ne créent pas le droit, il faut juger de la légitimité des exemples sur des principes admis par les deux puissances. La seconde partie du mémoire est donc le commentaire et le développement d’un texte du VI" concile de Paris(829) passé dans le Décret de Gratien : le maître des requêtes en tire une doctrine générale parfaitement liée sur le partage des deux puissances dans la conduite et l’administration de l’Eglise, et des applications de détail extrêmement minutieuses sur le rôle du roi en ce qui touche l’enseignement de la doctrine, l’exercice du culte, le gouvernement des personnes et des biens ecclésiastiques : toutes les pratiques de l’Ancien régime, même les plus étranges, y sont justifiées et rattachées au principe général jadis formulé par les évêques carolingiens.

Seul responsable devant Dieu des intérêts tenqjorels du corps politique, le roi y pourvoit seul, comme le pape pourvoit seul aux Intérêts purement spirituels. Quand les intérêts ne sont ni purement spirituels, ni purement temporels, mais mixtes, l’intérêt temporel doit s’elïaeer devant le s])irituel toutes les fois qu’il s’agit d’une chose nécessaire au salut ; s’il s’agit au contraire d’un point de perfection ou de conseil, on verra de quel côté il y aurait plus grand dommage à céder. Qui en sera juge ? Ce ne peut être le pape ; on a vu sous Bonifacc VllI, dit notre auteur, comment, sous prétexte de spiritualité connexe, le 261

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pouvoir ecclésiasli(]ue a essayé, contre la volonté de bien, d’absorber le pouvoir politique tout entier. Comptable à Dieu seul du bien de son Etat, le roi ne peut être privé du droit de décider ce qui lui est ou non doninia^oable. Voilà le rôle du prince comme chef du corps politique ; voici maintenant son rôle comme protecteur du corps mystique : au gré de Le Vayer de Boutigny, le poinoir spirituel ne peut exercer par lui-même aucune coercition extérieure, l.a terreur de la discipline, disent expressément les Pères de 82g, comme la défense extérieure de la doctrine, appartiennent au protecteur de l’Eglise. L’Eglise, conclut Le Vayer, est sans doute un vaissiMU de voyageur, que Dieu a commis à la conduite il’un pilote pour présider à la navigation et d’un capitaine pour veiller à la sûreté et à la défense du navire… C’est à lui |au capitaine | de défendre le vaisseau des ennemis du dehors, de faire au dedans qu’on obéisse au pilote | le pape], que la paix et la discipline soient conservées, et d’empêcher enfin que ceux qui doivent agir et que le pilote lui-même ne se relâche. »

En vertu de ces principes la mainmise du roi — et de ses successeurs — sur l’Eglise nationale est très étendue. Aucun acte de Rome n’a force obligatoire en France, s’il n’est pas revêtu du placel royal. Les décrets des Congrégations romaines sont toujours regardés comme non avenus. Tout le haut personnel icclésiastique a reçu du roi, non pas l’investiture, mais sa situation : le concordat et les induits livrent à la nomination royale tous lesévêchês et à peu près toutes les abbayes ; le roi laisse bien retourner bon nombre de monastères à la régularité et par suite à la liberté des élections, mais il tente de se soumettre d’autres maisons, libres jusque là, comme celles des clarisses-urbanistes, ou des bénéûces jusqu’alors réservés aux évcques du Midi (régale). En somme, la fortune ecclésiastique est presque entièrement distribuée par le souverain. De plus il prend une partie de ses revenus : le domaine de l’Eglise échappera théoriquement à l’impôt forcé jusqu’à sa suppression par la Constituante, et quand Loris XV voudra l’y assujettir, les assemblées du Clergé sauront faire respecter le principe de son immunité ; mais pratiquement l’Eglise accorde au roi le don gratuit, des décimes et des contributions de diverses sortes qui, de 1690 à 1715, atteignirent le chifTre d’environ 160 millions, peut-être le vingtième des revenus de l’Eglise de France (cf. A. Cans, La contribution du Clergé de France à l’impôt pendant la seconde moitié du règne de Louis.YLV, Paris, igio).

En matière judiciaire, le privilège du clergé subsiste pour les clercs au criminel : même dans le cas du délit privilégié, un juge ecclésiastique, comme cela se pratiquait depuis le xiv « siècle, instruit le procès conjointement avec le juge laïc. Mais toutes leurs causes réelles vont aux magistrats du roi ; les contestations bénéliciales encombrent les rôles des parlements. Depuis des siècles, ces tribunaux jugent au possessoire (maintenue en possession du bénélice litigieux, jusqu’au joui- où le juge d’Eglise rendra après examen des droits, au pétitoire, une sentence détinitive) ; pratiquement le juge séculier, pour éclairer sa conscience, voit lui-même les titres et casse régulièrement, comme abusif, tout jugement au pétitoire qui n’est pas conforme à son jugement possessoire (cf. P. Delanmoy, La juridiction ecclésiastique en matière béné/iciale, etc, Louvain, 1910). La juridiction ecclésiastique sur les laïcs en raison <lu délit n’est presque qu’un souvenir ; elle se maintient très péniblement en matière matrimoniale avec de multiples restrictions.

I Reste la législation ecclésiastique : certes Louis XIV

n’entendait toucher qu’à la police extérieure de l’Eglise, mais il la réglementa abondamment. Il parait avoir poursuivi, d’accord avec ses jurisconsultes et une bonne partie de son clergé, un dessein d’unilicalion et de coditication des coutumes ecclésiastiques. La coditication rêvée se borna en substance à la grande ordonnance sur la juridiction, d’avril iCqS : elle paraît respecter l’autonomie de l’Eglise ; en réalité il n’y a point d’acte épiscopal qui ne soit soumis à la haute surveillance du Parlement, à l’appel comme d’abus. Ingérence injustifiée, à l’égard d’une société majeure et libre, qui peut bien avoir un protecteur, mais n’accepte pas de tutelle.

1 1) C’est sous le faible successeur de Louis.XlVque le système porta tous ses fruits — grâce aux querelles jansénistes — et fut poussé jusqu’à l’odieux et au ridicule inclusivement.

Les « appelants » virent les parlementaires prendre fait et cause pour eux la 91’proposition de guEs.vEL, condamnée par la bulle l’nigenitus : « La crainte même d’une excommunication injuste ne nous doit jamais empêcher de faire notre devoir… » avait quelque connexion avec la maxime gallicane assurant aux magistrats l’immunité de toute censure. La bulle enregistrée avec des réserves, fiit, dès la mort du roi Louis XIV, combattue avec acharnement. En 1729, la canonisation de S. Grégoire VII fournit l’occasion d’une manifestation : la feuille contenant les leçons de son office rappelait l’excommunication et la déposition de l’empereur Henri IV ; elle fut interdite par arrêts de Paris, Rennes, Metz et Toulouse. L’année suivante, quand lassé des résistances des

« appelants », Louis XV tint un lit de justice pour

faire enregistrer une Déclaration coupant court aux oppositions, il dut subir l’algarade publique du fameux abbé PucELLE, conseiller-clerc : nous ne voulons point permettre qu’on fasse du roi un vassal du pape ! Voilà pour l’indépendance du temporel — et voici pour la mise en tutelle de l’Eglise.

La même année 1780, comme les évêques se plaignaient de l’appui prêté par la Cour aux curés révoltés, quarante avocats signèrent une consultation déniant à l’Eglise tout pouvoir eocrcitif extérieur : ils exprimaient en même temps, sur la nature de la loi civile, des idées fort républicaines, aussi 230 de leurs confrères les désavouèrent-ils dans un mémoire plus royaliste, mais tout aussi gallican. L’archevêque de Paris, Vintimille du Luc, lit un mandement des plus modérés pour rétablir la doctrine catholique : déféré comme d’abus au Parlement, il fut condamné. Le roi intervint ; un premier arrêt du Conseil (peu satisfaisant), puis une lettre royale et un second arrêt reconnurent la juridiction de l’Eglise et son droit de coaction ; le barreau de Paris répondit par la grève. Danslecourantderannresuivante(7 septembre 1781) le Parlement adopta la thèse des avocats et lit une déclaration de principes en quatre articles :

I. La puissance temporelle est absolument indépendante de toute autre puissance et nul pouvoir ne peut en aucun cas y donner directement ou indirectement atteinte.

II. Les canons et règlements que l’Eglise a droit de faire ne deviennent loi d’Etat qu’autant qu’ils sont revêtus de l’autorité respectable du souverain.

III. A la puissance temporelle seule appartient la juridiction qui a droit d’employer la force visible et extérieure pour contraindre les sujets.

IV. Les ministres de l’Eglise sont comptables au roi, et, en cas d’abus, à la Cour sous son autorité, de la juridiction qu’ils tiennent du roi, même de tout ce qui pourrait, dans l’exercice du pouvoir qu’ils 263

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liennenl direclcment de Dieu, blesser la tranquillité publique, les lois et les maximes Ju royaume.

Un arrêt du Conseil, rendu le lendemain, fit lacérer cette déclaration ; le Parlement députa à Marly pour protester, mais ne fut pas reçu.

Nouveau heurt en 1782, quand Vintimille condamne la gazette janséniste les iXoinelles ecclésiaslit/iies ; 1 89 conseillers donnent leur démission ; le Parlement, exilé d’abord, est ensuite rappelé sans condition.

La monarchie se lassait de la lutte ; dès lors le Conseil du roi, jusque là refuge des évêques molestés, se met à les frapper aussi : comme le cardinal de ÏENciN et M. DE LA Fare Ont prolesté contre les parlementaires, le Conseil leur enlève le privilège général qu’avaient la plupart des prélats pour l’impression de leurs mandements.

Vint l’alîaire du refus des Sacrements aux appelants. Le Parlement y intervint à des titres multiples : d’après les légistes ce refus est une injure publique et donc justiciable de la Cour ; c’est de plus une cause de sédition, etc. Le successeur de Vintimille, Christophe DE Beaumoxt, et plusieurs de ses collègues, payèrent de l’exil leur résistance à ces prétentions. Il y eut cependant, en l’jSS, comme une réaction de bon sens et de vigueur au Conseil du roi. Le Parlement devenait insupportable : il avait imposé à la Faculté de théologie de Paris un nouveL enregistrement de la Déclaration de 1682 ; dans l’affaire de la sœur Perpétue il avait, malgré la défense du roi, cité à sa barre l’archevêque de Paris ; contesté au prince le droit d’évoquer la cause d’un prélat qui était pair de France, porté à Louis XV une remontrance contre le « système » des évêques toujours indociles au roi et tyranniques à leurs inférieurs, et contre la complaisance du Conseil qui entravait le zèle des magistrats chargés de défendre les droits de la couronne. Les cours de Rouen, d’Aix, puis de Toulouse, s’étaient jointes à celle de Paris. Le roi, excédé, exila les magistrats à Ponloise ; dès le mois de septembre 175^ ils furent rappelés, reçus en triomphe par la poiiulation fanatisée par les curés jansénistes, et salués du nom de « Pères de la patrie ». En 1766 il fallut un lit de justice pour faire enregistrer une tléclaration royale réglant qu’en cas de refus des sacrements toute action devait être portée devant le juge ecclésiastique ; sauf le cas de délit privilégié (injure ou désordre public).

L’attentat île Dainiens, en 1957, servit de prétexte à un redoublement de zèle parlementaire, les magistrats de Toulouse puis ceux de Paris exigèrent des Jésuites le désaveu de la théologie de Buscmbaum et la reconnaissance de l’entière indépendance du temporel des rois. A la veille de leur suppression en France, on olHiendra de ces religieux la promesse, non point de ; e/iir, uiais d’e « se/o’ «e ;-les quatre articles. Cependant les assemblées du Clergé (1760, 1762, 1763) ne se lassaient pas de réclamer contre l’envahissement du domaineecclésiastique. Leaaaoùt 1766, en rcponsi^ aux attaques dirigées de toutes parts contre l’Eglise, l’assemblée fit un exposé collectif de la doctrine catholique : ce sont les fameux Actes du Clergé. Les évêques reconnaissaient l’indépendance du roi en matière temporelle, et son titre de protecteur de l’Eglise ; mais ils ajoutaient : « Celte protection que les rois doivent à l’Eglise n’est jwint un droit qu’ils acquièrent sur ses décisions… le jugement de l’Eglise n’emprunte pas sa force de la puissance royale, c’est donc agir contre les canons que de prétendre les interpréter à son gré sous prétexte de les défendre. » Us aûirmaient la liberté absolue de l’Eglise en matière d’enseignement doctrinal et moral, sa compétence exclusive en matière de vœux et d’administration des sacrements.

Les 4 et 5 septembre, le Parlement frappa les Actes comme entachés d’abus, et la lettre par laquelle les députés les avaient envoyés à leurs confrères, comme fanatique et séditieuse.Le Conseil royal cassa ces arrêts ; mais l’année suivante il exposa lui-même ses principes (24 mai 1766), ils ne différaient guère de ceux du Parlement.

« L’Eglise a reçu de Dieu une véritable autorité qui

n’est subordonnée à aucune autre dans l’ordre des choses spirituelles qui ont le salut pour objet… le gouvernement des choses humaines et tout ce qui intéresse l’ordre pidjlic et le bien de l’Etat est entièrement et uniquement du ressort [de la puissance lemporellel. » L’Eglise seule décide ce qu’il faut croire et pratiquer ; mais le prince, avant d’autoriser la publication des décrets de l’Eglise et d’en faire des lois d’Etat, à droit d’examiner « leur conformité avec les maximes du royaume » ; seul il peut employer les peines temporelles, la force visible et extérieure pour les faire pratiquer ; il ne peut pas imposer le silence aux pasteurs sur l’enseignement delà foi et de la morale, mais il peut empêcher « que chaque ministre ne soit indépendant de la puissance temporelle en ce qui touche les fonctions extérieures appartenant à l’ordre public et… écarter de son royaume des disputes étrangères à la foi et qui ne pourraient avoir lieu sans nuire également au bien de la religion et de l’Etat ».

Dans leur remontrance au souverain, les évêques, par la bouche de Loménie de BniENNB, firent observer au roi qu’au nom de cette espèce de pouvoir indirect du temporel sur le spirituel, maintenant proclamé par le Conseil, les Parlements avaient envahi toute la sphère réservée à l’action de l’Eglise. Le roi ne répondit rien.

Vingt-quatre ans plus tard, ce même Loménie de Brienne acceptera la Constitution civile du clergé. Sous la plume des défenseurs de cet acte, de Gai’ : -GoiRR, de Treilhard, de Martineau ou de Camus, dans r « Accord des frais principes de l’Eglise, delà morale et de la raison » opposé par les évêques constilulionnels à l’Exposition des principes rédigée par M. DR BoisGBLiN au nom de l’Eglise gallicane, on retrouve touteslesmaximesde Le Vayer de Boutigny et des magistrats du xviii » siècle. La Constituante n’avait prétendu toucher qu’à la discipline extérieure de l’Eglise, et « tout ce qui est e.rlérieur, disait l’Accord, est, de droit naturel, soumis à la puissance qui l’ait les lois ».

Dans une société visible comme est l’Eglise catlioliipie, quiconque prétend gouverner exclusivement tout ce qui est extérieur, met la main sur les organes essentiels et sur tout leur exercice. De cette prétention des Constituants, héritée des parlementaires et des rois (ils le disaient hautement), l’Eglise gallicane est morte. Bien morte, car l’Eglise constitutionnelle, qui pensait en être la survivance, n’était plus catholique. L’Etat avait aussi cessé de l’être : rvsseiubléeConstituanlerefusaitàdoni Gerle de proclamer (]ue la religion catholi(iue était celle de l’Etat.

IV. — Condamnations du gallicanisme

A) Erreurs sur la Constitution de l’Eglise

i) Les erreurs démocratiques sur la constitution de l’Eglise ont été souvent réprouvées. La plus ancienne condamnation formelle est celle des théories de Marsile de Padouc que Jban XXII (/./ce ? y’ « j : /n doctrinam, 28 octobre 1827. Denz. B., 49t’(42/|) sqq.) déclare contraires à l’Ecriture, ennemies de la foi catholique, hérétiques ou suspectes d’hérésie (liærglicales ) et erronées.

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2) Les théories conciliaires — que les Gallicans avaient voulu faire dédnir à Constance — n’ont pas été (l’abord, directement et en elles-mêmes, réprouvées par le Saint-Siège. Martin V ût — et tout de suite — une déclaration non équivoque de ses sentinuMits à leur égard : le 10 mai 1418, il lit lire en consistoire — mais ne promulgua pas autrement — une bulle contre lu procédure des Polonais qui en appelaient au futur Concile. Gerson ne se méprit pas sur le sens et la portée de cet acte, et écrivit aussitôt un dialogue pour justilier doctrinalenient l’appel à ce tribunal supérieur qu’est l’Eglise assemblée.

3) Dans l’affaire de l’union des Grecs, au concile de Florence, les deux partis qui, au sein de l’Eglise occidentale, s’airronlaicnt alors si tragiquement sur la question de la constitution ecclésiastique, virent autre chose que l’heureux rétablissement de l’unité chrétienne : Eugène IV d’une part, les Pères de Bàle de l’autre, clierchaient en Orient un appui pour leurs l)rétentions rivales. Les Grecs ne vinrent pas à Bàle ; ce fut le iiape qui promulgua à Florence le décret d’union, et la théologie romaine qui bénéOcia de la délinition acceptée parles Orientaux Cette définition était une condamnation indirectedes décisions bàloises [l.aetentur Cæli, 6 juillet 1489, Denz. B., 694 (588) |. Nous définissons, disait Eugène IV, que le Saint-Siège ai)Ostolique et le pontife romain possèdent la primauté sur l’univers entier (in uni^ersum orbem), que ce pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, le vrai vicaire du Clirist, le chef de toute l’Eglise, le père et le docteur de tous les chrétiens, qu’à lui, dans la personne du bienheureux Pierre, Jésus-Christ a donné plein pouvoir de paître, régir et gouverner l’Eglise universelle, comme il est précisément contenu dunsles actesdes Conciles généraux et les saints canons. Ipsi… plenam pote.statem traditam esse, nuemadmodum etiam in gestis oecuiuenicorumconciliorum et in sacris canonibus continetur, /.v// Sv t/so’ttîv y.v.’i iv toû rsaxTix^r ; rûv oiyryjfizviy.d-^ Tuvoowv >?Kt [sv] Tot4 îsp’^Ti y.yydri Siv’/yjj-Qv, v=TVA,

Les gallicans ont épilogue sur cette dernière incise, pour amoindrir, ou même retourner à leur profit le sens de tout le paragraphe. Contre l’autorité du texte latin original et de toutes les copies contemporaines, ils ont proposé de lire quem ad mndum et ou même Ju.rta modum qui in gestis, leçon plus conforme, disaient-ils, au texte grec du décret d’union, et qu’il faudrait traduire : « Jésus-Christ a donné au pape plein pouvoir…, mais seulement dans la mesure admise par les conciles et les canons. » Grammaticalement l’incise grecque, séparée de son contexte, pourrail supporter ce sens ; cependant, pour qui lit la l)hrase entière, il est malaisé deconcevoir clairement ce que peut bien être un plein pouvoir, qui n’est pas plein, mais limité aux prérogatives reconnues par les conciles. A priori, il n’est guère vraisemblable qu’à cette date, un pape du caractère d’Eugène IV, dans une définition dirigée en partie contre les gens de Bàle, ait laissé passer une profession de gallicanisme. Eu fait, dans la discussion d’un mois quin 1439) qui s’engagea entre Grecs et Latins sur la forme et la teneur du décret d’union, — discussion où le pape, à son ordinaire, se montra fort intransigeant sur ses moindres prérogatives, — les théologiens romains pour démontrer la primauté pontilicale, s’appuyèrent princi [)alement sur l’histoire des conciles et en particulier sur le rôle de S. Léon le Grand à Chaiccdoine. Aussi le 1" juillet, d’un commun accord, laissa-t-on tomber de la formule choisie le rappel de la doctrine des saints Pères et de l’Ecriture, pour retenir seulement celui des actes conciliaires et des canons, preuve capitale invoquée par les Latins et acceptée par les

Grecs. Dans ces conditions, l’incise quemadmodum, etc. paraît avoir plutôt une intention démonstrative (]u’un sens restrictif (cf. Wii.mehs, Histoire de la Keligion, etc., Paris, s. d., t. 11, p. a47 s([.).

La condamnation directe des doctrines bàloises suivit d’assez près la promulgation de la doctrine catholique. Dans la constitution Moyses (4 septembre 1439), Eugène IV accusa formellement les clercs de Bàle d’avoir détourné de leur sens les canons de Constance ; il condamna leur interj>rctation et leurs décrets comme contraires au sens de l’Ecriture, des saints Pères, et du concile même sur lequel ils s’appuyaient ; enl

, le 20 avril 1 44’. la bulle Jitsi non dubitamus envoyée aux universités, aux rois et aux princes, aflirmait la primauté du S. -Siège, son droit de contrôler et de réprouver au besoin les décisions conciliaires, de transférer et dissoudre les conciles ; quant aux décrets de Constance, inadmissibles au sens donné par les Bàlois, ils sont l’ccuvre d’une seule obédience et n’étaient pas nécessaires pour rétal)lir l’unité (cf. Noël Valois, Le pape et le Concile, 2 vol., Paris, 1909).

4) Vingt ans plus tard, un ancien membre de l’assemblée schismatique bàloise, /Eneas Sylvius Pie colomini, devenu le pape Pie 11, écrivait une bulle pour rétracter les erreurs de sa jeunesse (In minorihus agentes) ; il y établissait la constitution monarchique de l’Eglise, restreignait la juridiction supérieure du concile au seul cas du pape douteux, et professait que toute juridiction découle du chef dans les membres. Le 18 janvier 1459 (bulle E.recrabilis, Denz. B., 717 (608)|, il condanmait comme entaché d’erreur et détestable tout ai>j)el au futur concile. SixTB IV et Jules II renouvelleront cette condamnalion, et la prohibition de cetleprocéduresera inscrite à l’arliclc 2 de la Bulle In Cæna Domini.

5) Dans sa iv’session (10 décembre 1512), le V concile oecuménique du Latran réprouva la Pragmatique sanction de Bourges, et dans la xi’(19 décembre 1.5 16) LÉON X, en promulguant le concordai de Bologne [Bulle l’astor aeternus, Denz. B., 740 (622)], établit que, contrairement aux aflirmalions de la Pragmatique inspirées par des décrets bàlois postérieurs à la translation légitime de l’assemblée, le pontife romain tout seul a autorité sur tous les conciles : cette doctrine, ajoutait Léon X, est prouvée non seulement par l’Ecriture, les Pères, l’enseignement des papes ; mais encore par la confession manifeste des conciles eux-mêmes.

6) Pour ce qui regarde la Déclaration de lOS ?, l’excellent recueil Denzinger Bannvvart (p.3C6, note2) manque un peu à son exactitude habituelle. Il n’est l>as vrai que par un bref du 1 i avril 1682 (Paternae Charitati) Innocent XI ait rejeté les quatre articles : ce bref concerne uniquement le consentement donné par l’assemblé du Clergé à l’extension de la Régale et ce qui s’en est suivi. Le pape, il est vrai, fit plus tard préparer une constitution sur la matière ; mais outre qu’elle ne fut jamais publiée, elle se bornait à renouveler et à appliquer à la France les prescriptions du second concile de Lyon relatives à la Régale et à annuler l’acte de la Déclaration sur la puissance ecclésiastique. Quant à la doctrine. Innocent XI, malgré la pression de quelques conseillers zélés, en réservait le jugement à une décision ultérieure du S.-Sicge. (Les minutes successives de cette Constilulion sont aux Archives vaticanes,.unziat. Francia, 8170, et à la bibliothèque Casanatense, mss. Casanale ii, 11, 8.) Sur son lit de mort, Alexandue VIII, successeurd’Innocent XI, publia, non pas la constitution, mais le 267

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bref Inler multiplices, signé par lui six mois auparavant (4 août 1690). Lui non plus ne condamne pas les quatre articles, — il avait maintes fois prorais au duc de Chaulnes, ambassadeur de Louis XIV. de ne point frapper la doctrine — il déclare seulement nuls de plein droit (ipso jure… nulla, irrita, invalida, innania, iribuset effectupenitns elomninovacua), tous les actes de l’assemblée (omnia et singula quae… acia et gesfa fnerunt) et tous les édits royaux contirmatifs : personne n’était tenu de les observer. Presque en même temps il avait fait insérer dans un décret du S. -Office en date du ^ décembre 1690, parmi des propositions qualiliées de « respectivement téméraires, scandaleuses, malsonnantes, injurieuses, proches de l’hérésie, ayant une saveur hérétique, erronées, schismatiques et hérétiques », la phrase : « C’est une assertion futile et maintes fois réfutée, que celle de l’autorité du pontife romain sur le concile général et de son infaillibilité dans les décisions de la foi. »

~) La même distinction entre le procédé de l’Assemblée — qu’abandonnaient Louis XIV et les prélats — et la doctrine des quatre articles — qu’ils réservaient entièrement — fit le fond accepté de part et d’autre des longues négociations entamées pendant le conclave de 1691 entre le futur Innocent XII (cardinal Pignatelli) et les cardinaux français, et poursuivies ensuite laborieusement pendant trois années. Quand elles eurent abouti, les évêques français envoyèrent au Souverain Pontife, non pas une rétractation doctrinale, mais un désaveu de leur conduite. (Les pièces de cette négociation sont conservées aux Archives des Aff. Etrangères. Paris, Correspond, de Rome, t. 889 et suivants.)

8)’Vers la fin de l’année 1962, FrTz J.^mbs, évêque deSoissons, publia au sujet des Assertions extraites des écrivains jésuites une pastorale très dure pour ces religieux. Il y donnait l’ordre à son clergé d’enseigner les quatre articles de 1682 : « vérités saintes qui font partie du dépôt que Jésus-Christ a confié à ses Apôtres… et que… vous ne devez pas laisser ignorer aux lidèles… » Clé.ment XIII fit frapper ce mandement par l’Inquisition romaine, et écrivit lui-même au roi pour se plaindre de la témérité d’un évêque imposant au peuple comme doctrine révélée

« des propositions combattues par la plus grande

partie du monde catholique ».

9) Le 14 mars 1^64, ce même Clément XIII condamna, par un bref adressé au prince Clément de Saxe, évêque de Ralisbonne, le livre pseudonyme de Febronics, déjà mis à l’Index le 2^ février de cette même année. En 1786, Pis VI (Super soliditate, 28 nov.) dut frapper le fébronianisme enseigné dans l’insolent libelle d’EvBEL, If’as ist der Papst ? Le pape réfute d’abord d’une manière oratoire un certain nombre de propositions d’Eybel, qu’il qualifie A’erreurs souvent déjà condamnées, il signale en particulier, comme spécialement répréliensibles, les suivantes : Tout évêque est, au même litre que le pape, et avec un égal pouvoir, appelé par Dieu à gouverner l’Eglise ; les Apôtres ont tous reçu du Christ la même puissance… Jésus-Christ veut que son Eglise soit régie comme une république ; il lui a donné un chef pour assurer l’unité, mais ce chef ne doit point se mêler de l’ollice de ses co-gouvernants, sinon pour réprimer leur négligence ou y suppléer. Hors ces cas extraordinaires, le pontife romain n’a aucun pouvoir ordinaire dans les diocèses d’aulrui… les réserves, dispenses, collations… sont usurpations sur le droit épiscopal, etc. » Pie VI condamne tout l’opuscule, comme contenant des propositions res pectivement fausses, scandaleuses, téméraires, injurieuses, tendant au schisme, schismatiques, conduisant à l’hérésie, hérétiques ou déjà proscrites par l’Eglise. Denz.-B., 1500(1363).

10) Au moment où le pape frappait ainsi l’opuscule d’Eybel. l’évêque Scipion Ricci au séminaire de Pistoie, tenait son fameux synode. Lorsqu’en 1794 Pie VI put enfin porter sa sentence contre les actes de cette réunion (bulle Auctorem fidei, 28 août), il protesta notamment contre l’insertion dans un prétendu décret de foi de la Déclaration de 1682. désapprouvée par les papes ; Denz.-B., 1098 (1461). Innocent XI et Alexandre VIII ont iniprouvé, cassé, déclaré nuls et vains les actes de l’Assemblée du Clergé, ainsi lui-même réprouve-t-il et condamne-t-il, comme téméraire, scandaleuse et injurieuse au Saint-Siège, l’adoption qu’en vient de faire le synode (ibid., 1099). La bulle Auctorem fidei déclare hérétique toute proposition qui représenterait le ministère et le droit de gouverner comme dérivantdela communauté des fidèles aux pasteurs, ou la primauté comme dérivant de l’Eglise au pape ; elle condamne comme schismatiques et pour le moins erronées les thèses qui exagèrent le pouvoir des évéques jusqu’à les rendre indépendants dans leurs diocèses ; comme fausses, téméraire^, subversives de l’ordre hiérarchique et favorisant l’hérésie, celles qui attribuent aux curés et aux sjnodes diocésains un rôle nécessaire dans l’établissement de la discipline (ibid., n^^ » 1502 sq.).

1 1) En somme, sur la valeur des thèses gallicanes, aussi bien que sur sa propre constitution, la pensée de l’Eglise si souvent insinuée ou exprimée dans les documents mentionnés ici et dans bien d’autres encore, n’était pas douteuse. C’est pourtant seulement au concile du Vatican qu’elle a été formulée et consacrée d’une manière définitive. La constitution Pastur aeternus, promulguée dans la quatrième session le 18 juillet 1870, présente dans ses chapitres une synthèse doctrinale à laquelle la plupart des systèmes gallicans ne sont pas réductibles, et dans ses canons elle proscrit explicitement quelques-unes des théories gallicanes. Le chapitre 1" décrit l’institution de la primauté. Le pape enseigne (docemus ) qu’au seul Pierre a été promise et conférée immédiatement et directement par le Christ la primauté de juridiction sur (et non pas seulement dans) toute l’Eglise. Ce n’est pas une simple primauté d’honneur, et ce n’est pas l’Eglise qui l’a reçue pour la transmettre à Pierre. Le chapitre 2 professe que, par la volonté de Jésus-Christ, l’Eglise doit perpétuellement rester fondée sur Pierre, vivant, présidant et jugeant dans ses successeurs. Qui succède à Pierre sur le siège de Rome, reçoit du Christ la primauté même de Pierre sur toute l’Eglise. Le chapitre 3 explique plus en détail la nature de cette primauté, et c’est ici que la synthèse catholique commence à diverger notablement des théories gallicanes. Après avoir renouvelé la définition de Florence. Pie IX ajoute : « De droit divin, l’Eglise romaine possède un primat de puissance ordinaire sur toutes les autres Esflises ; la juridiction du pontife est vraiment épiscopale et immédiate : pasteurs et fidèles de tout rite, de toute dignité, pris isolément ou en corps, sont obligés à une véritable obéissance à son égard, non seulement en matière de foi et de mœurs, mais encore de discipline et de gouvernement ecclésiastique. .. Au reste, bien loin de nuire au pouvoir ordinaire et immédiat des évéques établis par l’Esprit-Saint, et qui sont successeurs des apôtres et vrais pasteurs, chacun de son troupeau, cette puissance du pape l’assure (asseratur), la fortifie (roboretur) et la 269

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ilol’end (viiidicetur)… » Le pape est juge suprême fie tous les (idèles ; eu toute cause ecclésiastique ils peuvent recourir à lui, peisonue ne peut rétracter sa sentence, juger son jugenient, ni en appeler au coufile général connue à une autorité supérieure.

Le canon est peut-être plus précis encore que le <’liapitre : il atteint « lireclenient bon nombre de théories gallicanes :

Siqiiis itaquc dixeiit, Ro- An « lhènie à qui dit que

iiKinuin poiilificem habere le Pontife romain a seule (aiitumniodo oflicium ins- ment un ofïice d’inspection

jxM’tionis vel directionis, ou do direction, et non

non autem plenani et su- pleine et suprême puis preniam potestatem juris- sance de juridiction sur

diclionis in universum Ec- l’Eglise ciilière, non seule clesiaiM, non solum in re- ment pour les choses qui

bus quæ ad lidem et mo- regardent la foi et les

l’OS, sed etiam in iis, quac mœurs, mais encore pour

ad disciplinani et regimem celles qui concernent la

Ecclesiæ per totum orbem discipline et le gouverne diil’iisæ pertinent ; auteum ment de l’Eglise répandue

habere tantum potiorcs par- sur toute la terre ; [Ana tes, non vero totam pleni- thème encore] à qui assure

ludiuem hujus supreuiæ qu’il a seuleiuent la part

potestatis ; aut hanc ejus principale^ mais non la

potestatem non esse ordi- plénitude de cette suprême

nariam et imraodiatam sive puissance, ou qui nie que

in nmnes ac singulas Ec- ce pouroir soif ordinaire et

clesias, sive in omnes et immédiat, soit sur toutes

siugulos pastores et fide- et chacune des Ei^iises, soit

les, A. S. sur tous et chacun des pas~ teurs et des fidèles.

Le chapitre 4 traite du magistère infaillible du pontife romain : à son occasion les gallicans ont livré et perdu leur dernière bataille ; leur opposition n’a pas du reste été sans proUt pour la doctrine : grâce à eux, elle a été formulée, d’une manière plus précise et plus nuancée. La primauté pontilicale comprend le magistère suprême, ce fut toujours la doctrine de l’Eglise, et en particulier celle des conciles. Après l’avoir rappelé. Pie IX conclut par une définition dans les formes les plus solennelles et dont chaque mol a été pesé.

… Docemus et divînitus revelalum dogma esse detinimus, Romanum pontificem. cum ex cathedra lo(ptitur, id est, cum omnium Christianorum pastoris et <loctoris munere fungens pro suprema sua apostolica auclorilale doctrinam tic tide vel moribus ab universa Ecclesia tenendam définit, pér assistentiam divinain ipsi in beato Petro promissam, ea infallibilitate pollore, qua divinus Re<icmplor Ecclesiam suatu in dctinienda doctrina de fide vel moribus instructam essevoluit ; ideoque ejusmodi Romani pontifici.s definitîones ex sese, non autem ex consensu Ecclesiae, irreformabiles esse.

Nous définissons comme un dogme révélé de Dieu ce qui suit : lorsque le Pontife romain parie e.r cathedra, c’est-à-dire quand, remplissant son emploi de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, avec sa suprême autorité apostolique, il définit (jii’une doctrine touchant la foi et les mœurs doit être tenue par toute l’Eglise, alors, grâce à l’assistance divine qui lui a été promise flans le bienheureux Pierre, il jouit de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu munir son Eglise pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs. Aussi de pareilles définitions du pontife romain sont-elles par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l’Eglise, irréforniahles.

Denz. B., 1821 (166 :) sq.

Bref, contre les gallicans il est délini que de par Dieu le pape est un chef à l’égarfl duquel tous les chrétiens réunis et chacun tl’eux en particulier sont unif]uement sujets et disciples : rien ici-bas ne peut jiirifliquemcnt lier sa volonté, contrôler ou conlirmer son enseignement. Ses ordres et sa parole atteignent sans intermédiaire chaque lidèle ; l’Eglise n’est en

aucune manière la source ou le canal d’où découle le plein flroit ((u’ont Pierre et ses successeurs à gf)uveriier et à enseigner. Quanfl ils parlent, ce n’est pas l’iîglise qui enseigne par leur magistère, ou fiui se gouverne par leur ministère et qui pf)urrait par eonséfjuent ne pas reconnaître tlans leur voix sa prtjpre pensée ou sa propre volonté, c’est le (ihrist f|ui. dans son vicaire, parle à son Eglise. Entre le Christ et le pape, pas d’intermédiaire.

Il est à remarquer, contre Bossuet, que le sujet l’.j ces prérogatives pontificales, ce vicaire tlu Christ indéfectible, n’est ni le Siège de Rome, ni la série de ses pontifes ; mais bien l’homme concret fpii, à chaque époque, succède légitimement à Pierre.

L’Eglise est donc une monarchie de droit dii’in. De par Dieu tlirectement, j)lein pouvoir appartient à un homme.

Ne reste-t-il donc rien des thèses chères aux gallicans’.’On peut leur concéder que, si on l’entend bien, le mot fie PiTHou reste vrai : flans l’Eglise, o encore que le pape soit recogneu pf)ur souverain es choses spirituelles. .. la puissance absolue et infinie n’a point de lieu… » L’Eglise ne peut établir une constitution limitant le plein pouvoir du pape ; mais elle a, fie par Dieu, une constitution c|ue le plein pouvoir du pape ne peut changer. Il y a en elle une aristocratie fjui n’est point formée de vicaires flu chef suprême, mais d’évêques établis par lEsprit- Saint, ajistocratie indestructible et munie fie droits inaliénables. La juridiction de cette aristocratie est essentiellement subor(lf)nnée à celle du monarque ; mais il n’est pas sur qu’elle en découle. Sans doute la tradition occidentale la plus ancienne et son insistance à répéter que Jésus-Christ confia d’abord les clefs à un seul pour qu’il les transmit aux autres, inclinent à penser que le pontife fie Rome est bien l’unique source de tout l’ordre sacerdotal ; cependant la thèse non pas gallicane, mais tléfcnflue entre autres par des gallicans, fie la collation immétliate par le Christ de la juridiction épiscopale au cantlidat désigné et institué suivant les formes variables laissées à la détermination de l’Eglise et de son chef, est une thèse qu’aucune condamnation n’a même effleurée.

B) Erreurs sur les rapports des deux puissances

i) La négation gallicane de tout pouvoir, même indirect, de l’Eglise sur le temporel flu roi de France a-t-elle été l’objet fl’une condamnation explicite ? Il est remarquable que Pie IX et Léon XIII, quand ils ontlraité ex pro/’esso des relations des deux pouvoirs, ont employé des termes que les gallicans auraient acceptés : ils allirment la souveraineté des deux puissances dans leur sphère propre, et réclament dans les questions mixtes seulement leur concorde (v. g. Encycl. Quitnta cura, l’ienz. B., i 688(1538) ; Encycl. Diuturniini 17/Hrf, ag juin l881, ibid., 1858 : « Quæ in génère rerum cis’iliuni versantur, ea in polestate suprenioque imperio eorum prinripum] itsse afiiioscil et déclarât | h’cclesia ; in iis rjuoram jndicium, diversam licet ob caiisam, ad sacrant civilemque perlinet potestatem, lult existere inier iitramque coxcoruiam. Encycl. Immortale Dei, i nov. 1885, ibifl., 186tj-70).

On ne peut nier cepeuflant que la thèse gallicane ne soit incompatible avec les déclarations théoriques et la pratifiuc des papes fie l’antifiuité (vg. S. Lko.n le Grand, Ep. ci, vi, /"./.., LIV, i 130, etc.), flu moyen âge (voir art. Bo.ifaor VIU, bulle Cnam Sanctam) et des temps moflernes. Ces derniers cepentlant visent surtout les doctrines subordonnant l’Eglise à l’Etat ou

Jes conceptions établies beaucoup plus sur rindillVi-enlisme en matière religieuse que sur le gallicanisme : Benoit XIV, /"roi/f/ûs, 18 mai i^Si ; Léon XII, 13 nov. 1826 ; Grkgoihe Wll. Mirari i’os, 15 août iS’i-2 ; Pie IX est plus explicite : 24’proposition du Srllalias, Denz. B., 1724 (iô ; 2) : Ecclesia vis inferendue potestatein non Itabet iieque poiestutcin iitlani lenipoi-alem diiectam yel indireclum ; ibid., prop. 54, 1754 (1602) : lièges et principes non soliini ah Ecclesiae j. ridictione eximuntur, teriim etiam in quciestionihus juiisdictionis dirimendis siiperiores snnt Ecclesia. Li-.oN XIII lui-même, dans l’eneyclitiue Immortelle Dei, a introduit une phrase d’où se déduit immédiatement le [iouvoir indirect de l’Eglise sur le temporel, ibid. iS85 (1735). Pariter non licere aliam ojjicii formant privatim sequi, aliam publiée, ita scilicct ut Ecclesiæ aictobitas in vita priyata obsenetur, in

PUBLICA UESl’UAIUR.

2) Les théories refusant à l’Eglise toute propriété temporelle, tout pouvoir coércitif extérieur qui ne seraient pas pures concessions de l’Empereur et de la puissance séculière, ont été fort souvent réprouvées par les papes et les conciles. Il suflit de rappeler les condamnations de Marsile de Padoue : Quud omnia temporalia Ecclesiæ siibsunt impenilori, etc., quod tota Ecclesia simul juncta nulluni hominem punire pntest punitione coacliva, nisi concédât imperator (ibid. 495-599). celles de la 4’^ proposition du synode de Pistoie (ibid. 1504-1505), des propositions 19, ao, 24 25, 26, 27 etc. etc. du Syllabus. Le même document, les Encycliques et les Allocutions de Pie IX et de LÉON XIII, revendiquent l’immunité, même judiciaire, des clercs, l’indépendance et la souveraineté de l’Eglise dans la sphère de ses attributions ; les papes protesleiiten parliculiercontre les prétentions du pouvoir séculier en matièrede réglementation des vœux religieux (Syllabus, 02 et 53), d’instructions pastorales des évêques et d’administration des sacrements (ibid., 44) 3) En plus de la doctrine gallicane sur le mariage, dont il sera question ailleurs, deux pratiques très usitées chez nous ont été spécialement réprouvées par les papes : l’appel comme d’abus, et le placct requis pour donner aux actes apostoliques et aux décrets des Congrégations romaines, non seulement valeur légale (au for civil), mais valeur obligatoire (au for de la conscience et au for externe de l’Eglise gallicane).

Le Srllabus rattache l’appel comme d’abus et l’e.requatur (^^ ; lce^) à une doctrine sur la prérogative du pouvoir séculier en tant que tel (abstraction l’aile de la qualité de protecteur de l’Eglisi^ que peut revendiquer un prince clirrlien), et il frappe à la fois la doctrine et la pratique : « La puissance civile, même exercée par un infidèle, a une autorité indirecte et négative sur les choses sacrées, et par conséquent non seulement ledroitd’e.reiy ; / « /Hr, - maisencore celui < : [u’on nomme appel comme d abus », n’J 4 i. Denz. B., 1741(158, j).

La condamnation spéciale du droit de placet a une portée beaucou]) plus générale. Elle avait déjà été mentionnée dans la bulle In Cæna Domini de Jules II ( 1310, art. H)) ; le concile du Vatican l’a renouvelée en des termes qui ne laisseraient aux gallicans, s’il en était encore, aucune échappatoire (’(>nsl. de Ecclesia Christi, caj). 3., llenz. B., 1829 (1676)] :

Dnmnnmus etreprobamns Nous condamnons Pl rtillonini sententias qui liane firnmons !  ; t tht-orie de rini s(i[irnii c ; t|>itis ciiin pas- «-oiiqui » atlii-tiie pouvoir ii toribusclgffgibus commu-citement inlorroinpre lu

nicationcui licite impedire communication entfe le posse dicunt, aul earadeni chef.suprême de l’Eglise, reddunt sæculari potestnti les pasteurs et les Irouobnoxiani, ita ut conten- ]>eaux, ou la fait dépendre dant quæ ab apostolica du pouvoir civil, préten-Sede ejus auctoritate ad re-dant enlever aux actes du gimen Ecclesiæ constituan-Siège apostolique ou [de tur, vim uc valorem non ceux qui agissent] par son liabere nisi potestatis sae-autorité pour le gouvernecularis placito confirmen-ment de l’Eglise toute force tur. et toute valeur s’ils n’ont

pas été confirmés par le

placet de la puissance sécu lière. [M. D.]

BiBLiOGRAi’HiE. — On ne peut songer à indiquer ici les monographies relatives aux différentes questions soulevées par le gallicanisme ou aux diverses phases de son histoire : beaucoup ont été signalées au cours de l’article. Voir aussi les articles Eglise et Pape. Il n’existe pas encore d’histoire du gallicanisme.

« ) Trois ouvrages déjà anciens, mais qui n’ont pas

trop vieilli, permettent de suivre facilement la série plusieurs fois séculaire des accords et des heurts entre les différents membres de notre Eglise nationale ; on y rencontre des détails presque introuvables ailleurs.

1° Histoire de l’Eglise gallicane, dédiée à Nosseigneurs du Clergé, par les PP. J. Longueval, P. C. Fontenai, P. Brumoi et G. -F. Berthier, 18 volumes in-4° ou in-8°. Nous nous sommes servis de l’édition 111-8" deXimes 1780-1781. Elle s’arrête à l’année 1500.

Un dix-neuvième volume a été ajouté par le P. Praten1847 ; il s’étend sur les années 1560-1503.

2° Mémoires chronologiques et dogmatiques pour servir à l’Iiistoire ecclésiastique depuis 1600 / » iqii’en 1716 (par le P. Robillard d’Avrigny). L’édition utilisée est celle de Nimes, 1781, 2 vol. iii-8°.

3° Mémoires pour servir à l’Iiistoire ecclésiastique pendant le xviiie siècle, par M. Picot, 3° édition, Paris, 1853, 7 vol. in-8V

Tous ces auteurs, de tendance légèrement gallicane, sont en général judicieux, consciencieux, bien informés, et, sauf le P. d’Avrigny, qui a de l’esprit et en abuse parfois, de sens et de langage parfaitement rassis.

b) Les sources de l’histoire du gallicanisme sont réunies dans le fameux recueil de Pierre UuruY. L’édition la plus complète, qui seule contient à la fois les traités sur les libertés et les preuves des libertés, est celle de 1731. Traitez des droits et libertés de l’Eglise gallicane. Preuves des libériez, 4 vol. in-folio, Paris

Eu 1771, Durand de Maillane a complété l’œuvre de Dupuv : Les libertés de l’Eglise gallicane prouvées et commentées, etc., Ljon, in-4°, 5 vol.

c) L’ensemble des textes concernant la discipline gallicane est publié en ordre systématique dans le grand liecueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du Clergé de France (Var’s, i volumes iii-4*, 1716-1750), qui portent aussi le titre abrégé de Mémoires du Clergé. A cette collection on a ajouté à la fin du xviii’siècle deux volumes ; l’un (t. XIII) contiennes harangues, remontrances, cahiers adressés aux rois, l’autre est une table alphabéliiiue du recueil entier : Abrégé du recueil des actes, titres et mémoires, etc. (t. XIV). Œt abrégé est, avec le Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale de Durand de Maillane (4 vol. in-4°, Lyon, 1770), le manuel le plus commode pour l’étude de nos anciennes institutions.

d) Parmi les ouvrages modernes, on pourra consulter, A. Esmein, Cours élémenlaire d histoire du droit français (io"’édilion, Pai’is, 190y, in-8°) ; P. VioL273

GARIBALDI

274

i.ET, Histoire des Institutions politiques et administratives de la France, Paris, 3 vol. in-8°, 1890-1903, -G. Ilanolaux, Introduction ilii Itecueil des instructions données aux ambassadeurs, etc. Home, t. I, Paris, 1888, in-S". Mjjr Baiulrilhut a l)ien voulu nous permettre il’uliliser ses notes manuscrites dans lesquelles nous avons trouvé de précieuses indications. Qu’il trouve ici nos respectueux et A’ifs lenicrciements.

Depuis une dizaine d’années les élèves du Séminaire historique de l’Université de Louvain étudient le ( ; allicanisme sous la direction de iM. le professeur Canchie. Le résumé de leurs travaux, publié chaque année dans l’Annuaire de l i’niversité, mérite d’être signalé ici. Voir aussi, parmi les travaux les plus récents : H.-X. Arquillière, Cliarleniagne et les origines du Gallicanisme, dans V L’nii’ersité culliolique, 15 octolire 1909 ; — du même, L’appel au concile sous Philippe le liel… dans Itevue des quest. hist., i" janvier 191 1 ; — du même, L’origine des théories conciliaires dans Comptes rendus des séances et travaux de l’Avadémie des sciences morales et politiques, 15 mai 1911. En préparation, du même auteur, Les Origines du Gallicanisme. Celte élude sera conduite jusqu’à la Pragmatique sanction de Bourges.

Dans le présent article, l’histoire du gallicanisme politique, de Cliarleniagne à l’avènement des Valois, est l’œuvre de M..Vrquillière, le reste est généralement celle de M. Dubruel ; les initiales insérées dans le texte à la tin des divers fragments en indiquent plus précisément l’auteur particulier.

M. DUBRUBL, H.-X. ARQUtLLIÈRH.