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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Genèse

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 144-155).
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GENÈSE. — Aieriissement préliminaire.

I. — Valeur historique db la Gexèse. A. Sujet de la Genèse : Opinions sur la valeur historique : Jiéponses de la Commission biblique : Position de la question : Preuves du caractère historique des premiers chapitres : Sens et portée de l’historicité de la Genèse : Objet du travail qui suit.

B. Objections : a) Objection générale, b) Objections particulières : 1° Histoire de la création {^Gen. i-ii, 4) ; 2° Second récit de la création improprement dit : Paradis terrestre (11, 5-iii, 24) ; 3° Chapitres iv-xi : Généalogies patriarcales et chronologie biblique : Longévité des patriarches : Unions des a fils de Dieu » ; Déluge : Table ethnographique : ^° Histoire patriarcale (xii-’s.Lpi.) : Autorité : Abraham et Chodorlahomor : La destruction de Sodome et la mer Morte.

II. — Conception’dk la divinité dans la Genèse : Objections. Conclusion.

Le premier livre de la Bible a, de tout temps, beaucoup occupé les apologistes. Des discussions auxquelles il a donné lieu, nous ne retiendrons à cette place que deux principales, concernant, l’une, la valeur de la Genèse comme histoire, l’autre, le caractère des idées religieuses qu’on y trouve. Dans la question d’auteur, on ne peut séparer ce livre des quatre avec lesquels il forme le Pentateuqne : c’est sous ce dernier titre qu’il faudra chercher ce qu’il y a à dire sur ce sujet, suivant le but de ce Dictionnaire. D’autres articles spéciaux ont déjà développé ou développeront des points importants que nous ne ferons ici qu’effleurer.

I. — Valeur historu.uk dk la Genèse

Sujet de la Genèse. — L’intention visible — et généralciuent reconnue — de la composition du Pentateuqne. dans son ensemble, est de retracer l’histoire de l’alliance conclue par Dieu avec la race 277

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d’Israël — Dieu s’engaf ?cant à traiter toujours Israël comme « son peuple », eu favori, sous la coiulition (le recevoir de lui le culte qu’il luiadeiuamlé et d’être seul honoré par lui comme « son Dieu ». Dans ce plan, la Genèse a pour objet de faire connaître les origines de l’alliance, en relevant les faveurs spéciales dont Dieu a comblé les plus lointains ancêtres <r ! sraël, et les maynili([ues promesses qu’il leur a faites pour eux et leur postérité. L’auteur remonte jusqu’à la naissancedu premier cou[)le liumain, pour établir la liliatioii de la race élue depuis Adam, premier homme, jusqu’à Jacob et ses tils, pères des douze tribus. En tête de tout son récit, il place un tal)leau de la création du monde, couronnée par une consécration du septième jour, qui annonce, si elle ne l’implique déjà, l’institution du repos sabbatique, acte central du culte israélilique.

La préoccupation de l’intérêt particulier d’Israël se fait donc sentir dans toute la Genèse. Cependant une pensée plus générale la domine, surtout dans les onze premiers chapitres. Plus spécialement, les trois premiers veulent nous renseigner sur des sujets d’un intérêt suprême pour toute l’humanité : comment Dieu lit sorlir tous les êtres du néant ; comment, par une action spéciale, il créa le premier homme et la première femme ; l’épreuve à laquelle il soumit ces créatures firivilégiées, leur péché, leur déchéance et l’annonce de la réparation. Les huit chapitres suivants se [>résentenl encore comme une histoire ou du moins comme des fragments d’une histoire de tous les descendants du couple primitif. C’est à partir du chapitre xii que l’horizon, décidément, se rétrécit et cpie la narration, bornée aux destinées de la famille élue, n’offre plus que de rares échappées sur l’histoire générale.

Opinions sur la valeur historique de la Genèse

— La critique rationaliste la plus radicale (celle de Reuss, Renan, Kuenen, Wellhausen, etc.) n’accorde à aucune partie de la Genèse une parcelle quelconque d’autorité historique. Cependant l’évidence des conlirmations apportées aux récits bibliques par les monuments égyptiens et assyro-babyloniens, amène, semble-t-il, de plus en plus, même les rationalistes avancés » à admettre que l’histoire des patriarches, depuis Abraham, a pour base au moins partielle une tradition croyable. Dans les onze premiers cha])ilres, au contraire, ils ne trouvent plus que des léijendes ; le déluge seul peut-être rappellerait une catastrophe réelle. Surtout les trois premiers chapitres ne sont, d’après l’exégèse soi-disant indépendante, ’lu’un essai d’explication de l’origine des clioses, où des ; n)7/’es, imaginations populaires, se mêlent avec les spéculations d’une science dans l’enfance.

Quelques exégètes catholiques ont professé des opinions analogues, en s’efforçanl de les concilier avec l’inspiration de l’Ecriture. Déjà Origène avait soutenu que la Genèse devait être souvent interprétée comme une allégorie, où l’auteur sacré, sous l’apparence d’un récit historique, proposait un enseignement doctrinal. Le cardinal Cajetan a interprété de cette manière quelques parties des premières pages de la Genèse, notamment celles ijui relatent la création de la première femme et la tentation d’Eve. François Le.nor.m.i.nt a adopté plus complètement ce système et a cherché à l’établir dans ses Origines de l’Iiistoire d’apri’s la Bible et les traditions des peuples orientaux (iSSo-tSSi). Cet ouvrage a été mis à l’Imlex, en 1887. D’autres tentatives semblables qui, dei)uis lors, se sont fait jour, surtout par rapport aux trois premiers chapitres de la ripnèse, ont provoqué la décision de la Commission ISiblique du 30 juin lyog, concernant le caractère

liist<irit/iie de ces chapitres. Cette décision trace clairement sa voie à l’exégète catholique, même pour toute la Genèse. Nous devons en reproduire ici la substance.

Réponses de la Commission biblique. — Suivant la praticiue usitée, la question a été résumée en huit demandes auxquelles la Commissiun répond par oui ou non. et voici les conclusions qui résultent de ces réponses. Premièrement,

« les divers systèmes d’exégèse imaginés pour éliminer la

signilicalion littérale historique des trois premiers chapitres do la (ienése, ne reposent sur aucun f<mdement solide, en dépit de l’appareil scientilique qu’on a pu leur donner ».

La seconde demande détermine plus en paiticulier les systèmes visés dans la première ; ils ont en commun cette aVlirmation, que « les trois premiers chapitres de la ("lenèse ne contiennent pas des récits d’événements qui se soient vraiment passés ou des récits auxquels corresponde une réalité objective et la vérité historique ». Mais il y aurait là, d’après les uns, (( des fables empruntées aux mythologies et aux cosmogonies des peuples antiques, que l’auteur sacré aurait seulement expurgées de toute erreur polythéiste et adaptées à l’enseignement monothéiste » ; d’après les autres : « soit des allégories et des symboles, sans fondement dans la réalité objective, quoique proposés sous la forme de l’histoire, pour inculquerdes vérités religieuses et philosophiques ; soit enliu des légendes, en partie historiques et en partie de pure imiigination, librement arrangées en vue de 1 instruction et de l’édification »,

Un même temps qu’elle condamne ces théories, la Commission niiiintient la force des raisons qui militent pour le caractère historique des trois chapitres. Ces raisons, telles qu’indiquées dans cette demande, sont « le ton général et la forme historique du livre de la tlenése ; la liaison étroite des trois premiers chapitres entre eux et avec les chapitres suivants ; le multiple témoignage des Ecritures de 1 --Vncien et du Nouveau Te^tament ; le jugement presque unanime des saints Pères et le sentiment traditionnel, déjà établi dans le peuple israélite et toujours tenu par l’Eglise ».

Par la troisième demande et sa réponse, sont spécifiés les [passages qui, dans les trois premiers chapitres, veulent

Ï)lus particulièrement être interprétés dans le " sens littéral listorique » : ce sont « ceux où il s’agit de faits qui touchent les fondements de la religion chrétienne » : tels sont, entre autres, « la création de toutes choses par Dieu ; i l’origine du temps ; la création spéciale de l’homme : la formation de la promit-re femme avec une partie de la substance du premier homme ; l’unité du genre humain ; la félicité originelle de nos premiers parents dans l’état de justice, d intégrité et d immortalité ; le précepte imposé par Dieu à l’homme pour éprouver son obéissance ; la transgression du ]irécepto divin à l’instigation du diable sous la forme du serpent : la déchéance de nos premiers parents de cet état primitifd innocence et la promesse d’un Kédempteur futur ».

Nous ne sommes pas obligés, néanmoins, de donnera tous les détails des récits primitifs de la (ienèse la signification littérale historique. D’abord en elfet, la 4’réponse de la Commission nous apprend que, « dans l’interprétation des passages que les Pères et les docteurs ont entendus diversement, nous sommes libres de suivre et de défendre l’opinion que nous nous serons formée après un prudent examen, sous réserve du jugement de l’Eglise et en suivant l’analogie de la foi ». Il serait donc permis de ne pas prendre au sens propre des détails que les Pères no s accordent jias à interpréter de cette manière.

Il en est encore ainsi, d’après la à" réponse, « lorsqu’il ressort clairement des locutions elles-mêmes qu’elles sont employées improprement, par mét ; iphore ou par anthropomorphisme, et Iriisque le sens propre est condamné par la raison et impossible il maintenir ».

La C réponse affirme que certains passages sont susceptibles d une interprétation « allégorique et prophétique », en outre de l’interprétation littérale et historique présupposée.

Enfin les deux dernières réponses (5" et 8’) se rapportent à l’interprétation du premier chapitre en particulier. Nous y reviendrons.

Observations sur la position de la question.

— La Commission biblique n’a pas jugé nécessaire de répondre séparément aux deux questions que les exégètes distinguent d’habitude : i" Les trois premiers chapitres de la Genèse, dans l’intention de leur 279

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auteur, sont-ils de l’histoire ? 2" Renferment-ils une histoire ira iV ? L’affirmative sur la première question a pour conséquence forcée l’allirmative sur la seconde, si l’on croit à l’inspiration divine de 1 Ecriture sainte. La Commission, qui parlait pour les croyants, a donc pu concentrer son attention sur la première question.

Ayant ici à défendre la Genèse contre ceux qui rejettent plus ou moins l’inspiration, nous avons à nous occuper presque uniquement de la seconde question. Les adversaires auxquels nous devons répondre, affirment volontiers, en général, que l’auteur ou les auteurs de la Genèse ont cru faire de l’histoire, l)ien qu’ils n’aient consigne par écrit que des légendes et des traditions mythiques. Parfois même on a exagéré l’intention historiipie des narrations bibliques, pour les rendre plus invraisemblables, en supjiosant qu’il faut les entendre à la lettre, là même où l’interprétation métaphoriipie est justiliée. C’est pourquoi il sera utile, avant de répondre aux objections, de délimiter exactement le terrain que les apologistes ont à défendre, en précisant le mieux possible la nature et l’étendue du caractère historique, ou de l’intention d’écrire une histoire, qu’il faut reconnaître dans les premières pages de la Genèse. C’est à la lumière des principes posés par la Commission biblique que nous devons le faire. Pour cela il faut commencer par développer Ijrièvement les preuves traditionnelles, indiquées par la Commission, dece caractère historique des trois premiers chapitres de la Genèse. La plupart de ces arguments valent aussi pour les chapitres suivants. Et en les parcourant, nous verrons en même temps la nature et l’étendue de ce caractère historique, du moins autant que c’est possible avant l’examen détaillé des difficultés, qui nous occupera ensuite.

Preuves du caractère historique des premiers chapitres de la G « nèse. — i" Ce caractère ressort, d’abord, du ton et de la forme de la rédaction : c’est une narration, exposant des faits, sans rien (]ui in<liquc l’intention de présenter des allégories, des paraboles. Or, comme le dit justement S. Thomas, à la suite de S. Augustin, à propos de la description du paradis terrestre (^eHc.se, ii), dans toutes les choses que l’Ecriture propose ainsi (par manière de narration historique, per mudum narrationis liisloricae), il faut tenir pour fondement la vérité de l’histoire, et édifier au-dessus les interprétations spirituelles. {Siim. th., 1, q. 102, a. i, c.) Il est vrai que l’auteur veut faire servir sa narration à un but instructif, religieux : les conclusions qu’il a mises au tableau de l’icuvre des six jours (ii, 3) et au récit de lii création d’Eve (il, 2^), l’indiquent suffisamment ; mais s’il tire une lei ; on des faits qu’il vient de rap]>orter, il ne nous autorise pas à i>enser, pour cela, que ces faits ne soient pas réels ; c’est bien plutôt le contraire, et pour suivre l’image de S. Thomas, c’est sur la vérité des faits qu’il j>rétend appuyer ses leçons.

2" L’intention historique des premiers chapitres résulte encore de leur liaison intime avec les récits suivants, où l’auteur a incontestablement voulu faire de l’histoire. Il est en effet évident, et nous l’avons déjà fait remarquer, que ces premières pages font partie essentielle du plan de la Genèse, considérée comme histoire des origines du peuple de Dieu. D’ailleurs, l’écrivain semble avoir pris à tâche de détruire d’avance, expressément, la distinction qu’on voudrait faire entre cette première partie de son (cuvre et les autres, au i)oint de vue de l’intention historique. Il a divisé lui-même toute la Genèse en sections, correspondant à des àgcs ou des périodes chronologiques successives ; et il commence chaque section par une

formule idcnticpie : « Voici les générations de… », que suit d’ordinaire nue généalogie. Il est reconnu que cette formule, au moins dans les sections consacrées aux patriarches ancêtres immédiats d’Israël, équivaut à « Voici l’histoire de… » Aussi bien, dans telle section, par exemjjle, dans celle qui est dédiée à Jacob (xxxvii, 2 sq.), elle ne peut signifier que cela ; car on n’y trouve aucune généalogie, ni rien qui touche les « générations > de Jacob, au sens propre. Or, si la formule indique une véritable histoire dans les dernières parties de la Genèse, il y a tout lieu de penser qu’il en est de même dans les parties précédentes. Et il n’y a pas de raison d’excepter les trois premiers chapitres : la formule se présente, pour la première fois, Geii., il. 41 entre le tableau général de la création et le récit plus développé de la création de l’homme ; qu’elle soit ici, comme ailleurs, tête de section, ou qu’elle serve, pour cette fois, de récapitulation à ce qui précède, comme le veulent beaucoup d’exégètes, elle montre que l’auteur sacré prétend, dès ces premières pages, nous mettre sur un terrain historique.

3* Une troisième preuve est fournie par les témoignages des autres écrivains inspirés. Les épisodes constituant le fond des premiers récits de la Genèse sont rappelés dans les livres postérieurs de la Bible comme des faits sur la réalité desquels il n’y a pas le moindre doute. Pour nous borner à quelques textes, entre beaucoup d’autres, la création en sept jours, avec la consécration du sabbat, se retrouve dans l’E.rode, XX, 1 1 ; le péché originel et la déchéance de l’humanité primitive, dans VEcclésiasticjiie, xxv, 33, et la Sagesse, ii, 23 ; x, i-/i ; la création du premier couple humain, dans de nombreux passages du Nouveau Testament, Afiitli., XIX, /(-6 ; Marc, x, 6g ; I Cor., XV, 45-47 ; XI, 8 ; Eplies., v. 30-31 ; I Tiiii, , ii, 13 ; la tentation par le démon sous la forme du serpent, dans S. Jeun., viii, 44 j I Joun., iii, 8 ; Apoc, xii, g ; xx, 2 ; II Cor.. XI, 3 ; I fin)., 11. 14 ; le péché d’Adam, en particulier, dans /^ohi., v, 12 ; I Cor., xv, 22 ; enfin, il y a une allusion manifeste à l’oracle de Gen., m sur l’écrasement du serpent-Satan, dans Hom., xvi, 20.

4" Le sentiment de la tradition, soit juive, soit chrétienne, sur la question, n’est pas douteux. Seul parmi nos anciens docteurs, OmGKxn a eu vis-à-vis des récits de la Genèse une attitude équivoque, et plutôt hostile à l’historicité. Son opinion ne saurait ronqire l’unanimité morale des Pères de l’Eglise, et la vigueur avec laquelle tous ont combattu son allégorisme prouve qu’ils le regardaient comme inconciliable avec la foi catholique. Dans ces conditions, l’unanimité morale des Pères forme un argument théologique décisif, dont la valeur n’est pas diminuée, si les Pères n’ont pas formé leur conviction d’après un examen critique. Il est faux, d’ailleurs, que jamais examen de ce genre n’ait été fait dans l’antiquité chrétienne. Tous nos anciens docteurs ont été conduits, tant par leurs méditations sur les Livres saints que par les attaques des infidèles et des hérétiques, à étudier sérieusement la question de la valeur historique des premières pages bibliques. Et leurs commentaires, aussi bien que leurs ouvrages de controverse, montrent que les principales des difficultés qu’on élève aujourd’hui dans cette question, ne leur étaient pas inconnues (voir les textes indiqués dans L’Eglise cl la Critique hihlitiiie, p. igS, n" 182-183). S’ils n’en ont pas moins maintenu iuébranlablcment la vérité historique de la Genèse, c’est qu’ils sentaient bien vivement l’inipossibilité de la sacrifier sans détriment de la foi.

Sens et portée de l’historicité de la Genèse. — Dés les premières pages, la Genèse, d’après l’ensei281

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gneinenl catholique, nous donne donc vérilablenieul

(de l’histoire ; mais pas, cependant, de l’histoire telle qu’on l’écrirait aujourd’hui, U y a niènie une réelle différence entre cette histoire primitive et celle qu’on trouve dans les autres livres de la 151l)le. Les particularités les plus caractéristiques de l’histoire de la Cicnèse sont, il’ahord, le choix des faits, qui est essentiellement fragmentaire et dominé par un but doctrinal ; puis, la façon de raconter et de décrire, iiui est populaire. L’historien de la Genèse n’est pas un [>riil’essiiiiinel, il n’écril pas l’histoirepour l’histoire, mais alin d’illustrer en quelque sorte par ses récits une iloctrinc religieuse. C’est pourquoi il ne faut pas lui demander une suite claire, ordonnée et complète d’événements ; dans la longue étendue des premiers âges, il ne nous présentera que (luclques grands faits, séparés par d’énormes lacunes. Quant à la forme populaire de la narration, elle aété déterminée par le but d’enseignement populaire qu’elle devait servir. On sait que le langage populaire, en tout temps et en tout pays, se caractérise par l’emploi des ligures. Aussi, la Commission biblique nous l’a dit, s’il y a, dans les premiers chapitres de la Genèse, des faits importants à prendre au sens propre strictement liistorique, il y a également des choses qu’on peut, qu’on doit même interpréter comme des fig.res ou des symboles. La tâche la plus délicate des exégètes et des apologistes, dans l’explication de ces récits primitifs, est d’y faire le juste partage du propre et du figure. C’est là pourtant qu’est la solution de la plupart des dillicultés formées contre l’autorité historique des premières pages de la Bible. La Commission biblique, en particulier dans les quatre dernières réponses, a donné les règles nécessaires pour nous diriger sûrement dans cette voie.

Objet du travail qui suit. — Comme nous l’avons indiqué, la preuve décisive de la pleine autorité de la Genèse comme histoire, résulte des preuves mêmes de son caractère Itisturique, pour quiconque accepte l’inspiration de la Bible. Contre les rationalistes, qui rejettent a priori cette inspiration, la preuve n’en vaut pas moins ; mais c’est par voie indirecte et en Aertu des arguments généraux d’apologétique, que nous n’avons pas à rappeler ici. La Genèse étant le document unique pour la période qu’embrassent ses onze premiers chapitres, son autorité pour cette période ne comporte pas d’autre démonstration. Notre travail se borne donc à la réfutation des objections ou à l’élucidation des didicultés, fornu’cs contre la vérité et la crédibilité de ses récits. De ces objections et de ces dillicultés, les unes regardent l’ensemble de la Genèse, les autres des parties ou des passages isolés. Nous les examinons successivement.

Objection générale. — Il est impossible, objectent d’abord les critiques rationalistes, d’expliquer comment une histoire lidéle des premiers âges du monde aurait pu parvenir à l’auteur de la Genèse. (i A la création, écrit M. Gu.nkel (/>/e Genesix), aucun homme n’était présent ; aucune tradition humaine ne remonte jusqu’à l’origine du genre humain, des peuples primitifs, des langues primitives… Et le peuple d’Israël est un des plus jeunes parmi ses voisins. D’ailleurs, la tradition populaire transforme tout ce qu’elle touche et elle ne saurait avoir conservé exactement, durant tant de siècles, les détails qu’on lit dans la Genèse.

Tous les saints Pères expliquent par l’inspiration divine la connaissance que montre Moïse des origines du monde et de l’humanité. L’Esprit-Saint a-t-il instruit l’historien sacré par une révélation directe ?

Il l’aurait fait — et la raison n’aurait pas à contredire, — si cela avait été nécessaire pour que la Genèse put être écrite telle que Dieu la voulait pour l’instruction des hommes. Mais le sentiment commun des exégètes catholiques, sentiment déjà professé plus ou moins explicitement bien avant l’époque moderne, c’est que l’auteur de la Genèse a utilisé d’anciennes traditions, peut-être déjà écrites en partie, et que l’inspiration l’a seulement guidé i>our qu’il n’empruntât rien à ces sources qui ne fût conforme à la vérité, soit historique, soit doctrinale.

U n’est pas impossible de montrer d’une manière vraisemblable comment une tradition exacte, sur les faits del’hisloireprimitive, apu seformer etparvenir jusqu’à Moïse. Le premier fond en aété consti tué par les communications de Dieu à nospreiuiers parents. Que ceux-ci aient vu le Créateur pour^ cjir non seulement à leurs premiers besoins [diysiques, mais encore à leur première instruction, la Bible l’adirme, et l’on n’en saurait doviter sans injure à la sagesse et à la bonté divines. Avant tout, ils ont dû être renseignés sur les origines du monde et leur propre origine. Ainsi seulement, ils étaient à même, dès les débuts de leur vie, de connaître leur Auteur, l’Auteur de toutes choses, et d’accomplir le plus grand de leurs devoirs, par le respect, le culte qu’ils lui rendraient. Cette première connaissance, fondement de la religion, ne leur a pas été enlevée par le péché, et ils n’ont pu manquer de la transmettre à leurs enfants : l’Ecriture insinue d’ailleurs qu’ils l’ont fait, en nous parlant des sacrifices olfcrts à Dieu par Abel etCaïn. Malgré la honte qui en résultait pour eux, Adam et Eve ont du faire connaître aussi à leur descendance l’état primitif heureux d’où ils étaient déchus, la manière dont ils l’avaient perdu et les promesses de rédemption par lesquelles Dieu avait tempéré le châtiment de leur péché.

Voilà, résumé en quelques lignes, tout ce que racontent les trois premiers chapitres de la Genèse. C’étaient là des faits de très grand intérêt et de souveraine importance pour l’humanité, par suite capables de laisser une empreinte profonde et ineffaçable dans la mémoire d’une longue suite de générations.

Au surplus, nous n’en sommes pas réduits à soutenir la possibilité, la vraisemblance d’une tradition primitive : nous en constatons l’existence. Des récits plus ou moins analogues à ceux de la Genèse, notamment pourcequi concernela formation de l’espèce humaine par une intervention spéciale de la divinité, le paradis terrestre ou la condition primitive heureuse de l’humanité, puis sa déchéance et l’espoir du relèvement, se retrouvent dans toutes les grandes races humaines. (H. Luekkn, Die Traditioiien des Menschengeschteclits, 2" éd., Miinster, 1869 ; ViGOUROux, La Bilile et les découvertes modernes, t. I : A. Jkremias, />(/.< Jlte Testament im l.ichte des alten Orients. 1906.) Ce phénomène ne s’explique sullisamment ni par les emprunts que se sont faits entre eux les divers groupes humains, ni par l’action indépendante des facultés communes à tous : il faut, ou du moins on peutavec toute raison lui donnerpour origine des souvenirs primitifs, transmis comme un héritage commun à toutes les branches de la famille humaine.

U est vrai que ces souvenirs, chez tous les peuples autres que les Hébreux, sont fortement mêlés d’éléments manifestement légendaires et mythiques, voire souvent contraires à la raison et même à la morale. Tel est le cas même chez les Assyro-Babyloniens, qui ont la tradition la plus voisine de celle de la Genèse (voir l’art. Babylonk et l.v BmLE). La critique rationaliste en conclut que ce que nous appe283

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Ions des souvenirs primitifs est, en totalité ou à peu près, le produit de l’imagination, et qu’il n’en est pas autrement de la tradition primitive liébraique. La conclusion n’est pas légitime : la présence d’une part plus ou moins grande do fable dans une tradition ne prouve pas que celle-ci ne renferme rien d’historique ; et surtout une tradition reconnue historique ne perd pas sa valeur parce qu’il existe à côte d’elle, sur les mêmes sujets, une tradition plus ou moins mêlée de fable. Un exemple, de vérilication facile, rendra l’erreur logique sensible. Cbarlemagne fut certes un personnage bien réel ; sa vie et ses vrais gestes sont largement connus par des documents liistoriques, mais, d’autre part, il est devenu, dans les chansons de geste du moyen âge, un héros d’épopée, en grande partie légendaire : son historicité en est-elle atteinte, et les récits d’Eginhard, par exemple, sont-ils annulés par les inventions poétiques de la Chanson de Roland ?

Les Il traditions des peuples » aident donc à comprendre comment les événements i)rincipaux de riiistoire primitive ont pu se conserver dans le souvenir. En même temps, l’immense supériorité, intellectuelle et morale, que possède la Genèse sur les autres dérives de la tradition commune, témoigne que celle-ci a dû trouver pour sa conservation, chez le peuple hébreu, des conditions exceptionnelles qui n’ont pu être d’un ordre i)urement naturel et humain. Peu importe qu’Israël soit, comme peuple, un des plus jeunes. Prédestiné dès l’origine du monde à cette mission exceptionnelle, de conserver les révélations de Dieii et les promesses du salut pour le genre humain, il a trouvé, pour ainsi dire, dans son berceau ce trésor depuis longtemps gardé pour lui par la Providence.

L’instrument de cette transmission privilégiée a été surtout la lignée des patriarches, allant d’Adam par Seth aux Abrahamides, et dont nous voyons la généalogie si soigneusement enregistrée dans la Genèse (v, xi). L’auteur sacré laisse clairement entendre que cette lignée n’a jamais perdu la connaissance du vrai Dieu et qu’en échange du culte qu’elle n’a cessé de lui rendre, elle a continué d’être favorisée de ses communications familières. Si la tradition primitive avait ])U s’altérer même parmi les descendants des patriarches, elle aurait été préservée et, au besoin, restaurée grâce à ces communications. Il n’est donc pas si malaisé de comprendre qu’elle ait pu parvenir jusqu’à Moïse sans altération essentielle, en dépit des milliers d’années qu’elle a dîi traverser.

En tout cas, ce que la tradition n’a pu apprendre à l’auteur de la Genèse, l’inspiration divine, qui l’a guidé dans la composition de son ivuvre, le lui a certainement appris : cette solution, où la critique ne peut rien montrer qui répugne à la raison, sui)plée, autant qu’il est besoin, au défaut de toute autre.

Objections particulières. Histoire de la création (Gen., i-ii, 4)- — Le récit de l’origine des choses, qui forme le premier chapitre de la Bible, a été le sujet d’innombrables dissertations, delà part et des adversaires et des défenseurs du saint Livre. On a fait surtout entrer en ligne, soit pour l’attaque, soit par l’apologie, les découvertes des sciences naturelles, spécialement de la géologie et de la paléontologie. Objections et réi)onses ont suivi le ? lUutuations de ces sciences, et les unes et les autres, par suite, sont, en grande i)artie, trop démodées pour mériter une mention. Les dlllicultcs principales, jusqu’à ce jour, portaient, d’abord, sur l’ordre de succession des créations partielles assignées aux six jours de la Genèse. On a critiqué l’apparition du soleil au 4’jour

seulement, après que les plantes ont été créées au 3", quoiqu’elles aient besoin du soleil pour vivre. De même i)our la production des oiseaux au 5’jour, et des reptiles, « de tout ce qui rampe sur la terre », au C alors que la paléontologie trouve, dans les couches à fossiles, les rei)tiles bien avantles oiseaux. Ensuite, on a prétendu que la formation du globe et la création de toutes les espèces vivantes, dans le court espace de six jours, était en contradiction flagrante avec la science, qui réclame des milliers de siècles pour expliquer les stratiûcations successives qu’elle a constatées dans l’écorce terrestre et les nombreuses llores et faunes, aujourd’hui éteintes, qu’elle y a découvertes. Enlin la science ne peut pas davantage admettre que, comme l’écrivain sacré paraît laffirmer, tous les végétaux aient été créés ensemble, le même jour, el seudjlablement les animaux des eaux, tous les oiseaux, puis les animaux terrestres ; car il est certain que, dans tous les règnes des êtres A ivants, les espèces ont apparu successivement, suivant une loi de jirogrès, les moins parfaites d’abord et ensuite les autres, de plus en plus parfaites.

De savants commentaires ont été publiés, pour montrer, à l’encontre de ces objections, que la cosmogonie biblique ne contredit pas les résultats certains de la science moderne. Quoique ces essais to7(co ; rfis<< ; 5 n’aient pas perdu toute valeur, il nous semble que l’exégèse et l’apologétique tendent à y renoncer, et non sans raison. Pour répondre aux dillicultés scientifiques, il sullit en elfet d’appliquer un principe d’exégèse, depuis longtemps bien autorisé dans la tradition catholique. C’est celui que Léon XIII, dans l’encyclique l’roi’idenlissimiis Béas, a rappelé en ces termes : « Les écrivains sacrés ou, pour mieux dire, l’Esprit de Dieu, qui parlait par leur organe, n’a pas voulu enseigner aux hommes ces choses (à savoir, la constitution intinu’dvi monde visible), qui ne sont d’aucune utilité pour le salut (S. Augustin). Par suite, peu préoccupés de pénétrer les secrets de la nature, ils décrivent et expriment quelquefois les choses, ou avec des métaphores, ou selon le langage usuel de leur temps, analogue à celui qui a cours aujourd’hui dans la vie ordinaire, pour beavicoup de choses, même entre les houimes les plus instruits. Or, dans le discours vulgaire, on énonce d’abord et directement ce qui tombe sous les sens : de même donc l’écrivain sacré (cette remar<|ue est du Docteur angélique) « a parlésuivantlesapparences sensibles ». C’est-à-dire que Dieu lui-même, voulant parler aux hommes et se mettre à leur portée, s’est exprimé d’après l’usage humain. »

Nous trouvons l’application du même principe dans la ^>-’réponse de la Commission biblique. Elle nous y avertit que, dans l’interprétation du premier chapitre tie la Genèse, « ou ne doit pas toujours rechercher exactement la propriété du langage scientifique », parce que « dans la rédaction de ce chapitre, l’auteur sacré ne s’est pas proposé d’enseigner scientidquemcnt la constitution intime des choses visibles et l’ordre complet de la création, mais plutôt de donner à ses nationaux une connaissance populaire, suivant f (pic le couq)ortait le langage vulgaire de l’époque, et adaptée aux idées et à la capacité intellectuelle i, des contemporains >'.

En conséquence, on doit le prévoir, l’historien inspiré de la création afiirmera clairement que toutes choses ont été produites i)ar Dieu, car c’est la doctrine nécessaire au salut qu’il veut inculquer ; mais il ne faut pas s’attendre à ce (jn’il expose d’une manière scientifique le comment de cette production. On peut être sûr. au contraire, qu’il ne se préoccupera que de rendre le fait sensible aux siuiples intelligences de ses contemporains.

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C’est bien ce que nous constatons. Son récit est visiblement construit d’après un cadre qu’il a choisi lui-même, mais qu’il a choisi sans l’ombre d’un artilice savant, en s’acconimodanl franchement aux conceptions de l’époque où il écrivait. Le monde et tout ce qu’il contient est l’œuvre de Dieu, voilà le fait à exposer : pour cela, l’écrivain de la Genèse adopte la division populaire du monde en trois parties ou régions, le ciel, les eaux et la terre. Il montre dans chacune l’opération du Créateur procédant, pour ainsi dire, par étapes. Il y a trois étapes principales, comprenant chacune trois étapes secondaires ou trois échelons. La première étape est la création des trois régions à l’état informe, mêlées et confondues. La seconde est Vopiis distinctionts, comme s’exprime S. Thomas d’Aquin ; elle met la distinction, l’ordre, successivement dans chaque région : dans le ciel, par la production de la lumière, que Dieu sépare d’avec les ténèbres » ; dans les eaux, par la séparation

« des eaux d’au-dessus du tirmament d’avec celles

d’au-dessous » ; sur la terre, par la séparation des mers et des continents. A la troisième étape, l’action de Dieu reprend dans chaque région, toujours suivant l’ordre ciel, eaux, terre, pour les orner(opus vnatus ) et leur donner des habitants. Aux six échelons composant la deuxième et la troisième étapes principales, est attribué le nom de jours.

Maintenant, que toute la création se soit accomplie suivant l’ordre symétrique de ce tableau, cela n’est pas impossible, sans doute ; néanmoins, le soupçon vient bien naturellement que cette symétrie est due au rédacteur, et que celui-ci n’a songé qu’à présenter les créations divines dans un ensemble impressionnant, sans s’astreindre à reproduire leur succession réelle, indifférente pour l’enseignement à mettre en relief.

Plusieurs Pères grecs et, parmi les latins, surtout S. Augustin, ont même cru voir dans la Bible que toutes choses avaient été créées simultanément. Ce sentiment, dans sa forme absolue, ne paraît guère pouvoir se justifier par une interprétation naturelle du texte sacré ; mais il sulVit qu’il existe, avec les autorités qui l’appuyent, pour qu’il ne soit pas interdit aux exégètes catholiques : cela résulte du principe rappelé dans la 4’réponse de la Commission biblique. A plus forte raison, est-on libre de soutenir que Moïse, dans son histoire de la création, a négligé la chronologie et ne prétend pas retracer la succession réelle des créalions divines.

Dans cette interprétation, à laquelle les adhérents sont de nos jours venus de plus en plus nombreux, que signitient les li six jours » ? D’après quelques-uns, ils auraient rapport, non à des moments de l’action créatrice, mais aux visions dans lesquelles le Créateur a daigné représenter son œuvre à la pensée ou même aux yeux du premier homme. Suivant une explication plus naturelle, c’est que les six « jours «  appartiennent au cadre librement construit par le rédacteur de la Genèse, et sont destinés à montrer dans la création le type de la semaine ouvrière, suivie du repos sabbatique. L’écrivain sacré, nous l’avons dit, indique lui-même clairement cette signilication des six (ou plutôt sept) a jours », dans la conclusion de son tableau (ii, 2-3). En conséquence, ces jours » doivent représenter si.r moments caractéristiques d’activité créatrice. A ces moments correspondraient les six grandes créations particulières que marque le tableau. Ces créations ont-elles été séparées par un temps ? C’est plus vraisemblal)le.

« [uoique cela ne soit pas absolument nécessaire pour

la vérité du type. Celui-ci exclut peut-être l’hypothèse de la création simultanée, mais, en tout cas. n’implique jioint des jours de vingt-quatre heures.

D’ailleurs, non seulementle texte sacré ne nous impose pas l’assimilation de la semiUne divine et de la semaine humaine au point de vue de la durée ; il récarte plutôt, équivalemment. S. Augustin le i-emarquait déjà, quand nous lisons (Gen., i, ii-12)que, sur l’ordre de Dieu, la terre poussa du gazon, des herbes à semence, des arbres portant fruit, et tout cela le troisième jour, il ne peut être question dun

« jour ordinaire tel que ceux que nous connaissons ».

Car ce n’est pas un de ces jours, mais plusieurs, qu’il fallait pour que les plantes qui, après avoir pris racine dans la terre, en sortent pour la vêtir, germassent d’abord en dessous, puis vinssent à la lumière dans le nombre de jours iixé pour chaque espèce (De Genesi ad lit., l.IV, xxxiii, 62).

Si l’interprétation « idéaliste », plus exactement métaphorique on symbolique, qui vient d’être esquissée, est admise, — et elle est certainement admissible, — les ditlicultésénoncéesplushaut tombent d’elles-mêmes. Il n’y a pas de contradiction entre la Bible et la science, ni sur l’ordre d’apparition des êtres dans le monde, ni sur le temps qu il a fallu pour la formation du globe et le complet épanouissement de la vie terrestre, puisque, sur tous ces points.l’historien inspiré s’est abstenu de rien allirmer positivement.

Il n’est pas nécessaire de s’arrêter aux objections concernant certains détails du récit biblique : par exemple, la création du « firmament ». qui paraît représenté comme une voûte solide, au-dessus de laquelle il y a comme des réservoirs pour les eaux destinées à fournir les pluies. Si l’auteur sacré semble partager cette conception populaire des anciens, il n’allirme rien, néanmoins, sur sa vérité ; il j’conforme seulement son expression, pour se faire comprendre de ses contemporains : de même que les savants d’aujourd’hui parlent encore, dans la vie ordinaire, à peu près comme le peuple, de la voûte apparente que nous voyons au-dessus de nos têtes.

Pour les rapports de l’histoire biblique de la création avec l’anthropologie, la biologie etc., voir les art. Homme, Transformisme.

Second récit de la création improprement dit.

— Paradis terrestre. — Tentation et chute d’Adam et d’Eve (Cen.. 11. 5-iii, ai). — Les critiques rationalistes voient dans le second chapitre de la Genèse un nouveau récit de la création, qui contredirait celui du premier chapitre sur presque tous les points. Les contradictions leur semblent si flagrantes qu’ils s’appuj-ent principalement là-dessus, pour soutenir que les deux récits ne peuvent pas être du même auteur.

Mais, d’abord, si les contradictions étaient réelles et si claires que le prétendent ces critiques d’aujourd’hui, le rédacteur de la Genèse les aurait lui aussi remarquées, et alors il n’aurait pas adopté à la fois les deux documents ou il les aurait modiUés de manière à les harmoniser. De fait, les deux chapitres diffèrent assez par le style et le vocabulaire même, pour qu’on puisse y reconnaître deux sources successivement exploitées par l’auteur de la Genèse ; mais ce ne sont pas deux versions inconciliables des mêmes événements. Voici quelles seraient les principales de ces contradictions prétendues.

D’après le premier récit, l’homme est créé le dernier de tous les êtres, et les deux sexes sont créés en même temps : d’après le second, l’homme est formé d’abord, avant les plantes et les animaux, et la femme est formée après l’homme. D’après l’un, toute la terre, à l’origine, était plongée dans l’eau, mais, dès qu’une partie en est asséchée, les plantes y poussent ; d’après l’autre, au commencement il n’y a nulle 287

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végétation, faute de pluie et parce que riiomnie n’est pas encore là pour cultiver la terre.

Xotre réponse à la tlillicuUé tirée de l’ordre des créations est facile : nous savons déjà que le premier récit ne nous impose rien à croire sur ce sujet. Mais il y a à la base de toutes ces objections une interprétation au moins très contestaljle, nous osons même dire erronée. On suppose que l’écrivain du second chapitre a voulu donner lui aussi un tableau de la création dans son ensemble. La vérité est plutôt que le nouveau récit a pour seul but de ilcc-rireen détail la formation des premiers humains, et les dispositions spéciales que Dieu a prises pour préparer une demeure convenable à ces créatures privilégiées. D’anciens interprètes juifs traduisent ainsi le début de cette relation : « Et toutes les productions des champs n’étaient pas encore sur la terre ; » et ils observent que cela se rapporte au Gun Eden (Paradis terrestre). (Midrasch Bereschit Hablia iibertragen von Lie. D’" Aug. Wcensche, Leipzig, 1880.) Même s’il fallait s’en tenir à la traduction, contestable cependant :

« Aucune plante des champs n’était encore

sur la terre », cela ne devrait pas s’entendre de toute la terre. Le contexte montre que l’auteur veut parler d’une contrée déterminée, où les pluies sont presque nulles et où la fertilité du sol ne s’obtient que par l’irrigation, qui requiert la main de l’homme. Or telles sont précisément. d’après tous les informateurs anciens et modernes, les conditions de la Mésopotamie, et spécialement de sa partie inférieure, la Bal)ylonie, c’est-à-dire de la région où les indications formelles du texte nous invitent à localiser le Gan Eden. La plaine entre le Tigre et l’Euphrate s’est toujours montrée d’une fécondité prodigieuse, quand elle a été méthodiquement arrosée ; elle s’est changée en désert ou en marais, lorsque l’eau de ses fleuves ne lui a pas été distribuée régulièrementpar des canaux (.. Delattre, Les frai-aux hydrauliques en Bn/n70 « (e, Bruxelles, 1888).

En résumé, donc, l’horizon, dans ce qu’on appelle le « second récit de la création 0, est limité au Paradis terrestre ; les végétaux dont il relate la production, sont ceux dont le Créateur a spécialement doté le grand « jardin », destiné à la demeure de nos premiers parents. Le texte lui-même nous apprend de quels végétaux il s’agit ; nous lisons (11, 8-9) : « Dieu planta un jardin en Eden… Et Dieu fit pousser du sol toute sorte d’arbres agréables à voir et (portant des fruits) bons à manger… B Vraisemblablement aussi, par les animaux des champs et les oiseaux, formés de la terre », dont il est question un peu plus loin (ti, ig), il faut entendre surtout ceux qui sont propres à servir l’homme, ou dont la société peut le récréer. Il est assez naturel que ceux-ci, ou une partie d’entre eux, n’aient pas été « formés de la terre » avant l’homme.

Pour établir que tout ce que la Bible dit dvi paradis terrestre et de l’épreuve à laquelle nos premiers parents furent soumis, n’est qu’une fable ou une parabole historique, les critiques rationalistes y relèvent plusieurs détails qu’ils déclarent impossibles. Tels seraient, notamment : source commune attribuée au Tigre et à l’Euphrate (11, 10. i !) arbres conférant la science du bien et du mal (11, 9. 17, 22) ou l’immortalité (11, 9, 2a), serpent parlant (m, i), etc.

En réalité, l’interprétation arbitraire des critiques crée seule les impossibilités qu’ils objectent. En elTet : i" La Bible n’allirmc pas que le Tigre et l’Euphrate (et deux autres « tlcuves >>). ont une source commune dans le pajs d’Eden, mais qvie leurs eaux y sont réunies en vm naliar (i< fleuve ») arrosant le paradis. Ce naliar, chez un auteur qui ne parle pas un langage scientifique, peut désigner un réceptacle d’eau quel conque, communiquant à la fois avec le Tigre et l’Euphrate. Il n’est pas impossible qu’ily ait eu déjà, dans le Gan Eden, quelque chose d’analogue aux canaux, qu’on trouve en Babylonie dès les temps les plus reculés, et allant de l’Euphrate au Tigre ; ils servaient à la régularisation du débit des deux fleuves, aussi bien qu’à l’irrigation de la plaine (Delattre, op. cit.). En tout cas, l’ignorance où nous sommes de la géographie mésopotamienne des âges primitifs, ne permet pas de tirer une objection sérieuse de cette donnée obscure.

2° L’ « arbre de la science du bien et du mal » est appelé ainsi, comme le remarque S. Augustin, par prolepse, parce que cet arbre marqué par Dieu pour servir à l’épreuve de nos premiers parents, leur a, en conséquence, donné la première occasion de choisir entre le bien et le mal, et de connaître l’un et l’autre par l’expérience. La Bible n’attribue à la manducation matérielle des fruits de cet arbre aucune influence sur le développement de la connaissance. Quant à r « arbre de vie », il n’y a rien d’étonnant à ce que le Créateur ait conféré aux fruits de certains arbres du paradis une vertu spéciale pour entretenir la vie humaine. Et le fait qu’il est aussi question d’arbres de ce genre dans les légendes babyloniennes, n’est pas une preuve contre la réalité historique de ceux ([ue mentionne la Genèse. D’ailleurs les paroles ironiques que le texte fait prononcer au Seigneur chassant Adam du paradis (111, 22), n’insinuent en aucune façon que l’homme, en mangeant des fruits de l’a arbre de vie », après son péché, eût pu rester immortel malgré Dieu.

3" Le serpent qui parle, dans l’épisode de la tentation, n’est pas un pur animal ; il sert d’instrument et, pour ainsi dire, de masque au vrai tentateur, qui est Satan, le mauvais ange. C’est ce dernier qui a formé les sons articulés et les autres signes d’idées que paraissait émettre le serpent, dans l’entretien avec Eve. Telle est la réponse que faisait déjà S. Cyrille d’Alexandrie aux sarcasmes de Julien l’Apostat (contra Julian., 1. III).

Chapitres IV-XI. — Ils contiennent les souvenirs restés dans la tradition — ou du moins ce que Moïse, sous l’inspiration divine, a jugé bon d’en retenir, — concernant les destinées de l’humanité, depuis son expulsion du paradis terrestre jusqu’à la vocation d’Abraham. L’intention de donner une véritable /115/0(re, quoique très fragmentaire, est encore plus évidente dans ces chapitres que dans les précédents, et il est superllu de nous arrêter à le prouver. Passons aux dilficultès concernant la valeur de cette histoire.

Les généalogies patriarcales et la chronologie biblique. — Sans préjudice du caractère historique de ces chapitres en général, il est permis peut-être de se demander si Moïse veut donner ses listes généalogiques comme des documents strictement historiques, demandant une foi entière, et on ne manque pas de raisons inclinant vers la négative. Ce sont là en effet, pour ainsi dire, les titres de noblesse d’Israël : d’une part, donc. Moïse pouvait dilficilement en changer la teneur, fixée dans la tradition nationale ; d’autre part, il semble qu’il ait pu les reproduire tels quels, sans en prendre toute la responsabilité. La liberté avec laquelle le texte original des généalogies de la Genèse est traité dans la traduction des Septante, paraît bien indiquer que ces documents n’avaient pas, aux yeux des Juifs eux-mêmes, un caractère sacré indiscutable. Quoi qu’il en soit de cette opinion, nous n’en ferons pas usage ici ; car, en tout cas, il faut bien admettre que l’historien in 289

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spire ne laisse pas que d’attribuer quelque autorité à ifs généalogies ; sans quoi, il ne les aurait pas insérées dans son œuvre. Et plusieurs des difficultés qu’elles soulèvent peuvent être formées aussi à propos d’autres textes.

Ce qu’on a le plus discuté dans les listes généalogiques de la Genèse, c’est laclironologie qu’elles semblent contenir. Rappelons d’abord que ces listes sont de deux sortes : les unes appartiennent à la tige principale (au point de vue de l’historien sacré), qui va d’Adam à Abraham ; les autres sont pour les liranches secondaires. Celles-ci, par un procédé ^’rlimination, comme on a ingénieusement dit, sont décrites sommairement avant la tige principale, et après il n’en est plus question, généralement. C’est ainsi que nous voyons énumérés d’abord les descendants d’Adam par Gain (iv, 17 sq.). Au chapitre vi viennent les patriarches issus d’Adam par Seth jusqu’à Noé ; ils sont dix, Adam compté. Au chapitre xi (10), cette généalogie est continuée de Noé par Sem jusqu’à Abraham, et il y a encore dix noms en comptant depuis Sem et omettant le « second » Cainan, introduit par les Septante.

Nous ne nous attarderons pas aux dillicultés qu’on a faites sur la similitude des noms entre les généalogies caïnite et séthite, d’où l’on a conclu que c’était une même généalogie, artiliciellement divisée en deux. Cette similitude, qui d’ailleurs n’est pas complète, peut venir de ce que les noms des enfants, dans les premiers temps, représentaient un petit nombre d’idées communes, telles que « fils » (c’est le sens qu’on reconnaît à Abel, Ctiui), « homme » etc. Et l’on observera que le phénomène objecté ji’esl pas sans analogies dans tous les temps.

Pour en venir à la chronologie, les deux listes de la lige principale offrent cette particularité, qui ne se trouve pas dans les listes secortdaires, qu’elles marquent pour chaque patriarche l’âge auquel il a « engendré )> le suivant et l’âge total atteint par lui. Il semblerait donc qu’en additionnant les chilfres des âges auxquels les patriarches ont engendré, on obtiendra le temps qui s’est écoulé d’Adam à Noé et par suite au déluge, et de Noé à Abraham. C’est en ellet sur ce calcul ques’appuyent les essais de cliroitûhii (ie ()(fc//<7 » e. Cependant ces essais ne s’accordent point, parce que les textes autorisés qui nous ont transmis ces généalogies, n’ont pas les mêmes chiffres. Notre’V^ulgate latine suit le texte hébreu des Masorètes ; mais partout où ce texte, pour l’âge auquel un patriarche a engendré le suivant, ne porte pas un chilfre pluii fort que 100, la version greei|ue dite des Septante ajoute 100 : de cette sorte, pour l’intervalle d’Adam au déluge, l’addition qui donne 1656 années, dans le texte hébi-eu, atteint jus- | qu’à 2256 chez les Septante. Le texte hébreu, tel que I l’ont conservé les Samaritains, a encore d’autres ehilTres, en général inférieurs décent ans à ceux du texte masorétique ; l’addition, faite comme ci-dessus, ne donne, chez les Samaritains, que 1807 ans. d’Adam au déluge. Dans la liste du chapitre xi, nous retrouvons à peu près la même différence entre le texte hébreu et celui des Septante : de sorte que, dans ce dernier, l’addition donne 12/17 ^"^’du déluge à Abraham, et seulement 867 ans, dans l’hébreu. Le texte des Samaritains se rapproche ici des Septante et donne 1017 ans. On a supçonné, non sans raison, le traducteur grec d’avoir moditic les chiffres du lexte original, alin de rendre plus facile la conciliation de la chronologie biblique avec les longues chronologies des autres peu|)les, surtout avec la chronologie égyptienne. Aujourd’hui, non seulement les découvertes dites préhistoriques, dont la chronologie est très mal assurée, mais encore les monu Tome II.

nienls d’Egypte et de Babylonie, dont une grande partie peut être approximativement datée, font considérer comme beaucoup trop faibles même les chiffres des Septante. Cette question de la ( chronologie biblique » pour les âges primitifs, sur laquelle on a tant écrit et discuté, se résout pourtant d’une manière assez simple, au point de vue apologétique. On peut affirmer qu’il n’y a pas de chronologie biblique pour les temps antérieurs à Abraham. Supposé, en effet, que les chiffres d’un des trois textes généalogiques soient prouvés authentiques, non altérés — ce qui n’est pas le cas, — il resterait à établir que les généalogies sont continues. La rigueur avec laquelle les anneaux de la chaîne généalogique paraissent reliés entre eux, chaque i)atriarche étant dit « engendré » par le précédent, n’exclut pas l’hypothèse que la filiation soit seulement médiate, entre les patriarches consécutifs. En d’autres termes, quand nous lisons, par exemple : « Enos, à 90 ans (à 190, d’après les Septante) engendra Cainan », cela peut signifier que Enos, à l’âge indiqué, engendra un fils, non nommé, de qui est descendu plus tard Cainan. Les cas semblables, où il faut certainement expliquer de cette manière la formule « N. engendra N’», ne manquent pas dans la Bible. Il suffira de rappeler lagénéalogie du Christ, dans S. Mathieu (1, 9. n), où on lit que « Joram engendra Ozias » et ( Josias engendra Jechonias et ses frères ». Or, il y a eu quatre générations de Joram à Ozias et Jechonias était le petit-fils de Josias : l’évangéliste a donc omis cinq générations ; sans doute, comme il l’insinue (v. 17), pour pouvoir réduire à trois séries de i ! les générations d’Abraham jusqu’à Joseph. Le rédacteur des chapitres v et xi de la Genèse a pu, de même, omettre des générations, pour réduire ses généalogies à deux séries de 10 noms et les rendre ainsi plus faciles à retenir, ou pour d’autres raisons. Les indications sur l’âge auquel chaque patriarche a « engendré » le suivant, gardent d’ailleurs leur vérité, que la génération ait été immédiate ou seulement médiate, ^irtuelle.

Un moment que les généalogies de la Genèse peuvent avoir des lacunes, elles ne sauraient servir à fixer la chronologie. En conséquence, la Bible laisse toute liberté aux savants pour déterminer l’antiquité de l’homme d’après les documents profanes dont ils disposent, ou qu’ils pourront encore découvrir.

Longévité des patriarc’nes. — Une autre difficulté contre les généalogies patriarcales, se tire du grand âge attribué à ces représentants de l’humanité primitive. Plusieurs apologistesont essayé d’y répondre par des hypothèses tendant à diminuer les chiffres d’années assignés. Les divergences des textes au sujet de ces chiffres, les altérations que plusieurs ont probablement subies dans toutes les sources, ne permettent pas, en effet, de les considérer tels quels comme entièrement sûrs. Toutefois il ne paraît guère contestable que l’écrivain sacré affirme bien pour les patriarches, surtout avant le déluge, une durée de vie de beaucoup supérieure à celle qu’on a pu constater dans l’hunumité plus récente. La physiologie n’y fait pas d’objection absolue : il suffit d’admettre, ce qui est très vraisemblable, que la nature humaine n’a point perdu immédiatement, par le péché de nos premiers parents, les énergies précieuses dont Dieu l’avait dotée dans sa création. Sa vigueur physique n’a dû diminuer que peu à peu, par les abus mêmes qu’en ont fait les descendants d’Adam, en suivant de plus en plus « une voie de corruption ». Les « géants » qui étaient sur la terre, non pas seulement à la suite des unions d’-i enfants de Dieu » avec les « filles des hommes « mais déjà auparavant, la Bible le dit

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(Gen., VI, 4), attestent également une humanité plus vigoureuse qu’aujourd’hui.

On veut, il est vrai, que cette mention des géants, ainsi que la longévité des patriaiches, soit un emprunt fait aux légendes concernant les origines qui circulent chez tous les peuples, et par suite sans valeur historique. Xous avons déjà répondu en observant que la ressemblance matérielle des récits bibliques avec les « traditions » plus ou moins légendaires qu’on rencontre ailleurs, ne prouve rien contre les premiers, si elle ne les conlirme pas plutôt.

Unions des « fils de Dieu ». — L’épisode des unions des « lils de Dieu » avec les « lilles des hommes » (Geii., vi, i-4) ne serait pas defendable, s’il fallait y voir de vrais mariages (les expressions du texte demandent bien qu’on entende des mariages, non des unions transitoires) entre des anges et des femmes de la terre. Mais, quoique, dans cette interprétation étrange, les rationalistes aient eu pour prédécesseurs des rabbins et un certain nouibre d’auteurs ecclésiastiques, elle n’est nuUenu’nt exigée par le texte biblique. Il l’exclut même assez clairement, lorsqu’il nous montre Dieu se plaignant des hommes seuls, leur réservant le terrible châtiment de sa justice, sans que les séducteurs étrangers à l’humanité (s’il y en a eu) reçoivent ni reproche ni châtiment, contrairement à ce qui s’est passé après le picmicr péché. Puis, le nom de « lils de Dieu » n’appartient pas en propre aux anges, dans l’usage biblique : il est donné aussi, non seulement au.x justes, mais à tout Israël et aux Israélites en général (Ps.lxxx, 16 ; Ose., XI, I ; £’j., IV, 22 ; /s « ., I, 2 ; XXX, i, y). L’Iiistorien de la Genèse a donc pu très bien designer par ce nom les hommes qui, sans être nécessairement tous desyHs(es, se distinguaient parleur attacliement au culte divin. Il donne sulBsamment à entendre (spécialement par les notes dont il accompagne les noms d’£rios et Ilenocli, Gen., iv, 26 ; v, 24), que les adorateurs du vrai Dieu se trouvaient surtout dans la ligne de Seth. Dignes d’être appelés « lils de Dieu » pour leur fidélité au culte du Seigneur, beaucoup l’étaient également parce qu’ils se tenaient encore loin de la corruption, où s’enfonçait de plus en plus le reste des hommes, surtout la fraction issue de Caïn (iv, --j--ilt). Mais, quand ces « lils de Dieu » se laissèrent captiver par les cliarmes sensuels des femmes qui n’étaient que « lilles d’iiommes », eux-mêmes ou leurs enfants entrèrent dans la voie que Buivaientles pères et les frères de celles-ci. Ainsi la méchanceté devint générale, et les « violences » où se plaisaient les Xephilim, ces scélérats puissants d’alors, se multiplièrent et prirent des proportions telles qu’un déluge universel parut à Dieu même le seul moyen de purilieret renouveler la terre (vi, 5--).

Déluge. — Il a déjà été répondu aux objections élevées contre le déluge biblique au nom des sciences (voir Déi.uc.k). La plupart de ceux mêmes qui dénient toute autorité historique au reste des onze premiers cliapilres de la Genèse, font plus ou moins exception pour le récit du déluge, du moins quant au fait d’une grande inondation. On en a attaqué quelques détails ; notaunnent on a prétendu y relever des contradictions. Celles-ci, cquitublement examinées, se réduisent à ce ipie l’auteur, en un endroit, déveh)ppe ou précise mieux ce qu’il n’a fait qu’indiquer, ailleurs, d’une manière générale.

Ainsi en est-il, par exemple, des prescriptions diverses relatives au sauvetage des animaux. Quand Dieu donne à Noé ses premières instructions pour la construction de l’arche, il ne parle que de lui envoyer uncoui-le de chaque espèce (vi, 19-20) ; plus tard, il

spécilie que ?ioé doit prendre avec lui sept couples des animaux purs (vu, 2, cf. 8). Il n’y a pas plus d’opposition entre les passages où la submersion est dite à produire ou produite par la pluie (vu, 4) et ceux où elle est attribuée à l’irruption des « eaux du grand abîme » ou de la mer, en même temps qu’aux pluies (vii, 11-12 ; viii, 2).

On peut admettre que ces passages proviennent de documents différents, quoique les divergences dont il s’agit n’en soient pas une preuve décisive. Le fait que Moïse les employé simultanément dans sa rédaction, prouve assez qu’il n’y a vu aucune incompatibilité. Et réellement, ici comme dans les autres cas, moins importants encore, que nous négligeons, des contradictions ne se montrent qu’à ceux qui cherchent mal à propos dans l’histoire de la Genèse une régularité classique de composition.

Table ethnographique- — Sur le point de clore son histoire de l’humanilé primitive, pour se renfermer dorénavant dans l’histoire de la race d’Abraham, l’auteur de la Genèse tient à présenter un tableau des peuples issus de Noé par ses trois lils. Son but est de marquer l’unité du genre humain d’avant et d’après le déluge, l’égalité naturelle de toutes les races, et d’inscrire en quelque sorte d’avance leur droit commun aux « bénédictions » que la n postérité d’Abraham » apportera à « toutes les nations de la terre ».

On a dil avec raison de ce tableau que « c’est le document le plus ancien, le plus précieux et le plus complet sur la distribution des peuples dans le monde de la plus haute antiquité » (F. Le.nor.mant, Histoire ancienne de l’Orient, t. I). Il n’en existe pas d’autre conq>arable dans la tradition profane. Cependant on peut admettre que Moïse en a emprunté les éléments, pour une bonne partie, aux Egyptiens et aux Babyloniens. La plupart des noms qu’il renferme ont été, en effet, retrouvés sur les monuments les plus anciens de l’Egypte et de la Babylonie. La division de tous ces peuples en trois grandes familles naturelles, Sémites, Chamiles, Japhétites, appartient à l’auteur de la Genèse ; la science ethnographique n’a pas d’objection sérieuse à y opposer. Seulement, il ne faut pas, avec Gi : nkel (Die Genesis) voir dans cette table l’idée < enfantine », que les peuples se forment par le seul développement d’autant de familles procédant chacune d’un ancêtre unique. Rien n’indique une pareille idée chez le rédac-Icur de la table. Il n’était pas assez peu observateur pour croire qu’aucun peuple ait gardé son sang absolument pur de mélange. Il ne ralliriiÈe pas même pour le « peuple de Dieu », où il admettra les enfants d’Egyptiens après trois générations (Dent., xxiii. S).

Dans la table ethnographique, comme dans les généalogies patriarcales, le terme « il engendra » importe vraie hliation entre les lils ou petit-UIs de Noé et les peuples dits issus d’eux. Mais, pour être vraie, cette liliation, médiate naturellement, implique seulement que l’influence du sang de l’ancêtre nommé est restée dominante, et non qu’aucun sang étranger ne s’est infiltré dans la descendance.

Ensuite, la classification mosaïque n’est pas inexacte, parce qu’elle ne coïncide pas avec des divisions qui seraient fondées sur la langue, la religion, etc. Il est constant, en effet, que ces caractères peuvent dilféreret dilTèrent chez des peuples de même origine, et inversement ; bien plus, ils peuvent changer et changent avec le temps, chez le même peuple. .ussi rien ne prouve que la Genèse ait tort de ranger, par exemple, parmi les enfants de Cham les Chananéens, qui parlaient une langue n sémitique » ; parmi les enfants de Sem, les Elaniites, où c’est le contraire, etc.

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EnCn, on ne doit pas chercher, dans la « table » Ju chapitre x.une ethnographie tant soit peu complète ; Moïse n’a voulu y faire ligurcr que les peuples les plus connus des Israélites de son temps. El c’est ce qui expliqueaussi que le tableau soit si détaillé, par endroits, — pour les peuplades chananéennes, par exemple, — et si sommaire et vague, ailleurs. Il faut toujours se rappeler que l’auteur sacré ne se préoccupe pas de science pure, ni même d’histoire, sinon en tant qu’il s’agit des destinées du peuple de Dieu et de la vraie religion.

Histoire patriarcale (xh-xlix). — Autorité. —

Les récits qui commencentavec le chapitre xii et vont jusqu’à la tin de la Genèse, ont pour la plupart un caractère presque anecdotique. Ils s’étendent sur les épisodes de la vie errante des patriarches Abraham, Isaac, Jacob, et principalement sur les événements de famille. Tous ces faits, parfois vulgaires en eux-mêmes, sont relevés par les grandes leçons morales qui s’en dégagent naturellement, mais surtout par leur rapport avec le développement des promesses niessianiques. Toute cette histoire patriarcale est en elTet dominée par l’attente de la « postérité », en laquelle

« toutes les nations seront bénies ». Elle a

pour objet principal, selon le plan bien visible de son auteur, de mettre en relief la solennité des déclarations où Dieu, à différentes reprises, promet cette postérité ; les interventions spéciales qu’il multiplie pour la préparer ; les preuves de foi et de Udélilc au Seigneur, par lesquelles les patriarches sont obligés de la mériter. A cause de ce lien intime avec le dogme du messianisme, la tradition catliolique a constamment maintenu non seulement le caractère historique des récits sur les patriarches, mais encore leur pleine vérité.

A la preuve décisive de cette vérité, qui résulte toujours de l’inspiration de l’Ecriture et de l’autorité de la tradition, nous pouvons ajouter maintenant le témoignage des documents profanes. Les annales de l’Egypte et de la Babylonie ne nous offrent pas, il est vrai, les mêmes événements que l’histoire des patriarches. Les scribes des bords du Nil et de l’Êuphrate ne racontent que les hauts faits de leurs rois, et s’il est arrivé à ceux-ci de se faire battre par un .braham (Gen. xiv), ils ne le rapporteront point. Cependant l’histoire des patriarches dépasse quelquefois le cercle familial ; elle se mêle même à l’histoire des grands empires, comme dans l’épisode auquel je viens de faire allusion ; l’intéressante histoire de Joseph se passe presque tout entière en Egypte.

Dans ces parties, les monuments babyloniens et égyptiens peuvent servir à contrôler au moins la vraisemblance des récits bibliques. L’épreuve a été faite, et nombre de fois, et avec la plus grande rigueur : le résultat est un éclatant témoignage en faveur de la Genèse. Partout où les indications de l’historien sacré ont pu être confrontées avec les découvertes des égyptologues et des assyriologues, on a constaté leur étonnante exactitude. Ainsi, tous les détails donnés dans l’histoire de Joseph en Egypte (Gen., xxxix-XLvii), touchant les usages, les mœurs, les institutions de la société égyptienne aux environs de 1000 avant l’ère chrétienne, se retrouvent sur les monuments indigènes de cette époque. Pour échapper à la conclusion qui en résulte contre leurs théories hostiles à l’Ecriture, les critiques rationalistes en sont réduits à prêter aux écrivains tai-d venus qu’ils font auteurs de la Genèse, une connaissance tout à fait invraisemblable de l’archéologie égyptienne et babylonienne. N’était leur parti pris, ils reconnaîtraient que la lidélité des peintures de la Genèse tient à ce qu’elle renferme une histoire réelle, qui est

parvenue à son auteur dans une tradition véri » dique.

Abraham et Cbodorlabomor. — Les objections par lesquelles on croyait, il y a moins de cinquante ans, avoir rendu insoutenable la vérité des récits sur les patriarches, se sont pour la plupart dissipées devant la lumière des découvertes d’Orient. On se rabat sur de prétendues impossibilités, par exemple dans le récit du chapitre xiv. La victoire d’Abraham, telle qu’elle y est relatée, paraît à M. Noeldeke si incroyable, que « rien n’est impossible, si elle ne l’est point » ; M. Wklliiausen est du même avis, et M. GuNKEL, qui admet que le cadre du récit est historique, ajoute que « l’histoire moderne affirmera sans hésiter qu’avec 318 hommes on ne peut mettre en déroute un conquérant du monde ». Mais cette difficulté ne paraît si grosse à ces illustres savants, que parce que le préjugé rationaliste ne leur permet pas d’interpréter la Bible avec équité, s’il ne faut pas dire qu’il les empêche de la lire avec le simple bon sens.

Le texte sacré porte que le roi d’Elam, avec trois autres rois, ses alliés ou ses tributaires, vint pour châtier cinq rois (ou plutôt roitelets) de la vallée de Siddini, qui lui avaient refusé le tribut, après l’avoir payé pendant douze ans (xiv, i-4). Il ne s’agit donc pas d’une expédition de conquête, mais plutôt d’une opération assez banale, presque d’une « opération de police », comme on dirait aujourd’hui, sinon d’une simple razzia.

On ne peut inférer du texte que le grand roi élamite la conduisit personnellement. « Les rois de l’empire mondial, observe M. A. Jeremias, n’ont pas besoin de monter en personne sur le char de guerre, pour châtier des vassaux négligents à payer le tribut. Mais il appartient au style solennel des annales de nommer le roi comme représentant de son armée. » Aussi bien, on lit (Gen., xiv, lo) que le roi de .Sorfome, n’ayant pu soutenir l’attaque des Mésopotamiens, s’enfuit et tomia dans les puits de bitume, pour y périr, naturellement ; et cependant on le retrouve peu après bien portant et venant au-devant d’Abraham pour le féliciter de sa victoire (xiv, i^) : l’écrivain a donc mis, dans le premier passage, un roi pour ses gens.

Quoi qu’il en soit de ce détail, on peut conclure avec l’assyriologue cité, que « les forces militaires en présence, d’un côté comme de l’autre, n’ont pas dû être énormes et qu’ainsi les 318 serviteurs d’Abraham ne prêtent pas à une objection sérieuse ». L’historien biblique nous apprend d’ailleurs qu’il y avait avec Abraham, outre ses serviteurs, trois chefs amorrhéens ses alliés (xiv, 13, 24) Dans ces conditions, le succès de l’attaque nocturne et imprévue sur l’armée (ou l’arrière-gardc) mésopotamienne ne semblera plus si difficile à croire ; et au besoin, l’aide divine expliquera^Ve[ qu’il présente encore d’extraordinaire.

La destruction de Sodome et de Gomorrhe

et la mer Morte. — C’est également par une interprétation mal justiGée, que la critique rationaliste lit dans la Genèse l’affirmation, erronée suivant la géologie, que la mer Morte devrait son existence à la destruction des villes coupables de la vallée du Jourdain. Dans le chapitre où est racontée cette destruction (Gen., xix), la mer Morte n’est pas même mentionnée ; c’est d’ailleurs par le feu que les villes sont détruites (xix, 24-25). L’objection ne repose que sur une petite phrase du chapitre xiv, 3 : « Tous ceux-ci (les belligérants nommés aux v. i-3, se rencontrèrent dans la vallée de Siddim : (c’est aujour295

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, d"hui) la mer Salée. » On serait parfaitement libre de considérer ces derniers mots comme une glose, ajoutée par quelque éditeur au texte primitif et dénuée d’autorité canonique. Mais, admettons qu’ils soient de l’auteur inspiré : on en peut conclure tout au plus qu’à son sentiment la mer Morte recouvrait ce qui avait été autrefois la vallée de Siddim. Encore n’atlîrnie-t-ilpas, peut-être, que toute la vallée fut engloutie ; mais, peu importe : on ne sait pas la position exacte ni les limites de ce qui était appelé

« vallée de Siddim », et le texte biblique ne dit

nullement que la « mer Salée » s’était formée aux dépens de cette vallée seule et n’existait pas auparavant. Que la mer Morte se soit accrue par la destruction de Sodome et de Gomorrhe, c’est possible assurément, et les géologues ne s’y opjiosent point : bien plus, eux-mêmes constatent que cette mer, dans sa partie méridionale, est peu profonde ; et que si l’emplacement des villes maudites était là, comme on l’a conjecturé, il a sulli qu’il s’affaissât de quelques mètres pour être envahi par les eaux (Loh-TET, cité par M. Vigouroux, Les lii’res saiiils et lu critique, III ; Blanckenhorn, cité par Guthe, Realeiicylliipadie fiir protestantische Théologie und Kirclie, XIV. s. V. Paleistina). Qu’un affaissement du sol ait accompagné l’épouvantable ouragan de feu où Sodome et Gomorrhe ont péri, rien ne défend de l’admettre ; elil pourraitméme s’expliquernaturellement, par exemple, par l’incendie des n puits de bitume nombreux dans la vallée » (xiv, lo).

Il n’y a pas lieu, à notre sentiment, de suspecter l’historicité de Gen., xix, 26, où l’on voit la femme de Lotli, changée, pour peine de sa désobéissance, non en statue, mais en pilier ou bloc de sel. La réalité du fait est confirmée par Sagesse, x, 7, et Luc, xvii, 82 ; et il n’implique rien ni d’impossible pour la puissance de Dieu, ni de peu décent pour sa sagesse ou sa bonté.

II. — Conception dh l divinité dans la Genèse

Parmi les objections principales delà critique rationaliste contre l’autorité historique des récils de la Genèse, figure aussi la manière dont leur auteur fait parler et agir la Divinité. Mais elle exploite ce sujet surtout en vue d’une théorie sur l’évolution des idées religieuses en Israël. Cette critique est encore à tâtonner en ce qui concerne les origines premières de la religion du peuple élu. Elle est ferme, pourtant, à n’en pas croire la Geni’se, dont les rédacteurs, à son sens, n’ont fait que projeter en arrière dans le passé ce qui se pratiquait de leur temps. Puis, a priori^ elle déclare que la religion n’a pu se développer que par voie na/Hre//e, donc par une évolution graduelle, dont le progrès intellectuel d’Israël est la mesure et la cause, sans aucune intervention spéciale de Dieu. La critique s’est efforcée de trouver dans la Bible même la preuve de cette évolution ; à cette fin, elle oppose les uns aux autres les enseignements que les livres d’âge différent donnent sur Dieu et le culte qui lui est dû. A l’entendre, les prophètes ont appris les premiers au peuple élu à connaître et honorer le Dieu universel, le Dieu saint d’une sainteté morale, qui réclame la pratique de la justice et des œuvres de miséricorde, avant les cérémonies cultuelles. Les exégètes rationalistes ne nient pointque cette haute conception de la divinité ne se rencontre dans quelques parties de la Genèse ; mais c’est dans les parties, qui, suivant eux, n’ont pas été rédigées avant l’époque des grands prophètes : tel notamment le i" chapitre ou le tableau de la création. Ailleurs, et spécialement dans les récits proprement dits, qui constituent le fond du livre, en tant qu’il est ou ^ eut être

une histoire, les idées seraient bien loin de cette hauteur, et souvent même grossières.

Avant d’examiner les textes qu’on allègue, deux observations sont à faire.

Le progrès des idées religieuses, et spécialement de la conception de la divinité, parmi l’ancien peuple d’Israël et même chez les écrivains inspirés, doit être admis, — il a toujours été admis dans l’enseignement catholique, — mais avec cette réserve, indûment laissée de côté par le rationalisme, que le progrès ne s’est point fait, au moins dans les saints Livres, de l’erreur à la vérité, mais de la vérité partielle, indistincte, voilée, à la vérité totale, claire et distincte. Il faut ajouter que la cause principale de ce progrès a été la lumière de plus en plus vive des révélations successives, faites spécialement aux patriarches et aux prophètes.

Ensuite, nous ne contestons pas toutes les différences entre les passages de la Genèse où il est parlé de Dieu. La diversité des documents utilisés par Moïse, et qu’il a pu vouloir reproduire dans leur texte propre, explique ces différences. Nous soutenons seulement que celles-ci ne vont pas jusqu’à la contradiction ou à l’erreur des doctrines

1" Objection ra<ionah’s<e.- la multiplicité des interventions divines. — Le rationalisme est choqué de la fréquence des interventions et des apparitions divines, de la familiarité avec laquelle Dieu traite les patriarches, leur parlant presque journellement, vivant en quelque sorte avec eux. Ils voient là quelque chose comme de la mylholugie, et la preuve d’une conception indigne de Dieu chez l’auteur des récits de la Genèse (Reiss, L’histoire saiiileet la Loi ; Gu.N-KEL, nie Genesis).

Il n’y a nul rapportentre les théophanies ou apparitions divines de la Genèse et les fables mythologiques. La différence est du tout au tout. D’abord, dans les apparitions bibliques on n’a jamais signalé l’ombre des indécences, des immoralités même, que les dieux des mythologies se permettent parmi les hommes. Ensuite, et surtout, le but des manifestations sensibles de la Divinité, dans l’histoire des patriarches, est non seulement toujours saint et élevé, — ce qu’on ne saurait dire des mythes, — mais d’une portée générale pour le bien des hommes. Elles tendent toutes à préparer, promouvoir la restauration de l’humanité déchue, sa réconciliation avec le Seigneur outragé par ses premiers représentants. C’est là, en effet, le terme final que visent les promesses de bénédictions qui remplissent la plupart des entretiens de Dieu avec les i)atriarches. Aussi les Pères de l’Eglise étaient-ils persuadés que, dans les théophanies de la Genèse, c’était le Verbe divin, la seconde personne de la sainte Trinité, qui apparaissait, préludant en quelque sorte à son incarnation rédemptrice. Quand on croit que le Fils de Dieu s’est fait homme par amour pour l’humanité, on ne trouve plus à s’étonner dans les communications divines dont les patriarches ont été favorisés.

:  Objection rationaliste. les anthropomorphismes.

— La manière dont il est parlé de Dieu, dans bien des textes de la Genèse, serait assurément peu digne de la majesté du Créateur, s’il fallait, avec les critiques rationalistes, leur donner une interprétation étroite, grossièrement littérale. Mais ce serait méconnaître les règles d’une exégèse loyale et raisonnable.

Quand nous lisons que Dieu modela de ses mains… le corps d’Adam et insujila dans ses narines un souille de vie (11, 1), qu’il construisit le corps d’Eve (il, 21-22) ; …qu’il planta le jardin d’Eden (11, S), et 297

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qu’il s’y promenait{m, 8) ; (xo.’descendit i’oir la tour qii’élovaient les hommes (xi, 5), etc., etc., ces façons de parler sont des produits du langage populaire, des imagi’s pour rendre sensibles des opérations, sur la nature spirituelle desquelles Tëorivain sacré n’est nullement trompé et ne trompe aucun de ses lecteurs. Car l’idée que cet écrivain nous donne du Créateur, dans les passages mêmes où paraissent ces anthropomorpliismes, est bien trop sublime pour laisser supposer qu’il ail voulu qu’on prit ses images à la lettre.

Il ne faut pas juger de ce parler primitif par notre goiit moderne, qui facilement le trouvera trop cru. Mais encore, si nous sommes tentés d’en être choqués, rappelons-nous que, sans nous en apercevoir, nous parlons souvent de Dieu d’une manière qui, en soi, n’est guère moins impropre, par exemple, quand nous disons que Dieu est irrité ou qu’il se laisse toucher. C’est que nous ne pouvons parler des actes divins que par analogie avec des opérations humaines, partiellement matérielles et sensibles : de là, dans tout ce que nous disons sur ce sujet, Vanthropomorphisme plus ou moins accentué est inévitable.

Conclusion. — Si on regarde, non à l’expression littérale, mais aux choses, aux actes attribués à Dieu, on n’aperçoit qu’une même conception de la Divinité, également grande et pure, dans toutes les parties de la Genèse ; et l’on ne saurait saisir une différence essentielle entre cette conception et celle qu’expriment et prêchent les écrits des prophètes. L’écrivain jélioviste, chez qui on trouve les anthropomorphismes dont nous avons donné des exemples, n’en est pas moins, d’après la critique, l’auteur de la relation du déluge et de l’histoire du châtiment de Sodome et de Gomorrhe. Dans le tableau de ces terribles exécutions, la toute puissance, l’empire souverain de Dieu sur la nature, n’apparaissent pas moins que dans cette première page sur lii création, qui appartiendrait, d’après la critique, à l’époque la plus avancée de la vie religieuse d’Israël. Et les sublimes visions des prophètes n’ajouteront pas beaucoup à l’impression de la sainteté et de la justice divines qui s’atlirment dans ces grandes catastrophes.

Bibliographie.

Gbnèsb ek général. — Histoire de l’interprétation, des objections et de l’apologétique. Fr. de Hummelauer, S. J., Commentariusiri Genesim (Paris, 1895 ; 2* éd., 1910) ; F. Vigouroux, S. S., Les Livres saints et la critique rationaliste. Histoire et réfutation des objections des incrédules contre les saintes Ecritures (Paris, 1887 ; 2* éd., 1890), t. I-II.

Caractère historujue. — J. Brucker, S. J., Questions actuelles d’Ecriture sainte (Paris, 1895), pp. 1 45- 1 5^ (sur les onze premiers chapitres) ; L. Méchineau. L’historicité des trois premiers chapitres de la Genèse (Rome, 1910).

Valeur historique ; réfutation des objections.

— De Hummelauer, op. cit. : F. Vigouroux, op. cit.. et La Bible et les découvertes modernes en Palestine, en Egypte et en Assyrie (6* éd., Paris, 1896) ; J. Brucker, S.J., L.’Eglise et la critique biblique. Ancien Testament (Paris, 1908), eh. ix, p. 189 suiv.

— Les Recherches bibliques de M. J. Halévy (i" partie : L’Histoire des origines d après la Genèse, Paris, 1884-iyoi) contiennent, avec des théories aventureuses et ne respectant pas toujours l’inspiration de la Bible, beaucoup de remarques utiles contre les objections rationalistes.

Histoire de la chkation’. — Outre les ouvrages généraux déjà indiqués, F. Vigouroux, Mélanges

bibliques. La cosmogonie mosaïque d’après les Pères de l’Eglise {1’éà., Paris, 1889) ; O. Zôckler (prot), art. Schbpfung. dans VEncrklopâdie fur protesta niische Théologie und Kirche, 3’éd., XVll, 681-701.

— Sj-stème d’interprétation concordiste plus ou moins tempéré : F.H.Heii^ch, /iibelund.alur(iians les deux premières éditions, Bonn, 1862, 1866 ; traduit en français sur la seconde édition par l’abbé Hertel, Paris, 1868 ; cf. A. Hâté, dans les Etudes… par des Pères de ta Compagnie de Jésus, 1868, XXI, 458) ; Giittler, Naturforschung und Dibel (.Fribourg, 1877) et art. LLexaémeron, dans le Kirchenle.rikon, 2’éd., V, 1980-1988 ; Schdpfer, Gesrliichte des ntten Testaments (Brixen, 1898) ; adaptation du même eu français par l’abbé Pelt (Paris, 1897, 5’= éd. 1901)) ; J. Brucker, Questions actuelles d’Ecr..S". (Paris, 18g5), p. 158 suiv. ; Hamard, note de sa traduction de G. MoUoy, Géologie et Révélation (Paris, iS^’i), p. Itil suiv., et art. Cosmogonie, dans le Ilictiiir.nuire de la Bible (Vigouroux). H, io31J-io54 ; Guibert. Les Origines (Paris, 1896), etc. — Système idéaliste : Reusch, op. cit., dans les deux dernières éditions (3", 1870 ; 4’, 1876 ; voir celle-ci, p. 261 suiv.) ; Paul Scbanz, Apologie des Christentums, I (4’éd., Fribourg en B., 1910). Nous omettons les systèmes d’interprétation strictement littérale (Bosizio, C. Mazzella etc.), reslitutioniste (Wiseman, Molloy etc.), liturgique (Mgr ClilTord, de Gryse, etc.) et d’autres presque entièrement abandonnés.

Histoire des patri.rchrs. — Aux ouvrages indiqués ajoutons : P. Dornstetler, Abraham. Studien liber die An fange des hebrdischen Voll<es (Biblische Studien, VII, 1-3 ; Fribourg en B., igo2) ; (avec beaucoup (le réserves) Alfred Jeremias, /)as alte Testament ini J.ichte des alten Orients (2" éd., Leipzig, 1906).

J. Brucker, S. J.