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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Hérésie

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 227-235).

HÉRÉSIE.

PREMIÈRE PARTIS

I. Nature ; division. — II. Objections. — III. Réponses.

DEUXIEME PARTIE

Répression de l’hérésie. — I. Question de droit. — IL Détermination des responsabilités de l’Eglise dans la répression de l hérésie au moyen âge.

PREMIÈRE PARTIE

I. Nature de l’hérésie ; division. — On appelle hérésie, dans l’Eglise catholique, toute doctrine directement opposée à l’un des dogmes, définis ou enseignes comme divinement révélés.

On distingue l’hérésie matérielle et l’hérésie for443

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melle. L’hérésie m « (er(e//f est l’erreur de celui qui nie de bonne foi, et sans opiniâtreté, quelqu’un des articles de foi déUnis par l’Eglise. L’hérésie formelle consiste à niersciemment, volontairement, c’est-à-dire avec connaissance de cause et obstination, quelqu’une des vérités révélées, enseignées ou délinies comme telles par l’Eglise.

L’hérétique peut être interne ou externe. L’iiérétitique interne est celui qui cache son erreur dans le fond de son esprit, sans la manifester à l’extérieur. L’hérétique externe est celui qui la produit au dehors, d’une façon quelconque, soit par des signes, des écrits, des paroles ou des actions (cf. Franciscus Cardinal. Albitius, De Inconstantia in jure admittenda vel non. De Inconstantia in fide, chap. xiii sqq., Amstelodami, 1683 ; F. Jo. Antomus de Panormo, O. FF. Minorum Observ., Scrutiniiim doctrinarum, cap. ii, art. I sqq., Romæ 1709 ; Soarez, Z>e ^rfe, Disp. XIX, sect. i ; les canonistes, dans leurs commentaires sur : le litre VII, De Hærelicis, I. V, dans les Décrélales de Grégoire IX ; le titre II, de Hæreticis, 1. V, dans le Sexte ou les Décrétâtes de Bo.niface VIII ; le titre m, de Hæreticis, 1. V, dans les Clémentines ; les théologiens, dans leur traité De fide, ou dans le De locis theologicis ; les moralistes, dans la question concernant les péchés contre la foi ; R. P. Badet, Le péché d’incroyance, L}’on-Paris, 1899).

L’hérétique externe peut encore être public ou occulte. Il est public s’il manifeste son erreur devant un nombre suflisantde témoins. Il esl occulte, s’il ne la manifeste devant aucun témoin, ou s’il ne la déclare que devant un petit nombre de personnes discrètes.

Un clirétien qui renie safoi est un apostiit. Les apostats de la foi, malgré la malice particulière de leur crime, sont évidemment de vrais hérétiques, puisqu’ils ont renoncé complètement à la foi chrétienne. Aussi bien, les peines portées par les canons contre les apostats de la foi sont les mêmes que celles qui frappent les hérétiques.

Gomme on le voit, l’hérésie est la négation de la foi, de l’autorité de l’Eglise ; elle rompt l’unité, celle note essentielle de la véritable Eglise ; elle met le coupable hors de la société établie par Jésus-Christ i)our sauver les hommes, et conséquemment hors de la voie qui conduit au salut éternel.

La foi est le plus précieux de tous les biens, puisqu’elle est le fondement, la racine de toute justification ; sans elle, il est impossible de plaire à Dieu, de sauver son âme pour l’éternité. Aussi l’hérésie est-elle un crime abominable, et en un sens le plus grand de tous. Jésus-Christ, envoyant ses apùtres prêclier l’Evangile, imposait à leurs auditeurs l’obligation de croire, sons peine d’être condamnés : n Allez dans le monde entier, prêchez l’évangile à loule créature. Celui qui croira et qui aura été baptisé, sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné. nÇMarc, XVI, 15 sq.) Obligation facile à conq)rendre pour quiconque a une exacte notion de Dieu, de l’iionmie, de leurs mutuelles relations, et du prix de la vérité révélée. Les apôtres ont eu pour l’hérésie la même répulsion ([ue leur Maître. Saint Jean y voit l’œuvre de l’Antéchrist (1 Juan., iv, 3), et défend de recevoir ou même (le saluer les hérétiques (Il Joau., 10)..Saint Pierre et saint Jude en parlent avec une extrême énergie (Il /’e(r., II, 1-17 ; Jud., 4 sqq.). Saint Paul leur dit analhèuie (Galat., i, 9). entend les réprimer, les dompter par sa puissance spirituelle, « ayant en main le pouvoir de punir toute désobéissance » (II Cor., X, 4, 6). Le grand apôtre écrit encore à Timollice :

« Conservez la foi et la bonne conscience, abandonnées

par quelques-uns qui ont fait naufrage dans la foi. De ce nombre sont Hyménée et Alexandre, que

j’ai livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blaspliémer » (I Tim., i, 19 sq.). L’Eglise primitive n’a pas d’autres sentiments ; nous n’avons pas besoin d’en (aire la preuve, tant le fait est évident.

C(jiiformément à la mission qu’elle a reçue de son divin Fondateur, de tout temps, l’Eglise a fait tous SCS efforts, pris les mojens les plus eilicaces pour préserver, défendre la foi de ses enfants. C’était un devoir primordial et sacré. Elle a porté des peines sévères contre les hérétiques. Rcinarquons-le cependant, les peines ecclésiastiques frappent seulement l’hérétique /"orme/ et ejT^er/ie ; elles n’atteignent pas l’hérétique matériel. L’Eglise ne punit pas le chrétien qui erre de bonne foi et est disposé à se soumettre à l’autorité légitime et à recevoir la vérité, dès qu’il la connaîtra. Il en esl de même de l’hérétique interne. l’Eglise ne juge pas des choses internes (cf. c. Cogitationis 14, dist. i, de Pænitentia, C. xxxiii, q. m ; c. Mandata 46, X, de Simonia, 1. V, lit. 3).

Toutefois, les peines portées contre les hérétiques formels et externes atteignent aussi :

i" Ceux qui adhèrent à leur doctrine hérétique, eis credenles : ceux qui recèlent leur personne, pour la mettre à l’abri des poursuites, ou permettre aux coupables de continuer impunément leur œuvre néfaste de perversion, eorumque receptores : ceux qui les favorisent, eorum fautores : et généralement ceux qui les défendent, ac generaliter quoslibet eorum defensores (cf. Bulle Aposlolicæ Sedis, sect. I. Excomni. latæ sentent, speciali modo R. P. reservatae, i ; d’Annibalb, Consi. Ap. Sedis, p. 21 sqq., Reate, 1880 ; Tkpiiany, Exposition du droit canonique, t. 111, n. 685 sqq.).

Le droit canonique actuellementenvigueur oppose à l’hérésie des professions de foi, des visites épiscopales, des condamnations delivreset de |)ropositions, des lois défendant aux catholiques certaines communications avec les hérétiques, des inquisitions, des excommunications, des privations d’ollices ou de bénéfices ecclésiastiques et de sépulture religieuse, etc.

II. — Une objection préalable, qu’on pourrait appeler générale et de principe, atlaque cette législation ecclésiastique : i" comme contraire au droit naturel ; 2° comme opposée à l’esprit même du christianisme primitif. On objecte ensuite 3° que les professions de foi sont une provocation à l’hypocrisie ; 4° que les condamnations de livres et de propositions sont des vexations ennuyeuses, mais d’une ellicacité fort médiocre ; 5° que l’interdiction de 00mmuniciuer avec les héréti(iues, et surtout l’excommunication, sont contraires à toute charité, à toute sociabilité ; 6°que la privation de sépulture religieuse, d’ollices ou de bénéfices ecclésiastiques, est une grave injustice…

III. Réponses. — 1° H n’est pas contraire au droit naturel de discerner le vrai d’avec le faux ; de protéger l’un et de proscrire ou même de combattre l’autre, surtout quand ils ont des conséquences i)ratiques d’une haute gravité pour la vie individuelle et sociale ; de porter des lois restrictives et aflliclives proportionnées au danger et à lacriminalité des doctrines mauvaises. Le crime de la pensée, de la parole, de l’enseignement, n’est pas moins punissable que celui de l’action ; parfois il l’est davantage. Le faux docteur, qui attise les colères et provoque les violences d’une foule ignorante et aveugle, n’est pas irresponsable, devant la conscience, des malheurs causés par sa faute ; pourquoi le serait-il devant la loi, devant le juge ?

2° L’esprit du christianisme, non seulement primi* 445

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tif mais actuel, est bien un esprit de charité, de eommiscralion, de pardon. Mais il est aussi un esprit de justice envers Uieu, dont les droits sont imprescriptibles, envers les âmes, dont l’intérêt est d’autant plus sacre qu’elles sont plus petites et plus faciles à scandaliser. On sait avec quelle force Jésus-Christ a revendiqué les droits de son Père et flétri le crime des scandaleux. Or l’orgueil de l’hérésie est le plus coupable, le scandale de l’hérésie est le plus pernicieux de tous. Comment Jésus-Christ n’aurait-il donc pas démasqué les faux pasteurs et dénoncé les faux docteurs ? — -Il a, d’ailleurs, établi son Eglise comme une société parfaite, société des âmes sans doute, mais société d’àmes unies à des corps et vivant d’une vie extérieure, visible, matérielle, aussi bien que d’une vie intérieure, invisible, spirituelle el surnaturelle. Il lui a donc donné un pouvoir de gouvernement visible, extérieur, tangible pour ainsi dire, avec la double puissance législative et coercitive, sans laquelle il n’y a pas de gouvernement efficace et complet. L’Eglise est conséquemmenl investie de toute l’autorité nécessaire à la répression de l’hérésie. Nous avons vu comment les Apôtres l’ont entendue et l’ont exercée.

3" Les professions de foi imposées aux ûdêles, aux convertis, aux suspects, jieuvent être l’occasion de quelques actes d’hypocrisie, tout comme les serments, les contrats, les simples conversations et relations sociales. Qui en doute ? mais qui voudrait aussi les supprimer à cause décela, et supprimer tout ce qui peut occasionner le mensonge, la duplicité, le parjure ? Et puis, qui ne voit l’utilité de ces formules solennelles pour le maintien de l’unité doctrinale parmi les lidèles, pour l’enseignement des esprits indécis ou ignorants, pour le dessillcmenl des yeux obscurcis par les nuages du doute et de l’erreur ?

4° Tels sont aussi les avantages considérables de la condamnation des propositions ou des écrits hérétiques : l’histoire ecclésiastique en est la preuve. La liberté de l’imprimerie, de la librairie et de la lecture en est diminuée assurément ; mais on réglemente également et l’on reslreintle débit des poisons. L’essentiel pour l’homme n’est pas de lire n’importequoi, c’est de lire ce qui l’instruit du vrai, ce qui l’anime de l’amour du bien. Si les condamnations portées par l’Eglise n’empêchent pas tout à fait le mal, leur abolition en amènerait le déchaînement absolu. (Voir l’article I.NnEx.)

5’En nous interdisant de participer au culte des hérétiques, l’Eglise se montre pleine de prudence et de charité pour eux el pour nous ; elle leur fait voir le péril de leur situation, elle nous conserve les bienfaits de la nôtre. Mais elle n’interdit pas, tant s’en faut, à ses ministres, à ses docteurs, de prêcher la vérité aux hérétiques ; elle n’interdit à aucun de ses enfants de prier pour eux ; elle tolère même l’assistance matérielle à- leurs funérailles, à leurs noces, comme marque de politesse et de bonnes relations civiles. — L’excommunication est assurément une peine terrible, maisdont le but, comme celuidetoulcs les censures ecclésiastiques, est la correction des malheureux excommuniés. S’ils ne sont pas nommément dénoncés comme devant être évités, s’ils sont tolérés, on peut librementcommuniquer avec eux, eteux avec leurs concitoyens, dans les relations ordinaires de la vie civile. Sont-ils même dénoncés nommément, on peut encore avoir avec eux des rapports de né eessité, de famille, de subordination, d’utilité soit temporelle, soit spirituelle. Si les mœurs publiques se sont quelque peu adoucies dans le monde, si la législation criminelle a pu se relâcher de ses anciennes rigueurs, la pénalité ecclésiastique a pu par là même s’adoucir, et elle n’y a pas manqué.

6" Les partisans des enterrements laïques ne sauraient se plaindre du refus de sépulture religieuse dont l’Eglise frappe l’hérésie ; personne, du reste, ne peut s’en étonner : comment prétendre communiquer dans la mort avec une société dont on s’est volontairement séparé dans la vie ? J’en dirai autant et plus encore de la privation des offices et bénélices ecclésiastiques. Gomment vouloir garder ou obtenir un ministère, une charge, une dignité, dans une société dont on repousse le principe fondamental, celui de la foi ?

DEUXIÈMB PAUTIE : RÉPRESSION DE l’HÉRÉSIE

L’une des plus graves objections qu’on ait élevées contre l’Eglise a trait à la peine de mort, qui était infligée pour cause d’hérésie, en suite de ses sentences. Cette peine résultait d’une procédure mixte, ecclésiastique et civile : le juge ecclésiastique connaissait, au for canonique, du crime d’hérésie, et le prévenu reconnu coupable était livré par lui au juge laïque, qui le condamnait à la peine prévue par la loi civile : c’est la question du tribunal de l’IxijUisiTiox. Notre intention est ici de déterminer d’une manière précise quelle est, sur cette grave question, de la peine de mort, le pouvoir de l’Eglise, quelle fut sa part de responsabilité’.

I. Question de droit. — Il y a lieu de distinguer deux j)oinls de vue :

I " L’Eglise peut-elle exercer la contrainte physique en appliquant des peines temporelles, corporelles, comme l’amende, etc., abstraction faite de l’effusion du sang ? Réduite à ces limites, la question n’est pas douteuse, et la réponse est certainement affirmative ; nous l’avons montré ailleurs en commentant la 24’proposition du Syllabiis. On ne pourrait restreindre le pouvoir coercitif de l’Eglise à la seule contrainte morale, sans faire une injure signalée à 1 Eglise, à la Papauté, et sans être au moins gravement téméraire (CHouriN, Valeur des décisions du S. Sii’ge, p. 222282 ; Paris, Deauchesne, 1907. — Cf. N. R. Th., 1908, XL, p. 209 et suivantes, et p. 71 sqq., févr. 1910).

a’Mais, que penser de la peine capitale ? L’Eglise a-t-elle le droit de l’infliger ?

Cette question est complexe et, pour plus de clarté, on peut la subdiviser en plusieurs autres.

Traitant ce sujet dans ses principes de droit canonique (t. I, n l ! ^, p. 350, Paris, 1896), Doballkt écrit : c La question est purement théorique et librement débattue entre théologiens et canonistes. » Voyons cependant d’une manière précise ce qui peut être librement discuté et ce qui doit être certainement admis. En pareille matière on ne saurait procéder avec trop d’ordre et de précision. C’est pourquoi nous examinerons successivement les diverses opinions soutenues par les auteurs catholiques.

1’^ opinion. — L’Eglise peut par elle-même et directement décréter la peine capitale et l’exécuter par ses ministres ; l’Eglise, après avoir jugé et condamné un coupable à la peine de mort, peut exécuter la sentence, non pas par l’intermédiaire du bras séculier, mais par elle-même, par ses ministres députés ad hoc, du moins si le bras séculier refusait son concours, c’est-à-dire en cas de nécessité.

L’Eglise aurait ainsi le droit direct et immédiat de glaive.

Sans contredit, c’est l’avis unanime des Docteurs,

1. Xous abrégeons un travail plus consiJérable, publia par nous dans la IVoui’eUe Hei-ue théologique, t. XLI, Tournai, l’.lO’.l (L. Cuol’pin). 447

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TEglise n’a pas un pouvoir immédiat d’infliger la peine capitale, si ce châtiment n’est pas nécessaire j)OUi’le salut éternel des membres de la société chrétienne. Comme Noire-Seigneur Jésus-Christ son divin fondateur, l’Eglise ne veut pas la mort des pécheurs, mais leur conversion.

Toutefois, écrit Dudallet, « si la peine capitale est nécessaire pour le salut éternel du prochain, nous dirons avec les cardinaux Tarquim et Mazzklla, que dans ce cas diflicilement réalisable, rien ne parait rigoureusement s’opposer au droit strict de l’Eglise de décerner par elle-même et directement la peine capitale. L’Eglise, à l’égal de l’Etat politique, est une société parfaite, et, par suite, investie de tous les droits nécessaires à sa conservation et à sa défense {Des principes, t. 1, n. /|14. lo, p. 351 sq.). « Quod vero immédiate, dit Tarquim (Institut, juris putilici, p. 48 sq. Romae, 1862), cum nécessitas postulat, a supremo Ecclesiæ magistratu taie jus exerceri non possit, nulla ratione id probari ; cum ex jure naturali, ex eo quod Ecclesia societasperfeclæst, contrarium immo demonstrclur ; ex jure autem posilivo divino nullus afferri possit locus, quo id vere interdictum fuerit… » Le cardinal Mazzella cite en note cette opinion de Tarquini et l’adopte. De Religiune et Ecclesia, disp. iv, art. G, n. 764, 3, not. i, p. 588. Romae, 1885.

Géuéialenient cependant, les auteurs qui soutiennent cette opinion font une distinction.

« Il faut en cette matière distinguer entre le droit

lui-même et l’usage de ce droit. Il peut se faire en elTet qu’un droit existe, mais que, pour de bonnes raisons, on ne doive pas, ou qu’on ne veuille pas en user. Pour la question qui nous occupe, s’il s’agit uniquement déchoit, nous n’avons aucun motif pour limiter le pouvoir coactif de l’Eglise. L’Eglise, à l’égal de l’Etat politique, est une société parfaite, et par suite elle est investie de tous les droits nécessaires à sa conservation et à sa défense. Mais s’il est question de l’usage de ce droit, il est parfaitement vrai que l’Eglise se refuse à infliger des châtiments dune gravité extrême et sanglante. Cela vient de son caractère miséricordieux et plein de charité, de pitié. Quand il s’agit d’un coupable, dont la mort serait absolument requise pour le salut public du christianisme, elle l’abandonne plutôt au pouvoir laïque, pour que celui-ci le juge et le punisse conformément aux lois. C’est là l’opinion de saint TnoM.^s, adoptée parles théologiens les plus estimés. « (Libe-RATORE, l.e Droit public de i£glise, trad. Onclair, n. 1^6, p. iG5 sq., Paris, 1888.) Duballet (Des principes, t. I, n. 4 1 41’1°. P- 352 sq.) reproduit ces paroles

de LlBERATORK.

Donc, en théorie, le droit de glaive, direct, immédiat, appartient à 1 Eglise, et selon Tarquim, MazzELLA, pratiquement l’Eglise pourrait exercer ce droit par elle-même, en cas de nécessité.

D’après Liueratore, Duballet, le droit strict de glaive ajipartient à l’Eglise, mais l’Eglise l’exerce par l’intermédiaire du bras séculier. Celte dernière opinion se ramène à la suivante, que nous allons examiner.

Que penser de l’opinion de Tarquini ? On ne peut s’enipêcher de lui reconnaître un certain degré de probabilité extrinsècpie et intrinsèque. Tarquini, Mazzellasont des autorités respectables ; et la raison qu’ils donnent n’est pas sans valeur. L’Eglise, aflirment-ils, est une société parfaite à l’égal île la société politique. Elle est donc investie de tous les droits nécessaires à sa conservation et à sa défense. Cette preuve, cependant, est loin d être décisive, concluante ; nous le verrons en critiquant l’opinion suivante, en faveiu- de laquelle on apporte la même raison.

2’opinion. — Le droit de glaive appartientà l’Eglise d’une manière médiate, en sorte que l’Eglise a le droit de recourir au prince chrétien et de l’obligera appliquer cette peine aux coupables, qu’elle lui désignerait. Dans ce cas, l’Eglise exercei-ait ce pouvoir non par elle-même et directement, mais médiaiement, par le bras séculier. A son tour, le pouvoir civil remplirait un simple ollicc au nom de l’Eglise ; il prononcerait la sentence et appliquerait la peine capitale, non pas en son : iom, mais au nom de l’Eglise. L’acte est toujours attribué à l’agent principal, ((ui le commande, et non au mandataire qui l’exécule.

Le sujet de ce droit est le Souverain Pontife ou le Concile œcuménique. « Hoc sine uUo dubio tenendum esse, saltem médiate ejusmodi jus pênes eos esse ; ila scilicet ut a catholico principe jus habeant exigendi, ut eapoena in delinquentes animadvertat, if Ecclesiæ nécessitas id postulet. Ecclesiæ enini non esset satis provisum, nisi ad ea quæ necessaria sibi suut verum jus eidem datum esset. » (Tarquini, 1. c, p. 48.)

Ainsi pense le cardinal Mazzella, qui reproduit simplement le passage de Tarquini, que nous venons de citer (De Religiune et Ecclesia, disp. iv, art. 6, 11.764, not. i, a. p. 588).

« Il est pareillement certain que ce droit (de glaive)

appariient à l’Eglise d’une manière médiate. » (Duballet, Des principes, t. I, n. 414, 8", p. 35|.)

Telle est l’opinion de S. Thcmas (ll-iUae^ q. |i^ arl.3), de Dicastillo (Tract, de cens., disput. 1), de PiRuiNG (/(is ecclesiasticum, 1. V, lit.’j, sect.3, n. 92) ; Ferraris, ad voc. Ilæreticus ; ScHM..i.ZGRVBBEn, , y, lit. 7, n. 165 sq. ; Fagnanus, 1.’V, tit. 7, e. Ad abolendam 9, n. 2 sqq.

Bellar.-min et Suarez professent cette opinion, et non la première, comme on le prétend quelquefois : 1’Xos igitiu- breviter ostendemus, hæreticos incorrigibiles, ac præsertim relapsos, posse ac debere ab Ecclesia rejici, et a sakcularibus potestatibus temporalibus poenis, atque ipsa etiam morte mulctari. » (liELLARMiN, De luicis, 1. III, cap. XXI, col. 497, in une, Venctiis, 1599, et ibid.cap. xxii, solfuntiir oh/ectiones.)

Suarez suit Bcllarmin qu’il cite (Z^e^rfe. disp. xxiii, sect. i, n. 2) el(ib., n. 7)11 écrit : « Statim vero interrogandum occurrit quis habeal in Ecclesia hanc poteslatem qus gladii), an magistralus civilis, velecclesiaslicus. .. Dico ergo hanc poteslalem aliiiuo modo pertinere ad utrumqueforum ; verumtamen in magistratu ecclesiastico, et præsertim in PonliUceesseprincipaliter, et emincuti qiiodam modo ; in regibus autein et impcratoribus eorumque ministris, esse veluti proxime, et cum subordinatione ad spiritualem poteslalem. » En somme, l’Eglise a le droit de glaive, mais pour l’application de la peine, elle a recours au bras séculier.

Tel est encore le sentiment de PALMiKRi, qui donne son opinion en résolvant une objection, De Rom. /on/Z^ce^ proiegomena de Ecclesia, §xix, viii, ad^ » " », p. iii, ’rA[.i, 1891 ; Marianus de Luca, Jnstit. jiir. publici, vol. I, p. 260, 261.

Inutile de citer les grands inquisiteurs, Torque.MADA ou Turrbcremata, Evmbric, Pegna et autres Dominicains cl Frères mineurs… ; les inquisiteurs soutiennent communément cette opinion ; et on peut dire que c’est en général le sentiment des anciens docteurs, théologiens et canonistes.

Bouix rapporte les paroles du cai’dinal Petra, qui est aussi partisan de cette opinion, mais il ne se prononce pas ; Tract, de judiciis, t. ii, n. 5, p. 398 S(p ; cf. Petha, Commentaria ad constitutioncs apostolicas, t. III, const. i, secl. 11, n. 4. 7, 8, p. 5 s(j., Veneliis, 1741.

Assurément, celle thèse a pour elle de graves et i’.9

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nombreux auteurs. On ne peut pas dire néanmoins que leur opinion, assurément probable et même très prolialile, constitue une doctrine de l’Eylise, certaine, unanimement professée. La peine de mort a toujours eu quebiues adversaires parmi les anciens Pères, notamment saint Augustin (cf. Vacandard, /, ’// ; nuisilioii, p. 20 s(i.). Le docteur de la grâce reconnaît à l’Eglise le droit d’infliger aux rebelles des pénalités temporelles, comme ramende, la confiscation, l’exil…, même en recourant au bras séculier ; mais, au nom de la cliarité, de la mansuétude qui caractérise l’Eglise, il ne veut pas verser le sang. (Cf. Ciioupin, ]’aleur des décisions du S. Siège, p. 229. ; Vrrmefrscu, l.a Tolérance, p. 81 sqq., Paris, Louvain, 1912.)

Dans les temps modernes, bon nombre d’auteurs ont repris cette thèse du grand docteur. On peut citer Vecciiiotti, /ns/. canon., vol. II, lib. iv, cap. i, § l, p. ?>) sq., et p. 46 sq., Taurini, 1868 ; le cardinal SoGLiA, Insl. jur. pubL, 1. I, cap. i, § 8, p. 1O8 (cet ouvrage a été approuvé par Grégoire XVI et Pie IX), Paris, 18/|/i ; le cardinal Cavagnis, Inst. jur. puliL, vol. I, cap. II, art. vi, §8, De poena eapitali, n. 807, et § g, n. 319, De Tribunali Inquisilionis, p. 209 sq., Romae, 1906 ; le P. Biederlack, ancien professeur de droit canonique à l’Université grégorienne (dans ses feuilles lithograpliiées, le professeur enseigne que l’Eglise a droit à tous les moyens nécessaires pour atteindre sa lin ; or la peine de mort n’est pas nécessaire à l’Eglise pour atteindre sa lin. Donc…) ; le P. Brandi, Civiltà catlolica, Del piitere coattivo délia Cliiesd, juin 1902 ; Mgr Douais (lievue pratique d’apologétique, 15 janvier 1909, p. 602) ; Vermeersch, L’EgCiseet le droit de glaie, dans Htudcs, t. CXX’^II, p. 473 sqq., 20 fév. 1911 ; La Tolérance, p. 69 sqq. ; DE la Biuère (Etudes, t. GXXIX, p. 1 19 sqq., 5 oet. 191 1). Voici comment l’évêque de Beauvais, signalant cette controverse, exprime son sentiment :

« La question n’est pas de savoir théoriquement

si elle (rEglise)n’aurait pas pu être compétente, c’est-à-dire iniliger la peine de mort. Que des théologiens et des canonistes en discutent, soit ; qu’ils reconnaissent à l’Eglise ce pouvoir juridique, à l’exemple de Suarez, peu nous importe ; pure théorie et rien de plus.

« Pour moi, d’ailleurs, je ne le lui accorde pas ; car

d’abord la peine de mort n’est nullement médicinale ; et dans l’Eglise toutes les peines tendent à la correction’ ; ensuite elle était inutile, puisque la prison perpétuelle sullisail àéloigner de la société religieuse le péril ipie l’hérétique lui fai :  ; ait courir. La [leine de mort ne lui est nullement nécessaire j^our atteindre sa lin. Mais qu’importe mon opinion ? En réalité, l’Eglise n’a jamais admis la peine de mort dans son droit. Elle l’a même résolument écartée. Tel est le fait ; il est aussi significatif que considérable… Il me semble que c’est assez pour nous, historiens, qui cherchons à délinir le pouoir de l’inquisiteur et son étendue : il n’avait pas qualité pour iniliger la peine de mort, ni directement, c’est entendu ; ajoutons, ni indirectement : autrement, que signilierail la conduite constante de l’Eglise, d’une part repoussant de son sein la peine de mort, d’autre part, enseignant la responsabilité

« lo/a/e et juridique des actes indirects ?

Pouripioi lui infliger une contradiction aussi inutile que violente ? »

Le grand argument, ou même l’unique argument apporté jiar les partisans de la peine de mort, est le suivant : l’Eglise est une société parfaite à l’égal de

1. Dans aa généralité, cette assertion devrait être contestée : il y a, même au for ecclésiastique, des peines vindicatives que les canonistes distinguent des censures ou (tciiies médicinales.

Tome II.

la société politique. Or une société parfaite a droit à tous les moyens nécessaires à sa conservation et à sa défense, et, parmi eux, comme nous le voyons par l’exemple de la société civile, est le droit de glaive. Donc de même l’Eglise a ce droit. Une distinolion s’impose ici. L’Eglise, en effet, est une société i)arfaite, à l’égal de la société politique, mais elle a une hn ditl’érente, surnaturelle, supérieure, le salut éternel des Ames, tandis que la société civile a pour fin immédiate la félicité temporelle. La lin de l’Eglise est obtenue par la sanetilication des âmes, chose tout intime, intérieure ; pourproduire cet clfet, les moyens extérieurs sont sans doute nécessaires, appi’opriés, utiles, mais insutlisants ; leur ellicacilé n’est pas universelle. « On peut, par crainte de la peine temporelle, s’abstenir de tout acte extérieurement mauvais et se laisser aller, en même temps, à des intentions mauvaises, ou se complaire en des actes qui ont l’apparence extérieure sans les conditions intérieures essentiellement requises. L’ordre externe est nécessaire à l’Eglise, puisqu’elle est une société ; ajoutons même qu’il facilite beaucoup l’acquisition de la lin chrétienne et de l’ordre intérieur. Il fait disparaître les scandales et autres empêchements ; toutefois il ne saurait sutlire. » (Cavagms, Droit public, naturel et ecclésiastique, n. 335, p. 24’-)La fin de la société civile est au contraire, de soi, plutôt externe, regarde directement la vie présente, et est assez eflicacement obtenue par les moyens extérieurs. Les peines temporel les, en elfet, sont de leur nature eflicaces à maintenir les hommes dans l’ordre extérieur, et conséqncmnient suffisantes et proportionnées à l’acquisition de la fin civile.

Cela posé, on dit en mineure : Or une société parfaite a droit à tous les moyens honnêtes et nécessaires à sa conservation et àsa défense. Ce principe est vrai, et il vaut pour l’Eglise comme pour l’Elat. Mais on ajoute : et la société civile a sans contredit le droit de glaive… Celte proposition est encore vraie. Donc, de même l’Eglise. Cette conclusion n’est pas légitime, n’est pas contenue dans les prémisses, parce que dans la mineure il y a une proposition sous-entendue que l’on n’énonce pas et qui est cependant la vraie raison de la conclusion, telle qu’on la lire, à savoir : si l’Etat a sans contredit le droit de glaive, il faut attribuer ce même pouvoir à l’Eglise, qui est une société parfaite, à l’égal de la société politique.

Voilà en réalité le raisonnement, et ce raisonnement est un sophisme. En effet, à deux sociétés parfaites ne conviennent pas les mêmes droits considérés pour ainsi dire matériellement et spéciliquemenl, mais formellement et génériquemenl : c’est-à-dire toute société parfaite a plein droit, dans son ordre, à tous les moyens nécessaires à sa fin ; mais si deux sociétés parfaites ont une fin différente, la diversité des moyenspeut provenir de la diversité des fins, et partant les droits peuvent être spécifiquement différents, — par conséquent, de ce que tel pouvoir appartient à l’Eglise, on n’a pas le droit de conclure que le même pouvoir appartient à l’Elat ; mais la réciproque est vraie, à moins qu’on ne prouve qu’il y a la même raison dans les deux cas. Aussi, dece que la société civile a le droit de glaive, on ne peut légitime- ment conclure que cemêmedroit appartient à l’Eglise, à moins qu’on ne démontre que.nécessa ire à l’Etat pour atteindre sa fin, il l’est éi^fl/enieH/ à l’Eglis, ". Incontestablement, si l’on fait cette preuve, il faut admettre que l’Eglise aie droit de glaive ; mais cette nécessité ne peut pas être déduite du concept générique de société parfaite. Donc toute la question dépend de la nécessité du droit de glaive pour l’Eglise. Et cette nécessité n’a jamais été reconnue par lEglise. (Cf. CwxGSis, /nst. jur. publ.,. I, n.312, 11, p.203, Roiue, 1906.)

^.51

HERESIE

452

De plus, el ceci constitue une forte prësomplion en faveur de l’opinion qui dénie ce pouvoir à l’Eglise, c’est un fait que l’Eg^lise n’a pas la peine de mort dans son code, qu’elle ne s’est jamais servie de ce pouvoir, et qu’elle n’a jamais déclaré que ce i)ouvoir lui appartenait, ou que le droit de glaive lui était nécessaire pour atteindre sa fin.

Prévenons de suite une objection.

Mais, dira-t-on, on ne peut guère contester, refuser de reconnaître le droit de glaive à l’Eglise, puisque ce pouvoir lui a été attribué par LKONX, qui a expressément condamné la proposition suivante de Luther (Denzingeh, n. 773 (657) ; Bullarium…, Cocquelines, t. III, part. III, p. 489) :

Ilæreticos comburi est contra s’oliintatem Spiritus.

Léon X en ellVt, dans sa fameuse l)ulle E.rsiirge du 16 juin 1620, a condamné cette proposition de Luther ; c’est la 33= ; et on ne peut le nier, c’est bien de la peine de mort qu’il s’agit ; bien plus, la condamnation est, dans l’espèce, une sentence ex catliedra : la bulle Exsurj^e constitue une définition dogmatique, infaillible. Soit. Mais, quel est le sens de la proposition condamnée ? « Brûler les hérétiques est contre la volonté du Saint-Esprit » ; cela revient à dire qu’il est illicite, aljsolument défendu d’appliquer la peine du feu aux hérétiques. Donc, on doit au moins admettre la proposition contradictoire : « Brûleries hérétiques n’est pas toujoursetnécessairement contre la volonté du Saint-Esprit, il peut être licite, il est quelquefois permis, il n’est pas absolument défendu d’appliquer la peine du feu aux hérétiques, u Mais, dans cette proposition, il n’est pas question du sujet de ce pouvoir, il n’est pas dit par qui la peine peut ou doit être ai)pli(iuéc. C’est pourquoi, conformément à la définition pontificale, il faut et il sufiit de réprouver la proposition condamnée dans le sens absolu qu’elle a, selon sa teneur, et d’afiirmer la proposition contradictoire, à savoir : il est licite dans certains cas, il est quelffuefois permis défaire subir la peine en question, et l’Etat a ce droit. Il n’est nullement requis d’ajouter : l’Eglise a ce môme pouvoir. De cela, il n’en est pas question dans la définition dogmatique. Les circonstances historiques dans lesquelles a été portée cette condamnation, suggèrent ou jdutôt imposent cette interprétation. On le sait par l’Iiistoire, et tous les documents pontificaux, toutes les constitutions impériales en font foi, c’est l’Etat qui, en ces tempslà, appliquait la peine de mort aux hérétiques. Luther réprouvait cet usage. Le Pape condamne l’assertion du moine apostat. Par conséquent, dans cette condamnation jiontilicale, ni directement, ni indirectement, ni explicitement, ni implicitement, il n’est question de l’Eglise, comme sujet du droit de glaive. Il s’ensuit seulement que le Pape ne veut pas qu’on condamne absolument la manière de faire des Etats catholiques, qui appliquaient dans certains cas la peine de mort aux hérétiques.

Mais ne serait-on pas atteint par la condamnation du concile si, comme certains historiens catholiques, on déniait absolument, nonseulement à l’Eglise, mais encore à l’Etat, tout droit d’appliquer la peine de mort aux hérétiques ? — Par contre, nous serons pleinement d’accord avec la définition du Pape, nous satisferons à toutes les exigences de la doctrine catholique, si, sansattribuerledroit de glaiveà l’Eglise, nous le revendiquons pour l’Etat, au moins dans certaines circonstances.

C’est précisément ce que soutient la troisième opinion.

3’opinion. — On le sait, la religion est le fondement delà moralité etla moralitéest le fondcmenlde la société ; en consc(iuence, le prince peut protéger la

religion, nonpas seulement en tant que telle, mais en tant qu’elle est le fondement de la société. Si donc, dans un Etat, la religion catlioliqueestreconnue socialement comme la véritable religion, le prince pourra réprimer les perturbateurs de la religion parce qu’en attaquant la religion, ils troublent en même temps l’Etat ; et par conséqvient, un crime religieux est aussi un crime civil. Mais, de la part de l’Etat, la punition du crime peut être plus sévère que celle qu’infligerait l’Eglise. L’Eglise est une mère, et dans son gouvernement elle a un caractère de mansuétude, de bonté, de douceur, qui ne convient pas à l’Etat, du moins au même degré. — Saint LiioN lg Grand, dans sa lettre à Turribius, insinue cette dilTércnce entre l’Eglise et l’Etat : « Ouæ (Ecclcsia) etsi sacerdotali contenta judiiio, crueiilas refugitultioncs, sevcris tamen cliristianorum principumconstitutionibus adjuvatur, dum ad spiritalcnonnumquam rccurrunt remedium, qui tiinent corporale supplicium. » (P. /.., LIV, 680.) "Toutefois l’Etat ne peut réprimer le crime religieux au point de nuire à la religion ; et il appartient au juge ecclésiastique de voir s’il n’y a pas excès sous ce rapport. C’est pourquoile jugement ecclésiastique sur le délit religieux doit précéder ; par exemple, sur le crime d’hérésie, c’est à lui à décider cette question : en l’espèce, y a-t-il hérésie proprement dite ? Ce jugement prononcé, le coupable est livré au bras séculier, qui, supposé le crime religieux, le juge à son tour et lui applique la peine prévue par la loi.

Mais ici une chose est à noter : dans ce cas, le juge laïc ne punit pas le délit religieux, simplement parce qu’il fait tort à la société religieuse, mais aussi parce qu’il va contre la société civile, et ainsi la peine est infligée, nonpasaunom de l’Eglise, mais au nom de l’Etat. Et, comme nous l’avons remarqué, la sanction de l’Etat peut être plus sévère que celle de l’Eglise ; elle peut aller jusqu’à la peine capitale. Donc, si l’Etat appli<iue la peine de mort, il agit en son nom propre et nullement au nom de l’Eglise ; il punit un délit social, qui est parfaitement de son ressort, de sa compétence.

Par ailleurs, le prince a non seulement le droit, mais encore, dans l’étal normal, le devoir de protéger la religion pourmainlenir la tranquillité sociale, l’ordre public. Or, l’Eglise est, de droit divin, juge des obligations à accomplir par les fidèles. Elle peut donc rappeler, inculquer au prince le devoir qui lui incombe d’user de la force non seulement pour appliquer les peines tcmi>orelles inlligées i)ar elle, mais encore pour punir par des châtiments plus sévères les graves délits religieux, qui sont en même temps des crimes sociaux, devoir que l’Etat doit rempliren son nom propre et non point au nom ou par l’autorité de l’Eglise. Et comme l’Eglise ne juge pas seulement des devoirs en général, mais des cas particuliers, elle peut fort bien, dans certainescirconstances déterminées, déclarer au prince, avec sanction à l’appui (interdit, excommunication, etc.), qu’il est obligé on conscience de sévir, d’user ilii glaive (en son nom à lui, et nonpas à celui de l’Eglise) contre les ennemis de la religion, comme contre les autres p<’rlurbateurs de la paix publicpie, de l’ordre social, par exemple, les incendiaires ; vin jirince gravement négligent sous ce rap|)ort, comme dans toutes les choses qui regardent l’ordre moral, est soumis à la juridiction de l’Eglise.

Il ne fautpas perdre de vue ces explications quand il s’agit de rendre compte de certains faits de l’histoire ecclésiastique. Bien plus, et c’est tine remarque importante à faire, parmi les liéréliques, plusieurs n’attaquaient pas seulement l’Eglise en propageant l’erreur avec des armes s])irituelles, mais usaient du glaivematériel, meltaicnl à morlles.prclres, rcnvcr453

HERESIE

454

salent, délruisaienl les églises, etc. ; il est par trop évident que de tels crimes étaient à la fois religieux et civils. Aussi l’Eglise a-t-elle réclamé très justement le châtiment de pareils coupables. D’autre part, dans certaines provinces ou villes indépendantes, l’organisation civile ou manquait, ou n’était pas assez forte pour réprimer ces désordres. Le pouvoir civil faisant défaut, l’autorité appartenait par droit dévolutif à l’Eglise, qui prenait la place du prince et exerçait son pouvoir.

Dans ces cas, l’Eglise ne procédait pas seulement en tant qu’Eglise, mais aussi en tant que société du peuple chrétien, usant du pouvoir civil ; c’est-à-dire, le légat, pour un certain temps, se substituait au gouverneur civil, et agissait en vertu du pouvoir civil qu’il détenait provisoirement. (Cf. Cavagnis, Inst. jiir. pubL, t. I, n. 313-314, p. 204-206… et Droit public, naturel et ecclésiastique, ch. iv, § 11, n. 381. Droits dévolutifs de l’Eglise dans les choses temporelles, p. 2y8 : « Quand la société civile ne peut procurer l’ordre temporel, l’Eglise, à cause de son propre intérêt, ne lui fait pas injure en s’en chai-geant provisoirement. »)

Sans doute, on cite quelques cas particuliers d’inquisiteurs conduisant au bûcher un hérétique. N’oublions pas, remarque Mgr Douais, i. qu’il vint un moment, sous Philippe le Bel, et même avant, où le [louvoir séculier donna pour sa part à l’inquisiteur la qualité de juge. Dans ces cas particuliers, l’inqui siteur agissait comme juge séculier. Ce n’était pas l’inquisition romaine ; ce n’était pas l’inquisition du toul. r>{l{evue pral. d’apol.. iSjanv. igog, p. 603.)

En résumé : i° L’Eglise peut évidemment déclarer que tel délit ou crime est digne de la peine capitale, en d’autres termes, reconnaître qu’en tel cas il est licite de prononcer la peine de mort.

2" Dans une société catholique, comme les délits contre la religion peuvent aussi constituer des délits contre la société, le prince, sous ce rapport, et supposé le jugement de l’Eglise relativement au crime religieux, peut et doit les punir en son nom propre,

3’Dans une société catholique, l’Eglise pourra également déclarer que le prince peut et doit infliger en son nom propre la peine de mort pour tel crime spécial contre la religion, qui est en mèuje temps un crime contre la société civile. (Cf. Dlballet, Des principes de droit canon, t. I, n. 411.5°, 6°, 7°, p. 351 ; Borix, De judiciis, t. IL p. Sgâ, 2*. 3°.)

Ces propositions disent exactement ce qui s’est passé, ce que l’Eglise a fait. L’histoire impartiale l’aflirme et le prouve.

I* La peine de mort a été introduite et appliquée dans certains cas aux hérétiques par lepouvoir civil, en son nom et par son autorité, et cela, parce que les hérétiques étaient regardés comme coupables d’un crime qui atteignait à la fois l’Eglise et l’Etat.

2* L’Eglise n’a jamais appliqué la peine de mort ; cette peine n’est pas dans le code ecclésiastique.

3" Par sa conduite, l’Eglise, dans la personne de [lUisieurs papes, notamment de Grégoire IX et d’Innocent IV, a approuvé les lois civiles qui statuaient la peine de mort contre les hérétiques ; elle en a pressé l’application pendant un certain temps, et même les a fait adopter par quelques citésou provinces libres.

Voilà ce qu’a fait l’Eglise au sujet de la peine de mort. L’on peut ainsi déterminer d’une manière précise quelle est sa responsabilité dans cette grave affaire.

II. Détermination des responsabilités de l’Eglise. — Ces faits, ces aveux ne donnent-ils pas raison aux historiens, qui prétendent que <r c’était, du moins indirectement et médiatement, au nom de

l’Eglise que le bras séculier exécutait la sentence qui atteignait les coupables » ?

Assurément non. Même après l’intervention des papes, il reste vrai que le pouvoir séculier jugeait, condamnait et exécutait la sentence en son nom et par son autorité propre, et nullement au nom de l’Eglise, ni directement, ni indirectement. Ce point a été démontré et est acquis.

Ajoutons un exemple pour le mettre en relief. Supposons un juge prévaricateur, infidèle à sa mission. Grâce à ses faiblesses, les voleurs, les assassins multiplient leurs crimes dans le pays au point de compromettre gravement la sécurité publique. Le ministre prévenu avertit le magistrat, avec sanction à l’appui, de faire son devoir et d’appliquer les lois en toute justice et équité. Le juge, ne voulant pas s’exposer à subir des peines, remplit désormais son devoir avec courage, et rend des arrêts parfaitement justes et équitables. Nonobstant les avertissements, les ordres, les menaces de ses supérieurs hiérarchiques, le juge, quand il rend ses sentences, ses arrêts, n’en est-il pas, n’en reste-t-il |>as juridiquement resj ensable ? Seri supérieurs lui ont toul simplement inculqué la nécessité de faire son devoir. Il a compris cet avis, et le met en pratique ; mais il agit toujours sous sa propre responsabilité, en vertu de ses pouvoirs ordinaires.

Ainsi en est-il de l’Église par rapport au pouvoir civil dans l’affaire de la peine de mort. Les papes ont plusieurs fois rappelé aux princes chrétiens leurs devoirs, avec sanctions à l’appui. Mais, ceux-ci, en appliquant les lois civiles, ont agi en leur nom et sous leur propre responsabilité. (Cf. Vermeebsch, Etudes, ao février 191 1 ; I.a Tolérance, p. 198 sqq.) Pour disculper l’Eglise, il n’y a donc plus qu’à résoudre la question suivante : « Les lois civiles, qui décrétaient la peine de mort contre les hérétiques, dans le temps et dans les circonslances où elles ont été portées, étaient-elles justes ou injustes ? » Cette question n’est autre qu’un cas de conscience. Pour le résoudre, il faut tenir compte de toutes les circonstances historiques. Mais, dans la société chrétienne, le Souverain Pontife a pleine autorité pour résoudre les cas de conscience. Or, les pajjcs ont déclaré authenliquement, quoique d’une manière implicite, qu’à raison des temps et des circonstances, ces lois étaient justes, opportunes, nécessaires, puisqu’ils les ont approuvées, en ont pressé l’application, les ont adoptées eux-mêmes pour leurs Etats, et les ont fait adopter par quelques villes indépendantes. Donc, pour un catholique, il n’y a pas à hésiter. Il s’en tient au jugement authentique de l’Eglise.

Et même au seul point de vue historique, il n’est pas bien difficile d’expliquer et de justifier la conduite de l’Etat et de l’Eglise, et de montrer que ces lois civiles, si rigoureuses fussent-elles, étaient parfaitement justes.

! Le principe de la loi est en dehors de toute discussion ; 

il n’est autre que la thèse que l’on établit en parlant des rapports de l’Eglise et de l’Etat. En principe, un Etat catholique a indubitablement le devoir et le droit de protéger la religion catholiqjie, qui est la seule véritable religion, et partant d’exclure l’exercice extérieur des cultes faux. (Voir les propositions 55, 77-80 du Syltabus : cf. Valeur des décisions du Saint-Siège, p. 306 sqq., et p. 358 sqq.) Donc l’Etat catholique a certainement le droit, et, selon les circonstances, le devoir de faire des lois pour conserver l’unité religieuse, et par conséquent d’édicter des peines contre les perturbateurs de l’ordre religieux, de l’unité religieuse, qui deviennent, par le fait même, des perturbateurs de l’ordre public. 455

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456

Mais la peine de mort ?

20 On doit dire : même la peine de mort, si elle est nécessaire, se justifie.

En réalité, cette peine s’explique très bien par les circonstances historiques. Cette explication suffit amplement. Les décisions pontiticales valaient pour l’époque, le temps, les circonstances où elles étaient données. Les papes statuaient sur une question d’oppoitiinilé, question essentiellement contingente et relative : étant données les circonstances, les princes de^’aient appliquer les lois en vigueur. Ces décisions n’avaient pas un caractère absolu et universel ; les Papes ne décrétaient pas que ces lois devaient être appliquées absolument et toujours. Sans contredire le moins du monde leurs prédécesseurs, les papes d’aujourd’lini peuvent fort bien conseiller et prescrire la tolérance aux princes chrétiens. La peine de mort se justifie par la nécessité. A. une époque, elle a pu être nécessaire et salutaire ; à raison des temps, des idées, des mœurs qui ont changé, ce châtiment extrême peut être jugé actuellement inopportun, et même dangereux. La Chambre française, à une majorité assez considérable, vient de voter le maintien de la peine de mort : dans cinq ou dix ans, si les circonstances ont changé, une nouvelle Chambre pourrait en juger autrement.

Or, au moyen âge, l’ordre religieux et l’ordre politique étaient intimement unis, et pour ainsi dire se compénétraient ; un violateur de la loi religieuse, qui était une loi organique de l’Etat, était en même temps un perturbateur de l’ordre public, et le crime d’hérésie, détruisant la religion, s’attaquait au fondement même de l’Etat. (Abbé Deville, I.e droit canon et le droit naturel, p. 201 sqq., Lyon, 1880.) Quoi d’étonnant que ce crime fût puni d’un châtiment très grave ? En définitive, la peine capitale est réservée aux grands crimes, à ceux qui vont plus directement contre le bien essentiel de l’Etat. Or il est certain que le premier bien, le bien le plus essentiel, le bien primordial, fondamental pour un Etat, c’est la religion. Par conséquent, celui qui tend à détruire cette unité religieuse qui fait l’unité nationale, est le plus grand criminel, parce que, en réalité, il prépare des catastrophes pour son pays, et cela, au point de vue spirituel et temporel, c’est la perte des âmes et la ruine de l’Elat.

Bien plus. l’Iiistoire le montre, en ce temps-lâ, les hérétiques ne se contentaient pas d’attaquer la doctrine de l’Eglise, mais ils propageaient souvent un enseignement immoral, des pratiques innomablcs, contre le droit naturel, ils proposaient et défendaient àprement des théories tout à la fois anticatholiques, antipatriotiques, antisociales (cf. Vacandard, Vlnq., p. gi, Hérésie cathare ; Vermeehsch, La Tolérance, p. 178 sqq.) ; ils fomentaient des séditions, des révoltes contre le pouvoir légitime, et en combattant l’Eglise elle-même, ils n’employaient pas seulement des armes spirituelles, comme la parole, les écrits, la prédication, la persuasion, mais ils usaient en vérité et fréquemment du glaive matériel ; ils mettaient à mort les prêtres, renversaient les églises…, et commettaient toute sorte de crimes et d’abominations. Je ne cite que quelques noms de sectes : les Albigeois, les Vaudois, les Protestants, principalement en Allemagne, les Huguenots en France… Les hérétiques constituaient par conséquent le plus grave danger au point de vue religieux et social.

L’Etat n’avait-il pas le droit et le devoir de punir de pareils criminels, et d’arrêter par un châtiment exemplaire ceux qui auraient été tentés de les imiter’.'

Joseph DR Maistue a eu raison d’écrire : « L’hérésiarque, l’hérétique obstiné et le propagateur de l’hérésie

1 doivent cire rangés incontestablement au rang des plus grands criminels. Le sophiste moderne qui disserte à l’aise dans son cabinet, ne s’embarrasse guère que les arguments de Luther aient produit la guerre de trente ans ; mais les anciens législateurs, sachant tout ce que ces funestes doctrines pouvaient eoiiter aux hommes, punissaient très justement du dernier supplice un crime capable d’ébranler la société jusque dans ses bases, et de la baigner dans le sang. » (Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole ; deuxième lettre. — Cf. Mgr Paqi et. Droit public de l’Eglise, p. 298, Québec, 1908.)

M. VacandaLrd trouve qu’en parlant ainsi on force légèrement la note apologétique : « Ce qui est vrai, écrit-il, c’est qu’au moyen âge il n’y eut guère d’hérésie qui n’eût des attaches avec une secte antisociale… Mais, en fait, les tribunaux de l’Inquisition ne condamnèrent pas seulement les hérésies, qui étaient de nature à causer un trouble ou un bouleversement social ; ils frappèrent toutes les hérésies en bloc cl chaque hérésie comme telle. Nous statuons, dit expressément Frédéric II, que le crime d’hérésie, quel que soit le nom de la secte, soit mis au rang des crimes publics… Et de la sorte tombera sous le coup de la loi quiconque s’écartera de la foi catholique, ne fut-ce qu’en un seul article. » (L’Inquisition, p. 284.) M. Vacantlard, en aflirmant que l’on condamnait l’hérésie comme telle, voudrait-il prétendre que l’on frappait le crime d’hérésie, en le considérant comme tel au point de vue religieux, et nullement en fonction de l’ordre social ? — A notre tour, nous lui dirions qu’il force la note historique, qu’il exagère. Bien plus, le texte même de Frédéric II, qu’il cite, précise ce point… « Nous statuons, dit l’empereur, que le crime d’hérésie, quel que soit le nom de la secte, soit mis au rang des crimes publics. >

Aussi, toute hérésie extérieurement manifestée, quel que soit le nom de la secte…, est considérée comme crime publie, délit social, et puni comme tel : car, toute hérésie, quelle qu’elle soit, quand même elle aurait un caractère purement spéculatif, est, et est considérée à cette époque comme délit social, atteignant l’ordre public, parce qu’elle tend à rompre l’unité religieuse, qui est, et est regardée comme le premier bien social, le fondement de la société. A tort ou à raison, l’unité religieuse faisait l’unité de la pairie.

Sans doute, au point de vue abstrait, spéculatif, 01 peut considérer l’hérésie sous un double aspect comme délit religieux et comme crime civil. Mais encore une fois, en pratique, dans l’ordre réel, concret, à cette époque, ces deux points de vue se compénétraient. Le dévouement à la religion était la forme la plus élevée du dévouement à la patrie. Mgr Douais a pu très justement écrire : « Par son hérésie, il (l’hérétique) se mettait hors de la société religieuse. L’inquisiteur, en le livrant, déclarait que, à partir de ce jour, il n’appartenait plus à la société religieuse. La cour séculière, seule compétente désormais, avait qualité pour arguer de ce fait contre lui. Pourquoi, et qu’est-ce’.que cela pouvait lui faire ([ue cet homme rejetât le symbole en tout ou en parlie. fut cathare, néo-manichéen, hércliqucen un mol ? La situation actuelle du monde politique ne nous aidi pas à en voir la conséquence. En réalité, cet héréli que, parce qu’hérétique, divisait le territoire plac sous le sceptre impérial. Et comme l’hérésie pullulai aux xii’et XIII’siècles et que les hérétiques nnmbreu formaient des masses profondes, le tort fait à la pui ; sance politique était réel et grand. Donc elle arguai contre l’hérétique du fait de son hérésie. Elle lui iniligeait la peine du feu, non en vertu de la sentence inquisitoriale, mais aux termes de la conslitulion de 457

HOMME

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l’empereur. » (ftetnie prat. d’apol., p. 604, 15 janv. 1909.)

u L’hérésie du moyen âge s’est presque toujours doublée de systèmes antisociaux. En un temps où la pensée humaine s’exprimait le plus souvent sous une forme théologique, les doctrines socialistes, coinnninistes et anarcliisles se sont montrées sous foMiio d’iiérésie. Dès lors, par la force des choses, la cause de l’Eglise et celle de la société étaient étroitement unies et pour ainsi dire confondues, et ainsi s’explique et se précise la question de la répression de l’hérésie au moyen âge. » (Jean Guiraud, J.a suppression de l’hérésie au moyen âge, dans Questions d’archéologie et d’histoire, p.44.) A latin de son livre sur l’Inquisition, p. 306 sq., M. Vacandard fait siennes ces paroles et il ajoute :

« Kicn d’étonnant que l’Eglise et l’Etat, ensemble

attaqués, se soient mis d’accord pour se défendre. Si l’on défalipiait de la liste des sectaires brûlés ou emmurés ceux qui furent frappés conmic perturbateurs de l’ordre social et malfaiteurs de droit commun, le nombre des hérétiques condamnés se trouverait ré<luilàune minime quantité. Ces derniers(donc, les licréti<|ues considérés comme tels) au regard de la doctrine ciuumvinément re(, ’ue, étaient également jusliciahlfs de l’Kghse et de l’Etat. On ne concevait pas que Dieu et sa révélationn’eussent pas de défenseurs dans un royaume chrétien. Les magistrats étaient, i)cnsait-on, responsables des injures faites à la divinité. Indirectement l’hérésie relevait donc de leur tribunal. Ils avaient le droit et le devoir de frapper h’s erreurs contre la foi, comme ils faisaient les doctrines antisociales. » (Cf. Vbrmeerscii, La Tolérance, p. 191 sqq.)

Va terminant, nous devons ajouter une observation.

De ce que quelqu’un défend le principe de l’Inquisition, et l’application qui en a été faite par les sociétés catholiques dans le passé, il ne s’ensuit pas qu’au point (le vue historique, il nie a priori tout abus dans l’usage de ce droit. On peut blâmer ces excès, de quelque part qu’ils viennent ; les papes ont dû plusieurs fois rappeler aux inquisiteurs leurs devoirs ; il serait cependant injuste d’inqjuter à l’Eglise les fautes de quelques-uns de ses représentants. (Voir article Inouisition.)

Et surtout, il ne s’ensuit pas qu’à défendre l’inquiiition, on témoigne en vouloir le rétablissement dans nos sociétés modernes. (Cf. I ?ouix, />e judiciis, t. ii, 5, p. 896, Parisiis, 1866.) L’Eglise exerce ses pouvoirs, ses droits, non ad ruinain, mais ad aedificationem, ei si, de l’usage d’un droit, il résulte de plus grands maux pour la société, l’Eglise s’abstient. Et dans quelle mesure doit-elle user de ses pouvoirs, de son droit, un catholique lui laisse le soin de juger.

L. Choopin.