Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Iran (Religion de l')

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 558-574).

IRAN (RELIGION DE L’). — On n’essayera pas ici d’exposer complètement le système religieux des Perses. Il paraît plus conforme au l)Ut de ce diclicmaaire de discuter l’influence que leur religion a pu exercer sur la religion des Israélites et sur son dévelop ])erænt depuis la fin de la captivité de Babylone. Nous insistons à dessein sur cette date, car, s’il était question d’une influence des Perses sur les Israélites

à une époque antérieure, il nous suffirait de renvoyer à l’article décisif de Mgr de Harlez dans la Revue biblique(La Bibleet l’AvesIa, 1896, p. 161-i’ ; 2).

Depuis quelques années, la position est sensiblement déplacée. Les ouvrages de Stave (i’eber den Einfluss des Parsismus anfdas Judentum, 1898), de Ghevne (Origin of the Psalter, 1891). de Soukrblom (La vie future d’après le Mazdéisme, 1901), de BÔKLEN (Die Vertvandtschaft der jiidisch-christlichen mit der Parsischen Eschatologie, 1902), de Bousset (LJie lieligiiin des Judentums, etc., igo3), ne parlent plus d’une influence du Parsisme sur les anciennes histoires d’Israël, telles que la création, le premier homme, le paradis, le déluge. Leur point de contact est évidemment en Babylonie. Mais on n’avait jamais autant insisté sur les ressemblances qui lient le Judaïsme à la religion de Zoroastre. Indiquons dès maintenant les objets du litige.

On remarque d’abord que le Judaïsme et le Parsisme sont les seules religions de l’antiquité qui possèdent un canon de Saintes Ecritures : d’un côté la Bible, de l’autre l’Avesta.

Le dieu des Perses est celui qui approche le plus de celui des Juifs. Il est créateur, presque spirituel, et spécialement Dieu du ciel. Comme l’expression

« Dieu du ciel » apparaît dans la Bible surtout à

l’époque persane, on se demande si ce n’est pas un emprunt.

Il est vrai qu’au dieu suprême des Perses, Ormazd, est opposé un principe mauvais qui lui dispute l’enipire. Mais on croit remarquer que le Judaïsme, à la difTérence de l’ancien Israël, incline vei>s une conception du monde voisine du dualisme, Satan et ses suppôts étant partout les adversaires du règne de Dieu.

Les deux principes du bien et du mal sont, chez les Perses, entourés d’une armée qui a ses chefs au nombre de six. On observe aussi cliez les Juifs, à partir du retour de la captivité, une tendance marquée à grandir le rôle des anges, dont quelques-uns percent avec des noms propres, et les démons se dessinent aussi beaucoup plus nettement, entre autres Asmodée, dont le propre nom serait emprunté aux Perses. Quelques-uns de ces assistants d’Orraazd dans la lutte pour le bien sont plus que des anges ordinaires. Ce sont des conceptions abstraites, douées cependant d’une existence concrète, des personnes ou des hjpostases. Ne serait-ce pas le germe premier des hjpostases divines, la Sagesse, le Verbe, la Gloire, sans parler de celles de Philon, qui seraient, comme les Ameslias Spentas*, au nombre de six ?

Les Perses avaient les idées les plus fermes sur la rétribution qui attendait chaque individu dans l’autre vie. Ils croyaient à cette autre vie qui était le triomphe complet du dieu bon dans la résurrection générale des morts. Et c’est précisément à leur contact, prétend-on. que les Juifs entrent dans le domaine des spéculations eschatologiques et commencent à aliirmer la résurrection des corps.

Enfin, car nous ne voulons pas entrer dans le domaine extrabiblique de l’influence des idées persanes sur les Juifs talraudistes, d’où est émanée l’idée du royaume de Dieu dans Daniel, avec la figure capitale du Fils de l’homme ? Vôltkr (Der Menschensohn in Dan., vii, 13, dans Zeitschrift ftir die Neutest. Wissenscliaft, 1902, p. i^S) se demande si ce n’est pas encore un emprunt fait à la l’erse, et Geld-NEH insiste sur l’étrange ressemblance des Gnthas

1. Les tr ; iiiscrii>tioiis sont en géi]éral celles de Duriiiestetcr ; nous avons dû citer certains mots tantôt » ous la forme nvesliqnp, tantôt sous lu forme peldvie ou pnrsie ; l’ancien perse a aussi ses formes propres, Anahatn pour Anahila, etc.

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avec l’Evang^ile sur le point fondamental du royaume de Dieu (art. Zoroasliianism dans Jincycl. l/ihlicn). Des deux côtés on attend le royaume, on le désire, on } travaille, on le croit prochain. Puis la perspective s’éloigne et la tliéolojrie est chargée d’explirjuer eomment l’attente doit se reporter au monde futur de l’éternité.

On conviendra qne ces insinuations plus ou moins fermes, plus ou moins condensées en un système logique, jièsent lourdement sur l’étude de la théologie dans les deux Testaments.

Trois solutions sont possibles Ou bien chacune des religions a suivi sa voie, ou bien l’une des deux a intlué sur l’autre, le Judaïsme sur le Zoroastrisnic ou réciproquement. Secondairement on pourrait envisager l’hypothèse d’une influence commune, Babylone ou la Grèce.

Le théologien biblique supposera suffisamment connu dans les grandes lignes un des termes de la comparaison, le Judaisme. Il emprunte l’autre terme à r.vesta. Mais aussitôt surgit la question préalable : De quand date l’Avesta ? Question sur laquelle les éranisles sont loin d’être d’accord. U serait assurément téméraire de l’aborder directement, sans connaissances philologiques, mais on peut chercher uiodeslement à s’orienter en prenant pour base les points admis par les spécialistes. C’est ce que nous es-^ayerons de faire. D’ailleurs l’Avesta n’est point une source unique. Il y a les textes des Grecs et les inscriptions des rois Achéménides ; la date qu’on donne à l’.^vesta doit être en harmonie avec ces témoignages datés.

Voici, pour le dire en un mot, la question précise qui se pose en fait. L’Avesta, ou religion de Zoroastre, est un système religieux formel, une religion historique dans toute la force du terme, quelque chose d’analogue à la prédication de Mahomet. Avant d’embrasser ce système religieux défini, les Perses avaient une religion naturelle, comme tous les autres peuples de l’antiquité. A quel moment faut-il placer la prédication du prophète qu’on nomme Zoroastre, la réforme et la transformation qui l’ont suivie ? Si c’est avant les Achéménides, il peut être question d’une inQuence de Zoroastre sur la Bible ; si c’est après Alexandre, combien les conditionsdu problème sont changées ! Il est surtoutnécessaire de distinguer entre le système religieux des Mages et la religion qui l’a précédé. D’où notre i)lan : 1. De quand date l’Avesta et quel est le caractère de cette réforme ? — II. Quelle était auparavant la religion des Perses, surtout par rapport aux points controversés ? — m. Ces points fixés nous permettront d’envisager les rapports du Judaïsme avec les Perses.’I. La réforme attribuée à Zoroastre. — c L’Avesta, tel que nous le possédons, n’est que le débris d’une littérature beaucoup plus vaste, divisée en vingt [et un] livres ou JVasks, que l’on possédait au temps des Sassanides’. » (Dahmbstetbr, JCcnd-Avesla, m, p. VII.) Darmesteter, auquel nous empruntons ce début, ajoute que, d’après la tradition parsie, les vingt et un livres répondaient aux vingt et un mots de la célèbre prière Aliuna vairya. Ainsi les vingt-deux livres du canon hébreu répondent aux vingt-deux lettres de l’alphabet (saint Jiîhômk, Prolagiis galeatas). De plus, l’Avesta était divisé en trois parties : les Nasks relatifs aux Giitluis^ qui sont comme la promulgation inspirée delà loi nouvelle, les Nasks de la loi, dont fait partie le Vendidad, et les Nasks

1. Nous nous référons toujours, en cilunl Diirmpsteter, -i cet ouvrnge monunieatid qui nous sert de point d’appui, sinon toujours <ie guide, et au([uel nous empruntons toutes les traductions de r.vesla, sauf indictition contrait-e.

mixtes. Il est dîfiicile de ne point constater avec Darmesteter que cette division correspond à celle du canon juif : la Loi, les Prophètes et les Ecrits. Seulement dans l’Avesta l’ordre est interverti entre la loi et les prophètes, car les Nasks gâthiques contiennent plus de théologie que la loi et ont plus d’importance religieuse. Cette classification était d’ailleurs tout à fait artificielle, et les savants modernes n’ont point l’habitude de s’y référer. Par exemple les ïnshts, qui sont des hymnes aux dieux, sont rangés dans la section dàtique ou législative. Tout ce qui nous est parvenu n’a été conservé que par la liturgie. On est donc dans l’usage de citer le Yasna. ou le sacrifice, contenant un certain nombre de lias ou chapitres, parmi lesquels figurent les vingt-deux Gàthas, le Vendidad ou livre des purifications (jne nous possédons tout entier, et les Yashts. Ces indications sailliront à la présente étude.

L’Avesta sassanide avait donc incontestablement la physionomie d’un canon. Tout le monde accorde qu’il fut définitivement clos sous Sapor 1" (251-272). Le triomphe de l’orthodoxie fut asstiré sons Sapor II (30/|-37g). Adarbàd, fils de Mahraspand, mettant en action un vers des Gàthas, confondit les incrédules et tes hérétiques en se soumettant à l’épreuve du Var, c’est-à-dire en se faisant verser du métal fondu sur le cœur, sans en souffrir. « Maintenant que la vraie religion s’est montrée à nos yeux d’une façon visible, dit Shfthpfibr (Sapor), je ne souffrirai plus de fausse religion. » (D.

M., lII, p. xxxv.) A ce nionient

la religion de l’Avesta est otliciellement la religion des Perses. On peut dire (Qu’elle l’était déjà, ou du moins qu’elle le devint au temps du fondateur de la dynastie des Sassanides, Ardashir Bâbagàn (21 1--226, 126-2^i) et par son fait. Il se donne comme le restaurateur de l’Empire des Perses et se propose en même temps de restaurer leur religion. Il remplace sur ses monnaies le titre de Philhellène par celui de Mazdayasn, « adorateur de Mazda », et cette religion des Perse^ est incontestablement celle de l’Avesta ; il en établit le texte de telle sorte que les additions postérieures n’entrent pas en ligne de compte au point de vue religieux.

D’après Darmesteter, le roi sassanide a fait beaucoup plus. Son auxiliaire, le grand prêtre Tansar,

« que le roi charge de recueillir et de compléter

l’Avesta et dont il estampille l’œuvre du caractère officiel, fut le théoricien du règne et le véritable organisateur du Néo-Mazdéisme » (Darm., III, p. xxv). Masoudi le qualifie de platonicien, c’est-à-dire de néo-I )Iatonicien, et il aurait fait pénétrer dans l’Avesta ses théories particulières. Car il ne se serait pas contenté de le recueillir, il l’aurait rédigé pourunebonne partie. Cependant Darmesteter fait une place à part aux Gàthas. Avec tous les éranistes, il juge que ces hymnes, écrites dans un dialecte spécial et dans un rythme mieux marqué, sont les parties les plus anciennes de l’Avesta. Elles ont pu être composées sous Vologèse 1er (50-70). Elles sont postérieures à Philon, auquel elles ont emprunté la théorie des hypostases, mais à coup sûr antérieures au roi indo-scythe Kanishka (i io-130), parce que les noms de ces divinité* o hypostases figurent déjà sur ses monnaies sous leur forme pehlvie, c’est-à-dire sous une forme phonétique dérivée par rapport à la langue de l’Avesta’.

1. C’est par une confusion que cette langue est souvent désignée sous le nom de Zend. Les textes pehlvis (la langue dérivée de l’ancien perse, avec un fort mélange de termes oraméens) désignent sous le nom de Zend le commentaire de l’Avesta en langue pehlvie. La langue aveslique est ti-ês rapprochée de l’ancien perse. Darmesteter la regarde comme étant la langue parlée dans les pays <pii sont devenus lvfghnnistan.

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Plusieurs morceaux en prose ont dû être écrits à la niêiiie époque, et le Vendidad, par exemple, peut 1res bien représenter, pour le fond, un très ancien Avesla, à supposer que les coutumes des l’erses aient été rédigées à une liaute époque’.

II est clair que, dans la théorie de Darmesleter, ce n’est point l’Avesla qui a influencé la Bible ; c’est le Judaïsme, et par l’hilon, qui lui a transmis une de ses idées maîtresses, les abstractions pliilosophiques ou hjpostases qui constituent les Amcslias Spentas. Or il semble que ce terme est trop bas, parce que I’uilo.n lui-même a probablement connu les spéculations des Mages sur ce point. (Avec Bousset, yViV Rcligiun…, p. 455, qui cite Quod oninis pru-Inis liber, éd. M., II, 456 : h Vlifnv.t : fitj ri (xk/wj’J tv.

Ty.i Ôîty.ç àoSTKç’^y.vonioxti Èu.’^K7-7rj te^îpavTiûyrstt t£ k’/.i lïOîiK/roOîtv. — D’après Hésycllius, ipir^l^Sîiy. iùjy.aii.

Cf. sur le sens de '>.p’-zr, pour la manifestation de la puissance divine, Dbissmann, /y ; //e/s(Hi/(eH, p. go ss.)

Kaut-il donc remonter jusqu’au vu’siècle av. J.-C. pour rencontrer les Gàthas qui « constituent justement les documents classiques de la reforme dite zoroastrienne, réforme qui a transformé la religion nationale, le mazdéisme ethnique >< ? (SônnubLOM, La fie future d’après le Mazdéisme, p. 2.) Nous devons dire les raisons qui nous em[>cchcnt dadmellre cette oi)inion qui paraît commune chez les éranisles, du moins hois de France, et puisque les Gàthas sont les documents classiques de la reforme, c’est elles que nous devons surtout considérer, soit sous leur aspect caractéristique de réforme, soit dans leur doctrine Ihéologique.

Les Gàthas sont le manifeste d’une réforme. C’est fort exact. Et nous ne voudrions pas insister moins que Lehmann (/.elirhuch der licligionsj^eschichie, de CuANïEi’iK i)K L.t. Saussayh, 1" éd., iSy^, t. 11, Die l’erser) ou Stave, partisans de leur haute anliipiité, sur leur accent sincère, au preuder élan d’une transformaliou religieuse. Assurément ce n’est point là l<euvre de théoriciens oisifs ou de faussaires par goiit. Ceux qui les ont écrites sont des hommes d’action et ils sont engagés dans la lutte. Leur découragement momentané n’est pas moins expressif que leur espérance, et cette espérance est de travailler à l’avènement du règne de Dieu et d’y prendre part. Cet avènement, ils l’attendent, parce cpi’il se confond pour eux avec l’avcnement d’un i)rince favorable à leurs idées. Leur but est do transformer une cour dont la religion est vague ou tiède en une cour mazdcenne, sectatrice de la vraie religion.

Toute la question est de savoir si cet auteur est bien Zoioaslre, cherchant à convertir le roi Vishtaspa, ou si c’est un anonyme qui a choisi cette situation pour servir d’exemple et pour entraîner les grands par une autorité légendaire. Que l’auteur ait été mêlé au.x événements, qu’d ait eu uu intérêt religieuxprochainàleur solution, cela se rcs|)ireàcliaque ligne ; mais cela exclut-il une liclion littéraire ?

On allègue les Gàthas elles-mêmes. Il semble que l’argument pourrait se formuler ainsi : les auteurs attendent comme prochain le règne de Dieu, coïncidant avec la lin du monde ; ces sortes de choses ne s’écrivent pas lorsque l’espérance a été trompée.

Il est vrai, aussi avons-nous coueédé que les auteurs étaient réellement dans tout le paroxysme de l’espérance. Mais pour que l’argument fût décisif, il

1. Cette opinion de l’illustre sjivant fi-ançais n’est pas toujours exactemenl rapportt^e. On lui fait dire, contre l’ujjinion génêl’ale, quo les G-itha-* ne sont pas la partie la plus ancienne de l’Avesta. Il faut se souvenir qu’un livre, d’une rédaction plu » ancienne, peut contenir des éléiueuts beaucoup plus nouveaux.

faudrait qu’ils eussent prèle celle illusion à Zoroastre lui-même. Il est en elfet de règle de considérer comme certainement anciens ceux des écrits clirétiens qui supposent la [larousie prochaine ; de même on n’aurait pas l’ait dire longtemps après à Zoroastre qu’il comi)lait sur un règne de Dieu imminent. Encore faudrait-il que cet a^ènement coïncidât, dans l’attenle de Zoroastre, avec la fin du monde. Or il nous semble que ce point précis ne résulte pas clairement des textes. Le règne attendu était d’abord le règne d’un prince sympathique, et ce vœu est complètement réalisé par l’adhésion de Vishtaspa : « La sagesse d’une pensée sainte, le roi Vishtaspa l’a réalisée dans une royauté de pureté, par les démarches de Vohu Manô. C’est un souverain sage et bienfaisant : il fera notre bonheur. » (Yasna, LI, iG ; cf. XLIX, 8.) L’espérance du prophète n’a donc pas été frustrée. Quant au règne de Dieu, il serait prudent de ne pas l’interpréter à la façon foudroyante de certaines apocalypses juives, mais comme une fraslioi. ereii, dont les éranistes nous disent que c’est un progrès constant dans le bien. On suppose naturellement que Zoroasti-e a réussi. Les auteurs des Gàthas veulent amener le royaume de Dieu comme au temps |)résumé de Zoroastre ou mieux encore. On a pu, sans incohérence, prêter à Zoroastre le souhait d’y travailler activement, et d’ailleurs il entrevoit aussi l’œuvre de ses disciples et des bons rois de l’avenir.

Il est parfailemenl vrai que Zoroastre n’est entouré d’aucun trait légendaire dans les Gàthas, tandis que la tradition s’est donné ensuite libre carrière. Mais il serait injuste de refuser aux auteurs des Gàthas un sens assez sur de la liction dont nous les supposons responsables pour ne pas la compromettre par des éléments merveilleux, d’autant que la mythologie n’est point du tout leur fait.

Si le témoignage des Gàthas peut être prudemment récusé, a-t-on des attestations historiques ?

On nous dit ([ue le nom de Phraorte, lils de Déjocès’, signilie con/’ciseur, le fidèle, celui qui proclame la foi en Ahuramazda. — Soit, mais la foi en Ahuramazda peut être plus ancienne que Zoroastre.

C’est ce que Windischmann et Lehmann ont nié formellement. Pour eux le nom d’Ahuramazda est un concept théologique tellement déterminé qu’on ne comprend pas plus Ahuramazda sans Zoroastre que le Christ sans le Christianisme. Or Darius, dans sa grande inscription de Béhistoun, peut être lui-même considère comme un confesseur d’Ahuramazda.

Ahuramazda signilie « le Seigneiu’Sage ». Il im-I )orle vraiment très peu que l’on puisse dire séparément Mazda, « Sage >', ou Ahura, « Seigneur », ou Ahuramazda ou Mazdaaliura. Si l’on prend l’expression Ahuramazda comme un terme théologique technique, il faut que celle théologie remonte très haut. Honimel l’appliquerait sans dilliciilté au dieu Lune, et, quoi qu’il en soit de ce point, il est assez certain que ce savant a retrouvé le nom du dieu iranien dans la bibliothèque d’AssourbanipaP. Il y a

1. Hér., I, 102. A supposer que ce Phroorte soit historique. En tout cas le même nom Fravertisb, Frawarti, se trouve dans l’inscription de Béhistoun (col. II, j ! 24) ; Darniesteter l’interprète « noun-icier ».

2. III U. IJ6 Réf., col. iv (la neuii’nie en comptant toutes celles de lu page), 1. 24. La découverte de llommel dans Pi„c. S. n. A. 1899, p. 127 et 137 s. La démonstration est saisissante, car rrt//ur(Mranien é.^^’de rt5n ; a indou. La prononciation rua-us répond au grec ii*^y*<4 à côté de Qp’-^y-y.70y, :. De plus, ce nom divin est en compagnie d’autres noms divins étrangers et chacune de ses parties a sa valeur divine, étant précédée du signe de la divinité. Il est moins certain que le dieu babylonien A-a = Marun ^= Varuna et que Ahui’aniazda soit aussi un dieu Lune. 1109

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plus ; la forme.4s-saia Mu-za-as marque un stage très ancien de la langue. Il est donc assez vraisemblable qu’il faut rcinonler plus liaul ([u’Assourbanipal, et Hommel est du moins dans les probabilités quand il assigne son introduction dans le panlliéon assyrien à la période cassite, entre i^oo et 1200 avant J.-C. Ce serait reculer Zoroastre bien loin I

La tradition de l’Iran n’a pas des prétentions si hautes. Elle place le commencement de lu religion a^a ans ou 300 ans avant Alexandre. Donc Zoroastre aurait vécu de G2Ô à 5/|8 ou de 660 à 583 avant J.-G. (GuLD.MiR, /. laud.). Mais il faut observer que celle tradition est de basse époque. Elle ne paraît i>as antérieure au IX* siècle de notre ère et n’est proliablenienl (pie le résultat de l’assimilation entre Vislitaspa, le disciple couronne de Zoroastre, et Visiilaspa, père de Darius 1". Or cette assimilation est fausse, puisque le père de Darius n’a pas porté la couronne et ipie les deux Visiilaspa n’ont pas les mêmes ancêtres. Il serait bien étrange d’ailleurs, si Zoroastre avait été relativement si moderne, que les Grecs n’en eussent rien su. Tout au contraire, ils lui attribuent la plus liante antiquité : six mille ans avant la inorl de Platon (I’line, //. S., XXX, 1, § 2), cinq mille ans avant la guerre de Troie (Uku-modobe dans Diogkne LxiiuCE, Prooemium, 2), raille ans avant.Mois (I’lixk, //. N.,. c. ; Plut., De h. et Os., ! , ()), sL-c inillc ans avant la campagne de Xerxès (Xamuos du Lydie d’après Diogène Laérce. qui a certainement l’ait une confusion puisque la série des successeurs de Zoroastre est conduite jusipi’à Alexandre F. H. C, I, p. 4^, avec la variante Coo ou lieu île Gooo|). Les cliilfres sont trop variés pour faire allusion à un point lixe, mais tous ces anciens sont d’acconl pour une 1res liaule époque, et il y a tout lieu de croire que cette tradition est empruntée aux anciens Perses euxmcines. Ce Zoroastre qui se perd dans la nuit des temps, le chef et le père des Mages, est le Zoroastre historique 1 Cela ne veut pas dire qu’il ait existé, mais, beaucoup mieux que le philosophe réformateur du vil* siècle, il rentre dans les cadres de l’histoire : c’est le héros légendaire auquel on attribue les révélations divines primitives et la fondation du sacerdoce, dépositaire du culte qu’il a enseigné, le iiendant assez exact de l’Enineduranki babylonien que les rituels publiés par Zimmern nous ont fait reconnaître jiour l’Evedorachos de Bérose (Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques, p. 280) ou encore de l’Hénoch de la légende judaiipie, le révélateur des secrets du ciel. On peut être sûr que celui-là n’a pas écrit les Gàtlias, mais il était destiné à les écrire, c’est-à-dire à les couvrir de son autorité.

Non seulement l’histoire ne connaît pas de Zoroastre, philosophe revêtu du manteau du prophète, elle prouve du moins clairement que s’il a existé avant le règne des Achéménides, il s’était consumé en vains efforts, car, nous le verrons, la religion des Perses était une religion nationale traditionnelle et nullement une réforme philosophico-religieuse, et tel est bien le caractère des Gàlhas, car celle révélation nouvelle suppose un haut <legré d’abstraction.

D’api’ès Geidner, un partisan illustre de l’antiquité des Gâtlias, elles représentent la philosophie du zoroastrisme. Le monde céleste y est beaucoup plus abstrait que dans le reste de l’Avesla. Les divinités naturelles coniinc Mîthra leur sont étrangères. Le culte extérieur et le rituel sont renvoyés à l’arriêreplan. Le Haoïiia, la boisson divine, n’est pas mentionné. .ussi personne n’accuse Darmesteter d’avoir exagéré le eara : lère abstrait et idéal des Gàlhas. Dans A’ohu Manô, « la Konne pensée », il a reconnu ine sorte de Logos, emprunté à PUilon ; Slave objecte seulement qu’il est plus probable que c’est Philon

qui s’est inspiré de Vohu Manô. Je ne vois pas non plus qu’on conteste les traductions du savant français aux passages qui nous montrent en même temps ce Logos enfanté par Mazda : a J’ai reconnu eu loi, tout d’abord, ù Mazda, la matrice de Vohu Mano a (Vasna, XXXl), 8, ou consulté par lui au moment de la création : « En cela tues bien l’Esprit du Bien que pour nous lu as formé la vache riche en dons, et à elle lu as donné la pâture et l’abri d’Armaili, alors, 6 Mazda, que tu t’es consul té avec Vohu Manô. » (Yasna, .XLVII, 3. Généralisé parla tradition tliéologique du commentaire pclih i : « aprèsqu’il eut créé Vahùman, tout ce qu’il lit, il le Ut en se eonsiiltanl avec Vahùman ») La [iremière création aurait été spirituelle, lirobablcnient dans les Gàlhas (Vasna, XXXl, 7 :

« Premier il est venu concevant », entendu par le

commentaire pehlvi de la création spirituelle), sûrement dans un fragment isolé de l’Avesla postérieur (frag. Ve.ndidad U, 2^ : « Combien de temps dura la sainte création spirituelle ? »).

Quand il y aurait doute sur ces points de détail, Slave cl Lehmanii s’extasient, autant que Darmesteter, sur cet admirable idéalisme, sur l’abstraction des idées tliéologiques, sur la puissance créatrice qu’exige une théologie si idéale et si abstraite I

Et pour la reconnaître il sullit en effet d’analyser les noms des Ameshas Spenlas. A côté de Mazda, ajirès lui, mais aussi avec lui, on invoque constamment six personnes, — ce sont déjà des personnes dans les Gàlhas, — dont les noms expriment incontestablement la nature abstraite. C’est avant tous Voliu Manô, la Bonne pensée ; puis Aslui, la Vérité et la Justice, car les deux idées i)araissenl corrélatives dans les Gàtlias ; puis Klishatlira, le Règne, où Darmesleler n’a guère vu ((ue le bon gouvernement, mais qui doit être aussi el peut-être surtout le Uègne deDieu ; Spetila Aiinaiti, la Docilité religieuse ; llauvvatàl, la Santé ; Ameretatàt, l’Iiniuorlalilé.

A côté de ces li [lostases divines, distinctes cependant d’Ormazd, figureiil encore çà et là Sranslia, la Sainte obéissance, el Atur, le Feu, fils d’Ormazd.

En laissant de côté Alar, on voit à quel point une pareille religion ]iorte le sceau d’une conception systématique. Si elle se présentait extérieuremenl comme une conception nouvelle, elle a tenu parole. Nous sommes loin des religions naturelles de l’antiquité. .joulons seulement unirait : si les Gàlhas ne combattenl pas expressément les sacrifices sanglants, du moins ces sacrifices ne rentrent nullement dans leur esprit. Ce point est ouvertement reconnu par les éranistes : « le mazdéisme zoroaslrique a, depuis les Gàlhas, combattu el aboli les sacrifices d’animaux » (SôDEniiLo.M, lue. cit., p. 26O).

Pour admettre que celle réforme religieuse a été conçue avant Cyrus, il faut accepter : preinièrenient, le développement de la philosophie avant les Grecs ; deuxièmement, l’application de la philosophie à la religion ou la théologie abstraite en Perse au vu’siècle av. J.-C. Les spéculations de l’Inde nous mettent en garde contre une fin de non-recevoir trop absolue, mais l’Inde est un monde à part, et on ne doit rien admettre de semblable sans de solides raisons.

Or les faits contredisent celle précocité originale. Ce système religieux ne constitue certainement [las la religion des Perses avant.lexandre. Nous le verrons plus loin, mais dès maintenant nous détachons le témoignage d’HÉnoDOTE pour donner à ce premier point plus de clarté. Le bonhomme a pu se Iroiniier sur des détails. Il serait bien étrange qu’il se fût mépris sur le caractère même de la religion qu’il a décrite telle que le suggérerait la connaissance générale de l’histoire. Ici tout est limpide, tout est conforme aux présomptions, au temps, au milieu.

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Au premier abord on croirait qu’Hérodote attribue aux divinités des Perses un caractère fort spirituel : ils n’ont pas de statues, ni de temples, ni d’autels. Il faut lire jusqu’au bout, et la pensée devient claire : les Perses ne prêtent pas aux dieux une nature semblable à la nôlre, ils ne leur bâtissent donc pas de maisons, ni par suite d’autels permanents. L’antliropomorpliisme, et sa conséquence, l’idolâtrie, sont, dans l’ancien monde, le privilège fâcheux des peuples les plus avancés dans la culture et dans les arts. Le culte des Perses n’en est pas moins rattaclié à la nature. Ils sacrifient sur les sommets les plus élevés, sans doute pour mieux embrasser le ciel, car o ils nomment Zeus, c’est-à-dire le dieu suprême, tout le cercle du ciel. Or ils sacrifient au soleil, à la lune, à la terre, au feu, à l’eau et aux vents » (Hkr., I, 131 :

as/rivr, y.vÀ yv] y.y.i TTjpl /.y.i ûcart z « ( àyéy-îtfff). II n’y a pas lieu de juger les Perses plus sévèrement que les Sémites : nous ne voulons point trop presser les paroles d’Hérodote, et nous admettons volontiers qu’il s’agit du maître du ciel, du génie du soleil, etc., et que l’objet de l’adoration n’était point le corps matériel lui-même. Mais qu’Hérodote ait vu juste, c’est ce que prouve sa réflexion sur le culte de la déesse céleste. Ce culte leur est venu, dit-il, des Assyriens, qui la nomment Mylitta, et des Arabes, qui la nomment Alitta : les Perses la nomment Mitra. Il faut lire Anahita, car Mitra est un dieu masculin, et les éranistes ne peuvent qu’applaudir ; ils sont en effet d’accord pour reconnaître que le culte d’Anahita a été presque complètement assimilé à celui de la déesse sémitique Nana-Iclitar-.^starté, même dans la forme plastique qui lui a été donnée. D’a])rès Lehmann, c’est même une déesse sémitique. Il y aurait lieu cependant d’admettre une divinité des eaux purement iranienne, l’immaculée, transformée par le contact du sémilisme.

Car les Perses ne pouvaient manquer de verser dans l’idolâtrie. Ils ont re])résenté, sur les palais de Persépolis, le dieu suprême comme uu monarque dont le buste humain jaillit du disque ailé. Lehmann croit savoir que ces représentations n’étaient pas orthocfoxes ! Peu à peu on étendit ces représentations aux autres génies. On en reconnaît plusieurs sur les monnaies des rois indo-scythes ; ce sont bien celles des divinités indiquées par Hérodote : Mào, le dieu lune ; Vàto, le dieu vent ; Mithra, le dieu soleil (Maspero, Histoire, III, p. â80 s.).

Ce qui concerne le sacrifice est encore plus caractéristique d’une religion naturelle et peu développée. Les braves Perses d’Hérodote ont à cœur de sacrifier largement : Xerxès immole mille bœuls à.théné Iliade sur les ruines de Troie, et les mages font des liliations aux héros (HÉn., VII, ^3). Ailleurs les mages sacrifient des chevaux blancs (Hnn., VII, 113), et c’est même la coutume des Perses, dans les cas graves, d’ensevelir les gens vivants (Héb., Yl, ii/|).

Les rites du sacriûce sont des plus simples, et rappellent de loin les coutumes sauvages des.rabes de S. Nil. Il n’y avait pas d’autel, et on n’en éprouvait pas le besoin, puisque rien n était offert aux dieux. Le rôle de l’autel proprement dit ne s’impose que lorsqu’on brille une partie de la victime. Les autels signalés à Nakhsh-1-Roustem, la nécropole de Persépolis, et à Meshed-i-Mourgal, sur remplacement de l’ancienne Pasargades (Maspeho, Histoire…, III, p. 5gi s.), sont donc probablement des imitations royales des Grecs ou des Babyloniens. D’abord, on cuisait la viande, mais pour la manger. C’est l’antique immolation du bétail pour banqueter en l’honneur des dieux. En conséquence, celui <pii olTre le sacrilice immole lui-même, mais il prie en même temps pour

tous les Perses ; W. R. Smith aurait pu voir ! à un vestige de l’immolation par clans. Un mage est requis pour chanter une théogonie ou épode, c’est-à-dire non pas les manifestes politico-religieux des Gàthas, mais sans doute une série d’invocations, une litanie, comme on en trouve beaucoup dans l’Avesta. On semble inviter les dieux à prendre leur part, comme à Babylone, et dans ce but la viande est dressée par morceaux sur de la verdure’. On attend un peu : et comme ils ne se présentent pas, on emporte le tout-. Les libations sont exclues avec le reste de cet appareil des Grecs qui avait en partie pour but de justifier l’immolation de la victime, les llùtes, les bandelettes, l’eau versée sur la tête, l’orge qui lui était offerte.

Donc, au temps d’Hérodote, le système religieux de l’Avesta n’avait prévalu, ni à la cour, ni dans le peuple. On est d’ailleurs contraint de renvoyer son éclosion à une époque obscure, sur laquelle les renseignements nous manquent complètement, car il est bien évident que les Grecs n’auraient pas assigné des milliers d’années à Zoroastre si sa réforme avait en lieu pendant qu’ils entretenaient eux-mêmes avec les Perses des rapports fréquents. On peut aiBrmer qu’elle ne leur aurait i>as échappé, et nous en saurions quelque chose. De plus, quelle cause pouvait décider le grand roi à embrasser une religion nouvelle ? N’élait-il pas déjà adorateur de Mazda ? A-t-il suivi un entraînement général demeuré ignoré des Grecs ? Aucun intérêt national ou dynastique n’était en jeu, et d’ordinaire les poxivoirs laissent aux doctrines le temps de faire leurs preuves. Constantin n’a embrassé le christianisme qu’après des persécutions cruelles et on ne place le roi bouddhiste.çoka que cent ans ou plus après la mort du Bouddha. Encore les deux princes ont-ils débuté par des édits de simple tolérance.

Si la réforme n’a pas prévalu sous les Aehéménides, si elle ne paraît nulle part de leur temps, qu’on ait donc le courage de reconnaître ([ue fe livre qui la promulgua n’existait pas. C’est ainsi qu’on raisonne dans tous les cas semblables. Une théologie abstraite sous les Perses avant Cyrus est une invraisemblance historique telle qu’elle ne doit céder qu’à des preuves positives. Ces preuves font absolument défaut.

La réforme, qui n’avait aucune raison d’être sou& les Achéménides. devait entrer plus tard dans le courant normal de l’histoire. Si c’est un truisme de dire qu’elle eut ses causes déterminantes au moment où elle triompha complètement, — à l’avènement des Sassanides, — il faudrait peut-être chercher son point de départ dans des circonstances analogues.

Nous avons dit à quel point la conception des Gàthas est systématique ; c’est une religion que chacun doit embrasser par raison et qui convient à tous Mais c’est en même temps une religion intimement nationale, et qui, de fait, n’a jamais franchi les limites de la race iranienne. Elle a des prétentions à l’universalité, comme le Judaïsme, mais elle est, comme lui, et plus encore, parce que beaucoup

1. Oldknberg, La Religion du Vèda, trad. pur V. Henry, Paris, iy03, p. 26 : « L’eniplaceiiient du sacrifice est orné d’une jonchée ou d’un coussin d’herbes qui est censé le siège de la divinité : en védique, c’est le barltis ; dans r.ve8l<i, le baresman. m

2. Strabon atteste de son côté qu’on ne laissait rien aux dieux, cai- ils ne désiraient que l’âme de la victime ; cependant, d’après quelques-uns, on luettuil sur le feu une petite |)arlie de l’épiploon (Stbabox, XV, ni, Kil. Cet usage était connu de Catulle ; 1 Avesta lui-même a conservé des traces de ces sacrifices sanglants dans cerinines purificutinn

« (D.Mr, :.. ii, p. 2ï’i)et iqiris les funérailles (11, p. 15<i

note :  ; ’. !). 1113

IRAN (RELIGlOxN DE L’)

1114

moins ratiounelle, entravée par sa physionomie nationale. La rél’oinie dite de Zm-oastre a du naître d’une renaissance nationale et la propager.

Les l’erses ont fait preuve d’une remarquable puissame de résistance passive, et l’œuvre d’Alexandre, IhcUcnisation du monde, a rencontré chez tux plus d’obstacles que chez les Egyptiens et même que chez, les Syriens. Ils n’ont pas non plus adopté l’Islam sans lui l’aire subir des uiodilicalions profondes. Aussitôt qu’une partie notable du territoire de l’ancienne Perse se fut détachée du royaume des Séleucidcs, la réaction nationale dut être acconqja :  ; née d’une réaction religieuse. C’est à ce moment, mais non avant, qu’a pu se produire le mouvement d’idées qui aboutit au manifeste des Galbas. U sortit < ; videmiuent de la caste des Mages : il ne nous déplaît pas de mettre à sa tête un grand esprit créateur, mais il a préféré cacher son nom et se couvrir de l’autorité vénérée de Zoroaslre. C’était la coutume du temps, le temps du livre d’IIénoeh et des Sibylles.

Le point de départ précis est impossible à déterminer. U est raisonnable de songer au temiJS de Milliridate le Grand qui, vers 150 avant J.-C, anéantit la puissance grecque dans le territoire persan.

Au premier siècle de notre ère, la réforme ne régnait pas, — l’union du trône et de l’autel ne fut complètement réalisée que sous Ardashir, — mais elle était en voie de succès et probablement depuis longtemps à l’œu^ re. Tandis que le tableau d’Hérodote est pour ainsi dire unilatéral, représentant une religion naturelle, analogue à toutes les autres, dans Strabon la religion de l’Avesta a déjà pris sa physionomie, sans avoir tout à fait triomphé.

Les Mages, en elfet, étaient influents à la cour des Parthes, puisqu’ils y composaient un des deux grands conseils du roi (Strabon, IX, ix, 3 :-h yX-i ^, /-/i.tii/,-i ié soiûv xxi ux/oi-i). Ils sont nommés avec les sages, et ce ne sont plus seulement des jnétres, ils sont les dépositaires d’une doctrine morale, ten<laut à une vie plus parfaite (Strauon, XV, iii, i : Mâyîi tùrst u.k-j ûi/v « ; /viv Ttvo’5 etff( ySt’iu Çï ; /ùjt « (), C’est bien le programme des Gàthas.

Le culte principal est celui du feu, et la description de Strabon pourrait encore s’appliquer trait pour trait auxpyrées modernes, avec la mention du voile placé devant la bouche, et du petit bouquet de tiges, le Oaresiiuui, qui a remplacé la jonchée de verdure. Il est très certain que ce culte du feu est antique, mais n’est-il pas vraisemblable qu’il s’est accentué, comme un usage national, en opposition , Tvec celui des Grecs et des autres Orientaux, étant devenu le culte persan essentiel et caractéristique ?

Toutefois l’idolâtrie demeure liée au culte d’Anaïlis (.

ahita), et à la déesse sont associées deux jiarèdres, Omanos et Anadatos (Strabon, XI, viii, 4’. Jc « t TÔ rf, i’Ays-.tTtc ;  ; xa’t riv TyyC’^iy^otv Qî’7fj Upiv îSp-Jsv^r : / Quvv^v xv.i’Ava^àroy, Wi’.TiA’jiv ÔKt/jtûVwv). La tradition faisait remonter l’institution des Sacées, qu’on y pratiquait, soit à des généraux perses, soit à Cj’rus lui-même. Dans Omanos on a voulu voir Vohu Manô. Les noms sont assez semblables. Mais qui soupçonnerait

« la Bonne pensée » dans ce compagnon de

l’impure déesse ? et d’où vient qu’on le porte en procession ? (Strabo.n, XV, III, 16 :-niinU (les rites mentionnés pour le feu) à’tv Tof : r^ ; ’AvkitiÔo ; a’A-o’j

-îû’Qua-joi T.iifL-nrJs.1.) Il est bien plus simple d’y reconnaître avec Zimmern le dieu élamite Iluman,

Si Anahita a été assimilée à la déesse babylonienne, son parèdre ou ses parédres ne seraient-ils pas celui ou ceux de la déesse syrienne ? Philou de

Byblos connaissait un dieu chasseur, sans doute Adonis, dont le xoanon était très vénéré et <lont l’édiculc était porté par des bœufs (Etudes sur les religiuiis séntititjues, p. 875 s.). Parmi les génies de la Perse où l’on chei-cherait les parédres d’Anahila, Darmesteter cite Milhra,.ipdni nupàl, qui sous le nom de fiùrj est, dans la tradition postérieure, le collaborateur d’.JyJifs » ; - (Anahita), et le Ilum blanc, le Iloni d’immortalité, qui pousse dans les eaux d’Ardvisûr.

Au temps de Strabon, on pratique donc encore la religion ancienne, déjà pénétrée d’un esprit nouveau. Si on sacrilie aux anciens dieux, du moins la part du feu (Strabon, XV, iii, 16 : iTc.j ô’» 5^-io7< û^y, T, f, ’jj- : u T’j-u^i i'>/’yj-y.i) était la première.

Vers la même époque, on fait mention d’écrits sacres attribués à Zoroaslre et régulateurs de la foi. Nicolas de Damas (dans Frag. liist. gJafo., ! II, p. 40y ; cf. Dion CuKYS., H, 60), né environ 64 av. J.-C, nous montre les Perses éprouvant des remords au moment de brûler Crésus, au souvenir des Logia de Zoroaslre. Uicn ne prouve que l’auteur ait puisé à de bonnes sources, pai’exemple à Xanlhos de Lydie, cette histoire (fui paraît légendaire. Mais le terme ai du moins pour le temps. Ces livres élaienl peut-être une partie de l’Avesta (les Gàthas), et au temps de Pausanias ce sont peul-être eux qu’on lisait dans la liturgie (Pals., V, xxvii, 3 : ciïix// ; ii> ô-ou i>, Ocâj

èTîv.Ssi Sy.pCv.çy. kk’i’j-^hv.u.ôi : ^ ti-j’^ZTV. E//, ï ; 7(v, èràost 5a

On ne prèle qu’aux riches. Zoroaslre était le père des Mages, el le terme de Mages, comme celui de Chaldéens, était devenu synonyme de sorcier. On composa sous le nom de Zoroaslre des livres de sorcellerie. Cette pseudoiiymie pouvait se compliquer de confusion quant au nom du Iraducleur, et Pline nous dit gravement : « Ilennippus qui de tota arte ea (jnagia) diligeiitissime scripsit et vicies centiim millia i’crsuuin u Zoruasiie cundita indicibus quoque voluminuin eias posilis explanavit^. »

Un passage sur le culte des serpents, attribué, à tort selon nous (Eludes sur les religions sémitiques, p. 300), à PuiLoN UB Byblos, cite Zoroaslre le mage à côté du non moins fabuleux Taaut, devenu depuis l’Hermès Trismégisle, et du pseudo Ostanès. On lui fait dire des choses complètement étrangères à l’esj )rit de l’Avesta, et en le citant à la lettre : « que le dieu a une lêle d’épervier, qu’il est le premier incorruptible, éternel », etc., et peut-être aussi des choses vraiment zoroastriennes, que le dieu est le Père de la bonne législation (Khsliathra) el de la justice {Asha). Tout cela est tiré d’un ouvrage sur les rites

! perses, et Oslanès en dit autant dans l’Oclalcuque ! 

{Frag. hist. græc., Ill, p. 072 s.)

Plutarque (50-120 après J.-C.) a puisé à de meilleures sources que ces fabricants d’apocryphes, el on peut reconnaître à peu près sous leur vêtement grec

1. Pline, H. A’., XXX, i. lît c’est sur ce texte qu’on s’appuie pour soutenir l’antiquité de Zoroaslre ! Uermippus serait Uciniippus Calliniachius, vers 200 av. J.-l.., disciple de Platon..Mais il est fort cloutciij ; que cet Hermii >pus soit l’auteur des livres Trspt ^a-/wv^ qu’il faut plutôt attribuer à un Herinippus de Bérvle, que Suidas dit avoir été disciiile île Philon de lî^blos. Ces données ?oiït inconciliables, puisque Pline est mort en 79 apr. J.-C, et Philon né, d’ajirès Suidas, en 42 apr. J.-C ; mais tout concorderait si cet Herniîppus avait été le maître de Philon de lîyblos, et c est peut-être son ouvrage qui est cité dans le fragment sur les serpents. D’ailleurs Pline lui-même est sceptique et se demande s’il n’y a pas dcu.x Zoroaslre. Sur cette question, cf. Frag. hist. græc, III. p. ^6 s. et p. â’i. Preller avait déjà reconnu le vrai Hermippus. 1115

IRAN (RELIGIOX DE L’)

1116

les six Ameshas Spentas’, quoique, même cliez l’auteur grec, l’abstraction ne soit pas aussi quintessencice : il s’agit de dieux qui ont créé les objets, tandis qu’ils en portent le nom même dans les Gàllias.

Philox d’Alexandrie ne nous paraît pas s’être inspiré des idées des Mages. Si leurs spéculations, qu’il a connues, ont été un excitant jjour son esprit, il a cru en tout cas devoir suivre sa propre voie. Ses liypostases sont beaucoup moins personnelles et elles ont moins que celles de Zoroastre le caractère moral. Aurait-il eu le sentiment de cette distinction en qualiliant celles des Mages de vertus, àîiry.i, tandis que les siennes sont des puissances, S-^ydy.ni ? Il a procédé par une analyse rationnelle de la nature divine, en tenant compte de son rôle dans l’histoire des Hébreux. La puissance royale se rattache au nom de Seigneur, et n’a rien à voir avec le Règne de Zoroastre, au moins s’il s’agit d’un enq)runt direct. Comment rapprocher des.meshas Spentas la puissance législative et la proliihitive ? Encore voit-on la puissance législative se diviser en deux : celle qui fait du bien aux bons et celle qui punit les méchants {De sacrif. Abel et Cain, % 31).

L’auteur des Gàthas et Philon semblent bien avoir vécu au même temps où tous étaient préoccupés des mêmes problèmes, luais les données premières étaient dilTérentes et chacun y puisait les éléments de ses solutions.

Avec Philon nous sommes revenus à notre point de départ, la question des rapports mutuels du Zoroaslrisme et du Judaïsme. D’ai>rès ce que nous a montré l’histoire, nous devons le poser à peu près dans ces termes : Quelle a pu cire sur le Judaïsme l’inlluence d’une réforme religieuse qui date environ du II » siècle av. J.-C. ?

Mais il est clair que ce n’est qu’une partie de la question générale : quelle a pu être l’inlluence de la religion des Perses sur les Juifs ? Ce qui ne peut être déterminé que lorsqu’on se sera rendu compte des cléments anciens qui ont été seulement vivifiés par le Zoroaslrisme. Quelle était la religion des anciens Perses ? Hérodote nous a prouvé incontestablement que c’était une religion naturelle, mais cela ne sullit pas à en tracer le tableau. Nous devons maintenant recourir à l’Avesta lui-même, au témoignage des Grecs et aux inscriptions des Achéménidcs.

11. L’ancienne religion des Per3es. — Ce n’est point une tache facile que de faire le départ des élé- I ments anciens et des éléments nouveaux dans les i nienilires dispersés du corps des écritures sacrées.

Il y a ce|)endant des points de repère.

Les analogies sont fournies soit par l’Inde, soit par les traits communs aux religions anciennes. Après plusieurs llottements, les spécialistes se sont mis d’accord pour reconnaître, dans l’Inde et dans la Perse, des traces d’un état religieux dans lequel les deux peuples étaient unis. L’hypothèse d’un emprunt | parait exclue, d’autant que chaque religion a suivi ensuite une pente toute dill’érente.

L’accord est attesté aujourd’hui parle traité conclu

1. De Is. et 0)ir., kl : xy.i i uh (Oroinazès) l| 9s5v ; tTrsiyr-Tov i/r/ TzptiTOv CMi-y.z, riv ai Stinspn ijr, 0sixi, riv Si rpir-yj sùv^uiy. : ’xôt’j Sï /ûtTrûv t5v yiv sîït’y ; , tsv Bi Tz’/fi-jrvj^ TÀv Si Tiv <7Il TÂi y.n’/'iX ; r, Sioi-j Sr.u.i-^-jp’/d-j, Les deux derniers correspondent mal. On a, il est vrai, prétendu que Plutnnpie avait emprunté ce renscitrncmenl ù Théopompe, conlempoiain de Philippe et d’Alexandre, et voilà encore un témoignage ïieMli de trois siècles’..Mais Théopompe n’est cité qu’après et pour une modalité particulière. Nous reviendrons sur Théopompe à propos de la résurrection.

entre le roi des Hcthéens et le roi du Mitanni, au quatorzième siècle avant notre ère, découvert à Boghaz-Iveui. Il mentionne avec Mithra, qui est surtout perse, les dieux de l’Inde, Indra, Varuna, les Xàsatya (cf. Duoumb, Conférences de Saint-Etienne, 1910-191 1).

On place donc aux origines indo-iraniennes le culte du feu et du Haoma (pour les Hindous soma), les dieux Mithra et Verethragna (dieu de la victoire), les nombreuses puritications, le nom du prêtre principal, zaola. La balance des bonnes et des mauvaises actions existait dans l’Inde : on y trouve aussi fréquemment la formule : bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions (Geldner, art. Zuroastrianisnt dans Encyclop. hiOL).

Un contraste bizarre, qui n’atteste pas moins une origine commune, c’esl que dans l’Inde les nsuras sont devenus des démons, tandis que les devas demeuraient des dieux. En Perse Ahiu’a est le nom du dieu suprême, et les dc’ievas ne sont « pie de mauvais démons. D’après Geidner (/. /.), au temps do Zoroastre le peuple était partagé entre le culte d’Ahura, favorable à l’agriculture et <pii ménageait les animaux <Iomestiques, spécialement la vache, et ceux ipii sacriliaient les vaches aux dàevas. Comme adhérent d’Ahura, « le Sage », il combat les dàevas, les réduit au rang de puissances ennemies et leur imagine un chef, le mauvais principe.

D’après Lehmann, le feu n’est pas seulement adoré des Iraniens comme feu de sacrifice (.gni des Hindous ) ; ce qu’ils vénèrent c’est l’élément brûlant. Sur les hauts plateaux du nord, patrie présumée de la race, on se défend par le feu contre le froid et les bêtes. Le combat du feu contre le dragon Azhi Dahàkæst le mythe fondamental des Iraniens. Darmestetcr a luèiue avancé que dans l’Avesta le feu et le dragon sont les véritables héros du combat dont Ormazd et Ahriman ne sont que les titulaires. Cela est exagéré de l’Avesta qui met au premier rang la lutte morale, mais ne serait-ce pas le fond de l’ancien thème ?

Un élément plus ancien peut-être, en tout cas plus universellement répandu, de la religion iranienne, c’est l’ensemble des règles de pureté et d’impureté. Affirmer que ces règles elles-mêmes sont empruntées au Judaïsme parce qu’une prescription assez semblable à celles du Lévitique est présentée sous une formule de même frappe révélée : « Ahura dit à Zoroastre », serait se méprendre complètement sur le développement des idées religieuses. C’est dans toutes les religions dites primitives qu’on rencontre l’impureté des cadavres et de la femme dans certaines situations, des hommes en cas de pollution involontaire, et la nécessité de faire disparaître les cheveux et les ongles coupés. Le soin de ne pas souiller les eaux est encore un trait général. La défense d’uriner ou de cracher dans les tleuves, notée par Hérodote (Hi ; h., I, 138), figure dans les mêmes termes dans une antique déprécation babylonienne (Zimmern, lUtiialtafeln etc., p. l ! ^, ligne 69) et pourtant il ne serait pas prudent de conclure à un emprunt de part ou d’autre.

La contagion de l’impureté est aussi une idée très répandue et en somme fondée sur la nature. Les Perses ont eu le sentiment très juste de la portée I)hysique de ces prescriptions religieuses en notant que le sec ne souille pas le sec. L’impureté se communique surtout par l’eau.

Cet axiome universel ne fait qu’accuser davantage le caractère exclusivement religieux et très jiarticulier de leur crainte de souiller le feu. Le feu est le grand purificateur. Il n’en est que plus remarquable de voir les mazdéens trembler qu’un oiseau perché siu' 111- ;

IRAN (RELIGION DE L’)

1118

une branche, qui peuUêtre servira pour le feu, y ^ laisse tomber un lambeau de ebair morte.

Chez tous les peuples, les iJées purement religieuses sont plus anciennes que les réllexions morales. Puisque la reforme zoroaslrienne a pour but la prédominance des idées morales, communique une forte impulsion à la lutte pour le bien, transforme une religion naturelle en religion liistoricpie, ne sera-t-il pas raisonnable de considérer comme plus anciens les éléments naturalistes qui tigurent dans l’Avesta ? Si l’Avesta les a laissés percer dans l’ancienne légende, c’est précisément qu’il avait conscience d’être une réforme. Mahomet et ses premiers disciples aimaient à mettre eu contraste avec l’Islam le temps de l’ignorance ; Zoroastre n’alTecte nulle part une pareille révolution, mais il ne prétend pas non plus transporter dans le passé toutes les idées nouvelles. Le livre des Jubilés entend qu’Abraham ait pratiqué le ]>lus possible la loi de Moïse. L’Avesta ne se scandalise pas que les anciens héros aient offert des sacrifices sanglants. Aussi bien, ces anciens traits sont conservés dans des hymnes mythologiques ! Dans le ianhl à Urvàspa, les ancêtres légendaires offrent cent chevaux, mille bœufs, dix mille moutons. Quant vient le tour de Zarathuslra, il t offrait le Haoma, avec le lait, avec le Baresman (petit faisceau de tiges sacrées), la sagesse de la langue, le texte divin, la parole et les actes, les libations et les Paroles droites " (Vasut, IX, 20). Darmesteler a remarqué finement une autre nuance délicate. Les hommes n’avaient pas besoin de Zoroastre pour sacrifier à Ashi, la Fortune (Dar-MBSTETER, II, p. 501), mais c’est après lui seulement qu’on célèbre Cisti, la bonne religion.

Muni de ces indications générales sur la méthode, nous A oudrions en venir à des points particuliers. Notre but n’est pas d’embrasser tout le champ de la religion ; nous nous restreindrons aux points qui ont été signalés comme offrant une ressemblance avec le Judaïsme ; tout dépend des idées sur la divinité, les esprits célestes et l’eschatologie.

Les Achémènides n’étaient point monothéistes. Darius, il est vrai, ne nomme que Ahuramazda :

«.uramazda est un dieu puissant ; c’est lui qui a

créé cette terre ; lui qui a créé le ciel ; lui qui a créé l’homme, lui (]ui a l’ait Darius roi > ; mais ces attributs ne dépassent pas en somme ceux de Mardouk. On invoque Ahuramazda comme « le plus grand des (lieux 11, mais « avec tous les dieux » (Dahm., III, p. XXV). Artaxerxès Mnéraon invoque nommément Mithra et Anahata. Il est incontestable que les rois perses ne se soucient pas des énuniérations prolixes des monarques assyriens ou babyloniens ; on en conclura seulement qu’ils tiennent à rehausser leur dieu, qui était donc un dieu national. C’est de la même façon que Darius se dit avec insistance « Perse, fils de Perse ». Il va d’ailleurs de soi que Ahuramazda, dieu suprême, était un dieu bon.

Existait-il dès cette époque, en face de lui, un dieu mauvais ? Darmesleter le concède, et cela semble résulter des témoignages d’Aristote (dans Dioc. Labrt., prooemium, 8 : Apnr-.Tiir : S’h rsvToj T.ipi pt/575 ; (y.4 y.vÀ T. piT’^-jz ip^yj^ âtvat (les Mages) T^v At""/vTrr(’wv x%ï oiio zar* avrov ; uvxi àpyv.z^ ir/’yh’z-j ôat’uîva >ra( y.vy.b-j oxifiow y.yÀ 7’Z fiky cvsua etvat ZrJ ; xy.t "ûcsuajô » ;  ; , r^i oi’.Sr, f xr.i’ApicuKvcî ;), et de Tliéopompe (dans Plut.. De h. et Os., 47 ; nous reviendrons sur ce texte) qui ont connu le nom d’Ahriman. ou Hadès, dérivé d’.rigra Mainyu, l’esprit destructeur ou le dieu mauvais. Pour Geidner et Lehmann, c’en est assez pour prouver l’antériorité de l’Avesta, de la réforme mazdéenne et de cet homme de génie que fut Zoroastre. Oui, s’il s’agissait de deux principes, car l’idée

devient philosophique ; mais si c’est le ternie d’Aristote, un philosophe, ce n’est pointcelui deThéopompe, qui parle de deux dieux. Encore à supposer que Diogène Lacrce ait exactement reproduit les termes, et on sait s’il est suspect ! Il me paraît inqjossible de concilier son texte avec le texte authentique d’Aristote où il range les Mages parmi ceux qui admettent un premier principe bon génér.iteur : ri /i^^c^yv T.pilz-.j Ki.TT » T.Siaî. (Melaph., Xlll, iv, ! , , éd. Uidot).

Oui, peut-être, si le nom d’Ahriman était déjà connu, car son prototype Aâgra Mainyu signifie le mauvais esprit, idée zoroastrienne ; mais se liera-t-on au seul témoignage deDiogène Lacrce. et le mauvais esprit doit-il s’entendre nécessairement dans le sens pui-ement spirituel ? Les sauvages admettent les esprits et même le grand esprit. D’autre part, nous voyons surgir dans l’Inde une figure qui n’appartient pas au Véda, c est le tentateur Màra, le Satan bouddhique. Si son identité avec le Mairya de l’Avesta, épithète d’Ahriman tentant Zoroastre, a été prudemment écartée par Darmesteter, Sénart et Oldenberg, il est dillicile de ne pas reconnaître aux deux personnages des traits communs. Ahriman, comme Màra, peut être étranger au vieux fond naturaliste, sans être pour cela zoroaslrien.

Oui, surtout si l’opposition entre les deux êtres est une lutte morale, la lutte du bien contre le mal, mais c’est ce qu’on ne nous dit pas.

Oui, certainement, « si le triomphe final du bon esjtrit est un postulat moral de la conscience religieuse », car on verra là avec Geidner « la quintessence de la révélation de Zoroastre ».

Mais l’opposition d’Ormazd et d’Ahriman ne saurait-elle être conçue autrement ? Tiamat est l’ennemie de Mardouk à l’origine du monde, et on ne prétendra pas sans doute que ce thème si commun ne puisse se rencontrer sans une conception morale du monde. En fait, le plus ancien renseignement que nous ayons sur cette lutte nous montre les Mages s’acharnant à tuer « les fourmis, les serpents et les autres reptiles et volatiles u (Hï : n., 1, i^o). Nous concédons volontiers qu’ils s’en font un devoir de conscience zKi (>711jvtTu « T^vTi yi/y -’.tvjvry.i, mais autre chose est d’introduire le ressort moral dans une action religieuse, autre chose est de prendre pour point de départ l’idée morale elle-même. Le Mage fait son devoir en exterminant des créatures qu’il juge ahrimaniennes à cause de leur nuisance physique ou de leur laideur ou pour un motif superstitieux quelconque. Il contribue physiquement au triomphe de son dieu et cela est une bonne action. Le disciple de Zoroastre fait triompher Ormazd par de bonnes pensées, de bonnes paroles, de bonnes actions et. conformément à la tradition, une de ces bonnes actions est de tuer les petites bètes. L’Avesta porte encore des traces de la conception ancienne. Un des plus grands héros de la lumière, c’est Sirius ; mais il est vaincu honteusement tant qu’on ne lui a pas offert le sacrifice qu’il demande. Les hommes ont le pouvoir d’assurer la victoire des dieux bons par le sacrifice. Or cette idée est en elle-même purement religieuse. Il semble donc bien que l’opposition entre Ormazd et Ahriman ait été d’abord une opposition religieuse entre deux dieux, et rien n’empêche de constater son existence dans une religion naturiste ; elle est devenue ensuite une opposition morale entre deux principes, et c’est le résultat de la réforme zoroastrienne. Xous avons d’ailleurs une preuve positive qu’au temps des Perses l’esprit du mal était simplement un dieu. Plutarque {De siiperxlitione, 13) nous apprend qu’Amestris, femme de Xerxès, ensevelit vivant douze hommes en l’honneur d’Adès. C’est ce qu’un mazdéen eût eu horreur de faire envers Ahriman.

Toute la vie des Babyloniens était une lutte contre les esprits mauvais et leur prière un recours aux dieux, bons pour écarter les démons. Mais ils n’avaient pas donné à ce monde du mal un chef incontesté. Zimmern a pensé que Nergal, roi des enfers, avait pu influencer le type d’Aliriman (Die Keilinscliviften und das A. T., 3e éd., p. 464, note i). Les Grecs aussi, faute de mieux, ont assimilé Ahriman à Hadès ; c’était leur dieu le plus sombre.

Ahriman, en effet, est le dieu des ténèbres et le chef du monde infernal, et, de même que Nergal n’est devenu roi des enfers que par son mariage avec leur reine, dans les Gàthas l’enfer est le monde de la Druj, démon nettement féminin. Toutefois les spéculations de l’Avesta sur l’enfer sont toujours mêlées aux idées de la réforme d’après laquelle le mort est jugé selon sa propre religion. Il serait injuste de méconnaître une certaine originalité à la religion des Mages. Ahriman n’est pas un dieu spécialisé comme Nergal, quoique un fragment de l’Avesta nomme l’enfer le var ou l’enceinte d’Añgra Mainyu (Darm., III, p. 157) ; il est l’ennemi et installe ses propres créations dans le domaine d’Ormazd. Même sous ces traits il ne nous paraît pas incompatible avec une religion naturiste. Il est le ténébreux, parce qu’Ahura est le brillant. Et si on a réussi à déterminer d’assez près les traits d’Ahura Mazda comme dieu de la nature1, il est aisé d’admettre qu’il fut son contraste naturel avant d’être son ennemi dans le bien2.

Nous avons déjà parlé des Ameshas Spentas, les Immortels bienfaisants. Comme personnalités morales,

« c’est un produit authentique de la conception

de Zoroastre » (Grldner, art. Zoroastrianism dans Encyclopædia bibl.), c’est-à-dire de la réforme. Ce sont déjà des personnes, mais non point précisément les grands archanges que l’on imagine ; ce sont plutôt les conditions et les avantages du règne d’Ormazd, devenus en quelque sorte ses agents. On peut cependant se demander si l’idée morale ne s’est pas greffée sur des créations naturistes, en d’autres termes si les Ameshas Spentas ne sont pas d’anciens génies. Cela est certain pour Spenta-Armaiti, qui représente la terre dans son union avec Ormazd, le ciel. Cela est tout à fait probable aussi pour les autres, car chacun d’eux a dans la nature une attribution particulière. Vohu Manô, le principal, est le génie des troupeaux, et à ce titre il devait être déjà au premier rang dans la vénération d’un peuple nomade. Asha est en relation avec le feu, Khshathra

1. « C’est comme ancien dieu du ciel qu’il a pour corps et lieu la Lumière infinie, ce que les anciens Perses exprimaient en appelant Zeus, c’est-à-dire Auramazda, la voûte entière du ciel ; qu’il a pour fils Atar, le Feu ; qu’il fait couple avec la lumière solaire, Mithra ; qu’il a pour œil le Soleil ; pour épouses les Eaux et aussi Spenta-Armaiti, la Terre, en souvenir du vieil hymen cosmogonique de la Terre et du Ciel. » (Darm., I, p. 22 s., où se trouvent les références.)

2. Yasna, XLV, 2, Gátha ushtavaiti, 3. On peut même vraisemblablement faire remonter le type d’Ahriman à la période indo-éranienne. Chez les Hindous, Rudra n’est pas non plus sans analogies avec Nergal, l’époux de la reine des enfers. Il est très curieux que sa femme Rudrâni ait beaucoup plus d’importance que les autres déesses. Sa demeure est au nord dans la montagne, tandis que les autres dieux habitent à l’Orient. « Son escorte habituelle, ce sont ses bandes, qui se ruent sur les hommes et les bestiaux, semant sur son ordre la maladie et la mort… par lui, le monde des puissances cruelles, confiné d’ordinaire dans la sphère des démons inférieurs, s’élève jusqu’à celle des grandes divinités. Par les précautions que les sacrifiants se voient obligés de prendre contre les atteintes du dieu redoutable, le culte de Rudra ressemble tout à fait à celui des esprits malins et à celui des morts. » (Oldenberg, La religion du Véda, p. 181 ss., 184, 240.)

avec les métaux, Haurvatât avec les eaux, Ameratât avec les plantes. Dans plusieurs cas l’appropriation est assez frappante. On a vu chez plusieurs peuples anciens une relation entre la santé et les eaux, l’immortalité et les plantes, d’où les eaux et l’arbre de vie. Les métaux, par les armes, donnent l’empire. Il se pourrait à la rigueur que l’on eût distribué artificiellement les différents règnes entre les Ameshas Spentas. Mais l’ensemble des analogies conduirait plutôt à l’hypothèse contraire d’un rôle nouveau attribué à d’anciens génies. Au surplus, il importe peu à notre point de vue particulier. Encore moins que les Ameshas Spentas, ces génies primitifs n’ont chance de ressembler aux chefs de la milice céleste, , tels que les Juifs les ont connus.

Le point capital est l’eschatologie (La vie future d’après le Mazdéisme, par Nathan Söderblom). Nous n’attachons que peu d’importance aux descriptions du paradis et de l’enfer, telles qu’elles se trouvent dans des ouvrages de basse époque, comme l’Artà Viràf. Nous n’insistons pas non plus sur le poétique tableau de l’âme mise en présence d’une jeune fille d’une admirable beauté ou d’une laideur repoussante, qui n’est autre que sa propre conscience ou sa religion. Il s’agit ici des idées maîtresses.

La théologie des Perses du ixe siècle croit à la subsistance des âmes. Après leur mort, elles sont jugées au pont Cinvàt. Les unes vont jouir de la félicité, les autres tombent en enfer ; d’autres sont reléguées dans un état intermédiaire, Hameslakân. A la fin du monde, tous ressuscitent et subissent l’épreuve du métal fondu. Pour les justes, c’est du lait ; pour les pécheurs, c’est une dernière torture, mais qui les purifie. A la fin, tous sont sauvés, si on ne tient pas compte d’exceptions insignifiantes, comme Ahriman lui-même qui serait seulement réduit à l’impuissance. Mais ce pardon universel ne figure pas dans les Gàthas et paraît tout à fait contraire à leur esprit de sévère justice. Nous aurons même à nous demander si elles connaissaient la résurrection ; L’état intermédiaire est ignoré même de l’Avesta postérieur.

Ainsi, jugement particulier, jugement général, paradis, enfer et purgatoire, résurrection des corps, toute cette eschatologie est assez semblable à celle du Christianisme, hormis le pardon de tous, qui n’était pas étranger à la théologie d’Origène. Avec le temps on a décrit plus au long le bonheur du ciel et les tortures de l’enfer, on a introduit en même temps des tempéraments et des facilités pour la pénitence. Ces points ne nous intéressent pas ici, il nous serait plutôt utile de savoir quelle était dans ses grands traits l’eschatologie ancienne des Perses.

Il faut se contenter d’indications plus ou moins vagues.

Söderblom
a relevé les traces d’une conception antérieure

à la doctrine de la rétribution (Loc. laud., p. 91). L’âme séparée du corps avait besoin d’être secourue, et le pont Cinvàt semble avoir d’abord opéré par lui-même automatiquement, laissant passer les uns et rejetant les autres, avant de devenir simplement le théâtre d’un jugement particulier. On pensait donc que toutes les âmes, sans distinction, étaient exposées après la mort à des dangers surnaturels, et qu’il dépendait des vivants de leur assurer aide et protection par des sacrifices aux dieux protecteurs des pauvres morts.

Dans quelle mesure ces notions marquent-elles un stage d’où l’idée de rétribution est absolument absente ? il est difficile de le dire ; les deux systèmes peuvent (coexister pendant un temps considérable, comme le prouve l’exemple de l’Egypte, où la meilleure sauvegarde de l’âme était dans l’affirmation 1121

IRAN (RELIGION DE L’j

1122

qu’elle n’avait pas pécbé. Un trait marque à quel point le caraclèi-e national s’adirmait dans les idées sur les lins dernières. L’idée de la rélril)Ulioii chez les Parsis a ceci de particulier que toutes les bonnes actions sont pesées contre toutes les mauvaises. Ou ne s’arrête donc pas au dernier état dans lequel se trouve le pécheur. Or, c’est précisément la méthode des anciens Perses, d’après Hérodote ; quand il s’agit de châtier un serviteur, on ne le punit pas pour un seul crime, on tient conq)le de toute sa vie (Hiiu., I, là"} ;

Leur sentiment très vit" de la justice a-t-il conduit lis Perses de 1res bonne heure à la doctrine de larétril )Vilion ? En l’ait, les renseignements nous l’ont défaut. It serait très osé de soutenir que cette idée naît plus lacilemcnt dans le dualisme, car le monothéisme est incontestablement plus favorable à l’idée d’une strie te justice exercée par le maître de toutes les créatures. Le dualisme suggérerait plutôt l’idée d’une lutte qui aboutirait à l’élimination des mauvais, de telle sorte (pie le lrionq)he des bous n’aurait lieu qu’au moment (lu triom|ihe du Bien. El en elïcl toutes les idées de la rétribution des justes, dans l’Avcsta et dans les Gàthas spécialement, sont étroitement liées à de grandes vues mondiales. Sur ce point encore, où sont les concepts primitifs ?

Nous répondrions volontiers : dans le mythe de Yima. Le Zoroaslrisme a distingué très nettement comme deux stages de la vérité religieuse. Zoroastre représente la révélation complète, Yima la vie piofane antérieure, et, parce que toute vérité religieuse, étant absolue, remonteen principe à l’origine des choses, l’Avesla imagina que si Yima n’avait pas [iromulgué la i-évélation, c’est qu’il n’avait [las voulu. K Alors Ahura Mazda répondit : ’Yima, le beau, ’( le bon berger, ô saint Zaralhustra, a été le pre(( mier des hommes par qui, moi,.hura Mazda, je

« me suis fait interroger, en dehors de loi, Zaralhus-Ira, 

et pour lui j’ai proclamé la religion du Sein gneur et de Zarathustra. Moi, Aliura Mazda, je lui (( ai dit, ô Zarathustra : « Beau Yima, lils de

« Vivanhal, accepte de moi d’étudier cl de porter la

(I religion. » Alors, ô Zarathustra, le beau Yima me

« répondit : " Je ne suis pas créé, ni ne suis instruit

<( f)Our étudier et porter la religion. » Alors, Zarathu. -, tra, jeluidis, moi, Ahura Mazda : « Si toi, Yima, n lu n’acceptes pas de moi d’étudier et de porter la religion, alors fais prospérer mes êtres, fais progresser mes êtres, accepte de moi d’entretenir, de

« i>roléger et de gouverner mes êtres. » CVendiuad, 

II, 2-4, traduction SoDKRBLOM.) Yima accepte, et sous sa direction l’humanité immortelle se multiplie tellement que, par trois fois, Yima est obligé d’agrandir la terre d’un tiers.

Tout à coup la scène change, et nous nous trouvons en présence d’un second chant de Yima où Zoroaslre ne figure plus et qui n’en a que plus de chances d’être mieux conservé dans sa forme primitive : « Le roi Yima lit une assemblée des hommes les meilleurs, là, dans le pays de la bonne Dàitya, le fameux Airyana-’Vaêjah (le lieu d’origine des Iraniens, d’ai)rès la légende) A l’assemblée alla le créateur, Ahura Mazda, avec les dieux spirituels, dans le pays de la bonne Dàitya, le fameux Airyana-Vaèjah….Mors parla Ahura Mazda à Yima ; Alors

Tomj II,

Yima lit comme Ahura Mazda le lui ordonnait. Il foula la terre avec ses pieds et la pétrit avec ses mains, comme les hommes à présent rendent la terre humide… Tous les quarante ans naissent pour cha(ue couple humain deux êtres humains par couple, femme et houmie, de même pour les espèces d’animaux. Ces hommes vivent de la vie la plus belle dans les "Varas que Y’ima a faits. » (^eni>., II, yv. 20I’, 22’,

21 », 25", 32, 4l. Trad. SÔDERBLOM.)

Depuis Er. Lenormant, nous sommes accoutumés à voir comparer les hivers de Mahrkusa au déluge, et le’Vara de Yima à l’arche de Noé. Les rapports sont plus apparents que réels, car le déluge appartient au passé, les hivers à l’avenir. Darmesloter, il est vrai, a pensé que le rédacteur du Vendidad avait transporté le mythe diluvien dans l’eschalologie zoroaslrienne. Cela est d’autant moins probable que le mythe estmoins à sa place dans ce système avec lequel il cadre mal. Aussi croyons-nous avec MM. Uscner, Lehmann et Suderbloni (/. /., 1>. 180), que le Vara de Yima est censé exister : il est caché sous terre, alin qu’on ne se donne pas la peine de le chercher, et l’humanité qu’il renferme est destinée à repeupler le monde après le grand cataclysme du froid. Le froid est la grande terreur des Iraniens. L’Airyana-Vaèjah, leur berceau, est un pays idéal, mais les hivers sont durs (Vendidad, I, 4). Le froid est la création et la demeure du mauvais esprit.

>fous touchons ici à une concei)lion vraiment iranienne, populaire, savoureuse, dont la haute antiquité n’est pas contestée. L’histoire du monde est charpentée simplement : le bonheur de la lin correspondra à celui du commencement. Mais nous avons déjà fait remarquer que cette eschatologie cadre mal avec celle de Zoroaslre, et nous sommes un peu surpris qu’on ne mette pas davantage en relief ces divergences. Dans cette vue primitive, le monde des vivants périra par le froid ; aussi n’est-il [las question d’un incendie du monde ni de l’épreuve du métal brûlant. Le monde sera repeujdé par la mystérieuse réserve du Vara ; il n’est donc aucunement besoin de la résurrection. L’humanité future n’est pas l’asserabléedes justes gloriliés avec Mazda ; elle esl cependant digne des idées élevées qui hantent toutes les eschatologies, parce que c’est l’humanité immortelle des premiers temps. Il était assez facile à la théologie du ix’siècle de considérer le Vara de Yima comme un épisode qui ne faisait pas ombrage à la doctrine de la consommation zoroaslrienne (/^i « ^ « r/."II, i) ; mais celle interprétation n’esl-elle pas contraire à son sens primitif ?

Le mythe de Yima se passe de la résurrection. Quand donc cette idée s’est-elle acclimatée chez les Perses ? Darmesteter lui-même croit la constater déjà au temps des Achéménides. C’est aussi l’opinion commune, et cependant elle nous semble reposer uniquement sur deux fondements très précaires.

Le texte d’Hérodote (Hiin., III, 62), du moins, devrait disparaître de cette controverse. Cambyse apprend que son frère Smerdis, dont il a ordonné la mort, a été proclamé roi.’Prexaspe déiilare à Cambyse qu’il a enseveli Smerdis de sa juoprc main :

« Si donc les morts ressuscitent, attends-loi aussi à

voir reparaître Astyage le Mède » (E(, (/. ; v vj » ol isSvswtî ; i’vy.TTïy.Tt, Tzp’iç^zy.so r-ji /y.t’A ?Tjc<-/£a TÔy M<cey è ; T « vKCTTï ; « 76^(). jj (sans accent, même dans Darmesteter) ne signilje pas « maintenant » ; c’est l’enclitique Jonc :

« mais s’il en est comme jusqu’à maintenant, il ne

surviendra de sa part aucun inconvénient n. Manifestement Prexaspe envisage la possibilité d’un mort qui revient, vraiment ressuscité. Nous savons aujourd’hui que cette idée était courante en Babylonie. Pour le Perse, elle esl plutôt chimérique : on ne

Ô6

table pas sur de pareilles possibilités. Quant à la résurrection générale à la fin des temps, — et c’est, dit-on, la doctrine spéciale des Perses, — il n’y fait aucune allusion, pour cette bonne raison que la résurrection générale n’avait rien à faire avec le cours normal de l’iiistoire.

Le texte de Théopompe est plus formel. Mais comment n’a-t-on pas pris garde qu’il se présente sous trois formes différentes, ce qui veut dire que ses termes ne nous sont point connus ? On dirait même qu’il devient plus clair avec le temps, ce qui serait un indice qu’il a été interprété selon la marche des idées.

Dans Énée de Gaza (ve siècle) nous avons le terme technique de la résurrection de tous les morts, et attribué à Zoroastrel (Fragm. Iiist. græc, I, p. 289 :

D’après Diogènb Laishce (m’siècle) ce sont les Mages qui sont cités par ïhéopompe dans la huitième des Philippiques, et il dit seulement que les hommes revivront et seront immortels (Ed. Didot, Prooeiniuni, Q ; ’O Lv.l « >xCiî07£TÔai x « rà tîÎ/^ Môys-j ; fr^’^'t zgjç, àvffoWTT&u ; zat éVîj^ai àBv.jdxojt LyÀ TV. ovzy. r « ù KÙrûiv è : Tti</v, 7£7(

« i « , u£ « iv). D’après nos idées, l’immortalité est plutôt

la condition de la résurrection : ne serait-ce pas qu’il s’agit ici d’une nouvelle race ? Mais admettons que pour Diogène Laërce les hommes revivent pour ne plus mourir.

Plutarque donne au texte de Théopompe une physionomie sensiblement différente : Théopompe dit que, selon les mages, l’un des dieux tour à tour domine et l’autre est vaincu pendant trois mille ans ; pendant trois autres mille ans on lutte et on se fait la guerre, l’un des deux défaisant ce que fait l’autre ; à la fin Hadès serait vaincu et les hommes seraient heureux, n’ayant pas besoin de nourriture et ne faisant pas d’ombre, et que le dieu qui a combiné cela se reposait et se tenait tranquille pendant un temps qui n’est d’ailleurs pas très considérable pour un dieu : ce qui serait pour un homme un temps raisonnable de sommeil. » (De Is. et Os., 4^, éd. Bernardakis (Teub/ier) : Q^dr^fuTTr^i Si yr, 71 xxtx toù ; Mayou ; « v «  uépoi ronr ; /i>.ta èrv] ziv uh y.paT£tv riv ok /oKTïtj^Kt twv (îfitfiv, 7j.Àa Si zpi.’7-/^i’/x’j, ii.v, ’/j.i^v.i x « ( To’/£[j.ù-j y.’/'t àyyj.ùziv rà toû st£p ^-j rov erepov t£/3 ; S’ùtzcLsitî^tO’xi tsv "Aa-/iVj > : « ( ro’ji pikv cuôpt^Tloii^ sùSv.t’iJiOvKi iVîî^ai, u.r, r£ rpzy/iz ôsouEvyji pr.TZ îxtàv ~515Ûyr « 5* TÔv Si TKùra fvrix’xyc’jv.u.cjov 6sov Ip-p^Zv zat Kjv.7T « ye7Ô « ï -/pd-JO-j, « /y.W5 y£v cù 7TSLjv ûj ; ^£^, ^zTlsp S’caBp(*iT.<ji

Il est vrairueut étonnant qu’on n’ait pas reconnu Yima dans le dieu chargé de préparer l’avenir. On trouve étrange le passé employé par l’auteur grec, et on propose de le remplacer par le futur QA-/-/a."f ! iu. in)/ au lieu de u>î ;  ; « v)î72u£v5v). D’après Sôderblom, c’est obscur. Il lit / « /fl^ au lieu de « y^w ; et au lieu de v ; voudrait lire oiv, ce qui est pour moi inintelligible. On veut couiprendre la dernière phrase du repos du Seigneur après la fraskart. C’est attribuer aux Perses les spéculations théologiques des Parsis. En somme le texte est excellent. La machine de Yima est déjà toute prèle ; il attend le temps marqué. Le Yima des Védas est le roi des morts ; en faisant de Yima le roi d’un peuple souterrain de vivants destinés à repeupler le monde, les Perses n’ont-ils pas plutôt atténué l’idée de la résurrection ? Aussi n’est-il pas question de résurrection.

On a pris l’habitude de bloquer la recension de Diogène Lacrce avec celle de Plutarque pour en faire un tout. Cela est assurément contraire aux règles de la critique. Les hellénistes font très peu de cas du jugement de l’historien des philosophes. Il a pu confondre, comme cela lui arrive souvent, et sa confu sion s’expliquerait aisément s’il avait traduit « tts/ecnii^v.i. Tov "AJy ; / B l’enfer sera vidé ». La même idée est d’ailleurs venue à Boklen (Die VerwaiidisLliiift…, p. 103), mais elle nous semble exclue par le début de l’incise tê/s ; Si qui marque la tin de la lutte. Il serait étrange que Hadès fût pris ici dans un sens différent de celui du chapitre précédent dans Plutarque. Quant à Enée de Gaza, il tablait probablement sur Diogène.

On voit sur quelles bases fragiles on s’appuie quand on décrète, d’après Théopompe, que les Perses admettaient la résurrection générale au n-° siècle avant J.-C. ; — sans parler de la possibilité d’un racontar des Mages à l’historien grec.

Si la résurrection avait été admise par tous sous les.chéménides, les Gàthas devraient en parler clairement. Darincsleter l’y a vue assez souvent, mais à travers le commentaire pehivi. L’insistance de la théologie jjostérieure prouve à quel point elle eût été en situation, si elle avait été soupçonnée. C’est donc une échappatoire insuffisante que de dire avec Sôderblom (I. L, p. 2^2) : « La résurrection peut très bien avoir fait partie de la théologie des prêtres des Gàthas, quoique, dans les fragments ( !) de la littérature gàthique qui nous sont parvenus, ils n’aient pas eu l’occasion d’en parler. »

En réalité ce n’est que r.vesta postérieur qui en est arrivé à la doctrine de la résurrection.

Le texte de Théopompe que nous venons de citer met l’avenir heureux des hommes en rapport avec la lutte des dieux. C’est un point particulier de la religion des Perses, et nous ne songeons pas à en nier l’authenticité, car il découle assez naturellement du dualisme. Mais il n’est pas nécessaire pour cela que le dualisme ait pris son caractère complèlement moral. Il ne l’avait certainement pas au temps de Théopurape, puisque le dieu mauvais dominait l’autre pendant trois mille ans’. Cela était si peu dans l’esprit de l’Avesta que, tout eu conservant les périodes, on les interpréta différemment. D’après le Bundahish, Ahurmazd crée le monde d’iuie façon spirituelle, pendant trois mille ans, et à la suite d’une simple tentative d’Ahriman d’y faire irruption, il crée le monde matériel. Darmesteter III, p. li s.) montre que cette théorie remonte, selon toute apparence, à l’.4.vesta, et les Gàthas se garderaient bien de mettre Ahriman au-dessus d’Orraazd pendant une époque quelconque. Le dualisme est perpétuel : « Et les deux Esprits se rencontrèrent sur le premier créé des êtres, [apportant] la vie et la mort ; et ainsi en sera-t-il jusqu’à la fin du monde… » (Yasna, XXX, 4.)

Ormazd, devenu le dieu bon et le principe même du bien, ne pouvait être vaincu dans le passé ; c’était aussi une raison pour qu’il fût plus complètement

1. Sôderblom (p. 244) a fait un véritable contresens en négligeant cette période contenue dans les mots àvà y-ip’^ ;. .le suis obligé de le nuiintenir malgré les explications fournies dans Encyclopædia of Ucligion and Ethica, 1, 1 : ’*S ; xpv.Tzîv et y-pv-TsTcOvA indiquent ëviderauient que chacun des dieux est vainqueur ù son tour. L’objection de M. Sôderblom. que cela est en contradiction avec le mazdéisme récent, me touche torl peu. Notons encui-e, pour en huir avec Thcoponipe. qu’il ne compte que trois périodes dans l’histoire du monde : deux périodea où règne chacun des dieui, et une période de lutte. Ce qui suit est la consommation de » choses, la fin. Si donc le Bunduhish a ajouté une période de trois raille ; ins, c’est que lu consommation a été prise ptiur l’ère messianique de la prédication fie Zol-oastre, ci, commi ; la fin ne venait pas. on a ajouté trois mille ans en imaginant la théorie des trois sauveurs, fils de Zoroastre. Cela soil dit d’avance pour exclure le rapprochement entre les quatre périodes des Perses et les (luatt-e empires de Daniel (Stave, L’.. p. ISl s.).

1125

IRAN (RELIGION DE L’)

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vainqueur dans l’avenir. Abrinian, l’auteur de la niorl, étant vaincu, les boranies vivaient dans le bonheur et immortels. Cette idée suffisait avant la réforme et se développait dans le mythe de Yima. Mais les justes qui avaient combattu pour le bien étaient-ils donc délinitivement vaincus par la mort et Orraazd avec eux ? La réstirrection couronnait son triomphe, et, si elle n’était pas exigée par le dualisme, elle cadrait du moins parfaitement avec un dualisme moral.

Ce caractère moral de la résurrection cliez les Perses est contesté par plusieurs savants. Sôdkrblom pense que lu résurrection est pour eux un simple élément constitutif de leur croj’ance naturiste au renouvellement du monde. D’après cette base, il montre que la résurrection chez les Juifs a une origine toute ditférente, le pur sentiment religieux. Nous ne pouvons admettre ce point de vue, d’ailleurs sympathique. La résurrection est mentionnée dans l’Avesla, mais toujours sous son aspect moral. Tous les textes cités par Soderblom ont ce caractère (Friiiituent ll’estergaard, IV, 3 ; Yasiit, XIII, 129 ; XIX, II. 22, 89, g4 s.). Ce qui est plus net encore, c’est que le ressusciteur, Astvat-ereta (littéralement le redresseur des corps), est le Sauveur de l’avenir : i( parce qu’il veut rendre indestructibles les êtres corporels, corps et âme ; afin de repousser la Druj (démon femelle), l’engeance bipède » (Yasht, Xlll, 129). Ce sauveur est incontestablement zoroastrien.

Il est vrai que la résurrection des Perses est toujours une résurrection générale. Mais ce n’est pas une raison pour que le dogme n’ait pas eu son origine dans une foi morale. Il se peut seulement que l’ancienne idée de la pureté absolue de la terre ait joué ici un certain rôle. Elle ne pouvait être complètement renouvelée et purifiée que si elle devenait non puante par la disparition des cadavres (Yasut, XIX, II). Pourtant une pareille idée poursuivie en rigueur eût conduit à la résurrection des animaux.

Ce qui paraît découler plus directement de l’ancien dualisme, c’est que tous les hommes ressuscites sont finalement heureux. Dans le monothéisme, une créature qui est punie parce qu’elle a péché, manifeste la justice de Dieu. Même en péchant elle n’a pas changé de nature. Dans le dualisme, le pécheur est un èlre Alirimanien. Il n’y a plus de place ])0ur lui dans un monde où toutes les œuvres d’Ahriman sont détruites. Il sera donc ressuscité comme les bons et partagera leur sort, sauf la redoutai)le crise du métal fondu. Si le crime est irrémissible, le dualisme, parfaitement conséquent, transforme le pécheur en démon ou en serpent, c’est-à-dire qu’il lui donne en partage la nature d’Ahriman. Uaprès Sôdkrblom (/. /., p. 261), ces pécheurs sont anéantis. Mais nous touchons ici à la théologie du ix<^ siècle.

Nous avons déjà dit que les Gàthas ne parlent pas de la résurrection. Elle apparaît ensuite, sans tàlonnements, comme une doctrine toute faite, issue, non point de l’ancienne religion naturiste, mais desidées de la réforme : il faudra tenir compte de ces points dans une comparaison avec la résurrection des Juifs.

On peut encore se demander si la croyance à la résurrection est en harmonie avec la célèbre coutume des Parsis, qui exposent les morts aux oiseaux de proie pour ne pas souiller la terre par l’inhumation d’un cadavre. Les religions qui enseignent la résurrection l’admettent même pour les cas où le cadavre a été pour ainsi dire anéanti, les cendres jetées au vent, etc. ; mais, d’une façon normale, elles ont le |ilus grand respect pour le corps des morts.

OrUérodoterapporledéjà qu’on n’ensevelissait pas le cadaTre d’un Perse avant de l’avoir laissé déchirer

par les oiseaux et les chiens (HÉn., I, 140). La chose lui paraît tellement énorme qu’il n’ose l’afhrmer expressément, comme une coutume avérée, que desMag « s. D’autres inhument lecadavre après l’avoir enduit de cire. Cette précaution a pour but évidemment de prévenir le contact avec la terre. On comprend ainsi comment Cj’rus et Darius ont pu se faire construire ou creuser des tombeaux. Ces tombeaux n’excluent pas l’existence des coutumes constatées par l’Avesta et que nous n’avons aucune répugnance à croire primitives. L’exposition des cadavres était connue dans llnde aux temps védiques (Oldenberg, La religion du Véda, p. 487). Plus tard la coutume des tours de silence a établi pour tous les mazdéens le même mode de sépulture : il était assez coûteux d’enduire les corps de cire. La tradition ancienne aurait ainsi prévalu, malgré son antinomie partielle avec la doctrine de la résurrection.

Si l’ancienne religion des Perses était une religion comme une autre, son sacerdoce rentre sans difficulté dans le cadre de l’ancienne histoire. Nulle part il ne paraît animé de l’esprit des propliètes, et on ne voit pas non plus qu’il ait conservé l’empreinte d’un grand prophète. Nous avons déjà vu les Mages employés aux sacrifices sanglants pour leur donner un caractère rituel, et au culte du feu. Les Perses étant menacés par la tempête, les Mages font des exorcismes auvent. Dans la même circonstance, leur mazdéisme est si peu intransigeant qu’ils font des sacrifices à Tliétis et aux Néréides, et de préférence à Tliétis parce que les Ioniens les renseignent sur la légende locale (Hér., VU, 191). Naturellement aussi ils expliquent les présages, et nous apprenons même à ce sujet qu’ils tiraient leurs présages de la lune et les Grecs du soleil ; c’était du moins leur opinion (HÉR., VII, 37). Ils savaient, comme de juste, interpréter les songes (Hér., VII, 19). Ils devinaient l’avenir au moyen de bâtons, spécialement de bâtons demj’rte ; on les comparait en cela irrévérencieusement aux Scythes (F. H. G., Il, p. gi ; Schol. Nicandr. Ther. Gl3 : yiyyjt Sk y-y.i S/j6n Mvct/tV’ji ^.ayrîûîv-rai ^-J/w y.y.’i yàû iv TTîyyjt^ tc’tt^i^ pv.’Zô^t^ tjry : ^vJovTv.i* Aff’vwv oè Iv tû Tr/5(ÛTW T^ç TCt’Tïï ; TUVTa^Sûj ; if.vt TTJç y « vT£15 yr, rt Mï ; ’30u ; Ô5tC55t5

/ » a » T ?Jsî9 « c). Pour tout dire, c’est d’eux qu’est venu le nom de magie…, et ce mot était déjà synonyme de sorcellerie au iv’et peut-être au v" siècle av. J.-C. D’après Diogène Laërce, Dinon et Aristote auraient protesté (Prooeni. ^ 8 : Tr.v ôi /ovjtcx/.v //a-/£* « v o’jS’eyvwTy.v, cï7T(y’AptTTCrg’// ;  ; Iv rrZ MayiJîôï xv.i îrj<j]v èv rf, Téy-Tzrrj tûv

eivv.f fr, ^t ôï roOzo /.v.i’Ec^uçôwcsç), et sans doute avec raison, mais l’appréciation des Grecs, si elle était exagérée, ne montret-elle pas du moins que les Mages avaient tous les autres caractères des sacerdoces orientaux ?

Dinon et Hermodore ajoutaient que le nom même de Zoroastre signifiait « sacrificateur aux astres », réhabilitation qui n’est guère dans le sens du Mazdéisme pur.

Notons cependant — et cela est conforme au mouvement vers la culture philosophique que devait amener le contact des Grecs et que nous reconnaissons volontiers — qu’Aristote (.lfe/ « /5/ !., Xlll, iv, 4, éd. Didot) les nomme après les poètes demi-mythiques, demi-raisonnanls, comme Phérécyde, et avant les grands philosophes, comme.-Vnaxagore.

Ed. Mever nous offre de trancher facilement, et d’après des sources certainement authentiques, la question delà religion des anciens Perses : n Chaque mot des inscriptions de Darius nous montre en lui un zoroastrien. n (Geschichte desvlterthums, Z’vol., 1901.) L’auteur rétracte donc énergiquement ce qu’il avait avancé sous l’influence de Darmesteter, et opine 1127

IRAN (RELIGION DE L’)

1128

maintenant que Zoroaslre, le grand propliète, est bien antérieur à Cyriis. Xous ne craignons pas de répondre : Pas un mot des inscriptions des Acbéménides ne sort du cadre des religions naturalistes de l’anti.iiiité et ne révèle un zoroaslrien.

Artaxerxès II n’est déjà plus le type voulu, puisqu’il invoque Mithra et Anahita.

Le zoroastrien modèle, c’est sans doute Darius (Wrissbach et Banq, Die ultpersischen Keilinschiiften, Leipzig, 1898). Or nous avons déjà noté que s’il proclame Aliuramazda le ])lus grand des dieux, il en admet d’autres, et des dieux de clan (o/ ;. /., p. 35, ^ 3, de l’inscription a de I’aqcIi-i-Iioiisteiii). Il a prié AUuramazda, celui-ci est venu à son secours et lui a donné la royauté. Tous ces traits se retrouvent dans les inscriptions babyloniennes. Le messianisme au sens très large, qui fait de Darius un roi providentiel dans une époque troublée (op. /.,

p. S>, S ! 4.

même inscription), est beaucoup plus déve loppé par exemple chez Assourbanipal (Keilinschr. /tihl iolli., Il, ib-j). Il esUrèi édifiant d’entendre Darius attribuer la faveur du dieu à ses qualités morales : .< Aliuramazda m’a secouru, et les autres dieux qu’il y a, parce que je n’étais point mal intentionné, je n’étais pas menteur, je n’étais pas violent, ni moi. ni ma race. J’ai gouverné selon la loi… i>

Mais il ne faut pas oublier que Mardouk en ût autant pour Cyrus : « Mardouk… fut pris de compassion. Il a jeté les regards sur tous les pays ensemble, les a passés en revue et a cherché un prince juste selon son cœur, pour le prendre par la main. » (Keilinschr. Biblioth., 111, 2, p. 122.) Pour le fond, cette idée remonte du moins à Hammourabi : « Les grands dieux m’ont élu moi-même, pasteur sauveur dont le sceptre est droit. » (Ed. Scheil, p. 118.) Les Phéniciens ne comprenaient pas la chose autrement : Il Que la dame de Byblos bénisse Iakhoumélek, roi de Byblos, et qu’elle le fasse vivre et qu’elle prolonge ses jours et ses années sur Byblos, parce que c’est un roi juste, t (C/S., I.) — Sennachérib fut aussi un roi gardant le droit, aimant la justice, et Xabuchodonosor aussi, etc.

Ce qui est spéciliquement perse, c’est l’horreur du mensonge. Darius est profondément froissé que les neuf usurpateurs qu’il a vaincus aient menti en disant : « Je suis roi. » Il demande à Ahuramazda de protéger le pays contre la troupe mauvaise, sans doute l’armée des démons, contre la stérilité et le mensonge (0/).’., p. 35, 5 3). Il ne dit pas si cette armée avait un chef. M. Louis H. Gray (art. Achæmenians dans Encyclopædiu of religion and elhics, t. III, 1908, p. 69 ss.) a prétendu que le mensonge lui-même (diniiga) identifié avec la dnij de l’Avesla était une véritable personne et que ce nom pourrait être « un terme euphémique pour désigner un chef des démons, ce qui expliquerait l’omission de toute mention d’Angra-MaitiYU dans les anciennes inscriptions perses ». Mais le P. Dhorme (f.a religion des Acliéménides, dans la / ?e> »e biblique, ig13, p. 15 ss.) a bien montré le caractère sophistique de cette échappatoire. Darius condamne le mensonge parce qu’il était odieux aux Perses et surtout parce qu’il avait été l’arme des neuf rois usurpateurs soulevés contre lui.

Il est encore un point que nous recommandons à l’impartialitéde lacritique. Lorsque les inscriptionsbabyloniennes ou phéniciennes bénissent ou maudissent les générations à venir selon qu’elles respectent ou détruisent les inscriptions, tombeaux, etc., elles ne fiml jamais allusion, depuis Hammourabi jusqu’à Tabnit ou Echmounazar, qu’à des récompenses ou à des châtiments dans ce monde. On en conclut que ces écrivains lapidaires n’admettaient pas les rétributions futures.

L’argument est sans doute trop absolu, mais enfin notre Zoroastrien prétendu ne lient pasun autre langage :

« Si tu vois cette inscription ou ces images

etj que tu ne les détruises pas, [mais] que tu me les conserves aussi longtemps que dure [ta] race, que Ahuramazda soit ton ami, et que ta race soit nombreuse, et ta vie longue, et que Ahuramazda fasse prospérer ce que tu fais ! >> Le contraire naturellement dans l’hypothèse opposée ; quand.Miuramazda a fait mourir le coupable, il n’est jilus question d’un autre châtiment.. un passage seulement on croirait sentir passer le souille desGàthas : « O homme ! que les commandements d’Ahuramazda ne te paraissent pas néfastes ! N’abandonne pas la voie droite ! ne sois pas injuste ! » (Op. /., p. 3 ; , 5 6.) N’est-ce pas du prosélytisme, presque une prédication ? En réalité, le roi prêche pour lui-même. Les lois d’Ahuramazda sont la décision suprême du dieu qui lui a confié l’empire. Le roi invite ses peuples à ne plus se révolter vainement contre la volonté divine qu’il représente :

« Tout ce qui a été fait, je l’ai fait d’après la

volonté d’.huramazda. » (, 0p. /., p. S"), ^ 5.)

Les Gàthas souhaitent un roi qui fasse régner .huramazda. Darius constate que.huramazda lui a donné le règne ; c’est toute la différence des points de vue ; elle sullit à distinguer l’esprit des anciennes religions de celui delà religion nouvelle.

Darius se vante d’avoir rétabli les temples détruits parleMage Gaumata (op. t., p. 15, 5 i^). La solution la plus simple est de songer aux temples des nations soumises que le Mage a pu détruire par fanatisme national et que Darius relevait par esprit politique Inspiré de la tradition de Cyrus. Ce n’est pas d’un zoroastrien bien fervent.

Enfin on a remarqué depuis longtemps que les quelques noms de mois qui figurent dans l’inscription de Béhistoun supposent une tout autre nomenclature que celle de l’.^vesta.

On doit donc considérer la question de la religion des.chéménides comme tranchée dans le sens opposé à Ed. Meyer. Le P. DH0RME, le dernier qui l’ait reprise (Ret ne biblique, l. t.), ne voit dans les inscriptions aucune trace de la doctrine de Zoroastre. L’opposition est même si radicale, d’après ce critique, que le Zoroastrisnie n’aurait pu découler de la religion des Perses proprement dits. Il faudrait plutôt le regarder comme un développement et une réforme de la religion des Mèdes, représentée par les Mages. Mais il nous paraît prématuré de faire le départ entre ce qui appartenait aux Mèdes et aux Perses dans la religion de l’Iran.

III. Les influences réciproques. — Cette comparaison, rapide et fort incomplète, des idées de la réforme avec les croyances traditionnelles des Perses accuse encore mieux ce que nous avions d’abord indiqué du caractère réfiéchi, presque philosophique, du système des Gàthas.

On peut maintenant se faire une opinion sur la façon dont se pose le problème des infiuences réciproques. S’il s’agissait d’une influence de peuple à peuple, de religion nationale à religion nationale, il serait interdit d’avance de supposer que les Juifs ont eu assez d’ascendant sur les Perses pour changer quelque chose au train religieu.x du grand roi et de son peuple.

.u contraire, les Juifs étant sous la domination lies Perses, ils ont pu faire à leur égard le raisonnement qui avait entraîné leurs ancêtres à sacrifier aux dieux de Damas et de Ninive. On ne voit pas cependant qu’ils en aient même été tentés. Leurs convictions étaient alors trop fortes, et, quoi qu’il en soit de cas exceptionnels qui échappent à l’histoire, 1129

IRAN (RELIGION DE 1/

113J

les maîtres religieux d’Israël ii’oiil pas hésite à considérerCyrus comme un simpleinstiumeiit de lahvo ; c’était l’enseigneiuentdc la seconde partie d’isaie (/>., XLiv, -28). (Ju’on ait été reconnaissant aux Perses de leur tolérance, qu’on ait estimé leurs <)ualités naturelles, qu’on ait apprécié cliez eux un penchant bien moindre à l’idolâtrie et des idées plus relevées sur la divinité, tout cela ne créait aucune raison pour échanger lahvé, le créateur du ciel et de la terre, contre Alnira Mazda, qui avait aussi créé le ciel cl la terre. Tout au plus, si les Perses aimaient le vocable tic i( Uieu du ciel », était-ce un encouragement à le joindre au nom de lahvé. En pareil cas, il est diflicile de faire la part de la protestation ou de la conciliation.

Il est donc très assuré que les directeurs spirituels des Juifs n’ont pas dû être iniluencés beaucoup par la croyance nationale des Perses. Si l’ancienne relijfion s’était plutôt épurée au contact immédiat de la grande Babylone, dont la séduction était traditionnelle et pénétrait par toutes les habitudes de l’esprit, par toutes les allinités du tempérament, elle n’a pas dii reilouter beaucoup la séduction d’une religion de Barbares. Nous parlons ici de la religion d’isi’aél, telle ([u’elle a prévalu grâce à ses chefs spirituels ; il est certain par ailleurs que cette victoire n’a pas empêclié mainte revanche des superstitions babyloniennes p.irmi le peuple sur des points particuliers.

En fait, presque tous les points où l’on croit voir des rapports étroits, même la résurrection, appartiennent selon nous à la réforme persane.

Que si l’on compare le Judaïsme à la réforme elle-même, l’inlluence des Perses ne saurait être antérieure aux environs de l’an 150av. J.-C. Or il est constant <iu"à cette époque le Judaïsme était déjà dans une fcrnienlalion extraordinaire et en possession de toutes les idées qu’on dit empruntées au mazdéisme. Que l’on compare d’ailleurs la réforme de Zoroaslre au doul)le phénomène de l’évolution religieuse d’Israël et de l’évolution philosophique des Grecs ! Xi la Judée ni la Grèce n’ont été fermées aux iniluencés étrangères, mais enfin on peut suivre en Judée et en Grèce le dévelopi)emenl autonome du principe religieux et du principe rationnel, on peut en faire l’histoire.

L<’Zoroastrisine au contraire a toutes les apparences d’un système artificiel, formé d’éléments disparates, et qui n’a pas eu la force de s’assimiler la religion ancienne en la pénétrant profondément de ses principes.

LesGàthas send)lent bien un vigoureux effort pour faire de la lutte pour le bien le grand ressort de la vie religieuse. Il n’y est question ni des dieux delà nature, ni des âmes des morts, ni des sacrilices sanglants, ni de celui du Haoma. Et tout cela fait corps dans le reste de rvesta avec une vieille religion naturiste : on y voit Ahurii Mazda, auquel Ahriman, par un coup de mauvais œil, a envoyé 99.91)9 maladies, obligé de recourir à la parole divine pour se guérir ; les dieux privés de sacrilices sont sans force, et A luira Mazda lui-même en offre à d’autres divinités. Parmi les crimes les plus sévèrement punis, des vétilles côtoient des fautes fort graves. Le pouvoir mystique du chien l’enqiorte sur celui des bonnes pensées, des bonnes paroles et des bonnes actions, et il en coûte plus de donner de mauvaise nourriture à un chien de berger que de tuer im homme. Nous n’insistons pas sur ce côté grotesque, il y aurait trop à dire ! On pourra voir le résumé de la législation et des pénalités dans l’Introduction de Darmesleter au VENDlnAO II, X ss.).

Ce quc l’histoire conclut du mélangeoù coexistent une si haute tentative, en grande partie avortée, et

la survivance d’une religion naturiste, malgré un programme éminemment moral, c’est qu’à un certain moment un souille puissant a traversé la religion de l’Iran. Le Zoroastrisme n’est certainement jias plus sorti de l’ancien Iran que le Mahométisme de l’ancienne Arabie. On se plail à parler d’un génie créateur. L’histoire n’en connaît point de cette force. Il faut, pour qu’une pareille réforme réussisse, que le terrain soit i)réparé par l’éclosion d’idées nouvelles.

Darmesteter a pu se tromper sur le nom de Phi-Ion, il a du moins vu juste en reconnaissant l’inlluence de la philosophie grecque dans l’Avesta. La Grèce a-t-elle fourni aussi le ressort moral ? On peut en douter ! El, quoiqu’il soit plus facile de se représenter un isolé conduit par une grande idée morale, qu’un génie arrivant d’un bond aux abstractions de la pensée grecque, n’est-il pas beaucoup plus vraisemblable de supposer ici l’inlluence de celle de toutes les religions anciennes qui avait le plus mis en relief l’unité de Dieu et son caractère de Juge des actions morales ?

L’hypothèse contraire va manifestement à rebours de toute l’évolution historique. Veut-on que les Hébreux n’aient été en contact qu’avec les idées relevées de la réforme ? Parle-t-on de l’action littéraire des seules Gàthas ? Ou bien ont-ils connu vaguement l’ensemble représenté aujourd’hui par l’Avesta ? Dans les deiix cas il leur était facile de constater combien leur système religieux était plus cohérent et plus ferme.

Les Juifs ne pouvaient pas agir comme nation sur les Perses, mais ils ont dii chercher à atteindre leurs sages. Pourquoi n’auraienl-ils pas adopté la même attitude envers les Perses qu’envers les Grecs ? Sans rien céder de leur dogme fonilamental, ils se sont eft’orcés de donner satisfaction à la réflexion philosophique. Il serait étrange qu’ils n’eussent rien essayé de semblable auprès des rois parlhes. Les colons ou les négociants de leur nation ne manquaient pas en Hyrcanie. De leur côté, les Mages ne restaient pas inactifs. Tout l’Orient a dû prendre position vis-à-vis de l’hellénisme.

En Syrie et en Egypte on a procédé par syncrétisme, et, sans le secours divin, le Judaïsme eût été emporté dans le mouvement général. Il s’est repris, non sans recevoir une allure déterminée de ce contact. Ne [)eul-on pas regarder le Zoroastrisme comme une tentative semblable ? Zoroastre n’a pas subi l’influence de Pliilon, soit ! Il a été le Philon de la Perse, un Philon déguisé. Pour fermer à la religion des Grecs l’accès de l’Iran o>i pour l’en chasser, il a entrepris de restaurer et de vivifier la religion et les mœurs nationales. HlinoDOTE I, 135), allirme que les Perses avaient emprunté aux Grecs leur vice favori. Or, l’Avesta punit la sodomie avec la dernière rigueur. Les coupables peuvent être tués par le premier venu et le crime ne peut être pardonné, ni dans ce monde, ni dans l’autre. N’est-ce pas par réaction ? Une autre manière de réagir consiste à s’assimiler les meilleures parties du système adverse ; ne voulant pas aller jusqu’au syncrétisme religieux, qui est une défaite déguisée, on devait s’arrêter aux idées philosophiques.

Ces présomptions générales ne dispensent pas d’un examen plusdélaillé. On sait qu’il y a deux écoles opposées. Commençons par ceux qui veulent que les idées des Perses aient été modifiées par le Judaïsme. Darmesleter a indiqué plusieurs points, non sans exagérer les rapprochements.

On assigne d’abord la création. L’ordre définitif dans la théologie parsie est : le ciel, les eaux, la terre, les plantes, les animaux et les hommes. Donc six actes, comme dans la Genèse, et le même ordre. 1131

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Les six jours de la Genèse sont le type Je la semaine, les six actes des Persans ont lieu durant un an et sont le type des six fêtes de l’année. Il est d’abord tout à fait certain que ces six fêtes ne sont pas, à l’origine, des fêtes conimémoratives de la création., mais des fêtes des saisons'. On leur a donné arliliciellement ce caractère comméinoratif. Tout cela n’indique-t-il pas l’imitation de la Genèse ? Xous le croyons en effet, à cause de l’ensemble des faits rapprochés et surtout du nombre six. Car en soi l’ordre persan est assez naturel, moins compliqué que celui de la Genèse, et que des fêtes agricoles se transforment en fêtes conimémoratives, cela n’est pas sans exemple et peut se produire sans une imitation étrangère : par exemple la fête delà Penlecùte, qui dans l’A. T. n'étjiit pas encore rattachée au souvenir du Sinai. D’ailleurs l’Avesla ne connaît encore que le caractère agricole ou de saison des fêtes et l’ordre des actes créateurs n’y était pas absolument lixé. L’influence de la Bible, si elle a existé, ne se reneon.trerait donc qu'à une basse époque.

L’origine de l’homme chez les Perses se rattache à la coutume du Kàti’it : -das, l’inceste, glorifié par la religion ancienne, malgré les dénégations des Parsis modernes, qui ne seraient pas fâchés d’effacer cette institution de leurs annales. Ahura Mazda s’unit à la terre sa ûlle et engendre Gayomart. La semence de ce premier homme tombe après sa mort dans la terre sa mère, d’où le couple Alashya et Mashyàna, qui donnent naissance au genre humain. Le péché commence avec ce premier couple : ce dernier point suggère une imitation de Bible. Or, d’après Darmesteter, ce renseignement du Bundahish XV, 6 s.) remonte bien à l'.-Vvesta (Darm., IU, p. Lvn s.).

On a comparé le déluge avec l’arche de Xoé aux hivers que Yima prévient en construisant son vara. L’analogie est trop superficieUe et le thème de la destruction trop général pour qu’on puisse conclure.

Le partage de la terre entre trois personnes est plus caractéristique, d’autant que l’Avesta connaît cinq grandes races humaines : Airya. Sairima, Tura, Sàini et Dàhi (Yast, XIU, liS s.). Ce partage en trois serait avestique d’après Darmesteter III, Sgg, note 8).

Le même savant constate que seule la Perse possède comme la Bible une liste chronologique de ses souverains légendaires ; il faut reconnaître toutefois que le fond des légendes est parfaitement iranien.

>'ous ne comprenons pas comment l’illustre maître a pu citer aussi Abraham. Isaac et Jacob comme les prototypes des trois précurseurs de Zoroaslre dans le culte : Vivanhào. Ath-wya, Thrita, puisque, d’après lui. on retrouve ces mêmes noms dans l’Inde (Darm., U. p. 80).

Enlin nous ne voudrions pas conclure que l’idée même de la Révélation et des instructions données par Ahuramazda à Zoroastre soit une imitation du Penlateuque, malgré l’accord sur « la montagne des entretiens sacrés < (aussi : « la forêt des entretiens sacrés », bxdidad, XXII, 19). Tons les anciens législateurs étaient censés tnoir reçu leurs lois par

1. La mi-printemps a qui donnele lait » (Dabm., I, 4 ! 14) ; la mi-élé qui est la saison où se fait la feuaison ; la tête o qui donne le blé » I, p. 445) ; le 16 oct., la fête où la chnlear descend, « où son lâchés les m&les » : la fêle du mi-hiver, a où règne le froid » ; enfin. In fête des dix derniers jours de 1 année, en l’honneur des fravashis des ancêtres. Darmesteter a tort de nommer iiivthologique la conception rationnelle plus récente ; d’ailleurs tout le monde conclura avec lui ; « Il est naturel de penser que celle conception mythologique et cosmogoniqoe des fêtes annuelles est d’ordre secondaire : et en effet, leurs noms, leurs dates et leurs épithètes prouvent que ce sont avant tout des fêtes agricoles » (i, p. 38).

une révélation divine. Dans l’Avesta, Zoroastre questionne toujours ; ce qui ressemble plus aux oracles des Grecs qu'à la manière souveraine du Pentateuque.

Tout cela est assez peu signilicatif. Mais n’a-t-on pas exagéré encore plus en sens contraire ?

Je ne veux point poser la grave question de savoir si le chien de Tobie aurait eu l’honneur de figurer dans la Bible sans la vénération des Perses pour les chiens, ni si leur goût pour le cheval monté, non attelé, n’aurait pas influé sur les images dans Zacharie (cf. Stavb, /. L. p. lagss.). Tout est possible, et il importe assez peu.

Après ce que nous avons dit de la composition de l’Avesta, il est superflu de se demander si le canon juif est une imitation du canon persan ; le contraire parait trop assuré. On a supposé que l’usage de lire l’Ecriture dans les sj-nagogues venait des Perses : c’est tine conjecture en l’air, puisque rien ne -ient même suggérer que cet usage existât en Perse avant de se former en Judée.

On ne peut pas insister beaucoup non plus sur les hypostases. A supposer que la personnification des attributs divins, surtout la Sagesse, ne soit pas expliquée suffisamment par le simple développement de la doctrine révélée sans l’influence ou sans l’excitation due à une pensée étrangère, il serait plus naturel de recourir à la Grèce, comme à une source commune.

Aussi les critiqpies ont-ils concentré toute leur attention sur les anges et les démons et sur les lins dernières.

On insinue surtout que les Hébreux ont emprunté aux Perses, plus ou moins complètement, plus ou moins directement, la hiérarchie des esprits célestes et en particulier les anges gardiens des peuples.

D’après le livre de Tobie (Tobie, xii, 13. Sur les variations du texte, cf. Hackspii, l, L’Angélologie juwe à l'époque néo-testamentaire, RB., 190a, p. 534) il y a sept anges qui se tiennent en présence de Dieu. Stave les reconnaît déjà dans « les sept yeux sur la pierre * de Zacharie (ni, 9). Ne sont-ce pas les sept Ameshas Spentas ?

A cela il faut répondre une fois pour toutes que les.meshas Spentas sont constamment six et non sept. On rencontre, il est vrai, ce nombre de sept, mais dans un texte qui porte la trace d’un effort pour y atteindre ; car il ne peut être réalisé qu’en comptant parmi eux Ahura Mazda dont il est dit en même temps qu’il est leur père ("ïasht, Xlll, 83 ; répété Yasht, XIX, 16). La même allure embarrassée se retrouve dans la rédaction du Bundahish : « Et à la création, quand.hurmazd créa les sept Ainshaspands. étantlui-même le septième de ces excellents… » (Darm., II, p. 311.) Elt des Sémites avaient-ils besoin qu’on leur enseignât à se servir du nombre sept ? Aussi Béer a-t-il évolué et cherché le rapprochement précisément dans le fait que la tradition hébraïque, comme celle des Perses, oscillait entre le nombre sept et le nombre six ! Mais le nombre six chez les Juifs n’est attesté expressément nulle part '. Il est vrai que la tradition hébraïque a connu des noms propres d’anges plus nombreux que sept, mais

1. BeïB. Bas Buck Hfnoch dans Die Apocryphen de Kaulzsch, sur Hén., xx, 1-7. note dd. Les deux textes allégués pour le nombre six sont le texte éthiopien qui a laissé toaiher le nom du septième ange que nous avons maintenaat dans le grec, elle Targ. du Pseudo-Jonathan sur Dl., xxxiv, 6. Dans ce dernier passage on cite à ctMé de.Michel et de Gabriel quatre anges maîtres de sagesse comme ayant coopéré à l’enlerienient de Moïse. Parmi ces quatre est le métatron ! C’est donc une vue particulière ; il ne s’agit pas de six anges principaux. 1133

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les chilTres sont quatre ou sept, et au surplus, elle attache peu d’importance au nombre.

Et en flcliors tlu nombre, il n’y a aucune relation prochaine. Les anjjes des Hébreux sont de grandes individualités qui ont des missions spéciales ; les Ameshas Spenlas sont des abstractions qui deviennent des agents : la bonne pensée, la docilité, l’immortalitc. On n’a même pas essaye de rapprocher les missions des anges dos abstractions persanes ni des attributions naturelles que les Ameshas Spenlas possédaient probablement auparavant.

S’il fallait absolument tenir compte du nombre sept, ne devrait-on pas plutôt comparer les sept anges aux sept dieux de Babylone ? Le même livre de Tobie a-t-il emprunté aux Perses les sept époux de Sara ? ( Tohie, vii, 1 1.)

La première fois que les anges paraissent avec des noms, dans Daniel, ce sont avant tout des princes qui représentent les intérêts d’un peuple : Michel ou l’ange d’Israël, le prince des Perses, le prince des Grecs ; Gabriel ou l’ange révélateur. Laissant de côté les Ameshas Spentas, Stave veut assigner un autre rapprochement — qui détruirait le premier — avec les Fravashis qui seraient aussi les anges gardiens des peuples. Cela ne se lit malheureusement pas dans les textes, et Stave a raisonné sur une conjecture, devenue dans sa pensée une certitude. Voici ce paralogisme. A la p. 210, Stave admet que du texte cité (Yasth, XIH, 67 ss.), on peut seulement conclure à l’existence d’anges gardiens des peuples ; à la p. 224, c’est acquis pui’ement et simplement. Or, si le texte parle des Fravashis qui ont combattu « chacune sur son lieu et sa terre… chacune pour les siens, pour son bourg, pour son district, pour son pays », les Fravashis sont si bien ici les âmes des morts, qu’on ajoute : « dans le lieu et la demeure qu’elle habitait jadis ». Cette sorte de sophisme se retrouve aux pp. 153 et igS : on fait dire à Darmesteler que l’Hamestâqan ou purgatoire des âmes existe au temps des Gàthas, alors que le savant français dit simplement que les Gàthas, en parlant de gens ni bons ni mauvais, contiennent en germe l’Hamestâqan (Darm., I, p. 244, note 5).

Ici encore, si les Juifs avaient été réduits à un emprunt, ils rencontraient partout l’idée desBaals, des dieux considérés comme les princes des peuples. Mais tout indique une pensée originale, caractérisée par le mot sar, désignant peut-être la suprême dignité de ces êtres d’après l’usage babylonien du mot.

Franchement, pour nous servir de la formule de Stave (p. 21 4), est-il vrai que les Juifs sont arrivés à la même hiérarchie et au même système que les Perses ?

L’inlluence n’aurait-elle pas été plus grande dans le monde du mal, qui caractérise si nettement, non seulement le Zoroaslrisme, mais peut-être aussi l’ancienne religion des Perses ?

Nous sommes tout disposé à concéder que le nom du démon Asmodée (Tohie, iii, 8) ressemble assez à celui de.rteslima qui était un dàe^’a, ce qui a pu aboutir à la forme Aeshma-dàeva, qui d’ailleurs ne se trouve pas dans les textes. Par ailleurs le démon persan est un démon de la colère, un batailleur ; Asmodée est plutôt le démon de la luxure. La ressemblance ne va pas loin.

Satan est trop fortement entré dans l’A. T., il est trop facile de suivre le développement des idées à son sujet pour qu’on le suppose emprunté. C’est ce que concède Cheyne lui-même (art. Zoroastrianism dans Elle. bibl.). Il est d’autre part certain que son rôle grandit, jusqu’à régir un ^é^itablc royaume opposé à celui de Dieu, et on ne peut se dissimuler que sur ce point les analogies sont frappantes.

Tandis que l’A. T. hébreu contient à peine quelques allusions obscures aux démons, les ouvrages composés sous les Macchabées s’en préoccupent beaucoup. Il est clair que la pensée juive a été fort stimulée sur ce point par le contact avec la religion babylonienne et jieut-étre avec la religion des Perses. La solution témoigne cependant d’une réelle indépendance. Comme les démons des Perses, ceux des Babyloniens sont méchants par nature : c’est une opposition de deux mondes que les Perses ont conçue aussi comme l’opposition de deux chefs. Les Juifs se sont posé la question de l’origine des démons : ils ont indiqué deux solutions dans le livre d’ilénoch : la chute des anges, descendus de l’Hermon pour s’unir aux lilles des hommes ; la mort des géants, nés de ces unions, dont les esprits, demeurés entre ciel et terre, sont proprement les démons. Il y a dans ces spéculations une plus grande préoccupation de la pensée grecque que du dualisme persan, car le chef des anges déchus n’y joue qu’un rôle très secondaire.

On ne voit pas non plus que Satan et ses suppôts, quoique princes de ce monde, aient eu jamais le pouvoir d’y introduire des créatures de leur façon. Quand Satan est qualifié de maître de ce monde, il est toujours sousentendu que c’est à cause du mal qui domine dans le monde jusqu’au règne de Dieu.

De sorte que nous aboutissons au point qui a, jusqu’à présent, le moins attiré l’attention, mais qui nous semble vraiment cardinal : l’idée du royaume de Dieu.

Ici la dépendance d’un côté ou de l’autre est inéluctable et nécessaire. Rien de semblable nulle part ailleurs. Qu’on veuille bien se souvenir de la prédication des Gàthas. Le règne attendu, qui est celui de Dieu et celui du bien, dont les justes procurent l’avènement, et qui aura son Messie, c’est le royaume de Dieu des prophètes et ensuite de l’Evangile. Or, s’il est une idée dont il soit possible de suivre le développement chez le peuple juif, c’est celle du royaume de Dieu et de son Messie. Sans doute les aspects sont nombreux et variés, et l’idée ne marche pas toujours en ligne droite ; mais Israël en vit comme peuple, tandis qu’elle apparaît tout à coup dans les Gàthas comme une nouvelle religion. Le Zoroastrisme ne s’explique pas plus sans l’existence d’une religion universaliste, aspirant au royaume de Dieu par son Messie, que l’islam ne s’explique sans le Judaïsme et le Christianisme. Cette première conception eschatologique est pour nous certainement d’origine juive, si l’histoire peut nous enseigner quelque chose sur la marche des idées.

Mais ne serait-il pas possible que tel trait eschatologique particulier ait reçu l’empreinte du Parsisme ? St..ve note (/. /., p. 195 ss.) que l’ancienne eschatologie des Juifs était purement nationale, c’était la glorification d’Israël en Judée à la lin des tem.ps. Si on l’a rattaclice à des périodes historiques, comme dans Daniel, ou à la consommation du monde actuel, comme on l’a fait au temps des Macchabées, n’est-ce point sous l’inlluence des Perses, qui divisaient le monde en grandes périodes marquant la lutte des deux principes, et qui par conséquent envisageaient le salut d’abord sous son aspect mondial ?

Il est possible, mais on n’a rien indiqué de précis. Nous avons déjà remarqué que les quatre empires de Daniel qui précèdent celui des saints ne concordent pas avec les trois périodes de Théopompe avant le triomphe final ; sans parler du caractère global des périodes de Théopompe, dans l’espace et dans le temps. Les Juifs avaient d’autres moyens de parvenir à l’idée d’une consommation de toutes choses. Leurs tentatives incohérentes sur le raccord du 1135

ISLAMISME ET SES SECTES

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royaume de Dieu attendu avec la lin du monde ne prouvent pas un conflit de doctrines empruntées, mais les elForts impuissants de leur pensée, juxtaposés par exemple dans le livre d’Hénocb. La date des morceaux les plus anciens de ce livre peut être fixée vers 150 ; les Gàthas existaient-elles alors ? Les conjectures dans Hénoch sont d’une réflexion fort avancée sur ces problèmes.

II faudrait assigner des points particuliers. La résurrection est le principal. Xous avons dit déjà qu’il est difficile de faire remonter très haut la croyance des Perses. Elle leur est venue ensuite de la réforme et pour la compléter. Dans Israc ! , elle fait partie, d’après les Pharisiens contemporains de Jésus, de la foi nationale, et elle s’appuie sur des textes qu’on ne peut pas en tout cas faire descendre aussi bas que 150 av. J.-C.

D’une façon générale, on constate que les Perses ont été bien plus entraînés par les Sémites qu’ils n’ont eux-mêmes agi sur leurs sujets conquis. Le phénomène des temps historiques ne serait même que la suite d’une action plus énergique encore, exercée par les Sémites sur les Iraniens et les Hindous quand ils ne formaient encore qu’un seul groupe, si l’opinion d’ÛLDENDERG (La religion du Véda, p. 508) était conlirraée, que l’idée morale s’est fait une place dans le panthéon hindou et a pris corps surtout dans un chœur de dieux lumineux, d’origine probablement étrangère, car, pour ces dieux lumineux, Varuna et Ahura avec Milhra, l’origine étrangère serait, selon le morne savant, une origine sémitique.

Mais nous arrivons iciàun domaine trop inexploi é et trop éloigné de l’objet de cette étude.

Bibliographie. — Outre les ouvrages cités plus haut, on pourra consulter : AVeisbach, Die Keiliiischriften der Achameniden, Leipzig. 191 1 ; F. "WolIT, Aesta, die heiligen Biicher der Parsen, iibersezt auf der Grundlage von C. Barlholomae’s altiranischen Wôrterbuch, Strassburg, 19 10.

A. V. W. Jackson, Zoroasler, the prophet 0/ ancie/U/ran, New-York, 1899 ; de Harlez, Introduction à l’histoire de l’Avesta, Paris, 1881 ; Casartelli, Philosophie religieuse du Mazdéisme sous les Sassanides. Louvain, 1881 ; le même, article Avesta, dans The cathulic Encrclopædia ; Hovelacque, L’Avesta, Zoroastre et le Mazdéisme, Paris, 1880 ; Lelimann, Les Perses, dans L’Histoire des religions, deChantepie de la Saussaye, trad. franc., Paris, 1904 ; Moulton. Zoroastrianism, dans A dictionary of the Bit/le : Carnoy, La Hetigion des Perses, dans Chrislus, manuel d’histoire des religions, Paris, 1912 ; Labourt, Iraniens et Perses, dans Où en est iliistoire des religions, Paris, 191 1 ; enfin on trouvera d’excellentes indications, peu favorables à l’antiquité de l’Avesta, dans les ouvrages de M. Gumont sur Mithra.

Fr. M.-J. Lagrange, O. P.