Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Islamisme et ses sectes

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 574-583).

ISLAMISME ET SES SECTES (L’). — I. Les origines ; Mahomet. — II. Le Coran. — III. Doctrine. — IV. Organisation. — V. Mystique ; Confréries. — VI. Sectes philosophiques. — VII. Le Chiisme et les religions qui en sont dérivées.

I. Lea origines ; Mahomet. —

Avant Mahomet, l’unité politique des arabes n’était i>as constituée. La Mecque était une ville importante, centre commerçant et religieux. Son sanctuaire ancien, appelé la Kaahah, était un lieu de pèlerinage fréquenté par les tribus de race arabe. Ce pèlerinage était en même temps une foire. Les Mecquois envoyaient leurs caravanes dans la Syrie du Sud, et ^ ers la Mésopotamie du côté de Hîrah ; dans ces deux régions les Arabes avaient des colonies avancées. Le Yémen, au sud de la Mecque, était possédé par les Persans au moment de la naissance du prophète. Auparavant il avait été gouverné par une dynastie chrétienne de princes abyssins. La population était chrétienne ou païenne ; les ofliciers persans étaient mazdéens. Le paganisme de l’Yémen nous est connu par les inscriptions hiniyarites ; c’est une conception religieuse assez limitée, d’un caractère doux.

Au nord de la Mecque florissait Médine, alors appelée Yatrib : le nom de Médine (Médinet en-nabi) lui fut donné après l’hégire et signifie « ville du prophète ». Les Juifs étaient assez nombreux dans la ville et dans les bourgs des environs. Au nord-ouest de la péninsule arabique avait fleuri naguère la civilisation nabatéenne qui était alors éteinte ; on en voit d’assez beaux restes à Médaïn Sàlih et à Pétra ; les Arabes ne la connaissaient plus que par des légendes. Le centre de r.rabie était sillonné par des tribus païennes nomades ; le sud et l’est nous restent obscurs. Des Judéo-chrétiens existaient en petit nombre parmi les Arabes ; on en a quelques indices, par exemple les poésies d’Omaya Ibn Abi-Salt. La langue arabe était apparue assez récemment et mystérieusement. Elle avait déjà une pléiade de poètes fort admirés des diverses tribus, dont le plus célèbre est Antar.

Maiicmet naquit en 5-o à la Mecque. Il appartenait à la tribu Koréïchite, la plus iniportanle de la cité. Il était fils posthume, et petit-fils d’Abd-el-Mottalib, qui fut le véritable prince de la Mecque pendant de longues années. Un oncle prit soin de lui et réleva dans le commerce. On dit que dans sa jeunesse il alla conduire une caravane en Syrie, pour le compte de Khadidjah, une riche veuve, et qu’il rencontra dans ce voyage un moine chrétien avec lequel il s’entretint. Ce récit a été contesté ; mais il esteertainement vrai au moins pour le fond ; c’est-à-dire qu’il est visible que Mahomet eut une certaine connaissance de la vie monastique chrétienne. A son retour il épousa Khadidjah.

Il eut des relations avec Zéïd fils d’Amrou ; c’était un judéo-chrétien qui voulait restaurer la religion d’Aliraham. Mahomet médita en ce sens, se retirant fréquemment dans une grotte du mont Ilirah, voisine de la Mecque. Sa prétendue mission lui fut donnée à l’âge de quarante ans. Comme il était en contemplation au mont Ilirah, il eut une vision ; l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire l’angeGabriel, fondit sur lui, en lui disant : « prêche » ou « récite)> (iqra), et il lui inculqua des versets signifiant : Allah est Dieu unique, et tu es son prophète. ».llah était le nom donné à Dieu par les Judéo-chrétiens.

Les débuts de la prédication de Mahomet furent diflîciles ; elle ne fut d’abord accueillie que de quelques personnes, parmi lesquelles Khadidjah et Abou Bekr ; le prophète eut à soutenir les railleries des Koréïchites, ses parents, et les controverses des Juifs. Au bout d’une dizaine d’années, menacé dans sa sécurité, il dut quitter la ville. Il s’en alla avec quelques fidèles à Médine où il avait des synqiathies. Celte fuite est restée fameuse sous le nom d’hégire (émigration). C’est de ce jour que date l’ère musulmane. Il est oniciellement fixé, selon le calendrier ottoman, ni 16 juillet 622. Les croyants qui accompagnèrent Mahomet dans cette émigration sont vénérés par la tradition musulmane ; on les appelle mohadjirs, et les amis qu’eut Mahomet à Médine s’appellent Ansàr (compagnons).

Dès son installation à Médine, la secte nouvelle 1137

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prit l’aspect d’un parti politique et militaire. Les croyants et leurs adversaires eurent recours aux armes. Les comljats curent la proi)orlion de petites escarmouches entre tribus ; les ell’ectifs engagés claienl faibles, un millier d’hommes à peine dans les i|uatre premières années de l’hégire. Il y eut un combat à Bedr, où il !) Musulmans délirent, auprès des puits, g50 Koréïehiles. lue autre rencontre eut lieu l’année suivante à Ohod. Les Koréïehiles avaient 3.000 hommes, dont 700 munis de cuirasses, que commandait.Vbou Sofyan, l’ancêtre des khalifes Oméyades, l’ennemi le [dus acharné de Mahomet. La lutte demeura indécise. Deux ans après il se forma contre les croyants une coalition comprenant des Koréïchites, des tribus juives et diverses tribus arabes, païennes ou chrétiennes. On appelle cette campagne l’alTaire du fossé : les coalisés, arrêtés devant Médine par un fossé qu’avaient construit les Musulmans, se débandèrent au bout de quelque temps pour vaquer aux nécessités de la vie pastorale. Ces petits combats rendirent en somme Mahomet maître de la région de Médine.

Six ans après l’hégire, le prophète désira faire le pèlerinage de la Mecque. Il passa un traité avec les Koréïehiles qui le lui permirent pour l’année suivante. Il employa celle année-là à réduire les Juifs des environs de Médine ; il prit leurs châteaux et les expulsa.

La septième année, Mahomet entra à la Mecque en pèlerin ; il y revint l’année suivante à la tête de 10.000 Musulmans, et y rentra en conquérant, mais sans coup férir. Il soumit ensuite diverses tribus en .Arabie, et détruisit leurs idoles, qui étaient des pierres ou des souches. Puis il s’avança jusqu’aux conGns de la Syrie, avec l’idée de combattre Us armées d’HéracIius ; mais le projet n’eut pas de suite cette fois.

Revenu à la Mecque, Mahomet j’accomplit un nouveau pèlerinage très solennel, et il fit ses adieux au peuple sur le mont Arafat. Il rentra à Médine, où il s’occupa de préparer la guerre contre les Grées ; mais bientôt il tomba malade et mourut entre les bras de sa jeune femme Ayéchah (13 Rébi 63a). Son corps fut enseveli parles soins d’Ali, et déposé dans un tombeau à Médine.

Un grand nombre d’historiens arabes ont raconté la vie de Mahomet : TABAni, Maçoudi, Abou’l-Fkda, etc. Parmi les ouvrages spécialement consacrés à ce sujet, les plus célèbres sont ceux d’IsN Ishak (trad. allemande par Wiisteni-eld, 1858-60), et de Wakidi, trad. allemande abrégée par Wellhause.v, 1882. — La vie de Mahomet a été écrite, en Occident, par : SrnENGER, Das l.ebenund die lelire des Muhannnad, a’éd., 1869 ; KnBnL, Das Lehen des Muhammed, 188^ ; Mum, Tlie life of Mahomet, 1858 ; Nôli)Eke, Das lehen Miihammeds, 1863. — L’étude critique des traditions les plus anciennes semble devoir moditier quelque peu l’iilée que l’on s’est faite jusqu’ici de la vie et du caractère du prophète arabe. V. en ce sens une sorte d’article programme de H. Lammens, Qoran et tradition, comment fut composée ta vie de Slahomet, 1910.

— Sur les débuts de l’islam, et sur la tradition, v, les belles études de I. Goldziuer, Miihammdanisclie Studien, ainsi que la monumentale publication du Prince de Theano, Annali delV islam, igoS et suiv.

II. Le Coran. — Le Coran est la prédication de Mahomet, recueillie fragmentairement i)ar ses adeptes. Mahomet lui-même n’écrivait pas ; ses auditeurs inscrivaient les passages de ses discours qui les avaient le plus frappés, sur des tablettes, des omoplates de chameaux, des feuilles de palmiers ou des pierres ; beaucoup de croyants apprenaient par cœur

des fragments de sa prédication ; ceux qui ensavaienl de longs passages étaient appelés les « porteurs du Coran v. D’ailleurs Mahomet lui-même conçut le Coran comme un livre, bien qu’il n’en ait pas reçu la forme durant sa vie.

Peu de temps après sa mort, beaucou[) de « porteurs du Coran » périrent dans une bataille ; et Omar, craignant que le texte corani<iue ne vint à se perdre, conseilla à Abou Bekr, alors khalife, d’en faire rassembler les fragments. Une première recension fut faite par les soins d’un jeune homme, Zéïd lils de Tàbit, qui avait été secrétaire du Prophète. Cette rédaction ne fut pas la seule ; il y en eut d’autres, dues à des recenseurs plus ou moins autorisés. Alin d’éviter les contestations qui pouvaient naître de la présence de divers textes, le khalife Otmàn lit établir par un conseil une rédaction, basée sur celle de Zéïd, et il ordonna ensuite de brûler toutes les autres.

Ce procédé réduit à peu de cliose l’exégèse coranique. On ne peut guère discuter que sur les points diacritiques, les voyelles, et quelques rares variantes, presque toutes peu importantes, conservées par les traditionnistes. Les Chiites ont tenté d’ajouter au Livre saint une soui’ate (v.Nôldeke, Gescliiclite des Qorâns, ii. 221).

Le Coran se compose de 114 suiirales, c’est-à-dire chapitres ou fragments. Ces sourates ont toutes un titre ; elles sont disposées par ordre de longueur, les plus longues en tête, selon l’usage adopté par les orientaux pour les divans des poètes. En étudiant avec soin les indices contenus dans le texte, on arrive à rétablir l’ordre chronologique pour une partie des chapitres. Il en est qui contiennent des faits dont la date est connue par la tradition historique, d’autres peuvent être classés par l’allure générale du discours : les plus lyriques, les plus enthousiastes, sont les premiers (v. Nôldeke, Geschichte des (Jonins, 2° édit., 1909).

Le Coran a été aussi divisé en heures (aonràd) pour l’usage des Musulmans jjieux. On voit, dans les manuscrits, au-dessus de certains mots, des signes qui indiquent les accents de la psalmodie. Le Livre saint ne doit être ni traduit ni imprimé ; la France en a pourtant fait imprimer en Algérie une édition à bon marché pour les indigènes.

D’après la doctrine de l’islam, le Coran est la parole de Dieu ; il était communiqué au Prophète par l’archange Gabriel. La révélation a parfois varié au cours de la prédication raahométane ; on admet, en théologie musulmane, que certains versets ont été abrogés par une révélation ultérieure. Le Coran, parole de Dieu, fut censé incréé et éternel comme Dieu ; c’est la doctrine orthodoxe. Des rationalistes, appelés Motazclites, ont pensé que le Coran était éternel pour le fond, mais que, dans la forme, il était créé. Le khalife Mamoun admit cette opinion et l’érigea en dogme. Deux de ses successeurs, Motassem et Wàthlq, persécutèrent même les docteurs pour leur imposer cette croyance ; mais l’un d’eux, qui subissait la torture en présence de Wàthiq, sut toucher ce khalife et le ramener à l’orthodoxie. Les su[)plices furent aussitôt a|)pliipiés aux partisans de l’opinion contraire (W. P.vTTON, Jlimed tlin llanlial and tlie Milina).

Le Coran a été souvent commenté par les docteurs arabes. Les principaux commentateurs sont’lABAni, ([ui fut en même temps un grand historien. Iîkïuavvi, et ZAMAKHCHAni, qui fut aussi un moraliste délicat et un philosophe à tendances rationalistes. Leurs commentaires ont été impriuus, mais non traduits.

— L’édition stéréotype du Coran est celle de Fi.iiGKL. Parmi les traductions, on peut citer celles de Kazi-MinsKi en français, de Rodwell et de Sali ; en anglais. 1139

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III. Doctrine. — Les points fondamentaux de la doclrint musulmane sont l’unité divine, le prophélisrae, l’immortalité de l’âme, le jugement et la rétribution des œuvres dans l’autre vie. Les préceptes essentiels sont : la croyance au Dieu unique, la soumission à la loi donnée par le propliètc et contenue dans le Coran, la prière, l’aumône, le jeûne, le pèlerinage. Voici quelques détails sur ces différents points.

Dieu est un ; « il n’y a de Dieu qu’Allah », dit la formule de foi musulmane. Mahomet est expressément hostile à la Trinité ; il l’est de même à l’Incarnation et d’autre part aussi à tous les systèmes comportant l’émanation. Le Coran contient de vives invectives contre ceux qui croient Dieu capable d’engendrer ; Mahomet ne veut pas qu’on regarde Jésus ni « Ozair » (Esdras) comme tils de Dieu, ni les anges comme ses tilles (ix, 30 ; xvi, og). Les Chrétiens sont à ses yeux de véritables polythéistes.

Dieu, selon le Coran, a des « qualités ». Ce sont celles qui sont déjà connues par la Bible : la puissance d’abord, la volonté, la majesté, l’éternité ou plutôt la stabilité ou la durée, — car la notion d’éternité n’avait pas dans la pensée de Maliomet la précision qu’elle peut avoir chez un philosophe, — la science et la justice. Il est moins insisté sur la bonté et la miséricorde que dans le christianisme.

La preuve de Dieu est faite principalement par sa puissance, comme dans la Bible ; celle-ci se manifeste surtout pai’l’ordre et la beauté du monde, par la providence de Dieu et le prophctisme, et par quelques miracles. Le Coran contient plusieurs passages éloquents où le prophète montre comment Dieu a établi la terre comme un tapis, réglé l’ordre du monde et les lois de la végétation, comment aussi il a créé l’homme et arrangé sa reproduction. Les miracles sont la preuve la moins importante ; ils sont en petit nombre à l’origine de l’islam, et dépourvus de vraisemblance. Mahomet était un faible thaumaturge. Son plus grand miracle, selon lui, était le Coran.

La notion du prophétisme est à peu près la même que dans la Bible, mais conçue pourtant d’une façon plus brutale et plus simpliste. — Un ange, — en fuit l’archange Gabriel, — parle au proi>hcte, et lui enseigne, de la part de Dieu, ce qu’il doit dire. Lorsqu’il est pressé dans la discussion, Mahomet demande le temps d’avoir la réponse de Dieu, communiquée de la sorte. Cette idée du [)rophétisme est donc tout objective et externe. Ce n’est pas celle d’un esprit divin qui pénétrerait l’àme du prophète, agirait en elle au dedans et rélèverait à une science surhumaine.

L’islam admet les anciens prophètes. Dans ses légendes, il en ajoute même un grand nombre aux prophètes bibliques. Les principaux à ses yeux sont Abraham et Moïse. Mahomet a cru sincèrement, au nujins au début de sa carrière, ciu’il restaurait la religion d’Abraham, et que sa prédication était conforme à la révélation mosaïque. Il l’ut à ce sujet violemment attaqué par les Juifs. Adam, Xoé, Joseph etSalomon, sont aussi considérés comme de grands prophètes par les Musulmans, et ont une place importante dans le Coran. Il en est de même de Jean-Baptiste et de Jésus.

Mahomet se regarda comme le dernier des prophètes et le plus parfait. Il crut que certains passages de la Bible annonçaient sa venue, et qu’il était le Paraclet promis par Jésus à ses Apôtres (Jean, xv, 26).

Le Coran insistant beaucoup sur la puissance de Dieu, et d’ailleurs parlant peu delà liberté humaine et point du tout de la grâce, il en résulte qu’une apparence de fatalisme est répandue sur toute la doctrine. Il semble que ce Dieu, qui est, avant tout, puissant,

soit l’auteur de toutes choses, même des actes des hommes, des mauvais comme des bons, et que la destinée humaine, en ce monde ou dans l’autre, ne dépende que de sa volonté arbitraire et souveraine. Cette thèse du fatalisme n’est cependant pas celle qui est admise par les docteurs de l’islam ; il n’est pas juste de soutenir que cette religion est théoricpierænt fataliste. Les passages du Coran, qui donnent cette impression avec le plus de force, peuvent être interprétés.

« Som-ds, muets et aveugles, est-il dit des

pécheurs, ils ne peuvent plus revenir sur leurs pas.

— Dieu égare qui il veut ; il conduit qui il veut. » Mahomet a seulement voulu marquer par là la difficulté qu’il y a pour les pécheurs endurcis à se convertir ; on trouve des exxwessions analogues dans les psaumes.

U n’en est pas moins vrai qu’on a constaté jusqu’à nos jours chez les populations musulmanes, une certaine dépression de la volonté. Ces peuples estiment peu le travail, et connaissent peu l’effort, en dehors de l’effort militaire. Ils s’abandonnent sans peine aux changements heureux ou malheureux de la fortune. Le mot même d’islam signifie abandon, résignation. Celle disposition à un certain fatalisme, qui est plutôt d’ordre physique que d’ordre moral, est ancienne en Orient et bien antérieure à l’islam ; on la trouve représentée dans l’âge antique par la conception du Destin.

Le culte musulman est très simple. Il ne comporte pas de sacrifice comparable à celui de la messe, mais seulement la prière. La loi prescrit cinq prières quotidiennes : celles de l’aube, de midi, de quatre heures, du soir et de la nuit. Ces prières correspondent aux heures canoniques des chrétiens, et elles en sont une évidente imitation.

Elles sont précédées d’ablutions. Cette pratique est réglée par le Coran même. Le fidèle doit se laver le visage, la tête, les mains et l’avant-bras jusqu’au coude, les pieds jusqu’aux chevilles. On se déchausse pour prier.

La prière peut être faite soit en particulier, soit à la mosquée. Pour les mosquées, elle est annoncée par les muezzin du haut des minarets. Les minarets, sortes de phares, sont empruntés aux anciens ermitages chrétiens ; ils servaient, dans le désert, à indiquer ces lieux d’asile aux voyageurs. L’usage de la voix humaine, pour appeler les croyants à la prière, date des premières années de l’islam. Les chrétiens se servaient en ce temps-là de cloches de bois ou crécelles.

Les Musulmans prient sur des tapis spéciaux appelés sedjiideh, c’est-à-dire « pour la prosternation ». Ou les tourne dans la direction de la Mecque. Au temps de Mahomet, les chrétiens se tournaient pour prier vers Jérusalem. Mahomet hésita quelque temps entre ces deux directions ou Kililah. L’orientation est indiquée au fond des mosquées par le miliràh, partie réservée et décorée dans l’abside. La prière d.ins les mosquées est présidée par un imam ; c’est un personnage respectable quelconque, en pratique un oflicicr de la mosquée. Les fidèles se placent en rang ; les femmes ne prient pas avec les hommes. Les paroles de la prière sont pour la i)lupart tirées du Coran. Les attitudes sont prescrites ; il y a des génuflexions, des prosternations, des façons d’élever les mains de chaque côté de la figure, ou de les abaisser le long du corps ou sur les genoux.

A la mosquée princiiiale de chaque ville (mosquée cljàmi), la prière du vendredi est accompagnée d’un prône dans lequel on prie pour le khalife et où l’on fait des exhortations. Cette prière est obligatoire en tant que ]uiblique, et pendant le temps qui lui est consacré, les Musulmans doivent chômer. 1141

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Le culte islainii|ue ne comporte pas de musique. Le Coran est seulement psalmodié. Celle psalmodie constitue un art assez dillicile que l’on apprend dans les Universités.

Il n’y a pas non plus d’images dans le culte musulman. L’islam, selon le précepte biblique, proscrit la représentation de la figure humaine, et par suite la pliolof ; ra|>hie. Cette règle n’est plus appliquée par les Musulmans libéraux, et de tout temps une exception a été faite pour les sultans.

Le rituel musulman possède des prières spéciales pour certains cas : telles la prière devant l’ennemi, celle des disettes ou celle des éclipses. Il y a au^si des prières pom- les enterrements. Ceux-ci se font très vite et peu d’heures après la mort. Dans le rite hanélite, le corps n’entre pas à la mosquée ; il est laissé en dehors de la porte. Le Coran défend d’exagérer les marques de deuil.

D’après la doctrine musulmane, une sorte de jugement particulier suit la mort. Le défunt est interrogé dans le tombeau par deux anges Mounkar et Nakir. L’opinion populaire semble être, d’après les légendes, que l’àme du mort vit dans la tombe jusqu’à la résiu-rection ; le séjour du tombeau est pour elle agréable ou pénible selon que le défunt a été bon ou mauvais.

Le dogme de la résurrection a une importance considérable dans le Coran. Mahomet l’a prêché avec beaucoup de force et a souvent eu à ce sujet de vives discussions ; on voit que beaucoup de ses contemporains avaient peine à l’admettre. La résuirection et le jugement dernier sont souvent décrits dans le Coran. La représentation, ainsi que celle du Paradis et de l’Enfer, en est assez matérialiste. L’Enfer est conçu tantôt comme un monstre furieux dont la gueule engloutit les pécheurs, tanlôtcomme un vaste entonnoir à sept degrés. Au-dessus de cet entonnoir est un pont ; au fond un puits. Le Paradis est une pyramide à huit étages où sont des jardins, des pavillons, des « houris », et qu’ombrage un arbre gigantesque. Il n’y a pas à proprement parler de purgatoire, mais seulement une sorte de barrière, mur ou colline, entre le ciel et l’enfer, où les âmes de ceux qui ont vécu d’une façon moyenne, attendent plus ou moins longtemps avant que leur sort ne se décide. Le pont est aussi une manière de représenter le purgatoire : les âmes des élus le traversent, les meilleures en un clin d’oeil, les moins bonnes en un temps très long.

L’aumône est un précepte essentiel de l’islam. Elle est conçue à la manière biblique : le fidèle doit la dîme, plus exactement le quart de la dime sur ce qui a la nature d’un capital, et la dime sur ce qui a la nature d’un revenu, comme les fruits, l’accru des troupeaux. Les terres sont censées appartenir au sultan ; celles qui sont en la possession des Musulmans doivent la dime ; celles qui sontrestées aux mains des Chrétiens lors de la conquête musulmane, ont en général continué à payer les anciens impôts. A l’époque contemporaine, le principe de l’égalité de l’impôt pour tous les sujets de l’empire, sans distinction de religion, a été introduit dans la législation ottomane.

L’islam recommande l’hospitalité, selon la tradition bil)lique ; les œuvres d’hospitalisation y sont en honneur. De nond)reux legs — appelés aakouf — sont faits pour la fondation ou l’entretien de mosquées, d’hôpitaux et d’écoles.

Le Coran interdit le prêt à intérêt. Cette interdiction a déjà été mitigée au moyen âge par les docteurs. De nos jours, les musulmans libéraux placent leur argent comme nous et fondent des sociétés par actions sur le modèle des nôtres.

Tout croyant doit faire le pèlerinage de la Mecque

une fois en sa vie. Toutefois, dans certains cas, ce précepte peut être accompli par représentation. Les origines du pèlerinage remontent au temps du I)aganisme ; les rites en sont très barbares ; le senliuieut général n’y est pas conforme àceluides autres préceptes musulmans, sauf de la guerre sainte. Le pèlerinage se fait dans les mois du Chevval, Doul-Kadeh, Dou’l-lliddjeh. Les pèlerins arrivent par longues caravanes, la tête rasée, et vêtus seulement d’un manteau, dit ihrâm. Ils se rendent à la mosquée, tournent autour de l’ancien sanctuaire appelé la Kaabah, le cube, baisent la pierre noire, et vénèrent les prétendus tombeaux d’Ismaél et d’.Vgar. Ils boivent de l’eau du puits de Zemzem, qui est censé être celui que l’ange indiqua à Agar chassée. Cette localisation de souvenirs bibliques à la Mecque est apparemment l’œuvre de Judéo-chrétiens. Les autres jours, les pèlerins vont sur les montagnes qui entourent la Mecque ; le lo de Dou’l-Hiddjeh, ils sacrifient de nombreuses victimes, chameaux, bœufs et moulons dans la vallée de Mina.

La possession des villes saintes, la Mecque et Médine, a une importance considérable pour la puissance qui veut dominer l’islam. Un chemin de fer allant de Damas à la Mecque a été commencé, par souscription nationale, sous le règne d’Abdul-Haraid.

Les mois consacrés au pèlerinage sont précédés d’un mois consacré au jeûne, celui du Ramadan. Le jeûne musulman est très sévère ; depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, on ne doit ni manger, ni boire, ni fumer. La loi de l’islam proscrit en tous temps l’usage des boissons fermenlées.

La guerre contre les inlidèles est un devoir pour les croyants. Cette guerre est sainte ; elle est recommandée avec véhémence par le Coran ; celui qui succombe dans la bataille a le titre de martyr, chéhid. L’apostolat par la force est donc admis i>ar cette religion, et c’est là un des traits qui lui donnent un cachet assez barbare.

Il faut reconnaître cependant qu’en pratique les pouvoirs musulmans ont souvent usé d’une large tolérance envers les chrétiens qu’ils avaient vaincus, tolérance même supérieure, à certains égards, à celle qu’ont entre eux les divers peuples d’Occident, toujours tourmentés par le besoin d’unilication.

Enlin, en ce qui concerne la famille, il est bien connu que le statut de l’islam est la polygamie. Le croyant peut avoir quatre femmes légitimes et des esclaves concubines. Le divorce est facile ; le mari répudie sa femmeenlui donnantunlivret de divorce ; la femme, pour des motifs déterminés, peut demander le divorce au juge. Dans les classes riches, les femmes vivent recluses et ne sortent que voilées ; elles ne prennent pas part à la vie sociale. Dans les classes moins aisées, et dans les campagnes, où la femme doit vaiiuer à de durs travaux, la polygamie serait trop dispendieuse et la réclusion peu pratique. Il est probable que, sur- ce chapitre, une évolution va se prodnire dans les mœurs des Musulmans des classes élevées, qui, peu à peu, se rapprocheront des nôtres.

(V. Carra de Vaux, La doctrine de l’islam, chez Beauchesne, Paris.),

IV. Organisation. — L’islam est une théocratie. Les croyants sont considérés théoriquement coiuuie égaux et forment une vaste communauté. A leur télé est un président appelé khalife, c’est-à-dire successeur du prophète. Le khalife doit être proclamé par la communauté, et il doit en principe ajiparlenir à la race des Koréïchilcs. Il est investi d’un pouvoir absolu. Selon la terminologie politique moderne.

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l’islam est donc coiislituc, en théorie, comme une démocratie impérialiste.

Le mode de succession au klialifat n’est pas lixé parla loi. Il changea quatre fois à l’origine de l’islam. Mahomet n’avait pas désigné son successeur. Abou-Bekr fut proclamé par les principaux Musulmans, pendant qu’on ensevelissait le prophète. Ahou Bekr désigna son successeur qui fut Omar. Celui-ci remit l’élection du khalife après lui à un conseil composé de six membres qu’il désigna, en imposant cette clause que celui des six qui serait élu ferait périr les cinq autres ; mais l’un d’eux renonça au pouvoir, et les autres lui remirent le soin de nommer seul le khalife. Le régime de la succession (Ijnastique s’établit après Moavviah dans la famille des Omeyades. Le frère du khalife défunt ou son lils succédait ; le khalife pouvait aussi désigner un héritier présomptif <|ui était généralement un de ses lils. Le titre de Uiali/e fut pris par Abou Bekr ; le tilrede commandeur descroyants, émir al-momenin, fut porté du vivant du prophète par un de ses lieutenants, dans la deuxième année de l’hégire. 5H/<n « n’est point un nom religieux ; c’est un titre militaire qui fut porté d’abord par les princes Hamdanites, et par les Turcs Bouyides. Les sultans Osmanlis possèdent le khalifat, quoique n’étant pas Koréïehites. Il y a une sorte de fiction légale, d’après laquelle Sélini I", s’étant emparé de l’Egypte et des villes saintes, fut considéré comme l’héritier des droits des anciens khalifes.

Le pouvoir du khalife est absolu tant qu’il ne s’écarte pas de la loi ; s’il s’en écarte, il peut être déposé.

La loi est le Coran seul ; le droit en découle comme le dogme. La jurisprudence est dans l’islam une science religieuse.il n’y a pas de clergé au sens chrétien du mot ; rien qui cori-esponde au sacrement de l’ordre ; p.is de sacerdoce, pas de concile. On i>eut appeler conventionnellement clergé les docteurs, savants dans la sciencedu Livre et dans la tradition, les olliciers des mosquées, qui les gardent et y président aux prières publiques, et les juges

La loi et le dogme sont lixés par la tradition, siiniiali, et par le consentement unanime des docteurs, idjmù (accord). La tradition a une ini|>ortance considérable à coté du Coran ; elleest étudiée avec soin et avec une certaine critique. On attribue [dus ou moins de force à une tradition, selon que son premier auteur est plus ou moins ancien ou vénéré, et selon les personnes qui les ont transmises ; les traditions (liaJilli) sont rap[>ortées avec cette chaîne des intermédiaires, que l’on appelle les isiuid ou appuis. Il y a des traditions qui peuvent avoir presque la valeur des versets du Coran, car elles sont des fragments de la prédication de Mahomet, c|ui ne se sont pas trouvés joints au livre lors de sa recension. Aykiuïau a été à l’origine une grande autorité en matière de tradition ; on lui attribue un grand nombre de hadilh.Les premiers compagnons du prophète ou aiisàr sont aussi des autorités en lesquelles on a confiance. Les plus célèbres traditionnistes sont Imn Abu-A-s, au premier siècle, et plus tard Bokiiaui (édité par KuEHi., traduit par Houdas).

Quatre grands rites se sont formés dans l’islam orthodoxe. Us ont été fondés par quatre grands docteurs : Adou Hami’ah (m. 150 H. 767). Malik (m. I7() H. 795), CHAi-iii (m. 204 H. 819) et IisN Han-BAL (m. 2/(1 IL 858). Us s’accordent sur tous les points essentiels de la doctrine ; mais ils dilfèrent sur des détails de casuistique et sur quelques coutumes. La Turtjuie suit le rite Ilanclite ; l’Egypte est Chàféite ; l’.Vfrique du Nord, Malékite.

Les jurisconsultes et les employés des mosquées se forment dansles Universités (merfre^.ses) ; eellcs-ei

sont des sortes de grands séminaires, où l’on apprend surtout le Coran, lecommentaire et la tradition. Elles ont été fondées par la munificence des princes de l’islam, et enrichies des dons des croyants. L’université la plus célèbre du monde islamique est peut-être celle d’el-Azhar, au Caire ; il y en a d’autres qui sont très fréquentées à Samarcande, à Stamboul, etc. Le corps des docteurs ou l. lé ma s sortant des Universités a été organisé dans l’empire ottoman par des règlements de Soliman lk Maonhioue ; ces règlements ont établi les catégories et les classes qui forment ce qu’on appelle « la chaîne des Ulémas ». A leur tête est le clieïhh iil-istàiii, principal personnage religieux de l’empire après le khalife, dont Soliman a étendu les pou> oirs. Le cheikh iil-islàni a sous ses ordres quatre assesseurs qui s’occupent : des biens iiakouf, c’est-à-dire des fondations pieuses faites aux mosquées et aux écoles ; de la chancellerie ; des décisions juridiques ou fet<tah ; et des rapports avec le gouvernement. Parmi les docteurs qui s’occupent spécialement de droit, on dislingue les Mufti et les J(idis : les Kodis sont les juges, qui tranchent les différends ; les Mufti ne jugent pas ; ce sont des docteurs que l’on consulte sur les différents cas qui peuvent se présenter d’une façon théorique, et abstraction faite des personnes intéressées. Us répondent si telle chose est ou non conforme à la loi ; ces décisions juridiques s’appellent fet>ti, tous les Musulmans peuvent en demander. Des muftis sont placés dans toutes les villes de quelque inq>ortance ; le cheikh ulisldni est grand mufti de Conslantinople ; un fetna rendu par lui peut faire déposer le Sultan.

V. Mystique ; Confréries. — On peut distinguer deux sortes de mysti(jnes musulmanes : celle de l’école des a Philosophes ii, et celle des théologiens ou des ^’o » /^s. La première est néoplatonicienne ; la philosophie dite illuminative » en est une variété. La seconde est surtout d’origine chrétienne.

Il n’y a point de mystique propre au Coran. Mahomet et ses premiers disciples n’ont pas été, à proprement parler, des mystiques, mais simplement des hommes d’une foi vive, sensibles à deux ou trois idées religieuses fondamentales, l’unité et la puissance divines, la survivance de l’àmc, la rétribution dans l’au-delà. Ils étaient assez mal adaptés à la vie intérieure : c’était des guerriers.

La mystique a été introduite relativement taril dans l’islam ; elle s’est surajoutée à la loi coranique. La Syrie fut le centre où se formèrent les |>remiers mystiques de l’islam ; et à c^té d’elle. l’Egypte ; c’est-à-dire que l’ascétisme musulman prit naissance dans les territoires où avait lleuri la vie contemplative chrétienne.

Ces premiers religieux, parmi lesquels on compte des femmes, s’appelèrent ràhih, moines ou soufi^, de -sou/", laine, c’est-à-dire gens à la robe de bure ; soufi était le nom que l’on donnait aux moines chrétiens.

Les Musulmans n’avouent pas en général les emprunts qu’ils font au christianisme ; cependant leur littérature renferme à ce sujet quelques indications tout à fait explicites. Ainsi les histt)riens Mai, : oudi et Ai.iiiKOLM i>arlent des Evangiles ; dans le livre inviirif cl miutiif, de Suhrawerdi, qui est l’un des plus célèbres traités d’ascétisme chez les Musulmans, on trouve une véritable traduction de la parabole du semeur ; et dans les traités des Frères de la Pureté, on rencontre le récit de la vocation des.pôtres.

La doctrine des Soufis contient de nombreux traits i|ui ne sont qu’une reproduction de ce que l’on voit dans la mystique chrétienne ; la nécessité du directeur, l’obéissance qui lui est due, l’obligation de tout lui dire, son rôle conçu comme celui d’un il45

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père ou d’un médecin de l’àiue, l’utilité et les bienfaits lie la retraite, la contrition et ses divers degrés, la pauvreté d’esprit, l’abandon à Dieu et l’union avec Uieu, but de l’ascèse, toutes ces choses sont expliquées et décrites comme dans les traités chrétiens. Il ne saurait être douteux qu’il y eut des rapports personnels et des communications orales entre certains chefs du soufisme musulman et des religieux chrétiens distingués.

On trouve chez les Musulmans, à une époque relativement ancienne, une analyse des états de l’àme livrée à la vie contemplative, qui ressemble beaucoup à ce qu’on lit chez les mystiques chrétiens espagnols du XVI’siècle. On i>eut voir en ce sens la description des « vallées » que doit traverser l’àme, dans le poème persan de Khrid eo-Di.v Attar, intitulé miinliq ui-tair, le langage des oiseaux. Il est possible qu’il se soit produit, en Occident, un mouvement inverse de celui que nous constatons en Orient, je veux dire que certains emprunts d’expressions, d’images, de formes extérieures, y aient été faits par les Chrétiens aux Musulmans.

l’armi les mystiques les plus célèbres de l’islam, on peut citer : Gazali (io58-i 1 1 1), qui représente le soulisme tout à fait orthodoxe, Suiirawehdi (m. 632 H. ia34) également orthodoxe, le poète Omar Ibx Fahid, en Afrique Moiivi bdDin Ahaiu, auteur fécond, bizarre et très obscur, qui aurait eu, penset-on, de l’inlluence sur Raymond LuUe ; en Perse les fameux poètes Djklal eu-Din Roumi (i 207-1 2-3), Atar (11 19-1230), Saadi (1184-1291), Hafiz. Ces poètes décrivent souven’l’amour divin dans les mêmes formes que l’amour humain.

Les mystiques de l’islam ont été considérés comme des saints, et vénérés comme tels par les populations, contrairement à l’esprit du Coran qui interdit le culte des saints. On les appelle des Santons. Ils ont des tombeaux où l’on va en pèlerinage, et on leur attribue, tant pendant leur vie qu’apiès leur mort, de nombreux miracles. Leurs biographies fournissent en abondance des faits psj-chiques curieux.

D’ailleurs le peuple ne vénère pas seulement ces ascètes, mais aussi leurs descendants, car la plupart d’entre eux furent mariés. Dans le monde africain, les marabouts sont en général les descendants de quelque grand ascète, et ils jouissent de la vénéralion et même, selon la croyance populaire, de certains pouvoirs miraculeux qui appartenaient en principe à leur ancêtre. Il y a des femmes inaraboutes ; on les appelle en arabe saridah ou si(^(i et en berbère lu Un.

Les confréries religieuses sont nombreuses dans l’islam. Elles sont comparables plutôt à des tiers ordres qu’à des ordres proprement dits. Les afliliés récitent certaines invocations courtes qu’on appelle Tlihr (mémoire) ; ils se réunissent à certains jours pour prendre part aux exercices de la confrérie ; ils SI’joignent alors auxreligieux habitant les couvents {teUké ou zàouiah). Les religieux peuvent être sédentaires ou voyageurs.

Les ordres les plus célèbres sont en Orient, les derviches tourneurs ou mettéi’is, disciples de Djélàl ed-Din Roumi, les derviches hurleurs, disciples d’Ahmed Réfài, les Kadria fondés par Abd-el-lvàdir Djilani. Les liahmania sont importants en Afrique, ainsi que les Tidjdiiia et les Chddelia ; il y en a beaucoup d’autres.

L’esprit de ces ordres est variable ; les uns sont doux, les autres fanatiques. Ils forment des sociétés secrètes au sein desquelles les mots d’ordre se transmettent vite, et qui pourraient devenir dangereuses dans des périodes troublées. On a beaucoup parlé

naguère, en ce sens, de l’ordre des Sénoussis, qui habite les oasis de la Tripolitaine ; on l’a cru fort dangereux, et il a pu l’être ; mais il est très alTaibli aujourd’hui (O. Défont et X. CorpoLANi, Les Confréries religieuses musulmanes).

VI. Sectes philosophiques. — L’islamisme compte un grand iiondir>^ de sectes. Un auteur musulman, CiiviiRAsTANi. a écrit sur ces sectes un ouvrage important qui a été traduit en allemand (Book of religions and philosopliical sects, Ed. Cl-retox ; trad. IIaarbrûcker).

On y trouve de nombreux renseignements, surtout en ce qui concerne les sectes rationalistes.

Un mouvement philosophique spontané se produisit de bonne heure dans l’islam, avant l’introduction des ouvrages grecs ; ce mouvement prit toute son ampleur quand le travail de traduction eut commencé.

On désigne sous le nom de Molazélites une secte,

— ou plutôt un groupe de sectes, — qui spécula avec beaucoup de liberté et dans un esprit tout à fait rationaliste sur les conceptions et les idées religieuses ; ce nom signiŒ : « séparés i>. Les plus célèbres Molazélites furent Wasil, (ils d’Alà, né à Médine en l’an 80, mort en 131 ; Abocil-Hodkil de Basrah, mort en 226 ; el-Djahiz. mort en 255 ; kl-Djobbay, mort en 303 ; ces deux derniers sont aussi de l’école de Basrah.

Les questions agitées de préférence par les Molazélites furent celles des qualités de Dieu et du libre arbitre ; elles se trouvaient posées par la théodicée du Coran, qui parle souvent des qualités de Dieu, la science, la puissance, la volonté, la justice, etc., et qui semble leur donner une véritable réalité. II s’agissait de comprendre comment Dieu peut avoir des qualités distinctes entre elles et distinctes de son essence, sans cesser en même temps d’èlre un, et sans devenir inulliple. Vàsil lils d’Atà, suivi par la majorité des Molazélites, nia l’exislence des qualités, en disant : « Celui qui allirme une qualité éternelle à côlé de Dieu, allirme deux Dieux. >. Les qualités n’élaienl pour lui que de purs noms..Mjou’l-llodéïl eut une opinion moins absolue : il conçut les qualités comme des modes de l’essence divine : la science de Dieu, par exemple, ne se distingue pas de son essence ; et sa volonté peut être considérée comme un mode de sa science : il veut ce qu’il sait bon.

Dans la question du libre arbitre, les Molazélites diminuèrent en général le sentiment de la volonté divine, et augmentèrent celui du libre arbitre de l’homme. L’homme est chez eux plus libre que Dieu, lequel est déterminé par le bien ; chez les théologiens, c’est Dieu qui crée le bien, qui a ainsi un caractère assez arbitraire. Les docteurs Molazélites soulevèrent d’autres questions de théodicée importantes, notamment celle de la justice de Dieu à l’égard des enfants, et à l’égard des peuples qui n’ont pas eu connaissance de la révélation. Il est d’ailleurs fort possible qu’ils aient emprunté ces thèmes de discussion au christianisme.

Aux Molazélites s’opposèrent, parmi les théologiens, les Molékallim : c’étaient des docteurs qui admettaient les procédés de raisonnement des Motazéliles, la dialectique ou Kattim, mais qui les appliquaient à la défense des vérités orthodoxes. Les Molékallim dépassèrent en sulitilité les Molazélites ; ainsi, pour expliquer la façon dont existent les universaux. ils conçurent une sorte de mode d’existence intermédiaire entre l’être et le non-être ; de même les qualités de Dieu sont pour eux des modes, dont on ne peut dire précisément ([u’ils sont ou ne sont pas. Pour expliquer la Providence, et l’accord de la 1147

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prescience divine et de la liberté humaine, ils imaginèrent une disposition préalable de la part de Dieu, ressemblant beaucoup à l’harmonie préétablie.

Ces docteurs s’occupèrent ainsi de questions plus purement scientifiques, et en particulier de l’atomisme.


Le plus célèbre Molékallim fut Achari. né à Basrah en 260 ; il appartenait à une illustre l’aniiUc de l’Yéinen, fut disciple du Motazélite el-Djobbay, et le quitta. Il mourut en 024 (V. Steiner, Oie MotuzUiten, oder die Fieidenker im Jslàm).

Les Philosophes proprement dits. — Les ou^Tages grecs cauimencèrent à être traduits en arabe sous le règne d’el-Mamoum. Ce khalife établit un Imreau de traduction à Bagilad en ai- : à sa tête fut placé un chrétien ibadite, Honéi.x, lils d’ishàk, qui est le plus important traducteur avec son hls Iskhak. fils de Honéïn. On compte parmi les traducteurs quelques autres chrétiens, et des savants appartenant à la secte des Sabéens, dont le plus illustre eslTABir, lils de Korrah, de Harrân, mort en 188. Une partie des traductions furent faites par l’intermédiaire du syriaque.

La scolastique arabe se constitua de bonne heure en système, affectant un caractère constructif et syncrétiqae selon l’esprit du néoplatonisme. Le nom de

« philosophe », dans sa forme grecque (J’ailasoiif), 

est appliqué en propre par les auteurs arabes aux philosophes de l’école hellénisante. Les plus illustres représentants de cette école furent : el-Kim>i (m. 260 11. 873), qui était de bonne race arabe ; Fahabi, (m. 33g H. gôo), d’origine turque ; Avicennk (m. 4a8H. io36), qui était plutôt persan ; et AvKRROÈs(m. SgSH. 1198), cordouau. Il ne nous reste presque rien de Kindi ; nous avons plusieurs bons traités de Farabi ; l’oeuvre d’Avicenne, qui est volumineuse, nous est parvenue dans l’original arabe ; celle d’Averroès, ayant été proscrite par les khalifes Almohades d’Espagne, a été presque entièrement détruite en arabe ; on la connaît surtout par les traductions hébraïques.

Le système de ces philosophes comprenait principalement : une grande tliéorie de l’Etre nécessaire, présentée en forme de démonstration géométrique ; une théorie de la diffusion de l’intelligence et de la rie à travers les astres jusqu’au monde sublunaire, c’est-à-dire jusqu’à la terre, théorie d’origine néoplatonicienne et sabéenne ; une psycliologie fondée sur la distinction de l’âme, conçue comme principe de vie et d’animation, d’avec la raison ou intellect, principe de pensée, — psj’chologie attribuée par les Arabes surtout à Aristote, construite dans le même goût que celle de la scolastique occidentale, étendue aux animaux et aux plantes, expliquant les actes successifs de l’âme et de l’intelligence, et les localisant dans les divers organes. Ce système comprenait encore : beaucoup de logique, rédigée surtout d’après’Isago «e ; un peu de physique ; et une partie mystique. La mystique y apparaissait comme le couronnement de la psychologie, car l’intellect de l’homme ne devenait complet que par son union avec l’intelligence divine ou intellect agent ; c’est dans l’intellect agent que résidaient les Idées.

L’intention des philosophes était de réaliser la synthèse de la philosophie et du dogme religieux. C’était là pour eux deux vérités, également respectables, et qui devaient s’accorder. La philosophie, à leurs yeux, était une : Platon bien compris ne devait pas différer d’Aristotc Ils étendaient à la philosophie la notion de prophélisme.

Les théologiens leur furent hostiles : ils soutinrent que ce système, tout en n’étant peut-être pas faux en lui-même, pouvait aisément conduire à l’errear, et qu’il était en tout cas incapable de prouver

la vérité religieuse, lis poussèrent à cet égard le scepticisme fort loin : ainsi ils n’admirent même pas comme satisfaisantes les preuves données par les philosophes de la nécessité d’un être premier. Les purs théologiens nièrent en somme à peu près l’utilité de la méthode rationnelle en matière de foi. Gazali, leur principal représentant, écrivit contre Farabi et Avicenne un livre célèbre, le Téhùfnt el fahUifah ou « vanité des philosophes », ouv-rage où l’art du raisonnement scolastique atteint son apogée, mais qui conclut à la vanité de ce raisonnement même.

Plus tard les théologiens obscurs postérieurs à Averroès eurent sur lui la même opinion : et ce fut celle qu’adoptèrent à leur tour la plupart des théologiens chrétiens, pour qui Averroès dcA-int nu type d’impiété. Dans les deux religions on l’accusa de nier la Providence, la connaissance des particuliers en Dieu, et la résurrection. Cette accusation est injuste : les théologiens ont eu sans doute de bonnes raisons pour n’être pas satisfaits du sj-stème des philosophes ; mais ils n en ont point eu qui établissent qu’ils manquaient de sincérité.

On a souvent exagéré l’intluence de la scolastique arabe sur la scolastique chrétienne du moyen âge. Celle-ci emprunta à Averroès la forme de ses commentaires ; mais les ouvrages grecs ne furent pas tous connus par l’intermédiaire des Arabes ; il en est qui le furent par des voies plus directes. Le travail de la pensée se fit de part et d’autre d’une façon j)arfois analogue, mais avec une suffisante indépendance mutuelle ; certains caractères essentiels ne sont pas les mêmes dans les deux scolastiques : ainsi la grande question des universaux ne domine pas dans la scolasticpie arabe comme elle fait dans les écoles chrétiennes.

V. Mdnk, Mélanges de philosophie arabe et jiiite.

— Renan, Averroès el r.4yerroisi>ie. — Carra de Vaux, Avicenne : — le même, Gazali : — Tj.oEBoiiR, The histor)- of philosophy in islam, traduit de l’allemand ; — les publications de Bæcmkkr et voK Hert-LING, Beitreige zur Geschichte der Philosophie des Alitlelalters, Munster ; et L. Gacthier, La Théorie d Ibn liochd (^Averroès) sur les rapports de la religion et de la philosophie.

Vil. Le Cbiisme et les religions qui en sont dérivées. — Les principales hérésies de l’islam se rattachent logiquement el historiquement les unes aux autres, et forment chaîne. On peut les considérer ensemble comme une réaction continuelle de l’esprit persan et aryen contre l’esprit arabe et sémitique (V. ce point de vue expliqué dans Je Mahdi de J. Darmesteter, 1885, et dans Le Mahométisme, de C..rra de V.4.UX. Cf. Les Prolégomènes d’lB>' Kual-DOfx, trad. de Slanb). Dans ces sectes, le personnage d’ALi acquiert une importance supérieure à celle de Mahomet ; Ali y est en quelque sorte transfiguré, souvent même divinisé. Une espèce de conception du prophétisme, qu’on appelle doctrine du mahdisme ou de l’imamat, en domine la théologie

Ali nous est assez bien connu par l’histoire. Il était fils d’Abou Taleb, l’oncle du Prophète. Il fut l’un des premiers à embrasser l’islam ; il accompagna Mahomet dans sa fuite à Médine, et il épousa sa fille Fàtimah, dont il eut deux fils, Hasan et Iloséïn. Très brave, il se battit à Bedr et à Oliod. Le prophète l’aimait beaucoup, el peu de temps avant sa mort, comme il revenait du pèlerinage « d’adieu ». il prononça sur lui ces mois qui sont un des fondements des prétentions chiites : « Quiconque m’a pour ami est aussi son ami. O mon Dieu, aime celui qui il49

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l’aime, et déleste celui qui le hait ; aide celui qui l’aide et abaisse celui qui voudra l’abaisser. »

quoicjue cousin germain et jjendre du prophète, Ali ne lui succéda pas tout de suite. Il ne parvint au khalil’at que le quatrième, et dans des circonstances ditliciles. Après son accession au pouvoir, il voulut changer le gouverneur de Syrie, Moawiah, qui se révolta ; il eut aussi contre lui la haine d’Ayéchah, veuve du prophète, qui fomenta la révolte à la Mecque. De g-rands combats eurent lieu dans le bassin inférieur du Tigre et de l’Euphrate. Dans la journée dite « du Chameau », Ali combattit et délit une première armée, amenée de la Mecque par Ayécliah ; celle-ci était présente à la bataille, dans une litière portée par un chameau. Une seconde bataille fut ensuite livrée par Ali à Sillin contre toutes les tr(Hii)es de Syrie amenées par Moawiah. Les historieus donnent comme cliill’res des combattants iSo.ooo Syriens contre 120.000 Persans. La lutte dura 110 jours et demeura indécise. On eut alors recours à un arbitrage, dans lequel Ali l’ut joué par l’arbitre qui était le fameux Amrou, le conquérant de l’Egypte. Le schisme continua. Mais peu de temps après, des fanatiques, appelés Khuridjites, qui n’admettaient pas que le droit du khalife pût être soumis à un arbitrage, assassinèrent Ali, en l’an 40 de l’hégire. Il fut inhumé près de Koufah en un lieu inconnu (V. BauNNOW, Die Charidjiten, 188 ; 5 ; Wellhausen, Die religios-politiaclien Oppositions parleieit iin alten Islam ; les études du P. Lam.mkns dans les Mélauf^es de la faciillé orientale de Beyrouth, tomes I et suivants ; du même Fàtimii, Rome, 1912 et les historiens tels que MuiR, The Califate, its rise and /ail, a" éd., 1892).

Après la mort d’Ali, son fils aine Hasan, abdiqua ; il retourna vivre à Médine où il fut empoisonné. Son second (ils, Hoséin, se révolta contre Yézid, successeur de Moawiah, avec ra[)pui des gens de Koufah ; mais bientôt trahi par eux, il fut massacré avec une petite troupe de fidèles, auprès de Kerbelah.

La mort de Hasan et de Hoséin est commémorée par les Chiites dans la fête d’Achoura. Us font des processions aux flambeaux, vêtus de deuil, pleurant et gémissant ; les plus fanatiques se flagellent ou se frappent à coups de sabre. On a reconnu dans ces rites une tradition se rattachant aux coutumes païennes relatives à la commémoration de la mort d’Adonis. Kerbelah est devenu le principal pèlerinage des Chiites.

A la suite de ces événements se constitua la théorie imamiste ou mahdiste. On reporta sur un descendant de ces princes qui avaient péri si malheureusement les espérances fondées sur eux. L’on se mit à attendre une sorte de Messie, auquel on donna le nom de Mnlidi, c’est-à-dire le dirigé, celui que Dieu dirige, qui de^ ait un jour conquérir le monde et y faire régner le bonheur. La plupart des théologiens admirent que le mahdi serait le douzième intuni : car on appelle imam, c’est-à-dire président, les princes de cette famille et autres grands personnages.- mais en un sens spécial, l’imam est le même que le mahdi. Or il se trouva que le douzième descendant d’Ali disparut mystérieusement, étant encore enfant, en l’an 9^0 de l’hégire, à Sorra-nien-Rà. Ses partisans refusèrent de croire à sa mort ; ils pensèrent qu’il vivait dans quelque caverne, d’où il ressortirait quand son heure serait venue. Pendant le temps de cette occultation, de saints personnages pouvaient le connaître et servir comme d’ambassadeurs entre le monde et lui.

La théorie mahdiste, qui est fondamentale dans la d<)etrine du chiisme, se retrouve aussi dans l’islamisme orthodoxe, mais sous une forme réduite, et n’y

jouant qu’un rôle accessoire : Le mahdi doit paraître à la lin des temps à côté de Moise et d’Elie, et régner quelques années. Dans le chiisme au contraire, le mahdi doit paraître à un âge du monde encore relativement jeune, et ouvrir une ère indéliiiie de paix et de vertu. Mais aussi bien chez les Musulmans orthodoxes que chez les Chiites, le sentimeutmahdiste est répandu dans l’esprit du peuple, et il a été souvent une cause de troubles ; de prétendus mahdis ont paru à toutes les époques de l’histoli-e musulmane ; de nos jouj’S le plus iUustieest celui qui a assiégé et massacré Gordon pacha dans lUiartoum.

La religion chiite estacluellementcelle de la Perse. Shah Ismail adopta cette croyance au xvi » siècle, et la Perse y est restée attachée depuis lors.

Ismaéliens ; Karniathes ; Assassins. — La secte des Ismaéliens, dérivée du chiisme, manifesta sa puissance à la lin du ix" siècle de l’hégire, époque à laquelle elle menaça le khalifat de Bagdad. Abd Allau lils de Maïmoun, surnommé Kaddah, est le personnage qui acheva de constituer leur doctrine. Les Ismaéliens n’admettaient que sept imams au lieu de douze comme faisaient la généralité des Chiites. Le septième imam, le mahdi à venir, devait s’appeler Ismail, d’où le nom de cette secte.

La doctrine ismaélite ne recevait pas le sens externe du Coran ; elle enseignait qu’il devait être interprété. Les pratiques religieuses n’étaient pour elle que des symboles, et n’avaientpasd’importancepour les savants ; des essais de communisme furent faits dans cette secte ; les auteurs musulmans accusent même les Ismaéliens d’avoir admis la communauté des femmes. Cette doctrine mêlait le prophétisme biblique avec la philosophie grecque : elle aboutissait à une sorte de théorie gnostique. Un Dieu ineû’able, inconnaissable, incapable de créer, engendrait un premier principe, la Raison universelle, ou l’Intellect, duquel émanait un second principe appelé l’Ame. L’Ame était, à côté de la Raison, comme le germe à côté de l’être complet, ou comme le principe féminin à coté du principe masculin. La Raison était surnommée le Premier, et l’Ame, le Suivant. L’àme à son tour produisait la Matière, la matière première destinée à recevoir les formes dont les idées existent dans la Raison divine. De la Matière émanaient encore deux autres principes, l’Espace et le Temps. L’àme universelle descendait dans le monde de la Matière, de sphère en sphère, jusqu’à lu terre, dernière émanation, et produisait sur sou passage les âmes individuelles. Il faut entendre ici àme au sens des philosophes comme le principe d’animation et de vie, par opposition à l’intellect. Celte àmc. étant imparfaite, avait une tendance à acquérir la science parfaite, à remonter vers la raison ; aux divers degrés du monde, elle retrouvait la lumière de la Raison universelle, illuminant les individus ; grâce à elle, elle devait pouvoir à la lin s’absorber dans la raison, tandis que la matière elle-même s’absorberait dans l’àme.

Pour faciliter cette œuvre de salut, la raison et l’àme divine s’incarnaient de temps en temps dans des prophètes, qui aidaient la foule à s’élever au-dessus du principe matériel. Les Ismaéliens donnaient à la Raison incarnée le nom de.Xiitirj ou parlant et à l’Ame incarnée, celui d’Jsàs ou de base. Chaque Natif/ avait son asds : et il devait y avoir en tout sept de ces nâtiq ou prophètes, incarnations de la raison divine. Six d’entre eux avaient déjà paru : c’était Adam. Noé, Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet ; le septième était à venir, et ce serait le Mahdi. Ali était le sixième asds, la sixième incarnation de l’Ame universelle. Entre chacune de ces incarnations de la Raison, il y avait une chaîne de sept imams.

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présidant dans cette période à la vie religieuse du monde Le soleil était l’emblème du Nùtiq, la lune celui de VAsds, elles étoiles celui de l’Imam.

Les Ismaéliens furent organisés en société secrète. Les maîtres de la secte envoyaient des missionnaires dans les différentes parties du monde musulman ; ceux-ci soumettaient les adeptes à une initiation graduée.

Une branche intéressante de cette secte est celle des Karmates du Baliréin. Ces hérétiques lorracrenl un petit royaume à l’ouest du golfe Persique. Ils lirent des expéilitions contre Bagdad ; et ils réussirent à prendre la Mecque où ils violèrent la Kaabah et enlevèrent la pierre noire. Elle fut transportée dans leur capitale el-Ahsd ; et restituée par eux au bout de 23 ans.

Les llachichi ou Assassins, qui paraissent à l’époque des Croisades, sont une branche des Ismaéliens. Leur grand maître résidait à Alamout en Perse. Un de leurs chefs Raciiid kd-dim sinan, homme original, doué d’énergie et de talent, vint s’établir dans les montagnes de Syrie où il se rendit indépendant. C’est lui que l’on connaît sous le nom de « Vieux de la Montagne » (Vieux, c’est-à-dire chef, en arabe cheikh). Il parut dans l’histoire en 543 de l’hégire (Il 48), et mourut en 588 (1192). La puissance des Ismaéliens de Syrie fut détruite parle sultan d’Kgyple Beibars (v. St. Guyard, Fragments relatifs à la doctrine des /smaétis, iS^^) /.es Driizes ; les Nosaïris : tes Yézidis. — Les Druzes se rattachent aux Ismaéliens. Ils regardent comme une incarnation divine le khalife égyptien Hakem, qui descendait du troisième grand maître de la secte Ismaélienne, Obéid Allah. Cet Obcid Allah qui prétendait, à tort pense-t-on, appartenir à la lignée d’Ali et de Kàlimah, avait guerroyé dans l’Afrique du Nord pour y propager les doctrines malidistes, et il avait réussi à s’y tailler un royaume. Son arrière petil-lils, Moïzz li Uin-ellah, grand-père de Hakem, avait conquis Postât, le Vieux Caire, et fondé la nouvelle ville de ce nom. La dynastie de ces princes fut appelée dynastie des Pàtiniides du nom de Fàtimah.

Hakbm est une des figures les plus originales de l’histoire orientale, on peut même dire de toute l’histoire du monde. Fantasque et cruel, il vexa les Musulmans orthodoxes, et persécuta par accès les Chrétiens et les Juifs. Il imagina d’enlever les corps d’Abou Bekr et d’Omar de leurs séi)ulcres à Médine ; mais cet attentat ne réussit pas. Trente mille églises chrétiennes en Egypte et en Syrie furent ruinées par ses ordres, et parmi elles l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem (1010).

Un missionnaire Ismaélien appelé Ilamzah vint de Perse au Caire, et prétendit que Hakem était une incarnation de la Raison universelle. Cette opinion fut aisément admise jjar le khalife ; mais elle eut peu d’accès auprès de la population de l’Egypte. Un autre missionnaire, persan ou turc, du nom de Darazi, propagea cette croyance en Syrie, où elle obtint ])lus de succès. C’est de lui que procède la nation des Druzes.

Après des cruautés et des excentricités diverses, Hakem périt assassiné, un jour qu’il se promenait seul à âne dans la montagne, aux environs du Caire. On ne retrouva pas son corps (4 1 1 IL, 1020 Ch.).

La doctrine philosophique du druzisme n’est pas comprise ])ar la majorité des membres de cette nation. Son enseignementesl donné dans une initiation à plusieurs degrés, en sorte que celle religion n’a jamais été connue pleinement que de quelques initiés. Les écrits druzes sont assez nombreux

(v. Sylvestre de Sacy’, Introduction à la religion des Dnizes, 1838).

Les.Xosairis sont une secte qui habite la partie de la Syrie du Nord comprise entre l’Eleuthère, l’Oronte et la mer ; ils ont des colonies importantes à Antioche et à Adana. Leur religion est antérieure à celle des Druzes ; elle apparaît dans l’histoire dès le v" siècle de l’hégire. Les Nosaïris conservent dans leurs croyances ou dans leurs rites d’assez nombreuses traditions de l’ancien paganisme syrien ; elles s’y trouvent mêlées avec les doctrines chiites. Us ont divinisé Ali, l’ont confondu avec le ciel ou avec Elivon, et ont placé sa résidence dans le soleil ou dans la lune. Hainzah a écrit contre eux un traité dans lequel il revendique la divinité pour Hakem. Les Nosaïris ont aussi quelques livres (v. R. Dus-SAUD, La religion des.osairis).

Dans les montagnes au nord de Mossoul habitent les Yézidis. Celte petite nation a une religion qui lui est particulière, fort éloignée de l’islamisme même chiite ; leur culte est surtout formé de survivances d’anciennes traditions païennes, mêlées de quelques emprunts au christianisme et à l’islam. Ils ont pour centre religieux le tombeau d’un certain Cheïkh Adi, dont la vie n’est point connue. Ils adorent un dieu figure sous la forme d’un oiseau, coq ou paon. On les a représentés à tort comme des adorateurs du diable (v. Menant, Les Yézidis).

litlOisnie et Héhàisme. — A l’époque contemporaine, une religion très importante s’est détachée du cliiisme : celle du bàbisiue. Elle représente une évolution considérable de la psychologie religieuse en Orient, et linit par rejoindre quelques-unes des conceiilions les plus modernes ayant cours en Occident.

Celte religion fut fondée par Miitz.v Ali Moiiam-MRi), qui fut ensuite surnommé le Bab, c’est-à-dire <( la Porte » qui mène à la Vérité. Il naquit à Chiraz en 1819 (d’aprèsNicolas.en 18ji) ; il descendait, dit-on, d’Ali et de Kàtimah. Il fut élevé dans le commerce à Bender Buchir, et il s’allilia dans son adolescence à la secte cheïkhite, dans laquelle il devait recruter ses premiers adeptes. Sa prédication commença en 1844 Après avoir dit qu’il était le Bàb, il alla jusqu’à prétendre qu’il était i< le Vo

i, e nouqteh », c’esl-à dire le lieu de la manifestation de l’essence divine dans le monde. Ces nouveautés amenèrent des troubles en Perse ; le Bàb, ayant fait le pèlerinage de la Mecque, fui arrêté et eiui)risonné à son retour. Mais des missionnaires très ardents continuèrent son œuvre de propagande ; il faut citer parmi eux Mullali Hoséin, et une femme, l’héroïne de la secte, Kurret iil-Aïn. Le Bàb fui soumis jiar les autorités chiites à un i)remier examen qui ne donna pas de résultat net. On ne put le condamner ; on l’éloigna cependant, et on le tint enfermé à Makou, au pied de l’Ararat.

Le chah Mohammed mourut vers ce lemps-là en 1848. L’état de la Perse fut troublé. Un groupe de deux mille Babis se fortifia dans le Mazandéran. Le gouvernement les considéra dès lors comme de » révoltés et entreprit contre eux une guerre d’extermination. La citadelle des Babis du Mazandéran fut prise ; les défenseurs, ayant à leur tète Mullah Hoséïn, furent livrés à d’horribles supplices. D’autres Babis se forlilicrent à Zendjàn, entre Téhéran et Tébriz ; ils déployèrent, euxelleurs femmes, la ]>lus extrême énergie, et furent enlin exterminés. Vers la (in de ce siège, le gouvernement décida la mort du Bàb ; on le lit examiner de nouveau par quelques docteurs ([ui le déclarèrent hérétique, et on le fusilla à Tébriz (8 juillet 1850).

M. DK Gobineau et la plupart des auteurs disent que son corps futjelc aux chiens ; M.Nicolas (Se^jed 11$3

JANSENISME

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.4li Mohammed, dit le Bàb, igoS) affirme qu’il put être enlevé par des adeptes, et qu’il reçut une sépulture déliiiitive au pied du Mont Carmel.

Après la uiurt du fondateur, deux frères, fils d’un ancien ministre d’Etat, se partagèrent la direction de la secte. Us se nommaient Mirza Yahya et Mirza Hoséin ; le premier fut surnommé Subh-i-Ezei, c’est-à-dire

« matin d’éternité », et le second Bélià ullah, 

u splendeur de Dieu ». Ils se séparèrent au bout de quelque temps, et leur schisme donna naissance aux deux rameaux actuels du Bâbisme : celui des Béhàis et celui des Ezélis.

En 185’^ eut lieu un attentat bàbl contre le cbab Nasr ed-Din. A la suite de ce fait on exécuta un certain nombre de bàbis ; les plus bauts personnages de la cour tinrent à honneur d’être eux-mêmes leurs bourreaux, et les tirent mourir dans des supplices atroces. A ce moment-là on lit périr aussi Kuiret ul-Ain, qu’on avait évité de condamner jusqu’alors. D’après M. Micolas, on l’étrangla à demi, et on la jeta encore vivante dans un puits que l’on combla ; selon une autre version, on l’enveloppa d’une natte, et on y niit le feu.

Le liàbisme étant traqué en Perse, ses deux chefs s’enfuirent à Bagdad, d’où ils continuèrent leur propagande. En 1864, le Chah demanda au Sultan de les éloigner de sa frontière ; le Sultan leur assigna pour résidence Andrinople : c’est là que les deux frères cessèrent de s’entendre. Peu de temps après, en 1868, il furent relégués, Subh-i-Ezel à Famagusta, dans l’ile de Chypre, et Béhà ullah à Saint-Jeand’Acre. Béhà est mort en 1892 ; son lils Abd ulBéhà. connu en Syrie sous le nom d’Abbas Efendi, a pris la direction de sa secte.

La secte des Béhàis, beaucoup plus importante que celle des Ezélis, a complètement supplanté le Bàbisme original. Le Bàb avait beaucoup écrit ; mais ses livres sont fort peu connus, aussi bien des savants européens que des Bàbis eux-mêmes. Les seuls que lisent les Bàbis sont le lii’yân, le commentaire de la sourate « de Joseph » (chap. xii du Coran) ; le commentaire de la sourate « de r.près-Midi > (chap. cm) et le livre des sept preuves. Ce dernier et le Béyàn ont été traduits en français par M. Nicolas. La langue de ces écrits, qui est du persan mêlé d’arabe, présente diverses particularités.

Béhà a écrit aussi beaucoup de livres, plus lus des Bàbis que ceux du fondateur. MM. Hippolvte Dreyfus et Habib Ullah Chirazi ont traduit en français le Livre de la Certitude et les Paroles cachées. Béhà a à son tour été divinisé par les adeptes de sa secte. Son fils a pris le surnom d’Abd ul-Béhà, c’est-à-dire serviteur de Béhà, de même que les

Musulmans aiment à s’appeler Abd Allah, « serviteur de Dieu ». Ce lils continue l’enseignement de son père. On peut lire sur sa vie et sur sa doctrine : Ahbos Ejendi, liis Life and teacliings, par Mvron H. Phelps, et les Leçons de Sainl-Jean-d’Acre, recueillies par Laura Clifford Bar.ney, traduction française, 1 go8.

D’après la doctrine bàbie, Ali a été le premier Bàb ; Mahomet a dit de lui : « Je suis la cité de la science, et Ali en est la Porte (Bàb). » Après la mort des imams successifs, cette porte a été fermée ; et elle ne devait être rouverte que par le douzième imam, lors de sa réapparation. Le Bàb a prétendu être cette porte et ce douzième imam ; il a dit : u La porte est ouverte et je suis cette porte, u Chez les Ismaéliens, Aaron a été considéré, par rajiport à Moise, comme « la porte » ou a l’introducteur », et en général chaque asâs a été bài, par rapport au nâtiq (imam). Chez les Bàbis, comme chez les Ismaéliens, Dieu produit son attribut, la Volonté, qui crée le monde, afin qu’il soit connu. Son autre allribut, la Vérité, s’incarjie dans un prophète au début de chaque période prophétique. Le prophète ou l’imam est « le point » de cette vérité. La doctrine est un peu moins nette chez les Bàbis que chez les Ismaéliens ; car, dans la terminologie bàbie, le bàb réunit les titres des imams, des asàs et des nàtiq, et il en est de même d’Ali.

Mais l’esprit général de cette religion est plus intéressant que sa théologie. C’est un esprit très doux, très libéral, qui se rapproche de celui de certaines sectes protestantes à tendances mystiques. Il puise un peu partout : dans la Bible et dans l’Evangile, dans la philosophie grecque et dans la scolaslique ; il cherche à unir les religions, comme faisait parmi nous il y a quelques années le néo-christianisme. C’est un esprit qui se complaît dans la religiosité, mais qui est peu soucieux de liturgie et de dogmes. Les apôtres bàbis s’adressent à chacun selon ses croyances, d’après l’ancienne méthode des missionnaires ismaéliens ; ils s’appuieront sur le Coran, s’ils parlent à un musulman, sur l’Evangile si c’est à un chrétien ; avec un libre penseui-, ils invoqueront des arguments scientifiques. On les voit très préoccupés de modernisme, et au courant des fait.- religieux les plus récents ; ils connaissent le théosophisnie, et le combattent sur quelques points, notamment en ce qui concerne la multiplicité des existences. En politicjue et en sociologie les tendances de la secte sont nettement progressistes. Le Bàbisme a séduit beaucoup d’àmes dans le monde anglo-saxon. Il a déjà joué, et il jouera sûrement encore un grand rôle dans l’évolution du monde oriental.

Baron Carra de Vaux.