Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Libéralisme

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 917-927).

LIBÉRALISME. — I. Position de la question et définitions. — IL Histoire du Libéralisme. — III. Critique. — Conclusions. — Bibliographie.

I. Position de la question. — Il faut tout d’abord circonscrire notre champ d’étude et préciser le point de vue auquel nous nous plaçons.

Le Libéralisme, en tant qu’il implique l’indépendance de la raison à l’égard de la Révélation et — je ne dirai pas, la distinction, ce qui est la vérité — mais la séparation de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, revendiquant pour celui-là le droit de se constituer, de se développer, d’agir, sans tenir compte de celui-ci, mérite à proprement parler. les noms de libre pensée, de rationalisme, de naturalisme. 1823

LIBÉRALISME

1824

Le naturalisme d’un certain nombre d’hommes revêt un autre caractère. Quoi qu’il en soit de la possibilité et de l’existence de l’ordre surnaturel et révélé, et quels que soient dans là sphère de la conscience privée les droits de cet ordre surnaturel, ils estiment que, la question de reli}, ’ion positive étant une alîaire purement individuelle, l’Etat, tout en assurant aux citoyens qui appartiennent à un culte quelconque la pleine liberté de le suivre, peut et doit, pour sa part, exercer le sacerdoce de l’ordre naturel et poser l’éducation nationale, la législation et toute l’organisation sociale sur un fondement neutre, ou plutôt sur un fondement commun, et résoudre ainsi en dehors de tout élément révélé le problème de la vie sociale et du gouvernement public. Ce système, comme il est facile de le comprendre, souffre comme une inlinité de nuances et de modilieations. Prenons-le sous sa forme la plus atténuée, et écoutons le cardinal PiK, qui est vraiment le maître dans cette question délicate, l’exposer avec une grande exactitude : « Des chrétiens ont paru penser que les nations n’étaient pas tenues, au même titre que les particuliers, de s’assimiler et de confesser les principes de la vérité chrétienne, que des peuples incorporés à l’Eglise depuis le jour de leur naissance pouvaient légitimement, après une profession douze ou quatorze fois séculaire du christianisme, abdiquer le baptême national, éliminer de leur sein tout élément surnaturel, et, par une déclaration solennelle et retentissante, se replacer dans les conditions de ce qu’ils croient être le droit naturel ; entin que la génération héritière de celle qui aurait accompli, en tout ou en partie, cette œuvre de déchristianisation légale et sociale, pouvait et devait l’accepter, non pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès des temps nouveaux, que dis-je, comme un bienfait même du christianisme, lequel après avoir conduit les peuples à un certain degré de civilisation, devait se prêter volontiers à l’acte de leur émancipation, et s’effacer doucement de leurs institutions et de leurs lois, comme la nourrice s’éloigne de la maison quand le nourrisson a grandi. Conséquemment à cela, ils ont déclaré que le droit essentiel du christianisme ne s’étendait |>oint au delà d’une part relative dans la liberté conuuune et dans l’égale protection due à toutes les doctrines. Ils ont été jusqu’à demander à l’Eglise de descendre dans les replis de sa conscience, d’examiner si elle avait été assez juste par le passé envers la liberté, et, dans tous les cas, de comprendre que, puisqu’elle s’accommodait aujourd’hui de la facilité laissée à ses défenseurs, elle ne pouvait, sans ingratitude et sans déloyauté, refuser de sanctionner à l’avenir, partout et toujours, ce système de libéralisme, à la faveur duquel on pouvait encore plaider sa cause à l’heure présente. » {Troisième Instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent ; Œuvres, tome V, p. 172.)

Après cela, il me semble que nous pourrions définir ce lihérnlisme^ un système de fie politique et sociale, d’après lequel l’élément civil et social ne relève que de l’ordre humain et peut — certains plus osés iraient jusqu’à dire, doit — se poser et agir sans aucune relation obligatoire de dépendance envers l’ordre surnaturel ; c’est cette forme spéciale de naturalisme, qui constitue le liliéralisme, que nous avons dessein d’exposer, d’étudier et de discuter dans cet article, et jiarce qu’il a particulièrement sévi parmi les catholiques ; on l’appelle ordinairement Libéralisme c{ilholique ou Catlmlicisme libéral.

L’abbé Jules Mouix a quelque part donné du catholique libéral cette dcflnition humoristique qui ne manque pas de piquant et de justesse : « Le catho lique libéral est celui qui, pour la sauvegarde de l’Eglise, préfère le droit commun au droit canonique. »

H- Histoire du libéralisme. — Première période : V « Avenir » et la condamnation de Lamennais. — Le catholicisme libéral naquit de la Révolution de 1830 et du génie troublé d’un grand homme. L’abbé dr Lamennais, mécontent de tous les gouvernements en général, de celui de la France en particulier, s’était demandé si le vaisseau de l’Eglise n’allégerait pas de beaucoup sa marche en jetant par-dessus bord les embarras incessants dont le surchargeait son union avec l’Etat ; emporté par son ardeur qui connaissait trop peu la mesure, il s’était répondu : oui, et en face du pouvoir nouveau il faisait appel à la seule liberté : liberté en tout et pour tous. Plus de concordat, plus d’attaches ministérielles, plus de budget des cultes. Le sacrifice pouvait paraître grand, mais qu’était-ce au prix de la liberté ? Sans doute, il y aurait de rudes épreuves à subir, des jours i)énil)les à traverser ; mais quelle joie d’être libres, de se poser en défenseurs de la liberté j)ure I Quelle splendeur jusqu’à cette heure inconnue recevrait la religion de ce plein dégagement terrestre ! Poiir peu qu’on ait entr’ouvert l’histoire, on sait assez la gêne que l’Etat impose à l’Eglise. Ce régime vieilli, décrépit, allait finir : une ère nouvelle allait s ouvrir. L’ordre nouveau procurera, grâce à la liberté, une puissance considérable au catholicisme. Depuis le seizième siècle, le progrès religieux a été ralenti par deux causes, la scission entre la science et la foi, la servitude de l’Eglise envers le pouvoir politique : aussi l’esprit humain a-t-il marché en avantsans l’Eglise. L’union de la science et de la foi ne peut se refaire que par la liberté. Partout où s’est établie la i.berté de penser et d’écrire, il se manifeste une tendance visible de la foi vers la science et de la science vers la foi : tandis qu’ailleurs elles vont se divisant de plus en plus. La servitude envers le pouvoir disparaît grâce aux révolutions, qiii préparent ainsi les victoires futures de l’Eglise. Plus la liberté sera entière, plus le catholicisme grandira, car il possède la puissance de la vérité et de l’amour, la puissance même de Dieu. Le système ancien, si régulier et parfois si brillant en apparence, fut la source de guerres continuelles entre les deux pouvoirs. Dans le système futur, le peuple, revenu librement à la foi, aura un gouvernement dépourvu de tout pouvoir sur les idées, et c’est à l’Eglise seule et à son chef qu’il obéira dans les choses spirituelles. La liberté s’alliera tellement à cette haute souveraineté, qu’elles seront le fondement et la condition l’une de l’autre, et ne pourront ni exister, ni même être conçues séparément. L’Eglise et l’Etat n’ont donc plus qu’à se faire leurs adieux, reconnaissant que leur union avait été une ]>rcparation évangélique. une tutelle du genre lnnnain ; mais la minorité était achevée et la plénitude des temps allait commencer.

Ces idées, développées avec une conviction ardente et une force éloquente par M. de Lamennais, ravissaient le groupe d’esprits d’élite et de cœurs généreux, réunis autour de lui à la Chênaie. Elles inspirèrent l’Avenir, où l’âge nnir du maître était secondé par la jeunesse hardie, intelligente et vaillante d’un LAconnvmE, d’un MoNTALKMnEUT. Elles ne laissaient pas que de dérouter, de décontenancer et même d’effrayer les anciens du sanctuaire, tandis que les plus jeunes, sous l’éblouissement, se grisaient des paroles du maître. La déception survint rapide. Home, vers laquelle ou s’était tourné, et que l’on avait comme forcée de se prononcer, ût entendre sa voix. L’Encyclique Mirari ros, de Orkooire XVI, du 1825

LIBERALISME

1826

15 août 183-2, fut un coup de foudre ; mais elle apporta la lumière, car rien n’est plus clair que l’Encyclique Miiari vos, si ce n’est l’Encyclique Quanta cura de PiK IX. L’acte pontitical révéla ce qu’il y avait au fond des cœurs. A de très rares e.xccplions près, les jeunes disciples du grand homme s’inclinèrent, et, nous dit un témoin de ce temps, l’année suivante, l’école étant dissoute et les élèves étant rentrés dans leurs diocèses respectifs, les évêques exigeant un acte de soumission à TEncyclique, cet acte de foi fut signé avec un esprit de foi parfaite : M. de Lamennais resta seul à la Chênaie abandonné.

Ici finit la première période du libéralisme catholique. Et il y eut jusqu’à 1848 une époque où les catholiques militants, voulant forcer le régime de 1830 à tenir sa promesse, menèrent contre le monopole universitaire et en faveur d’une sérieuse liberté d’enseignement, une campagne bien conçue dont Dieu devait tinir par bénir les efforts. On peut lire dans les Mélanges de Louis Veuillot, dans les œuvres du comte i>E MoNTALEMBBRT, dans les discours du Père LAConovinB, dans les écrits simples, clairs, d’une logique irréfutable du grand évêque <le Langres, Mgr Pauisis, tout ce que cette défense des droits de la famille a inspiré de pages enflammées parla passion surnaturelle, et rehaussées par l’éclat d’une forme magnifique. Que, dans le feu et la poussière de la bataille, l’on n’ait pas quelquefois un peu oublié les principes de l’Encyclique et que, dans l’entraînement de la polémique journalière, il ne soit pas arrivé aux catholiques de ne pas assez se tenir sur le terrain strictement lé)ial, dans l’hypothèse. comme on dira plus lard, en s’égarant sur le terrain de l’absolu, c’est ce qu’il est impossible de nier. C’est ce que le plus sage de tous, le plus fermement théologien, Mgr Parisis a confessé, en retirant plus tard du commerce la première édition de ses fameux dis de conscience politiques, et en en donnant une édition nouvelle, bien différente de l’ancienne.

Sur ces entrefaites, éclate la Révolution de 18^8. Nous louchons à la Seconde période du libéralisme catholique, /.a seconde République et le second Empire. Nomelle condamnation pontificale du libéralisme. — Avi lendemain de la journée du 2/1 février, tout le monde eut la fièvre, et il faut convenir qu’il y eut beaucoup d’excès commis de bonne foi et qui portaient leur excuse avec eux-mêmes.

L’Encyclique J/iVari paraissait bien vieille, ensevelie sous la poudre des années : on disait même que le nouveau pape l’avait déchirée. Le P. Lacordaire songea à ressusciter l’Avenir. Il eut d’abord la pensée de dénommer le nouveau journal l’Ere chrétienne, mais on lui fit remarquer que l’ère chrétienne durait depuis 1848 ans, et qu’iln’y aurait là rien de bien nouveau. L’illustre dominicain sentit la justesse de cette réflexion et le journal s’ap|)ela l’Ere nouvelle. Ce journal mêlait à des tendances sociales, assez rares alors chez les catholiques, son libéralisme très avancé et son amour de la démocratie et (le la république, que nous avons retrouvé plus lard sur les livres et sous la plume de nos démocrates contemporains du.’Villon. Avec Lacordaire, deux hommes d’un mérite inégal, M. l’abbé Ma rut qui devait finir dans le gallicanisme que l’on sait, et le pieux et docte Ozanam couvraient de leur patronage ce nouvel Avenir. h’Ère nouvelle eut d’abord un succès rapide, mais ardemment combattu par MoNTALEMBBRT et par ITnivers du, à côté de Louis VEUir.LOT. on remarquait le savant Melcliior Dulac, d’une science si claire et si sûre. Sa destinée fut courte, et il disparut au bout de quelque temps.

Après le coup d’Etat, les divisions qui avaient

Tome II.

commencé à se faire jour parmi les catholiques ne firent que s’aggraver. Il n’entre pas dans le plan de ce résumé historique d’en faire le récit. Il suffira de dir » qu’il y eut dans l’Eglise de France vin parti nettement ultramonlain et antilibéral, et un parti semigallican et libéral, d’un libéralisme plus ou moins accentué, ayant, l’un son journal, l’Univers, et l’autre une revue très bien faite, le Correspondant. Autour de celui-ci se groupaient MM. de Montalkm-BERT, UE Falloux^ DE Broglie, Augustin CociiiN, auxquels venaient donner une aide puissante deux hommes éiuinents dans le clergé : l’un le P. Lacordaire, retiré à Sorèze, l’autre Mgr Dupanloup, l’actif et vaillant évêque d’Orléans, déjà connu par une brochure qui avait fait bruit sous le litre de La Pacification religieuse. Dans l’autre camp, il faut signaler au premier rang Mgr Pis, qui, tout jeune encore, avait marqué sa place parmi les plus illustres pontifes de l’Eglise de France, et le très docte abbé de Solesmes, le restaurateur de la liturgie romaine parmi nous. Les communautés religieuses elles-mêmes n’échappaient pas à la scission, et jusque dans les Instituts les plus fermement attachés à la tradition, on vit se produire des défaillances et des fléchissements. Les deux partis, le libéral et l’antilibéral, suivaient le sentier de leurs afTirmations et de leurs prétentions avec des vicissitudes diverses et des soubresauts de querelles qui ne s’apaisaient jamais tout à fait. Pie IX, auquel certains avaient voulu, à cause des débuts de son pontificat, faire une réputation de libéral, accusait, par des allocutions et par des actes significatifs, ses préférences pour l’école antilibérale. Force était bien de l’avouer, et l’on ne pouvait se dissimuler que le Pape, qui avait, au début de son règne, soulevé les acclamations dos enthousiastes de la liberté, continuait la tradition doctrinale du Pape de l’Encyclique Mirari vos. Les libéraux ne se découragèrent pas, et ils afiirmèrent leurs idées par un livre et par un discours.

Le livre : Les Principes de S9 et la doctrine catholique, fut écrit en 18bi par M. l’abbé Godard, professeur au grand Séminaire de Langres. Il étudiait la. Déclaration des Droits de l’Homme rédigée par la Constituante, et confrontait chaque article successivement avec les opinions des trois grands théologiens classiques, saint Thomas, Bellarmin et Suarez. L’accord paraissait complet à l’auteur. L’article x, par exemple, sur les opinions religieuses, est acceptable pour les catholiques : en permettant de punir des manifestations dangereuses, il exclut la liberté illimitée que l’Encyclique Miruri vos a seule condamnée. Certains catholiques pensent que la liberté des cultes est bonne par elle-même. D’autres la jugent mauvaise en principe, mais acceptable dans l’intérêt de la société civile. Le commentaire des autres articles montre également que les catholiques peuvent accepter la Déclaration des droits : ce que les papes ont condamné, ce sont les interprétations abusives présentées par les révolutionnaires. Le livre, très vanté par M. CocniN, fut mis à l’Index ; mais l’auteur obtint par l’entremise de Mgr Dupanloup la permission d’en donner une seconde édition très expurgée, sans l’être peut-être assez au jugement de certains.

Le discours — ou plutôt les discours — furent prononcés les 20 et 21 août 1863, au grand Congrès catholique de Malines par le comte db Montale.m-RKRT. Ces harangues, dans lesquelles le grand orateur ne voulut rien laisser au hasard de l’improvisation, donnent la formule la plus complète, la plus vigoureuse du libéralisme catholique, tel que la comprit cette génération.

L’importance de ces discours nous engage à en

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donner une brève analyse. Les calboliques, dit Montalembert, sont généralement faibles et impuissants dans la vie publique. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas encore pris leur parti de la Révolution qui a enfanté la société nouvelle. Or le fait évident, c’est que la démocratie grandit toujours ; ce déluge monte sans cesse. Pour qu’elle ne soit pas funeste, il faut corriger la démocratie par la liberté ; concilier le catholicisme avec la démocratie. Voilà ce que doivent faire les catholiques. Pour y arriver, qu’ils renoncent au vain espoir de voir renaître un régime de privilèges, ou une monarchie absolue favorable à l’Eglise ; qu’ils ne donnent aucun prétexte aux déliances populaires. La démocratie réclame avant tout deux choses : l’égalité politique et la liberté religieuse ; lorsqu’ils l’auront pleinement rassurée là-dessus, les catholiques pourront lui apprendre à aimer aussi la liberté politique. Celle-ci est nécessaire à l’Eglise ; elle lui est plus avantageuse que la protection des rois ; le catholicisme français fut plus brillant au temps de l’Edit de Nantes qu’après la Révolution ; la religion, impopulaire sous Charles X, a retrouvé son prestige sous Louis-Philippe. C’est ce que n’ont pas couqiris certains catholiques français, imiirudemiuent ralliés à l Empire. Certes, la démocratie est menacée par de grands dangers, l’esprit révolutionnaire, la jalousie contre toute supériorité, les progrès d’une centralisation étoulfante. C’est la religion qui peut remédier à tous ces défauts, pourvu que les catholiques inspirent pleine confiance dans leur sincérité.

Le second discours de Montalembert est consacré spécialement à la liberté religieuse. Les catholiques se délient d’elle, et à tort. Ils la croient d’origine antichrétienne : c’est l’Eglise qui l’a inaugurée au tem])S des martyrs. Ils la voient invoquée surtout par les ennemis de l’Eglise ; mais ce sont précisément ces derniers qui l’ont violée contre les catholiques, pendant la Réforme et la Révolution. Ils croient que l’Eglise perdra au régime de la liberté, mais elle n’a rien à y perdre : la protection des gouvernements absolus en Espagne, en Portugal, en Piémont, a provoqué des réactions furieuses contre l’Eglise. Elle n’a qu’à y gagner, puisque dans la plupart des pays européens les catholiques souffrent surtout du manque de liberté. Les témoignages de nombreux évéques prouvent que ce régime na rien de condamnable. Faudra-t-il donner aussi la liberté, à l’hérésie, à l’erreur ? Oui : la persécution faite au nom de l’Eglise est aussi odieuse que la persécution dirigée contre elle. N’imitons pas la déloyauté de certains catholiques inlidèles à leurs promesses. Le droit commun est à l’heure présente le seul asile de la liberté religieuse. L’Eglise aujourd’hui est assez forte, assez vivante pour n’avoir rien à craindre de la liberté donnée à tous. Il y avait là une paraphrase de la formule célèbre : L’Eglise libre dans l’F.tul libre.

Les discours de Montalembert em-ent un retentissement énorme. Comme après le concile de Ilimini, saint Jérôme aurait pu dire que le monde se réveilla étonné d’être libéral. Rome, moins accessible aux surprises d(^ l’cnlhousiasme, se recueillit. Elle pratique volontiers les sages temporisations, et personne mieux qu’elle ne connaît l’art de se taire et de parler quand il faut. Pib IX s’abstint d’un blâme public, il se contenta de faire témoigner son mécontentenu’ut à Montalembert par une lettre confidentielle du cardinal Antonelli. Le grand orateur ne parut pas au second congrès de Malines, en 186, ’i ; mais comme le libéralisme sous cette forme plus récente n’était pas en(H)re ofliciellement condamné, Mgr DuPANLoui’et le P. Félix lui-même allèrent en

Belgique, soutenir des idées semblables à celles de leur ami. Le célèbre conférencier de Notre-Dame, dont l’esprit de mesure était bien connu, aflîrma que l’Eglise, après avoir résisté à la persécution comme à la protection des rois, saurait bien s’accommoder de la liberté : il en donnait comme preuve la Grande-Bretagne « où chaque degré ascendant de la liberté publique mesure le progrès croissant delà vie catholique », et l’Amérique « où cinquante nouveaux diocèses, fondés en moins de cinquante ans, montrent, à ceux qui savent voir et comprendre, comment la liberté nous tue ».

Pie IX répondit aux libéraux et à leurs défenseurs, trois mois après — 8 décembre 1864 — par l’Encyclique Quanta cura, et par le Syttabus qui y était joint.

La promulgation de l’Encyclique Quanta cura et du Syllabus (voir ce mot) fil entrer le libéralisme catholique dans une troisième phase.

Troisième période du libéralisme catholique. Commentaires de l’Encyclique et du Syllabus. Mgr Dupanloup. Conciie du Vatican. Pontijicat de Léon XIII.

— La publication des documents pontificaux causa dans les rangs de l’école libérale un grand émoi, on le comprend. Toutes les phrases portaient contre eux ; c’était la condamnation de leurs idées et de leurs tendances ; il était impossible de s’j' méprendre.

— Il paraît que MoNrALp ;.MDi ; RT, Coc.hi.n, Bkoglie, étaient d’avis de renoncer à la lutte et de quitter le Correspondant : c’était là le parti le plus sage à prendre ; — FoissET, Mkaux et Fali.oux pensèrent autrement, et Mgr DupANLOUP jugea comme eux. L’action de l’illustre évêque d’Orléans devint prépondérante ; l’iniluencc considérable qu’ilexerça, servie par toutes les ressources d’une riche nature, était en outre rehaussée par l’éclat des services rendus, par une piété sincère, par une austérité de vie sacerdotale édifiante, et par un dévouement que rien ne lassait. — Il se mit à l’œuvre, et avec la rapidité comme foudroyante qui caractérisait son mode d’agir, il fit paraître la célèbre brochure qui avait pour titre : La Convention du 1.’} septembre et l’Encyclique du 8 décembre ISC’i. Presque tous les évêques du monde catholique en reçurent un exemplaire. Six cent trente envoyèrent à l’auteur des félicitations ou tout au moins des remerciements. Pie IX, à qui Mgr Duiianloup fit liomluage de sa brochure, répondit par un bref assi/ vague, et dans lequel, pour qui sait lire, il est facili de saisir une réserve discrète. Rome ne blâmait pas cette explication minimisle de la vérité ; elle laissait passer, et la doctrine de l’Encyclique et du Syllabus, interiirèle de sa pensée olFicielle et publique, demeurait dans sa solide intégrité. Il }’axait un an — en août 1863 — que le savant évêque de Poitiers, Mgr Piii, qui parlait toujours en docteur, avait exposé dans sa Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps, la pleine et sûre doctrine. Je ne sais pas d’écrit où l’erreur du libéralisme soit aussi clairement exposée et aussi solidement réfutée que dans ces pages de l’illustre successeur (le saint Ililaire. En fait, <piol(iue les mêmes tendances persistassent, habilement atténuées, l’école libérale fut en théorie plus pruilente et moins accentuée. — Les esprits réfléchis et qui ne se laissaient pas emporter par la passion, mauvaise conseillère, revinrent à nue plus saine appréciation des choses. Ecoutons Mgr d’Hlh.st qui, il l’avoue avec nue belle simplicité, était partisan de la thèse libérale ; son témoignage est de poids : « L’Encyclique de iS6/|… fut pour plusieurs une épreuve, mais une épreuve salutaire. J’étais à Home quand elle parut. J’achevais mes études théologicpies, et je n’oublierai jamais la surprise, l’émotion, l’inquiétude où me 1829

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1830

jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis clairement qu’il y avait quelque chose à changer dans ma conception de la société. Le premier moment de stuiicur passée, je relus l’encyclique Mirari vos, si profondément oubliée depuis quinze ans, je la rapprochai de celle de Pie IX ; il n’y avait pas de doute possilde : la tradition catholique était incompatible avec la théorie impliquée dans le libéralisme : pour demeurer lidèle à la première, il fallait réformer profondément la seconde. Le souvenir de cette évolution intérieure sera ineffaçable dans mon âme. Commencée dans la tristesse et dans le trouble, elle s’acheva dans la joie et dans la paix. Mais depuis lors, il m’a été impossible d’admettre que l’erreur libérale n’eût jamais existé ; car j’avais à la fois conscience et de l’avoir constatée en moi-même et de ne l’avoir pas inventée. » (Le Droit chrétien et le Droit moderne. Etude sur l’Encyclique Immorlale Dei ; Préface, p. XIV et XV.) Le distingué prélat ajoute, et je crois que l’optimisme dont il fait preuve eût été mis à une rude épreuve, s’il avait vécu jusqu'à nos jours :

« Ce qui est vrai, selon moi, c’est que l’année 1864

vit (inir cette erreur… Ce qui a survécu aux doctrines, ce sont les tendances. » Ces tendances, on les surprenait un peu partout, dans les discours, dans les articles de journaux, dans les brochures, dans la manière de comprendre et d’interpréter certains faits considérables de l’histoire de l’Eglise ; elles se firent jour surtout, sous une forme spéciale que je n’ai ni à exposer ni à juger ici, au cours du concile du Vatican.

Survint le Pontificat de Liio.N XIII, si fécond en encycliques qui ont illuminé les diverses parties du champ de la doctrine : parmi ces Encycliques, l’une des plus belles à coup siir, et l’une des plus fécondes en enseignements, est l’Encjclique Immorlale Dei, sur la constitution chrétienne des Etats, publiée le " novembre 1885. En ce qui touche le libéralisme, le Pontife, qu’on peut appeler docteur et pacificateur, maintient avec autant de fermeté que ses prédécesseurs la doctrine, il cite et confirme l’Encyclique Mirari vos, l’Encyclique Quanta cura eXe Syllabus qui en est inséparable, mais il s’attache en même temps à dissiper les malentendus, à expliiiuer les tempéraments pratiques que les meilleurs interprètes de l’Encyclique Quanta cura avaient aussitôt formulés sous le nom d’hypothèse. Us tiennent tout entiers dans ces trois phrases de l’Encyclique /mmortale Dei :

(t II n’y a pour personne de juste motif d’accuser l’Eglise, soit de se refuser aux concessions et accommodements raisonnables, soit d'être l’ennemie d’une saine et légitime liberté. — En effet, si l’Eglise, juge qu’il n’est pas permis de mettre les divers cultes sur le même pied légal que la véritable religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d’Etat qui. en vue d’un bien à atteindre, ou d’un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans l’Etat. — C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholi<(ue contre son gré, car, ainsi que l’observe saint Augustin : L’homme ne peut croire que de plein gré. »

Nul ne peut le contester, à moins d'être de parti pris, ou d’avoir délibérément rompu avec la chaîne de la tradition catholique : il y a dans ces tempéraments, qui laissent intacte la doctrine (la thèse) et qui tiennent largement compte des difficultés ou des impossibilités que rencontre en certaines circonstances l’application intégrale de la thèse (c’est Vhrpothèsc), tout ce qu’il faut pour désarmer les préventions des esprits sincères.

Aussi, en dépit des soubresauts inévitables, malgré la dilTérence de tempéraments et la diversité des tendances, la tempête se calma et la paix s'établit peu à peu. C'était répo(]ue de la plus grande floraison de cette œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers, recrutée parmi les fidèles les plus vaillants, et qui déclarait hautement en tête de son programme public qu’elle aviiil pour principes les dé/initions de l’Lglise sur ses rapports avec la société civile. — Le libéralisme politico-religieu.r avait disparu comme doctrine, il subsistait, à coup sûr, comme tendance, et il se traduisait par une disposition à exagérer les exigences de l’hypothèse, à réduire au delà du nécessaire les droits publics de l’Eglise et les devoirs de l’Etat ; il s’accusait aussi, soit par des jugements peu équitables sur un passé où la thèse était plus en honneur, soit par une prédilection marquée pour des institutions et pour des formes de gouvernement qu’on est convenu d’appeler /(7)ér « /es. On s’habituait trop à confondre les libertés publiques avec le parlementarisme — confusion des plus regrettables ; car les saines et solides libertés publiques peuvent avoir une autre base et une autre sauvegarde qu’une constitution à la mode anglaise, et le mécanisme parlementaire — nous en faisons la douloureuse expérience — peut être manié d’une fai, on lyrannique. — Sous l’empire de ces causes et de mille influences diverses, on oublia un peu trop, en maintes circonstances, la pureté de la doctrine, et l’on crut gagner beaucoup auprès des adversaires, et surtout auprès de la masse indifférente, en se réclamant — sans faire les réserves nécessaires — des fameuses libertés modernes, en revendiquant presque uniquement pour l’Eglise le droit commun. Je le sais, il y a là, pour plusieurs, une question d’accent, mais qui ignore que, dans le discours ou dans la conversation, la question d’accent n’est pas sans importance ? — Peu à peu se firent jour, parmi les catholiques, des divisions, qui ont leur principe dans de multiples conflits intellectuels, religieux, politiques et sociaux. Il se forma une atmosphère imprégnée de modernisme et de démocratisme, très favorable à une nouvelle éclosion du libéralisme. L’Encyclique Pascendi, la Lettre magistrale de Pie X aux évêques de France, signalant et condamnant ce qu’on peut appeler le modernisme social du Sillon, montrent que la plaie mal cicatrisée se rouvre toute sanglante. Je ne veux pas m'élendre : il est bon cependant de citer certains textes significatifs.

Ainsi, dans le Jlullelin de la Semaine du 12 juillet 1911, un homme qui a joué un rôle important dans le mouvement de la vie politico-religieuse à notre époque, M. Georges Foxsegrivk. proposait une théorie qui ne paraît pas être très différente de la théorie des premiers libéraux : « L’Eglise ne peut admettre ni la liberté de l’erreur, ni l’indifl'érence, ni la neutralité : elle a le devoir de proclamer la vérité, de signaler l’erreur ; mais ce pouvoir est tout entier spirituel. Son autorité ne saurait avoir de prise que sur ses enfants ; elle ne demande aux puissances de chair que de la laisser libre, libre d’enseigner selon ses fins propres, selon sa constitution, que de la proléger contre ceux qui voudraient lui ravir cette liberté d’enseignement, de prédication, de discipline spirituelle. L’Etat doit protéger les citoyens catholiques comme tous les autres, leur assurer, comme à tous les autres, les conditions matérielles d’un développement spirituel où il n’entre pas, où il ne peut pas entrer. « Tout cela n’est pas liien neuf : c’est la thèse rebattue du droit commun. M. Fonsegrive remarque, non sans mélancolie, que cette théorie « a le grand défaut de n’avoir été, à notre connaissance du moins, 1831

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soutenue par aucun lliéologien calliolique autorisé ». — C’est un inconvénient grave, en elFet ; mais ce qui est beaucoup plus grave, c’est que l’Eglise enseigoe et impose une doctrine toute difTérente. Un autre écrivain catholique, historien de très grande valeur, membre de l’Institut, M. Imb.vut de La Tour, a, dans le Bulletin de la Semaine (2, 8 août, 20, 37 décembre 1911, 10 et 17 janvier 1912), à propos d’un livre du P. Laberthonnicrc, et d : in5 une réponse étendue aux critiques faites dans les Etudes, 5 octobre igi I, par le P. Yves de la. Bkiërb, formulé une doctrine qui nous ramène bien en arrière, aux jours où le libéralisme religieux doctrinal s’alfirmail delà façon la plus nette. Le savant professeur est, dans ses divers écrits, l’adversaire décidé de la thèse traditionnelle, sanctionnée à diverses reprises par le Magistère infaillible. Son réquisitoire habile, courtois, n’est pas, quoique généralement mesuré, exempt de passion, et l’on peut y surprendre, en plus d’un endroit, une ardeur qui cadre mal avec la gravité requise chez l’historien ou l'écrivain qui ]>énètre lans le champ de la théologie. — M. Imljart de La Tour, n’est pas le premier venu, son manifeste — je puis bien lui donner ce nom — est un événement dans le monde de la pensée catholique, car il est l’expression éloquente, raisonnée et savante, d’un groupe nombreux de jeunes hommes qui semblent avoir trop oublié et trop peu appris. Les vieilles discussions soulevées par l’Ai’enir sont engagées de nouveau. Depuis quelques années, elles reprennent vie et chaleur. Je n’accuse personne en particulier de mépris, pas même d’indilTérence pour la parole des Souverains Pontifes ; mais je n’en ai pas moins la ferme conviction que des doctrines condamnées par l’Encyclique Mirari vos de GniÎGoiUE XVI, par l’Encyclique Quanta cura de Pie IX, par l’Encjclique linniortale Del de LiioN XIII, trouvent souvent place aujourd’hui dans des publications ou des discours faits au nom et dans les intérêts de la religion. Nous avons donc le devoir impérieux de dire le droit et la vérité, et d’exposer dans son intégrité, sans l’exagérer et sans diminuer, la doctrine traditionnelle et catholique. C’est ce que nous allons faire, après que nous aurons consacré quelques lignes à ce qu’on peut appeler le Libéralisme économique.

Noie sur le Libéralisme économique.

h’Economie sociale est, à bien prendre la chose, a La science des lois qui doivent gouverner l’activité humaine, dans l’ordre des intérêts matériels de la société ».

Le socialisme inscrit en tête de son programme : propriété collective et nationale des instruments de travail ; administration des forces économiques exercée directement par l’Etat, représentant la démocratie.

L'école catholique et traditionnelle cherche la solution de la question sociale dans la liberté individuelle el corporative, aidée par l’Etat, ins[)irée par l’Eglise, par la justice et par la charité chrétienne.

L’Ecole libérale a pour devise : liberté individuelle absolue dans l’ordre économique ; abstention de l’Etat.

Le libéralisme économique applique dans l’ordre des intérêts malcTies le postiilatum de la liberté, si cher à tous les libéraux. Tous les maux proviennent des restrictions imposées à la liberté. La liberté dégagée de toutes les entraves est le seul élément de progrès, d’harmonie et de paix sociale. Les partisans de cette école aiment à répéter que l’Intérêt personnel amènera infailllblrment l’individu libre à agir pour le plus grand bien du corps social,

et que la libre concurrence est une loi providentielle d’harmonie entre les diverses classes sociales. L’intérêt personnel, mobile unique de l’activité économique ; la libre concurrence, principe fécond de prospérité ; des lois naturelles produisant nécessairement l’harmonie sociale, voilà les dogmes fondamentaux de la jeune école libérale.

Les premiers, les pliysiocrates, au xviii' siècle, disciples de la philosophie de l’Encyclopédie, ont avec QuESNAY, Le Tros.ne, Tchgot, conformément à la philosophie de l'époque, enseigné que le sensualisme est la base de la morale et de la société, que les lois fondamentales de la vie sociale découlent des besoins physiques de l’homme, que l’action du gouvernement doit tendre uniquement à assurer la liberté des conventions par lesquelles les hommes disposent de leur propriété, qu’il ne faut demander à la loi qu’une seule chose : permettre aux hommes de prendre leur intérêt personnel pour seul guide. Et en tout ce qui ne nuit pas à la liberté d’autrui : laisser faire, laisser passer. »

Adam Smith, le chef de l'école anglaise.s’est inspiré des idées et des travaux des physiocrates, pour construire un système d'économie politique d’après un ordre de libeité naturelle daus laquelle tout se meut sous la loi de l’intérêt. Dans la formule que Say donne de l’Etat, aucune sauvegarde n’est accordée aux intérêts supérieurs de la morale publique ou de la protection des faibles.

En France, avec J.-B. Say, avec Joseph Gabnier, et avec de Molinari, le représentant le plus brillant de l'école libérale a été Bastiat. Pour lui, le but supérieur de l’homme, c’est la jouissance. Il aime à comparer la mécanique sociale et la mécanique céleste : toutes deux sont appelées par une loi naturelle à produire l’ordre el l’harmonie dans leur sphère respective. Sous une autre forme, il reproduit la formule célèbre des physiocrates : le monde va de luimême. De nos jours, et sous la pression des événements, ce libéralisme s’est singulièrement atténué. .insi M. LeroyBbailieu s’est pleinement rallié aux mesures établies en. gleterre pour la iirotcclion du travail des femmes et des enfants. En principe, les économistes modernes admettent une certaine restriction à la liberté du travail, dans le cas où l’hygiène et la morale publique se trouvent gravement compromises. En fait, ils rejettent dans bien des cas cette intervention de la loi. — A cette fraction modérée on peut rattacher, dans une certaine mesure et avec des nuances très variées, un groupe de catholiques très antilibéraux en religion et en politicpie, et qu’on peut appeller semi-libérau.r en économie sociale, qui a pris le nomd’Eccle d’Angers, et qui aime à interpréter, en les ramenant à un minimum, les enseignements de l’Encj’clique lierum nmaruni, en opposition avec l’Ecole plus stricte, dite Ecole de Liège.

III. Critique et discussion. — Précisons ce que nous entendons par le Libéralisme, suivant sa signification condamnée et condamnable. Il consiste dans la négation plus ou moins accentuée de la dépendance de rhonime envers Dieu et envers ceux qui participent à son autorité souveraine : c’est la rupture plus ou moins complète avec l’ordre voulu et établi par Dieu.

Dans l’ordre social et politique, le libéralisme tend à l’alTranchissement (les sociétés vis-à-vis de Dieu même, et vis-à-vis de Jésus-Christ et de son Eglise.

Le libéralisme, qui allirme l’indépendance de l’Ktat à l'égard de Dieu, n’a jamais été professé, que je sache, par aucun catholi<jue. 1833

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Oieu est le maître des sociétés comme des individus, et les gouvernants, comme les gouvernés, sont soumis à la loi morale et naturelle dont Dieu est l’auteur. Les chefs des peuples sont sous sa dépendance, aussi bien que leurs sujets. La loi naturelle a des préceptes qui lient les princes comme les sujets, et il n’est pas plus permis aux premiers de donner des ordres injustes, qu’il n’est permis aux seconds de se soustraire aux justes commandements de leurs chefs. La raison elle-même ne sullit-elle pas à démontrer que le prince, non seulement comme individu, mais encore comme prince, est assujetti à Dieu et aux ordres qu’il lui intime par la voix de la nature dont Dieu est l’auteur ? S’il en était autrement, il faudrait dire qu’un souverain peut, en conscience, commander des actes que le sujet ne peut en conscience accomplir.

Mais n’a-t-il pas existé, et n’existe-t-il pas encore des catholiques qui allirment volontiers que le souverain temporel (un ou collectif) est assujetti à la loi naturelle dans ses actes de souverain, mais que, comme tel, il n’est pas lié par la loi chrétienne ou surnaturelle, sous ce prétexte que le pouvoir civil, étant une institution d’ordre purement naturel, est totalement séparé de l’ordre surnaturel, et en est complètement indépendant ? A l’Etat, dira-t-on, le domaine de la raison et de la nature : à l’Eglise, le domaine de la foi et de la grâce. Aucun souverain n est obligé, dans ses actes de souverain, de tenir compte de la révélation : il peut légiférer, non seulement sans jamais avoir l’œil fixé sur les lois surnaturelles, énoncées de Dieu, mais encorecontrairement à ces lois, qui, si elles obligent le souverain comme individu, ne le lient nullement en sa qualité de souverain ; de sorte que — chose absurde — un prince ne pourrait pas légitimement se soustraire individuellement à un précepte surnaturel, mais serait en droit d’édicter une loi en opposition avec ce même précepte. Au fond, c’est bien là la conséquence qui suit de cette espèce de libéralisme très bien défini par l’illustre cardinal Dechamps : « C’est, dit-il, l’école politique qui prétend asseoir tout l’ordre social sur la Déclaration des droits de l’homme, sans se soucier le moins du monde de savoir s’il existe pour le genre humain une loi positive. » Ou bien encore :

« C’est l’école politique de ceux qui ne reconnaissent

pour tout l’ordre social qu’une seule loi suprême, la raison. »

Il suffit d’exposer une telle théorie pour en faire justice. Gomment admettre que Dieu, auteur de la loi naturelle et auteur en même temps d’une loi surajoutée à la loi naturelle, n’ait pas voulu que cette seconde loi, sulTisamment promulguée, obligeât rois et peuples, comme la loi naturelle elle-même ? Gomment Dieu n’aurail-il pas intimé à un prince l’obligation de ne commander à ses sujets rien de contraire â ce qui leur est interdit par la loi chrétienne, et de ne rien leur défendre de ce que cette même loi leur commande ? La loi naturelle elle-même ne prescrit-elle pas aux peuples et à leurs chefs, comme aux individus, l’obligation de se soumettre aux ordres positifs donnés par Dieu, si ces ordres sont certains ? Il est dillicile de comprendre comment des catholiques pourraient nier la dépendance dupouvoir civil à l’égard de Jésus-Glirist et de sa loi, comme si cette dépendance n’était pas fondée surla cohésion nécessaire établie librement parDieu entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel : necesstiriam illam cohærentiam qiiæ Dei voltintate intercedit inter iiirumque ordînem qui lam in natura, ttim supra naturani est. (Allocut., Pie IX, g juin

! 86a.)

Affirmer que les nations ne sont pas tenues, au

même titre que les particuliers, de professer les principes de la vérité chrétienne, que des peuples incorporés à l’Eglise dès le jour de leur naissance peuvent légitimement, après une profession quatorze fois séculaire du christianisme, abdi(]uer le baj)tème national, éliminer de leur sein tout élément surnaturel, et se replacer dans les conditions de ce qu’ils croient être le droit naturel, enfin que les générations suivantes peuvent accepter en tout ou en partie cette œuvre de déchristianisation légale et sociale, non pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès réel des temps nouveaux, c’est là une théorie contre laquelle se dresse et le bon sens, nous venons de le voir, car le Créateur, qui a fait l’homme essentiellement social, n’a pu vouloir que la société humaine fût indépendante de lui, et la tradition la plus ferme et la plus suivie.

Saint Augustin écrivait à un dignitaire de l’empire romain : u Sachant que vous êtes un homme sincèrement désireux de la prospérité de lEtat, je vous prie d’observer combien il est certain par l’enseignement des saintes Lettres que les sociétés publiques participent au devoir des simples particuliers et ne peuvent trouver la félicité qu’à la même source… Bienheureux, a dit le roi prophète, le peuple dont Dieu est le Seigneur : Beatus populus cujus dominus Deus ejus : voilà le vœu que nous devons former dans notre intérêt et dans l’intérêt de la société dont nous sommes les citoyens ; car la patrie ne saurait être heureuse à une autre condition que le citoyen individuel, puisque la cité n’est autre chose qu’un certain nombre d’hommes rangés sous une même loi. » (Epist., r.Lv, Jd Macedonium, 7 et 9., P. /.., XXXIU, 669-670) Lorsqu’aprcs trois siècles de persécutions les princes, et avec eux les pouvoirs publics, sont entrés dans l’Eglise, ils se sont aussitôt appliqués à purifier la loi des souillures païennes, dit Saint.u( ; usTiN : « Comme ils avaient fait servir leur autorité au triomphe de l’erreur, ils ont reconnu qu’elledevait être désormais l’auxiliaire de la vérité. » Plusieurs d’entre eux, sans doute, trop habitués aux allures du césarisme païen, ont, dès l’origine, trop souvent changé en oppression leur protection légitime, et parfois (ordinairement en faveur de l’hérésie et sur la demande d’évêques hérétiques) ont procédé avec une rigueur qui n’est passelon l’esprit du christianisme ; il s’est alors trouvé dans l’Eglise des hommes de foi et de courage, tels que les Hilaire, les Martin, les Athanase, les Ambroise, pour lesrappeler â l’esprit de mansuétude chrétienne, pour répudier l’apostolat du glaive, pour afiirmer hautement que la conviction religieuse ne s’impose jamais par la force, pour proclamer enfin que le christianisme, qui s’était propagé malgré la persécution des princes, pouvait encore se passer de leur faveur, et ne devait s’inféoder à aucune tyrannie. Mais en protestant contre les excès et les abus, en blâmant des recours intempestifs et inintelligents, parfois même attentatoires aux règles de ladiscipUne sacerdotale, jamais aucun de ces grands docteurs n’a douté que ce ne fût le devoir des nations et de leurs chefs de faire profession publique de la vérité chrétienne, d’y conformer leurs actes et leurs institutions, et d’interdire même par des lois soit préventives, soit ré|)ressives, selon les temps et létat des esprits, les atteintes qui revêtaient un caractère d’impiété patente, ou qui portaient le trouble et le désordre au sein de la société civile et religieuse. Ecoutons ce que saint Augustin disait à ceux qui réclamaient le régime pur et simple de la liberté :

« Les rois, entant que rois, obéissent au précepte

de servir Dieu, s’ils commandent le bien et s’ils interdisent le mal dans leurs Etats, non seulement quant 1835

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aux choses de la société humaine, mais encore quant à celles de la religion divine. En vain direz-vous : Qu’on lions laisse à notre libre arbitre. Pourquoi ne demandez-vous pas la même licence pour ce qui est de l’homicide, du viol et de toute sorte d’infamies qui sont réprimées par des lois assurément justes et salutaires ? « (Conira Cresconium III, li, 67, l’.L., XLIIl, 527.) Dans l’une de ses lettres au comte Boniface, il ajoute : >. Autre chose est pour le prince de servir Dieu en sa qualité d’individu, autre chose en sa qualité de prince. Comme homme, il le sert en vivant fidèlement, comme roi en portant des lois religieuses et en les sanctionnant avec une vigueur convenable. Les rois servent le Seigneur entant que rois, quand ils font pour sa cause ce que les rois seuls peuvent faire. » (Epist., cxxxv. ad comitem Bonifacium, 19, P.L., XXXIII, 801.) Et ailleurs :

« Nous appelons heureux les empereurs chrétiens, 

s’ils mettent principalement leur puissance au service de la majesté divine par l’accroissement de son règne et de son culte. » (De Cii’itale Dei, V, xxiv, />./.., XLI, 171.)

Le Cardinal I’ie l’a justement fait remarquer. Les canons des conciles, les décrétales et les lettres des papes, les capitulaires des princes ont continué le même langage. Il est impossible d’établir à cet égard, entre la doctrine primitive et la discipline postérieure de l’Eglise, d’autre divergence que celle qui résulte de l’application selon la diversité des circonstances ; dans cette matière comme dans une foule d’autres, la question de conduite doit prudemment se combiner avec la question de principes. Mais le droit, le principe de l’Etal chrétien, du prince chrétien, de la loi chrétienne, n’a jamais été contesté jusqu’à ces derniers temps, et aucune école sérieusement catholique n’a jamais fait entrevoir dans sa destruction un progrès et un perfectionnement delà société humaine. On alléguerait en vain à l’encontre de cette doctrine certains passages mal compris ou mal interprétés. On trouvera de cette diiliculté une explication très claire dans le TertuUien de Mgr Freppel (tome /, La liberté de conscience), qui se résume en ceci : revendication du droit commun, au milieu d’une société qui permettait la libre profession de tous les cultes, même des plus ridicules et des plus pernicieux ; aflirmation du droit essentiel à la vérité, comme résultant de la divinité du christianisme ; tel est le double mode d’argumentation que TertuUien emploie tour à tour. S’ilallirme avec raison qu’on ne doit contraindre personne à faire un acte religieux qui répugne à la conscience ; s’il reconnaît que chaque homme tient de la nature et des lois le pouvoir de régler sa croyance, il n’étend pas cette ])roposition au point d’exclure la répression d’erreurs dangereuses Le christianisme a droit à une liberté pleine et entière, parce qu’il est la vérité et la sainteté même.

Celte doctrine de la loi socialement chrétienne et chargée, en certains cas, deprétcr main forte à l’Eglise, enseignée par les Pères les jjIus illustres, nous la trouvons enseignée dans les documents ecclésiastiques de la tradition. Voir à ce propos : /.es luttes présentes de l’K^lise, par Yves nR la Briéiir, I" série, 1909-1912 ; l’partie, ch. vu : Enseignements pontificaux et libéralisme catholique.

En 1179. le IIP concile de Latran (XI* oecuménique), fait précéder son anatlième contre les Albigeois de la déclaration suivante : « Comme l’a dit le bienheureux Léon, la discipline de l’Eglise se contente du jugement r<ndu par le prêtre, et ne connaît pas les i)rnalités sanglantes. Cependant, elle est aidée par les lois des princes catholiques, de telle sorte que souvent les hommes vont chercher

le remède salutaire à leur àme, lorsqu’ils redoutent le supplice dont est menacé leur corps. » (Actes, c. 27.)

Les Bulles pontificales de cette époque, quoi qu’il en soit de l’interprétalion à donner à la nature des relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, affirment à coup sûr, pour l’Eglise, le droit d’exiger le concours de la puissance séculière, le droit de requérir la force des lois humaines, dans la mesure où l’exigera le bien de la religion et le salut des âmes. On n’a qu’à se rappeler à cet égard les fameux considérants de la bulle Unam sanctam, de BoisiFACE VIII, du 28 novembre 1302.

Dans sa xv" session, le 6 juillet 1415, le concile de Constance condamne, parmi les erreurs de Jean IIus, l’opinion qui refuse à l’Eglise le droit de laisser un coupable à la juridiction séculière, quand ce coupable n’aura pas obtempéré aux sentences de la juridiction ecclésiastique (14* proposition de Jean Hus, dans la Bulle dogmatique /nier ciinctas, du 22 février 1418), le pape Martin V approuva cette condamnation conciliaire ; D.B., 640(535). Et au nombre des doctrines sur lesquelles devront être interrogés les hommes suspects de favoriser les erreurs de Wyclefp et de Jean Hus, le pape mentionne expressément le droit pour l’Eglise de faire appel au bras séculier (82" question de l’interrogatoire) ; D.B., 682 (576). Un siècle ai)rès la bulle de Martin V, nous trouvims la bulle célèl)re de Léon X, Exsurge IJontine, duv) juin 15yo, par laquellesont condamnées cxcuthedra les erreurs de Luther. La 33’proposition, l). B., 773 (607), est ainsi libellée : Hærelicos cumbiiri est contra volxintateni Spiritus. «. Fairebrfiler les hérétiques est chose contraire à la volonté du Saint-Esprit. » Qu’on nous conqirenne bien. De cette proposition condamnée, nous ne voulons pas déduire que l’Eglise possède directemente jus gladii, le droit de porter une sentence de mort contre les hérétiques : le texte en question n’impose point cette interprétation. Nous ne prétendons pas non plus que la peine de mort pour crime d’hérésie doit figurer dans le code pénal de tout Etat publiquement catholique : ce serait ajouter au texte. Mais nous pouvons et devons conclure que l’application delà peine de mort pour crime d’hérésie n’est pas toujours et nécessairement injustifiable, et que des circonstances peuvent se i)résentor où, par suite de l’étal des esprits et des mœurs, l’Etat chrétien l’ait œuvre sage et utile en punissant de la sorte l’hérésie jmblique. C’est la seule conclusion que nous entendons tirer d’une proposition censurée dans >in acte pontifical qui porte le caractère de l’infaillibilité. (Voir Hérésie [Ilépression de /’].)

Les temps se faisaient mauvais, et, à la suite de la Uévolution française, tendait de plus en plus à prévaloir dans le monde entier un état de choses où l’Eglise catholique cesserait d’être publiquement et oiriciellement reconnue pour l’unique et véritable Eglise de Jésus-Christ ; où la cité en tant que cité ne professe plus aucune religion ; où nulle sanction légale n’étant accordée aux jugements publics de l’Eglise, celle-ci est, en définitive, réduite à la garantie (lu droit commun, c’est-à-dire à la liberté dont jouissent (’^rt/emcH( tous les cultes qui ne troublent lias l’ordre public. En face de ce fait de plus en ])lus général, quelles devaient être la pensée et la conduite des catholiques ? Devail-on se réjouir de ce nouvel étal de choses, qui, disait-on, ne prive la vraie religion que de privilèges sociaux résultant de diverses circonstances historiqvu’s du moyen âge et de l’Ancien régime ?… Oucl jugement porter sur lui ? Dans quelle mesure doit-on et peut-on s’en accommoder ? 1837

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Le probloiue élait certes grave. Une première réponse, à propos (le la controverse niennaisienne, l’ut donnée par Grégoiue XVI, dans l’encjclique Mirari t’os, du 15 août 1832, et par l’encyclùiue Siiiguluri nos, du 2^ juin 1834- Les actes ponlilicaux déclaraient que l’union et l’alliance traditionnelle de l’Eglise et de l’Etat devaient être maintenues dans la mesure du possible, et qu’on ne pouvait équitablement reconnaître à la propagande de l’erreur les mêmes droits et les mêmes lil)ertés qi^à la propagande de la vérité. D. B., 1613-iG17 (il)-]3-i ! i-}ù).

Les controverses qui s’élevèrent plus tard au sujet du lil)éralisme catholique poussèrent le Siège apostolique à promulguer, sur ce problème, des enseignements plus précis, des décisions plus péremptoires. Dans l’Encycliqiie Quanta cuia, du & décembre iSGîi, Pie IX, après avoir reproduit les déclarations doctrinales de Grégoire XVI, condamne nettement cliacune des erreurs contraires : par exemple, l’opinion d’ai)rès laquelle o la société humaine devait être constituée et gouvernée sans aucun souci de la religion, comme si la religion n’existait i)as, ou, du moins, sans faire aucune différence entre la vraie religion et les religions fausses u ; de même, l’opinion d’après laquelle « la meilleure organisation de la société serait celle où ne serait pas reconnu à l’Etal le devoir de châtier par des pénalités légales les violateurs de la religion catholique, sauf dans la mesure où le réclamerait la paix publique >i ; de même encore l’opinion d’après laquelle l’Eglise n’aurait pas le droit de (I châtier par des pénalités temporelles les violateurs de ses propres lois ». Enfin citons ce jugement définitif et absoluqui termine l’Encyclique Quanta cura, et qui la place au rang des actes doctrinaux les plus graves et les plus importants du Saint-Siège : Toutes les opinions et doctrines pen’erses rappelées dans la présente lettre, et chacune d’entre elles, nous les réprouvons, les proscrivons et les condamnons par notre autorité apostolique, et nous voulons et ordonnons qu’elles soient tenues par tous les enfants de l’Eglise catholique pour réprouvées, proscrites et condamnées. Ilien de plus clair ; c’est la condamnation publique, ollicielle, de toutes les opinions et erreurs susdites, toutefois sans la note d’hérésie. D. B., 168g (153y) ; lOgo (iô40) ; 1699 (iS^-).

De l’EncjcIique Quanta cura, nous ne saurions séparer le Syllabus (voir ce mot), catalogue authentique qui notifiait à l’épiscopat du monde entier et qui groupait d’une manière systématique les diverses erreurs déjà réprouvées par PiK IX dans ses lettres apostoliques et dans ses allocations consistoriales. Or, est condamnée la 2^ proposition, refusant à l’Eglise le droit d’employer la force, tout pouvoir mèu’.e indirect sur le temporel et, par conséquent, le droit de requérir le concours du hras séculier. Cette proposition est empruntée à la lettre apostolique du 22 août 1851. Est frappée aussi la ôô’-' proposition, empruntée à l’allocution consistoriale du 2- septenil>re 1852, et qui énonce le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Enfin, notons spécialement la 77’proposition, empruntée à l’allocution consistoriale du 26 juin 1852, ainsi conçue : « Anotre époque, il n’est plusutile que que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’Etat, à l’exclusion de tous les autres cultes. » Ainsi le Syllabus, dont je n’ai pas ici à discuter l’autorité, complète et éclaire le jugement doctrinal porté par l’Encyclique Quanta cura. D. B., 172^ ; 17^0 ; 1777.

LÉON XIII ne parle pas autrement que Pie IX. La doctrine de l’Encyclique Quanta cura et du Syllabus n’a jamais été aussi clairement développée, aussi fermement enseignée ni avec un plus juste et

plus exact sentiment des nuances, que dans l’Ency(li(iue Jmmortale Dei, du 1"’novembre 1885, et dans rEncyclii|ue I.ihertas, du 20 juin 1888.

Dans la première de ces encycliques, Léon XIII, revendiquant l’union de l’Eglise et de l’Etat, donne comme doctrine certaine de l’enseignement catholique le devoir impérieux qu’ont les chefs de la cité temporelle de reconnaître un privilège social à la véritable Eglise de Jésus-Christ et, par conséquent, de lui assurer le concours et la protection des lois humaines. L’Encyclique réprouve l’opinion suivant laquelle l’Etat pourrait s’abstenir de professer lui-même aucun culte, où on devrait accorder une égale et commune liberté à toutes les autres religions qui ne troublent pas la paix publique. Le Pape concède sans doute que les circonstances contemporaines peuvent obliger un gouvernementcatholiqueà tolérer l’existence des cultes dissidents, mais il s’exprime en termes auxquels il faut bien prendre garde : « A vrai dire, si l’Eglise regarde comme défendu de reconnaître aux diverses sortes de culte divin le même droit qu’à la religion véritable, elle ne blâme cependant pas les gouvernants de l’Etat qui, pour amener un grand bien ou pour éviter un grand mal, supportent patiemment dans les mœurs et la coutume, que chacun des cultes trouve place sur le territoire de la cité. » D. B., 187^ (1726). Ainsi le principe de la religion oiTicielle d’Etat est rappelé jusque dans la phrase relative à la tolérance pratique et aux mitigations nécessaires.

A l’Encyclique /, iier/as, nous empruntons un passage significatif, qui a trait au droit supérieur de l’Eglise catholique :

« Il est nécessaire que la société civile, comme société

civile, reconnaisse Dieu pour son origine el sa fin, qu’elle respecte, qu’elle honore sa puissance et sa souveraineté. La justice défend, la raison défend que l’Etat professe l’athéisme, ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, qu’il marque les mêmes dispositions envers chacune des diverses religions — telle est la formule reçue — et qu’il leur accorde indistinctement les mêmes droits. La profession publique d’une seule religion étant le devoir de l’Etat, il faut que l’Etat professe celle-là qui est l’unique véritable, et qu’il n’est pas malaisé de reconnaître, surtout dans les pays catholiques, puisque les marques de vérité brillent en elle par des signes qui la distinguent entre toutes. Cette religion, que les gouvernants de l’Etat la conservent, la proti’genl, s’ils veulent pourvoir prudemment et utilement, comme ils y sont tenus, au bien de la collectivité des citoyens. »

U est vrai, le trouble des esprits, la profonde division des croyances requièrent dans l’application de la doctrine bien des tempéraments. Le Pape formule à ce sujet, de la façon la plus nette, la conduite à tenir :

« Dans son appréciation maternelle, l’Eglise tient

compte du poids accablant de l’infirmité humaine, et elle n’ignore pas le mouvement <|ui, à notre époque, entraîne les esprits et les choses. Par ces motifs, tout en n’accordant de droit qu’à ce qui est vrai et honnête, elle ne s’oppose pas cependant à la tolérance dont la puissance publique croit pouvoir user à l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir ou à conser-er.

« Dieu lui-même, dans sa Providence, quoique infiniment

bon et tout-puissant, permet néanmoins l’existence de certains maux dans le monde, tantôt pour ne pas empêcher des biens plus grands, tanlùl pour empêcher de plus grands maux. Il convient, dans le gouvernement des Etats, d’imiter Celui qui gouverne le monde. Bien plus, se trouvant 1839

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impuissante à empêcher tous les maux particuliers, l’autorité des houimes doit permettre et laisser impunies bien des choses qu’atteint pourtant, et à juste titre, la vindicte de la Providence divine. (S. AvG., De lit), arb., I, v, 13, /’./.., XXXII, 1228.) Néanmoins, dans ces conjonctures, si, en vue du bien commun et pour ce seul motif, la lui des liommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne peut ni ne doit l’approuver et le vouloir en lui-même ; car, étant de soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun, que le législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu’il peut. Et en cela aussi la loi humaine doit se proposer d’imiter Dieu, qui, en laissant le mal exister dans le monde, ne veut ni que le mal arrive, ni que le mal n’arrive pas, mais veut permettre que le mal arrive, et cela est bon (S. Thomas, p. I, q. 19, art. 9, ad 3). Cette sentence du docteur aiigélique contient, en une brève formule, toute la doctrine sur la tolérance du mal.

« Mais il faut reconnaître, pour que notre jugement

reste dans le vrai, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans un Etat, plus les conditions de cet Etat s’éloignent de la perfection ; et de plus, que la tolérance du mal, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d’être c’est-à-dire par le salut public. C’est pourquoi, si elle est nuisible au salut public, ou qu’elle soit pour l’Etat la cause d’un plus grand mal, la conséquence est qu’il n’est pas permis d’en user, car, dans ces conditions, la raison du bien fait défaut. Mais si, en vue d’une condition particulière de l’Etat, l’Eglise acquiesce à certaines libertés modernes, non qu’elle les préfère en elles-mêmes, mais parce qu’elle juge expédient de les permettre, et que la situation vienne ensuite à s’améliorer, elle usera évidemment de sa liberté, en employant tous les moyens, persuasions, exhortations, prières, pour remplir, comme c’est son devoir, la mission qu’elle a reçue de Dieu, à savoir de procurer aux hommes le salut éternel. Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Eglise ceux qui professent le Libéralisme. »

Et plus loin : n De ces considérations, il résulte qu’il n’est aucunement permis de demander, de défendre ou d’accorder sans discernement la liberté de la pensée, de la presse, de l’enseignement, dos religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine. Il suit pareillement que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées, pourvu qu’un juste tenqjéramcnt les empêche de dégénérer jusqu’à la licence et au désordre. Et enfin, où les usages ont mis ces libertés en vi-iieur, les citoyens doivent s’en servir pour faire le bien, avoir à leur égard les sentiments qu’en a l’Eglise. Car une liberté ne doit être réputée légitime qu’en tant qu’elle accroît notre faculté pour le bien ; hors de là, jamais. »

Se peut-il quelque chose de plus clair que cet enseignenient ? Nous y retrouvons, avec l’afTirmation des principes, les justes tempéraments que comporte l’application. Thèse et hypothèse sont également formulées. La </if’.se consiste à alllrmer le droit, tel qu’il résulte des principes catholiques, h’hypothèse n’est pas autre chose que la constatation des réalités

auxquelles se heurte rap])lication complète de la thèse. Et quelle est la conclusion ? C’est qu’il faut savoir s’accommoder des transactions imposées par la sagesse pratique et les respecter loyalement ; mais c’est en même temps un devoir de maintenir la vérité doctrinale de la thèse, et de revendiquer l’application effective des parties de la tlièse qui, même en pleine hypothèse, peuvent être appliquées sans grave dommage.

Et c’est bi*n ce que Léon XIII fait passer en acte dans la lettre adressée par lui le 19 juillet 188g. Les ministres brésiliens avaient élaboré un projet de loi introduisant au Brésil la liberté et l’égalité des cultes. Léon XIII repousse énergiquement cette innovation. Dans un pays catholique comme est le Brésil, déclare le pape, les droits de religion d’Etat doivent être garantis à l’unique et véritable Eglise de Jésus-Christ. Les cultes dissidents, bien loin de pouvoir jouir d’une égale et commune liberté avec l’Eglise catholique, ne possèdent aucun droit intrinsèque à être reconnus. Si les circonstances actuelles réclament qu’on leur accorde l’autorisation de s’exercer sur le territoire brésilien, cette faculté légale pourra bien être concédée au nom des exigences mêmes du repos public et de la paix religieuse, mais non pas en vertu d’un droit qui appartiendrait aux cultes dissidents, ni en vertu d’une assimilation juridique avec la véritable Eglise.

Cette doctrine, enseignée par Grégoire XVI, Pie IX et Léon XIII, est confirmée par Pie X dans l’Encyclique Vehemenler nos, du ii février 1906, à propos de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France ; dans VEncycWqueJamduduminEcclesia, du 2/i mai igi^. a propos de la séparation de 1 Eglise et de l’Etat en Portugal ; et, aussi, dans l’Encyclique Pascendi, du ^ septembre 1907, à propos des erreurs modernistes. Ainsi, pour résumer brièvement la doctrine dans les documents pontificaux précités, il est évident que le Saint-Siège revendique l’alliance traditionnelle de l’Eglise et de l’Etat, qu’il enseigne que la véritable Eglise possède un droit exclusif aux privilèges de religion d’Etat, qu’il airirme que la force des lois humaines doit, en pays catholique, être ofliciellement employée au service de la religion, dans la mesure permise par les possibilités pratiques et par la considération du plus grynd bien. Et que l’on y prenne garde, ce n’est pas là une opinion livrée aux discussions des écoles, un système théologique que l’on peut à son gré accepter ou refuser. Non, c’est la doctrine imposée par l’autorité souveraine du Pontife romain à l’adhésion de l’Eglise universelle. Beaucoup de catholiques, même instruits, de nos jours, se croient parfaitement en règle dès là qu’ils ne se mettent f)asen opposition avec une doctrine qiii n’est pas déOnie comme dogme de foi catholique. Ils se trompent gravement. A côté de l’hérésie, terme qui désigne exclusivement les doctrines contraires à un dogme de foi, il y a l’erreur théologique, terme qui désigne les doctrines contraires à une conclusion ou à une aj)-I >lieation certaine des principes dogmatiques. l’hérésie se réfère aux vérités révélées par Dieu, objet primordial de l’infaillibilité de l’Eglise. L’erreur théologique concerne les vérités connexes avec la révélation divine, et objet secondaire de la même infaillibilité. Or la doctrine catholique des rapports de l’Eglise et de l’Etat n’est pas sans doute, à proprement parler du moins dans le détail, une vérité révélée de Dieu ; mais elle est une vérité connexe avec la révélation divine ; elle peut donc donner lieu, sinon à une hérésie proprement dite, du moins à une erreur Ihéologique. Or, i)our se conserver en bonne santé, il ne suffit pas de ne point avaler de 1841

LIBERE (LE PAPE)

1842

l’flcitle pi’ussique, il faut aussi se mettre en garde contre l’intoxication causée par une nourriture malsaine. EU bien I la suite des documents pontillcaux que nous avons allégués, le magistère ordinaire et extraordinaire de l’Eglise, sa pratique constante prouvent de la façon la plus évidente que la doctrine que nous avons exposée n’est pas simplement le produit de certaines circonstances, qui doit disparaître avec le milieu historique, avec l’état d’esprit auxquels elle doit son origine ; mais qu’elle est l’expression claire et précise d’une vérité aj’anl une valeur permanente et délinitive.

Il n’y a rien de chimérique et d’impossible dans le priigraniræ né de cette doctrine. Ce qui est bien plutôt eliimériqueet irréalisable, c’est le programme de la Révolution ; ce n’est i)as celui de l’Eglise. (( Quand l’Eglise pose ses principes, a dit le cardinal Pie, encore bien qu’ils impli(|vent une perfection qui ne sera jamais atteinte ici-bas, elle en veut les conséquences, toutes les conséquences : les conséquences extrêmes seront le ciel. Quand la Révolution pose ses principes, elle ne veut qu’une partie de ses conséquences : elle arrête, elle enchaîne les conséquences trop générales et trop étendues : la conséquence extrême et totale sera l’enfer. La Révolution ne peut pas et ne veut pas être logique juscju’au bout. L’Eglise peut et veut l’être toujours : rien au monde n’est donc plus pratique et n’est moins chimérique. » Aussi bien, ce programme, qui n’a rien d’impossible en soi, n’est nullement intempestif, inopportun et dangereux. Le régime chrétien, sur lequel on se prononce avec une désinvolture par trop légère, rencontre de moins en moins au sein des générations nouvelles une opposition irréconciliable. J’e.ratio intellectum dabil aiidilui, dit l’Ecriture, et le spectacle des sociétés à bout de vie montre de plus en plus aux esprits réfléchis que le monde ne trouvera de remède aux maux qui le dévorent qu’en Jésus-Christ et dans l’acceptation sociale des principes révélés. Hors de là, la religion pourra jusqu’à un certain point vivifier les individus et les familles ; mais les sociétés et les pouvoirs réfractaires à cette influence surnaturelle et publique feront la dure expérience de ce qu’il en coûte aux nations d’abandonner Jésus-Christ.

Quant au libéralisme économique, il est clair que, si l’Eglise laisse ouvertes aux disputes des hommes les questions proprement techniques qui concernent cette science, elle ne peut se désintéresser des questions d’ordre moral qui la dominent. L’homme domestique, l’homme social est grandement engagé ; et partout où se trouve l’iiomme, partout où il déploie son activité, l’idée de la fin dernière et îles moyens qui se rapportent à cette fin appar.nil. Il est donc impossible qu’en cette matière, l’Eglise n’ait pas à dire son mot, et c’est ce qu’elle a fait dans ces derniers temps, soit avec Lkon XllI par les Encycliques Rernm novarum et Cvayes de commnni soit avec Pie X, par le Molu proprio, en date ilu 18 décembre 1903, et par la Lettre à l’Episcopat français sur le Sillon, en date du 26 août 1910. C’est h ces documents (l’une aulorité irréfragable que doivent avoir soin de se référer les catholiques qui, en cette matière, comme en toutes les autres, ont souci de Instaurare omnia in Christo.

BiBLionnAPMiE. — En ce qui touche l’histoire du libéralisme, sont à signaler : 1" Histoire du Catholicisme libéral en France (1820-1908), par Georges Weill, in-12, Paris, 1909 ; 2" Somme contre le catholirisme libéral, par l’abbé Jules Morel, 1 vol. in-8°, Paris, iS’j’j.

Quant à la doctrine, avant tout : Œuvres du

cardinal Pie, spécialement : Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent, tome V ; 2" Somme contre le catholicisme libéral, par l’abbé Jules Morel ; 3" Questions religieuses et sociales de notre temps, par Mgr Henry Sauvé, in-13, Paris, V. Palmé ; 4° fe Droit chrétien et le Droit moderne, par Mgr d’Hulst, in-12, Paris, Poussielgue ; 5° Deux études très remarquables parues dans les Eludes le 5 octobre igit, et le 20 décembre 19 ii, dues à la i>Iume du R. P. Yves de la Brière, et reproduites dans un volume intitulé : Les luttes présentes de l’ii^lise, i’" série, 1909-1912, V partie, chap. vii, Paris, 5, rue Rayard, igiS. En ce qui touche Ir libéralisme économique : 1° Cours d’économie soriale, [jar le P. C. Antoine, in-S", Paris, Guillaiimin ; 2" Quæstioties de Juslitia, par b) P. A. Vermeersch, i vol. in-S", Paris, Lethielleux.

G. i>n Pascal.