Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Morisques (Expulsion des)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MORISQUES (Expulsion des). — On désignait, en Espagne, sous le nom de Morisques, les Maures fpii avaient accepté la domination des rois chrétiens et obtenu d’abord le libre exercice de leur culte. Cette appellation est postérieure à la conquête du royaume de Grenade et remplaça celle de Mudéjares qu’on donnait jusque-là aux Maures soumis de Castille et d’Aragon ; c’est un diminutif, à sens plutôt méprisant, du mot espagnol More, Maure. En 160g, ces Morisques furent expulsés en masse en vertu d’un décret de Philippe lU, et l’on n’a pas manqué de faire valoir contre le catholicisme le fanatisme et la cruauté que les Espagnols auraient montrés en cette circonstance. Nous allons examiner cette objection.

I. Histoire des Morisques : IL Causes du décret d’expulsion : III. Conséquences de l’expulsion.

I. Histoire des Morisques. — A partir de la capitulation de Sena (io38), l’usage s’était établi de permettre aux Maures de rester dans les territoires conquis par les chrétiens et d’y pratiquer librement leur religion. Celte tolérance pouvait constituer en bien des cas un danger public, ainsi que les révoltes des vassaux maures le démontrèrent à plusieurs reprises (Fernandez Gonzalez, Estado social y politico de los Madejares de Castilla, Madrid, 1866, chap. V, VII et via). En 1266, le pape Clément IV conseilla au roi d’Aragon Jayme le Conquérant de profiter de la révolte des Mudéjares de Valence 935

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pour les expulser ; le roi, en effet, les chassa de ses domaines, mais les seigneurs ne consentirent pas à se priver de leurs services (Gaspar Escolano, Decada de la historia de la insigne y coronada ciudad yreynode Valencia, i(>i, eo. 1404-1426).

La capitulation de Grenade (26 novembre 149’) ne différait pas des autres Cartas pueblas — c’est le nom qu’on donnait aux chartes concédées à des communautés maures — et stipulait en faveur des vaincus une large autonomie religieuse et civile. Dès l’année suivante, les Maures se soulevèrent une première ibis ; les rois catholiques les obligèrent à se concentrer dans les deux faubourgs de Grenade, Antequerula au sud et l’Albaycin au nord. Le nouvel archevêque Hernando de Talavera se mit à travailler avec un zèle discret à la conversion de la population musulmane, et ses premiers succès furent merveilleux. Toutefois il faut l’avouer, ces succès ne dépassaient guère l’enceinte de Grenade ; les monts Alpujarras étaient infestés de bandes de brigands maures, que des pirates africains venaient souvent renforcer et qui poussaient leurs incursions jusqu’au cœur même de la ville. La pacilication du royaume de Grenade devint une question à l’ordre du jour, et deux partis se formèrent dans les conseils des rois catholiques : le parti de la temporisation, qui voulait tout attendre du temps et de la douceur, et le parti de l’action, qui réclamait l’abolition du traité de capitulation.

A la tête du premier s était placé Thomas de Torquemada, grand inquisiteur de Castille et d’Aragon. L’autorité de ce personnage lit d’abord pencher la balance en faveur des moyens paciliques (Mabmol Carvajal, Historia de la rehelion y castigo de los Moriscos de Granada, 2= édit., Madrid, ’797’t. I, p- 1 > > ; — Jayme Blkda, Coronica de los Moros de Espaiia, Valence, 1618, p. 640). Toutefois les rois résolurent d’adjoindre à l’archevêque de Grenade le cardinal Ximénès, archevêque de’Tolède, pour activer l’œuvre de la conversion des Morisques. Ane considérer que les qualités éminentes du cardinal, le choix semblait heureux ; en réalité, il réduisit à néant tous les efforts, toutes les espérances du parti de la temporisation.

El cela exaltado y la férrea condicion de Jimenes de Cisneros airopellaron las cosas, écrit l’historien catholique Menendez Pblayo (Historia de los hétérodoxes espanoles, t. II, p. 628), et ce jugement concorde parfaitement avec celui que porte Vicente de La Fue.nte : u Les moyens dont Ximénès se servit ne furent pas ceux que la religion recommande le plus, et ne contribuent pas beaucoup à la gloire du célèbre franciscain. » (Historia eclesiastica de Espana, 2’édit., t. V, p. 391.) — Une émeute furieuse se déchaîna dans les rues de Grenade ; les montagnards des Alpujarras se révoltèrent, et, comme l’insurrection est contagieuse, le mouvement se propagea à travers l’Andalousie dans plusieurs centres de population maure. Naturellement l’insurrection fut étouffée, non sans effusion de sang ni sans crimes commis de part et d’autre. Les Maures durent recevoir le baptême ou émigrer en Afrique, et enlin, au mois de septembre 1500, les capitulations de Grenade furent délinitivement abolies et remplacées par le système administratif en vigueur dans les villes de Castille.

Toutefois les rois n’avaient pas touché aux privilèges des groupes maures andalous qui ne s’étaient point soulevés. Ces pauvres gens, dont la seule chance eût été de se faire oublier, voulurent secouer le joug ; en 1501, les montagnards de Ronda et de Villaluenga se révoltèrent et écrasèrent un corps de troupes espagnoles envoyé contre eux. Ce succès

sans lendemain leur coûta cher, car Ferdinand les mit en demeure de recevoir le baptême ou de se retirer en Afrique en payant dix ducats par tête de chef de famille.

Ainsi, peu à peu, par toute une série de révoltes sanglantes, les Maures d’Andalousie avaient compromis et perdu leur cause. Ces précédents étaient pleins de périls pour les groupes mudéjares qui subsistaient en Castille et en Aragon, et ces malheureux s’en aperçurent, lorsque la reine Isabelle, par la pragmatique du 12 février 1502, ordonna aux Mudéjares de Castille de choisir entre le baptême ou l’expulsion ; encore l’expulsion était-elle aggravée par des mesures exceptionnelles : défense d’emporter de l’or ou de l’argent, de se retirer dans les Etats barbaresques ou en Turquie, mais seulement dans les domaines du Soudan d’Egypte, ordre de s’embarquer dans les ports de la seigneurie de Biscaye, de sorte que la sortie d’Espagne était rendue moralement impossible aux Mudéjares de Castille (Novisima Becopilacion de las leyes de Espana, Madrid, 1805, t. V, lib. xii, til. 11, ley 3).

En 151g, les artisans de Valence baptisèrent de force, le couteau sur la gorge, les Morisques de l’ancien royaume que leurs seigneurs avaient appelés aux armes pour se défendre contre une insurrection de caractère démagogique. Les légistes de Charles-Quint commirent l’iniquité de considérer ce baptême comme valide. Toutefois, en face de la résistance passive que les prétendus convertis opposaient aux prédicateurs, Charles-Quint résolut de les expulser, puis il se laissa toucher par leurs prières et consentit à les garder, à condition toutefois qu’ils embrasseraient le catholicisme, et la même alternative fut imposée aux mudéjares d’Aragon et de Catalogne qui n’étaient pour rien dans les affaires de Valence.

Charles-Quint avait donc réalisé le plan de Ferdinand et d’Isabelle, et l’unité catholique régnait en apparence dans le pays autrefois possédé par les Maures. Cette situation se maintint jusqu’en 15C8 ; au fond, les Morisques n’avaient pas cessé d’être musulmans, mais l’Inquisition ne les poursuivait guère, et le pouvoir civil les laissait en paix. Toutefois, la chancellerie de Grenade ayant obtenu de Philippe II une pragmatique qui prohibait l’usage de la langue arabe, du costume et des habitudes propres aux Morisques, une révolte terrible éclata dans les Alpujarras, et la répression ne fut guère moins atroce que les excès des rebelles. Beaucoup de fugitifs se sauvèrent en Afrique, d’autres se cachèrent dans les montagnes du royaume de Valence, d’autres enlin, par ordre du gouvernement, furent transportés en Castille. Il était difficile d’imaginer pire solution ; ces vaincus exaspérés se livrèrent à toutes sortes de crimes, vols, sacrilèges, assassinats, complots contre la sécurité du pays. Désormais les Morisques étaient irréconciliables ; un jour ou l’autre, l’expulsion devait s’imposer comme mesure de salut public. Ce fut le duc de Lerme qui rédigea rédit, ~et Philippe III le signa (1609). Le texte de cet édit se trouve dans un ouvrage fort répandu : Le protestantisme comparé au catholicisme, de Balmès, t. II, p. 400 et s.

II. Motifs de l’édit d’expulsion. — Le véritable motif de l’édit fut la crainte qu’inspirait une alliance des Maures avec les puissances mahométanes. Au xvi= siècle, la domination sur la Méditerranée était âprement disputée entre chrétiens et musulmans ; toute l’Afrique du Nord, Egypte, Tripolitaine, Algérie, Tunisie, Maroc, était aux mains de peuples d’origine arabe ou maure, encore pleins d’énergie et 937

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de fanatisme, qui désolaient par leurs pirateries les plus belles contrées de l’Europe méridionale. Depuis la chute de Constantinople, l’empire ottoman était devenu une puissance maritime redoutable ; au moment raomc où les montagnards des Alpujarras se soulevaient, Philippe II préparait la cainpat, 'ne qui se termina en lôyi à Lépante par la victoire des flottes chrétiennes alliées.

Les pirates des Etats barbaresques ne se privaient pas de faire des descentes sur les côtes d’Andalousie et de Valence, et ils trouvaient dans leurs frères d’Espagne des compagnons pour les renseigner sur le coup à faire, des guides pour les conduire dans des lieux qu’ils connaissaient mal ; la razzia accomplie, les pirates se rembarquaient avec les produits du vol et les esclaves chrétiens capturés, pendant que les Morisques rentraient tranquillement chez eux ou parlaient avec les pirates s’ils ne se sentaient plus en sécurité. Ceci n’est pas un tableau d’imagination, c’est une peinture fidèle de la situation, telle que la représentent Escolano (Œcarfa, etc., 001.1760, 1766), les lettres de saint Thomas de Villeneuve à Philippe II et autres documents de l'époque. Ce qui décida le duc de Lerme à rédiger l'édit, ce fut la découverte d’intrigues secrètes des Morisques auprès des Etats barbaresques pour obtenir leur concours en cas de révolte.

Les rois d’Espagne avaient cru que, pour mettre fin à un étal de choses aussi dangereux, il était nécessaire que les Morisques entrassent dans la société chrétienne, et, sans espérer beaucoup de la première génération baptisée, ils avaient pensé que ses descendants seraient sincèrement catholiques. C’est pourquoi ils ne reculèrent pas devant l’emploi des moyens de coercition. Il y avait des précédents historiques : Charlemagne s’en était servi contre les Saxons, Stefner et Tliankbrand contre les Islandais païens, Olaf Tryggvason, roi de Norvège, contre ceux de ses sujets qui s’opposaient à l’introduction du christianisme, et quoi qu’on doive penser de ces violences, il faut convenir que les résultats avaient été heureux. En Espagne, au contraire, ils furent détestables, parce que les rois chrétiens avaient en face d’eux une race sémitisée, complètement différente de la nation espagnole et, comme tous les peuples musulmans, à peu près irréductible ; l’apostolat conquérant, qui avait triomphé dans quelques branches de la race germanique et Scandinave, devait fatalement échouer contre la résistance des Morisques.

Peut-être, cependant, serait-on venu à bout non de la première génération, mais des suivantes, sans l’aliment que la présence des escadres liarbaresques el les descentes des pirates fournirent au fanatisme religieux et politique des anciens maîtres du sol. D’autre part, les vieux chrétiens refusaient de s’unir aux nouveaux par des alliances, de crainte de souiller dans leurs enfants la pureté du sang espagnol, de sorte que les villages morisques, en dépit de leur prétendue conversion, demeuraient à l'état de communautés fermées.

Certes, il eût été désirable que les Espagnols tolérassent les anciens conquérants du sol, comme les Russes tolèrent encore aujourd’hui les descendants des Tartares et leur laissent le libre exercice de leur culte. Toutefois, on peut se demander si les Espagnols du xvi « siècle étaient disposés à faire ou même à comprendre ce sacrifice. Depuis la prise de Grenade et l'établissement de l’Inquisition, la marche, autrefois si lente, vers l’unité nationale s’opérait à une allure accélérée, et le catholicisme avait si profondément pénétré les idées et les mœurs que l’unité espagnole ne semblait réalisable que dans

l’unité catholique. Comme la Castille et l’Aragon s'étaient unis pour ne former qu’un seul royaume, ainsi clirétiens et Maures devaient, aux yeux des hommes d’Etat, se fondre en un seul peuple, et ce peuple ne pouvait être <iue catholique,

La tolérance du culte mahométan dans l’Espagne d’alors faisait l’efTet d’un anachronisme. C'était l'époque du développement complet de la race, ce moment unique dans la vie d’une nation où elle réalise tout ce qu’on est en droit d’attendre d’elle, et par un privilège singulier, la plénitude de la foi et le triomphe de la sainteté coïncidaient avec le maximum de la puissance politique et du génie artistique de l’Espagne. La nation espagnole était, par ses missionnaires et ses soldats, le champion du catholicisme dans les deux mondes, et la foi avait acquis en elle un degré d’intensité que des croyants dégénérés auraient peine à comprendre. Pendant l’insurrection de 1670, des milliers de femmes et d’enfants espagnols tombèrent aux mains des Morisques révoltés ; tous sans exception sul)irent le martyre, et dans cette foule, qui pouvait se racheter de la mort en reniant le Christ, il ne se rencontra pas un apostat.

D’autre part, il y avait dans le tempérament espagnol une énergie farouche et une absence de sensibilité qui aboutissaient facilement à des actes de cruauté sauvage comme ceux que le bienheureux évêque de Chiapa, Barthélémy de las Casas, a si justement reprochés à ses compatriotes à l'époque de la conquête du Nouveau Monde, C'était sans doute un elTet, devenu héréditaire, de la grande guerre de huit siècles entre chrétiens et musulmans ; cette perpétuelle croisade avait endurci les cœurs et bronzé les tempéraments. Quelle qu’en fût d’ailleurs l’origine, cette disposition existait, et les Espagnols n'éprouvaient pas, à l'égard de vaincus, toujours redoutables, cette pitié que des écrivains, étrangers aux implacables passions de la race et à ses longues rancunes, souhaiteraient qu’ils eussent possédée.

Quant au rôle de l’Eglise d’Espagne dans cette douloureuse histoire, il a toujours été subordonné à la volonté du chef de 1 Etat. L’Inquisition, qui avait procédé avec rigueur contre les judaïsants et les luthériens, se montra en général indulgente pour les Morisques, bien qu’elle n’ignorât nullement leurs dispositions secrètes. De nombreux et saints personnages, depuis Hernando de Talavera jusqu'à saint Thomas de Villeneuve et à Juan de Ribera, s’occupèrent de leur conversion avec douceur ut sollicitude. Lorsque le grand Inquisiteur Bernardo de Sandoval, frère du duc de Lerme, voulut obtenir de Paul V un bref autorisant et approuvant rex[)ulsion, il fut repoussé avec perte ; le pape entendait laisser au pouvoir civil toute la responsabilité de cet acte.

Clément VII avait délié, il est vrai, Charles-Quint du serment que celui-ci avait prêté, comme roi d'.ragon, d’observer le fuero de Monzon qui prohibait toute innovation concernant les Morisques d’Aragon et de Catalogne ; mais il l’avait fait à son corps défendant et après avoir résisté aux sollicitations du roi, défenseur du catholicisme dans l’empire et maître de Naples en Italie, En cette circonstance comme en beaucoup d’autres, l’Eglise servit d’instrument à la politique du gouvernement espagnol ; elle n’en tira aucun profit et en souffrit plus qu’on ne saurait dire. C’est l’inconvénient ordinaire d’un régime à prétentions césariennes de réduire l’Eglise au rôle de servante, tout en la cond)lant d’honneurs,

m. Conséquences de l’ejspulsion. — Le gouvernement espagnol paya cher, par la ruine de 939

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l’agriciilture en liien des lieux, le décret d’expulsion des Morisques. La noblesse de Valence garda les terres, mais perdit ses rentes. Les Espagnols ne tardèrent pas à s’etTrayer de leur solitude, et les Cortès de 1617 annoncèrent la ruine prochaine du royaume ; dès lors, en elTet, la décadence avait commencé.

Il est vrai que la sécurité intérieure de l’Espagne fut assurée du coup ; le brigandage, qui alongtemps été l’une des plaies de ce pays, ne disparut pas tout entier avec les Morisques ; mais il perdit ses agents les plus redoutables et en même temps son caractère de conspiration permanente avec l'étranger.

Nous ne connaissons pas le cliiit’re exact de la population expulsée, et les calculs varient depuis iSo.ooo âmes jusqu'à 900.000. Il est difficile d'édilîer une conclusion solide sur cette statistique de fantaisie. J’incline, pour ma part, à penser que le nombre des expulsés fût très élevé, de plusieurs centaines de mille.

En tout cas, il faut convenir que ce fut une grande perte matérielle pour un pays qui tendait à se dépeupler de plus en plus. La diminution des habitants chrétiens était due à des causes très diverses : l'émigration en Amérique ; les guerres européennes, qui tirent périr sur les champs de bataille d’Italie, de France, d’Allemagne et de Flandre, la (leur de la population raàle des deux Castilles ; la misère croissante produite par la ruine de l’industrie, les frais de guerre, les impôts excessifs, un certain dégoût du travail manuel et la banqueroute de Pliilippe II, furent les principaux agents de la dépopulation. L’expulsion des Morisques aggrava le mal, elle ne le créa pas ; antérieurement à l’expulsion et indépendamment d’elle, l’Espagne était déjà frappée dans sa vitalité. Le remède ne pouvait venir que du temps, d’une lente amélioration des conditions sociales du pays. Du moins l’avenir fut réservé, et l’expulsion empêcha une population exotique de se substituer peu à peu dans les campagnes aux laboureurs indigènes dont le nombre diminuait.

L'édit de Philippe III ne constituait pas, dans l’Europe du temps de la Réforme et des guerres de religion, un procédé anormal, isolé, unique. Les Electeurs protestants d’Allemagne avaient, au xvi' siècle, chassé de la Saxe, du Brandebourg et du Palatinat les catholiques lidèles qui étaient pourtant de race allemande aussi bien que les luthériens, et même les Electeurs palatins, devenus calvinistes, avaient chassé aussi les luthériens récalcitrants. Les lois draconiennes d’Elisabeth et, plus tard, le triomphe des puritains obligèrent une foule d’Anglais et d’Irlandais catholiques à s’expatrier. Vers la lin du xvii* siècle, la révocation de l'édit de Nantes mettait les protestants français en demeure de choisir entre l’exil et l’exercice public du culte calviniste ; cependant ces protestants étaient français eux-mêmes, quoique les alliances fréquentes de leurs ancêtres avec des gouvernements ennemis eussent pu laisser des doutes sur leur véritable nationalité. Aujourd’hui même, n’a-t-on pas vu les Polonais de la province de Posen privés par la loi prussienne du droit d’acquérir des terres sur leur propre territoire ? En France, il s’est trouvé une majorité sectaire pour prononcer la dissolution des congrégations religieuses, conlisquer leurs biens et contraindre les propriétaires légitimes à se disperser ou à chercher la liberté religieuse à l'étranger, comme les protestants et les Morisques. Le gouvernement maçonnique du Portugal, après avoir promis à ses administrés de leur faire connaître « la liberté dans son essence virginale », a fait connaître en réalité l’exil et la prison aux meilleurs des citoyens.

Ceci prouve que la violence et la méchanceté humaines sont de tous les temps ; seulement les victimes de la force sont plus ou moins intéressantes, et les restes des conquérants ou des insurgés maures ne pouvaient intéresser beaucoup les Espagnols du XVII' siècle. En somme, l’expulsion fut une mesure cruelle, désastreuse à bien des points de vue tant pour les expulseurs que pour les expulsés ; mais ce fut aussi l’aboutissement normal, inévitable peutêtre, d’une série de révoltes sanglantes et de procédés politico-religieux injustes ou maladroits. Les Maures vaincus aspiraient à l’indépendance, les Espagnols victorieux à l’unité nationale ; en agissant ainsi, les uns et les autres restaient iidèles à leur passé et à leur tempérament. Comme l’a écrit Vicente de la Fuente, « le caractère espagnol, trop impétueux, tend toujours à imposer son opinion plutôt par la force que par la conviction » (loc. cit., p. 891). Encore n’estil pas certain que les procédés de douceur eussent abouti à l’assimilation des tribus morisques ; et en tout cas, les complices ou approbateurs des iniquités d’aujourd’liui auraient mauvaise grâce à se constituer les avocats de la tolérance et de la liberté.

BiDUOGRAPUiB. — Outre les ouvrages cités dans le texte, on peut consulter A. de Circourt, Histoires des Mores miidéjares et des Morisques, Paris, 1846, 3 vol. in-S" ; Morel-Fatio, L’Espagne au XVl' et au XVII' siècle, Heilbronn, 1876 ; L’Eglise d’Espagne et les Morisques, Science catholique, mars et avril 1891 ; Damian Fonseca, Justa expulsion de los Moriscos de Espaita, Rume, 1612 ; Relacion de la expulsion de los Moriscos det reino de Valencia (nouvelle édition donnée en 1878 par la Société des Bihliophiles de Valence') ; Juan de Ribera, Instancias para la expulsion de los Moriscos, Barcelone, 1612 ; Marcos de Guadalajara, Mémorable expulsion y Justisiino destierro de los Moriscos de Espaùa, Pampelune, 1613 ; Florencio Janer, Condicion social de lus Moriscos, Madrid, 1867 ; Gams, Kirchengescliiclite on Spanien, III B. II AbtheiKp. 254et ss. ; H. Ch. Lea, The Moriscos of Spuin. Their Conversion and. Expulsion, Philadelphie, 1901.

Jules SouBEN, O.S.B.