Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Purgatoire

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 254-270).

PURGATOIRE

I. Existence du Purgatoire.

A. Le dogme du Purgatoire et l’hérésie luthérienne

B. Les fondements dogmatiques de la croyance au Purgatoire :

1. Les données scripturaires.

2. Antiquité de la tradition et du culte.

  • a) Témoignages traditionnels.
  • b) Témoignage de la liturgie.
  • c) Documents épigraphiques.

3. La critique protestante devant le fait traditionnel.

C. Le dogme du Purgatoire devant la raison.

1. Accord de la doctrine du Purgatoire avec les données rationnelles.

2. Convenances morales du dogme du Purgatoire.

II. Le feu du Purgatoire.

A. Controverse avec les Eglises orientales.

B. La question du Purgatoire dans l’Eglise romaine.

1. Le feu du Purgatoire et le dogme catholique.

2. Le feu du Purgatoire et l’enseignement théologique.

  • a) Le texte de saint Paul, I Cor., iii, 1 i-15.
  • b) La patristique.
    • 1) dans l’Eglise latine,
    • 2) dans l’Eglise grecque.

C. Degré de certitude de cette doctrine.

La doctrine catholique sur le Purgatoire a été Uxée par l’Eglise au concile de Florence (i^38) dans le décret d’union des Grecs, et au concile de Trente (3 décembre 1563) dans le décret sur le Purgatoire, sous les formules dogmatiques suivantes :

« Quant aux fidèles vraiment repentants qui meurent

dans la charité avant d’avoir satisfait par de dignes fruits de pénitence pour les fautes commises et pour leurs omissions, leurs âmes sont délivrées de toute souillure après la mort par des peines purificatrices (poenis purgatoriis… purgari) ; et au soulagement de ces peines servent efficacement les suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacrifices des messes, les prières, les aumônes et autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume d’offrir pour les autres fidèles suivant les pratiques de l’Eglise. » Decretum unionis Græcorum, dans la Bulle d’Eugène IV, Lætentur cæli.D.B., 693 (588) ; Mansi, Ampliss. Coll. Concil., t. XXXI, p. 1660.

« Si quelqu’un affirme que pour tout pécheur repentant, 

après qu’il a reçu la grâce de la justification, la faute est si entièrement remise et la condamnation à la peine éternelle si complètement efficace qu’il ne lui reste plus aucune dette de peine temporelle à acquitter soit dans ce siècle, soit dans l’autre au purgatoire, avant que puisse s’ouvrir à lui l’entrée du ciel, qu’il soit analhème. » Sess. xxv, Decretum de Purgatorio. D.B., g83 (85g).

De ces définitions il résulte que l’existence du Purgatoire, admise par l’Eglise catholique comme vérité de foi, implique ce triple élément :

i » un état de souffrances temporaires dans lesquelles sont retenues, avant de jouir de la vision intuitive, les âmes des justes morts en état de grâce, mais non indemnes des restes de leurs péchés, c’est-à-dire tenus encore à payer quelque chose à la justice divine pour la satisfaction intégrale soit des péchés véniels non remis, soit de la peine temporelle qui reste due par le pécheur après rémission des péchés mortels. Cetélat est donc un état inter497

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médiaire entre celui des élus dans le ciel et des damnés dans l’enfer ;

a° le caractère expiatoire de ces peines, qui possèdent une vertu purificatrice et ne constituent pas dès lors un simple délai de la récompense ; ’.î° la possibilité pour les lidèlcs de concourir par leurs œuvres méritoires et leurs prières, surtout par l’olFrande du saint sacrifice de la messe, à l’adoucissement de ces peines et par là même à la salisfaction exigée par la justice de Dieu pour la libération de ces âmes.

Le dogme du Purgatoire comprend ces trois points de doctrine, et ne s’étend pas au delà. Rien n’est défini touchant la nature de ces peines, si ce n’est qu’elles consistent avant tout dans la privation temporaire de la vue de Dieu, et c’est cela même, comme il est dit plus haut, qui constitue spéciliquementleur état. Quant aux éléments positifs, quant à la cause physique de leurs souffrances, la doctrine communément admise par les théologiens catholiques est qu’il faut recourir, pour en « voir l’explication, à l’existence et à l’action d’un feu puriGcateur. Mais ce n’est là qu’une doctrine théologique, dont la certitude même ne s’impose pas, quelles que soient les raisons solides qui l’appuient ; en tout cas, ce n’est pas une croyance consacrée par l’Eglise, et l’apologétique n’aurait pas à s’en occuper directement, si, précisément, certains adversaires, notamment un nombre toujours plus grand de théologiens orientaux, n’incriminaient l’orthodoxie de l’Eglise romaine en lui reprochant, comme une innovation dans la foi, la doctrine des théologiens catholiques sur le feu du Purgatoire, qu’ils considèrent comme une grossière erreur.

L’apologétique ne peut dès lors se désintéresser de cette question ; et pour répondre aux attaques des protestants qui suppriment le dogme du Purgatoire, des Grecs orthodoxes qui accusent l’Eglise latine de le dénaturer, nous avons à envisager dans cet article : i. l’existence du Purgatoire ; a. le feu du Purgatoire.

I. — EXISTENCE DU PURGATOIRE

A. Le dogme du Purgatoire etl’hérésie luthérienne. — Jusqu’au xn c siècle, on peut dire que l’Eglise romaine est restée en possession paisible de la doctrine traditionnelle sur le Purgatoire, telle qu’elle eut ensuite à la définir aux conciles de Florence et de Trente. AÉRius.auiv’siècle, avait nié, il est vrai, l’efficacité des suffrages pour les morts, Epipiianb, Adv. Hær., lxxv, 3, P. G., t. XLII, 508 ; quelques hérétiques orientaux, Arméniens et Nestoriens, s’en étaient pris, un siècle plus tard, à l’existence même du Purgatoire, et cette erreur avait été accueillie successivement par les Albanais et les Apostoliques, cf. S. Bbrnard, In Cant., lxvi, o-ii, P. L., t. CLXXXIII, 1098-1 100 ; puis par les Vaudois, les Henriciens, les disciples de Pierre de Bruys. Vaines attaques de groupements restreints, isolés, qui restèrent sans écho dans les âmes et ne font que plus nettement ressortir la tranquille possession de l’Eglise et non moins, fait intéressant poui l’apologétique, l’invincihle attachement des lidèles à une croyance chère entre toutes à leur cœur.

Quand, des bords de la mer Noire, la redoutable hérésie des Cathares, aux xu" et xiii’siècles, se répandit en Russie, en Bulgarie, dans presque toutes les provinces de l’Eglise grecque, puis en Italie, en France, en Espagne, en Flandre, en Allemagne, cette doctrine radicale, qui niait la justification interne, le mérite, l’etlicacité des sacrements, et revendiquait pour ses adeptes la non-imputabilité du péché, ruinait du même coup par la base toute la doctrine du

Purgatoire et semait partout ses erreurs. Le IV concile de Latran (ia15) eut raison de cette hérésie. Mais les germes semés devaient porter tôt ou tard leurs fruits et trouver dans le protestantisme une terre d’élection.

Il estremarquable quelesprédécesseurs de Luther, Wiclef et Jean Huss, qui tous deux s’inspirèrent des erreurs albigeoises, n’aient pas osé toucher, dans le renversement de tant de dogmes, à la doctrine traditionnelle du Purgatoire, tant leur crainte était grande de s’aliéner l’esprit des masses. Il fallut la sombre et farouche énergie de Luther pour venir à bout de cette croyance, et dans l’effroyable cataclysme qui ne laissa rien debout de l’ancienne religion, ni le dogme, ni la morale, ni le culte, la croyance au Purgatoire fut la dernière à disparaître, grâce à la résistance du peuple, qui ne perdait que lentement le sens de la justice divine et n’entendait point qu’on lui enlevât cette suprême consolation de prier pour ses morts et de faire quelque chose pour eux dans l’au-delà.

La genèse et l’évolution de l’hérésie luthérienne sont déjà, à eux seuls, une apologétique du dogme catholique.

Lorsque Luther, le 31 octobre 1017, afficha ses thèses contre les indulgences, il ne s’élevait pas encore ouvertement contre le Purgatoire, dont il prenait bien soin d’affirmer l’existence. Mais la question des indulgences engageait toute la question des suffrages et le dogme même du Purgatoire, tel qu’il est proposé à notre foi par l’Eglise. D’ailleurs, Luther s’en prenait déjà aux données traditionnelles sur l’état des âmes souffrantes, et l’attaque, pour être oblique, n’était pas moins perfide ni moins résolue. L’effort paraissait tendre à détruire le lien qui unit ces âmes aux vivants. Les mourants sont morts aux lois de l’Eglise : le droit canonique ne les atteint plus (Th. 13). La conscience de leur imperfection morale et de ce qui manque à leur charité comporte une grande crainte, et une telle crainte suffit à elle seule pour éteindre le feu du Purgatoire (Th. 14 et 15). Il semble, par ailleurs, de toute nécessité que, pour ces âmes, à mesure que la crainte diminue en elles, s’accroisse la charité (Th. 17). Et qui sait si toutes ces âmes, qui sont dans le Purgatoire, désirent bien leur délivrance immédiate (Th. 29) ? Die 95 Ablassthesen. Weimar, 1. 1, p. 233 sqq.

L’émoi fut grand dans toute l’Allemagne. Le novateur jugea opportun de s’expliquer dans ses Eclaircissements sur ses thèses, et il ne marchanda point son adhésion à l’existence du Purgatoire. « Mihi certissimum est Purgatorium esse. » Resolutiones dispulationis de indulgenliarum virtute, Weimar, 1. 1, p. 555. Luther corrigeait ainsi sa 15e thèse ; mais la question du Purgatoire restait au premier plan. Erasmb lui-même, qui approuvait tout le reste, avait élevé la voix, dans une lettre à Lang, du 17 octobre 1518, pour blâmer ces attaques malencontreuses. Gf.KôsTLiN-KAWBRAU, 7l/a ; <mA « </ier, Berlin, 1903, 1. 1, p. 270 sq. De partout retentissaient les plaintes. L’indignation des catholiques était extrêmeets’exhalait en termes véhéments contre « ce renard de Luther », qui dévastait la vigne du Seigneur. Cf. Jean Eck, De Purgatorio adversus Ludderum, Rome, 1523, Préface ; S. Pribrias, Dejuridica et irrefragabili veritatc Romanæ isccZesiae, Rome, 1017, p. 123.

Dans l’apologie qu’il publia en allemand vers la fin de février 1 5 1 9 en réponse aux attaques de Prierias et de Jean Eck, Luther, devant le peuple, se pose encore, mais à sa manière, en catholique orthodoxe. < Il faut croire ferme, e je sais que c’est vrai, que les pauvres âmes souffrent une peine indicible et qu’on doit les secourir par des prières, des jeûnes, 409

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des aumônes et d’autres œuvres. » Une telle profession de foi ne cadrait plus avec les aveux de ses lettres privées, et pas davantage avec ses thèses d’IIeidelherg sur la Justification et le libre arbitre, soutenues le 26 avril 1518. Cf. Thesenzur Hetdelberger Dis/xttation. Weimar, t. I, p. 353 sq. Peut-être voulait- il faire cette concession à Erasme, dont il briguait la faveur. En tout cas, il lui importait au plus haut point de ne pas heurter encore trop vivement le sentiment populaire. Toutefois, semant aussitôt le doute, il ajoutait : < « Mais de quel genre est leur peine, et peut-elle servir toute seule à la satisfaction requise et à leur amendement, cela, je n’en sais rien et je dis, de plus, que personne n’en peut rien savoir. » L’nierricht auf etlichevrtikel, Weimar, t. II, p. 70.

Survient la dispute de Leipzig quillet 151g). Vivement pressé par Jean EcK, qui lui reproche de mettre en cause l’existence même du Purgatoire, Luther de repondre avec audace : « C’est qu’en vérité il n’y a pas dans toute l’Ecriture un traître mot là-dessus. » J.Eck, De Purgalorio ad ver s Il s /.ud icnim, Rome, 1523, foi. A. m. Et comme on lui oppose’texte classique du II* livre des Macchabées, force lui est bien, pour maintenir ses positions, de rejeter l’autorité de ce texte, en alléguant que les deux livres des Macchabées liguraient par erreur dans le canon de l’Eglise. Il venait, au surplus, de rejeter du même geste l’autorité des conciles et, en particulier, du concile de Florence. Cf. Kôstlin-Kawerau, op. cit., t. I, p. 248 aq. Traité de Hussite, l’hérésiarque prit peur. Telfut en effet le scandale, que devant l’impression désastreuse produite par ses paroles, et craignant d’en avoir trop dit dans un débat qui ne tournai’point en sa faveur, Luther, bientôt assagi, rétractait publiquement ses hardiesses par cette surprenante déclaration :

« Moi qui crois intrépidement, bien plus, moi

qui ne crains pas de dire : Je sais qu’il y ann Purgatoire, je n’ai aucune peine à me persuader qu’il en est fait mention dans l’Ecriture. Ainsi, dans ses Dialogues, Grégoire cite ce passage de Matthieu : Ce péché n’a pasde rémission, nidans ce monde, ni dans l’autre, voulant dire que certains péchés sont remis dans le Purgatoire. J’admets aussi ce passage du IIe livre des Macchabées : C’est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts. » J. Cochlakus, De actis et scriptis Lntheriabanno 1517 adannum 15’<6, Mayenoe 1540, p. 16. Rétractation dépure forme. Tout autre langage eût compromis sa cause. Mais il est clair que la doclrinedu Purgatoire était déjà pour lui lettre morte et que son principe fondamental delà justification par la foi et del’inutilité des œuvres étaiten contradiction flagrante avec cette solennelle déclaration. A peine rentré dans son couvent, Luther, coutuniier du fait, rétractait sa rétractation et reprenant sa thèse de Leipzig, qui enlevait au dogme du Purgatoire son fondementscripturaire.il la défendait dans un écrit acerbe qui parut en août 151 9 : Resoluliones I.uthetianæ super jropositionibiis suis l.ipsi’ie dispulutis, Weimar, t. IV, p. 425 sqq.

Dans son esprit, que resle-t-il de ce dogme, puisqu’ildénie également toute autorité à la tradition de l’Eglise ? Evidemment la doctrine du Purgatoire va rejoindre pour lui la doctrine des Indulgences, qu’il rejette en gardant le nom. Mais celle-ci, par suitedes abus commis, prétait à l’attaque ouverte, tandis que la première était chère au peuple entre toutes : il eût été dangereux de lui porter des coups trop violents. Longtemps Luther ménagera ainsi le sentiment populaire. De sa pensée profonde, il ne démasque au jour le jour que ce qui peut lui gagner les sympathies et les concours : le reste viendra à son heure. Par là seulement s’explique l’évolution de l’hérésie

luthérienne touchant le Purgatoire. Cf. Jean Eck., op. cit., Préface.

La liste des propositions luthériennes condamnées par Lkon X, le 15 juin 15ao, ne mentionne sur cette question que les points suivants (37. 38. 3y. 4°) :

« Le Purgatoire ne peut se prouver par aucun texte

de l’Ecriture qui soit canonique.

« Les âmes qui sont dans le Purgatoire ne sont

pas sûres de leur salut, du moins toutes les âmes, et aucun argument rationnel ou scripluraire ne prouve qu’elles ne soient pas en état de mériter et d’augmenter en elles la charité.

« Les âmes du Purgatoire pèchent sans intermission

quand elles cherchent le repos et qu’elles prennent en horreur leurs peines.

« Les àmrs du Purgatoire délivrées par les suffrages

des vivants sont moins heureuses que si elles satisfont par elles-mêmes. » D. fi., 777-780 (661 6ô4).

Jusque-là, Luther maintient extérieurement son aflirmation du Purgatoire ; mais ce n’est plus qu’une caricature du Purgatoire ; et Jean Eck lui reproche avec une juste.indignation de livrer cette croyance séculaire au ridicule et « le porter sur elle une main sacrilège. J. Eck, o/>. cit., Préface. Encore l’hérésiarque atlirme-t-il l’existence du Purgatoire, non pas sur l’autorité de l’Ecriture ou de l’Eglise, mais uniquement sur sa propre autorité de prophète : « Je sais qu’il y a un Purgatoire. » J. Eck, op. cit. fol. A. ni.

Mais à mesure quecroîtle nombre deses partisans, son audace augmente et sa pensée se dévoile. Dans son pamphlet De abrogenda Missa (nov. r&vil), il commence à enseigner résolument qu’il n’ya pas à craindre dese tromper enniant lePurgntoire. Werke, Weimar, t. VIII, p. 45a sq. Après son retour de la Wartbourg, les attaques montenten virulence. « Qui a fait du Purgatoire un article de foi ? Le pape, uniquement pour s’enrichir, lui et les siens, par les messes. Très peu de personnes vont en Purgatoire. » Airchriipostille, Weimar, t. X, I, p. 585. Il n’en laisse pas moins toute liberté aux fidèles de prier pour les morts. Sur ce point, il ne veut pas toucher encore aux anciens usages. Mais, dit-il, il faut y aller prudemment, car il est à croire que les âmes des trépassés dorment d’un profond sommeil jusqu’au jour du jugement. « Dans l’incertitude où. nous sommes, il faut donc dire à Dieu : « Je te prie pour cette âme. Il se peut qu’elle dorme ou qu’elle souffre. Si elle souffre, je te demande, au cas où ce serait ta divine volonté, de la soulager dans ses peines. » Du reste, quand on a prié une fois ou deux, c’est bien assez. » Predigten, dans Werke, Erlangen, t. XVII, a, f. 56 » A cette politique de tolérance, de concessions dans le domaine de l’ancienne doctrine et des pratiques séculaires, le novateur restera fidèle jusqu’à ses démêlés avec Melanchthon au sujet de la Confession d’Augsbourg. En 1036, la dispote de Baden, entre ŒcoLAMPAniîet Jean Eck ne porte que sur le feu du purgatoire. Cf. Cochlakus, op. cit., p. l5 ». Même en 1528, il autorise encore expressément les prières pourles morts. Vom Abendmahl Chrisii ftekenntniss, Weimar, t. XXVI, p. 508. Mais il en était de cette tactique méprisable comme de celle qu’il observaità l’égard du canon delà messe, lorsqu’il recommandait de le supprimer dans l’électorat de Saxe, « de telle façon, toutefois, que le bon peuple ne s’en aperçût pas ». Aussi maintenait-il. dans ce but, le rite de l’élévation, cf. Rifffl, Chnstliche Kirchtngeschicklê der ntuesten Zeit, t II, p. 46 sqq. Mais en i~>30 éclatent soudain, dans la colère, les vrais sentiments de l’hérésiarque. La question du Purgatoire avait été passée prudemment sous silence dans la Confession d’.lugsbourg, rédigée par Melanchthon dans le sens du parti de la conciliation. Luther réclame avec 501

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véhémence, Epiai, ad Mclanchlhoncm. 26 août 1530, De Wette, t. IV, p 1.’'} ; il entend corriger l’œuvre du conciliateur et réiiuue au silence les tenants du Purgatoire, ceux du dedans aussi bien que ceux du dehors. Sans perdre de temps, il ; ulresse aux ecclésiastiques de rassemblée d’Augsbourg un Avertissement où il condamne, avec sa violence coutinuière de ige, le principe même de la satisfaction pour le pécheur. « Dire : Il faut « pie lu satisfasses pour tes péchés, c’est dire : Il faut que tu renies le Christ, que tu rétractes ton Baptême, que lu blasphèmes l’Evangile, que tu accuses Dieu de mensonge, que tu ne croies pas à la rémission des péchés, que tu foules aux pieds le sang et la mort du Christ, que tu violes le Saint-Esprit, que tu mon tes au ciel par les propres moyens. Ah, quelleslangues etquelles paroles suiliraient à épuiser ce sujet ! Qu’est-ce que cette foi, sinon la foi des Turcs, des païens et des Juifs ? Eux aussi voulaient satisfaire par leurs œuvres. Toutes les abominations sont sorties de là : messes, Purgatoire, ollices des morts, confréries, indulgences. » (ermahnitng an die Gtisllichen tersamniclt auf déni Peichstagr zu Augsburg, YVeimar, t. XXX, a, p. a3^ sq. Cf. Cochlabus, op. cit, p.a13.

Et du même trait, pour l’édification deses ouailles, il publie, sous le tilre de Désaveu, son premier écrit contre le Purgatoire. « Mensonges que tout cela, mensonges. Cris de papistes, bruit de hâbleurs. Oui, mensonge de sophistes ; une abomination, que ce Purgatoire. Les âmes sont dans la paix ; elles sont bienheureuses. C’est l’argent qui a créé de toutes pièces le Purgatoire. Le dieu Mammon, le plus puissant de tous les dieux, fait aussi de la Bible tout ce qu ilveut. » W’iderruf vom Fegfeuer, Weimar.t. XXX, 19. Les injures vont croissant avec les années.

« Le Purgatoire, c’est de l’idolâtrie, un fantôme du

diable. C’est tout ce qu’il y a de plus abject, une vermine, une ordure sortie tout droit de la messe, cette queue du dragon. » Schmalkaldische Artikel, dans Werke, Erlangen, t. XXV, p. 1 10 sq.

Ces diatribes ne sont plus du domaine de la dis11. Mblanoothou essaya vivement de calmer la fureur de destruction du réformateur, qui proscrivait du même couples olfices des morts, les messes, les anniversaires, « ces foires du diable », J.Cochlabus, o/>. cit., p. 1 8a. Aux plaintes venues de partout sur les changements opérés dans Iadoctrine, les cérémonies, les pratiques d’autrefois, Melanchthon répondait, en pleine assemblée d’Augsbourg, par une protestation qui dépassait toutefois les limites de la vérité : « Il est faux que nous supprimions les messes et les cérémonies » ; et, en dépit de Luther, il insérait dans son apologie de la Confession d’Augsbourg cette déclaration de tolérance :

« Nous n’empêchons personne de prier pour les

morts. » Apologia Confessionis Augustanae, dans Opéra, C. K. Brunswick, t. XII, p. g4. Il ne croyait pas qu’il fût possible de déraciner brusquement dans les masses une croyance aussi vive et profonde que celle-là. De là ses principes de tolérance, car sa doctrine, au fond, ne différait pas de celle de Luther. Cf. J. Cociu.akus, Philippica septima in Philips uni MeitmcJitfionem, Mayenee, 15/ » g, p. 584.

Seul le farouche radicalisme de Calvin se crut en mesure de détruire du premier coup l’attachement de* réformés aux anciennes traditions et pratiques qui i erpétuaient la communion des âmes entre les vivants et les défunts. La même opposition se manifesta, plus timide, devant un maître mieux armé, mais assez tenace pour exaspérer le tyran. « Maintenant pareillement, qu’ils ne nous rompent plus la tète de h ur purgatoire, lequel est par cette coignée

! é, abattu et renversé jusqu’à la racine. Car je

n’approuve point l’opinion d’aucuns qui pensent qu’on doive dissimuler ce point, et se garder de faire mention du purgatoire, dont grandes noises, comme ils disent, s’esineuvent, et peu d’édilleation en vient… Il faut donc crier à haute voix que purgatoire est une liction de Satan. » Institution chrétienne, i. 111, c. v, n 6.

Les résistances finirent par plier ou se briser sous la main de ferdu tyran. Mais toutesles réclamations de la conscience chrétienne attestent, au sein même du protestantisme, la vitalité delà croyance catholique au dogme du Purgatoire, et l’indéniable concordance qui existe entre ce dogme et les aspirations les plus profondes du cœur humain.

Par contre, aucune raison n’est donnée par les théologiens prolestants de leurs négations impies, sinon que l’existence du Purgatoire est absolument étrangère aux enseignements des Livres saints et aux écrits de la primitive Eglise, el qu’il n’y a d’ailleurs aucune raison qui puisse la justifier, puisque nos fautes, tant pour la coulpe que pour la peine, cessent, par l’effet des mérites de Jésus-Christ, de nous être imputées. De nos jours, la tendance générale est d’admettre, contrairement à la thèse favorite de Luther, que la récompense éternelle est accordée aux âmes, immédiatement après la mort, dans le ciel, et cette doctrine est proposée comme l’enseignement formel de saint Paul.

Hobffnbr, Exposé des idées eschatologiques de saint Paul. Strasbourg, 1869, p. 34 sq. ; E. Vernkt, Essais sur l’eschatologie pu ulinicnne, Poitiers, 1883, p. 64 sq. ; Ménégoz, Le péché et la rédemption d’après sair : t Paul, Paris, 1890, p. g4 sq ; A. Justamon, Etude sur l’eschatologie de Jésus et de saint P «  « /, Montauban, 1895, p. 67 sqq. ; A. Sabatibr, L’apôtre Paul, Paris, 1904, p. 157-15g.

Le protestantisme libéral, dégagé de toute attache scripluraire et même confessionnelle, rejette à son tour l’existence et même la possibilité du Purgatoire, pour des raisons d’ordre métaphysique et moral, dont la plus en faveur est le principe de la perfectibilité indéfinie de l’homme. « La Doctrine du Purgatoire renferme quelque chose de vrai. Toutefois, dans la forme qu’elle a revêtue, elle ne s’accorde pas avec nos conceptions morales et religieuses actuelles. Il n’y a pas de plrce pour un Purgatoire dans un système où l’on admet que même de l’autre côté de la tombe l’homme reste un esprit libre, toujours capable de revenir au bien, et dont la destinée est de se développer éternellement dans le sens de la perfection. » E. Picard, art. Purgatoire dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, t. XI, p. 30.

Innovations, variations, contradictions, puériles ou injurieuses explications, arbitraires négations, tels sont, des origines jusqu’à nos jours, les caractères de la doctrine protestante sur le Purgatoire : tout le cortège, au grand complet, des signes les plus manifestes de l’erreur.

B. Fondements dogmatiques de la croyance au Purgatoire

1) Les données scripturaires. — Beprenant à son compte et résumant, dans l’état actuel de la science, les données de la théologie protestante sur le Purgatoire, le D r Rur>. HunMANN.à l’article de Eegfeuer dans la Ilealencrclopedie fur pro testa ntische Théologie und Kirche, t. VI, p. ia3, n’hésite pas à déclarer que, dans l’Eglise chrétienne, le dogme du Purgatoire s’est établi subrepticement, au cours des siècles, sur une conception absolument erronée de la pénitence et de la satisfaction et sur destextes scripturaire s ii compris, travestis. Telle était déjà la position prise 503

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par Luther au début de la lutte et adoptée par les anciens réformateurs delà Saxe et de la Thuringe, ! Aiusdorf, Jonas, Mathesius, Schenk, Aquila, lleich, Arbiter ; par ceux de Wittenberg.Bugenhagen, Cruciger, Forster, Froschel, Eber ; par les théologiens d’Iéna, de Leipzig, de Dresde ; par tous les disciples de la première heure, pour qui la parole du maître valait parole d’Evangile et mieux encore, car « ils relevaient au-dessus même des Ecritures », comme s’en plaignait fort justement le conseiller Palatin Hardenberg à Flacius lllyricus, et « faisaient dépen dre des seuls écrits de Luther, leurs croyances, leurs opinions, leur personnalité ». Cf. J. Dokllingkh, Die lie formation, trad. Perrot, Paris, 1848, t. I, p. 160. Ainsi s’explique l’extrême indigence de la polémique luthérienne en matière scripturaire, sans que le puissant effort de Chemnitz, au point de vue dogmatique, dans son Examen du Concile de Trente, et celui des Centuriateurs de Magdebourg, au point de vue historique, ait pu apporter de solides étais à cette argumentation dans le vide.

Le premier soin des défenseurs du dogme catholique fut de constater cette carence : négation n’est pas preuve. Il leur fut aisé ensuite de faire ressortir jusqu’à l’évidence les liens intimes qui rattachent la doctrine de l’Eglise romaine sur le Purgatoire aux données positives delà Révélation. Déjà, au lendemain des thèses luthériennes sur les indulgences, le dominicain Phiuhias (Sylvestre Mazzolini), maître du Sacré-Palais, dans son traité De juridica et irrefragabili veritate Iiomanæ Ecclesiae, Rome, 1518 ; puis Jean Eck (Mayer), vice-chancelier de l’Université d’Ingolstadt, dès les premières passes d’armes de la dispute de Leipzig, en 1519, et peu après dans son De Purgatorio, Rome, 15-23, etdans son précieux petit volume, répandu aussitôt dans toute l’Allemagne : Enchiridion locorum communiant advenus Lutheranos, Landshut, 1525 ; Ambroise Cathahin O.P., dans son A polo gia pro veritate catltolicae atque apostolicæ fidei, Florence, 1520 ; Cajbtan dans son opuscule De Purgatorio, ct.Opuscula, quæstiones et omnia quodlibeta, Anvers, ibj6, t. 1, p. 116 sqq. ; d’autres encore, en attendant l’œuvre monumentale de Brllabmin, avaient fait prévaloir contre les novateurs la vérité de la doctrine traditionnelle, en apportant dans la discussion l’ensemble des textes scripturaires les plus suggestifs ou les plus décisifs, ceux-là mêmes que les théologiens catholiques n’avaient jamais cessé d’invoquer et d’interpréter de même façon pour justifier leur croyance.

Sans remonter aux textes des livres des Rois, I Reg., xxxi, 13 ; II Iieg., 1, 12 ; iii, 35 ; xii, îC, ou du livre de Tobie, iv, 18, qui montrent la mémoire des morts honorée par des jeûnes, des aumônes, des sacrifices, ce qui paraît impliquer une sorte de suffi’age pour les défunts, Cf. Atzbbrger, Die Chrislliche Eschatologie in den Stadien ihrer Offenbarung, Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 99, il suffit, au point de vue apologétique, d’insister sur le texte péremptoire du second livre des Macchabées, xii, 3g-46, qui porte sa lumière avec lui. Au lendemain de sa victoire sur Gorgias, Judas Macchabée découvre que des soldats tombés sur le champ de bataille avaient caché sous leur tunique des objets idolàlriques provenant du pillage de Jamnia. C’était une infraction manifeste à la loi des Juifs. « Tous, se mettant en prières, conjurèrent le Seigneur d’oublier le péché commis. Quant à Judas, le vaillant héros, il exhortait le peuple à se préserver de toute faute, devant le spectacle de ce qui était arrivé par suite des péchés de ceux qui avaient trouvé la mort. Et ayant recueilli d’une quête douze mille drachmes d’argent, il les envoya à Jérusalem afin que l’on offrit un sacrilice pour les

péchés des soldats morts, car il n’avait que de bons et religieux sentiments touchant la résurrection. Et, en effet, s’il n’avait pas eu l’espérance que ceux qui avaient été tués ressusciteraient un jour, il eût jugé inutile et vain de prier pour les morts. Et il comptait aussi que la grande grâce réservée à ceux qui étaient morts pieusement, leur serait faite. C’est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient absous de leurs péchés. ». De ce texte de la Vulgate, dont la conformité avec le texte grec n’est pas mise en cause pour la pensée de fond par les protestants, il résulte que les morts peuvent, après cette vie, recevoir la délivrance de leurs péchés, et par conséquent qu’il y a un Purgatoire ; que les prières et les sacrifices des vivants sont utiles aux morts ; que tous les restes du péché ne sont pas toujours purifiés au moment de la mort ; qu’un homme, même s’il estpieusement etsaintement mort, peut avoir encore une dette à payer, soit à cause des péchés véniels non remis en cette vie, soit parce que la satisfaction pour les péchés mortels remis n’a pas été entière. Cf. Bbllahmin, De Purgatorio, 1. 1, c. 1, dans Opéra, Paris, 1869, t. III, p. 55.

Le sens de ce passage est si manifeste, les déductions apparaissent si obvies et si nettes, que Luther, ne pouvant nier l’évidence, mais trouvant tout naturel de s’ériger en juge souverain de l’Eglise et des choses révélées, nia résolument, impudemment, la canonicité du texte et du livre tout entier, vu que ce texte ne lui donnait point raison et que le livre contenait ce texte. Ses disciples l’ont suivi sans réserve dans cette voie. Eclatant aveu d’impuissance et d’obstination dans l’erreur, qui consacrait la plus humiliante défaite. El comme l’application des suffrages aux âmes du Purgatoire implique la valeur satisfactoire des œuvres pies, que le novateur réprouvait de toute sa force, il rejeta du même coup, avec la même désinvolture, l’épître de saint Jacques, qui enseigne l’utilité des bonnes œuvres. « Ce Jacques ne fait rien autre chose que de pousser à la loi et aux œuvres, et il brouille tout si bien qu’il me fait l’effet d’un dérot personnage qui aurait retenu quelques bribes de la prédication des apôtres et les aurait couchées tout de go sur le papier. » * C’est une épltre bien insipide… une épître de paille… Jacques fait là un sot raisonnement… Eh ! quel chaos ! » Resolutiones Lutherianæ super propnsitionibus Lipsiae disputatis, Weimar, t. II, p. 4^5 ; De captivitute babylonien, Weimar, t. VI, p. 568 sqq. ; Uebersetzung des Neuen Testamentes, Werke, Erlangen, t. LXIII, p. 156 ; In Genesim, dans Opéra latina exegetica, Halle, 1720, t. V, p. 227. Cf. Doli.inger, op. cil., t. III, p. 339 sqq. Cette fois, Karlstadt, soutenu par Bullingeh, éleva la voix pour dénoncer les périls de cette méthode exégétique de destruction à outrance : Luther ne rétracta rien de ce qu’il avait avancé. Cf. H. Barge, Andréas Rodersteinvon Karlstadt, Leipzig, 1905, t. I, p. 197 sqq.

En ouvrant toute grande cette nouvelle brèche dans le canon des Ecritures pour se mettre à couvert des textes qui condamnaient sa doctrine sur le Purgatoire, Luther n’en assurait pas moins que cette doctrine, il la puisait aux pures sources du Nouveau Testament. Mais, ici encore, il se heurtait à un ensemble de textes qui, sans avoir par eux-mêmes rien de démonstratif, s’opposent néanmoins à son principe fondamental de la justification par la foi, qui soustrait le pécheur à toute pénalité, à toute expiation ultérieure. Le Christ déclare aux Pharisiens que tout péché est rémissible, quel que soit le crime, hormis le blasphème contre le Saint-Esprit : « Ce péché n’aura de rémission ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir ». Matlh., xii, 31, 3a. Donc, pour que 505

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celle formule déclarative s’explique adéquatement, il est juste d’entendre que certains péchés sont réniissibles en l’autre monde, ce qui implique une pénalité encourue, à tout le moins la privation temporaire de la vision de Dieu, et par le fait une expiation. — Saint Paul, I Cor., ta, 10 s<[q., paraît plus explicite encore. Parlant du jugement iinal et du feu qui manifestera le jour du Seigneur en éprouvant les doctrines et les actions des hommes, l’Apôtre nous montre l’éditice de la doctrine chrétienne dont il a posé le fondement à Corinthe en préchant Jésus-Christ, et que ses successeurs parachèvent avec des matériaux divers : or, argent, pierres précieuses, bois ou paille, c’est-à-dire avec des enseignements d’irréprochable valeur ou d’intime mérite. Le feu laissera indemnes l’or, l’argent, les pierres précieuses ; mais le bois et la paille seront consumés, et les ouvriers plus ou moins consciencieux qui employaient ces matériaux verront leur œuvre périr ; eux-mêmes seront sauvés, mais non sans dommage, comme on se sauve à travers flammes. Voilà donc une peine encourue pour des fautes qui ne séparent pas du Christ, et expiée dans l’autre monde (Çr^iuS^zai) avant l’éternelle récompense (aw0>j « Tai). C’est la doctrine du Purgatoire. Cf. F. Prat, La théologie de Saint Paul, t. I", p. lia, Paris, 1920.

Les textes relatifs au « baptême pour les morts », I Cor., xv, 39, aux fautes qui méritent « la prison dont on ne sortira qu’après avoir payé jusqu’à la dernière obole », Matth., v, a5, aux « douleurs de l’enfer qui ont été supprimées », Act., 11, 24, etc., sont dénature à conûrmer cette doctrine.

Mais l’exégèse luthérienne ne s’arrêtait point à confronter les textes pour les interpréter harmonieusement l’un par l’autre ; elle ne se souciait pas non plus de subordonner ses conceptions au sens obvie des formules, mais bien plutôt d’asservir les textes à l’idée préconçue de la justilication par la foi, norme de toute vérité révélée. Non seulement Luther et son école n’intirment par aucun argument positif la valeur de ces témoignages scripturaires, mais la manière dont ils en usent avec les textes révèle sous le jour le plus cru l’état misérable de leur cause. Luther en appelle à la prédication de Jean Baptiste, qui annonce le nouvel évangile de la pénitence. <t Plus d’oeuvres satisfactoires, mais la simple observance de nos devoirs journaliers, car le baptiseur répète : Ne faites rien que ce qui vous a été prescrit. Nulle trace de satisfaction en tout cela. » « Non, répliquait avec indignation Jean Eck, il n’est pas vrai de dire que Jean n’a pas enseigné la satisfaction. Car il a prescrit l’aumône, qui, dans la doctrine catholique, est bien une œuvre satisfactoire, quand il a dit : Que celui quia deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. De plus, ceux qui avaient reçu le baptême de Jean faisaient la confession de leurs péchés, alin de recevoir une pénitence proportionnée à leurs fautes. C’est en cela que Jean nous a enseigné à faire de dignes fruits de pénitence, fruits qui ne peuvent provenir que désœuvrés satisfactoires. Donc, concluait le docteur catholique, outré de tant de mauvaise foi, donc Luther ment quand il affirme que Jean n’a prescrit que l’observation de nos devoirs habituels. » Enrichidion locornm communium adversus Lutheranos, Landshut, 15a5, p. £|4.

t Par sa passion et par sa mort, le Christ, disait encore Luther, n’a-t- il pas satisfait pour nos péchés ? Donc aussi pour la peine. I anguores nostros ipse tmlit et dolores nostios 7 se portavit. Plus rien à expier. Les peines expialoires sont donc abolies, et OTec elles le Purgatoire. » — » Oui, répondait Jean ! Eck avec toute la tradition catholique, la passion du

Christ a une vertu suffisante pour absoudre le péché de toute peine, soit éternelle, soit temporelle ; et dans la mesure où il participe à la vertu de la passion du Christ, l’homme reçoit aussi une remise de la peine encourue. Dans le baptême, l’homme participe complètement à la vertu de la passion du Christ(car c’est par l’eau et l’Esprit Saint qu’il meurt avec le Christ au péché et qu’il est régénéré en lui pour une vie nouvelle). Voilà pourquoi, dans le Baptême, est effectuée la remise intégrale de Ut peine. Mais dans la pénitence, c’est par ses propres actes, lesquels constituent la matière de la pénitence, et dans la mesure même de ces actes, que lui est appliquée la vertu de la passion du Christ. Aussi est-ce en ce sens que l’Apôtre exhorte les pénitents, Rom., vi, 13 ; et voilà pourquoi encore ce n’est pas l’accomplissement de la première partie de la pénitence qui entraîne immédiatement la remise de la peine, bien que la coulpe puisse être effacée, mais bien l’accomplissement des trois parties intégralement. Nous reconnaissons toutefois que l’on peut, en certains cas, avoir une contrition telle que toute peine soit remise en même temps que la coulpe. Mais ce cas est très rare, et l’on n’est jamais certain d’avoir une telle contrition. » Ibid., fol. 37. Cf. Phibrias, op. cit., p. 33.

Sous quelque aspect qu’on l’envisage, soit en elle-même, soit dans ses attaches, avec l’ensemble de nos dogmes, ainsi se dégage harmonieusement et sans efforts, du témoignage des Ecritures, la doctrine catholique du Purgatoire. Quant à l’exégèse luthérienne, qui consiste à déchirer des pages entières de la Bible suivant les besoins de la cause, à ne prendre dans le reste que ce qui plaît, et pour l’interpréter comme il plait, il y a longtemps que la vigoureuse franchise des contemporains de Luther, fidèles à leurs croyances, l’a taxée de mauvaise foi. Cf. Jean Eck, De purgatorio, contra Lutherum, Borne, IÔ23, Préface. Pour être plus mesurés dans la forme, les jugements formulés par certains historiens protestants, qui ont suivi de plus près ces discussions, n’en sont pas moins sévères pour le fond. Parvenu au terme de ses savantes recherches sur le canon des Livres saints, J. Berthold conclut en toute certitude en faveur de la canonicité du second livre des Macchabées et de l’Epître de saint Jacques, et déclare que les réformateurs du xvie siècle, en rejetant ces livres comme apocryphes, n’ont agi que « par esprit de secte ». Dans son célèbre ouvrage sur la Béforme, que Moehler a loué comme un prodige d’érudition, Hobninghaus professe le même sentiment et rend le même verdict. « Ces soi-disant apocryphes, notre Eglise ne les reçoit pas comme divins, parce que l’Eglise romaine en tirait des preuves pour établir plusieurs points de ses doctrines, tels que ceux de la messe et du Purgatoire. » Die déformation gegen die Re formation, Berlin, 1851, t. I, p. 234- Exégèse de mauvaise foi ou exégèse de fantaisie, elle porte, quasi de toute manière, sa condamnation avec elle-même et ne fait ressortir que plus manifestement l’indestructible et magnilique unité du dogme catholique.

2) Antiquité de la tradition et du culte. — a) Les témoignages traditionnels. — Du moment que Luther, rejetant toute idée de peine expiatoire et niant l’efficacité des bonnes œuvres, prétend ramener l’Eglise du xvi* siècle aux doctrines et aux pratiques de l’Eglise primitive, il ne peut être question pour lui de reconnaître dans les premiers siècles même un semblant de croyance aux peines du Purgatoire, pas plus qu’une application des suffrages faite aux morts par les vivants. Ciikmnitz est à peu près le seul, de l’ancienne école, à concéder que a les anciens priaient pour les morts ». « Mais ce n’est pas, explique-t-il, 507

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qæ l’on ait cru à des tourments endurés, dont les défunts seraient rachetés par nos suffrages : c’était uniquement pour la formation morale des vivants, pour leur réconfort, et leur consolation. » Examen concilia Tridentini, Berlin, 1861, p. 6a*. Il est reçu aujourd’hui, chez les théologiens protestants, que l’idée d’un Purgatoire a été émise pour la première fois par s » int Augustin. Encore était-ce à titre de pure hypothè-e. « Celte hypothèse fut admise comme une réalité par Césaire d’Arles et répandue ensuite dans tout l’Occident par Grégoire le Grand. » E. Picard, à l’article Purgatoire, Encyclopédie des sciences religieuses, t. XI, p. 30. Rud. Hoffmann découvre des traces d’une vague idée du Purgatoire chez Cyprien, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Basile, qui tiendraient cette idée d’Origène. Ainhroise 1 aurait transmise à l’Eglise occidentale ; Augustin en auraitadmis la possibilité ; Césaire d’Arles aurait appuyé sur l’idée, et Grégoire le Grand l’aurait convertie en dogme. Ce n’était d’ailleurs qu’une simple doctrine de purification, fort différente de la théorie du purgatoire imaginée au moyen âge et sanctionnée par le concile de Trente, R.E.P.T.. t. X, p. ni.

Les textes sont cependant bien concordants et explicites. Tkrtullien, au début du 111e siècle, évoque la prison dont parle l’Evangile, où il faudra payer la dernière obole du péché et regarde comme indubitable la croyance aune expiation temporaire dans l’autre monde avant la résurrection. Nemo dubitabitanimam aliquid pensare pênes inferos, salva resurrectionis plenitudine per carnem quoque. Do anima, lviii, P. L., t. II, col. 752. Il rappelle les oblations faites pour les défunts au jour anniversaire de leur mort. Pratique ancienne, comme tant d’autres semblables, qui ont leur source dans la tradition et se sont enracinées solidement dans l’usage, sous la garde de la foi. Oblationes pro defunctis annua die facimus. Harum et aliarum hujusmodi disciplinarum… traditio tibi protendetur auctrix, consuetudo confirmatrix et fides observatrix. De corona mil., iii, 'P. L., t. II, col. 79. Cf. De Monogamia, x, 'P. L., t. II, col. 942. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien p. 133 sq., Paris, 1905.

La doctrine de saint Cyprien développe, avec la plus rigoureuse précision, ces pensées. Il oppose l’attente du pardon à l’entrée sans délai dans la gloire. C’est bien du Purgatoire qu’il s’agit, et tel que nous l’admettons aujourd’hui, tel que l’a défini le Concile de Trente : les mots, les images répondent nettement à l’idée. L’illustre témoin de la foi primitive rappelle, lui aussi, la prison où les dettes doivent être payées jusqu’à la dernière obole, et il met en regard le don immédiat de la récompense. Toute la force de ce passage repose sur le contraste mis en œuvre, à dessein, entre le Purgatoire et le ci 1, cl que relève chaque détail. « Autre chose est d’avoir à endurer pour l’amendement de ses péchés les tourments d’une lente souffrance et d’être purifié à long terme par le feu, autre chose d’avoir satisfait pour toutes ses fautes par le martyre. Aluid est ad ceniam store, aliud est ad gloriam peirenire, aliud missum in carcerem non exire in le donec soldat novissimitm quudruntem, aliud statim fidei et vintulis acciperc mercedem, aliud pro peccatis longo dolorc eruciaium emundan >'t pwgari diu igné, aliud peccata omnia passion* purgasse. » Ep., x, Ad Anton., P. /.., III, 785. Sur la prière et l’oblalion du saint Sacrifice pour les défunts, son témoignage n’est pas moins formel. Epist., xlvi, Ad clerum, P. L., IV, 399. Même fermeté de croyance dans saint Hilaiuk, In Ps. cxviii, P. T., IX, 522 ; dans saint Amhhoisb, qui insiste en son commentaire des Epitres de saint

Paul (I Cor., m) sur l’existence du Purgatoire et qui, j dans son oraijon funèbre de l’empereur Théodose, adresse à Dieu celle prière : « Accorde, Seigneur, le repos à ton serviteur Théodose, ce repos que tu as préparé à tes saints… Je l’aimais, c’est pourquoi je veux l’accompagner au séjour de la vie : je ne le quitterai pas tant que par mes prières et mes lamentations il ne sera pas reçu là-haut, sur la montagne sainte du Seigneur, où ceux qu’il a perdus l’appellent. » De obitu Théo /., iii, P. /.., XVI, 1397. Il mentionne également la coutume des églises de consacrer certains jours à prier spécialement pour les morts.

Si Jes déclarations de saint Augustin relativement à l’existence du Purgatoire et à la verlu des suffrages ont pu paraître aux protestants obscures, hypothétiques, inconsistantes, c’est qu’ils n’ont pas i pris la peine, vraiment, de colliger les textes et de lire : aucun doute n’est possible. Dans son commentaire sur la Genèse, il distingue expressément le feu du purgatoire du feu de l’enfer. Les âmes molles auront à subir l’un ou l’autre suivant la gravité de leurs manquements : vel ignem purgationis vel ignem fieternum. De Genesi adv. Manich., II, 11, P. L., XXXIV, 212. A plusieurs reprises, dans la Cité de Dieu, il revient sur les peines temporelles que nous avons à souffrir, les uns dans ce monde, les autres dans l’au-delà, d’autres pendant cette vie et après cette vie, et nunc et tune, mais avant le jugement dernier. Deciv., 1. XXI, c. xiii, P. L., XLI, 728. Ces peines, au jugement, nous vaudront miséricorde : elles nous préserveront de la flamme éternelle. Ibid., c. xxxiv. n. 2, col. 738. La prière qu’il adresse à Dieu pour lui-même dans le commentaire du psaume xxxvn, n’est que l’application louchante de ces pensées.

« O mon Dieu, purifie-moi dans cette vie et

rends-moi tel qu’il ne soit plus besoin pour moi du feu purificateur. » In Ps. xxxvii, n. 3, P. L., XXXVI, 397. Cf. In Ps. vi, n. 3, P. L., xxxvi, 92.

Sa profession de foi touchant l’eflicacité de la prière pour les morts ne pourrait être ni plus déclarative ni plus ferme. Pour lui, c’est une vérité certaine, indubitable, transmise par les Pères, confirmée par la praliquede l’Eglise entière, que la prière poulies morts leur obtient de Dieu un accroissement de miséricorde dans l’expiation de leurs péchés. Il en trouve la preuve dans la comuiémoraison desdéfunts au saint sacrifice. Serm. ccxxii, 1, P. /.., XXXVIII, g36. De toute son âme, il prie pour sa mère. « Toi aussi, Seigneur, pardonne-lui ses dettes », Conf., l.IX, c. xiii, n. 35, P. /., XXX11, 778. A son tour, il condamne Vérins, qui niait l’utilité des suffrages. De huer., oliii. b. XLII, 4 « - Cf. De cura pro mortuis 1, 3, P. /.., XL, 5q3 ; Enchindion, ex, P. /.., XL, 283. Sur l’offrande du saint sacrifice de la messe pour le défunt devant la tombe avant la déposition du corps, voir Conf., IX, xii, P. L., XXXII, 777. Cf. Co itru Faust., XX, xxi. l’.L., XLII, 384.

On citerait de même saintCésviRB d’Arlks, Serm., cv, P. /.., XXXIX, 1 ç)4û ; Gbkgoirb i.b Grand, Dinl., IV, xxxix, P. /.., LXXVI1, 396, 421 ; Sacram., 682, P. L., LXXVIII, 217 ; saint Isidorb db Skvillr, De eccl. off., 1. I, c. xxiii, P. /.., LXXXIIL757.

Même concordance et même précision de croyance dans l’Eglise grecque. Déjà Clkmbnt d’Alkxandris, dans les premières années du m" siècle, à la question de savoir ce qu’il advient de l’âme qui s’est réconciliée avec Dieu au lit de la mort et n’a pas eu le temps de faire pénitence de ses fautes, donne cette réponse de la foi catholique : « Elle est punie, de telle sorle que la justice de Dieu s’exerce avec bonté et sa bonté suivant ce qui est juste… Ces châtiments prennent fin au cours de l’expiation et purification dechacun. » Strom.V, xiv ; VI, xiv ; VII, vi, /’. G., IX, 1 33, 332, 449609

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Oa ne reprochera pas à Ohkhînb de n’avoir pas connu ni professé la doctrine d’une expiation dans

1 au delà, lui qui a cru pouvoir étendre le bienfait de* peines purifiantes à tous les grands pécheurs. Kien de plus exact que ses enseignements sur la rémission des péchés véniels clans l’autre vie d’après la doctrine de l’Apôtre (I Cor., ni). Si quelqu’un vient à mourir avec des fautes légères, il est condamné au feu qui consume les matériaux légers et prépare l’âme au royaume des cieux où aucune impureté n’entrera. « Car si vous avez bâti sur le fondement du Christ un éditice non seulement d’or, d’argent et de pierres précieuses, mais de bois, de foin, de chaume, à quoi doit s’attendre votre àme au sortir du corps ? Entrerez-vous dans le ciel avec votre bois, votre foin, votrechaume, pour déparer ainsileroyaumede Dieu ? Ou bien, en raison de ces obstacles, resterez-vous dehors sans recevoir de récompense pour votre or, votre argent, vos pierres précieuses ? Ce ne serait ju te ni d’un côté ni de l’autre. Il reste donc que vous’Livré au feu qui consumera les matériaux légers… Ce feu ne détruira pas la créature, mais ce que la créaturea elle-mêmeédilié, bois, foin et paille. Il est manifeste que ce feu détruit le bois de nos transgressions et nous remet alors en possession de la récompense de nos bonnes œuvres, tin Jerem., ii, 3, P. G., XIII, 443. 448. —Cf. A. Michel, Origcne et le dogme du Purgatoire, dans les Questions ecclésiastiques, p. 40, Lille, 1913.

Saint Cyrille db Jkrusalr.m atteste l’efficacité des suffrages, surtout du saint sacrifice, pour le soulagement des âmes souffrantes. « Nous avons confiance

« l’apporter un très grand secours aux âmes des défunts, 

en priant pour elles pendant que la victime sainte et redoutable est sur l’autel, ftlquoiqn U n i * * » Tttareieirttt ni¥j3.i nûç LjyyÂi. Nous ne tressons pas de couronnes pour 1er, morts ; iuais nous offrons à Dieu pour eux nos prières ; nous offrons surtout le Christ immolé pour nos péchés, et par là nous apaisons pour eux et pour nous Dieu qui aime les hommes. » Catech. mvstag., v, 9, P. G.. XXXIII, 1 1 i">.

Les expressions de peines purifiantes, de feu purificateur, ttvo xaOttpKMÔ », de purgatoire, jguptoi y.v.OKpt*f/.sj . se retrouvent à cette époque dans le commentaire sur Isaie conservé sous le nom de saint Basile, chez seint Grbgoipk db Nysse, dont les témoignages ne peuvent être plus déci-ifs. Cf. Saint Basil., In /*., /’. o., XXX, a30, 3’13, 37Ô, 43."), Ô19. « Quand l’Ame a quitté le corps, dit saint Grkgoirb db Nyssiî, et que la balance est établie entre la vertu et le vice, ellene peut approcher de Dieu avant que le feu purificateur n’ait enlevé toutes les souillures dont elle est contaminée. » Il faut donc expier ses fautes ou bien dans cette vie par la prière et une conduite sage, ou bien dans l’autre parle feu, Or. pro mortuis, P. G., XLVI,

02 t, ">2.">. Parlant despécheursqui viennent de quitter la terre, saint Jkan Ont ysostome insiste pour que l’on prie pour eux. « Il faut, autant qu’on le peut, leur porter secours, non par des larmes, mais par des prières, des supplications, des aumônes, desoraisons. Car ce n’est pas sans raison que ces pratiques ont été instituées, et ce n’est pas en Tain que, dans nos saints mystères, nous faisons mémoire de ceux qui ne sont plus. » Ilom., xlii, in I ad Cor., iv, /*. G., LXI, 36 1.

Au reste, la foi de 1 Eglise était alors aussi fermement établie que publiquement affirmée et défendue, puisque l’erreur d’Aérius niant l’efficacité des suffrages était condamnée aussitôt comme hérétique, et que la question des suffrages implique essentiellement l’existence d’une expiation temporaire dans l’autre ▼ie. Cf. saint Epipuanb, Huer., lxxv, 3, P. G., XLII,

.’. l4 sq.

h) Le témoignage de la Liturgie. — L’usage de prier

pour les morts au Saint Sacrifice de la messe remonte aux premiers jours de l’Eglise. Tbrtullien, loi : ci/., et saint Cyimukn, loc. cit., dans l’Eglise latine le vénèrent comme un usage consacré par les Apôtres. L’offrande du Saint Sacrifiée pour les défunts apparaît dans les Acta loannis, composés entre 160 et 170, Acta apostolica apocrypha, Leipzig, 1898, t. I, p. 186.

Saint Jban Chrysostomb invoque également pour son Eglise la tradition apostolique. « Ce n’est pas en vain que le diacre s’écrie : Pour ceux qui reposent dans le Christ. Ne l’oublions pas et songeons au soulagement qu’il est en notre pouvoir d’obtenirpourles morts. Cen’estpas en vainque les Apôtres eux-mêmes ont établi qu’il serait fait mémoire des trépassés pendant le Saint Sacrifice. Lorsque tout le peuple est assemblé et qu’il prie, les mains élevées vers le ciel et que la victime trois fois sainte est là sur l’autel, comment notre voix ne s’élèverait-elle pas avecconfiance vers Dieu en faveur des défunts ? » Ilom., xxi, in Act., 4, P. G., LX, 170.

Le Mémento des morts, sous les formes diverses, mais toutes concordantes, que nous lui connaissons au moins à partir du iv’siècle, se retrouve, en effet, dans toutes les liturgies. Après la lecture des diptyques qui renfermaient les noms des évêques et des fidèles morts dans la paix du Christ, le célébrant récitaitl’oraison dite Oratio posl nomina, par laquelle prêtre et assistants demandaient à Dieu pour ces âmes le repos du ciel. Cf. Duciiesnk, Les origines du culte chrétien, p. 214, Paris, 1908.

La formule romaine du Mémento, que Luther et tous les moines défroqués de son entourage avaient si longtemps récitée, garde dans sa concision tout l’élan de la prière. « Souvenez-vous aussi, Seigneur, de vos serviteurs et de vos servantes (suivent les noms). A eux et à tous ceux qui reposent dans le Christ, que le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix soit concédé par votre indulgence, nous vous en supplions par le Christ notre Seigneur. » De ce que le Mémento des défunts manque dans quelques anciens exemplaires du canon, par exemple dans celui du Sacranientaire gélasien, on ne saurait arguer d’une divergence dans les usages. L’omission provient, vraisemblablement, de ce que cette formule servait de cadre aux diptyques des morts, que l’on récitait sur un texte spécial, un rouleau ou autre chose de ce genre. Duchksnb, op. cit., p. 185. Cf. Sacram. Gelas., P. /.., LXXIV, ia35.

Les formules orientales sont identiques pour le fond. Un très précieux fragment de l’ancienne liturgie copte, publié en 1897 par M. Hyvbrnat, contient cette commémoraison plus développée, mais dont les analogies de forme avec le Mémento romain ne sauraient échapper. « A ces âmes, Seigneur, et à toutes les âmes dont nous faisons mémoire, et aussi à celles dont chacun garde le souvenir dans son cœur, daigne accorder le repos dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; donne-leur le rafraîchissement dans ces riantes régions du paradis de la paix, où il n’y a plus ni trouble, ni gémissement. Accorde-leur les biens que tu as promis, et que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus. Bien qu’ils aient péché par égarement ou par oubli, étant des hommes vivant dans le monde et portant le poids de la chair, toi qui es le Dieu bon, l’ami des hommes, daigne leur pardonner. Car il n’est personne qui soit pur de tout péché, même s’il ne passe qu’un jour sur la terre. Reçois, Seigneur, toutes ces âmes dans ce séjour ; donne-leur le repos et qu’elles soient dignes de ton royaume céleste. » Rômische Quarlnlschrift, 1897, p. 330 sqq.

Dans l’Eglise grecque, même pitié pour les âmes souffrantes, mêmes inspirations de charité. « Exau511

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cez noi humbles prières, Seigneur, et donnez aux âmes de vos serviteurs maintenant endormis le repos dans un lieu de lumière, dans un lieu verdoyant, dans un lieu de rafraîchissement, là où n’existent plus ni chagrin, ni tristesse, ni gémissement ; introduisez leurs esprits dans les tabernacles des justes, de la paix et du pardon. » Saint Basile, Eiiyo’/6-/iov ri at/a, Venise, 1863, p. 376. Voir Liturgie des morts, ibid., p. 407, et d’autres nombreuses formules dans Rknaudot, Collectio liturgiarum orientalium, t. I, p. 150 sqq., Paris, 1716.

c) Les documents épigraphiques. — La prière chrétienne se retrouve de même sur tous les monuments des morts, dès les origines du culte. Elle accompagne les acclamations et les vœux qui suivaient le mort, dans sa tombe : Pax ; Pax tecum ; Pax tibi ; Elprjvri <roi ; formules plus anciennes que Vfn pace et antérieures à la paix constantinienne.La colombe, qui apporte le rameau d’olivier, traduit ûgurativement la croyance à l’efficacité de la prière des vivants. Cf. Wilpbrt, Ein Cyclus christologischer Gemalde, p. 33, Fribourg en Brisgau, 1891. Elle se traduit aussi sous une forme directe, moins lapidaire : Spiritus tu us requiescat in pace. Mais, soit qu’elless’adressent immédiatement à Dieu : Spiritum tum Deus refrigeret ; soit qu’elles s’adressent aux Saints : Martyres JAF me réfrigèrent, que les martyrs Janvier, Agathope, Felicissime me donnent le rafraîchissement ; soit qu’elles s’adressent à la charité des vivants : Qrate pro me peccatore, cf. Kirch, Die l.ehre von der Gemeinschajtder Heiligen im christlichen Altertum, Mayence, 1900, p. 171, ces inscriptions ont un caractère de prière indéniable. Elles tendent à ouvrir leciel aux âmes qui ont encore à expier, en abrégeant la durée de leur peine : In refrigerium et in pacem. Tkrtullirn témoigne que les chrétiens de son temps priaient ainsi pour l’âme de leurs proches, implorant pour elles le rafraîchissement. Pro anima (mariti) orat et refrigerium intérim adpostulat ei, loc.cit. Cf. CKa.ufma.nn, Diesepulcralen Jenseits Denkmæler, der Antike und des f’rchriste/itums, Mayence, 1900, p. 43. Le ciel est parfois figuré par un épanouissement de roses au sommet, tandis qu’au bas la colombe apporte le rameau d’olivier. Quelques inscriptions mentionnent d’ailleurs expresscVnent le séjour des saints, to’ttoç dtyiav, comme cette formule priscillienne : « Seigneur, toi qui es assis à la droite de ton Père, reçois la petite âme de Nectaréon dans le séjour de tes saints. » Kaufmann, op. cit., p. 62.

Telle était la foi publique et constante de l’Eglise romaine au 111e siècle. Cf. Wilpbrt, Die Malereien der Katakomben Roms, Fribourg-en-Brisgau, 1903. Sur cette question, dont nous n’avons à relever ici que les données intéressantes pour l’Apologétique, voir l’article parfaitement documenté de M. l’abbé R. S. Bour, Communion des Saints (Monuments de l’antiquité chrétienne) dans le Dictionnaire de théologie catholique.

3) La critique prolestante devant le /ait traditionnel. — Les documents sont irrécusables Devant ce faisceau de témoignages précis, concordants, les plus autorisés qui soient, quelle est l’attitude des adversaires ? A ces voix du lointain passé, qui attestent universellement la croyance au Purgatoire, quelle réponse est la leur ? Car est-il un point d’histoire aussi nettement et rigoureusement établi que celui-là ? Discuteront-ils au moins les textes ?

Non. Rien n’est discuté. Voilà quatre siècles que la critique protestante se dérobe. Luther s’est levé pour détruire : il détruira, et ses disciples ne sauront rien relever. Que lui importe à lui, la tradition ? Il la proscrit en bloc.Ce sont de petits écoliers devant lui, tous ces Pères de l’Eglise.On lui oppose Cyprien,

Jérôme, Basile, Chrysostome, Grégoire le Grand. Que sont-ils ? Cyprien, « un piètre théologien » ; Jérôme, un falsificateur « plus digne de l’enfer que du paradis » ; Basile, un propre à rien, un moine, c’est tout dire, « dont les œuvres seraient payées trop cher d’un fétu de paille » ; Chrysostome, « un entêté, un bavard » ; Grégoire le Grand, tun naïf dont s’amuse le diable ». Cf Dollinger, op. ci/., t. I, p.4&7sq.

— Calvin recourt au même procédé expéditif. C’est le couperet révolutionnaire. « Les anciens Pères de l’Eglise chrétienne, qui ont prié pour les morts, voyaient bien qu’ils n’avaient nul commandement de Dieu de le faire… Je dis qu’ils ont été des hommes en cet endroit et pourtant qu’il ne faut point tirer en imitation ce qu’ils ont fait… Les Pères anciens ont confessé qu’ils ne savoyent rien de Testât d’iceux ; certes tant s’en faut qu’ils affirmassent rien du Purgatoire. » Inst. chrét., 1. III, c. v, n, io. Corpus Beformat., t. XXXII, p. 174.

Cependant le fait historique reste dans toute sa force. Auiv" siècle, la croyance de l’Eglise au Purgatoire est universelle, profonde, vivante et agissante. Akrius la combat, en niant l’utilité des suffrages. Il est condamné aussitôt comme hérétique, et son hérésie ne tarde pas à disparaître avec lui. « Vous, novateurs, disaient aux luthériens les catholiques avant l’assemblée d’Augsbourg, niez-vous ce fait indéniable ? Vous faites-vous solidaires d’Aérius ? Et prétendez-vous qu’il représente, contre l’unanimité des Eglises, la croyance primitive et la foi des Apôtres ? » — La réponse ne pouvait être éludée. Mklanchïiion et son parti la rédigèrent avec soin et l’insérèrent dans l’Apologie de la Confession. Il est difficile d’imaginer un document plus décevant par son ambiguïté, ses faux-fuyants, ses artifices. « C’est à tort, est-il dit, que nos adversaires nous objectent la condamnation d’Aérius, qu’ils veulent qu’on ait condamné, à cause qu’il niait qu’on offrît la messe pour les vivants et pour les morts. Voilà leur coutume de nous opposer les anciens hérétiques et de comparer notre doctrine avec la leur. Epiphane témoigne qu’Aérius enseignait que les prières pour les morts étaient inutiles. Nous ne soutenons point Aérius ; mais nous disputons avec vous qui dites, contre la doctrine des Prophètes, des Apôtres et des Pères, que la messe justifie les hommes en vertu de l’action, et mérite la rémission de la coulpe et de la peine aux méchants à qui on l’applique, pourvu qu’ils n’y mettent pas d’obstacle. » Ibid. — Et Bossubt de répondre avec son inflexible logique : « Voilà comme on donne le change aux ignorants. Si les Luthériens ne voulaient point soutenir Aérius, pourquoi soutiennent ils ce dogme particulier, que cet hérétique arien avait ajouté A l’hérésie arienne, qu’il ne fallait point prier ni offrir des oblations pour les morts ? Voilà ce que saint Augustin rapporte d’Aérius, après saint Epiphane, dont il a fait un abrégé (August. , lib. de Hær.. 53 ; Epiphan., Hær., 75). Si on rejette Aérius, si on n’ose pas soutenir un hérétique réprouvé par les saints Pères, il faut rétablir dans la liturgie non seulement la prière, mais encore l’ohlation pour les morts. » Histoire des variations, III, 55.

Il est vrai que la vérité a une autre allure et se reconnaît à d’autres marques. Mais c’étaitla destinée du protestantisme d’etreenfermédans une essentielle contradiction qui, pour prétendre remonter aux sources de la primitive Eglise, l’obligeait à nier jusqu’à ses origines.

C. Le dogme du Purgatoire devant la raison.

1. Accord de la doctrine avec les données rationnelles. — Pour la philosophiespiritualiste, qui admet l’immortalité de l’àme et les caractères essentiels de 513

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la justice divine, indépendamment de toute vue surnaturelle, l’idée d’une purilication après la mort et avant la récompense, pour tout ce qui pont rester de souillé en l’homme, n’a rien ijui ne s’accorde pleinement avec les principes mêmes delà raison. La sanction e » st inséparable de la loi : il faut que l’ordre moral soit rétabli, et dans la mesure même où il a été violé. Il est évident que le rétablissement de l’ordre par la justice ne s’effectue que très imparfaitement dans ce monde et qu’un* sanction supérieure doit atteindre les fautes de cette vie en dehors de cette vie, celles qui entraînent la perversion de la volonté dans le mal et qui privent à jamais le coupable de la récompense éternelle, celles aussi qui laissent subsister la vertu et dès lors le droit à la récompense, mais qui ne constituent pas moins une offense à la sainteté de Dieu et, par conséquent, une dette envers sa justice. Celle-ci ne serait point satisfaite, si cette dette subsistait après la mort sans être payée par une réparation pénale.

Cette exigence d’une expiation de ces fautes dites légères dans l’au-delà est tellement d’accord avec notre sens inné de la justice, qu’on en retrouve l’affirmation plus ou moins voilée chez tous les grands peuples de l’antiquité. Les Egyptiens conservaient l’idée très nette d’un jugement divin après la mort et d’une expiation avant ce jugement. Cf. Maspbro, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, t. I, p. 18a199, Paris, 1895. — La sombre mythologie des Babyloniens admettait un état intermédiaire entre les supplices des impies et les félicités du ciel, et accordait aux dieux d’en-haut le pouvoir de délivrer certaines âmes. Cf. Lagrangb, Etudes sur les religions sémitiques, p. 33^-3 {1, Paris, io, o5. Chez les Perses, cet état intermédiaire, nommé Hâmestakân, finit par être transformé, dans l’Avesta postérieur, en un purgatoire universel où se purifiaient les grands crimes comme les fautes menues. Cf. Lagrangk, La lielixion des Perses, p. 30, Paris, 1904. — S’élevant, au-dessus des mythes qui voilaient la vérité, jusqu’à l’idée d’une Providence vigilante qui rend à chacun selon ses œuvres et qui dispose toutes les parties de l’univers dans l’ordre le plus propre à la perfection de l’ensemble, Platon a donné chez les Grecs, à la doctrine de la purification des âmes après la mort, la consécration de son génie. L’âme n’est pas seulement en rapport avec la vérité et avec le mouvement, mais aussi avec le bien. Elle doit être punie ou récompensée suivant savaleur morale, et la justice humaine est incapable d’accomplir entièrement cette loi de rémunération ou d’expiation. Il faut une justice supérieure, une Ame qui s’adresse à l’àme face à face, sans intermédiaire, et prononce sa condamnation ou son absolution par un décret infaillible. Cette âme, c’est celle qui meut et qui gouverne l’univers, c’est Dieu, t A peine séparées de leur corps, les âmes arrivent devant le juge, qui les examine attentivement. .. Aperçoii-il une âme défigurée par le péché, il l’envoie aussitôt avec ignominie droit aux cachots où elle doit subir les jus tes châtiments de ses crimes… Or, il y en a qui profitent des peines qu’ils endurent ; ce sont ceux dont les fautes sont dénature à être expiées… Toutefois cet amendement ne s’opère en eux que par la voie des douleurs et des souffrances, car il n’est pas possible d’être délivré autrement de l’injustice. Pour ceux qui ont commis les plus grands crimes et qui, en raison de cette perversité, sont devenus incurables, ils servent pour l’exemple. Leur supplice ne leur estd’aucune utilité, parce qu’ils sont incapables de guérison. » Gorgias, 5aa sq. Phédon, 1 13sq.

On retrouverait l’influence de ces doctrines dans l’école néo-platonicienne.

Tome IV.

Il n’est pas jusqu’aux protestants qui n’apportent leur hommage à la vérité. Outille que soil la puissance de haine qui ait soulevé l’Allemagne du xvi’siècle contre le dogme catholique, elle n’a pu étouffer ni la voix de la conscience, ni le sentiment de la justice. Déjà Bossubt le faisait remarquer, en relevant, après Grotius, les antinomies du protestantisme et en particulier les déclarations de Mestresat etde Spanheim. Histoire des variations, IV, 15g. Mais il était réservé à Lbssing, « le plus grand Allemand qui soit après Luther -j, de reprendre, au nom de la raison et île la critique historique, la question du Purgatoire et de ruiner sans merci l’œuvre de Luther. Il est évident pour lui que le Réformateur a dénaturé l’idée même de justice, comme il a dénaturé les textes. Heitràge zur Geschiclite und Litteratur ans den Schàtzen der herzoglichen Bibliothek zu Il olfenbiittel, dans fVerke, éd. Hempel, t. XII, p. ia3.

Et ces conclusions de la théologie libérale ont été adoptées, en certains milieux, même par la théologie orthodoxe. « La plupart de ceux qui meurent sont, il faut l’avouer, trop bons pour l’enfer ; mais ce qui n’est pas moins sûr, c’est qu’ils sont aussi trop mauvais pour le ciel. On doit avouer franchement qu’il existait à cet égard une certaine obscurité dans la doctrine des protestants. La science nouvelle l’a depuis longtemps constaté. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, p. 4^2, Berlin, 1864. Le manuel de théologie dogmatique de Martbnsen, accueilli avec faveur dans les cercles théologiques des paj’s Scandinaves et de l’Allemagne du Nord, formule le même enseignement. « Aucune àmen’ayant atteint l’état de consommation parfaite lorsqu’elle quitte ce monde, il faut bien admettre un état intermédiaire où l’âme achève de se développer, de se purifier, de se mûrir pour le jugsment dernier. Bien que la doctrine catholique du purgatoire ait été repoussée à cause du mélange d’erreurs grossières qu’elle renfermait, cependant elle a ceci de vrai que l’état intermédiaire est nécessairement, dans un sens spirituel, un lieu de purification pour les âmes. » Die christliche Dogmatik, Berlin, 1870, p. 43 1.

2. Convenances morales du dogme du Purgatoire. — Il serait superflu de démontrer à un catholique à quel point la doctrine du purgatoire est bienfaisante et douce. En nous donnant une si haute idée de la sainteté et de la majesté divine et en fortifiant en nous le sens de la justice, elle avive dans les âmes l’appréhension de toutes fautes, même des plus légères, si bien que la pensée d’un purgatoire, où se purifient les défunts, est purifiante elle-même pour les vivants.

Elle répond en même temps aux sentiments les plus profonds comme aux aspirations les plus élevées du cœur humain. En nous rendant familière la croyance à l’immortalité de l’âme et en tournant le cours de nos méditations vers l’au-delà, en nous apprenant que le lien si fort et si doux qui nous attachait à nos chers diparus n’est pas entièrement brisé parle trépas, que nous restons en communion de pensée et de sainte charité avec eux, que nous pouvons faire encore quelque chose pour eux, alléger leur souffrance, leur ouvrir plus vite les joies du ciel, elle maintient vivant et agissant le culte d’affection qui les entouraitdans leur vie et quis’exalte à la mort. Et notre cœur nous pousse à leur donner, tant que nous leur survivons, le meilleur de nous-mêmes, nos prières, nos sacrifices, nos bonnes œuvres. C’est la suprême consolation dans le déchirement des séparations cruelles et il n’a fallu rien moins que la fureur impie, barbare, d’un apostat profanateur des tombes pour arræheraux cœurs brisés ce cher adoucissement de leur douleur.

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Ici encore nous retrouvons dans le protestantisme le » plaintes qui expriment le regret du passé et condamnent ainsi le présent. « Si nous admettons, avec les catholiques et les protestants, une continuation d’existence immatérielle après cette vie, il n’y a rien de plus inconséquent, pour ne pas dire de plus inhumain (et cette expression ne semble pas trop forte), que de regarder tout rapport avec nos frères décédés comme entièrement rompu par la mort. Oh ! combien elle est belle, cette croyance, fondée sur l’idée d’un monde spirituel, que la mort ne nous sépare pas de nos morts (car qui n’a pas une tombe où sont les siens ?), mais que dans cette vie terrestre et périssable nous sommes liés d’une manière indissoluble à l’autre monde. » Hoeninghaus, op. cit., p. 226 sqq.

Encore n’est-ce là qu’un écho affaibli des protestations indignées qui accueillirent au début la doctrine de Luther et qui faillirent compromettre le succès de la Réforme. Les conséquences de cette désolante doctrine ne tardèrent pas à se faire sentir. Tandis qu’en Allemagne les offices des morts étaient supprimés, les fondations abolies, les monuments funéraires brisés, les épitaphes effacées, cf. Janssbn, L’Allemagne et lu Réforme, trad. Paris, t. III, p. 36g, la dépravation et l’impiété s’étendaient partout. t Pratique salutaire, remarque encore Hoeninghaus. Si elle avait été conservée, nous n’aurions probablement pas eu parmi nous tant de scepticisme et d’incrédulité. » Op. cit., p. 225.

D’autre part, la réaction contre cette impitoyable doctrine gagnait si fortement les esprits que, d’un extrême passant à l’autre, les théologiens protestants en vinrent bientôt à convertir l’enfer lui-même en purgatoire en admettant pour tous les hommes une expiation temporaire après la mort. Cette renaissance imprévue de l’apocatastase, dans une religion qui rejetait même pour les fautes légères des justes la possibilité d’une purification, était déjà si généralement accueillie à la lin du xvm* siècle, que Joseph de Maistrb s’en étonnait et, non sans humour, s’en égayait. « Un des grands motifs de la brouillerie du xvie siècle fut précisément le purgatoire. Les insurgés ne voulaient rien rabattre de l’enfer pur et simple. Cependant, lorsqu’ils sont devenus philosophes, ils se sont mis à nier l’éternité des peines, laissant néanmoins subsister un enfer à temps, uniquement pour la bonne police, et de peur de faire monter au ciel tout d’un trait Néron et Messalinc à côté de saint Louis et de sainte Thérèse. Mais un enfer temporaire n’est autre chose que le purgatoire ; en sorte qu’après s’être brouillés avec nous parce qu’ils ne voulaient point de purgatoire, ils se brouillent de nouveau parce qu’ils ne veulent que le purgatoire. » Soirées de St-Pétrrshourg, t. II, p. 107, Paris, 1821.

II. — Le feu du Purgatoire

A. Controverse avec les Eglises du schisme grec — La croyance de l’Eglise grecque au Purgatoire était entièrement conforme, avant le schisme, à la croyance de l’Eglise romaine. Dans la liste des accusations formulées par PhoTius contre l’orthodoxie des Latins, figurent, avec la doctrine de la primauté du pape, celle de la procession du Saint-Esprit, l’addition du Filioque au symbole, et tout ce qui peut accuser une divergence de rites ou de pratiques religieuses entre les deux Eglises, comme d’observer le jeune du samedi, d’autoriser en carême l’usage du lait, d’imposer le célibat, de réserver aux évêques le droit d’administrer le sacrement de confirmation, etc. Mais aucune mention n’est faite du dogme du Purgagatoire, ni dans le formulaire dogmatique rédigé par Photius en 866 et proposé à l’acceptation du légat du pape, cf. Hergenroetiifr, Photius, Patriarchvon Constantinopel.t. I, p. 617-666, Ratisbonne, 18671869, ni dans sa lettre aux Bulgares où il multiplie les griefs, accentue les moindres disparités dans les coutumes, comme le port de la barbe dans le clergé, la préparation du saint chrême, etc., Photius, Ep. encycl., 1, 13, P. G., Cil, ôgg. Aucune allusion, non plus, à une opposition ou différence de doctrine sur ce point dans les réponses du pape Nicolas I er et des théologiens de l’Eglise latine, ce qui implique l’accord absolu de part et d’autre. Cf. Enée de Paris, Liber adv. Græcos, P. L., CXXI, 22Ô, Ratramnb, Contra Græcorum opposita, P. L., CXXI, 485 ; liesponsio episcopor. Germaniæ Wormat. adunatorum, P. L., CXIX, 1201 ; Hbrgbnrobthbr, op. cit., p. 684 sq. Il en est de même de la polémique engagée par Michel Cérulaire et par l’archevêque bulgare Léon d’Achrida, P. G., CXX, col. 833 sq., Hbfblb, Conciliengeschichte, Fribourg en Brisgau, 1885-1874, t. IV, p. 736 sq. Et pourtant, vrai ou faux, rien n’a été laissé dans l’ombre, parmi les cent trois griefs dressés contre Rome dans le domaine du dogme, de la morale et du culte, de ce qui pouvait aviver l’hostilité des Grecs contre les Latins et mettre la confusion dans les esprits.

Par contre, les théologiens de l’Eglise latine signalaient chez les Grecs séparés du centre de la foi l’éclosion d’une foule d’erreurs entachées d’hérésie. Ils révèlent chez leurs adversaires, et non comme un signe de la vérité, le byzantinisme de leurs méthodes d’attaque et de repli, leurs détours et faux fuyants, leur goût puéril et malsain pour les controverses insignifiantes qui avilissent et dégradent la théologie, en même temps l’orgueil et la prétention inouïe qu’ils font paraître dans leurs jugements. Enée db Paris, op. cit., P. /.., CXXI, 226 sq Les controverses sur le Purgatoire devaient s’inspirer jusqu’au bout de cet esprit. "Voir le jugement autorisé du R. P.Jugie sur les Caractères généraux de la polémique des théologiens schismatiques, dans ce Dictionnaire, art. Grecque (Eglisb), t. II, col. 377 sqq.

C’est dans le cours du XIIIe siècle que semblent se manifester, sans doute sous l’influence du grand mouvement de l’hérésie des Cathares, les premières erreurs relatives au dogme du Purgatoire. Au synode de Nymphée, où se discute, en 1234, un projet d’union des Eglises, il en est à peine question. Mais en 1 202, une discussion étendue, sinon approfondie, s’ouvre à Constantinople ; l’opposition s’affirme au point que, dans la confession de foi proposée par Clément IV à l’empereur Michel Paléologue, on juge nécessaire de rédiger un article spécial sur ce point. « Si les pécheurs, vraiment repentants, meurent dans la charité avant d’avoir satisfait par de dignes fruits de pénitence pour les fautes commises et pour les omissions, leurs âmes sont purifiées après la mort par des peines expiatoires, poenis purgatoriis seu catharteriis, et c’est au soulagement de ces peines que servent les suffrages des fidèles vivants, messes, prières, aumônes, et autres œuvres de piété, que les fidèles ont coutume d’offrir pour d’autres fidèles suivant les prescriptions de l’Eglise. » D. B.464- La question des peines du Purgatoire avait été soulevée quant au mot et quant à la chose, et l’accord s’était établi sur les deux points, puisque le terme grec xxdzarripiKi ; avait été expressément insérédans la formule. A cette formulesouscriventles Grecs au concile œcuménique de Lyon, en 1274, Cf. Acta Concilii Lugdun., Mansi, t. XXIV, p. 38 sq. ; Hbfblb, op. cit., 1 VI, p. 1 1 4 sq.

La controverse reprit, aux discussions du concile de Ferrare.en 1 438, âpre et vive, avec tout le byzantinisme de la méthode orientale et toutes les arguties d’une dialectique déliée, trop souvent oublieuse d’elle 517

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lême. Cette fois l’attaque étaitprécise : elleportaitsur

le feu du Purgatoire, que les Grecs rejetaient connue

une superfétation du dogme, grossièreet dangereuse.

Elle était confuse aussi, car elle affectait d’identilier

la question du feu du Purgatoire avec l’existence

lême du Purg ; <toire, telle que la propose l’Eglise latine

la croyance des lidèles. L’orthodoxie romaine se

rouvaitdoncmise en cause directement et incriminée

d’erreur dans la foi, si bien que, de ce chef, l’union

entre les Eglises devenait impossible, au dire des

irecs. Résumés dans un écrit de propagande, Ucpi

xadoLpTripioj mp6t, qui circulait déjà au concile de Bàle

et qui fut longtemps attribué au moine Barlaam,

cf. Arcudius, De purgatorio igné ad^ersus Barlaam,

Voine, 1 637, ces griefs furent exploités aussitôt à

Ferrare.

Quand il fut demandé aux Grecs de formuler nettement la croyance de leur Eglise etde motiver leurs assertions tendancieuses, Bbssarion, métropolite de Nicée, et Marc Ecobnicos, métropolite d’Ephèse, l’un shef desunionistes, l’autre chef des séparatistes, ne s’entendirent plus entre eux ni toujours avec eux-mêmes. Tandis que Bessarion, l’auteur du lltpi xxixpnipiou 'jjoo' ; , alllrmait l’existence d’un état intermédiaire ître l’enfer et le ciel, où sont remises, après la mort, les fautes vénielles, mais regardait comme douteuse rémission de ces fautes par le moyen de peines ailliclives, et niait résolument le feu du Purgatoire, lare d’Ephèse rejetait catégoriquement et le feu du Purgatoire et toute idée de châtiment et l’existence même d’un état intermédiaire, en vertu de ce principe que, dans la remise du péché, le pardon de la coulpe implique le pardon de la peine. Il n’y a donc rien à expier, pour les justes, dans l’au-delà, ni la peine « lu péché mortel, puisque cette peine est remise avec le péché lui-même, ni les fautes reconnues comme vénielles par les Latins, puisque les Grecs n’admettent pas l’existence de telles fautes. L’Eglise prie pour les morts, il est vrai, mais pour l’universalité des morts, et non pour une catégorie particulière : par l’effet de ces prières, les pécheurs les moins coupables pourront être sauvés, puisque la condamnation éternelle n’est pas encore portée sur eux ; les grands coupables éprouvent un allégement de leur souffrance, et les justes un accroissement de leur félicité, en attendant la vision béatiûque après le jugement général. Voir les documents dans GraffinNal, Patrologia orientaliê, t. XV, fasc. 1, où se trouvent les textes édités et traduits par Mgr Pbtit, archevêque latin d’Athènes : Documents relatifs au Concile de Florence : La question du Purgatoire à Ferrure. Documents i-vi. Paris, 1920 ; et cf. A.d’Alès, La question du Purgatoire au concile de Florence en U38 dans le Gregorianum, Rome, 1922, p. 34 sq.

C'était déjà l’idée luthérienne avant Luther. Elle lit rapidement son chemin, et David Chytrabus, qui, de l’Université de Rostock, jetait les hases d’une union gréco-luthérienne, affirmait sans trop d’exagération, en 1673, que la croyance à une purilication des âmes aprèsla mortélait absèntede l’Eglise orientale. Cf. Krabdb, David Chytræus, Rostock, 1870, p. 23^. Dans les tentatives d’union avec l’Eglise anglicane, la concordance des doctrines sur ce point se manifeste avec la même netteté, Cf. Mansi, op. cit., t. XXXVII, p. 389 sq., /J3a. Nous n’avons pas à suivre le progrès des influences protestantes dans l’Eglise grecque, tel qu’il ressort des Confessions de foi de MbtrophanrCritopoolos, de Pibrrb Moghila, de Chrysanthr de Jérusalem, ou les rétractations de Dosithbr. Il nous suffit d’aboutir à cette conclusion de Macairb, « en qui se résume toute l’orthodoxie de nos jours », M. Jogib, Echos d’Orient, nov. 1906, p. 3a3 sqq. : « La doctrine romaine sur le purgatoire

est fausse, parce qu’il est faux qu’un pécheur ayan déjà fait pénitence avant de mourir doive apporter encore une espèce de satisfaction à la justice divine pour ses péchés en subissant à cet effet quelque punition temporelle, et cela dans le purgatoire, faute de l’avoir pu subir ici-bas… Pour obtenir de Dieu un pardon complet et l’affranchissement de tous les châtiments du péché, les pécheurs n’ont qu'à s’approprier les mérites du Rédempteur… Dieu serait injuste, s’il exigeait la satisfaction du pécheur en plus de la satisfaction de Jésus-Christ. » Théologie dogmatique orthodoxe, Paris, 185y, t. II, p. 727.

C’est après une si radicale évolution de l’orthodoxie byzantine, que le patriarche deConstantinople Antiiimb VII, dans sa lettre du 22 septembre 1895 en réponse à l’encyclique de Léon XIII « Præclara gratulationis » du ao juin 1894, accusait « l’Eglise papale, à partir du xne siècle et dans la suite, d’avoir, par la décision du pape statuant seul en son nom comme revêtu de tous les pouvoirs, grandement innové pour ce qui est du feu du purgatoire ». Cf. J.-B. Bavbr, Argumenta contra orientaient Ecclesiam ejusque synodicam encyclicam, Innsbruck, 1897, p. 3a sqq. Cette déclaration ne fait que consacrer officiellement, sous une forme atténuée, l’outrageante accusation de l’archevêque de Moscou, Platon, en 1813 : « Le feu du Purgatoire est un produit de l’imagination papiste. » 'O^Siôolo ; SiSa.rx « Xta, Munich, 1834, p. iao.

Du concile de Florence à nos jours, le grief des Eglises orientales contre l’Eglise romaine n’a donc changé ni de forme ni de ton : la doctrine des Latins sur le feu du Purgatoire est une erreur sans le moindre fondement, et une erreur dans la foi.

B. La question du feu du Purgatoire dans l’Eglise romaine- — Il est facile d'établir, en réponse à ces attaques, que la réalité du feu dans le Purgatoire constitue, pour les Latins, non pas un dogme, mais seulement une doctrine, assez solidement fondée, toutefois, pour être communément admise.

1. Le feu du Purgatoire et le dogme catholique. — Il a été défini, aux conciles de Florence et de Trente, que des peines expiatoires et temporaires sont réservées dans l’au-delà aux âmes des justes qui sont morts en grâce avec Dieu, mais sans avoir satisfait complètement à la justice divine. Rien de plus. Sur la nature même de ces peines, aucune définition n’est intervenue, aucune décision de quelque ordre que ce fût. Aussi a-t-on toujours distingué, dans l’enseignement de l’Ecole, avant, comme après ces conciles, la question du Purgatoire de la question du feu du Purgatoire, l’une qui est du domaine de la foi, l’autre qui n’en est pas.

Marc d’Ephèsb ne pouvait l’ignorer. Fort habile à recueillir dans les Commentaires de saint Thomas sur le livre des Sentences les objections du Docteur Angélique pour les convertir en arguments de sa propre thèse, cf. In Sent., 1. IV, dist. xxi, q. 1, a. 1, Obj., il n’a pu fermer les yeux sur le texte remarquable où le saint docteur formule, non sans quelque solennité, cette profession de foi. La justice de Dieu, est-il dit, exige le rétablissement de l’ordre détruit par le péché et, par cela même, une pénalité qui soit une expiation. « Aussi ceux qui nient le Purgatoire, blasphèment la justice de Dieu : voilà pourquoi c’est là une erreur, un reniementde la foi. Ceci, nous le prêchons, gardant ainsi le dogme de la vérité, car telle est notre croyance. Et toute l’Eglise l’admet, elle qui prie pour les défunts afin qu’ils soientdélivrésde leurs péchés, ce qui ne peut s’entendre que de ceux qui sont en purgatoire. Or, quiconque s’insurge contre l’autorité de l’Eglise, encourt la 519

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condamnation d’hérésie. » Ihid. De cette profession de foi est exclue la question de la nature des peines, dont saint Thomas traite aussitôt, sans que la moindre allusion soil faite à une autorité dogmatique.

Dans l’Eglise romaine, le cardinal Cajbtan a pu enseigner qæ le délai de la vision béatillque imposé aux âmes du Purgatoire ne leur cause pas plus de peine que n’en ont les vivants, sur la terre, de ne pas jouir de la présence de Dieu. Opusc, Lyon, 156a, t. I, p. 4’|. O’autre part, sur l’autorité de Bbdr, llist. eccles., V, xii, P. I-, XGV, a50, Bbllarmin admet comme probable l’existence d’un lieu faisant partie du purgatoire, « où les âmes n’ont plus la peine du sens, mais seulement la peine du dam, purgatoire fort mitigé, où cependant les âmes ne sont pas heureuses, par suite du retard apporté douloureusement à leur béatitude ». Op. cit., p. M,

Devant cette liberté laissée par l’Eglise à renseignement catholique et mise à profit par des théologiens de cette marque, au moment même où le dogme du Purgatoire était attaqué par les protestants avec le plus de violence, comment soutenir que les pontifes romains ont innové en matière de foi et imposé à la croyance des fidèles une erreur dogmatique, celle de la réalité du feu du purgatoire, alors que les papesne se sont jamais prononcés ni surlanature des peines, ni même sur la réalité de la peine du sens ?

De même qu’ils n’ont jamais pu citer un seul document pontifical où fût proposée aux fidèles comme un dogme la réalité du feu du Purgatoire, jamais non plus les Grecs n’ont découvert ni allégué, dans tout l’enseignement de l’Ecole, un texte quelconque en faveur de leurs prétentions. Scarez regarde, il est vrai, comme « téméraire et confinant à l’erreur » l’opinion de ceux qui n’admettent pas de feu matériel au Purgatoire : il n’a pas été suivi sur ce point, et la doctrine de Bkllarmix dans ses Controverses reste lanormede l’enseignement théologique quand, après avoir donné comme certain qu’il y a une peine du feu au purgatoire, il prend soin de spécifier : * soit que ce feu soit entendu au sens propre ou métaphoriquement, soit qu’il signifie la peine du sens ou la peine du dam, comme quelques-uns le veulent ». loc.cit., x.

Nous voilàloin du prétendu dogme du feu du Purgatoire, forgé de toutes pièces par les papes, et de la croyance universelle des Latins à ce dogme : l’accusation d’erreur dans la foi portée par les coryphées des Eglises orientales contre l’Eglise romaine, avec une conscience si légère et une science plus légère encore, ne repose même pas sur l’ombre d’un prétextent il faut que les partisans du schisme de Pliolius soient bien à court de raisons pour que ce grief sans fondement se soit maintenu au cours des siècles et fasse encore les frais d’une polémique.

2. Le feu du Purgatoire et l’enseignement théolegique. — Il est vrai que, sans admettre comme vérité de foi la réalité du feu du Purgatoire, les théologiens catholiques l’enseignent comme unevéritéà peu près unanimement reconnue et certaine. Il n’y arien là, nous le verrons, de contradictoire. Mais tout d’abord, ont-ils ce droit ? Les docteurs del’Eglise orientale dénoncent ici l’erreur de doctrine en opposition formelle avec les données authentiques de l’Ecriture et de la tradition. Sur quels fondements légitimes les docteurs catholiques appuient-ils leur enseignement ?

a) Le texte de saint Paul, I Cor., Ht, 1 1 - 1 5. — Pour lea Grecs, le feu dont il est question dansée passage est le feu éternel qui atteindra, au dernier jour, les impies. Lorsque saint Paul écrit : cï rtm% xaraxaW*cr « i ri ëcr/o*) ÇluUtilbjllnai, àvrè ; Si 7ù18r, iiTvi, aSroif Se <ùç Siy. nu/ev ; , il envisage le feu de l’enfer, qui détruira l’œuvre des pécheurs, sans consumer le pécheur lui-même. Mais

qui ne voit que, pour admettre cette exégèse, repoussée par tous les commentateurs, honnis saint Jkan Cuiiysostomr et quelques-uns de sesdisciples, il faut i mp o se r aux mots un sens arbitraire et faire violence au texte. Zqp.ta&a&u implique le châtiment reçu ; ntÇMfat, le salut procuré. L’opposition marquée dans le texte met encore en relief cette valeur de sen9. Traduire, avec les exégètes orientaux : « les damnés éprouveront un dommage, mais subsisteront, seront conservés », c’est détourner le mot de son acception régulière, détruire l’opposition et la suite même des pensées. D’ailleurs, dans l’Evangile, Matth., xix, 25 ; Marc, x, 26 ; Lue., xviii, 26, etdans saint Paul même, I Cor., 1, 18 ; v, 5 ; ix, 22, aùZtaOv.i se dit toujours du salut messianique. Par quel renversement de sens l’appliquer ici aux damnés ?

Une exégèse rationnelle, fondée sur la signification obvie des mots, sur la structure de la phrase, sur l’ensembledu contexte, sur l’enseignement général df ; l’Apôtre, arrive, sans effort ni détour, à cette conclusion que ce feu qui éprouve les doctrines et les actions des hommes (I Cor., ni, 13) et qui aceomy pagne et manifeste le jour du Seigneur, est, directement exprimé, le feu du jugement. Ce n’est donc pas le feu de l’enfer, qui punit, mais n’éprouve pas. Ce n’est pas non plus le feu du Purgatoire, qui purifie, mais n’a pas la vertu d’éprouver les œuvres saintes, or, argent, pierres précieuses. Toutefois, ce qui se passe au grand jour du jugement, ce discernement du bien et du mal dans les Ames, cette distribution des peines et des récompenses, n’est que la manifestation publique de ce qui se sera passé pour chacun au jugement particulier. Là aussi les fautes vénielles seront punies, mais l’âme sera sauvée, « comme on se sauve à travers le feu ». En vérité, l’argument n’est pas apodictique. Gen’est qu’une suggestion du texte, mais assez nette pour qu’un nombre imposant de Pères et de docteurs l’aient recueillie avec raison, sans qu’il soit possible d’établir avec certitude que le feu du jugement, et dès lors celui du Purgatoire, est un feu réel ou un feu métaphorique, La parité du feu de l’enfer et cette règle d’herméneutique qui prescrit de s’attacher au sens naturel des mots quand aucune raison positive n’intervient de recourir au sens figuré, fournissent un point d’appui suffisant à l’opinion de ceux qui voient dans le texte de saint Paul une affirmation implicite et probable de la réalité du fendu Purgatoire. — Cf. Atzbbrgrr, op. cit., p. 128 ; Michel, Feu du Purgatoire, dansle Dictionnaire de Théologie catholique, t. IV, col. 225a2261.

b) La patristique. — La plupart des Pères, soit de l’Eglise latine, soit même de l’Eglise grecque, ont évoqué ou affirmé de diverses manières le feu du Purgatoire. La valeur de leurs témoignages est inégale ; mais il en est d’explicites, où la réalité de ce feu est formellement invoquée.

1. Dans l’Eglise grecque. — L’idée d’un baptême de feu qui purifiera les âmes après la mort, est déjà familière à Clbmknt d’Alrxandhir, qui a bien en vue un feu réel, Strom., V, xiv ; VII, vi, /’. G.. IX, 133, 64$. Elle se retrouve en maints passages (I’Oric. knk, iiitm. xxiv in f.uc., P. G.. XIII, 189/) ; t outra Cri*., V, xv, P. G., XI, vaot ; In Hbr. Rrg. II, P. G., XII, 1027 ; In Exod., vi, P. G., XII, 33/ ( ; Nom., iii, in Ps. xxxvi, 1, P. G., XII, 1336 ; InJerem., 1, 3, P. G., XIII, 280. Il paraît hors de doute qu’il s’agit dans ces textes d’un feu matériel. Cf. Atzrbrorr, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicànischen Zeit, VrhciTg en Brisgau, 18<)6.p. /(O^, sq. Mais rien n’empêche, en toute rigueur, qu’on les entende aussi du feu du jugement ou de l’épreuve. La rénlité du feu du Purgatoire ne serait alors 521

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suggéréeque par voie de déduction, en observant que l’erreur origéniste, qui attribue au feu de l’enfer une vertu purificatrice, témoigne en faveur d’un feu réel.

Le terrain est plus ferme avec saint Basile, qui parle comme d’une réalité du fou purificateur, .j xx9xprtx ; j isvpit, du lieu assigné à l’amendement des âmes, où l’ange a pris le charbon dont il purifia les lèvresd’Isaïe, ^wi : j xettaftr/ueG -^jyù-j. In Is., vi, G, P. G., XXX, 435 ; ix, lii, ibid., col. 51q.

Saint GnéooiM dk Nazianzr explique le texte de Mint Paul, 1 Cor., iii, [3-l6, en l’appliquant au feu du Purgatoire, sans se prononcer toutefois sur sa nature. Or, 111, Adeosqui ipsum acciverant nec occurrerant, P. G., XXXVI, 5a4. Mais la pensée de saint Grégoire dk Nyssb est tellement manifeste que les Grecs, au Concile de Florence, ont été réduits, pour défendre leur thèse du feu métaphorique, à rejeter comme apocryphes les textes invoqués par les Lalins. Or.pio mort., P. 6)..XLYI, 5a5. Nous avons à nous purilier de nos péchés, soit pendant notre vie, soit après notre mort, dans la fournaise du feu purificateur, ciy. r< ; i t’ji, /.v&olç.’iCoj T.’jpiz ganii’ocg.. Cf. De Ctmsolaiione etpost mortem, stalu anim., P.G., L, <)~, 100 ; Or. de infant., P. G..XLVI, 168.

Des témoignages favorables seraient fournis également par saint Isidore dk Pklisk, Epist., I, cccl, Lampetio, P. G., LXXVIII, col. 381, et par Basile db Sklf.ucib, Or. xviii, In David., P. G., LXXXV, aa5. 11. n’en est pas moins vrai que le témoignage de la tradition grecque reste incertain dans son ensemble et ne fournit qu’un argument probable en faveur de la réalité du feu du Purgatoire.

2. Dans l’Eglise latine. — Le point d’appui est ici plus solide. Dès le 111e siècle, Tbrtullibn, en rappelant la vision de saintePerpétue, fait allusion au feu puriticateur, par lequel ceux qui meurent dans le Christ gagnent l’entrée du ciel. De anima, lv, P. L., 11, 7/42. De son langage métaphorique, il serait vain de tirer aucune conclusion relativement à la réalité de ce feu ; il n’an est pas moins remarquable que l’idée de feu soit ainsi associée dès l’origine à l’idée du Purgatoire et revienne comme naturellement en d’autres passages de ses écrits. Cf. Apol., xlvii et XLviii, P. L., I, 519, 5a5 ; De anima, lviii, P. L., II, jho. — Saint Cypribn en parle comme d’une chose bien connue de tous, et rien n’insinue qu’il ne s’agisse point d’un feu réel, purgari diu igné. Ep., ad Anton., P. /.., IIL786.

Pour saint Hilairb, c’est le feu du jugement qui purifie en brûlant, qui consume toutes les fautes légères, feu véritable d’après le contexte. Mais de quel jugement ? Même s’il s’agit du jugement dernier, il est encore intéressant, pour la question présente, de noter cette purification des fautes légères par un feu réel. In Ps., cxviii, 3, P. Z,., IX, 5 19. Voir la préface de l’édition bénédictine, n. 8, ibid., col. m. — La pensée de saint Ambroisb se dégage avec netteté. Pour entrer au ciel, il faut passer par le glaive de feu qui brûle, mais ne consume pas : allusion, d’ailleurs fréquente chez les Pères, à l’épée flamboyante de l’archange gardien du paradis(Ge «., m, 25). Mais plut loin, l’explication obvie est donnée :

« Tous nous avons à passer par les flammes ».

In Ps., cxviii, 3, P. /.., XV, 1229 ; ibid., 20, 1487. Ailleurs :

« Tous nous serons éprouvés par le feu, et si

nous ne sommes pas entièrement consumés, nous ne serons pas toutefois sans brûlures », In Ps., xxxvi, a6, P. L, XIV, 980. Cf. Or. in Theod., P. L., XVI, 138ô. — Saint Jeromb, In Is., xviii, 46, P. t., XXIV, C78, n’est pas moins explicite, surtout si l’on tient compte de la correction apportée par le codex ambrosien.

« Et sicut diaboli et omnium negatorum atque

impiorum… credimus aeterna tormenta, sic pecca tuium ctiam christianorum, quorum opéra in igné probanda s uni atque purgando, moderatam arbitramur et mixtam clementiac sententiam judicis. » Mais cette croyance n’est pas du tout donnée comme adhésion à une vérité de foi.

La question de la réalité du feu du Purgatoire se pose très nettement avec saint Augustin. Au début, l’hésitation est grande. Cf. De (ide et oper., xvi, 29, L. P., XL, 217. Puis la pensée se précise et s’affermit. Les écrits contre les Manichéens ne font ressortir aucune distinction de nature entre le feu de l’enfer et celui du Purgatoire : « vel ignem purgationis, vel poer.am aeternam ». De Gen. adv. Manich., II, xx, 30, P. L., XXXIV, 21, où il déclare que la peine du feu, au Purgatoire, dépasse tout ce que l’on peut souffrirsur la terre, P. /.., XXXVI, 397. Cependant, loin de faire de cette question une question de foi, le saint docteur émet sa pensée comme une pure opinion, Enchiridion, lxix, P. L., XL, 265. Il se garde bien de l’imposer. « Certains iidèles seront-ils après cette vie condamnés à passer par une sorte de feu qui les purifie, per ignem quemdum purgatorium, il n’y a rien là d’incroyable et l’on peut très bien s’enquérir de ce qu’il en est, se faire une opinion arrêtée, comme aussi rester dans le doute », De octo Dulc. quæst. 12, P. L., XL, 1 55. Cf. De Civ. Dei, XXI, xxvi, P. L., XLI, 746. Mais le sentiment d’Augustin n’est pas douteux. Les Grecs en convenaient eux-mêmes au concile de Florence, tout en accusant ce grand docteur d’avoir imaginé cette doctrine pour combattre plus efficacement l’origénisme et détourner une grave erreur par une erreur moindre. Révoltante et piteuse défense, dont lit justice aussitôt l’indignation des Latins. Voir Mgr Petit, op. cit.. Documents, iv et v. Plus franchement, les Protestants ne font plus difficulté de reconnaître que la doctrine actuelle des catholiques sur le Purgatoire ne diffère pas de celle de saint Augustin. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Berlin, t. III, p. lia.

A partir desaint Augustin, il est fait mention couramment du feu du Purgatoire, dans les écrits des Pères, sans que les textes indiquent, en quelque manière que ce soit, qu’il s’agit d’un feu métaphorique et non d’un feu réel : Saint Paulin de Nolb, Epist., xxviii, P. L., LXI, 510 ; Epist., ad Paulam vin, P. /,., LXI, 722. De même saint Césaire d’Arles, Hom., viii, P. L., XXXIX, 194. Saint Grégoire lb Grand paraît en faire un objet de croyance : « De quibusdam levibus culpis esse ante judicium purgatorius ignis credendus est. » Dial., lV, xxxix, P. L. LXXVII, 3g6. Une formule équivalente se retrouve dans saint Isidorb de Sévillb, à propos d’un péché véniel : « Hoc deliclum per ignem purgatorium, potins quant perpétua flamma, puniri credendum est. » Mais la signification dogmatique du verbe credere ne ressort ni du mot lui-même, ni du tour de phrase, ni du contexte : il faut l’entendre dans le sens général d’admettre. De ord. créai, , y.iy, 8, P. L., LXXXIII, 9 48.

Parmi les innombrables témoignages subséquents, qu’il suffise de citer : saint Eloi de Noyon, Hom., vin, P. /.., LXXXVII, 618 ; saint Julien de Toledb, Progn., i, 19, P. L., CXVI, 483 ; Alcuin, In. Ps. Poen., vi, P. L., C, b^b ; Rabais Maur, De Clerie. inst., 11, 44. P. L., CVII, 387 ; In Matth., 1, P. L., CVII, 773 ; Haymon d’Halbbrstadt, In Ps., vi, P. L., CXVI, 204 ; De var. libr., 111, 1, P. L, CXVIII, 9 33, g36 ; Paschasb Radbert, In Mat., 11, 3, P. L., CXX, 1 65 ; Gérard dk Cambrai, Acta Synodi Atreb., ix, P. /.., CXLH, 1299 ! Ansrlmb dr Laon, In Ma., xii, P. L., CLXH, 1363 ; Rupkrt, Invpoc, P.L., CLXIX, 1201 ; Hildbbbrt du Mans, Serm. LXXXV, P. L., CLXXI, 741 ; Othlon, Lib. vision., xiv, P. L., 523

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GXLVI, 368 ; saint Bruno, In Ps., i, P. L., CLII, | 656 ; In />s, cxviii, />. L., CUL 1307 ; Uaoul Ar- I dbnt, Hum., xliv, l>. /.., CLV, 1 485.

En France, au xii « siècle, la croyance au feu du Purgatoire, au feu réel, est si fortement enracinée dans les esprits, que saint Brrnard en prend acte pour relever l’erreur des Apostoliques, qui répudiaient cette croyance, comme si la doctrine de ces hérétiques touchait, sur ce point, à une vérité de foi : « non credunt ignempurgatorium » In Citnt., lxvi, P. L., CLXXXIII, i ioo. Et Bkrnard db Fontcaudb, très catégorique, n’hésite pas, dans son livre contre les Vaudois, à inscrire au rang des hérésies la négation du feu du purgatoire. Nul doute qu’il ne parle d’un feu réel. « S tint vere haretici quidam. Negant enim ignem purgationis. /fis obloquuntur aucloritates, exempta ratioque catholica. » Contra Wald., x, P. £., CCIV, 833.

Ne faut- il pas une singulière audace dans la mauvaise foi ou l’ignorance, pour prétendre que les papes, à partir du xi 8 ou du xiie siècle, ont mis en cours, avec l’aide des scolastiques, la croyance à la réalité d’un feu purificateur dans l’au-delà, « feu qui sort tout entier de l’imagination papiste », suivant la formule du métropolite Platon ? Cf. M. Jugib, Echos d’Orient, 1906, p. ia3.

C. Degré de certitude de cette doctrine. — Accueillie par Pibrrb Lombard dans l’enseignement scolastique, sans réserve aucune, comme une doctrine reçue dans l’Eglise, la croyance au feu réel du Purgatoire a été affirmée et défendue par tous les théologiens de l’Ecole, depuis les origines. Albert le Grand, Comment, in IV /. sent. IV, dist xxi, a. 4> 5 ; saint Bonaventorb, Comm. in. sent., dist. xxi. part. 1, a. a, a ; Alrxandrb db Halès, Summa theol., part. IV, q, x, m. iii, a. 4 ; saint Thomas, Comm. in IV sent., dist. xxi, 91, a.a.L’unanimitéest à peu près complète pour admettre comme certaine cette doctrine.

Mais de cette certitude même et de cet accord unanime, surgit un difficile problème. L’existence, au Purgatoire, d’un feu matériel qui purifie les âmes de leur fautes est un fait qui échappe, par sa nature même, aux données de l’ordre rationnel : il relève exclusivement du domaine de la foi. Impossible à la raison, en quelque manierequecesoil.de le pressentir, de découvrir quelque argument positif qui en établisse la probabilité, ou même en fasse positivement ressortir la possibilité. Nous ne pouvons en avoir connaissance que par le » documents de la révélation. D’autre part, ce fait n’est relié pour nous par aucun lien à l’existence d’autres vérités de foi, d’où il puisse être déduit comme conclusion théologique. Même si l’existence du Purgatoire n’était pas une vérité directement révélée, nous en aurions encore la certitude à un autre titre, par voie de déduction, en approfondissant et comparant entre elles les conceptions bibliques et traditionnelles de la justice et de la sainteté de Dieu, du dogme delà satisfaction pénitentielleet delà pureté requise pour jouir de la vision béalifique. Mais la réalité du feu du Purgatoire n’est contenue ni implicitement ni virtuellement dans aucun dogme, dans aucune vérité de foi : l’existence même du Purgatoire est indépendante de cette réalité, que l’on peut affirmer ou nier sans que le dogme du Purgatoire en soit plus affermi ou ébranlé. Il faut donc, pour que nous ayons la connaissance positive de ce moyen spécial d’expiation librement choisi par Dieu, que cette notion provienne pour nous de la révélation, et d’une révélation formelle. Dès lors, si quelqu’un découvre avec cette certitude que cette doctrine est contenue dans les témoignages de la révélation,

cette doctrine devient pour lui, au moins subjectivement, objet de foi ; et si l’enseignement unanime, ou à peu près, des théologiens catholiques authentique comme certaine cette vérité, on ne voit pas comment cette vérité ne serait pas objectivement doctrine de foi, car elle n’a pour elle que l’autorité, et l’autorité diiecte, de la révélation. Pourtant aucun scolastique n’enseigne cette doctrine comme étant de foi.

Ce problème n’a pas été discuté, ni même posé par l’Ecole. Mais Suarbz et Bbllarmin ont bien aperçu la difficulté. En vertu de ce consentement unanime des théologiens et des textes de l’Ecriture ou de la Tradition, Suarez conclut qu’il est téméraire de nier cette vérité et que cette négation confine à l’erreur. Etant admise la certitude de cette vérité, le procédé est logique : on peut même se demander si cette note théologique est suffisante. De Sacr., part. II, disp. xlvi, sect. 1. Il répugne à Bbllarmin de s’engager dans cette voie. Pour lui, cette doctrine reste en dehors du domaine de la foi. Dès lors il ne la retient plus que comme très probable : sententia probabilissima. Op. cit. C’est à cette conclusion qu’il faut nécessairement aboutir.

De fait, il résulte delà discussion du texte de saint Paul, I Cor., ni, 15, et de l’exposé delà doct rine des Pères, que ni l’Ecriture ni la Tradition ne peuvent fournir une certitude à ce sujet. Saint Paul ne parle que du feu du jugement, et il n’est pas établi que ce feu ne soit pas métaphorique.

Par ailleurs, le grand nombre et l’antiquité des témoignages patristiques ne sont pas sans offrir un aspect impressionnant. Bien des vérités de foi ne sont pas entourées d’un tel concours de textes. Mais si l’on examine la valeur individuelle de ces témoignages, il est facile de constater l’incertitude qui règne le plus souvent dans la pensée ou dans les termes. Les uns procèdent par allusion, les autres par métaphore. Beaucoup semblentparler ou parlent effectivement du feu du Purgatoire comme d’un feu véritable, mais en passant, et sans explication suffisante, ou bien en se référant au texte de saint Paul, qui ne peut fonder une certitude. Fort peu de texte » posentexplicitement la question du feu réel, et alors, comme pour saint Augustin, la conclusion n’a plu », que la valeur d’une opinion personnelle. Et il semble bien que les Pères aient exprimé ainsi, dans l’ensemble, leur sentiment privé, car aucune déduction formelle des grands docteurs n’est là qui, dans cette matière, prenne à témoin la tradition catholique ou émette une profession de foi. Même le texte, cité plus haut, de saint Bbrnard n’offre, en ceci, rien de décisif. Assurément la multiplicité de ces témoignages offre un point d’appui solide à la doctrine de la réalité du feu du Purgatoire : envisagés collectivement, il est impossible d’en méconnaître la gravité, et par là sont condamnés les Grecs qui neveulent voir dans ce feu qu’une chimère des cerveoux papistes. Mais la manière même dont sont formulés ces témoignages n’exclut pas pour nous l’hésitation et le doute ; notre adhésion ne comporte pas dès lors la ferme certitude requise en cette matière.

Il résulte de là que le consentement même unanime des théologiens ne pourra suffire à fonder une certitude, qui n’apparaît point dans la Tradition elle-même. D’ailleurs, le soin que prennent les maîtres de l’Ecole de séparer expressément, comme saint Thomas, du domaine de la foi la question du feu réel et de n’infliger, à part Suarbz, aucune note théologique à l’opinion négative, l’insuffisance des textes patristiques ou scripturaires qu’ils invoquent, le fait que l’Eglise ne s’est jamais prononcée sur ce point et que les Grecs, au concile de Florence, ont pu nier 525

PURGATOIRE

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catégoriquement la réalité du feu du Purgatoire sans que fût soulevée la moindre opposition au nom de la doctrine catholique, voilà des raisons plausibles de croire que le magistère ordinaire de l’Eglise n’est nullement engagé et que la certitude dont les théologiens se réclament ne peut être qu’une certitude morale, qui ne dépasse point les limites d’une très grande probabilité.

Tel paraît être, en toute exactitude, le sentiment de Bbli.ahmin. La doctrine du feu réel lui est chère ; Il l’admet personnellement, dans ses opuscules ascétiques, De gémit u columbae, Opéra, t. VIII, p. 4^1, comme certain ; mais dans son Catéchisme, il la passe sous silence, et dans ses Controverses, quand il s’agit de tixer le degré de certitude, il s’arrête aux limites extrêmes de la probabilité, probabilissima, loc.cit. Aucune incohérence dans cette attitude. Bossubt n’admet pas davantage la certitude démonstrative de l’existence du feu au Purgatoire. « L’Eglise a tenu pour certain que la parfaite purification des âmes se faisait après la mort, et se faisait par de secrètes peines qui n'étaient point expliquées de la même sorte par les saints docteurs, mais dont ils disaient seulement qu’elles pouvaient être adoucies ou relâchées tout à fait par les oblations et par les prières, conformément aux liturgies de toutes les Eglises. » Pour lui, la tradition reste incertaine, et si le concile de Trente, a défini l’existence du Purgatoire et l’efiicacité des suffrages pour les âmes des défunts sans « entrer dans le particulier ni de leur peine, ni de la manière dont elles sont purifiées », c’est « parce que la tradition ne l’expliquait pas » Hist. des variations, 1. XV, n. 160, 161.

Au temps où les esprits inclinaient le plus résolument vers la croyance au feu réel du Purgatoire, la même réserve s’exprimait par la bouche d’HoNORius d’Autun, aut ignis, aut aliud, Elucidarium, iii, 3, P. L., CLXXII, n58, et de Guibbrt db Nogbnt, De pign. sanct., iv, i, P. L., CLVI, 674. Elle se retrouve chez les théologiens modernes, Collet, De Purgatorio, iii, G, et contemporains, Mobhlbr, Klkb, Dibringbr, etc. Très justement, le cardinal Billot fait remarquer que l’incertitude touchant la réalité du feu du Purgatoire n’infirme en rien la certitude relative au feu de l’enfer : « Siqua est incertitudo quoad primum, nonnisi immerito extendi ad secundum », De novissimis, quæst. iv, th. vii, § I,

Aussi, bien que la thèse du feu réel se soit imposée à la plupart des théologiens scolastiques sous un aspect de certitude, il semble bien résulter, d’une position plus rigoureusement exacte du problème et d’une analyse plus méthodiquement suivie de ses éléments, que cette thèse ne dépasse pas les limites d’une très grande probabilité. Cf. Pbsch, Prælectiones dogmaticae, t. IX, n. 090, Fribourg-en-Brisgau.

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QUIÉTISME AU XVII » SIÈCLE

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II. Sur lk feu du purgatoire et la controvbrsb

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Paul Bernard.