Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Séraphique (Esprit)

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 661-666).

SERAPHIQUE (ESPRIT). — I. L’esprit de saint François et l’Evangile. — II. L’Eglise et saint François. — III. L'âme franciscaine et la science. — Bibliographie.

I. L-'esprit de S. François et l’Evangile. — L’esprit séraphique est l’Evangile vécu, et la règle franciscaine, qui en est le col.-, est l’hostie symbolique, monlrée à S. François d’Assise, dont la substance n’est autre que le froment des paroles évanjjéliques (Vie. par Thomas db Clano II, n. 209, éd. F. d’Alençon, Rome, 1906). Le Saint d’Assise en eut l’idée préci conversion, et non (joint au terme d’une lente évolution intérieure. Eu 1209, « il écrivait déjà pour lui et ses frères présents et fulurs, simplement et en peu de mois, une règle de vie, composée en majeure partie d’expressions moines du S. Evangile qu’il désirait uniquement pratiquer dans la perfection. » I Cm.., n. 3a. Avec quelle énergie il s’attacha imméuiatement à cet idéal purement évangélique.-scs premières démarches auprès d’Innocent III dans le but d’obtenir la confirmation de ses desseins l'établissent clairement. Devant les observations tle son protecteur, le cardinal Jean Colonna de S. Paul, qui voulait lui persuader d’embrasser la vie érémitique, François d’Assise ne cède point ; au contraire, il l’amène à ses vues, et ce dernier triomphe à son tour des hésitations du Souverain Pontife par cette simple représentation : « Si nous refusons la demande île ce pauvre en disant que sa règle est dillicile, prenons garde de rejet* r l’Evangile même, car la règle qu’il veut que nous approuvions est conforme à ce qu’enseigne l’Evangile, et (lire que la perfection évangélique contient quelque chose de déraisonnable et d’irréalisable, c’est s'élever contre l’auteur de l’Evangile, c’est insulter Jésus-Christ. » S. Bonavkmuhe, Legenda mai. S. Francisci, c III, n. 9.

Que l’Evangile vécu à la lettre soit en réalité l’idéal propre de S. François et !e but de la réforme religieuse qu’il a inaugurée, les Opuscules du Saint, éd. Quaracchi, 1904, trad. U. d’Alençon, Taris, 1906, et les documents les plus autorisés, comme les Légendes de Thomas de Cblano et de S. Bonavkntuiœ et la Legenda antiqua, éd. Delonue, Taris, i<yA>, l’attestent d’un commun accord. Certes avant lui, dans la vie intensément mystique du Moyen Age, la chrétienté croyait au message du Christ, mais elle en délaissait parfois la pratique intégrale ; de même, de grandes âmes s'étaient proposé individuellement l’observance du Saint Evangile et l’imitation du Christ, mais il ne paraît point que des ordres religieux ou des mouvements de réforme ecclésiastique aient pris comme règle et forme immédiate de vie les conseils évangéiiques et aient astreint leurs membres et lems adhérents à les pratiquer dans tout leur contenu. François d’Assise lui-même reconnaît qu’il eut l’intuition de sa voie sous la poussée éclairante tle la grâce « Le Très-Haut, écrit-il dans son Testament, me révéla que je devais vivre selon la foi nie du S. Evangile. » Bien plus, il eut pli iuement conscience de l’originalité de ses voies, ainsi que l’atteste entreautres la Legenda antiqua, n. 114. En eiret, lorsqu’au chapitre îles Nattes les frères, réunis en présence du cardinal Hugolin, lui suggérèrent de modifier ses conceptions, en s’inspirant des législations qui régissaient alors les grandes institutions monastiques, S. François ne put s’empêcher de répondre, avec une allusion discrète aux paroles de S. Paul, I Cor., 1, 18-23, sur la folie de la croix : « Dieu m’a appelé par la voie de l’humilité et m’a montré le sentier de la simplicité. Je ne veux pas que vous me parliez îles autres règles de S. Augustin, de S. Bernard et de S. Benoît. Le Seigneur m’a dit en vérité qu’il voulait que je fusse un nouveau fou dans le monde ; il n’a pas voulu nous conduire par un autre chemin que par cette science. » Non moins que S. Franco s, l’Eglise elle-même sentit l’incontestable nouveauté de l’esprit fran< iscain et se recueillit avant de l’approuver définitivement. Le trait n'échappa pas non [dus au cardinal Jacques de Vilry, qui se trouvait à la tête du mouvement spirituel dont la Belgique était alors le foyer. A. Ca.li.bb a ut, dans YArchivum Franciscanum liislor cum, Quaracchi, 1926, XIX, 546-555. C’est qu’en effet le S..i t d’Assise, « plaçant l’Evangile au-dessus de tout », II Ci ; i.., n. 216, et ne demeurant point sourd à ses enseignements. I Cm.., n. 22, voulut pratiquer purement et simplement les conseils donnés par Jésus ou ce que S. Bonaventure, Legenda s. Francisci, c. ii, n. 1, appelle souvent a la règle des apôtres », et inaugurer ainsi dans l’Eglise, par l’ordre des Frères-Mineurs et l’institut de Sainte-Claire,

« une vie conforme à la perfection du S. Evan1311

SÉRAPHIQUE (ESPRIT)

131'2

gile », Opuscules, 101. Thomas de Celano — elS.Bonaventure après lui — expose avec une telle précision l’idéal il u l’overello que l’histoire n’a rien à ajoutera ses déclarations. « Son intention la plus arrêtée, écrit-il, son désir le plus ardent, son but suprême était d’observer en tout et toujours le S. Evangile et de suivre parfaitement, en y mettant teinte sa vigilance, tout son zèle, toute l’application de son esprit et toute la ferveur de son cœur, la doctrine et les vestiges de Jésus-Christ. » 1 Gkl., n. 84. D’une façon non moins explicite, les Opuscules de S. François, surtout les Règles qu’il rédigea successivement, révèlent l’esprit qui l’anime. La Règle de 1221, en effet, débute en ces termes : « Ceci est la vie selon l’Evangile de Jésus-Christ, que Frère François pria le Seigneur pape Innocent de lui concéder. » Opuscules, 39. Elle est entièrement ornée de textes scripturaires qui viennent appuyer les préceptes et les exhortations ; plusieurs chapitres ne sont même, en grande partie, que des extraits de l’Evangile. La Règle de 1223, moins spontanée et de style plus juridique, n’est pas jaillie d’une inspiration diffère ite. D’après elle, « la vie et la règle des FrèresMineurs est celle-ci : observer le S. Evangile de Notre Seigneur Jésus-Christ. » Si elle s’achève par une exhortation à la soumission envers L’Eglise, c’est afin que nous observions «. la pauvreté, l’humilité et le S. Evangile de Notre Seigneur JésusChrist. » Opuscules, 81, g3. Ainsi, rien n’est plus légitime que de considérer l’esprit séraphique comme la fleur de l Evangile. H. Tilkmann, Studien zut Individualitàt des Franziskus von Assisi, Berlin, 191/1, 167-170.

Puisque l’idéal de S. François est l’Evangile, il est clair que l’esprit séraphique implique une adhérence totale et amoureuse au Christ : la vie évangélique est la vie en Jésus. Le « Verbe abrégé » est en elfet l’Evangile vivant ; et comme le Saint d’Assise n’aime guère les formules abstraites, mais se complaît dans les intuitions concrètes et les représentations plastiques, il voit sa forme de vie dans les gestes eux-mêmes du Sauveur et interprète l’Evangile écrit à leur lumière. « François, écrit M. Lu Monnier, Hist, de S. François d’Assise, Paris, 1889, I, 222, avait beaucoup lu l’Evangile. Il l’avait lu avec les yeux illuminés du cœur. Sa délicate imagination découvrait, dans les actions du Sauveur, une foule de particularités aimables qui échappent à ceux dont la tendresse est moins éveillée. Toute la vie de Jésus s'était ainsi peu à peu dessinée et animée sous son regard. » Dans cette vision intérieure, il comprit qu’en présence du divin Maître, l’adoration respectueuse et l’admiration ne sullisent point sans l’action qui transforme ; aussi, parmi les mystiques du Moyenâge, fut-il le premier à composer une exhortation sous ce titre : De l’imitation du Seigneur ». Opuscules, 110. Suivre les vestiges du Christ, voilà pour lui et pour ses frères l’unique devoir, ainsi que la Règle de 1221 le déclare dans l’admirable cha utre 22. Opuscules, 68. En tout il se conforme au Verbe Incarné et, suivant le conseil de S. Paul, le porte et le glorifle parfaitement dans sa personnalité. Thomas de Celano l’atteste I Cbl., n. 1 15, dans une page qui est l’un des plus beaux joyaux de la littérature franciscaine. « Ceux des frères qui ont vécu dans sa compagnie, écrit-il, savent que chaque jour, à chaque instant, il méditait Jésu-. ils se rappellent avec quelle douceur et suavité il s’en entretenait, de quelle bénignité ei amour ses discours étaient remplis. Sa bouche parlait de l’abondance de son cœur et la source du radieux amour qui remplissait son âme. s’en échappait en bouillonnant. Vivant avec Jésus, il portait Jésus dans >on cœur, Jésus flans sa

bouche, Jésus dans ses oreilles, Jésus dans ses yeux, Jésus dans ses mains, Jésus dans tous ses membres… Dans ses courses, méditant et chantant Jésus, il ne pensait plus à son voyage et invitait tous les éléments à louer Jésus avec lui. » Avant tout, ajoute Thomas de Celano, « il portait et conservait dans son cœur Jésus Crucilié ». A l’encontre de S. Paul, qui se tourne de préférence vers le Christ céleste, cf.

« Chris lus », Paris, 1923, 101 1, l'émotion mystique, 

chez François d’Assise, s’attache plutôt à la vie terrestre de Jésus, particulièrement à la crèche et à la Passion, et à l’Eucharistie, qu’il aima à l'égal de la pauvreté et dont il est l’un des plus grands témoins. C’est cette adhérence totale au Christ souffrant qui se traduit par une imitation littérale et parfaite de ses moindres-estes, c’est cette vie en Jésus, élevée au degré sublime décrit par S. Paul en ces termes :

« Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi », 

qui est l'élément premier de l’esprit séraphique et en explique tous les aspects Le grand interprète mystique du Poverello, S. Bonaventure, l’a justement observé dans sa Légende, qu’on pourrait appeler l'épopée de l’imitation du Christ par S. François. P. Symphoribn, O. M.C., /.'influence spirituelle de S. Bonaventure et V Imitation de Jésus-Christ ', Paris, 1923, 58-64.

Puisque le Saint d’Assise se proposait ainsi comme idéal la vie selon Jésus Crucilié et l’observance du Saint-Evangile, il devait logiquement « s'étudier à suivre d’abord la pauvreté et l’humilité de Notre Seigneur », ainsi qu’il le recommande luimême dans la Règle de 1221. Opuscules, 53. Vu aussi l’accroissement extraordinaire du capitalisme à la suite des croisades et l’enrichissement progressif de l’Eglise, toute réforme salutaire, à la lin du xne siècle et au début du XIIIe siècle, devait tendre à la pratique de la pauvreté évangélique. T. Soihon, O. M., Franziskus der Mann dettes, dans Franzishanisciie Studien, Munster i. W., 1926, XIII, a^-aôa. F ançbis d’Assise le comprit dans la lumière du Christ. L’idée d’expropriation totale ne lui vint pas en efTet du mouvement populaire d’Assise, car l’organisation communale y était entièrement mercantile, et dans les classes inférieures, les minori, la cupidité de l’or n'était pas moindre que dans la bourgeoisie bancaire. M. Fortini, Novavita di S. Franceseo d' Assis i, Milan 1926, 76-8, 189-19^, a fortement nus ce point en lumière, et ses conclusions confirment en définitive les témoignages de S. Bonaventure elde Thomas de Celano. D’après le Docteur Séraphique, Legenda s. Francisa, C. 1, n 6, « le Christ souffrant apparut au Poverello au début de sa conversion, n Dès lors, ajoute S. Bonaventure, le Saint se revêtit de l’esprit de pauvreté, de l’intelligence de l’humilité et du sentiment Intérieur de la piété. Il s’appliqua aussi avec une attention plus vigilante à la mortification de sa chair, car la croix du Christ, qu’il portait à l’intérieur dans son cœur, il voulait la faire resplendir à l’extérieur dans son corps. » Après cette première apparition, suivant Thomas de Celano, I GbL., n. 22. François entendit lire, le a/| février 1209, à la messe du jour, le texte le S. Mathieu, x, 9-11, qui narre comment Notre Seigneur envoya prêcher ses disciples sans or ni monnaie. Lorsque le prêtre lui eut donné l’explication de ce qu’il venait d’entendre, François d’Assise y reconnut immédiatement la finire de sa vie et mit en pratique ; littéralement tout le cO’tenu des conseils qu’il venait d’ente dre. Ouelque temps après, le 16 avril, voulant confirmer la voca ion de ses premiers disciples, il se rendit avec eux à l'église de S -Nico as. Trois fois, il se lit ouvrir le S. Evangile au hasard, et chaque fois le Chrisl leur donna les mêmes indications sur la pau 1313

SÉRAPHIQUE ESPRIT)

131*

vreté et l’abnégation. La « forme » de vie fransciscalne, la modalité distinctive de l’esprit séraphique étaient définitivement trouvées. Ce niessageduChrist impressionna si vivement le Saint d’Assise quïl identilie presque constamment la vie évangélique à la vie pauvre, ainsi qu’il appert des deux bdiets qu’il écrivit à Sainte Claire, Opuscules, 101-a. A sa lumière, il lit de la pauvreté absolue, en particulier » t en commun, le fondement de l’institut séraphique, Legendu nntiqui, n. 8, 13-16, 102 ; L’expropriation totale fut de rigueur à l’entrée dans l’ordre. La Règle de laaS interdit tout recours à l’argent, même pour les malades el les lépreux, ce que la Règle de 1221 avait d’abord autorisé. Opuscules, 01-2. En définitive, le Saint « ne voulut rien avoir en propre, aliu île pouvoir tout posséder dans le Seigneur plus pleinement. » ICel., ii. 44- l>ans la poursuite de cet idéal, il ne prit d’autre règle que la vie el l’exemple de Jésus Christ, le culte de la pauvreté ne fut cbez lui qu’un aspect de son amour pour Jésus. « Quand e est nécessaire, écrit-il dans la Règle de 1221, Opuscules, 53, que les frères aillent demander l’aumône. Et qu’ils n’en rougissent pas, mais qu’ils songent plutôt que Notre Seigneur Jésus-Cbrist, Fils du Dieu vivant et tout-puissant, a joué le rôle d’une pierre dure et qu’il n’en a pas eu honte ; il a vécu d’aumôues, lui, la Bienheureuse Vierge et ses disciples. » Le Fils de l’homme n’avait pas eu une pierre pour reposer sa tête : c’est cet idéal divin que François d Assise méditait lui-même et mettait constamment sous les yeux de ses disciples, comme l’atteste, d’un ton ému la Legenda anliqua, n. 13, etavecelle Thomas de Celano.llCEL., n. 56, et S. Bonavenlure, Ltgenda S. Francisci, c. vii, n. 2. Ainsi considérée dans le Christ, la pauvreté devint pour le Saint d’Assise la dame qu’il aima éperdùment, comme le révèle entre autres le délicieux opuscule, Des noces mystiques du B. François usée madame la Pauvreté, trad. U. d’Alençon, Paris, 1913. Sans cette pratique de la pauvreté aimée en Jésus, l’esprit séraphique n’existe pas.

Malgré ce culte intense de la pauvreté, l'àme franeiscaine n’est pourtant pas exclusiviste. François l’Assise accepte en effet tout l’Evangile et ne néglige aucun de ses enseignements. Dans la Salutation des ertus, il reconnaît lui-même que les perfections chrétiennes sont sœurs. « Celui, dit-il, qui en possède une, s’il ne blesse aucune des autres, les possède toutes ; celui qui en blesse une, n’en possède aucune et les offense toutes ». Opuscules, i~'i. Dès lors, il ne déprécie aucunement les vertus dites passives, la paix, l’humilité, la patience, la mortification corporelle et l’obéissance ; il y voyait au contraire le signe de Dieu dans l'àme, « car, écrit-il dans la Elégie de 1221, Opuscules, 65, l’esprit du Seigneur veut que la chair soit mortifiée, méprisée, vile, abjecte et injuriée, il recherche l’humilité et la patience, la pure simplicité, la véritable paix de l’esprit, et avant tout il désire la crainte divine, la sagesse divine et l’amour divin ». Elle est aussi de S. François, cette conception traditionnelle de l’obéissance parfaite, qui représente le véritable religieux sous la forme d’un cadavre qui se laisse mouvoir, dès lors qu’il n’y point matière à faute. II Cbl., n. 102. Ainsi, chez le Saint d’Assise, doctrine et vie sont la plus belle apologie des vertus passives que le christianisme puisse opposer à l’américanisme moderne II. Frldkr, O. M. C, L’idéal de S. François d’Assise, Paris 192/1, I, ^17-882.

Si l’esprit franciscain convie de la sorte à l’acceptation totale de l’Evangile, il est bien entendu cependant que François d’Assise veut cet effort tout pénétré de spontanéité. L’abnégation ne doit pas

Tome IV.

éteindre sur les lèvres l’allégresse des alléluias qui jaillissent du bonheur de servir Dieu et de l’intuition constante de la beauté incréée dans l’univers. Paupertas el lætitht, telle était une des admonitions préférées du Saint d’Assise. Opuscules, 18. La tristesse était pour lui « le mal babylonien qui, s’il n’est chassé par les larmes, produit dans le cœur une rouille tenace », II Cbl., n. 125. Aussi, dans la Règle de 1221, crut-il devoir écrire, conformément au conseil de l’Evangile, Matth., vi, 16. « Que les frères aient soin de ne pas paraître tristes et sombres comme des hypocrites, mais qu’ils se montrent joyeux dans le Seigneur, avec un visage gai et rempli d’une avenante amabilité. » Opuscules, 50. Lui-mftme donnait l’exemple d’une joie spirituelle intarissable. Sa vie, surtout après l’impression des Stigmates, ne fut qu’une laude du Seigneur, H. Fbldbu, op. cit., Il 30a-8, dont le Cantique du Soleil et les Laudes Dei, malgré leur sublime lyrisme, ne traduisent qu’imparfaitement la mélodie intérieure.

Universelle et spontanée, l’imitation franciscaine du Christ tend aussi à la réalisation la plus fidèle et la plus littérale possible de l’Evangile. Ce littéralisme est certainement l’un des traits les plus caractéristiques de l’esprit séraphique, auquel S. François tenait suprêmement, suivant la Legenda antiqua, n. 4 : Ab Ma kora qua Dominas ei revelavit ut deberei vivere secunduni formant sancti Evangelii, ad lilteram voluit illud et studuit observare loto tetnpore vitæsuae. Déjà S. Bernard avait fortement orienté la piété catholique en ce sens ; Christus, 1185. Non seulement il donne à l’Humanité Sainte du Sauveur une place importante dans sa mj’stique, mais il comprend encore que « chacune des circonstances de la vie du Christ cache un enseignement et nous mérite une grâce ». P. Pourrat, La spiritualité chrétienne. Le Moyen-Age, Paris, 1921, 60. Aussi inculque-t-il l’imitation parfaite du Christ, comme le code de la perfection. Serm. in feria IV Ilebdom. Sanctae, n. 12, P. L., CLXXX1II, 269. Peu d'écrivains proposent autant que lui la voie de la pauvreté évangélique et l’identifient avec la vie parfaite. Serm. in festo om. Sanct., 1, n. 8, P. L., CLXXXUI, 456 ; Epist., xxiii, n. 1, P. L-, CLXXXII, 127 ; Serin, de Adventu, n. 4, P. L., CLXXXUI, 50. Chez lui, se trouve l’idée franciscaine qui voit dans l’Incarnation l’union mystique du Verbe avec la pauvreté. Serm. Il in vig. Nativ. domini, n. 5, P. L., CXXXIII, 89. Le Saint d’Assise est certainement dans le sens profond de cette mystique. Mais il n’est pas moins sûr que chez lui l’observance des conseils évangéliques et particulièrement de la pauvreté s’allie à une prudence et une sagesse surnaturelle qui maintiennent la primauté de l’esprit sur la lettre. En effet, S. François veut intérioriser la vie religieuse : « Gardons-nous écrit-il dans la Règle de 1221, Opuscules, 64, de la sagesse de ce monde et de la prudence de la chair : l’esprit de la chair cherche plutôt des paroles et se soucie peu des actes, il ne s’occupe pas d’une religion et d’une sainteté intérieure de l’esprit ; il désire et il veut une religion et une sainteté d’apparence extérieure. » Pour ce motif, le P. Ubald d’Alençon, L'âme franciscaine 3, Paris 1926, 60, dit à bon droit : « S’il y a un saint qui se soit imprégné de l’esprit évangélique, c’est S. François. » Précisément, une de ses admonitions a pour titre : « Que la bonne action soit faite avec intelligence. » Sut ce thème, Opuscules, 110, le Poverello écrit : « L’apôtre dit : La lettre tae, mais l’esprit vivifie. Ceux là sont tués par la lettre qui ne veulent connaître que le texte, pour paraître plus sages au milieu des autres, acquérir de grandes richesses et les donner à leurs proches et à leurs amis. Ces religieux aussi sont

42 1315

SERAPH1QUE (ESPRIT)

1316

tués par la lettre, qui ne veulent pas suivre l’esprit des saints Livres et qui préfèrent n’en connaître que les paroles et les interpréter aux autres >, etc. Plus loin, traitant de la pauvreté, Opuscules, n4, il expose clairement comment il en entend la pratique : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient. Beaucoup sont fidèles à l’oraison et à l’office divin, pratiquent l’abstinence et la mortification corporelle ; mais qu’on leur adresse une injure, qu’on les prive de quelque chose, et ils sont aussitôt scandalisés et troublés. Cène sont pas là des pauvres d’esprit, car celui qui est vraiment pauvre d’esprit, se hait luimême ». Et les actes de S. François ont été conformes à sa pensée. Non seulement il n’a pas préféré l’Evangile à l’Eglise, le sens propre à la discipline et à l’ordre hiérarchique, comme ce fut le fait des évangéliques suspects du xu" et du xme siècle, mais c’est de l’Eglise et de ses Papes qu’il voulut recevoir la « forme de vie » qu’il se proposait d’observer. L’on sait qu’il exigeait rigoureusement des candidats à l’Ordre l’expropriation en faveur des pauvres, selon le précepte de l’Evangile ; mais il sut aussi passer outre, Legenda antiqua, n. 19. Ainsi l’authentique esprit franciscain n’implique-t-il point un littéralisme excessif et blâmable, comme l’insinue, après plusieurs écrivains, M. Baufreton, 5. François d’Assise, Paris, 19*6, 55 ; il est au contraire le point suprême de l’héroïsme mystique dans l’imitation du Christ, T. Soiron, art. cit., 260-262 ; et c’est assez de l’avoir conçu pour que « S. François d’Assise soit le plus grand idéaliste religieux du christianisme ». L. de Srrasola, dans l’Archivo Ibero-Americano, Madrid, 1926, XIII, 268.

II. L’Eglise et S- François. — Le Christ se continuant dans son corps mystique, l’esprit de S. François fut logiquement un esprit de soumission à l’Eglise. D’aucuns ne l’ont pas cru. Ainsi Renan, Karl von Hase, H. Thodb, E. Lempp, N. Tamassia, V. Kybal, et tout récemment M. P. Pecchiai, S. Francesco d’Assisie la missione délia Puverta, Milan, 1926, 3 1 4, ont tenté de présenter S. François comme un adversaire de l’Eglise, et la chaire de S. Pierre comme l’ennemi irréconciliable de l’idéal franciscain. Cf. Sderci, I.'apostoUito di S. Francescoe dei Francescani, Quaracchi 1909, 1 -46. De même, M. P. Sabatieh, Vie de S. François, Paris, 1893 (à l’Index, le 8 juin 18g 4), dont les assertions ont été maintes fois critiquées. P. Robinson, O. M., The real S. Franois of Assisi, Londres, 1904 ; M. Carmichæl, The catholicism of S. Francis, dans The Catholic World, New- York, 1906, vol. LXXXIII, 289 298. Il est vrai, depuis ses premiers travaux, P. Sabatier estrevenu sur ses idées, surtout dans une conférence prononcée à Turin le 30 avril 1908. Cf. Il Rinnovamento, Milan, 1908, II, 4 17-434- « La grande originalité deS. François, dit-il alors, c’est son catholicisme. …L’Eglise était son foyer spirituel et il s'était très bien aperçu que chaque progrès de sa vie spirituelle avait été marqué par son empreinte. Il avait la sensation de marcher, mais il avait aussi la sensation que celle-ci l’attendait à chaque détour du chemin pour lui donner le désir, la force et aussi le programme du nouveau progrès. Plus que personne, il se sentait fils de cette éducation séculaire. Fils et non pas esclave. Elle agissait, il agissait, et son activité à lui était en quelque sorte la résultante de c% double labeur… Encore une fois, il serait absurde de faire de François d’Assise un révolté ou un protestant inconscient ; mais il ne le serait pas moins de se le représenter comme un pur et simple écho de l’autorité ou comme un homme qui aurait renoncé à

sa conscience. » Voir aussi, Vie de S. François d’Assise, éd. de guerre, Paris 1918, x-xn.

En fait, François d’Assise est bien « l’homme catholique « que chante la liturgie. H. FELDBR.op. cit., I, 115-141. Précisément à l’heure où sévissait l’une des plus grandes crises d’antisacerdotalisme que l’histoire ail connues, A. Dufourcq, Le christianisme et l’organisation féodale, Paris, 1924, 181, il apparaît comme le réformateur idéal, où le dévouement total à l’Eglise et le culte passionné de l’Evangile se fondent dans un équilibre harmonieux. Christus, n30. Suivant les Vaudois, l’Eglise avait trahi le Christ et son message ; aux yeux de François, l’Eglise est l’Evangile et le Christ se continuant dans la série des siècles. Aussi manifeste-t-il à l’endroit de l’ordre sacerdotal et de la hiérarchie, la vénération la plus entière. Ce sens catholique fut une des premières grâces de sa conversion. « Le Seigneur, écrit-il luimême dans son Testament, me donna et me donne encore une si grande foi aux prêtres qui vivent selon la forme de la Sainte Eglise romaine à cause de leur caractère, que s’ils me persécutaient, c’est à euxmêmes que je veux recourir. » Opuscules, 94. Peutêtre, comme P. Salvadori en a eu l’intuition lumineuse dans son admirable ouvrage, liicordi di S. Francesco d’Assisi, Florence, 1926, 97-123, en reçutil le don lors de son voyage à Rome en 1205. Ce qui est sûr, c’est que François d’Assise conserva toute sa vie cette attitude, car suivant Thomas de Celano, I Cel., n. 62, « il pensait qu’en tout et par-dessus tout, il fallait conserver, vénérer, aimer la foi de l’Eglise romaine, dans laquelle seule les hommes peuvent faire leur salut. » Conformément à cette disposition, il s’interdit toujours de blâmer les vices du clergé. « Je ne veux pas, dit-il dans son Testament. considérer dans les prêtres le péché, car je discerne en eux le Fils de Dieu et ils sont mes seigneurs. J’agis ainsi parce qu’en ce siècle je ne vois rien sensiblement du Très-Haut Fils de Dieu, si ce n’est son très saint corps et son sang qu’ils reçoivent et que seuls ils administrent aux autres. » Il pressait non moins énergiquement ses frères de suivre cette règle de conduite, II Cel., n. 1 46. « Soyez soumis, disaitil souvent, aux supérieurs ecclésiastiques, pour éviter, autant qu’il est en votre pouvoir, toute contestation jalouse. Si vous êtes les ûls de la paix, vous gagnerez à Dieu le clergé et le peuple : cela sera plus agréable au Seigneur que si vous gagniez le peuple seul en scandalisant le clergé. Jetez un voile sur ses faiblesses ; suppléez à ses défauts ; puis, quand vous aurez ainsi fait, soyez encore plus humbles. » Ces paroles ne sauraient être inspirées par un calcul politique, mais seulement par le plus intégra ; des catholicismes. S’il était besoin de l'établir plus longuement, il suffirait de rappeler que la Règle de 1223 veut que tous les frères, dirigés et corrigés

« parun des cardinaux de la Sainte EgliscRomaine », 

soient « toujours soumis et assujettis aux pieds de cette même sainte Eglise, stables en la foi catholiques ». Ainsi François, écrit H. Feldbr, op. cit., I, 1 35, « personnifie vraiment en soi l’attachement à l’Eglise. Croire, prier, vivre, agir, penser, sentir avec l’Eglise, c’est là pour lui un principe aussi évident que celui-ci : il faut en tout se régler sur l’Evangile Non, il n’y a pas un moment, pas un épisode de la vie de S. François, pas un seul passage dans ses biographies authentiques où l’on aperçoive le moindre trouble, dans cette harmonie entre le Poverello et l’Eglise. » L’esprit franciscain, fleur de l’Evangile, est le sens catholique dans son expression la plus achevée.

III. L'âme franciscaine et la science. — Si l’on 1317

SÉRAPHIQUE (ESPRIT)

1318

observe la position de S. François à l’endroit de l’Evangile et de l’Eglise, son attitude à l'égard de la science s'éclaire immédiatement. Personnellement, le Saint d’Assise ne désirait que le savoir de JésusCrucifié. II Ckl., n. io.">. Il appelait à sa suite ceux qui prenaient pour règle unique de leur vie « les paroles, la vie, la doctrine et le S. Evangile de Notre-Seigneur », Opuscules, ^3 ; car, selon lui, <r l’Ordre avait été planté pour accomplir le mystère du S. Evangile. » II Ckl., n. i.">6. En tous il voulait l’amour divin. E. Schldnd, O.P. M., Das religiôse Wollen des hl. Franziskus t éuna Zeitschrifl f. Aszese und Mrstik, Innsbruck 1927, II, 1^-33. Dans cette perspective, les préoccupations purement intellectuelles, la science pour la science, ne pouvaient être une lin ; dans l'échelle des valeurs spirituelles, l'étude devait être subordonnée à la pratique de l’Evangile, à la prédication par l’exemple et à la vie intérieure.

De cette altitude générale de S. François, il serait pourtant inexact de conclure, avec K. Mullbr et P. SabaTIBR, que l’esprit séraphique est résolument hostile à la science. En fait, le Saint d’Assise estime le savoir en lui-même, et dans une de ses Laudes salue la sagesse comme nue reine. Opuscules, 173 ; Il Ckl., n. 189. Et son attitude est logique. François en eifet n’est pas l’illettré que l’on imagine souvent de toutes pièces, mais un clerc qui connaît l’Ecriture par ses lectures personnelles, comme peutêtre pas un clerc de son temps, un écrivain spirituel délicieux et — gloire littéraire que peu de fondateurs d’Ordre possèdent avec lui — le premier grand poète de la littérature italienne. P. Jban db Dieu, O. M. C, 6'. François et la paix intellectuelle, dans Etudes franciscaines, Paris, 1926, vol. XXXVIII, 36. Appréciant ainsi le savoir, il l’aime encore dans les savants et les clercs qui viennent à lui et qu’il reçoit dans son Ordre avec honneur, ICbl.. n. 37, 56-57 ; Il Cbl., n. 19a. Déplus, écrit Thomas de Celano, Il Cbl., n. 163, « il enseignait qu’il faut révérer l’ollice « les prédicateurs et vénérer ceux qui en ont la charge Quant aux docteurs en sacrée théologie, il lesjugeait dignesd’lionneurs plusgrands encore. » Aussi, rien d'étonnant si dans son Testament, l’une des plus authentiques expressions de son idéal, il insère cette suprême recommandation :

« Tous les théologiens et ceux qui nous dispensent

les très saintes paroles divines, nous devons les honorer et les vénérer à l'égal de ceux qui nous communiquent l’esprit et la vie. » Opuscules, 95 ; HCbl., n. 163. Respectueux à ce degré envers les savants et les clercs, François d’Assise se montra aussi accueillantàla science théologique elle-même, lorsque, après les premières années de vie apostolique, aux environs de 1218, le problème des études se posa dans l’Ordre en formation. Suivant S Bonavbnti’rk, Legenda.S. Francisci, c. XI, n. 1, le Saint, interrogé à ce sujet, ne voulut point détourner des études théologiques les clercs qui étaient entrés dans 1 Ordre ; il déclara au contraire qu’il lui plaisait, mihi quidem placet, de les voir s’y appliquer ; mais à la condition de sauvegarder d’abord la vie d’oraison et d’ordonner leurs travaux au salut du prochain. Bien plus, écrit Thomas de Celano, II Cel., n. 163, « il voulait que les ministres de la parole de Dieu fussent à même de s’appliquer aux études spituelles sans en être empêchés par aucune charge. » Cette volonté, il la manifesta clairement en confirmant la nomination de Saint Antoine de Padoue comme lecteur de théologie à Bologne. Le billet qu’il écrivit en cette circonstance et dont l’authenticité est incontestable, P. Salvadori, op. cit., 2^1, nous révèle L’idéal scientifique de S. François et date aussi les origines de l'école franciscaine : Fratri An tonio, episcopo meo, fr. Francisais salutcm. Placet mihi tjuod sacram theologiam Irgas fratribus, dummodo nter hujusmodi studium sanctæ orationis et devotionib spiritum non extinguant, sicut in régula continetur. Cf. V. Facc.iiinetti, O.F. M., 5. Antonio di Padova, Milan, 192 ; "), 189 ; L. db Carvalhoe CasTRo, O. F. M., S, Bonaventure, le docteur franciscain, Paris. 1923, 20-36. A bon droit, Thomas de Celano, II Ckl., n. 190, pouvait observer qu'à S. François « ne déplaisaient point les études scripturaires ». Les Spirituels eux-mêmes, comme Ubbrtin db Casai. k dans sa Besponsio à Clément V (1310), le reconnurent pleinement. D’après eux. « > François ne méprisait pas l'étude et la science des saintes lettres ; bien au contraire, il révérait et ordonna de vénérer les théologiens, tout en voyant en esprit les abus qui allaient suivre des études. » Cf. F. EHRLB.dans YArchiv f. Litteratur und Kirchengesch. des Mittelalters, Berlin, 1887, III, 75.

Ce fut précisément pour éviter les dangers qu’offrait la science pour son idéal de vie évangélique et de pauvreté, que François d’Assise appuya fortement sur les conditions morales selon lesquelles l'étude devait être faite. Il est vrai, comme G. Salvadorî, op. cit., 246, l’a observé justement, le Saint d’Assise n’a pas soumis l'étude à une discipline, spéciale. La lettre à S. Antoine porte seulement : dummodo inter hujusmodi studium sanctæ orationis ot devotionis spiritum non exstinguant. Or, telle est la formule inaltérable qui se lit dans la Règle de 1223 et dans la Règle de Ste Claire, là où il est question « de la grâce du travail » en général et spécialement du travail manuel. Mais si S. François n’impose pas d’autre réserve, il tient à inculquer fortement la méthode à suivre, et à signaler sans pitié tous les dangers de la science stérile ou sans amour. D’après son idéal, l'étude doit céder le pas à l’oraison, car le Christ a prié avant tout. Cf. S. Bonavbntdrk, Legenda S. Francisci, c. xi, n. 1. En d’autres termes, comme l’exprime si judicieusement Ubertin de Casale dans le document cité plus haut, F. Ehrle, art. cit., 75, fuit sua intentio… quod magis esset principalis intentio et occupatio orationis quant studii et studium oralionem dirigeret et oratio studium illustraret. François désirait encore que le savoir informât la vie et l’action et ne servît point à la vaine ostentation ; aussi disait-il souvent « qu’il faut plaindre les prédicateurs qui vendent leur ministère pour une obole de vaine gloire ». II Cbl., n. 164-Voyait-il des frères cultiver le savoir aux dépens de la vertu, il le déplorait amèrement : « Ceux, disait-il, qui sont poussés par un vain désir d’apprendre, se présenteront les mains vides, au jour de la rémunération. Je les voudrais mieux affermis dans la vertu, afin qu’au temps de la tribulation ils aient avec eux le Seigneur dans leur angoisse. » Il CEL..n. ig5. En définitive, François d’Assise sait et fait comprendre que la charité édifie, alors que la science enfle l’esprit ; il ne trouve en dehors de la croix du Seigneur aucun motif de se glorifier, pas plus dans la science que dans les richesses, comme il le rappelle longuement dans la 5e Admonition, Opuscules, 108. Cette attitude n’est pas neuve dans l’Eglise : elle est celle même de S. Paul. François d’Assise n’a pas voulu autre chose : l’Evangile détermine sa conception de la science, tout comme sa forme de vie.

Les directions du Séraphique Père ont été généralement suivies dans son Ordre. Si la science y prit, peu après sa mort, un développement tel que la formation et le progrès de la pensée franciscaine au xme siècle est un des faits les plus considérables de l’histoire intellectuelle de l’Eglise, les docteurs et 1319

SIBYLLES

1320

les snvants franciscains ont ordonné leurs idées d’après les leçons qui se dégageaient des gestes et des paroles de S. François et selon l’idéal qu’il avait approuvé entièrement dans Antoine de Padoue. Le savoir n’éteignit point l’oraison et la flamme mystique ; il devint un degré pour s’élever à la paix de l’extase.

Fruit de l’amour, il se convertit en ardeurs séraphiques. Dans toutes les recherches scientifiques, le Christ eut toujours la place prédominante. Le premier, S. Bonaventure réalisa entièrement l’idéal de la science franciscaine. L. Carvalho, op. cit., 901 1 3 ; G. Goyau, Figurines franciscaines, Paris, 1921, 41-87. Mais il n’en fut pas le seul interprète authentique. Après F. MoniN, S. François d’Assise et les Franciscains, Paris, 1853, 18, et le P. Jean dk Dibu, art. cit., M. E. Gilson l’a vu plus nettement que la plupart des franciscanisants modernes. « Ainsi, dit-il dans sa conférence sur 5. François et la pensée médiévale, cf. L’influence de S. François d’Assise sur la civilisation italienne, Paris, 1926, 82-98, Duns Scot n’est pas franciscain comme S. Bonaventure, mais il est aussi franciscain que S. Bonaventure : c’est un franciscain qui a mis l’intelligence au servicede l’amour… Lavie intérieure deS. François ne pouvait pas être épuisée par deux philosophies. Il y avait en lui un extatique et un mystique dont s’est emparé S. Bonaventure, un cœur fervent dont la doctrine de Duns Scot a justifié toutes les ardeurs : il restait en lui un apôtre que ni le contemplatif Bonaventure ni le savant Duns Scot n’ont pu être et que. nous allons voir inspirer deuxautresdoctrines : celles de Boger Bacon et de Baymond Lulle. » Le fait d’avoir inspiré ces très hautes pensées et plus encore d’avoir restauré dans l’Eglise l’observance intégrale du Saint Evangile, l’imitation héroïque et l’amour passionné du Christ, le culte le plus chevaleresque de la pauvreté et la soumission entière à l’ordre sa.er lotal, laisse entendre suffisamment la complexité des éléments qui constituent l’esprit séraphique et démontre en même temps son incomparable puissance au service de la pensée et de la vie religieuse.

Bibliogk.vpiiir. — Outre les livres déjà indiqués, on peut consulter les ouvrages généraux qui suivent : N. Papini, La storia di S. Francesco di Assisi, Foligno, 1820 ; E. Ciuvin de Malan, Histoire de S. François d’Assise, Paris, 1869 ; L. Lk Monnibr, Hist. de S. Fr. d’Assise, 2 vol., Paris, 1889 ; G. Scunurbr, Franz von Assisi, Munich, 190a ; W. Gobtz, Die Quellen zur Geschichte des kl. Franz von Assisi, Gotha, 1904 ; J. Jobrgensen, S. François d’Assise, sa vie et son œuvre, trad. Th. de Wyzrwa, Paris, 1909 ; P. Cutiibbrt, O.M.C.. Lifeof S. Francis of Assisi, Londres, 1912 ; V. Facchi-Netti, O.F.M., S. Francesco d’Assisi’1, Milan, 1926 ; F. van dbn Borne, O.F.M., De H. Francisais von Assisi en de Mindcrbroederorde, Weert, 1926 ; M. Sticco, S. Francesco d’Assisi, Milan, 1926. Les monographies et études particulières sont très nombreuses. Voir entre autres : Ubald d’Alrnçon, O.M. C, Les idées de S. François d’Assise sur la science, Paris, 1910 ; P. Calamita, La persona di S. Francesco d’Assisi. Note d’anlropologia, Bitonto, 1912, qui répond au psychiatre G. Portiguotti, S. Francesco d’Assisie le épidémie mistiche dcl medioevo, Milan, 1909 ; Antoink db Surent, O.F.M., L’âme franciscaine, dans YArchivum franciscanum historicum, Quaracchi, 1915, VIII, 448-460 ; Lronk Bhacaloni, O.F.M., A proposito di una publications. L’anima franciscana, ibid., 467-481 ; T. Soiiion, O.F.M., Pas Armutsideal des kl. Franz von Assisi und die f.chrc Jesu iiber die Armul, dans

Frtinziskanische Studicn, Munster i. W., 1917, IV, 1-17 ; F. Imlr, lier Geist des hl. Frunziskus und seincr Stiftung, Mergentheim. 1920 ; A. Gcalino, L’uomo di Assisi, Tarin, 1926 ; F. van dkn Bornb, De Kultuurhistorische Beteknis van den H. Franziscusvan Assisi A&nsCollectanea franciscana Neerlandica, s’IIertogenbosch, 1926, 45-85 ; M. Lkkkdx, O.F.M., Esquisse d’un portrait de S. François, dans La Vie spirituelle, S. Maximin, 1927, XV, 704742. Sur les derniers travaux, voir A. Gbmblli, O. F. M., S. Francesco nei suoi biografi recentissimi, dans Vitae Pensiero, Milan, 1027, vol XVIII, 321333.

E. Longpri’ :.