Dictionnaire de Trévoux/5e édition, 1752/Tome 1/011-020

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Fascicules du tome 1
pages 001 à 010

Dictionnaire de Trévoux, 1752
Tome 1, pages 011 à 020

pages 021 à 030



En termes de Blason on appelle en Angleterre abattement, ou abattement d’honneur, une marque accidentelle ajoutée à l’Ecu, pour faire connoître une diminution de dignité, ou une marque d’honneur supprimée dans l’Ecu, en punition de quelque faute ou de quelque action diffammante. Cela se fait, ou en ajoutant quelque marque de diminution, ou en renversant tout l’Ecu. Harris.

☞ ABATTEUR. s. m. Qui abat. On dit d’un homme fort adroit au jeu de quilles, C’est un grand abatteur de bois. Il se dit au figuré en parlant d’un homme qui a fait de grandes choses en quelque genre que ce soit : mais plus ordinairement & par ironie, on le dit d’un homme qui se vante d’avoir fait ce qu’il n’a pas fait. Acad. Fr. 1740.

Les vents d'automne sont de grands abatteurs de fruits. La Quint.

ABATTIS. s. m. Démolition, renversement, ruine. Eversio, demolitio. Il y a eu un grand abattis de maisons par le tremblement de terre. Il y a plusieurs abattis de pierres dans cette carrière. Les carriers appellent ainsi la pierre qu'ils ont détachée, soit celle qui est bonne pour bâtir, soit celle de rebut. Il fut fait un grand abattis de bois en cette forêt par la tempête. Dejectus arborum.

Abattis. C’est aussi un terme de Carriers, qui signifie les pierres qu’ils détachent après avoir souchevé. Lapides loco moti.

Abattis, signifie, en termes de Vénerie, le chemin que se font les jeunes loups, lorsqu’en allant souvent au lieu où ils ont été nourris, ils abattent l’herbe. Luporum trames, vestigia.

Abattis, se dit aussi d'une grande tuerie de bêtes. Cædes pecorum.. Ce Chasseur a fait un grand abattis de gibier. Ce Boucher fait un grand abattis de bestiaux tous les ans. On dit aussi en cuisine, faire des potages d’abattis d'agneau, d’abattis de poulets d'Inde, &c. pour dire qu'on les fait avec des bouts d'ailes, foies, & autres menues parties & issues de ces volailles. Les Bouchers appellent abattis, les cuirs, graisses, tripes, & autres menues choses des bêtes qu'ils ont tuées.

Les Réglemens de Police portent, que les Tueries, ou Abattis des Bouchers seront hors les villes. De la Marre. En cet endroit, il semble signifier le lieu où un Boucher tue ses bestiaux.

ABATTRE. v. a. Renverser, démolir, faire tomber. Diruere, evertere. J’abats, tu abats, il abat, &c. Abattre une maison pour la rebâtir. Ce Lutteur a abattu son homme sous lui. Les ennemis en se retirant ont abattu le château & les fortifications de la place. Un vent violent abat quelquefois de grands arbres. On abat des noix avec une gaule. Un bon Chasseur abat bien du gibier. Abattre des quilles. Nicod dérive ce mot de à bas, adverbe local, composé de à & de bas. Il pourroit paroître plus ancien. On lit dans la Loi Salique, tit. 45. Si quis hominem de barco abattiderit ; c’est-à-dire, Si quelqu’un abat ou fait tomber un homme de dessus un arbre. On lit aussi dans les mêmes Loix, tit. 38. battiderit. Ainsi les François avoient déjà fait battere, ou battidere, & abbatere, du latin batuere, dans le même sens que nous disons, battre, & abattre ; & c’est de-là que ces deux noms nous sont venus, selon Chifflet, dans son Glossarium Salicum, pag. 125. & 135.

Abattre du bois, en termes de trictrac, c’est jouer les dames du talon, prendre des dames au talon pour en faire des cases. On le dit de même au jeu de quilles, pour abattre beaucoup de quilles.

Abattre les cuirs. Terme de Corroyeur. C’est les lever de dessus le corps des animaux, après qu’ils ont été tués.

Abattre un chapeau. Terme de Chapelier. C’est après qu’on a donné au chapeau l’apprêt, & qu’il est bien sec, en aplatir les bords & le dessus de la forme sur un bassin chaud, mais couvert de papier & de toile qu’on


arrose avec un goupillon.

Abattre, en termes de Marine, signifie Dériver, s’écarter de la vraie route. Declinare, deerrare. Ce qui se fait par la force des courans ou des marées, ou par les erreurs du pointage, ou par le mauvais gouvernement du timonier. On dit aussi qu’un Pilote abat son vaisseau d’un quart de rumb, & d’une autre aire de vent, quand il vire ou change sa course, & gouverne sur un autre rumb que celui de sa route. On dit, abattre un navire ; pour dire, le faire obéir au vent, lorsqu’il est sur les voiles, ou qu’il présente trop l’avant au lieu d’où vient le vent. On dit, le navire abat, lorsque l’ancre a quitté le fond, & que le vaisseau obéit au vent pour arriver. Aller à la dérive, s’appelle aussi abattre : c’est quand on va de côté au gré du vent & de la marée, au lieu d’aller en droiture. On dit aussi, Abattre un vaisseau sur le côté, lorsqu’on veut travailler à la carène, ou en quelqu’endroit des œuvres vives.

En termes de Fauconnerie on dit, Abattre l’oiseau ; pour dire, le tenir serré entre les mains, s’en rendre le maître pour le poivrer, ou lui donner quelque médicament. On dit encore, que l’oiseau de proie s’abat, lorsqu’il s’abaisse vers terre.

Abattre, se dit figurément en Morale, pour vaincre, dompter, renverser. Comprimere, reprimere, dejicere, sternere, prosternere. ; abattre l'orgueil de quelqu'un. Quand la mort abat la plus florissante jeunesse, alors on reconnoît la vanité des attraits du monde. Il signifie aussi accabler, & se dit des troubles & des afflictions de l'ame & du corps. Debilitare, frangere.. Ce changement de fortune lui a abattu l'esprit & le courage. Il s'est laissé vaincre & abattre à la douleur. Quand il se met avec le pronom personnel, il signifie perdre courage. Dimittere & contrahere animum. Contrahi ac dimitti animo. Il ne s’abat point dans l'adversité. Ablanc. Se laisser abattre dans la moindre affliction. Id.

On dit dans la conversation, Abattre le caquet, pour dire, réprimer la fierté & la présomption de quelqu’un, le faire taire, l’obliger à baisser le ton. Loquacitatem, linguam comprimere, coërcere.

On dit proverbialement que petite pluie abat grand vent, ce qui signifie au propre, qu’une petite pluie fait cesser un grand vent ; & au figuré, que peu de chose calme une grande colère, fait cesser un grand emportement. On dit aussi figurément & familièrement d’un homme qui expédie beaucoup d’affaires, qu’il abat bien du bois.

Abattu, ue. part. pass. & adj. Dirutus, eversus. Maison abattue. Bois abattus.

Abattu, dans les ouvrages des anciens Praticiens, veut dire, rabattu, déduit. Remissus, deductus, detractus. En toutes choses qui sont comptées pour héritages, li coûts devoient être abattus. Baumanoir.

Figurément il signifie, Accablé, vaincu, terrassé. Debilitatus, fractus, victus. Jupiter ne pouvoit rien voir de plus beau que Caton, se soutenant dans un parti abattu, & demeurant ferme parmi les ruines de la République. Bouh. L’esprit abattu par les soins rongeurs de la pauvreté, n’est guère capable de mouvemens nobles & élevés. S. Evr. On voit l’orgueil à ses pieds abattu. Gomb. Il signifie encore, Être languissant & sans courage. Je me sens tout abattu. Languidus, debilis. Quelques-uns ont écrit abbattre, & abbatu par deux bb. Une Religion qui sans autres forces que celles de la persuasion, de l'humilité de la charité, de la patience, & des souffrances, a vaincu le monde, subjugué la raison humaine, dompté l'orgueil des Philosophes, abbatu l'audace des Princes, foulé aux pieds la chair & le sang qui lui résistoient, ne peut s'être établie que par une suite de miracles de votre main. {{sc[Peliss.}} L'origine de ce mot montre qu'il ne faut qu'un b ; mais quoiqu'il en soit, de la manière dont on l'écrira, il ne faut prononcer qu'un b.

ABATTURE. s. f. Dejectio, dejectus, eversio. Vieux mot qui s’est dit pour Abattis, action d’abattre, & pour ce qui est abattu. Abatture de gland. Monet.

ABATTURES. s. f. plur. Terme de Vénerie. Foulures, menu bois, broussailles, fougère, que le cerf abat du bas de son ventre en passant. Depressio virgultorum. On connoît le cerf par ses abattures.

☞ ABATUE. s. f. Terme d’Architecture. C’est la distance horizontale de la naissance d’un arc à la perpendiculaire, qui tombe d’une division de cet arc, ou de son extrémité

☞ ABAVI, ABAVO ou ABAVUM. s. m. Grand arbre qui croît en Éthiopie, & qui porte un fruit semblable à la citrouille.

☞ ABAUNAS. Voyez Actamar.

☞ ABAWI. s. m. Nom que les Éthiopiens donnent au Nil.

☞ ABAYER, ou ESBAYER. Vieux verbe. Écouter avec empressement, avec étonnement.

ABAZÉE. Voyez Sabazie.

ABB.

☞ ABBA, ou ABBA-DAL-CURIA. Nom propre d’une Île d’Afrique, dans la mer de Nubie, entre Socotora & le cap de Guardasui. Abba.

ABBASSIDE. s. m. Abbassidus, Abbassida, ex Abbassi familiâ. C’est le nom d’une famille qui a donné plusieurs Califes aux Arabes. Elle est ainsi nommée d’Abbas, oncle de Mahomet, duquel ils descendoient. Ce fut la centième année de l’Hégire, que Mahomet, arrière-petit-fils d’Abbas, commença à publier ses prétentions sur le Califat. La Maison des Abbassides a donné trente-sept Califes à l’Egypte, depuis l’an 132 de l’Hégire, jusqu’en l’an 656, pendant le cours de 523 années Arabiques, ou lunaires, deux mois & 23 jours. Voyez Herbelot.

ABBATIAL, ale. adj. Abbatialis. Qui appartient à l'Abbé. Logis abbatial. Dignité abbatiale. Mense abbatiale. Messes Abbatiales : ce sont celles que les Abbés doivent célébrer.

ABBAYE. s. f. Abbatia. Monastère érigé en Prélature, ou Maison de Religieux ou de Religieuses, régie par un Abbé ou par une Abbesse. Les Abbayes sont d’ancienne fondation, comme les Abbayes de Cluny, de saint Denis, de sainte Geneviève, &c. Il y a des Abbayes en Commende ; d’autres Abbayes régulières ou en regle ; d’autres qui sont sécularisées, possédées par des Chanoines séculiers. Les Abbayes sont des Bénéfices consistoriaux ; il n’y a que le Roi qui y nomme.

Abbaye, se prend quelquefois pour un composé des Religieux & de l’Abbé. Voilà une Abbaye bien réglée, où l’Abbé vit comme un simple Moine.

Abbaye, se prend quelquefois simplement pour la Maison & le Couvent. C’est par rapport à l’Architecture, un logement joint à un Couvent, & habité par un Abbé. Dans une Abbaye de fondation Royale, il s’appelle le Palais Abbatial. Vign. Voilà une Abbaye bien bâtie, une Abbaye qui tombe en ruines. Il se dit aussi dans ces phrases & autres semblables, non-seulement pour le Palais Abbatial, mais pour tous les bâtimens, tant de l’Abbé que des Moines.

Abbaye, se prend aussi pour un Bénéfice, & pour le revenu dont jouissent les Abbés. Il a obtenu pour son fils une Abbaye de dix mille livres de rente. Henri de Coilli ayant été élu Archevêque d’York en 1141, Innocent II ne voulut point qu’il fût Archevêque, s’il ne renonçoit à l’Abbaye. Fleury.

Quoiqu’il y ait eu autrefois des laïcs qui ont joui du revenu des Abbayes, on ne doit pas pour cela leur donner le nom d’Abbé ; car ç’a été dans des temps de désordre & de nécessité, que les Princes donnerent ces Abbayes à des Seigneurs de leur Cour, pour soutenir les dépenses de la guerre. Charles-Martel est le premier qui l’ait fait.

Toutes les Abbayes de France, à la réserve de celles qui sont Chefs d’Ordre, comme Cluny, Cîteaux, &c. sont à la nomination du Roi. On doit joindre à celles-là les quatre filles de Cîteaux, qui sont saint Edme de Pontigny, la Ferté, Clairvaux & Morimont, qui ont aussi conservé le droit d’élection. Il y a outre cela cinq Abbayes qu'on nomme de Chezal-Benoît, qui sont à l'élection de l'Ordre de saint Benoît, tous les trois ans, par une longue possession. Ces Abbayes sont Chezal-Benoît en Berry, saint Sulpice de Bourges, saint Alire de Clermont, saint Vincent du Mans, & saint Martin de Séez. On a souvent agité la question, si cette possession exclut le Roi de son droit de nomination à ces Abbayes, & cette question n'est pas encore aujourd'hui vuidée. Les Moines Bénédictins qui ont


eu de puissans Patrons dans le Conseil du Roi, jouissent encore aujourd'hui paisiblement de leur droit d'élection.

Comme le Roi n’a son droit de nomination qu’en vertu du Concordat fait entre Léon X. & François I. il y a eu quelques difficultés sur les Abbayes de Filles, parce qu’elles ne sont point comprises dans le Concordat. Il y a même un Article de l’Ordonnance d’Orléans, qui porte que les Abbesses seront élues par les Religieuses des Monastères, & même qu’elles ne seront que triennales. Mais cette Ordonnance n’a point été exécutée. Le Roi nomme également aux Abbayes de filles & à celles d’hommes. Il a cependant toujours eu des disputes sur les Abbayes de l’Ordre de sainte Claire, qu’on prétend être à l’élection triennale des Religieuses. Et de fait, je ne sçais s'il y en a de cet Ordre auxquelles le Roi nomme ; mais il est sûr qu'il y en a auxquelles il ne nomme point, & où les Religieuses élisent leur Abbesse tous les trois ans.

On dit proverbialement, Pour un Moine l’Abbaye ne faut pas ; pour dire, que faute d’une personne qui ne se trouve pas dans une assemblée, on ne laisse pas de se réjouir, ou d’exécuter ce qui a été résolu.

ABBÉ. Ce nom, dans sa première origine, qui est Hébraïque, signifie Pere. Car les Hébreux appellent Pere en leur langue, Ab ; d’où les Chaldéens & les Syriens ont fait Abba, & de Abba, les Grecs ont formé ἀββας, que les Latins ont conservé ; & c’est de là qu’est venu le nom d’Abbé en notre langue. Saint Marc & saint Paul ont gardé le mot Syriac ou Chaldaïque Abba, pour dire Pere, parce qu’il étoit alors commun dans les Synagogues & dans les premières Assemblées des Chrétiens ; mais ils l’ont interprété en ajoutant le mot Pere. C’est pourquoi Abba Pater, au ch. 14. de saint Marc, v. 36. ne signifie pas Mon Pere, mon Pere, comme il y a dans la version de Mons, & dans celle des Jésuites de Paris. Il est mieux de traduire avec le Pere Amelotte, Abba, mon Pere ; ou plutôt avec M. Simon, Abba, c’est-à-dire, mon Pere. Tel est le sentiment de M. Simon, & de quelques autres Interpretes avant lui, comme Emmanuel Sa, Béze & Lightfoot. Leur raison est qu’il y a dans le Grec Ἀββἆ ὀ πατερ, & non pas ὦ πάτερ. Mais d’autres Interpretes, non moins habiles, tels que sont Mariada, Luc de Bruges, Cornelius à Lapide, Grotius, Louis Capell, &c. prétendent que cette répétition marque l’affection & la ferveur avec laquelle Jesus-Christ prioit. L’Interprete Syriac a été dans ce sentiment, quand il a traduit אבא אבי, Pere ! mon Pere ! lui qui n’avoit pas besoin d’interpréter, ou d’expliquer le mot Syriac Abba. Très-vraisemblablement c’étoit aussi la pensée de l’Interprete Arabe, lorsqu’au lieu de יא, dont il s’est servi en S. Matthieu, Chapitre XXVI, vers. 39 ; & en S. Luc, Chap. XXII, vers. 42, où il n’y a que Pater, ou Pater mi ; en S. Marc, où il y a Abba Pater, il a employé איהא, interjection plus forte & plus propre à faire sentir avec combien d’ardeur & d’empressement J. C. prioit. La version Éthiopienne suppose aussi que J. C. dit ces mots ; car elle traduit Wajaba, Aba waabouy. Et il dit, Pere ! & Mon Pere ! D’ailleurs, dans les explications ou interprétations des mots, l’Ecriture met toujours ὁ ἐστί, ou bien ὁ ἐστί, μεσθερμηνευόμενον ; c’est-à dire, ou ce qui s’interpréte ; & non pas simplement comme ici. Voyez Math. I. 23. Marc, V. 41. XV. 22, 34. Jean, I. 39, 42, 43. IX. 7. Act. IV. 36. IX. 36. Après tout, dans une version je mettrois, Abba, mon Pere ! Déterminer si c’est là l’explication ou non, c’est le fait du Commentateur, & non du Traducteur. Quoique ces deux mots Abba, Pere, soient la même chose, tant dans saint Marc que dans saint Paul au Ch. VIII, de l’Epître aux Rom. vers. 15 ; & au Chap. IV, de l’Epître aux Galates, vers. 6 ; il n’y a cependant point de pléonasme dans cette expression. Les Evangélistes & les Apôtres ont conservé dans leurs Ecrits plusieurs mots Syriacs qui étoient en usage ; & comme ils écrivoient en Grec, ils ont en même temps ajouté l’interprétation de ces mots en langue Grecque. C’est sur ce pied-là qu’au Chap. XIII des Actes des Apôtres, vers. 8, où il y a dans notre Vulgate, conformément à l’original Grec, Elymas magus, Mess. de P. R. & le P. Amelotte ont fort bien traduit, Elymas, c’est-à-dire, le Magicien. Ces autres paroles qui suivent immédiatement après (car c’est ce que signifie Elymas) confirment ce qu’on vient de dire, touchant la signification de Abba Pater ; ce qui a été remarqué par S. Jérôme dans son Commentaire, sur le Chap. IV. de l’Epître aux Galates, où il explique fort bien ces mots Abba Pater. Le nom de Ab, ou Abba, qui dans les commencemens étoit un mot de tendresse & d’amour dans la langue Hébraïque ou Chaldaïque, devint ensuite un nom de dignité & un titre d’honneur ; les Docteurs Juifs affecterent ce titre, & un de leurs plus anciens Livres, qui contient diverses sentences ou apophthegmes de leurs Peres, est intitulé Pirke Abbot, ou Avoth ; c’est-à-dire, Chapitre des Peres. C’est par rapport à cette affectation, que J. C. dans S. Mathieu, Chap. XXIII. vers. 9, dit à ses disciples : N’appellez personne sur la terre votre Pere : car vous n’avez qu’un Pere qui est dans le Ciel. Saint Jérôme se sert de ces paroles de Jesus-Christ contre les Supérieurs des Monastères de son temps, qui prenoient le titre de Peres ou Abbés. Il dit, expliquant ces paroles de saint Paul, Abba Pater, dans son Commentaire sur l’Epître aux Galates, Chap. IV. Je ne sais par quelle licence le titre de Pere ou Abbé a été introduit dans les Monastères, Jesus-Christ ayant défendu expressément que qui que ce soit prît ce nom, parce qu’il n’y a que Dieu seul qui soit notre Pere. Mais comme Jesus-Christ a plutôt condamné la vaine gloire des Juifs, qui prenoient la qualité de Peres, que le nom de Pere, il n’est pas surprenant que les Chefs ou Supérieurs des Monastères l’aient pris dès les premiers établissemens des Moines.

Le nom d’Abbé est donc aussi ancien que l’institution des Moines. Ceux qui les gouvernerent, prirent le nom d’Abbés & d’Archimandrites. Ce nom s’est toujours conservé depuis dans l’Église : & comme ils étoient eux-mêmes Moines, ils étoient distingués du Clergé, avec lequel cependant on les mêloit quelquefois, parce qu’ils tenoient un rang au-dessus des laïcs. S. Jérôme écrivant à Héliodore, nie absolument que les Moines soient du Clergé : Alia, dit-il, Monachorum est causa, alia Clericorum. Il reconnoît néanmoins que les Moines n’étoient pas exclus par leur profession des emplois Écclésiastiques. Vivez, dit-il dans sa Lettre au Moine Rusticus, d’une manière que vous puissiez mériter d’être Clerc ; & si le peuple ou votre Evêque jette pour cela les yeux sur vous, faites ce qui est du devoir d’un Clerc.

Les Abbés ou Archimandrites, dans ces premiers temps étoient soumis aux Évêques & aux Pasteurs ordinaires ; & comme les Moines vivoient alors dans des solitudes éloignées des villes, ils n’avoient aucune part aux affaires Ecclésiastiques. Ils alloient à la Paroisse avec le reste du peuple ; & quand ils en étoient trop éloignés, on leur permettoit de faire venir chez eux un Prêtre pour leur administrer les Sacremens. Enfin, ils eurent la liberté d’avoir des Prêtres qui fussent de leur Corps. Souvent l’Abbé ou l’Archimandrite étoit Prêtre ; mais ces Prêtres ne servoient qu’aux besoins spirituels de leurs Monastères. Quelque pouvoir que les Abbés eussent sur leurs Moines, ils étoient soumis aux Évêques, qui avoient beaucoup de considération pour eux, sur-tout après les services qu’ils rendirent aux Églises d’Orient. Comme il y avoit parmi eux des personnes savantes, ils s’opposerent fortement aux Hérésies naissantes ; ce qui fit que les Évêques jugerent à propos de les tirer de leurs solitudes. On les mit dans les fauxbourgs des villes, pour être plus utiles aux peuples. S. Chrysostôme jugea même à propos de les faire venir dans les villes ; ce qui fut cause que plusieurs s’appliquerent aux Lettres, & se firent promouvoir aux Ordres. Leurs Abbés en devinrent plus puissans, étant considérés comme de petits Prélats. Mais quelques Moines qui se crurent en quelque manière indépendans des Évêques, se rendirent insupportables à tout le monde, même aux Évêques, qui furent obligés de faire des Loix contre eux dans le Concile de Chalcédoine. Cela n’empêcha pas que les Abbés, ou Archimandrites, ne fussent fort considérés dans l’Église orientale, où ils ont toujours tenu un rang distingué, & ils y ont même été préférés aux Prêtres. Ils ont eu séance dans les Conciles après les Évêques.

La dignité d’Abbé n’est pas moins considérable aujourd’hui qu’elle l’a été autrefois. Selon le Droit commun, tout Abbé doit être régulier ou Religieux ; parce qu’il n’est établi que pour être le Chef & le Supérieur des Religieux : mais selon le Droit nouveau, on distingue deux sortes d’Abbés ; sçavoir, l’Abbé régulier, & l’Abbé commendataire. Le premier, qui doit être Religieux, & porter l’habit de son Ordre, est véritablement Titulaire. Le second est un séculier, qui est au moins tonsuré, & qui par ses Bulles, doit prendre l’ordre de la Prêtrise quand il aura atteint l’âge. Quoique le mot de Commendataire insinue qu’il n’a l’administration de l’Abbaye que pour un temps, il en possede néanmoins les fruits à perpétuité, étant entièrement substitué aux droits des Abbés réguliers ; ensorte que l’Abbé Commendataire est véritablement Titulaire par ses Bulles, où on lui donne tout pouvoir tàm in spiritualibus quàm in temporalibus, c’est-à-dire, tant au spirituel qu’au temporel ; & c’est pour cette raison qu’il est obligé par les mêmes Bulles, de se faire promouvoir dans le temps à l’ordre de Prêtrise. Cependant les Abbés Commendataires ne font aucunes fonctions pour le spirituel ; ils n’ont aucune juridiction sur les Moines. Et ainsi ce mot in spiritualibus, qu’on emploie dans les Bulles, est plutôt du style de Rome, qu’une réalité. Les plus savans Jurisconsultes de France, & entre autres du Moulin & Louet, mettent la Commende inter titulos Beneficiorum ; c’est-à-dire, entre les titres de Bénéfices. Ce sont des titres Canoniques qui donnent aux Commendataires tous les droits attachés à leurs Bénéfices. Mais comme ces provisions en commende sont contraires aux anciens Canons, il n’y a que le Pape seul qui puisse les accorder par une dispense de l’ancien Droit. Voyez le mot de Commende & Commendataire. Voyez aussi les Acta sanct. Benedict. fæc. III. p. I. præf. p. 89 & suiv.

Les Abbés Commendataires étant séculiers, n’ont aucune juridiction sur les Moines. Quelques-uns néanmoins prétendent que les Cardinaux, dans les Abbayes qu’ils ont en commende, ont le même pouvoir que les Abbés Réguliers. On donne pour exemple M. le Cardinal de Bouillon, qui, en qualité d’Abbé Commendataire de Cluny, avoit le gouvernement spirituel de tout l’Ordre de Cluny, comme s’il en eût été Abbé Régulier. On répond à cela, que M. le Cardinal de Bouillon ne jouissoit pas de cette juridiction spirituelle en qualité de Cardinal, Abbé Commendataire ; mais par un Bref particulier du Pape. M. le Cardinal d’Estrées, Abbé Commendataire d’Anchin en Artois, ayant voulu jouir de ce même droit à l’égard des Religieux de cette Abbaye, en fut exclus par un Arrêt du Grand Conseil, daté du 30 Mars 1694. L’obligation principale d’un Abbé Commendataire est de procurer par toutes les voies possibles la gloire & le service de Dieu dans la Communauté dont il se trouve chargé. Ab. de la Tr.

Il n’y a que les Abbés Réguliers que l’on bénisse ; les Commendataires ne l’ont jamais été. Cette bénédiction, qui s’appelle aussi consécration, se faisoit autrefois, en les revêtant de l’habit appellé cuculla, coulle, en leur mettant en main la crosse ou bâton pastoral, & aux pieds la chaussure appellée pedales, ou pedules, qui étoient des bandelettes propres à entourer le pied. C’est de l’Ordo Romanus de Théodore Archevêque de Cantorbery, dans sa Collection des Canons, & de la Vie de saint Anselme, que nous apprenons ces particularités. Le pouvoir que quelques Abbés ont de donner la tonsure, n’appartient aussi qu’aux Abbés Réguliers ; mais ils ne la peuvent donner qu’aux Religieux. Le P. Hay, Moine Bénédictin, dans son Livre intitulé Astrum inextinctum, assure que les Abbés de son Ordre ont une juridiction comme Episcopale, & même comme Papale, potestatem quasi Episcopalem, imò quasi Papalem, sur tous les Religieux, & que c’est par cette raison qu’ils conferent à leurs Moines la tonsure & les Ordres mineurs. Il se peut faire qu’en Allemagne les Abbés de l’Ordre de saint Benoît jouissent de ce privilége ; mais ils n’en jouissent point aujourd’hui en France, quoique quelques Abbayes prétendent avoir ce droit en vertu de leur exemption. On dit même qu’Innocent VIII a accordé à l’Abbé de Cîteaux le pouvoir d’ordonner des Diacres & des sous-Diacres. À l’égard de la tonsure, Innocent III répondant à Robert Pullus Archevêque de Rouen, qui l’avoit consulté, pour savoir si les Abbés pouvoient donner la tonsure à leurs Moines, il lui dit qu’il n’y a pas de difficulté, puisque le septième Concile l’a ainsi réglé. Il paroît par les actes de la vie de S. Convoïon Abbé, qu’autrefois les Abbés pouvoient tonsurer des laïques qui n’étoient pas Moines. Le second Concile de Nicée permet aux Abbés de faire des Lecteurs ; & plusieurs Abbés, par des concessions particulières, ont eu du saint Siége le privilége de donner les quatre Ordres mineurs. P. Martene.

ABBÉ, s’est dit quelquefois même des simples Moines, qui n’avoient aucune autorité ou juridiction. Abbé est pris dans ce sens dans la regle de saint Colomban, C. 7, où il est dit qu’il y avoit mille Abbés sous la conduite d’un Archimandrite.

ABBÉ DES ABBÉS. Abbas Abbatum. C’est le titre que Ponce Abbé de Cluny prit à Rome, au Concile l’an 1116 ; sur quoi Jean Cajétan Chancelier du Pape, lui ayant demandé si les Religieux de Cluny avoient reçu une regle de ceux du Mont-Cassin, ou s’ils leur en avoient donné une, il répondit que non-seulement les Moines de Cluny, mais aussi tous les autres qui sont en Occident, ont reçu leur regle des Moines du Mont-Cassin. Le titre d’Abbé des Abbés doit donc être donné à l’Abbé du Mont-Cassin, répartit le Chancelier. Voyez le Liv. IV, C. 62. de la Chronique du Mont-Cassin, par Pierre Diacre.

Abbé Mitré, Abbas mitratus. C’est un Abbé qui a droit de porter la mitre, & les ornemens qui distinguent les Evêques de ceux qui leur sont inférieurs.

Abbé en second, Abbas secundarius. C'est le Prieur du Monastère, celui qui gouverne le Monastère sous l'Abbé, & en l'absence de l’Abbé.

Il y a des Abbés mitrés ; c'est-à-dire, qui ont droit de porter la mitre. Harris dit qu'en Angleterre les Abbés mitrés étoient exemts de la jurisdiction de l'Ordinaire ; qu'ils avoient une autorité Episcopale dans leur district, & qu'ils étoient membres ou Lords du Parlement ; (quelquefois on les a appellés Abbés souverains, ou Abbés généraux ;) que les autres Abbés étoient soumis à l'Evêque diocésain pour le spirituel ; qu'il y a eu aussi des Lords-Prieurs, qui avoient une jurisdiction libre, & étoient Lords du Parlement. Edouard Cok dit qu'il y a eu vingt-sept de ces Abbés & deux Prieurs qui ont eu séance au Parlement ; mais le nombre n'a pas toujours été le même, & dans le Parlement qui fut tenu la vingtième année de Richard II. ils n'étoient que vingt-sept en tout ; c'est-à-dire, vingt-cinq Abbés & deux Prieurs. Harris. Il y a aussi des Abbés crossés ; c'est-à-dire, qui ont droit de porter la Crosse. L’Abbé Régulier des Bénédictins de Bourges est crossé, & non pas mitré. On dit qu'il y en a qui sont mitrés & crossés ; c'est-à-dire, qui ont permission de porter la Mitre & la Crosse.

Il y a eu chez les Grecs des Abbés qui ont pris la qualité d’Abbés Œcuméniques, ou universels, à l’imitation du Patriarche de Constantinople. Abbas Œcumenicus. La regle de S. Benoît parle de quelques Moines qui vouloient s’arroger la qualité de second Abbé.

Quelques Abbés ont été appellés Abbés Cardinaux. C’étoient les Abbés en chef, lorsque des Abbayes qui avoient été unies, venoient à être séparées. On a aussi donné quelquefois ce titre d’Abbé Cardinal à quelques Abbés, purement par honneur, comme le Pape Calixte le donna à l’Abbé de Cluny. Ponce, Abbé de Cluny, dans un Concile tenu à Rome en 1116. prit la qualité d’Abbé des Abbés ; mais il ne fut pas approuvé, & l'on jugea qu'elle convenoit plutôt à l’Abbé du Mont-Cassin, le premier de l'Ordre de saint Benoît.

On trouve dans le VIe, VIIe, & VIIIe siècle des Abbés qui n’étoient pas Prêtres, mais seulement Diacres ou sous-Diacres. Et Saint Benoît, dans sa regle, ordonne qu’ils aient néanmoins le pas devant les Prêtres. Vers le commencement du neuvième siècle, Eugène ordonna dans un Concile de Rome, que les Abbés fussent Prêtres. Cependant on en trouve encore après ce reglement qui n’ont point été Prêtres, & jusqu’au seizième siècle ; car Christophe, Abbé d’Otmars, mort en 1576, ne fut jamais que Diacre. On a quelquefois donné la qualité d’Abbé aux Curés primitifs. Selon M. du Cange, les Paroisses avoient ordinairement trois principaux Officiers ; l’Abbé ou le Gardien, qui est présentement le Curé ; les Prêtres ou Chapelains ; & le Sacristain. Les Prêtres étoient chargés du soin des ames & de l’administration de la Cure, & l’Abbé avoit l’œil sur les besoins de sa Paroisse, & sur la conduite des Prêtres. Il y a eu des Evêques qui ont été


appellés Abbés, parce que leurs Evêchés étoient originairement des Abbayes, & qu’ils étoient même élus quelquefois par les Moines, comme ceux de Catane & de Montréal en Sicile. Enfin, quoiqu’il n’y ait proprement que les Moines dont le Supérieur soit appellé Abbé, les Chanoines Réguliers ont aussi donné le nom d’Abbé à celui qui est à leur tête, & comme leur Général. L’Abbé de sainte Geneviève de Paris est Régulier depuis le Cardinal de la Rochefoucault.

Abbé de Cour. On entend par-là un jeune Ecclésiastique poli, & dans les manières & dans les habits : cela marque du déréglement & quelque chose de profane. Bouh. On y joint une idée de délicatesse, de volupté & de galanterie. On suppose d’ordinaire plus de science du monde dans un Abbé de Cour, que d’étude de la Théologie.

Abbé, se dit aujourd’hui, sur-tout parmi le peuple, de quiconque porte l’habit Ecclésiastique. On fait aujourd’hui très-bon marché de la qualité d’Abbé. Les moindres Ecclésiastiques se l’attribuent, & même ceux qui n’ont aucun Bénéfice, ni espérance d’en avoir. C’est un fantôme de vanité insupportable. de Roch. On peut dire que l’usage a prévalu, & que ce n’est qu’un terme de civilité de la part de ceux qui le donnent, & nullement une preuve ou un effet de la vanité de ceux à qui on le donne.

Abbé, se dit aussi de quelques Magistrats ou personnes laïques & séculières. Chez les Génois il y avoit un principal Magistrat qu’on appelloit Abbé du peuple. En France il y a eu plusieurs Seigneurs, sur-tour du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu’on appelloit Abbacomites. Autrefois on appelloit aussi Abbé le Grand-Maître de la Chapelle Royale.

Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & Comtes ont été appellés Abbés, & les Duchés & Comtés, Abbayes ; & plusieurs Seigneurs & Gentilshommes, qui n’étoient point Religieux, ont aussi pris ce nom, comme remarque Ménage après Fauchet & autres. Les Rois même n’ont pas dédaigné de porter le titre d’Abbé, qui n’étoit pas moins honorable que celui de Duc & de Comte. Philippe I. & Louis VI. & ensuite les Ducs d’Orléans, sont appellés Abbés du Monastère de saint Agnan d’Orléans par Hubert Historien de cette Abbaye. Les Ducs d’Aquitaine ont porté le titre d’Abbés de S. Hilaire de Poitiers. Les Comtes d’Anjou celui d’Abbés de S. Aubin, & les Comtes de Vermandois celui d’Abbés de S. Quentin. Louis le Bégue & ses enfans sont fort souvent nommés Abbés dans l’Histoire de ce temps-là.

On appelle aussi Abbé, celui qu’on élit en certaines Confréries & Communautés, particulièrement entre les écoliers & les garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un certain temps. A Milan, dans toutes les Communautés de Marchands & d’Artisans, il y en a de preposés qu’on appelle Abbés. Et c’est de-là apparemment qu’est devenu le jeu de l’Abbé, dont la regle est, que quand le premier, c’est-à-dire, celui qui conduit le jeu, & que l’on nomme Abbé, a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent, fassent de même.

Abbé, se dit proverbialement en ces phrases. On vous attendra comme les Moines font l’Abbé, c’est-à-dire, en mangeant toujours, en commençant à dîner : en un mot, on ne vous attendra pas. On dit encore, pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé ; pour dire, que l’opposition d’un particulier n’empêche pas la délibération d’une compagnie, ou la conclusion d’une affaire. On dit en proverbe Espagnol, Como canta el Abad responde el Monazillo ; & en François, le Moine répond comme l’Abbé chante ; pour dire, que les inférieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que les supérieurs. On appelle par raillerie, Abbés de sainte Espérance, ceux qui prennent la qualité d’Abbés sans avoir d’Abbaye, & quelquefois même de bénéfice ; ou Abbés de sainte Elpide, qui veut dire la même chose, car ἒλπίς signifie espérance en Grec.

☞ ABBEC. s. m. Viande ou autre appât que les pêcheurs attachent à l’hameçon, pour attirer les Poissons. Il est vieux.

ABBESSE. Nom qu’on donne à une Religieuse qui est Supérieure d’une Abbaye. Abbatissa. Les Abbesses ont les mêmes droits sur leurs Religieuses, que les Abbés Réguliers ont sur leurs Moines, parce qu’elles sont revêtues de la même dignité. Leur sexe ne leur permet pas à la vérité de de faire les fonctions spirituelles qui sont attachées à la Prêtrise ; mais il y a des Abbesses qui ont droit, ou plutôt un privilége, de commettre des Prêtres pour ces fonctions. Elles ont même une Juridiction comme Episcopale, aussi-bien que quelques Abbés Réguliers qui sont exempts de la juridiction de leurs Evêques. Voyez Exemption. Autrefois les Abbesses étoient électives : aujourd’hui le Roi les nomme toutes : ce n’est pas en vertu du Concordat, car il n’y en est pas fait mention. François I & Henri II ont obtenu des Indults pour nommer les Abbesses. Aujourd’hui les Bulles que le Pape donne pour les Abbesses, portent, que le Roi a écrit en faveur de la Religieuse nommée, & que la plus grande partie de la Communauté a consenti à son élection. Cela se fait pour conserver une image de l’ancien usage. Pinson. Le P. Martene, dans son Traité des Rits de l’Eglise, dit que quelquefois les Abbesses ont entendu les confessions de leurs Religieuses : il le prouve par les actes de la vie de sainte Burgondofere. Il ajoute que quelques Abbesses s’étant attribué en cela plus d’autorité qu’il ne convenoit, on avoit été obligé de réprimer leur vanité ou leur curiosité. On lit dans le Droit oriental, que Marc, Patriarche d’Alexandrie, consulta Balsamon, pour savoir si un Evêque devoit accorder aux Abbesses la permission qu’elles demandoient, d’entendre les confessions de leurs Religieuses ; à quoi Balsamon répondit que non, quoique saint Basile, dans ses petites Regles, permît aux Abbesses d’entendre avec un Prêtre, les confessions de leurs Religieuses. Saint Césaire, Evêque d’Arles, a écrit une Regle pour le Monastère de sainte Césaire sa sœur, où il y a de fort beaux Reglemens par rapport aux Abbesses. Elle se trouve dans Bellandus, Tome I. p. 730. & suiv. C’étoit une coutume assez ordinaire dans la seconde Race de nos Rois, de faire les filles des Rois Religieuses & Abbesses. P. Dan. Selon le Concile de Trente, Sess. 25. Chap. VII. les Abbesses doivent être élues en présence de l’Evêque ou d’un autre tenant sa place, du Corps, s’il se peut, du Monastère, âgée de quarante ans, ou au moins de trente, ayant huit, ou au moins cinq années de profession. Une même Abbesse ne peut régir deux Monastères. Les François fonderent autrefois des Abbayes sans qu'il leur en coûtât beaucoup : on cédoit à des Moines autant de terres incultes qu'ils pouvoient en mettre en valeur. Ils travailloient à dessécher, à défricher, à bâtir, à planter, moins pour être plus à leur aise, que pour en soulager les pauvres. Ces lieux arides & déserts devinrent agréables & fertiles. Il y avoit des Abbés si riches, qu'ils pouvoient mettre une petite armée sur pied : ce qui fit qu'on les invita aux assemblées du Champ de Mars, & aux Cours plenières. Le Gendre.

ABBEVILLE. Abbavilla, Abbatisvilla. Nom d'une ville de France, capitale du Comté de Ponthieu, dans la Picardie, situé sur la Somme, environ à cinq lieues de son embouchure, patrie des deux Sansons, célébres Géographes. Son nom, qui signifie Maison de campagne de l’Abbé, lui vient de ce que ce n’étoit autrefois qu’une maison ou ferme qui appartenoit à l’Abbé de saint Riquier. Hugues le Grand l’ôta aux Moines de cette Abbaye, dit Hariulphe, L. IV. c. XII. pour en faire un château qui arrêtât les courses des Barbares : il en donna le commandement à Hugues son gendre, qui après la défaite & la mort du Comte de Boulogne, épousa la Comtesse Adelaja sa femme, & prit le titre de Comte, qu’il laissa à sa postérité. Ce fut sous ces Comtes qu’Abbeville, de simple ferme, devint une ville. L'Histoire Ecclésiastique d'Abbeville & de l'Archidiaconé de Ponthieu en François a été faite par le P. Ignace Jos. de Jesus-Maria, Carme Déchaussé. Il y a à la fin un Catalogue des Auteurs d'Abbeville & de l'Archidiaconé de Ponthieu. A Paris, 1646. in 4°. Les Mémoires de l'Académie des Sciences donnent à Abbeville pour longitude, 19.d 30'. pour latitude, 50.d 5'.

La différence du Méridien d’Abbeville à celui de Paris est, selon M. de la Hire, 0h 1′ 48″. occid. ou 0° 27′ 0″. selon M. Cassini, 0h 1′ 52″. occid. 0° 28′ 0″. Sa latitude est, selon M. de la Hire, 50° 7′ 0″. selon M. Cassini 50° 7′ 0″.

ABBOI, Voyez Aboi.



ABBINGTON. Voyez Abington.

☞ ABBRÉGÉ. s. m. au fig.

Cher & charmant sujet de mes plus douces peines,
Abbrégé des vertus & des graces humaines. P. le M.

On dit aussi, Un abbrégé des merveilles du monde, quand on veut bien louer une chose, ou une personne qui a toutes sortes de perfections, & où on trouve tout ce qu'on peut voir de beau ailleurs. Orbis miraculum. Les Anglois disent que Londres est l’épitome, ou l’abbrégé du monde. L'homme est appellé microcosme ; pour dire qu'il est un abbrégé des merveilles de l'Univers. L'amour est la plénitude & l’abbrégé de toute la Loi. Port-R. Voici l’abbrégé de toute la sagesse, & de toute la folie. Ablanc.

Abbrégé, signifie aussi abréviation, retranchement de quelques lettres dans un mot, pour écrire plus promptement, & en moins d'espace. Compendium scribendi. Il est malaisé de déchifrer les abbrégés qui sont dans les Bulles, & les signatures de la Cour de Rome. Pelis.

Abbrégé, en termes d'Organiste, se dit d'une certaine réduction des touches du clavier de l'orgue, qui a été inventée, afin que chaque touche qui n'a que deux pieds de long se rapporte à chaque soupape des sommiers, qui sont longs de 4. 5. ou 6. pieds ; ce qui se fait par plusieurs barreaux, pointes & chevilles : d'où vient qu'une marche du clavier fait souvent parler un tuyau fort éloigné. En examinant une orgue, on connoît que les abbrégés sont bien faits, lorsque le clavier n'est point tardif à donner le vent aux tuyaux, lorsqu'il se ferme aisément, & qu'il n'est pas besoin d'enfoncer beaucoup les touches.

En Abbrégé, adv. Sommairement, en peu de paroles. Summatim. Pour profiter de la lecture, il faut recueillir en abbrégé ce qu'on trouve de plus curieux dans les Livres. Contez-nous la chose en abbrégé, sans tant de circuits & de détours.

ABRÉGEMENT, s. m. Accourcissement. Contractio. Ce mot a été renouvellé, parce qu'il est très-commode. Le P. Bouhours le condamne pourtant dans cette phrase : Ceux qui ont voulu introduire l'usage des tables, semblent avoir été trompés par l’abbrègement des paroles & du papier. Port-R.

ABRÉGER, v. act. Rendre en moins de paroles, ou renfermer dans un plus petit espace ; racourcir, resserrer ce qui est trop diffus. Contrahere. Abbréger son discours, dire succinctement. On a abbrégé le temps de son exil. Cette traverse abbrége le chemin. Viae compendium. Les jours de l'homme ont été abbrégés, & réduits à 120. ans depuis le Deluge. Les excès abbrégent la vie. Ablanc. Ce mot vient de abbreviare. Nicod.

Abbrégé, ée, part. & adj. Racourci, le plus court. Contractus. Chemin abbrégé pour aller à la gloire.

Pour abbréger, Façon de parler adverbiale ; pour dire, enfin, pour conclusion. Quid multa, ne longum sit. On dit aussi, Abbrégez, quand un Supérieur est ennuyé d'un discours trop prolixe qu'on lui fait. Contrahe. On le dit aussi en un calcul de jettons quand il y a trop de jettons sur une même ligne.

ABRÉVIATEUR, s. m. Celui qui abbrége un livre. Qui epitome conficit. Mr de Sponde Evêque de Pamiers est l’abbréviateur de Baronius. Mr Bernier a rendu un grand service au Public ; il est l’abbréviateur de Gassendi. Les abbréviateurs sont cause qu'on se peut passer des originaux. Il faut du bon goût & de l’intelligence pour être un excellent abbréviateur.

Abbréviateur, se dit encore de deux sortes d’Officiers de la Chancellerie Romaine. Les Abbréviateurs, qu’on appelle de parco majori, sont des Prélats à qui le Régent de la Chancellerie distribue les Supliques, & qui ont des Substituts pour dresser la minute des Bulles. Et les Abbréviateurs de parco minori ont le soin de dresser les dispenses de mariage.


ABBRÉVIATION. s. f. On ne prononce qu’un b. Ecriture en abbrégé, ce qui se fait avec des marques et des caractères qui suppléent les lettres qu’on retranche, & qu’il faut deviner, quand on veut écrire plusieurs choses en peu d’espace, ou avec diligence. Scribendi compendium. Les signatures de la Cour de Rome sont pleines d’abbréviations. L’écriture Gothique étoit incommode à cause de ses abbréviations. On ne sçauroit lire les Ecrits des Rabbins, qu’on n’ait une explication des abbréviations Hébraïques. Les Copistes, ou les Ecrivains Juifs ne se contentent pas de faire des abbréviations, comme les Grecs & les Latins, en retranchant quelques lettres ou syllabes dans un mot. Ils ne mettent d’un mot que la première lettre ; ר signifie Rabbi : א signifie אל, ארוגו, ou אמר, &c. selon l’endroit où il se trouve. Souvent même ils prennent ces premières lettres de plusieurs mots de suite, les joignent ensemble ; & en y ajoutant des voyelles, ils font un nom barbare qu’ils donnent à la personne qui porte les noms qu’ils ont abrégés de la sorte. Ainsi Rabbi Schelomoh Jarhhi, en jargon d’abréviations Hébraïques s’appelle Rasi ; Rabbi Moyse ben Maïemon, Rambam ; & de même en d’autres dictions que les noms propres. נבוא, par exemple, est mis pour מתז בםפר יבשהאף, Donum in abdito avertit iram. Mercerus, David de Pomis, Schindler, Buxtorf, & d’autres, ont fait des explications de ces espèces de chiffres, sans lesquelles on ne peut aborder les Rabbins, sur-tout en commençant. Les abréviations de l’écriture s’appeloient Notes dans l’Antiquité. On les appelle encore ainsi dans les anciennes inscriptions Latines. Plusieurs ont fait des collections & des explications des abréviations Romaines. Une des plus amples est celle de Sertorius Ursatus, qui se trouve à la fin des Marbres d’Oxford. Sertorii Ursati Equitis, de notis Romanorum Commentarius. Tous ces mots viennent du Latin Abbreviare, dont l’origine est brevis, bref, court, qui vient du Grec Βραχὺϛ.

ABBRÉVIATURE. s. f. Ce mot est la même chose qu’abbréviation, mais il est moins usité. M. le Clerc se sert ordinairement d’abbréviature au lieu d’abbréviation. M. Gale, dans l’édition de quelques auteurs Grecs qu’il a procurée, en a banni toutes les abbréviatures. Le Clerc. Le retranchement des traits qui sont dans les abbréviatures, en rend l’édition plus nette. Idem. On évite même des fautes qui se glissent aisément dans les abbréviatures des articles.

ABBUTTO. s. m. Nom propre d’un Dieu du Japon. Abbuto, onis. C’est un Dieu qu’on invoque pour la guérison des maladies, & pour obtenir une heureuse navigation. Il a un temple à un quart de lieu de Tonut, ou Bingono-Tonut, havre fameux, & bourg de la province de Bingo, dans l’île de Niphon. On dit que ce temple est fort distingué par la guérison miraculeuse de plusieurs maladies invétérées qui s’y fait, & parce qu’il procure un vent favorable, & un heureux passage. C’est pour cela que les matelots & les passagers ne manquent jamais d’attacher quelques liards à une pièce de bois qu’ils jettent dans la mer, comme une offrande faite à cet Abbuto quano sama, ou Seigneur Dieu Abbuto, comme les Japonois l’appellent, pour en obtenir un vent favorable. Le Prêtre du temple assûre que ces offrandes ne manquent jamais d’être conduites sur le rivage, & de venir heureusement entre ses mains ; cependant, par précaution, il vient en temps calme dans un petit bateau, demander cette sorte de tribut pour son idole à tous les navires & bateaux qui passent par-là. Koempfer, liv. V. p. 181.

ABC.

A. B. C. On prononce Abécé, s. m. Rudimentum. Alpha-


bet de la Langue Françoise. C’est aussi un petit livre qui sert à apprendre à lire aux enfans. Cet enfant est encore à l’a b c.

A b c. signifie aussi le commencement d’une science, d’un art, d’une affaire ; Prima elementa. Quand on croit avoir pénétré les secrets de la Nature, on se trouve encore à l’a b c. Renvoyer quelqu’un à l’a b c, c’est le traiter d’ignorant. C’est dans le même sens qu’on appelloit l’Empereur Justin αναλφάβητος. Ce mot est composé des trois premières Lettres de l’alphabet François, comme le Grec, qui lui répond des deux premières, Alpha & Beta. Les Espagnols l’appellent Cartilla ; les Italiens Abaco, & les Anglois Abacus, qui vient du Grec ἀβακος, & s’est ainsi appellé, parce que pour commencer à apprendre les Lettres aux enfans, on les figuroit sur une tablette, ou sur une carte en forme de tablette, comme on fait encore dans les Ecoles de Mathématiques pour les figures qu’il faut montrer aux Etudians. Ou bien il s’est formé des trois premières Lettres de l’alphabet, comme le mot François A b c.

ABCASSE. Voyez Abasse.

☞ ABCÉDER. v. n. Voyez Abscéder, conformément à l’étymologie.

ABCÈS. Voyez Abscès.

ABD.

☞ ABDAL, ou ABDALLAS. s. m. C’est le nom générique que l’on donne en Perse aux Religieux. Ce mot, en Arabe ou en Persan signifie, Qui est consacré à Dieu, serviteur de Dieu. Les Calenders, les Cadristes & les Bectachistes, sont différentes espèces d’Abdals ; ensorte que le mot d’Abdal, chez les Persans, répond à celui de Dervis ou Derviches chez les Turcs, & de Moines ou Religieux chez les Chrétiens. Il y a en Turquie des Religieux qu’on appelle Abdals & Cheykhs, qui par la façon sauvage de leur vie en veulent prouver la sainteté. Ils n’ont point de couvens, ils demeu|rent où leur fourberie a plus de pratique, & ils sont visités principalement des femmes, avec lesquelles ils ont souvent un autre commerce que celui de la dévotion. Duloir, Voy. du Lev. p. 159.

ABDALLA, s. m. & nom propre. Quoique ce nom ne soit pas François, mais Arabe, comme on le trouve souvent dans des Histoires ou Relations écrites en François, & qu’il vient de paroître encore tout récemment un Roman intitulé, les Avantures d’Abdalla, il ne sera pas inutile de dire ici ce qu’il signifie. Il est composé de deux mots Arabes, إباد, Abad, qui veut dire serviteur, celui qui honore, du verbe Abada, adorer, honorer, servir, & de Alla, Dieu ; ainsi Abdalla, c’est serviteur de Dieu.

☞ ABDAR. s. m. Terme de relation. Nom de l’officier qui sert de l’eau à boire au grand Sophi de Perse. Oléarius dit, dans son voyage, que l’Abdar garde l’eau destinée pour le Roi dans une cruche cachetée, de peur qu’on n’y mêle du poison.

ABDARA. Abdera, æ, ou Abdara. Ancienne ville d’Espagne, dans la Bétique, sur la côte de la Méditerranée. Elle avoit été bâtie par les Carthaginois. On la place ordinairement dans ce que nous appellons aujourd’hui le Royaume de Grenade, à-peu-près où est Adra, qui peut-être est Abdara même, dont le nom s’est corrompu.

☞ ABDELAVI. s. m. Plante Egyptienne, dont le fruit ressemble beaucoup à un Melon : il est pourtant un peu plus oblong & aigu à ses extrémités.

ABDERE. Abdera, orum. Ancienne ville de Thrace. Plusieurs Savans croient qu’elle fut bâtie par Abderus, ou bien par Hercule, en mémoire d’Abderus, qui avoit été déchiré par les chevaux de Diomède. Leurs garans sont Philostrate, Etienne de Bysance, Scycmus de Chio, &c. Mais Solin & Méla disent qu’elle fut bâtie par Abdera sœur de Diomède, qui lui donna son nom ; & sur les Médailles de cette ville, on lit d’un côté ΑΒΔΗΡΑΣ ΚΟΡΑΣ, avec la tête d’une Héroïne. Voyez M. Spanheim, p. 562. & suiv. Elle fut rebâtie par Timésius, qui y conduisit une Colonie de Clazoméniens ; & ensuite vers la 31e Olympiade, c’est-à-dire, environ 650. ans avant J. C. Les Téiens, peuples de l’Asie-mineure, ne pouvant souffrir la domination des Perses, passerent en Thrace, & s’établirent à Abdere. Quelques Auteurs veulent que ce soit Aspérosa, ville maritime de Romanie. Voyez Aspérosa. Elle a encore été nommée Astrizza.

ABDÉRITE. s. m. Abderites, Abderita. Qui est de la ville d’Abdere. Les Médailles de cette ville ont une tête rayonnée, avec ce mot ΑΒΔΗΡΙΤΕΩΝ. Les Abdérites étoient si stupides, que leur stupidité avoit passé en proverbe, & qu’on disoit, Un esprit d’Abdere, Abderitica mens, pour, un esprit grossier, pesant, stupide. Cicéron ad Attic. viij. ep. 7. appelle un projet mal concerté, sans vûes, sans prudence, Un projet Abdéritique. Abdere néanmoins produisit de grands hommes, témoin Protagore & Démocrite.

☞ ABDEST. s. m. Terme de relation. Nom que les Persans & les Turcs donnent à la Purification que la Loi leur ordonne, & qu’ils pratiquent avant que de commencer toutes leurs cérémonies. Lavatio, ablutio. Les Turcs font cette Purification en versant de l’eau sur leur tête, & se lavant les pieds trois fois ; mais les Persans se contentent de passer leur main mouillée deux fois sur leur tête, & ensuite sur leurs pieds. Abdest est un mot Persan composé d’ab, qui signifie de l’eau, & de dest, la main. Voyez Oléarius & Ricault : l’un parle de l’Abdest des Persans, & l’autre de celui des Turcs. Les Turcs ont trois sortes d’ablutions. La première, qu’ils appellent Abdest, & qui consiste à se laver les mains, les bras, le front, le visage, le dessous du nez & les pieds, leur sert à se préparer à prier Dieu, pour entrer dans la mosquée & pour lire l’Alcoran. Interp. de la Porte. Les Turcs font l’Abdest tous les jours au matin. Ils se tournent pour cet effet vers la Mecque, & ils se lavent trois fois la bouche, les mains, le nez, les bras, la tête, les oreilles, les pieds, lavant le pied droit le premier. Ils se jettent aussi trois fois de l’eau au visage. Bruyn. Voyez encore Ablution.

☞ ABDIARE. s. f. Royaume d’Asie. Abdiara. Il est dans l’Inde, au-delà du Gange, au nord de celui de Pégu, duquel il dépend.

Abdiare. s. f. Nom propre de ville Abdiara. C'est la capitale du Royaume d’Abdiare. Elle est située sur la rivière de Pégu, environ à vingt lieues au-dessus de la ville de ce nom.

ABDIAS. s. m. & nom propre. C'est le nom du quatrième des douze petits Prophètes, que les protestans appellent communément Obadias, faisant passer la prononciation Hébraïque dans les autres Langues : ce qui est, à mon sens, pécher contre le premier principe des Langues, qui est l'usage. Car de quelque manière que l'on prononce un nom dans la Langue originaire de ce nom, il faut le prononcer comme il est établi par l'usage qu'on le prononce dans la Langue dans laquelle on parle, ou l'on écrit, & il n'y a pas moins d'absurdité à vouloir dire Obadias, Jeschejahu, Jechezchiel, &c. au lieu de Abdias, Isaie, Ezéchiel, qu'il y en auroit à vouloir dire, Miriam, Jehoschua, Jehohhanan, Petrus, Alexandros, Julius Caesar, Pompeius, Hyeronimus, Quintus-Curtius, &c. au lieu de Marie, Jesus, Jean, Pierre, Alexandre, Jules César, Pompée, Jérôme, Quinte-Curce, &c. Aussi tous les Traducteurs François de l'Ecriture, & ceux même de Genève ont dit Abdias. Au reste, ce nom vient de עבד abad, servir, honorer, & יה Ja, abrégé de Jehovah, nom de Dieu. Ainsi il signifie, serviteur de Dieu, ou de Jehovah.

Abdias. s. m. C’est aussi le nom propre d’un Auteur fabuleux, qui rapporte une histoire apocryphe du combat des Apôtres. Cet imposteur se vante d’avoir vu J. C. d’avoir été l’un des soixante-douze Disciples, d’avoir suivi en Perse S. Simon & S. Jude, & d’avoir assisté aux actions & à la mort de plusieurs Apôtres ; & entr’autres, il rapporte celle de S. Thomas, qui fut, dit-il, déchiré par un lion, peu de temps après avoir maudit un homme. Wolfgang Lazius qui découvrit le manuscrit de toutes ces fables dans une caverne, le publia à Bâle en 1551. Mais malgré l’éloge qu’il en fait, jusqu’à le mettre en parallèle avec les Actes des Apôtres, rapportés par S. Luc, les savans critiques en ont fait voir la fausseté par une infinité de contradictions. Voyez Jean Hessels, Bayle & Dupin.

ABDICATION. s. f. Démission, acte de renonciation à une


Charge, à une Magistrature. Abdicatio. Il faut remarquer que l’abdication diffère de la résignation, en ce que l’abdication se fait purement & simplement, au lieu que la résignation se fait en faveur d'une tierce personne.

On dit, L’abdication d'un fils rebelle & désobéissant. Dans le Droit Civil l’abdication est opposée à l'adoption. L’abdication n'étoit différente de l'exhérédation que dans cette circonstance : c'est que le fils abdiqué étoit exclus de la famille & de la succession paternelle, par un acte public pendant la vie du père ; au lieu que l'exhérédation n'avoit d'exécution qu'en vertu de son testament. Les causes de l’abdication étoient les mêmes que celles de l'exhérédation. Harris, dans son Dictionnaire Anglois des Arts, dit qu'on trouve qu’abdication s'est dit encore d'un homme libre qui renonce à sa condition pour se faire esclave, ou d'un Citoyen Romain qui renonce à cette qualité & aux priviléges qui y étoient attachés.

On dit aussi au Palais, faire une abdication de biens, quand on en fait un abandonnement entier.

ABDIQUER, verbe actif. Renoncer à une Magistrature, à une Charge, s'en dépouiller, l'abandonner. abdicare. Dioclétien & Charles-Quint ont abdiqué l'Empire. Il se dit aussi absolument ; ce Prince à été forcé d’abdiquer.

On dit en Droit, Abdiquer un fils, pour dire, l'abandonner, le chasser de sa maison, ne le reconnoître plus pour fils. C'est l'exhéréder, & le priver de tous les avantages attachés à sa qualité de fils. Est quasi negare filium.

Abdiqué, ée, participe passif & adjectif. Abdicatus.

ABDOMEN, s. m. Terme d’Anatomie, qui signifie la partie extérieure du bas-ventre, depuis les cuisses en remontant jusqu’au diaphragme. Abdomen. C’est, dit Harris, le plus bas des trois ventres du corps humain, appellé proprement le bas-ventre, qui comprend dans sa capacité le ventricule, les boyaux, le foie, la ratte, la vessie, &c. & qui est couvert en dedans d’une membrane, que l’on nomme Peritonœum ; sa partie inférieure Hypogastre, Hypogastrium : sa partie de devant est divisée dans l’Epigastre, Epigastrium, les Hypocondres, le droit & le gauche, & le nombril. Il est terminé en haut par le cartilago ensiformis, à droite & à gauche par les fausses côtes, en-bas par les vertèbres des reins, par les os du Coxendix, l’os pubis & l’os sacrum. Il a dix muscles, dont il est couvert, & qui servent à expulser les excrémens, & l’urine, & le fœtus dans les femmes. Nous rapporterons leurs noms propres chacun à leur place. Selon M. Dionis, l’Abdomen est la partie antérieure du ventre, laquelle se divise en trois régions, dont la supérieure s’appelle épigastrique ; la moyenne, (celle du milieu) ombilicale ; & l’inférieure, hypogastrique. La première commence au cartilage xiphoïde, & finit deux travers de doigt au-dessus de l’ombilic ; la seconde commence où finit la première, & se termine environ deux travers de doigt au-dessous de l’ombilic ; & la dernière descend jusqu’à l’os pubis. Chacune de ces trois régions se divise encore en trois parties, une moyenne, & deux latérales. La partie moyenne de la région épigastrique est appelée épigastre ; & les latérales, hypocondres, dont l’un est à droite, & l’autre à gauche. La partie moyenne de la région ombilicale se nomme ombilic, ou nombril ; ses parties latérales sont les deux lombes. Le milieu de la région hypogastrique s’appelle hypogastre : ses côtés sont les îles ou les flancs. Il se dit quelquefois, mais improprement, des parties contenues dans le bas-ventre. Les Grecs l’appellent επιγάστριον & les Arabes mirach.

☞ ABDON ou ADDON. s. m. quelques-uns des Interprètes de l’Ecriture-Sainte ont donné ce nom à l’homme de Dieu, dont il est parlé au chap. 13 du IIIe livre des Rois, qui menaça de mort Jéroboam, parce qu’il sacrifioit aux Idoles : le Roi ayant commandé qu’on arrêtât ce Prophète, sa main sécha, & ne fut guérie que par les prières de cet homme de Dieu, qui refusa les présens qu’il lui voulut faire en reconnoissance.

ABDUCTEUR. adj. m. Abductor.C'est une épithète que les Médecins donnent au quatrième muscle des yeux, qui les fait mouvoir en dehors, & regarder de côté pour marque de mépris & de dédain : c'est pourquoi on l'appelle aussi orgueilleux, & indignabundus, ou dédaigneux, fastidiosus. fastidiosus. On le dit aussi des muscles du pouce, & d’autres parties du corps qui se peuvent mouvoir en dehors. L’Abducteur est le troisième muscle de l’index. Il prend son origine de la partie externe & moyenne de l’os du coude, & passant sous le ligament annulaire, il va s’insérer à la partie latérale & externe des os du doigt indice, qu’il tire en dehors vers les trois autres doigts. Dionis. Ce mot vient du Latin abduco, qui signifie Emmener.

ABDUCTION, s. f. Abductio. Terme d’Anatomie. Le mouvement d’abduction, dans les muscles du pouce, est celui qui fait que les doigts s’éloignent du pouce. Dionis. Et dans les muscles des yeux, le mouvement d’abduction est celui qui éloigne la vûe, ou l’œil du nez, & fait regarder par-dessus l’épaule.

ABE.

☞ ABE. s. f. Nom d’un habit des Orientaux. Aba. L’Abe des Orientaux est une espèce de manteau ou de chape, dont ils se servent en campagne, qui est de poil de chameau, & barré en pal de blanc & de noir. P. Helyot, T. I. p. 320. On pourroit l’appeller en latin Penula Orientalis.

ABÉATES. s. m. Abeatæ. Habitans de la ville d’Abée. Corn. Ce sont les Habitans de la ville d’Abée du Péloponèse. Ceux d’Abée de Phocide s’appellent Abantes.

ABÉCÉDAIRE. s. m. Qui est encore à l’abécé. Elementarius. S. Jérôme & S. Fulgence, 3. Mythol. CX, disent Abecedarius, a, um. On se moque d’un vieillard Abécédaire, qui est encore à l’a, b, c, qui ne sait rien. On a donné le titre d’Abécédaire à un livre de Pierre d’Alva sur la Conception de la Vierge en vingt-un volumes, dont la première lettre A contient trois gros vol. in-fol. imprimés à Madrid en 1648. Il est intitulé, Abecedarium Marianum. S. Augustin, dans ses Rétractations, Liv. I, Chap. XX. dit qu’on appeloit Abécédaires, Abecedarios, les Pseaumes dans lesquelles les premières lettres de chaque strophe, ou quelquefois peut-être de chaque vers, suivoient l’ordre alphabétique. Dans l’Ecriture, le CXVIIIe Pseaume & les Lamentations de Jérémie sont de cette sorte, par où il paroît que les Hébreux ont été les premiers Auteurs de cette espèce de Poësie, inventée apparemment pour aider la mémoire.

Abécédaire, signifie encore, suivant Danet, le Maître des petites écoles, qui apprend à lire aux enfans.

ABÉCHER. v. actif. Donner la béchée ou becquée à un oiseau qui n’a pas encore l’adresse de la prendre lui-même. Escam ingerere. Ce mot vient de à & de bec, c’est-à-dire, Mettre au bec. Nicod.

En Fauconnerie on dit, Abécher l’oiseau ; pour dire, Lui donner une partie du pât ordinaire pour le tenir ou pour le mettre en appétit, dans le dessein de le faire voler un peu après.

ABÉE. s. f. Ouverture par où on laisse couler l’eau d’un ruisseau ou d’une rivière, sur la grande roue d’un moulin pour faire moudre. Elle s’ouvre & se ferme avec des pales ou lançoirs. Il en est fait mention dans la Coutume de Loris, Ch. X. Ce mot peut venir de baie, ouverture. Foramen.

ABÉE. Abea. Ville du Détroit Messénien, ou Mansertin, près de Phares, dans le Péloponèse. Elle fut ainsi appelée, dit Pausanias, d’Abdas, fils de Lyncée & d’Hypermnestre. Quelques Auteurs la confondent avec Ira, l’une des sept villes qu’Agamemnon offre à Achiles. Iliad. IX. Il y avoit un temple fameux où Apollon rendoit des Oracles ; les troupes de Xerxès le brûlerent. Il y eut aussi dans la Phocide une ville de ce nom bâtie par les Abantes.

ABEILLE. s. f. Insecte volant, grosse mouche qui a un aiguillon fort piquant, & qui fait le miel & la cire. Apis.

Comme on voit au printemps la diligente abeille,
Qui du butin des fleurs va composer son miel. Boil.

Swammerdam en fait la description, aussi-bien que des bourdons appellés fuci. A l’égard des abeilles qui font le miel, qu’il appelle, apes operariæ, il dit qu’on ne peut découvrir si elles sont mâles ou femelles ; mais dans le roi & les bourdons, les parties qui ser-


vent à la génération, sont très-perceptibles. Jean de Horn, fameux Anatomiste, a fait voir les œufs des abeilles dans la femelle, que l’on nomme ordinairement le roi. Elles ont un tissu dont elles sont enveloppées, qui est ourdi de même que celui des vers à soie. Swammerdam montre aussi des rayons de miel où l’on voit les appartemens du roi & des autres abeilles. On découvre sensiblement dans les abeilles les poumons composés de deux petites vessies. Leur gouvernement ne consiste que dans un amour mutuel, sans qu’elles aient la moindre supériorité les unes sur les autres. Les abeilles servent d’aliment aux hirondelles, qui ont l’adresse de les prendre en volant. C’est pourquoi lorsqu’il va pleuvoir, & qu’il y a peu de ces petits animaux dans l’air, les hirondelles descendent vers la terre pour y chercher leur aliment : d’où est venue l’erreur de croire qu’elles prédisent la pluie. Il y a aussi des mouches d’eau, qui portent les aiguillons dans la bouche, aussi-bien que tous les autres insectes aquatiques. Aldrovandus les décrit sous le nom d’abeilles amphibies ; & Jonston les appelle abeilles sauvages. Il y a une espèce d’abeilles sauvages qu’on trouve dans les jardins & dans les bois. Swammerdam en distingue de six sortes. Il y en a qui ont des cornes fort longues ; d’autres dont le corps est velu. Mouffet les appelle abeilles solitaires dont le nid est fait de gravier, de sable & d’argile. Il décrit aussi sept sortes de guêpes. Il y en a de bâtardes, qu’on appelle pseudophecæ. Hoefflnagel en a dépeint vingt-quatre sortes, entre lesquelles il y a une mouche à trois queues, en latin vespa. Il y en a une que Goedart appelle gloutonne & dévorante, que quelques-uns nomment muscalupus, parce qu’elle dévore sa proie avec les dents. On voit dans l’Abissinie une espèce particulière d’abeilles. Elles sont plus petites que les autres, noires, & sans aiguillon ; elles ont leurs ruches cachées dans la terre, & font du miel & de la cire d’une blancheur extraordinaire. Maty. Les abeilles des Antilles & de l’Amérique méridionale sont plus petites que celles de l’Europe. Il y en a qui sont grises, d’autres brunes, ou bleues. Ces dernières font plus de cire, & de meilleur miel. Elles se retirent toutes dans des fentes de rochers, & dans des creux d’arbres. Leur cire est molle, & d’une couleur si noire, que rien n’est capable de la blanchir ; mais leur miel est beaucoup plus blanc, plus doux & plus clair que celui d’Europe. Elles n’ont point d’aiguillon. Lonvillers. Le P. du Tertre ajoute, qu’il est impossible d’apprivoiser ces abeilles, qu’elles sont toutes sauvages. Il convient du reste, à cela près, qu’il assure qu’il est faux que leur miel soit plus blanc que celui d’Europe. Celles d’Ethiopie, aussi plus petites que les nôtres & sans aiguillon, font leur miel en terre : elles entrent dans ces niches souterraines par un seul trou très-petit ; quand un homme en approche, cinq ou six le bouchent de leurs petites têtes si juste, qu’on ne s’en apperçoit point sans beaucoup d’attention. Elles sont noires ; mais leur cire est très-blanche, & leur miel très-doux. Ludolf. L. I. C. 13. Voyez Meursius dans sa Creta Liv. i. Chap. 15. sur les abeilles qui obligerent les habitans de Rochus d’aller s’établir ailleurs ; sur les abeilles de l’île de Crète, qui, quand elles veulent doubler un Cap, prennent de petites pierres dans leur museau pour leur servir de lest, & pour n’être point emportées par les vens. La même L. ii. C. 7. & sur celles du Mont Ida qui nourrirent Jupiter.

Le roi des abeilles est femelle, & jette environ six mille œufs par an. Il est deux fois plus gros que les autres abeilles. Il a les ailes courtes, les jambes droites, & marche plus gravement que les autres. Il a une marque au front. Pline dit que le roi des abeilles n’a point d’aiguillon. C’est là-dessus qu’est fondée la réponse qu’on fit au nom d’Urbain VIII après son exaltation. Il portoit des abeilles dans ses armes : un François fit là-dessus ce vers, en faveur de sa nation :

Gallis mella dabunt, Hispanis spicula figent.

Enfin, on répondit au nom du Pape d’une manière fort ingénieuse & fort convenable à la qualité de pere commun des Chrétiens :

Cunctis mella dabunt, nulli sua spicula figent,
Spicula Rex etenim figere nescit apum.

Quelques-uns prétendent qu’on remarque dans la république des abeilles une régularité & une subordination admirables ; qu’on y voit une distribution bien réglée des emplois ; un ordre, & un concert aussi parfait qu’entre des esprits qui conspirent à l’exécution d’un même dessein. Ce que Virgile dit que les piqûres des abeilles leur coûtent la vie, parce qu’elles laissent leur aiguillon dans la plaie, Animas in vulnere ponunt, n’est point véritable, & les Naturalistes n’en demeurent pas d’accord. C’est le seul insecte né pour l’utilité de l’homme, à ce que dit Pline, Liv. ii. En quoi il se trompe, car il devoit du moins ajouter le ver à soie. Il raconte plusieurs merveilles des abeilles, aussi bien que Mathiole, touchant leur économie. Les principaux des Anciens qui ont parlé des abeilles, sont Aristote, Hyginus, Virgile, Celse, Marc Varron, &c. Et parmi les Modernes, outre ceux que nous avons cités, un Anglois nommé Majow en a fait un Traité intitulé : Monarchia fœminina, seu Apum Historia. M. Maraldi de l’Académie Royale des Sciences, donna en 1712, un savant Mémoire sur les abeilles. En voici l’extrait

☞ Il indique d’abord ceux qui ont traité des abeilles. Entre les anciens, Aristomache les considera pendant soixante ans. Hilliscus se retira dans les bois, pour avoir plus de facilité à les observer. Ces deux philosophes, au rapport de Pline, avoient écrit de la nature des abeilles : & ce sont eux peut-être qui ont appris aux hommes à les cultiver, à leur donner des ruches, & à en retirer les grandes utilités qu’on en reçoit. Nous devons à Aristote des observations utiles & curieuses sur cet insecte. Elles furent ornées & mises en vers latins par Virgile, dans son quatrième livre des Géorgiques. Dans la suite, ces observations ont été confirmées & augmentées par Pline & par plusieurs philosophes de l’antiquité. Parmi les Modernes, le prince Frédéric Cési, instituteur & chef de l’Académie Romaine des Sciences, vers le commencement du siècle passé, avoit fait, au rapport de Fabius Columna, un traité sur les abeilles, qu’il présenta au Pape Urbain VIII, & qu’il avoit fait espérer au public, avec la description des parties de cet animal, représentées, à l’aide du microscope, par Stelluti, de la même Académie. Mais on ne sait point ce qu’est devenu cet ouvrage, non plus que celui que Swammerdan avoit promis il y a plusieurs années, sur l’anatomie de cet animal. Les remarques de M. Maraldi peuvent remplacer ces ouvrages. Voici à-peu-près ce qu’elles contiennent.

☞ Le nombre des abeilles qui sont dans une ruche, est différent, suivant la grandeur différente des ruches. Dans les petites on en a compté 8 ou 10000, & jusqu’à 18000 dans les grandes. Dans chaque ruche, grande ou petite, il y a trois sortes de mouches, les abeilles, qui sont sans comparaison le plus grand nombre, les bourdons & l’abeille qu’on appelle Roi. Nous parlerons des bourdons en leur place, il ne s’agit ici que des abeilles, c’est-à-dire, de la première & de la troisième espèce.

☞ La première espèce, ou les abeilles, composent presque tout l’essaim : ce sont elles qui vont recueillir la cire sur les fleurs, qui la pétrissent & en forment les rayons & les alvéoles ; ce sont elles qui recueillent le miel, & en remplissent les rayons dans l’été, pour leur servir de nourriture pendant l’hiver ; qui ont soin de fournir à leurs petits une nourriture proportionnée à leur âge, & d’exciter une chaleur propre à les faire arriver à leur perfection ; ce sont elles enfin qui ont soin de tenir la ruche propre, & d’en chasser ce qui peut leur être nuisible. Toutes ces abeilles ont un aiguillon, & il y en a parmi cette espèce qui sont un peu plus grandes les unes que les autres.

☞ On peut distinguer trois parties principales dans le corps de l’abeille. La tête, qui est attachée par une espèce de col


au reste du corps ; le milieu du corps, qui est la seconde partie, est aussi distingué du ventre par une intercision ; le ventre est la troisième partie.

☞ Elle a à la tête deux espèces de serres ou mâchoires, qui s’ouvrent & se ferment de droite à gauche. Cet organe sert aux abeilles comme de main pour prendre la cire, la pétrir, en bâtir les alvéoles, & les polir. Elles s’en servent pour transporter dedans ou dehors tout ce qui leur est nécessaire.

☞ A la même extrémité de la tête, les abeilles ont une trompe, dont l’origine est proche du cou. Elle va ordinairement depuis sa racine, où elle est plus grosse, jusqu’à son extrémité, où elle se termine en pointe. Cette trompe est composée de cinq branches, deux desquelles sont détachées des autres depuis leur racine, l’une à droite, l’autre à gauche ; les trois autres ne se séparent que vers la moitié de la trompe. Celle du milieu est cylindrique, de la grosseur d’un cheveu ; & vue avec le microscope, sa longueur paroît distinguée en plusieurs anneaux, chacun desquels est garni d’une grande quantité de petits poils, plus longs vers l’extrémité de la trompe que vers sa racine. Cette partie que nous appelons plus particulièrement la trompe, est un des principaux organes de l’abeille. C’est avec cette trompe qu’elles recueillent le miel sur les fleurs, & qu’elles prennent leur nourriture. Les quatre autres branches sont plus larges vers leur origine, & vont en diminuant jusqu’à la pointe. Elles sont faites en manière de gouttières, étant concaves du côté qu’elles embrassent la trompe, & convexes de l’autre : elles ont une consistance de corne. Les deux branches qui sont détachées plus près de la racine, sont les plus larges, & embrassent les deux autres. Elles s’unissent si bien ensemble, qu’elles ne paroissent qu’un seul tuyau. Vers le milieu de chacune de ces quatre branches il y a une espèce d’articulation, par le moyen de laquelle elles s’alongent ou se plient tout à la fois à l’endroit de l’articulation. La moitié de la trompe, qui est à l’extrémité, se plie & se couche le long de l’autre moitié, qui est vers l’origine. Ces quatre branches, en se pliant, emportent avec elle la trompe du milieu, qui n’a aucune articulation. Lorsque ces branches sont pliées, qui est la situation la plus ordinaire, elles sont comprises entre le cou & les serres, dont on a parlé ; mais lorsqu’elles sont alongées, ce qui arrive toutes les fois que l’abeille veut se nourrir ou ramasser le miel, l’autre moitié s’avance hors de la tête ; & outre cela, la branche moyenne des cinq peut s’alonger encore un peu hors des quatre branches, & se mouvoir en tout sens pour sucer avec son extrémité le miel qu’elles vont chercher dans le calice des fleurs.

☞ Nous nous sommes assûrés par plusieurs expériences, que les abeilles recueillent le miel par la seule trompe ; & il nous a paru que cette trompe est un canal par où peut passer le miel. On l’a vu grossir dans l’instant qu’elle suce le miel, & cette augmentation se faisoit successivement depuis son extrémité jusqu’à sa racine ; ce qui nous faisoit juger que c’étoit ce suc qui causoit ce gonflement, en passant dans la capacité de ce tuyau. On pourroit aussi supposer que la trompe est comme la langue, & que les branches sont la fonction du bec. La langue, après avoir recueilli le miel sur les fleurs, le fait monter par les branches jusqu’à leurs racines, où il entre dans le corps de l’abeille, par où elles ont coutume de le rejeter.

☞ Le milieu du corps de l’abeille est d’une figure approchante d’un sphéroïde un peu alongé, sur lequel sont attachées deux ailes, une à droite, l’autre à gauche, un peu au-dessus de la ligne horizontale qui passe par le milieu du corps. Chacune de ces ailes est accompagnée d’une autre plus petite, qui lui est comme adhérente, & qui est un peu plus près de la tête. C’est avec ces quatre ailes qu’elles font des sons pour s’avertir les unes les autres. C’est aussi vers le bas de cette partie du corps, que sont six pattes, trois à droite, & trois à gauche. Deux de ces pattes sont sur le devant, & fort proche de la tête : ce sont les plus petites des six. Les quatre autres sont attachées sur le derrière du côté du ventre, fort proche les unes des autres. Les deux du milieu sont un peu plus longues que les premières, & plus courtes que les postérieures. Toutes ces pattes sont distinguées en plusieurs articles, dont il y en a trois plus grands que les autres : ils sont vers le milieu de la patte. Il y en a d’autres plus petits vers la racine & vers l’extrémité de la patte. L’article du milieu des deux pattes de derrière est beaucoup plus large que les autres, & il a du côté extérieur une petite concavité en forme de cuiller, qui est environnée d’un grand nombre de poils. C’est dans cet enfoncement que les abeilles ramassent la cire qu’elles recueillent sur les fleurs. Les jambes des bourdons qui ne recueillent point de cire, & celles du roi des abeilles, n’ont point cet enfoncement. Les extrémités des six pattes se terminent en deux manières de crocs adossés l’un à l’autre, avec lesquels les mouches s’attachent ensemble aux parois de la ruche, & forment diverses figures, tantôt de cône, tantôt de plan, tantôt de feston. Du milieu de ces deux crocs, il sort un petit appendice mince, qui se plie en deux selon sa largeur. Il est ordinairement plié, & lorsqu’il est étendu, il paroît une fois plus large ; il est fort mince & arrondi. Les abeilles se servent de cette partie pour s’attacher & marcher sur les matières polies, comme le verre. Il y a de l’apparence qu’elles s’en servent aussi comme de main pour prendre la cire, & la porter sur leurs deux pattes de derrière.

☞ La dernière partie de l’abeille, qui est le ventre, est distinguée en six anneaux. Dans son intérieur elle a deux parties remarquables ; l’une est une vésicule où va se ramasser le miel, qui s’y rend en passant par la trompe & par un canal fort étroit qui traverse la tête & la poitrine de l’abeille. Cette vessie, lorsqu’elle est pleine, est de la grosseur d’un petit pois. Elle est transparente, de sorte qu’on voit à travers la couleur du miel qui y est contenu.

☞ L’autre partie remarquable est l’aiguillon placé à l’extrémité du ventre de l’abeille, & qui entre & sort avec beaucoup de vîtesse, par le moyen des muscles situés tout près de cet aiguillon. Sa longueur est d’environ deux lignes ; il se termine en pointe fort aiguë, & est un peu plus gros vers sa racine. Il est d’une consistance de corne, creux en dedans en forme de tuyau par où passe la liqueur venimeuse, qui, renfermée dans une vessie, près de la racine de l’aiguillon, va sortir par sa pointe, & s’insinue dans la piqûre à l’instant que l’abeille perce la peau. L’abeille laisse presque toujours l’aiguillon dans la piqûre, & l’aiguillon entraîne avec lui la vésicule, & quelquefois une partie des boyaux de l’insecte. Si l’on retire aussitôt l’aiguillon, il ne se fait qu’une légère tumeur, parce qu’il ne passe dans la chair que peu de liqueur venimeuse ; mais si l’on n’est pas prompt à le retirer, tout le venin sort de la vessie, & pénètre en peu de temps dans la plaie ; ce qui cause une grosse tumeur, & beaucoup de douleur pendant plusieurs jours.

☞ Nous expliquerons au mot Alvéole, la manière dont les abeilles forment les alvéoles de leurs ruches.

☞ L’abeille qu’on nomme le Roi, & que l’on devroit plutôt nommer la Reine, est la mere de toutes les autres. Elle est si féconde, qu’autant qu’on en peut juger, elle peut produire en un an huit ou dix mille petits : car elle est seule, pour l’ordinaire, dans une ruche, au moins pendant une partie de l’année, & à la fin de l’été la ruche est aussi pleine d’abeilles qu’au commencement du printemps ; cependant il sort chaque année un essaim, & quelquefois deux ou trois, de dix à douze mille abeilles chacun. Il faut donc que l’abeille produise une partie de ces différens essaims : je dis une partie, parce qu’il se peut faire que le roi qui sort avec le nouvel essaim, en produise aussi une partie avant que de sortir. Cette mere abeille reste le plus souvent cachée dans l’intérieur de la ruche, & elle n’est visible que lorsqu’elle veut faire ses petits dans les rayons qui sont exposés à la vûe ; encore n’est-elle pas alors toujours visible ; car le plus souvent il s’y trouve dans ce temps-là un très grand nombre d’abeilles, qui en s’attachant les unes aux autres, font une espèce de voile depuis le haut jusqu’au bas de la ruche, empêchent qu’on ne voie, & ne se retirent que lorsque l’abeille y a déposé ses petits.

☞ Lorsqu’elle paroît à découvert, on la voit toujours accompagnée de dix ou douze des plus grandes abeilles ordinaires : elles lui font une espèce de cortège, & la suivent partout où elle va avec une démarche posée & fort grave. Avant que de mettre bas ses pe-


tits, elle met pour un moment la tête dans l’alvéole où elle se propose de les poser. Si cet alvéole se trouve libre, & qu’il n’y ait ni miel ni cire, ni aucun embryon, l’abeille se tourne sur le champ pour faire entrer la partie postérieure de son corps dans le même alvéole, & s’y enfonce jusqu’à ce qu’elle touche le fond. En même temps les abeilles qui l’accompagnent, & qui sont disposées en cercle au tour d’elle, ayant toutes leur tête tournée vers la sienne, la caressent avec leur trompe & leurs pattes, & lui font comme une manière de fête, qui ne dure que fort peu de temps : après quoi l’abeille sort de l’alvéole, dans lequel, après sa sortie, on voit un petit œuf blanc, fort mince, long d’environ une demi-ligne, ou trois quarts de ligne au plus, & quatre ou cinq fois plus long que gros, un peu plus pointu par une extrémité que par l’autre, & planté par l’extrémité la moins grosse sur la base, dans l’angle solide de l’alvéole. Cet œuf est formé par une membrane mince, blanche, unie & remplie d’une liqueur blanchâtre.

☞ Immédiatement après que la grosse abeille a fait un œuf dans un alvéole, elle va avec les mêmes circonstances en faire un autre dans un alvéole voisin ; & on lui en voit faire huit ou dix en différens alvéoles, immédiatement les uns après les autres, & il se peut faire qu’elle en ponde un plus grand nombre. Après avoir fait sa ponte, elle se retire, & va, accompagnée des mêmes abeilles, dans l’intérieur de la ruche, où on la perd de vûe.

☞ L’œuf qui reste sur la base de l’alvéole demeure quatre jours dans cet état, sans changer de figure ni de situation ; après les quatre jours, on le voit changé en manière de chenille, divisée en plusieurs anneaux, couchée & appliquée sur la même base, entortillée en rond, de sorte que les deux extrémités se touchent. Il est alors environné d’un peu de liqueur, que les abeilles ont soin de mettre au bout des quatre jours dans l’angle solide de la base. On ne sait quelle est cette liqueur ; si c’est du miel pour la nourriture de l’embryon, ou quelqu’autre matière propre à féconder le germe : car elle paroît plus blanchâtre, moins liquide & moins transparente que le miel.

☞ De quelque nature que puisse être cette première liqueur, dont le petit ver est environné, il est certain que dans la suite les abeilles lui apportent du miel pour nourriture. A mesure qu’il croît, elles lui fournissent une plus grande quantité d’aliment, jusqu’au huitième jour de sa naissance, qu’il est augmenté, de sorte qu’il occupe toute la largeur de l’alvéole, & une partie de sa longueur. Dans la suite, les soins que les abeilles ont de ces petits, finissent ; car elles bouchent avec la cire tous les alvéoles, où ces vers demeurent encore enfermés pendant douze jours. Durant ce temps il arrive aux embryons enfermés divers changemens, comme on le reconnoît en débouchant les alvéoles à des jours différens. D’abord les vers changent de situation, & d’entortillés qu’ils étoient auparavant sur la base de l’alvéole, ils s’étendent suivant sa longueur, & se placent la tête du côté de l’ouverture ; la tête du ver se développe un peu, & l’on commence à voir quelques petits alongemens, qui sont, à ce que l’on en peut juger, les premières origines de la trompe. On voit aussi sur l’origine de la tête un point noir, & à une petite distance de ce point, une raie noire sur le dos, mais qui ne va pas jusqu’à l’extrémité du ver ; on voit aussi les premiers linéamens des pattes fort petits.

☞ Après que la tête est formée, & la trompe prolongée, toutes les parties se développent, en sorte que tout le ver se trouve converti en chrysalide ou nymphe, qui est la mouche presque parfaite, excepté qu’elle est encore blanche & molle, & qu’elle n’a pas cette espèce de croûte dont elle est revêtue dans la suite. Par cette transformation, le ver se dépouille d’une peau blanche & très-fine, & qui s’attache si parfaitement aux parois internes de l’alvéole, qu’elle prend même les contours des angles, tant de la base que des côtés, & ne paroît former avec lui qu’un même corps. L’abeille s’étant dépouillée de cette pellicule, a les six pattes rangées sur le ventre depuis la tête, où sont les premières, jusqu’à l’extrémité postérieure du corps, où sont les dernières. La trompe avec les gaînes, est située, dans toute sa longueur, au