Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/APPEL

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 426-427).
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APPEL. s. m. Recours à un Juge supérieur, pour faire réparer le grief d’une sentence qu’on prétend mal rendue par un Juge inférieur. Acte judiciaire par lequel une cause jugée par un tribunal inférieur est portée à un supérieur. Appellatio, Provocatio ad superiorem Judicem. Paul Emile & Budée ont remarqué qu’anciennement en France, les Baillifs & les Sénéchaux jugeoient en dernier ressort. Avant que le Parlement eût été établi sédentaire par Philippe le Bel, il ne s’assembloit qu’une ou deux fois l’an, & ne tenoit que peu de jours. Ainsi il ne connoissoit pas proprement des causes d’appel. Il jugeoit seulement en première instance les causes majeures, où il s’agissoit des comtés, ou duchés, ou du domaine de la couronne : c’étoit sa jurisdiction primitive & ordinaire. On ne trouve point d’arrêts rendus en ce tems-là sur des appels de Baillifs ou Sénéchaux. Il est vrai qu’il y avoit appel des Comtes & Ducs, les premiers Gouverneurs de province, & que cet appel ressortissoit devant le Roi, ou devant le Maire du Palais, qui étoit le Grand-Duc de France. Mais pour s’épargner la fatigue d’examiner tant de procès, les Rois de la seconde race déléguerent des commissaires, qu’ils envoyoient dans les provinces pour prononcer sur les appels des sentences rendues par les Juges inférieurs. Ces commissaires s’appeloient Missi Dominici. Cette coutume de juger les appels par des commissaires délégués, s’observe encore en Angleterre. Mais en France les Ducs & Comtes, sous la troisième race, s’étant érigés en seigneurs, & presque en souverains, ne voulurent plus souffrir ni les appels, ni ces commissaires, & ils usurperent la souveraineté de la Justice. Cependant les Rois reprenant peu à peu leur première autorité, attribuerent aux Baillifs ou aux Sénéchaux la juridiction des cas royaux, & la connoissance des causes d’appel, du territoire des Comtes ; en sorte que ces Juges ordinaires faisoient la fonction des commissaires délégués pour juger les appellations, & succéderent aux Missi Dominici. A la vérité, de peur que les Baillifs ou Sénéchaux n’abusassent de leur pouvoir, & afin de les tenir en bride, il fut permis aux particuliers de porter plainte au roi contre le Juge même : ces plaintes étoient appelées communément Requêtes ; & ces requêtes étoient rapportées par des Maîtres des requêtes. Si la requête étoit par eux jugée admissible, le Roi faisoit ajourner le Juge, & intimer la partie pour défendre le jugement. Mais en ce cas la plainte ne devoit pas consister en simples moyens d’appel, il falloit attaquer le Juge même, dont on ne pouvoit point appeler sous de simples griefs résultant du procès. Dans la suite on a confondu les plaintes & les appels ; & sur-tout depuis que le Parlement a été fixé & réduit en juridiction ordinaire, pour accroître son pouvoir, & pour dépouiller les Baillifs & les Sénéchaux du droit de prononcer en dernier ressort, il a converti les plaintes en appellations. On voit encore quelques vestiges de cette ancienne pratique dans le style des arrêts du Parlement ; car lorsqu’il casse la sentence, il prononce, « Que ce dont est appel a été mis au néant, » parce qu’en supposant que le jugement dont est appel fût une sentence, il n’auroit point eu droit de la révoquer, ou de la réformer, parce qu’elle étoit rendue en dernier ressort. C’est pourquoi il la met au néant, & la déclare nulle, comme représentant le Roi, à qui autrefois les plaintes étoient adressées, pour annuler le jugement des Baillifs ou Sénéchaux qui avoient malversé. De-là est venue encore la coutume de les condamner en l’amende quand leur jugement étoit cassé, ce qui est présentement aboli. Les sentences sur l’appel ne sont plus examinées que par les griefs tirés du fond du procès, & le Juge n’est point responsable d’avoir mal jugé, pourvu qu’on ne lui puisse imputer aucune fraude personnelle. Lois. Un acte d’appel est une simple déclaration de l’appel qu’on interjette. Relief d’appel, est une lettre de Chancellerie qu’on obtient pour faire assigner sa partie sur l’appel qu’on a interjetté. On peut aussi relever son appel par une requête sur laquelle on obtient un arrêt, qui déclare que l’appel est tenu pour bien relevé. Appel de déni de Justice, est la voie de se pourvoir devant un Juge supérieur, quand l’inférieur refuse de juger un procès. L’appel comme de Juge incompétent, quand un Juge n’a pas pouvoir de juger en telle matière, ou entre telles personnes.

l’Appel de déni de renvoi est un appel qui s’interjette d’une sentence ou ordonnance rendue par un Juge incompétent, au préjudice du renvoi, qui lui avoit été demandé.

Appel à minima, est lorsqu’en matière criminelle, où il échet peine afflictive, le Procureur du Roi appelle au Parlement, estimant que la peine est trop légère, par rapport au crime.

Appel en adhérant est celui que l’on joint aux appellations antérieurement interjettées : & l’on se sert aussi de ce terme dans les appellations incidentes.

Appel d’une taxe de dépens est celui qui est interjetté de la taxe qui a été faite des dépens.

Appel verbal. Voyez Appellation verbale.

Appel incident, ou Appellation incidente est celle qui s’interjette pendant le cours d’un procès ou d’une instance. Dict. de Ferrières.

Appel comme d’abus, c’est l’appel qui s’interjette en cour laïque des sentences & des jugemens rendus par l’Evêque, ou par son Official. Quand les Officiaux se contiennent dans les bornes de leur juridiction, les appels qu’on interjette de leurs jugemens, s’appellent Appellations à l’ordinaire ; & on les relève devant les Archevêques, ensuite devant les Primats, & enfin devant le Pape, qui délègue des commissaires in partibus, desquels il y a encore appel au Pape, jusqu’à ce qu’il y ait trois sentences conformes. Après quoi les appels ne sont plus reçus en juridiction ecclésiastique. Mais quand ils ont jugé contre les libertés & priviléges de l’Eglise gallicane ; ou quand ils entreprennent sur la Justice séculière, contre les saints Decrets & Canons reçus en France, Concordats, Édits, & Arrêts, on appelle comme d’abus au Parlement. L’appel comme d’abus est toujours reçu, quand il y auroit trois sentences conformes auxquelles on auroit acquiescé ; alors le ministere de MM. les Gens du Roi, comme les plus intéressés à la manutention du bon ordre, est nécessaire, parce que le fait des particuliers ne peut préjudicier au droit public.

Le Président le Maître & Pasquier ont écrit de ces appellations ; & depuis Févret, Avocat à Dijon, en a fait un ample volume. On tient que l’appel comme d’abus a été inventé par Pierre de Cugniéres, Avocat-Général du Parlement, que l’on connoît à Paris sous le nom de Maître Pierre de Cugnet, par un abus du peuple, qui a mal prononcé son nom.

Juger nonobstant l’appel, se dit des sentences qui s’exécutent par provision, & sans avoir égard à l’appel de l’une des parties ; cela se fait dans les matières provisoires, & quand il y a du péril dans le retardement. Mais le Juge ne peut pas ordonner que sa sentence sera exécutée nonobstant l’appel, quand le grief n’est pas réparable en définitive. Juger sans appel, c’est juger présidialement, & en dernier ressort. Juger à la charge de l’appel, c’est juger à l’ordinaire. Le Juge à quo, c’est celui qui a donné la sentence, de l’examen de laquelle il s’agit : & le Juge d’appel, ou ad quem, c’est celui qui l’annulle ou qui la confirme. Un appel désert, c’est celui qu’on a manqué de relever dans les trois mois. L’appel est un remède de droit. L’amende ordinaire du fol appel est de douze livres. Causes & moyens d’appel, c’est ainsi qu’on intitule les écritures qu’on fournit sur l’appel, quand la cause est appointée en Cour souveraine. On appelle aussi, Cause d’appel, une Cause pendante à l’audience. L’appel d’une cause se dit, quand les parties ou leurs procureurs sont appelés à l’audience pour plaider. A l’appel de la cause, l’avocat a fait une remontrance. Paul de Samosate, condamné & déposé au second concile d’Antioche en 272. ne voulut point céder la maison épiscopale à Domnus, qui avoit été élu en sa place, & il eut recours à l’autorité de l’Empereur contre la décision du concile ; en cela il donna le premier exemple de ces appels, qui mettent aujourd’hui l’Eglise sous la puissance des Rois & des Magistrats. God. Les Donatistes condamnés dans un concile tenu à Rome en 313. en appelerent de même à l’Empereur, qui en fut scandalisé, comme d’une audace de fureur enragée qui les portoit à l’appel, ainsi qu’il se pratiquoit dans les causes des Gentils. Ce sont ses termes. Id. Ils appelèrent encore du concile d’Arles l’année suivante. Id. Et ce sont là les premiers exemples des appels de la Justice ecclésiastique à la Justice séculière.

Appel est aussi le cartel, ou le défi qu’on fait à quelqu’un pour se battre en duel. Provocatio ad singulare certamen.

C’est maintenant un crime capital de faire un appel.

Appel est aussi le signal qui se fait pour la montre ou revue des troupes, ou des ouvriers, lorsqu’on veut connoître ceux qui sont présens, ou lorsqu’il les faut payer. Appellatio, Nominatio. Il se dit de la visite que le sergent de semaine fait des chambrées, appelant chaque soldat par son nom, pour s’assurer s’il y est. Le sergent de semaine doit faire tous les jours trois appels ; le premier de grand matin, le second avant la fermeture des portes, qui est l’heure du souper des soldats, & le troisième après la retraite battue. Il doit les faire chambrée par chambrée, appelant, son contrôle à la main les soldats les uns après les autres par leurs noms les obligeant à répondre eux-mêmes. Bombelles. Il n’étoit pas à l’appel, il a été piqué, ou rayé du rôle. Pour recevoir ses rentes à l’Hôtel de Ville, il faut être à l’appel, sinon on est remis à un autre jour.

Appel, dans l’art militaire, se dit encore d’un signal qui se fait avec le tambour ou la trompette, pour assembler les soldats. Battre l’appel, signum, classicum canere.

Appel, en termes de chasse. Manière de sonner du cor pour animer les chiens.

Appel, en termes d’escrime, est une feinte ou un temps faux qui se fait hors de la mesure, à dessein d’obliger l’ennemi d’attaquer la partie que l’on découvre, & pour tromper celui qui ne connoît pas la mesure, & qui pousse à tous temps. Aggressio simulata. L’appel se peut pratiquer du pied, du corps, & de l’épée, par chacun de ces mouvemens en particulier, & par tous à la fois, en un, en deux, ou en trois temps, soit par-dessus, soit par dessous, en dehors, ou en dedans ; en engageant, ou en dégageant l’épée, ensorte qu’on pratique tous les mouvemens contraires à ceux de son ennemi.