Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ARMOIRIES

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 512-513).
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ARMOIRIES. s. f. pl. Marques de noblesse & de dignité, composées régulièrement de certaines figures & d’émaux, données ou autorisées par les Souverains pour la distinction des personnes & des maisons. Insignia gentilitia. Les plus belles armoiries, selon l’art, & les plus belles à voir, sont les moins chargées, & celles dont les figures sont faites de simples traits, comme les partitions & les pièces honorables. Il n’y a que quatre couleurs & deux émaux, qui entrent dans les armoiries. ☞ Il est défendu aux roturiers de porter des armoiries timbrées. Faire peindre ses armoiries. On se sert plus ordinairement du mot armes quand on peut éviter l’équivoque des armes ordinaires. Blasonner des armes. Quelles sont vos armes ?

Ce mot vient d’armure, à cause qu’on peignoit autrefois sur les écus, les casques & les cottes d’armes des Chevaliers, les marques qu’ils avoient prises pour se distinguer les uns des autres, tant à la guerre, que dans les tournois.

Les Savans ne font pas d’accord sur l’origine des armoiries. Favin prétend qu’elles ont été dès le commencement du monde ; Ségoin, du temps des enfans de Noé ; d’autres, du temps d’Osiris ; ce qui est appuyé par quelques passages de Diodore de Sicile ; d’autres, du temps des Hébreux, parce qu’on a donné des armes à Moyse, à Josué, aux douze tribus, à Esther, à David, à Judith, &c. d’autres, aux temps héroïques, & sous l’empire des Assyriens, des Médes & des Persans, s’appuyant sur Philostrate, Xénophon & Quint-Curce. Quelques-uns prétendent qu’Alexandre régla les armoiries & l’usage du blason. Le P.Monet veut qu’elles aient commencé sous l’empire d’Auguste ; d’autres, pendant les inondations des Goths ; & d’autres, sous l’empire de Charlemagne. Chorier, dans son Hist. du Dauphiné, T. I, p. 97, remarque que les Tires étoient les boucliers des Gaulois, qui les couvroient entièrement ; que chaque soldat y faisoit peindre quelque marque qui lui étoit propre, & par la vue de laquelle il pouvoit être reconnu entre ses compagnons ; il cite sur cela Pausanias qui le dit en effet ; & c’est là, selon Chorier, l’origine des armes des nobles familles. Il dit ailleurs, que ce seroit le comble de l’ignorance, de croire que les Romains aient entièrement ignoré les armoiries ; mais qu’il n’y en auroit guère moins à soutenir qu’ils en aient eu de propres à chaque famille. Spelman dit que ce sont les Saxons, les Danois & les Normands qui les ont apportées du Nord en Angleterre, & de-là en France. Or il est certain que de temps immémorial, il y a eu parmi les hommes des marques symboliques pour se distinguer dans les armées, & qu’on en a fait des ornemens de boucliers & d’enseignes ; mais ces marques ont été prises indifféremment pour devises, emblèmes, hiéroglyphes, &c, & ce n’étaient point des armoiries comme les nôtres, qui sont des marques héréditaires de la noblesse d’une maison, réglées selon l’art du blason, & accordées, ou approuvées par les Princes. Ainsi avant Marius, l’aigle n’étoit point l’enseigne perpétuelle du Général des Romains : ils portoient indifféremment dans leurs étendards, ou un loup, ou un léopard, ou un aigle, selon le choix de celui qui commandoit. On remarque la même diversité à l’égard des François ; & c’est pourquoi les Auteurs sont partagés lorsqu’ils parlent des armoiries de France. Les uns disent que les François avoient pour armes trois crapauds ; les autres trois croissans ; les autres trois couronnes, & les autres un lion. Comme ces armoiries n’étoient point fixes ni perpétuelles, chaque Auteur a pris pour les armes des François, celles qu’on remarquoit dans les temps qu’il écrivoit. Quelques-uns prétendent que jusqu’à Clovis, les Rois avoient trois crapauds dans leurs armes ; & que ce Prince se fit apporter les fleurs-de-lis par un Hermite ; mais d’autres soutiennent que Louis le Jeune, dans le treizième siècle, est le premier qui ait pris des fleurs de-lis sans nombre ; Charles VI les réduisit à trois. En effet, tous les Auteurs les plus éclairés tiennent que les armoiries des maisons, aussi-bien que les doubles noms des familles, n’ont pas commencé avant l’an 1000. M. le Laboureur prétend que l’usage des armoiries n’est pas plus ancien que les premières croisades des Chrétiens pour l’Orient. L’opinion qui les fait remonter au delà du dixième siècle, a été réfutée par Spelman, André du Chelne, Blondel, les Frères de Sainte-Marthe, de Juftel, l’Espinoy, Chifflet, Bauchet, Du Tillet, & le Père Ménestrier. Ce sont les tournois qui ont fait fixer les armoiries. Henri l’Oiseleur, qui régla les tournois en Allemagne, fut l’occasion de ces marques d’honneur, qui sont plus anciennes chez les Allemands que dans tout le reste de l’Europe. Ce fut alors que commencèrent les cottes d’armes, qui étoient une espèce de livrée composée de diverses bandes de plusieurs couleurs, d’où vinrent la fasce, la bande, le pal, le chevron, la losange, &c. qui ont donné le commencement aux armoiries. Ceux qui ne s’étoient jamais trouvés aux tournois, n’avoient point d’armoiries, quoiqu’ils fussent Gentilshommes. Les Seigneurs qui se croiserent pour aller conquérir la Terre-Sainte, prirent aussi ces marques d’honneur pour se distinguer. Avant ce temps-là, c’est-à-dire, avant le X ou XIe siècle, les armoiries n’étoient point en usage. On ne remarque sur les tombeaux plus anciens que des croix, & des inscriptions gothiques, avec la représentation de la personne. Le tombeau du Pape Clément IV, mort en 1268, est le premier sur lequel on trouve des armoiries. On ne voit non plus des armes sur les sceaux, ou sur les monnoies que depuis le X ou le XIe siècle. La première monnoie de France avec des armoiries est un denier d’or de Philippe de Valois, où il est représenté tenant de la main gauche un écu semé de fleurs-de-lis. Cette pièce d’or battu en 1336, fut nommée écu, à cause de l’écusson des armoiries de France. On trouve bien des figures plus anciennes, ou dans les étendards, ou dans les médailles ; mais ni les Princes, ni les villes n’en ont pas fait des armoiries en forme, & l’on ne trouve aucun Auteur qui fasse mention de l’art du Blason au-dessus de ces siècles-là.

Auffitôt maint esprit fécond en rêveries,
Inventa le blason avec les armoiries :
De ses termes obscurs fit un langage à part, &c.

Boil.

Il n’y avoir originairement que les seuls Nobles qui eussent le droit d’avoir des armoiries ; mais le Roi Charles V, par sa charte de l’an 1371, ayant anobli les Parisiens, il leur permit de porter des armoiries : sur cet exemple, les plus notables Bourgeois des autres villes prirent aussi des armoiries.

Les armoiries n’ont commencé à être pendues dans les églises que vers l’an 1341, dont on voit un témoignage dans l’Histoire de Joinville. D’autres disent que cela ne commença qu’en 1350, par un Evêque d’Utrecht, en faisant les obsèques de son frère. Basilius Poncius, Augustin de Léon en Espagne, a fait une Dissertation en quatre Chapitres, dans laquelle après avoir recherché l’origine des armoiries, & montré qu’il semble qu’il y ait de la vanité à un homme de faire mettre ses armes sur ce qui lui appartient ; il conclut cependant dans le quatrième chapitre, que cela se peut faire sans orgueil.

On dit proverbialement, il n’y a point de plus belles armoiries que celles d’un vilain, il prend ce qu’il veut.