Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHÊNE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 504-505).
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CHÊNE. s. m. Quercus, ûs. Arbre dont on tire beaucoup d’utilité pour les arts. Sa hauteur varie selon son âge. Son tronc est gros, divisé en grosses branches, qui en jettent d’autres plus petites, garnies de feuilles oblongues, découpées, & comme ondées sur leurs bords, obtuses par leurs bouts, fermes, sèches, lisses,g labres, d’un vert-brun & luisant en dessus, pâle en dessous, & relevées en cet endroit d’une côte qui parcourt toute sa longueur. Ses fleurs sont des chatons longs de deux à trois pouces, composés de flocons d’étamines verdâtres, attachées par intervalle à un poinçon. Ces fleurs sont stériles. Les embryons naissent sur les mêmes piés de cet arbre, mais dans des endroits séparés. Cet embryon est terminé par quelques filets de pourpre, & devient ensuite un fruit qu’on nomme gland. Il est renfermé dans un calice qu’on appelle calotte, ou cupule, cupula ; il s’alonge & est couvert d’une enveloppe semblable à du parchemin. Ses feuilles sèchent & tombent toutes les années. Les différences des chênes se tirent sur-tout des variétés de leurs feuilles, de la grosseur ou petitesse de l’arbre, de même que du fruit, & enfin des pedicules de ces mêmes fruits ou de leurs calottes ou cupules. Daléchamp décrit une partie de ces variétés. Le chênes est assez commun en France. Son écorce est employée pour le tan des Tanneurs ; & comme son bois est plus dur qu’aucun autre que nous avons en Europe, c’est celui qui s’emploie le plus pour les gros ouvrages de menuiserie & de charpente. Le chêne se tourmente moins, & est moins sujet à la vermoulure que le noyer & le sapin. Les poutres, les solives, les portes & le parquetage se font ordinairement de ce bois : il est un de ceux qui résistent le plus long-temps aux injures de l’air, & qui se conservent le mieux dans l’eau. C’est pourquoi on le choisit préférablement à tout autre pour le pilotage & pour palissader. On prétend que nos premiers peres vivoient de glands : peut-être qu’ils choisissoient certaines espèces dont les semences étoient tendres & d’un goût supportable. Il y a encore certains endroits en Espagne où l’on mange des glands ; quoique depuis long-temps on ne les regarde que comme propres à engraisser les cochons. on dit cependant qu’il y a quelques endroits dans le Nord où les pauvres gens, dans les temps de disette, font encore du pain de gland.

Les noix de galle sont des excroissances qui se forment sur les chênes à l’occasion de la piquure de quelques insectes ; peut-être que les différences des noix de galle ne dependent que de la variété des espèces d’insectes ; & que comme les insectes d’un pays ne sont pas tous pareils à ceux d’un autre pays, quoique peu éloigné, il arrive aussi que sur la même espèce de chêne, on voit croître en Italie des galles fermes, grosses, solides ; pendant qu’en France elles sont molles, petites, & ne sont proprement que de fausses galles. On remarque que sur les chênes d’autres effets de piquure d’insectes : tantôt ce sont des pommes écailleuses, grosses comme de petites noix ; d’autrefois des pommes unies de couleur de chair, soutenues par un pédicule, & grosses comme une noix avec son brou ; & quelquefois les chatons étant piqués deviennent des grappes succulentes, & représentent assez bien des grappes de groseilles ; si ce n’est qu’elles ne sont pas si rouges, & qu’elles sont doucâtres. Enfin, on observe des pelotons velus & chargés d’une espèce de coton qui enveloppe souvent le vert qui a donné occasion à l’épanchement de la sève, & aux dérangemens des fibres de l’écorce de cet arbre. M. Cassini dit qu’il y a dans chaque bosse de chêne un œuf blanc, de la grosseur & de la figure d’un petit pois : & qu’en ayant ouvert plusieurs, il y a trouvé un ver, lequel se changeoit en mouche ; & cette mouche faisoit plusieurs œufs, d’où naissoient des fourmis, qui ensuite percent la bosse du chêne où elles sont enfermées. Quelques-uns appellent ces pelotons poil de chêne. On en fait des mèches aux lampes, car ce coton brûle, ainsi que la galle noire. Il croît aussi sur les branches de cet arbres une plante parasite qu’on appelle gui, Viscum Quercinum, recherché dans les arts par sa dureté, & par la beauté de ses veines, & recommandable en Médecine par sa propriété prétendue antiépileptique. Les Naturalistes reconnoissent encore deux sortes de plantes estimées lorsqu’elles croissent sur le chêne, qui sont le polypode ordinaire, & un lichien, qu’ils nomment mousse, dont les Parfumeurs se servent aussi pour la poudre de Chypre. Les racines de chêne ne sont pas exemptes de ces excroissances, elles y sont quelquefois ramassées en grappes assez considérables. Malpighi a examiné & décrit ces sortes d’excroissances. Voyez Galle.

Il y a dans le Northampton, en Angleterre, un chêne que l’on nomme le chêne du Roi Etienne, qui est un des prodigieux arbres que l’on ait jamais vus. La tradition du pays porte que ce Prince tua autrefois un cerf auprès de ce chêne ; & en mémoire de ce fait, le peuple des environs y fait tous les ans une espèce de procession, & renferme pour une heure ou deux, trente ou quarante enfans dans le creux de cet arbre. Si la tradition est vraie, il faut que ce chêne ait été planté il y a plus de cinq cens cinquante ans.

Le chêne a été fort honoré par les anciens : il étoit consacré à Jupiter Capitolin, qui en étoit couronné, pour avoir conservé les Citoyens. On en faisoit des couronnes civiques pour récompenser la bravoure des Soldats : on en faisoit aussi les statutes des Dieux. On couronnoit de chêne ceux qui avoient conservé la vie à des Citoyens. De là ces revers de médailles dans Auguste, dans Claude, dans Galba, qui ont une couronne de chêne, avec ces mot : Ob Cives servatos. Voyez Couronne.

Chêne, s. m. se prend aussi très-souvent pour le bois du chêne mis en œuvre, ou propre aux ouvrages de l’art. Ainsi l’on dit, une armoire de chêne, une table de chêne. Les formes de cette église sont de chêne de Dannemarck. Je veux que le cadre de ce tableau soit de chêne. Le bois de chêne, depuis cinquante jusqu’à cent, même cent soixante, est le meilleur bois pour bâtir, & dure jusqu’à six cens ans, sans dégénérer. Et quand il est employé en pilotis, il dure jusqu’à quinze cens ans. Aussi sert-il à bâtir les maisons, & à faire les œuvres vives d’un vaisseau.

Ce mot vient du latin quernus, qu’on a dit pour, quercus. Mén. D’autres le dérivent du chaldaïque czisna, signifiant robur.

On dit proverbialement, que la monnoie du Diable est des feuilles de chêne, qu’il fait paroître comme si c’étoit de l’or.

Chêne-vert. Cet arbre diffère du chêne ordinaire ; 1° par ses feuilles qui sont dentelées & comme épineuses sur leurs bords : elles ressemblent en quelque manière à celles du houx, Aquifolium ; mais elles sont blanchâtres en dessous. 2° Parce qu’il est garni de feuilles en tout temps, & qu’il ne s’élève as aussi haut que nos moyens chênes. On l’appelle Yeuse, Ilex ; & les Tanneurs se servent de son écorce comme celle du chêne blanc pour parer leurs cuirs. Le bois de l’yeuse est fort dut, & fait de bon charbon, qui en plusieurs endroits est le plus estimé, parce qu’il conserve le feu fort long temps, & qu’il n’entête point. Le chêne-vert, ou l’yeuse, est commun en Provence, en Languedoc & en Espagne. Son noyau est blanc, ferme & doux. On en mange en Espagne, comme nous mangeons des noisettes ; en France on le donne aux pourceaux pour les engraisser. Les feuilles & les glands du chêne-vert ont les mêmes qualités que ceux du chêne commun. Cet arbre, outre son gland, produit des galles rougeâtres qui, étant pilées & appliquées avec du vinaigre, sont fort utiles pour les plaies fraîches & pour la rougeur des yeux.

Il y a plusieurs espèces d’yeuses, qui se distinguent par les feuilles & par les fruits. Celle qui porte le kermès est celle qui vient plus basse & qui a ses feuilles plus petites ; son gland est fort gros. On l’a appelé arbre qui porte la graine d’écarlate, à cause que, dans le temps où la cochenille étoit moins commune, on s’en servoit pour teindre en rouge. Aujourd’hui on emploie plus de kermès, ou graine d’écarlate, en médecine que dans la teinture. Cette graine est ronde, petite, de couleur grise tirant sur le rouge par dehors, & pleine d’une liqueur luisante, semblable à du sang, dans laquelle nagent de petits vers, d’où vient qu’on l’a appelé vermillon. Voyez Kermès.

Quand on a coupé un chêne, on peut voir quel âge il avoit, en aplanissant sa souche, & comptant les veines qui s’y trouvent, qui sont autant de fèves. Voyez Aubier. Toutes les parties du chêne, savoir l’écorce, les feuilles, les glands, les calottes, & même le bois, ont une vertu astringente. Leur décoction est bonne dans le flux de sang, dans le cours de ventre & dans la dissenterie. On estime les glands dans la rétention d’urine, dans le calcul, & dans la colique. La décoction des feuilles tendres, faites avec du ivn, est singulière dans la douleur des dents, si on s’en lave souvent la bouche.

Esprit du bois de chêne. Terme de Chimie. C’est une distillation, un extrait de ce bois. C’est un excellent remède pour pousser les humeurs par la transpiration. Quand il ne les résout pas par cette voie, il les chasse par les urines. Il est propre, outre cela, contre le mal de dents, étant tenu dans la bouche. Il raffermit les gencives, & empêche qu’elles n’admettent davantage les humeurs qui causoient de la douleur. Voyez J. M. Hoffman, dans ses Chymica fundamenta.

On dit de quelqu’un qui est d’une grandeur extraordinaire, qu’il est grand comme un chêne.

Chêne (petit) Herbe qu’on appelle aussi Germandrée. Chamædris. Voyez Germandrée.

Chêne-le-Pouilleux. Petite ville ou bourg de Champagne, en France. Chêne-le-Pouilleux a le privilège d’envoyer, au Sacre de nos Rois, une compagnie d’environ quatre-vingt de ses Habitans, sous les armes ; lesquels, tambour battant & enseigne déployée, précèdent le Prieur de l’abbaye de saint Remi, lorsqu’il apporte la sainte Ampoule à la Cathédrale, accompagné de quatre Barons de la sainte Ampoule. Ce privilège leur a été accordé, parce qu’autrefois, dit-on, pendant les guerres des Anglois, ils retirèrent la sainte Ampoule des mains de ces ennemis qui l’enlevoient.

Chêne-Royal. Terme d’Astronomie. Nom qu’on a donné à une constellation de l’Hémisphère méridional, observée par Halley en 1667, dans l’île de Sainte-Hélène, & qu’il nomma ainsi, en mémoire du chêne où le Roi d’Angleterre se tint caché, quand il fut poursuivi par Cromwel, après la déroute de Worcester. On l’appelle aussi chêne de Charles : elle n’est pas visible sur notre hémisphère.