Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHARGER

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 457-458).
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☞ CHARGER. v. a. Ce mot a toutes les acceptions du mot charge, tant au propre qu’au figuré. C’est en général mettre une charge sur quelque chose. Onerare. On charge un mulet, un cheval, un bateau. Charger un âne de pommes. Onerare pomis costas aselli. Il faut un homme pour charger ces Crocheteurs. Les Chameaux sont dressés à se baisser quand on les charge.

On le dit dans un sens approchant, pour, peser sur. Cette poutre charge trop cette muraille. Gravare. Tout cet attirail chargeroit trop le carosse.

On dit en termes de Marine, charger un vaisseau, pour dire, lui donner sa charge, le remplir d’autant de marchandises qu’il peut en porter ; le charger en grenier, c’est-à-dire, le charger de marchandises sans être embalées ni entonnées. Charger un vaisseau à cueillette, c’est le charger de marchandises reçues de différens particuliers : ce terme est usité en ce sens sur l’Océan ; mais sur la Méditerranée, pour exprimer la même chose, on dit charger au quintal. Charger la pompe d’un vaisseau, c’est y jeter de l’eau par en haut ; charger à la côte, se dit sur mer d’un gros vent qui force un vaisseau à se tenir près de terre, sans pouvoir gagner la pleine mer.

Charger, se dit aussi des alimens qui sont difficiles à digérer. Les écrevisses chargent l’estomac, on a de la peine à les digérer. Vous me chargez trop, en me voulant faire boire des rasades. L’usage de ce mot en ces phrases est fondé sur ce qu’on sent un poids dans l’estomac après avoir beaucoup mangé & beaucoup bu, ou après avoir mangé de certaines choses.

Charger, se dit encore en termes d’Horloger. Charger un balancier, c’est le rendre plus lourd pour retarder la montre ou l’horloge. Tardare Horologium addito ad libramentum pondere. Les balanciers des monnoies sont fort chargés de plomb.

Charger la glace, chez les Miroitiers, c’est mettre le mercure derrière la glace, & mettre des poids sur la surface pour en faire écouler le vif-argent superflu. Diffundere, oblinire mercurio.

Charger, chez les Doreurs, c’est appliquer l’or sur une pièce où il n’y en a point encore, ou en mettre de nouveau dans les endroits ou il n’y en a pas assez.

☞ Dans plusieurs arts & métiers, le mot charger conserve cette signification, ou une à peu près semblable. Voyez Charge.

Charger, se dit aussi chez les Brodeurs, les Ciseleurs, &c. Un habit chargé de broderie, de passemens. Cet écu est chargé de trois fleurs de lis. Em parlant des grandes qualités du Roi.

Déjà pour les chanter tel accorde sa lyre,
Et tel pour en charger le marbre & le porphyre,
D’un ardeur incroyable aiguise son ciseau.

Charger. En termes de Monnoie on dit, charger la coupelle d’affinage ; c’est après que le plomb y a bouilli quelque temps, y jeter les matières, c’est à-dire, l’or ou l’argent qu’on veut affiner. Charger les creusets, charger le creuset de matières ; c’est y jeter les matières, c’est-à-dire, l’or ou l’argent pour les fondre. Charger le fourneau de charbon, c’est y jeter du charbon.

Charger. Les Corroyeurs se servent de ce terme en parlant de divers apprêts qu’ils donnent à leurs cuirs. Ils disent, charger un cuir de bière, le charger d’alun, le charger de couleur ; pour signifier, l’imbiber d’un dose suffisante de toutes ces drogues & ingrédiens.

Charger la chaudière ; c’est y mettre les ingrédiens nécessaires.

Charger le peigne. Terme de Manufacture de lainage. C’est mettre & insérer dans les dents du peigne la quantité convenable.

Charger, est aussi un terme de Vinaigrier, qui signifie, emplir. Implere. Charger les vaisseaux. Pot à charger. Entonnoir à charger.

Charger, est aussi un terme de Fileuse. Il signifie, mettre du chanvre, du lin autour de la quenouille pour filer. Circumdare. Je vais charger ma quenouille. Ma quenouille est bien chargée.

Charger, en termes de Guerre, signifie, attaquer vigoureusement l’ennemi. In aciem hostium irruere. Les ennemis nous chargèrent d’abord en telle occasion ; mais nous les chargeâmes à notre tour. Ils avoient ordre de ne se point découvrir, que l’ennemi ne fût passé, pour le charger en queue. Ablanc.

Charger se dit aussi, pour exprimer l’action de celui qui en frappe un autre. Si vous le mettez en colère, il vous chargera. Charger quelqu’un de coups, le battre excessivement ; le charger d’injures, d’opprobres, Contumeliis proscindere ; c’est l’en accabler.

☞ On dit burlesquement, charger de bois, le dos de quelqu’un fuste dolare lumbos ; lui donner des coups de bâton.

Il pourroit bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos comme il a fait mon front. Mol.

Charger, se dit aussi des armes à feu. Tormento ou fistulæ ferreæ, sulfuratum pulverem ac globum indere. C’est mettre dans une arme à feu, ou dans une pièce d’artillerie la quantité de poudre suffisante & les balles, le boulet ou autres choses nécessaires pour l’effet qu’on se propose. Un canon se charge avec des boulets, des cartouches, des balles ramées. Les ennemis ont éventé la mine depuis qu’elle a été chargée, ils en ont tiré la poudre. Il a chargé ses pistolets.

Charger, se dit au figuré, de ce qui peut donner lieu à l’exercice des facultés de l’ame. Charger sa mémoire d’une chose, mettre une chose dans sa mémoire, & s’appliquer sérieusement à la retenir. Memorià aliquid custodire. Il ne faut charger sa mémoire que de bonnes choses. Charger sa mémoire de bagatelles.

☞ On dit aussi qu’il ne faut pas trop charger la mémoire des enfans, pour dire, qu’il ne faut pas les obliger à retenir trop de choses.

Charger sa conscience de quelque chose, prendre quelque chose sur sa conscience, s’en rendre responsable devant Dieu.

Charger, signifie aussi, imposer quelque condition onéreuse. Onus imponere. Un héritier est chargé d’acquitter les dettes de les legs d’un testateur. Un usufruitier est chargé d’acquitter les rentes annuelles dont le bien qu’il possède est tenu.

Charger, signifie aussi, mettre des impositions trop fortes. Tributum, vectigal imponere. On a trop chargé de tailles ce pauvre homme sur le rôle. Cette marchandise est trop chargée de douanes. On dit dans le même sens, charger une Election, une Province, &c.

Charger signifie encore, donner ordre, commission à quelqu’un de faire quelque chose. Dare rei alicujus provinciam, negotium. Cet homme a été chargé d’une négociation où il a bien réussi. Il ne devoit pas se charger de faire une telle harangue, puisqu’il n’étoit pas en état de parler. Cet Ambassadeur étoit expressément chargé par ses instructions, de faire instance sur la restitution d’une telle place. C’est un tel Avocat qui est chargé de ma cause, de mon sac, de mes mémoires.

Charger, d’ordinaire avec le pronom personnel, signifie, prendre sur soi, se rendre responsable. Aliquii in se recipere. Jesus-Christ s’est chargé de tous nos péchés & de toutes nos misères. Confiez-moi votre affaire, je me charge du succès. Cet Entrepreneur s’est chargé de venir à bout d’un tel dessein. Le Courier se charge de rendre ma lettre en main propre. Je ne me suis chargé que de ma propre conduite, & je ne répons qu’à moi-même de mes études & de mon loisir. Flech. Les Rois chargés du gouvernement, n’auront-ils que les inquiétudes & les fatigues ? & veut-on qu’ils tremblent devant la loi, qui est leur propre ouvrage ? Tourr.

De l’intérêt du ciel pourquoi vous chargez-vous ?
Pour punir le coupable a-t-il besoin de nous ? Mol.

Se charger, se dit aussi dans un sens propre, pour, mettre quelque fardeau sur sa tête, sur ses épaules, sur soi, sur son corps, de quelque manière que ce soit. Il n’a que faire d’aide, il se charge bien lui-même.

☞ On le dit aussi dans le commerce des marchandises de mauvais débit, & dans la vie civile, de ce qui nous est à charge. Onerare, gravare. Un Marchand intelligent ne se charge point de mauvaises marchandises, n’en prend point dans ses magasins.

☞ C’est quelquefois un malheur d’avoir des parens pauvres, dont on est obligé de se charger.

Charger, se dit aussi dans le commerce, pour, marquer sur son registre. Aliquam pecuniæ summam in rationem inducere, rationibus inferre. Il tant qu’un Marchand charge son registre des payemens qu’on lui fait. Le registre de ce Banquier est chargé de l’envoi d’une telle commission en Cour de Rome.

☞ On dit dans le même sens, charger un compte d’une dépense, d’une recette, pour dire qu’on a porté dans ce compte la recette & la dépense dont il s’agit.

Charger signifie, accuser quelqu’un en Justice, ou déposer contre celui qui est déjà accusé. Accusare, criminari. Ce prisonnier est chargé, est prévenu de plusieurs crimes, il y a divers témoins qui le chargent. Il a été chargé par le testament de mort d’un tel.

☞ On le dit dans le même sens dans les choses où il n’est pas question du criminel. Ils ne cessoient de le charger, tantôt d’avarice & tantôt de trahison. Vaug. Les vieillards louent le passé & blâment le présent, chargeant ainsi le monde du chagrin de leur âge. Il signifie ici rejeter, faire tomber sur. Transferre in, &c.

Ainsi l’antiquité, de cent crimes divers,
Osa charger les Dieux qu’adoroit l’Univers.

Charger, en termes de Peinture, signifie, outrer une chose, ajouter à la vérité, faire une exagération burlesque des principaux traits qui contribuent à la ressemblance ; représenter avec exagération les traits qui rendent le visage d’un homme difforme & ridicule, sans le rendre méconnoissable. Rem aliquam pingendo exaggerare. Ce Peintre a chargé ce portrait, pour dire, il a bien fait un portrait qui ressemble en quelque chose ; mais dans lequel la vérité & la ressemblance exacte sont altérées par l’excès du ridicule. ☞ On le dit dans le même sens au figuré. Ce médisant a chargé l’histoire qu’il nous raconte, il y a ajoûte beaucoup de choses de son crû, il a exagéré avec malignité. Charger un portrait, un caractère ; exagérer avec malignité les défauts d’une personne.

☞ On le dit de même en Littérature, de la Prose & de la Poësie, Voyez Charge ; ainsi que des ornemens superflus du style. On reprochoit à Ciceron que son éloquence étoit chargée de paroles & de pensées superflues. Nicol. Les Commentateurs sont d’ordinaire chargés d’une vaine & fastueuse érudition. La Bruy. Charger une pièce d’incidens, mettre trop d’incidens dans une pièce de théâtre.

Charger un mot. Cette expression se dit des écritures sur lesquelles on met d’autres écritures, pour les corriger : ainsi un mot chargé, est un mot qu’il faut corriger ; & au lieu de l’effacer, on écrit sur ce même mot un autre mot : ce qui fait bien souvent qu’on ne peut lire ni l’un ni l’autre. Cela est défendu ; & dans des procédures criminelles, il ne faut point charger les mots, mais raturer & remettre le véritable mot à la marge avec renvoi.

Charger est aussi un terme de Jardinage. On dit qu’un arbre charge peu ou beaucoup, pour dire qu’il donne peu ou beaucoup de fruit. L’épargne charge beaucoup tous les ans ; Ferax est, multis pomis se se induit. Le petit rousselet charge peu, prend peu de boutons à fruit. Dans cette acception ce verbe est neutre. Les Vocabulistes auroient dû le dire.

Charger, se dit proverbialement en ces phrases. Il a été bien chargé d’appointement, pour dire, il a été bien battu à coups de poing. Il est revenu chargé comme un mulet, pour dire, il en avoit autant qu’il en pouvoit porter. On dit d’un homme qui n’a point d’argent, qu’il est chargé d’argent comme un crapaut de plumes. Tout cela est bien bas.