Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHAUX

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 494-495).
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CHAUX. s. f. Pierre calcinée, marne, marbre ou autre matière semblable, qu’on brûle, & qu’on fait cuire à grand feu dans un four bâti exprès, dont ensuite on fait du mortier pour bâtir. C’est proprement le produit de la calcination des pierres & des terres calcaires. Calx. Le feu en dessèche toute l’humidité, & en ouvre tous les pores, ce qui fait qu’elle se réduit si facilement en poudre. La chaux vive, calx viva, est celle qui sort du fourneau. Chaux éteinte, fusée, ou amortie, est celle qu’on délaye & qu’on détrempe dans un bassin avec de l’eau, pour faire du mortier. Restincta, extincta. Chaux fusée, est celle qu’on a laissé long-temps à l’air sans l’éteindre, dont toutes les parties ignées se sont évaporées peu-à-peu, qui s’est réduite en poudre très-menue, & qui n’est plus bonne à rien. Macerata. On blanchit les murailles avec de la chaux. Lorsque la chaux est mouillée elle se lie au rabot, quand on la détrempe. Les murs des fondemens se font à chaux & à sable. Les Siamois font une chaux qui dure cent & deux cens ans, avec laquelle ils font des statues & des mausolées. Il se trouve beaucoup de pierres de chaux près de Malmoé en Suéde. Il y en a de deux espèces, l’une qui se tire de terre, & l’autre qui se prend sur le rivage, ou au bord de la mer : la dernière espèce est meilleure, on en tire beaucoup plus de chaux. En mêlant ces deux chaux, on en fait une troisième espèce beaucoup meilleure encore, & qui épargne beaucoup, parce qu’elle soutient les trois quarts de sable. Aux Indes la chaux se fait d’ordinaire avec des coquillages de mer ; celle qui se fait de coquilles de limaçon sert à blanchir les maisons ; & celle de pierres, mâcher avec des feuilles de bétel. On en voit qui en prennent par jour gros comme un œuf. Lettres édif. Tom. IX.

Il y a un Traité de la manière de bien préparer la chaux. M. Du Hamel en a donné un précis dans l’Histoire de l’Acad. des Sciences, Liv. I, Sect. II, c. V. En voici les points principaux. La pierre la meilleure pour faire la chaux, est la plus dure. Il faut qu’elle ait été tirée de la carrière long-temps auparavant. Plus il y a de sel fixe dans la pierre, meilleure est la chaux. Pour la bien cuire, il faut d’abord ne lui donner qu’un feu lent, de crainte que l’humeur crasse qu’un feu ardent en feroit sortir avec impétuosité, n’emportât avec elle le sel volatile. Après que l’humide épais, s’est exhalé par ce feu lent, on ne sauroit donner à la chaux un feu trop violent. Plus il est ardent, plus il divise en parties fixes la terre & le sel, qui en deviennent plus propres à faire une liaison solide & ferme. Quand la chaux est cuite, le mieux est de l’éteindre aussi-tôt ; si on ne le fait pas, il faut au moins la mettre dans des tonneaux bien fermés. Les meilleures pierres ou morceaux de chaux, après qu’elle est cuite, sont ceux qui sont pesans, sonores, qui ont les parties plus compactes, qui s’éteignent dans l’eau avec bruit, qui fument en s’éteignant ; qui, dans ils sont éteints, font une chaux humide, grasse & blanche, parce qu’elle abonde en sel sulfureux, & que ses parties sont unies par une humeur déliée qui leur sert d’une espèce de glue.

Pour bien éteindre la chaux, il ne faut pas jeter de l’eau dessus, il faut la jetter dans l’eau, ensuite la remuer continuellement, & comme la pêtrir avec le bouloir, sans cela elle se ramasseroit encore en pierres dures. Il faut la remuer long-temps, & y jeter beaucoup d’eau. Quand elle est éteinte, il faut jeter quantité d’eau dessus, afin qu’elle retienne le sel le plus subtil, jusqu’à ce que ce sel nâge sur l’eau comme une espèce de crême, & qu’il se fasse un parfait mélange des sels & de l’eau.

☞ L’effervescence de la chaux & de l’eau s’explique par la théorie générale de l’effervescence. Voyez ce mot. Pour expliquer sa chaleur, dont cette effervescence est accompagnée, nos Physiciens & nos Chimistes n’avoient rien imaginé de mieux, qu’une infinité de particules de feu emprisonnées dans les pores nombreux de la chaux, formés par la calcination. Ces particules de feu, dégagees de leur prison par les particules d’eau, produisoient la chaleur. A ce méchanisme, M. Homberg ajoutoit le frottement causé dans toutes les parties de la chaux par le mouvement impétueux des particules d’eau qui pénétrent ses pores. Ces explications ingénieuses, & qui paroissent fondées sur le méchanisme, ont été reçues avec avidité, & adoptées par tous les Physiciens, pendant qu’elles avoient la grace de la nouveauté. La Chimie moderne n’a retenu que l’explication de M. Homberg.

Quand la chaux a été éteinte en cette manière, on l’enferme dans la terre. Elle s’y raffine ; & plus on l’y garde, plus elle est parfaite. C’est pour cela que les Romains éteignoient la chaux trois ans avant que de s’en servir. C’est ce qui fait que dans leurs bâtimens le mortier est plus dur que la pierre même.

Pour faire le mortier, on met deux tiers de sable sur un tiers de chaux. Les Romains mettoient les trois quarts de sable de rivière, & quatre cinquièmes de sable de terre. Et afin que le mortier fût plus tenace & plus ferme, ils le préparoient quelques jours avant que de l’employer. Ils y ajoutoient même quelquefois une troisième partie de tuile ou de brique broyée, ce qui fait un excellent ciment. Le sable de terre doit être employé aussi-tôt qu’il est tiré. Celui qui fait du bruit quand on le frotte entre les doigts, & qui est rouge, est le meilleur.

Chaux se dit en Chimie de cette espèce de cendre ou poudre très-menue, qui reste des métaux ou des minéraux qui ont été long-temps en un feu très-violent. ☞ Ce sont les métaux calcinés, auxquels l’action du feu a fait perdre leur liaison & leur forme métallique, & que cette action a changés en une substance semblable à une terre. Les précipités des métaux sont des produits tous différens des chaux métalliques. L’or & l’argent qu’on a réduits en chaux se remettent par l’art dans leur première nature. La chaux d’étain s’appelle de la potée, qui sert à polir les miroirs d’acier. La chaux d’airain s’appelle æs ustum chez les Droguistes.

On dit proverbialement, qu’une affaire est faite à chaux & à ciment ; pour dire, qu’elle subsistera, qu’elle est faite solidement & avec toutes les précautions nécessaires.

Ce mot de chaux vient du latin caleo. Clax fit ex lapidibus calefactis & adustis. Le françois chaux, & le teuton kalck, sont tirés du celtique calch. Pezr.