Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHOSE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 556-558).
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CHOSE. s. f. Nom général qu’on donne à tout ☞ être existant dans la nature, soit réel, soit modal. Res. Toutes les choses de ce monde sont sujettes au changement. La lumière est une chose admirable.

Qui vit content de rien, possede toutes choses.

Boil.

La mort étant la dernière de toutes les choses, c’est bien assez que l’on aille à elle d’un pas assûré, sans que l’on y coure. Vaug. Par un enchaînement des causes inconnues, mais déterminées de tout temps, chaque chose marche en son rang, & achève le cours de sa destinée. Id. Les gens de bon goût trouvent du plaisir à des choses que des gens du commun ne sentent pas ; comme ils en méprisent d’autres que le peuple admire. Le Ch. de M. Les passions ont rendu l’homme esclave de toutes les choses sensibles. Maleb. Ce mot est dérivé de causa, qui dans les vieux titres signifie chose, comme le prouve Pasquier.

☞ Comme ce mot se dit indistinctement de tout, sa signification est déterminée par la matière dont on traite.

☞ Il faut pourtant remarquer que le mot être est plus général encore que celui de chose. Être se dit de tout ce qui est. Dieu est un Être incompréhensible, l’homme est un être capable d’aimer. Chose ne peut pas se dire de tous les êtres. On diroit mal Dieu est une chose incompréhensible. Il y a pourtant des occasions où ce mot a bonne grace, joint avec des êtres animés. C’est une chose bien précieuse qu’un ami. C’est une chose bien intéressante qu’une jolie femme.

Choses se dit aussi des réflexions, des pensées, des opinions, des dogmes, &c. Les belles choses mêmes on besoin d’être imaginées, & il ne faut pas éblouir l’esprit par un trop grand nombre de traits agréables & surprenans. Cl. Il y a dans Théocrite une certaine bigarrure de jolies choses, & de choses purement rustiques, qui est très-mal assortie. Font. Il n’y a rien de naturel dans Sénèque ; il ne songe qu’à dire de belles choses. P. le Boss. L’évidence n’accompagne pas les choses de la foi. Maleb.

Chose se dit aussi par opposition aux personnes. Un tel mot est un terme général qui convient aux choses, & aux personnes.

Choses se dit encore par opposition aux paroles qui sont vides de sens. Une des principales beautés du discours, consiste à être plein de choses, & déchargé de paroles superflues. Port-R. Je ne veux point des mots, je demande des choses. Vill.

☞ On le dit encore par opposition à apparence. Eripitur persona, manet res. Le masque tombe, l’homme reste.

Quelque chose s’emploie souvent comme un seul mot ; alors il est toujours masculin. On m’a dit quelque chose qui est très-plaisant. Et souvent l’adjectif suivant se met au génitif. Quelque chose de fâcheux. Ac. Fr.

Chose signifie quelquefois, affaire, action, évenement. Res, negotium. Tacite ne rapporte par les choses comme elles sont arrivées, mais comment il imagine qu’elles auroient pû être. Bouh. C’est le caractère des Romains, de faire & de souffrir de grandes choses. Bouh. Les choses inhumaines ne roulent point à l’avanture, & au gré de la fortune. Vaug. On se peut éloigner du monde si les choses n’y vont point comme on veut ; mais quand on se montre, il faut les laisser aller comme elles vont. Ch. de M.. Voilà l’état des choses, voilà où l’on est. Ce n’est pas peu de chose de savoir douter avec raison & avec esprit. Maleb.

Chose signie encore le bien, le corps dont il s’agit. Bona. Tous les frais d’un décret, d’une vente, se prennent sur la chose, se dont aux dépens de la chose. Celui qui a vendu un héritage, a un hypothèque privilégiée, parce que c’est la chose.

Chose signifie en Droit, tout ce qui est dans notre pratrimoine, & tout ce qui n’y est pas. Tout ce qui est distinct des personnes & des actions. La seconde division des choses se fait en celles qui sont corporelles, & celles qui sont incorporelles.

Choses corporelles, sont celles qui tombent sous les sens, comme un fonds, une maison, un habit, & autres choses semblables.

Choses incorporelles, sont celles qui ne tombent point sous les sens, mais qui consistent dans certains droits incorporels, comme sont les successions, les servitudes des héritages, les obligations, les actions, & autres de semblable nature.

Choses corporelles, sont ou fongibles, ou non fongibles. Les fongibles sont celles qui ne sont pas des corps certains & déterminés, & qui consistent en quantité, & se règlent par poids, par nombre, & par mesures, comme du blé, du vin, &c. Elles se consument par l’usage, & ne périssent point ; mais peuvent être représentées & remplacées par d’autres de même nature. Les choses non fongibles, sont des corps certains & déterminés qui consistent en espèce, c’est-à-dire, en un corps certain & déterminé, & qui ne se consument pas par l’usage, mais qui périssent de manière qu’elles ne peuvent être représentées ni remplacées par d’autres de même nature, comme une maison, un cheval, &c.

Choses communes, dont l’usage est commun à tous les hommes, comme l'’air.

Choses des communes, dont la propriété appartient à quelque Communauté, & dont l’usage appartient à tous ceux qui la composent, comme les théâtres dans les villes, les promenades publiques, &c.

Choses de droit divin, qui ne peuvent point tomber dans le patrimoine des particuliers, comme les choses sacrées, les choses religieuses & les choses saintes.

Choses sacrées, qui sont consacrées à Dieu avec les solemnités prescrites, comme les temples, les vases sacrés, &c.

Choses religieuses, lieux qui servent à la sépulture des fidèles.

Choses saintes, celles que les loix mettent à l’abri de l’injure, des hommes, en établissant des peines contre ceux qui violent & manquent au respect qui leur est dû ; comme la personne du Souverain, d’un Ambassadeur, les loix qu’on ne viole point impunément, &c.

Choses prophanes, opposées aux choses sacrées, religieuses & saintes. Fer.

Chose se dit encore du bien commun ; & on appelle la chose publique, ce qui regarde l’Etat, le République. Res publica.

Chose se dit aussi de tout ce qui n’a point de nom, de ce qu’on ignore, ou dont on ne se souvient pas, ou qu’on s’abstient de dire par pudeur ; ou quand on manque d’expression. C’est bien souvent l’asyle de l’ignorance, & il est certain qu’on abuse de la commodité de ce mot, & qu’on y a recours trop souvent. On dit dans les arts, quand on ne sait pas le nom d’un outil, ce chose avec quoi on rabotte, on perce, &c. Nous passâmes la rivière à chose, je ne me souviens pas du nom de ce port. On appelle aussi, en matière obscène, chose, ce qu’on ne veut pas nommer, & alors il est masculin.

On dit familièrement, être tout chose ; pour dire, n’être pas de bonne humeur, ou être dans une situation qu’on ne peut pas expliquer. Colin étoit malade, non toutefois que sa santé fût dérangée par la fièvre ou quelque autre maladie qui eût besoin d’un Docteur en Médecine. Il étoit proprement ce qu’on appelle, dans le style familier, être tout je ne sais comment, être tout chose. Chef-d’œuvre d’un inconnu.

Chose se dit encore en ces phrases assez ordinaires. En parlant de choses & d’autres. Cela est beau entre autres choses. Je vous recommande cela sur toutes choses. Vous irez en un tel endroit avant toutes choses. On dit aussi, par exclamation, chose étrange ! chose inouie ! Je ne ferois pas cela pour chose du monde. La belle chose que d’être heureux du consentement des misérables, & sans trouver l’envie par les chemins ! Bal.

On dit proverbialement : A chose faite, conseil pris, pour dire ; qu’il n’est plus tems de demander conseil, quand la chose sur laquelle on devoit délibérer, est faite.