Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CIDRE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 586-587).
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CIDRE. s. m. Boisson faite de pommes pillées & pressurées. Le cidre de pommes s’appelle du Pommé, vinum pomaceum ; celui de poires du Poiré, vinum pyraceum. Le meilleur cidre se fait en Normandie. Le fruit à couteau ne vaut rien pour faire le cidre. On emploie des pommes rustiques, dont il faut bien connoître les différens sucs, afin de les combiner convenablement, & de corriger les uns par les autres.

☞ Pour avoir du cidre fort, on le laisse reposer sur sa lie & couvert de son chapeau. Si l’on veut un cidre doux & agréable, il faut le tirer au clair lorsqu’il commence à gratter doucement au palais ; c’est ce qu’on appelle cidre paré.

☞ On prétend que le cidre est pectoral, humectant & rafraichissant. En général il ne convient qu’à ceux qui en ont fait usage dès leur jeunesse.

M. Huet, ancien Evêque d’Avranches, dans ses origines de Caën, p. 144, prouve que l’usage du cidre étoit établi à Caën dès le treizième siècle, puisqu’il en est fait mention dans les Lettres Patentes de Philippe le Bel, & que Guillaume le Breton, qui vivoit au commencement du XIIIe siècle, appelle le pays d’Auge, Siceræque tumentis, Algia potatrix. M. Huet ajoute, l’usage du cidre, pour le dire en passant, est plus ancien en France qu’on ne s’imagine : sous les enfans de Constantin on accusoit les Gaulois d’aimer le vin, & diverses autres liqueurs qui ressembloient au vin, comme nous l’apprend Ammien Marcellin. Les Capitulaires de Charlemagne mettent au nombre des métiers ordinaires celui de Siceratores ; ce que l’on explique, ceux qui savent faire de la bière, du pommé, du poiré, ou toute autre liqueur bonne à boire. D’où il paroît que le mot de cidre, qui est le même que sicera, ne se restreignoit pas comme aujourd’hui au seul pommé, mais qu’il s’étendoit à toutes les liqueurs qui enivrent, comme le mot hébreu, d’où il est venu. Néanmoins l’usage du cidre eut peu de cours en France dans la suite. Je crois même que notre Province ne l’a pas pris des François contemporains de Charlemagne, mais plutôt des Basques, dans le commerce que la pêche leur donnoit avec les Normans. Dans la Coutume de Bayonne & de Labour, l’on voit plusieurs titres touchant les cidres ; & les Basques l’ont appris des Afriquains, où il étoit autrefois fort commun, comme le témoignent Tertullien & S. Augustin.

Ce mot, selon quelques-uns, vient du latin sicera, ou de l’hébreu Sechar, ou enfin du bas-breton Sistre, qui signifient, dit-on, tout breuvage qui peut enivrer, soit qu’il soit fait de grains, ou de pommes, de palmes, ou d’autres fruits. D’autres le dérivent du latin Ceria, qui est expliqué à Cervoise. Il pourroit bien être ou Norman, ou Saxon, ou Danois d’origine.