Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COMPTE
☞ COMPTE. s. m. Synonyme de calcul, supputation. Computatio. On lui a donné de l’argent sans compte ni mesure. J’ai fait le compte de mon argent. Numerum inire. Le compte est juste. On donne à un domestique l’argenterie en compte, par compte.
☞ Compte est aussi une supputation par quelque opération d’arithmétique, addition, soustraction, multiplication ou division. Il faut qu’il y ait quelque erreur dans cette addition, je n’y trouve pas mon compte. Numerus. J’ai mon compte, je trouve mon compte, j’ai compté juste cette fois-ci. Numerum nunc sedulo habui.
☞ Compte signifie aussi le papier où l’on a mis le calcul & la supputation de ce qu’on a mis ou de ce qu’on a reçu, ou de tous les deux ensembles. Porter une chose en compte. Rationibus inferre. Demander compte, sommer de rendre compte. Ad computationem vocare.
☞ On dit qu’un homme est de bon compte ; pour dire, qu’il est fidèle, qu’il ne trompe point dans ses comptes. Faire un compte rond. Rotundare Summam.
☞ On appelle vulgairement compte rond, un nombre sans fractions, c’est-à-dire, qui n’est composé que de dixaines, de centaines, de milliers. Dix, vingt, trente, quarante, cent, mille, &c. sont des comptes ronds. Onze, vingt-deux, cinquante cinq, cent-un, &c, ne sont pas des comptes ronds.
☞ Mais quand on compte par espèces, on appelle compte rond, un certain nombre de ces espèces sans fractions, quatre, cinq, dix, trente, cent écus, ou louis font un compte rond ; cinq sols, dix sols, vingt sols, &c, sont un compte rond ; dix livres cinq sols, deux sols six deniers, &c. ne sont pas un compte rond.
☞ Compte borgne, se dit aussi familièrement d’un compte mal-fait, ou qui n’est pas clair.
Comptes faits, se dit de certaines tables ou tarifs, dans lesquels on trouve des réductions toutes faites, de poids, des mesures, de changes, d’escomptes, d’intérêts, de monnoie, &c. Tels sont ceux de Barrême.
Compte, en termes de Marchands, se dit des registres respectifs qu’ils tiennent de leur négoce, & des affaires qu’ils ont ensemble. Accepti & expensi codex. Ainsi, on dit, qu’un homme enseigne à tenir les livres de compte, quand il montre la manière de les tenir en bon ordre, à mettre l’avoir d’un côté d’un feuillet, & le débit vis-à-vis. Il faut qu’un Marchand représente ses livres de compte en bon état, toutes fois & quantes. On appelle entr’eux, solder un compte, ce qu’on appelle ailleurs l’arrêter.
Compte, en termes de Palais, est l’état qu’on donne en Justice de ce qu’on a reçu, ou dépensé pour quelqu’un, dont on a eu les biens en maniement. Rationes accepti & expensi. Un compte est composé de trois parties ; savoir, d’une préface ; qu’on appelle communément le préambule du compte, & de deux autres parties ; savoir, de la recette & de la dépense : on y ajoûte la reprise, lorsqu’on n’a pas reçu tout ce qu’on étoit chargé de recevoir. Cette division d’un compte est ce qu’on appelle ordre de compte.
Compte de Communauté, est le dénombrement des effets de la Communauté entre mari & femme, contenant l’état auquel cette Communauté se trouve au jour de sa dissolution, pour les biens de la dite Communauté être partagés entre l’un des conjoints & les héritiers du prédécédé.
Compte de Tutelle, est celui qui se rend par le tuteur de l’administration des biens de son mineur, dont il a été chargé par l’acte de tutelle. Un tuteur ne peut traiter avec son mineur, qu’il n’ait rendu son compte de tutelle.
Les débats, les soûtenemens des comptes, sont les écritures qu’on fournit respectivement pour défendre ou combattre les articles des comptes. Scripta utrinque ad tuendas debiti & expensi rationes. Affirmer un compte, c’est jurer qu’il est véritable, quand on le présente. Rationes tueri, defendere. Examiner un compte, c’est y mettre des apostilles pour allouer ou débattre les articles. Rationes excutere, expendere. Clorre un compte, c’est arrêter le reliquat à la fin d’un compte. Consolidare. Ordre de compte, c’est diviser un compte en chapitres de recette, de dépense & de reprise. Accepti vel expensi rationes inire, rationes subducere. Apurer un compte, c’est en faire juger tous les débats, en faire lever les souffrances. Conficere, consolidare. Débet de compte, c’est la somme dont la recette excède la dépense par le finito d’un compte. Supputatis utrinque rationibus excedens summam.
☞ Compte par bref état, est celui qui se rend par simple mémoire, sans être divisé en chapitres de recette, de dépense & de reprise.
☞ Compte de Clerc à Maître, est celui où le comptable porte en recette & en dépense tous les profits, toutes les pertes, tous les frais qu’il a pû faire dans sa commission.
☞ Compte en Banque. C’est le fonds que des négocians ou des particuliers déposent dans la caisse commune d’une banque.
☞ Compte en participation. Espèce de compte qui se fait entre deux Marchands ou Banquiers, pour raison d’une société anonyme, qu’on appelle société participe, ou société par participation. Voyez ces mots.
☞ Compte. (Bordereau de) Extrait d’un compte, qui comprend tous les articles tirés hors de ligne, tant de la recette que de la dépense.
☞ Compte. (Ouvrir un) Placer un compte pour la première fois dans le grand livre, en désignant la personne avec laquelle on entre en compte.
☞ Compte. (Passer en) Tenir compte à quelqu’un d’une somme qu’on lui doit.
☞ Compte. (Papier de) Sorte de grand papier fin, connu sous ce nom dans les Papeteries, sur lequel on écrit communément les comptes.
Compte, (Ligne de) est la somme qu’on tire en une marge blanche qu’on laisse exprès au côté d’un compte. Subducta ex rationibus expensis summa. Elle contient en chiffre Romain la partie couchée au long dans l’article qui y répond. Dans le calcul, on ne regarde que ce qui est tiré en ligne de compte. Les Trésoriers de France ne sont Juges que de la ligne de compte. Ils n’ont point de Juridiction contentieuse.
On dit figurément en ce sens, mettre en ligne de compte, mettre sur son compte ; pour dire, faire valoir les bons offices que nous rendons, ou qu’on nous a rendus. Beneficiorum in numero aliquid ponere. Il faudra, s’il vous plaît, que vous mettiez en ligne de compte tout ce que j’ai fait pour vous.
☞ Prendre une chose sur son compte. Dans le sens propre, c’est se charger de l’exécuter. Aliquid inse recipere. Je prends cela sur mon compte, ne vous inquiétez de rien.
Compte ne se dit pas seulement des affaires d’intérêt, mais en toutes les autres choses dont on est tenu de rendre raison, ou à soi-même, ou à ses supérieurs. Alors il est pris figurément. Ratio. Je ne prends point ce que vous avez dit sur mon compte, c’est-à-dire, je ne m’en fais point d’application. Dieu nous demandera compte des talens que nous n’avons pas fait profiter. Il est nécessaire de rentrer quelquefois en soi, & de se rendre un compte exact de ses paroles, de ses sentimens, & du progrès qu’on a fait dans la sagesse. S. Evr. Avertis par l’Evangile de tenir nos comptes prêts, combien peu d’attention avons-nous à les régler ? P. Gail. La dévotion qui se déploie en démonstrations & en actes, dont l’amour propre se flatte que Dieu lui tiendra compte, est une fausse vertu. Fléch.
Maître de mon destin, libre dans mes soupirs,
Je ne rendrois qu’à moi compte de mes désirs. Racine.
Qu’heureux est le mortel, ......
Qui de sa liberté forme tout son plaisir,
Et ne rend qu’à lui seul compte de son loisir. Boil.
On dit encore au figuré, mettre quelque chose sur le compte de quelqu’un ; pour dire, lui imputer. Imputare. C’est injustement pour l’ordinaire qu’on met les fautes de la jeunesse sur le compte de ceux qui les instruisent : on pourroit souvent, avec bien plus de raison, les mettre sur le compte des parens, qui, faute d’application, ou par trop d’indulgence, sont cause de leur dérèglement.
☞ Avoir à bon compte, faire bon compte, avoir à bon marché, faire bon marché ; vous aurez cela à bon compte. Ce marchand vous fera bon compte : on dit dans le même sens vivre à bon compte. Modico pretio.
☞ On dit figurément faire son compte, trouver son compte, trouver du profit, de l’avantage. Utilitas, commodum. Il a bien fait son compte dans cette ferme, dans cette affaire. Il y a des amis agréables qui amusent, mais ils n’ont que l’écorce ; pour peu qu’on approfondisse, on n’y trouve pas son compte. M. Sc.
☞ On dit encore figurément, avoir son compte, avoir ce qu’on désire, ou ne manquer de rien. Il est bien aisé de philosopher quand on a son compte.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Sur-tout quand vous avez à peu près votre compte. La Font.
Rendre compte signifie encore dans le figuré, rapporter ce qu’on a fait dans une affaire, & en rendre raison. Rationem subjicere. On rend compte de sa conduite à ses supérieurs. Rendez-nous compte de cette affaire.
Quelquefois c’est faite un simple récit. Narrare. Rendez-nous compte de ce que vous avez vû, de ce qui vous est arrivé.
☞ On dit aussi qu’un homme fait bien son compte, entend bien son compte ; pour dire, qu’il entend bien ses intérêts.
☞ Faire compte, tenir compte d’une personne ou d’une chose, en faire cas, l’avoir en quelque considération. On fait grand compte d’un tel, on n’en tient aucun compte.
☞ On dit encore qu’une femme ne tient pas compte d’elle ; pour dire, qu’elle a peu de soin de se parer, de s’ajuster. La plupart de ces expressions figurées ne sont que du style familier.
Compte se dit aussi de plusieurs petites choses qu’on prend à la main, ou qu’on jette ensemble pour compter avec plus de promptitude. Numerus. Les prunes, les mûres se comptent deux à deux, trois à trois ; les espèces d’or & d’argent deux à deux, trois à trois, quatre à quatre ; & chaque prise ou jet s’appelle un compte.
☞ On appelle bois de compte, celui qu’on vend à tant de bûches par corde. Voyez Bois.
Dans le commerce de la morue, on appelle grand compte ou compte marchand, un certain nombre de poignées de morues ; à Orléans le grand compte est de soixante-six poignées ou 132 poissons, le petit compte est le plus petit nombre de morues qu’on donne au cent ; à Paris le cent de morues, petit compte est de 54 poignées, ou 108 morues.
Compte en termes d’Horlogerie. On appelle Roue de compte, certaine roue qui n’est point dans la cage de l’horloge. Elle est attachée en dehors, & contre l’usage des autres roues ; ses dents ne sont pas à l’extrémité extérieure, mais en dedans : elles sont au nombre de 78, parce qu’une horloge en douze heures frappe 78 coups. Il y a des coches sur le tour extérieur de cette roue, dans lesquelles entre la détente, quand l’horloge a sonné le nombre de coups nécessaires. Encre ces coches il y a des espaces qui sont plus ou moins grands, selon le nombre des coups que l’horloge a à sonner. Lorsqu’elle ne doit sonner qu’une heure ou deux, les espaces sont fort courts, & pour le peu que la roue de compte tourne, la détente trouve une coche où elle tombe, mais lorsqu’elle doit sonner beaucoup d’heures, comme onze ou douze, ces espaces sont grands pour donner le temps à l’horloge de sonner tous les coups requis, avant que la détente trouve une hoche où se reposer.
Compte ou Goutte de lait. Verroterie dont on se sert sur la côte d’Afrique, pour faire la traite avec les Noirs.
Compte brodé ou Contre-brodé. C’est une autre verroterie qui sert au même commerce ; il y en a de bleu à fleurs blanches, & de rouge, les uns aussi à fleurs blanches, & d’autres à fleurs jaunes.
Chambre des Comptes, est une Cour Souveraine fort ancienne, & qui dans les cérémonies marche à côté du parlement ; c’est où se rendent les comptes des deniers du Roi, où l’on enregistre & où l’on garde ce qui concerne son Domaine, le compte du Trésor Royal des parties casuelles des recettes générales, &c. Rationum regiarum Curia. Curia ratiociniorum, Curia rationalium magistratuum. Il y a des Présidens & Maîtres des comptes en chaque semestre. In regiarum rationum Curia Præses, Magister, Judex ; ratiociniorum Magister, Præfectus rationum regiarum, ou ratiociniorum. Au grand Bureau ils jugent & vérifient les Lettres-Patentes, sermens de fidélités, aveus & dénombremens. Au second Bureau se jugent les comptes de tous les Comptables. Les Auditeurs des Comptes sont ceux qui examinent les comptes & les quittances, & les rapportent au Bureau, qui mettent les apostilles, arrêts & finito des comptes. Regiarum rationum Auditor. Il y a des Correcteurs qui sont établis pour revoir & corriger les comptes, quand il y a eu de l’erreur en leur jugement. Regiarum rationum Corrector, emendator. Il y a des Chambres des Comptes établies à Paris, à Rouen, à Dijon, à Montpellier, en Provence, &c. Celle de Rouen fut établie en 1580, par Henri III. Il y en a une à Blois pour l’apanage de Monsieur de Duc d’Orléans. La Chambre des Comptes n’a été fixée à Paris, & rendue sédentaire que sous Philippe le Bel. Avant ce temps là, elle faisoit partie du Conseil du Roi. Elle avoit la direction des Finances. Ce Conseil du Roi fut partagé en deux, le Parlement qu’on appeloit aussi Chambre, & la Chambre des Comptes. C’est pourquoi elles ont eu d’abord des Avocats & des Procureurs Généraux, qui étoient communs aux deux Compagnies. Voyez Chambre. La Chambre des Comptes étoit anciennement ce qu’est aujourd’hui le Conseil des Finances. Il y a eu de tout temps, des Présidens à la Chambre des Comptes ; l’un étoit Ecclésiastique, & l’autre Laïque ; quelquefois l’un & l’autre ont été Prélats. Le Président Laïque étoit toujours un des principaux Seigneurs de la Cour. Quand on eut ôté le Président Evêque ou Archevêque, le Grand Bouteillier de France fut quelque temps premier Président de la Chambre des Comptes.
Compte se dit adverbialement en ces phrases. Recevez cela à bon compte ; pour dire, à la charge de le déduire sur ce que je vous dois. Aliquid rationibus inferre, in rationes inducere. En fin de compte ; pour dire, on verra par la suite, à la fin du temps, ce qui en sera. Ut res cadat. Au bout du compte, façon de parler familière dont on se sert à la fin d’un discours, pour dire après tout, tout bien considéré. Au bout du compte, que peut-il en arriver ? Ut res pessimè cedat. A mon compte, à son compte. Selon son opinion, selon qu’il suppose. Opinione meâ, tuâ, suâ.
A Compte s’emploie dans le même sens qu’à bon compte, pour signifier ce qu’on donne, ou ce qu’on reçoit sur une somme d’argent due. J’ai reçu cinq cens livres à compte des mille livres qui m’étoient dûes. On en fait même souvent un substantif. Je n’ai encore reçu aucun à compte. J’ai reçu plusieurs à compte.
Compte se dit proverbialement en ces phrases. Les bons comptes font les bons amis ; pour dire, qu’on ne peut être ami sans garder la foi & la justice les uns aux autres. On dit, qu’un homme est bien loin de son compte, lorsqu’il avoit raisonné sur un faux principe, & que le succès ne répond pas à son attente. On dit aussi, à tout bon compte revenir ; pour dire, qu’on est toujours reçu à compter de nouveau. On dit qu’un homme est Trésorier sans rendre compte ; pour dire, qu’il dispose du bien d’autrui comme il lui plaît, & sans qu’il s’en soit chargé par compte. On dit aussi, qu’un homme en a pour son compte, quand il lui est arrivé quelque malheur, quelque disgrace, quand il a reçu quelque mauvais traitement. On dit aussi dans le même sens, en tenir pour son compte.
Seigneur Prélat, vous en auriez sans doute
Quelque regret, ou je vous connais mal.
Et vous diriez ; c’est dommage, il m’en coute
Un serviteur, zelé certe & loyal :
Moi cependant, j’en tiendrois pour mon compte. P. du Cerc.
On dit aussi, vous ne trouverez pas votre compte avec cet homme-là ; pour dire, ne contestez pas contre lui, il est plus fort, plus habile que vous. On dit, qu’un homme ne tient ni compte ni mesure, quand il laisse aller ses affaires en confusion, sans en prendre soin. On dit aussi, que chacun veut avoir son compte ; pour dire, que personne ne veut relâcher de ses intérêts.