Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉGRADATION

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 177-178).
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DÉGRADATION. s. f. Destitution ignominieuse d’un Ordre, d’une qualité, d’une dignité ou degré d’honneur, dans le cas d’une condamnation. Alicujus honoris de gradu dejectio, depulsio. La dégradation d’un Prêtre, d’un Gentilhomme, d’un Officier, se fait avec plusieurs cérémonies. Celle qu’on faisoit autrefois pour la dégradation de Noblesse est curieuse, & mérite d’être ici rapportée après Géliot & la Colombiere. Elle fut pratiquée du temps de François I. contre le Capitaine Frauget, qui avoit rendu lâchement Fontarabie. On assembloit vingt ou trente Chevaliers sans reproche, devant lesquels le Gentilhomme étoit accusé de trahison, & de foi mentie, par un Roi, ou un Héraut d’armes. On dressoit deux échaffauts ; l’un pour les Juges assistés des Rois, Hérauts & Poursuivans d’armes ; l’autre pour le Chevalier condamné, qui étoit armé de toutes pièces, & son écu planté sur un pieu devant lui, renversé & la pointe en haut. A côté assistoient douze Prêtres en surplis, qui chantoient les vigiles des morts. A la fin de chaque Pseaume ils faisoient une pause, pendant laquelle les Officiers d’armes dépouilloient le condamné de quelques pièces de ses armes, en commençant par le heaume, jusqu’à ce qu’ils l’eussent dépouillé tout-à-fait, & puis ils brisoient l’écu en trois pièces avec un marteau. Ensuite le Roi d’armes renversoit un bassin plein d’eau chaude sur la tête du condamné. Après les Juges prenoient des habits de deuil, & s’en alloient à l’Eglise. Le dégradé étoit descendu de l’échaffaut avec une corde attachée sous ses aisselles, & mis sur une civière & couvert d’un drap mortuaire, & les Prêtres chantoient encore à l’Eglise quelques prières pour les trépassés ; & puis on le livroit au juge Royal, & à l’Exécuteur de la Haute-Justice. Pour les Ecclésiastiques, on n’attend plus les formalités de la dégradation pour les exécuter à mort, à cause des difficultés, & des retardemens qu’on y apportoit. D’ailleurs, la dégradation n’efface pas le caractère. Du Bois. Boniface avoir décidé qu’il falloit six Evêques pour dégrader un Prêtre ; mais la difficulté d’assembler tant d’Evêques rendoit la punition des crimes presque impossible.

On trouve à Constantinople au VIIIe siècle un exemple de dégradation avant la condamnation à la mort. C’est dans la personne du Patriarche Constantin, que Constantin Copronyme fit mourir. On le fit monter sur l’ambon. Le Patriarche Nicétas envoya des Evêques pour lui ôter le Pallium & l’anathêmatisa ; puis on le fit sortir de l’Eglise à reculons. Quand Crammer, Archevêque de Cantorberi, fut dégradé pour ses crimes & son apostasie, on le revétit d’habits Pontificaux faits de cannevas seulement. On lui mit la mitre en tête, & la croix à la main ; en cet équipage on le montra au peuple, puis on l’en dépouilla pièce par pièce.

Il semble que la dégradation ne diffère de la déposition que par quelques cérémonies infamantes que la coutume y a ajoutées : c’est pour cela que dans l’affaire d’Arnoul Archevêque de Reims, jugé au Concile d’Orléans en 991. les Evêques, délibérèrent quelle forme on devoit suivre dans sa déposition, celle des Canons, c’est-à-dire, celle de la simple déposition, ou celle de la coutume, c’est-à-dire, celle de la dégradation ; & on déclara qu’il tendroit l’anneau, le bâton pastoral & le Pallium, mais qu’on ne lui déchireroit point ses habits. Les Canons ne prescrivent rien autre chose que la lecture de la sentence. Il paroît donc que ce que la coutume avoit ajoûté, étoit le dépouillement des ornemens & le déchirement des habits Pontificaux, ce que l’on a appelé dégradation.

Les Canonistes distinguent la dégradation en verbale & en actuelle. La dégradation verbale n’est autre chose que la déposition, & se fait par une sentence de l’Evêque, ou de son Vicaire-Général, sans dessein pourtant d’en venir à la dégradation actuelle. La dégradation actuelle se fait aussi par une semblable sentence, en conséquence de laquelle le coupable est publiquement dépouillé des habits propres, & de toutes les marques de son Ordre, & on lui rase la tête. Cela se doit faire par son Evêque, en présence de cinq autres Evêques, si le coupable est Prêtre, & de deux seulement, s’il n’est que Diacre. Comme il étoit difficile d’assembler tant de Prélats, la dégradation actuelle a cessé en France depuis la fin du XVIe siècle. Cependant, afin d’en faciliter l’exécution, le Concile de Trente a réglé que des Abbés crossés & mitrés pourroient suppléer au défaut des Evêques ; & des Ecclésiastiques doctes & constitués en dignité, au défaut des Abbés. La déposition & la dégradation différent de la suspense, en ce qu’elles privent absolument un Clerc de tout titre, de toute dignité, ce que ne fait pas la suspense, qui laisse un Prêtre, un Bénéficier, dans le rang & les honneurs de Prêtre & de Bénéficier.

Dégradation d’une dignité, est celle qui prive un Officier des marques d’honneur de sa charge.

☞ Quand un Officier de la Cour s’est montré indigne de son caractère, la Cour le condamne à paroître revêtu de sa robe de cérémonie, pour être publiquement lacérée sur lui par les Huissiers.

☞ Un Officier d’armée qui a mérité une telle peine, est, à la revue, chassé de son poste. On lui ôte d’abord son épée, & ensuite on lui donne l’expuslion avec ignominie.

Dégradation, en termes de Palais, est le dommage, la détérioration qu’on fait dans des terres, ses bois, des bâtimens, soit en les abattant, soit en négligeant de les réparer, ou de les cultiver. On nomme des Experts pour visiter & estimer des dégradations.

Dégradation, en termes de Peinture, signifie l’affoiblissement par degrés de la lumière & des couleurs d’un tableau. La dégradation des couleurs est nécessaire dans les perspectives & dans les lointains. Un bon Peintre doit bien entendre la dégradation des couleurs, pour approcher ou éloigner ses figures. Les dégradations des lumières & des ombres doivent être insensibles.