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Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DISPENSE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 378).
DISPENSER  ►

DISPENSE. s. f. Exemption de la règle ordinaire, relâchement du droit pour une juste cause. Juris provida relaxatio, Legis Laxamentium. Il arrive quelquefois que certaines personnes sont libérées de i’obligation d’observer la loi, c’est ce que l’on appelle dispense. Si le Législateur peut abroger entièrement une loi, à plus forte raison peut-il en suspendre l’effet, par rapport à telle ou telle personne. Mais il n’y a que le Législateur lui-même qui ait ce pouvoir, dont il ne doit faire usage que par de bonnes raisons, avec une sage modération, & suivant les règles de l’équité & de la prudence. Accorder des dispenses, sans discernement & sans choix, à trop de gens, c’est énerver l’autorité des lois : les refuser en des cas parfaitement semblables, c’est marquer de la partialité, qui produit ordinairement de la jalousie & du mécontentement.

Le Pape ne donne point de dispense de ce qui est contre le droit divin, ou contre le droit naturel, mais seulement de ce qui est contre le droit positif. Une dispense au premier degré d’affinité est abusive. Il accorde bien des dispenses de jeûner, de se marier, de tenir plusieurs Bénéfices, &c. Le Roi donne des dispenses d’âge à quelques Officiers, pour être reçus avant le temps porté par les Ordonnances. La dispense de se marier au second degré de parenté, ou d’affinité, comme entre l’oncle & la niece, ne s’accorde qu’aux grands Princes, & pour une cause publique, & s’expédie sub annulo Piscatoris ; au lieu que celle du troisième, ou quatrième degré, s’expédie en Chancellerie. Le Pape accorde dispense au troisième degré, avec connoissance de cause : mais, au quatrième degré, il ne faut d’autre raison que l’amour naturel des Parties. L’usage des dispenses n’est pas établi pour anéantir la discipline de l’Eglise, mais pour adoucir, en quelques rencontres, la sévérité des Canons. Les dispenses qui blessent les bonnes mœurs & l’honnêteté publique, ont toujours été en horreur à toutes les Nations de l’Europe.

Il est certain que l’Eglise a le pouvoir de faire des lois ; pouvoir que les apôtres ont exercé, & que leurs successeurs ont continué d’exercer après eux. Quiconque peut faire une loi, peut la casser ; il peut, à plus forte raison, en dispenser en certains cas particuliers : l’Eglise peut donc dispenser des lois qu’elle fait. Aussi l’a-t-elle fait dans tous les temps. Dès les premiers siècles elle a laissé au jugement des Evêques de dispenser de la longueur de la pénitence réglée par les Canons ; & le IVe. Concile de Carthage permet la translation des Evêques & des Clercs, quand la nécessité & le besoin des Eglises le demandent. Un Auteur, qui, en 1713. imprima un Traité des dispenses, réduit les causes des dispenses à la nécessité & à l’utilité publique de l’Eglise, & non pas à l’utilité particulière de ceux qui poursuivent les dispenses ; autrement les causes ne manqueroient jamais, dit-il ; car il est évident que personne ne demande dispense qu’à son avantage. Cet Auteur prétend que les dispenses doivent être expédiées gratuitement. Marcel II. à ce qu’il dit, étoit résolu d’en user ainsi. Ce Pape disoit que, si les dispenses étoient justes, elles devoient être accordées gratuitement ; que, si elles étoient injustes, elles devoient être refusées. Pie V. refusa une grosse somme d’argent, offerte par un Seigneur Espagnol, pour une dispense que ce Pape accorda, parce qu’il la jugea juste. Les neuf Prélats que Paul III. consulta pour la réformation de la Cour de Rome, recommandèrent la même chose, excepté pour les dispenses des mariages contractés malgré un empêchement connu. Rien ne seroit plus à souhaiter que cette gratuité ; mais, après tout, puisque l’on peut vivre de l’autel même, selon l’expression de S. Paul, pourquoi ne pourra-t-on point exiger quelque chose de ceux qui demandent des dispenses, pour l’entretien des Officiers employés à les expédier ? Le même Auteur prétend non-seulement qu’on pèche en demandant & en accordant une dispense, sans raison, mais encore qu’elle est nulle. C’est assurément une faute d’accorder ou de demander une dispense, sans raison ; mais que la dispense ainsi accordée soit nulle, c’est autre chose. M. de Sainte Beuve, M. de Marca, l’Auteur des Conférences de Luçon, &c. ne sont pas de ce sentiment. Et, ce qui est de plus singulier, c’est que l’Auteur même du Traité dont nous parlons, veut que, quand on a exposé les raisons sans déguisement, on s’en tienne à la conscience du Supérieur qui accorde la dispense. Mais comment s’y tenir, si l’on sait que l’on n’a point de raison suffisante ? S’il ne s’agit que de parler sans déguisement, c’est bien la faute de ceux qui demandent des dispenses, s’ils offensent Dieu. On a fait, ces dernières années un Traité des dispenses de Carême imprimé à Paris.

On dit, proverbialement : A point marier, ne faut pas de dispense.