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Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DRAGON

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 458-460).

DRAGON. s. m. Espèce de monstre d’une grandeur prodigieuse, à qui la fable a donné des griffes, des ailes, & une queue de serpent. Draco. Les anciens Naturalistes se sont égayés à décrire ce monstre en diverses manières. Ils lui ont donné des ailes, des crêtes, des pieds & des têtes de différentes figures ; jusques-là qu’Aldrovand fait mention d’un dragon né de l’accouplement d’un aigle avec une louve, qui avoit de grandes ailes, une queue de serpent, & des pieds de loup, fait aussi faux que merveilleux. Mais il est le premier à dire, avec les Modernes, que c’est un animal chimérique, si on le prétend faire différer d’un vieux serpent. Quelques-uns même ont dit qu’il y a en Afrique des dragons volans qui peuvent importer un homme & un cheval, & qu’ils emportent souvent des vaches. Albert le Grand fait mention d’un dragon de mer, semblable à un serpent, qui a les ailes courtes, le mouvement très-prompt, & venimeux ; & qui fait mourir par sa morsure.

Ce mot de dragon vient du Latin draco, formé du Grec δράκων qui, selon l’opinion commune, s’est dit par transposition ou méthathèse, pour δάρκων dracon ; de δὲρκω Je vois, parce que les dragons ont la vue très-perçante. Scaliger le Père le tire de δρᾶν αχος faire de la douleur. Vossius de δρᾶν άκος facere medicinam, guérir, être propre à guérir, être un bon remède, ou comme dit Vossius, ne point faire de mal ; car au rapport de Solin, C. 30. les vrais dragons ont la gueule petite, & ne peuvent mordre ; ou s’ils mordent, leur morsure n’est pas venimeuse. C’est pour cela que les anciens les aimoient, & les appeloient Ἀγατοδαίμὸνας De bons génies. Ce sont des remarques de Saumaise. Vossius confirme encore son étymologie, parce que les dragons étoient consacrés à Esculape. On peut ajouter que, sur les médailles, la Déesse Santé a toujours un serpent.

Les Poëtes qui ont feint que le jardin des Hespérides étoit gardé par un dragon, ont entendu la mer Océane qui fermoit l’entrée aux Îles fortunées, ou à l’Amérique, d’où venoient de beaux fruits, & où se trouvoient les mines d’or. On peint un dragon auprès de Sainte Marguerite. Dragon, la Gargouille de Rouen. Voyez Fierté. Dans l’Église, on a porté autrefois des figures de dragon dans les Processions, pour représenter le Diable, ou l’Hérésie, dont l’Église triomphe. On le portoit au bout d’une perche ; & un enfant avoit une lanterne, où étoit un cierge allumé, pour rallumer le feu qui étoit en la gueule du dragon, s’il venoit à s’éteindre. Les Poëtes donnent des crêtes & des crinières, jubas, aux dragons ; ils ne sont pas les seuls. Le Roi Juba assuroit qu’il y en avoit en Afrique à qui la nature en avoit donné ; & Jacques de Vitry, L. 1. C. 89. avec beaucoup d’autres qui ont fait des voyages aux Indes, disent la même chose. Les Poëtes attribuent aux dragons la garde des trésors, & des choses précieuses. Ainsi, c’étoit un dragon qui gardoit le Jardin des Hespérides ; un autre gardoit la toison, &c. Cela signifie que ces choses étoient confiées à des hommes très-clairvoyans, très-vigilans.

Les Égyptiens adoroient les dragons, à ce que rapporte Marcianus Capella, L. I en parlant de Saturne, qui étoit le Temps, désigné, en style de hiéroglyphe, par un serpent qui fait un cercle en mordant sa queue. Il y a chez un curieux de Paris, membre de l’Académie des Inscriptions, une espèce d’Anubis, qui, au lieu d’une tête de chien, a une tête de dragon, ou de serpent ; ou une figure Égyptienne qui a une tête de dragon sur un corps d’homme. Les Chaldéens adoroient aussi les Dragons, comme il paroît par l’histoire de Daniel. Les Grecs & les Romains donnoient toujours un dragon à Esculape, & à la Déesse Santé, comme on le voit si souvent sur le revers des médailles qui ont pour inscriptions Salus Publica, Salus Aug. Maxime de Tyr parle aussi d’un Dragon que les Indiens adoroient, & qui, si on l’en croit, étoit de la longueur de cinq arpens de terre. Consultez aussi Freinshemius sur Quinte-Curce, L. IX. C. I.

Voyez sur les Dragons Vossius, De Idolol. L. IV, C. 54, 106, 112, 113 ; où l’on trouve tout ce que l’Antiquité en a dit. Il y a parmi les ouvrages de S. Jean Damascène de l’Édition du P. le Quien, une réfutation des fables que les Arabes débitoient touchant les dragons & les Fées.

Les dragons faisoient les Étendarts des Perses, comme les Aigles ceux des Romains. Les Parthes en avoient aussi comme les Perses. Suidas le dit encore des Indiens & des Scythes. Les Romains prirent cet usage des Parthes, selon Casaubon sur Vopiscus, p. 230 & des Assyriens, selon Codin. D’autres prétendent qu’ils le prirent des Daces, après les victoires que Trajan remporta sur eux. C’étoient, chez les Romains, des figures de Dragons, peintes en rouge sur les drapeaux, comme il paroît par Amm. Marcellin, L. XV. C. 16. & par Claudien In Rufin, L. II. Mais, chez les Perses & les Parthes, c’étoient, comme les Aigles Romaines, des figures pleines ; ensorte que les Soldats Romains y furent quelquefois trompés, & les prirent pour de vrais dragons. Les Perses s’en servoient pour épouvanter leurs ennemis dans le combat. Dans des temps postérieurs, ceux qui en ont porté pour Étendarts, sont les Empereurs d’Allemagne. Guill. Brito Philipp. L. II. Les Saxons, Witikind. Gest. Saxon. L. I. Les Anglois, Du Cange Gloss. Matth. Monaster. Ac. 498. Cambden, p. 141. qui doute si ce n’est point le Roi Uther Pendragon qui introduisit cet usage ; il penche cependant plus à croire qu’on le prit des Romains. Les Ducs de Normandie, Du Cange. Les Comtes de Flandres, Chron. Andrense, p. 491. Enfin, si l’on en croit le Roman de Garin cité par Du Cange, presque toutes les Nations ont mis un dragon sur leurs enseignes. L’Église l’a mis aussi quelquefois dans ses bannières, pour signifier ou le Démon, dont le dragon dans l’Écriture est le Symbole, ou l’hérésie. Voyez Belet D. Divin. Offic. C. 123. Durand. Rat. Liv. VI. C. 89. n. 12. & C. 102. n. 11 Le Gloss. de Du Cange, Dempster, in Rosini Ant. Rom. L. X. Paralip.

Dragon, en termes de l’Écriture, se dit figurément du Serpent infernal, de Satan. Ainsi, quand il est dit dans l’Apocalypse, Chap. 12 que le Dragon & ses Anges combattoient contre Saint Michel, il est expliqué aussi-tôt que c’étoit le Diable & Satan. Et de même, au Chap. 13, quand il est dit que le Dragon a été adoré ; & pareillement, quand il est dit dans les Prophéties Isaïe & de Daniel que le Dragon a été blessé, a été mis à mort, cela s’entend du mystère de la Rédemption qui a détruit l’Empire de Satan.

Dragon, se dit, hyperboliquement, des gens acariâtres, d’humeur fâcheuse, qui crient toujours. Cette femme crie toujours contre son mari, c’est un vrai dragon. Cet enfant est un vrai dragon. Il est méchant & mutin.

☞ On appelle Dragon de vertu, une femme d’une vertu austère & farouche.

Quoi ! me voir le mari de ces femmes de bien !
Ces dragons de vertu, ces honnêtes Diablesses !

Mol.

Dragon, en termes de guerre, est une sorte de Cavalier sans bottes, qui marche à cheval, & qui combat à pied, & quelquefois à cheval. Eques quem Draconem vocant. On a beaucoup multiplié en France le corps des Dragons. Les Dragons sont postés à la tête du camp, & vont les premiers à la charge, comme les enfans perdus. Ils sont réputés du corps de l’Infanterie, par une Ordonnance du Roi de l’année 1665, & en cette qualité ils ont des Colonels & des Sergens ; mais ils ont des Cornettes comme la Cavalerie. Les Dragons ont pour armes l’épée, le fusil & la bayonnette. Ils ont l’étendart, des tambours & des hautbois. Lorsqu’ils marchent à pied, leurs Officiers portent la pertuisane, & les Sergens la hallebarde. Les Dragons ont succédé aux Carabins.

Dragon, onne. adj. Les Calvinistes appeloient Mission Dragonne, les Dragons que le Roi de France envoyoit dans les Cévennes pour contenir le peuple qui s’étoit révolté au sujet de la Religion. En voici une exemple tiré du Dictionnaire de Bayle au mot Alais rem.

La révocation de l’Édit de Nantes faite en 1685. a donné lieu à la création de l’Évêché d’Alais, ville de France dans les Cévennes. Ce pays-là étoit rempli de gens de la Religion, qui avoient été forcés par une Mission Dragonne à signer un formulaire Papistique. On crut donc qu’il seroit utile de ne les tenir pas aussi éloignés de leur Prélat, qu’ils l’eussent été s’ils avoient été soumis au Diocèse de Nîmes.

Madame de Sévigné, dans une lettre à son cousin le Comte de Bussy, daté du 28 d’Octobre 1685, dit aussi que les Dragons ont été de très-bons Missionnaires, & ajoute que rien n’est si beau que l’Édit par lequel le Roi révoque celui de Nantes, & que jamais aucun Roi n’a fait & ne fera rien de plus mémorable. T. II. des Lettres de Bussy, p. 45.

Ménage dérive ce mot de Dragon, du Latin Draconarii, qu’on trouve dans Végèce dans la signification de Soldats. Mais il y a plus d’apparence qu’il vient de l’Allemand tragen ; ou draghen, qui signifie infanterie portée. Il y a plus d’apparence, selon le P. Daniel, que ce mot vient de ce que cette sorte de troupes se rendit fort redoutable par son activité, son courage & le ravage qu’elle causoit chez les ennemis. Charles de Cossé, Maréchal de Brissac, est l’Auteur de cette Milice, qu’il leva dans le Piémont.

Dragon renversé, ou Dragon vaincu. Draco subversus. Ordre de Chevalerie, institué par l’Empereur Sigismond. Quelques Auteurs disent que les Chevaliers du dragon renversé portoient ordinairement une croix fleurdelisée de sinople. Dans les cérémonies ils avoient un manteau d’écarlate, & une double chaîne d’or sur un manteau de soie verte. Au bout de la chaîne pendoit un dragon renversé, aux ailes abattues, émaillées de différentes couleurs. Dom Giuseppe Michieli prétend, dans son Trésor militaire, que cet Ordre fut institué en 1400. dans le dessein d’anéantir, pour me servir de ses termes, les hérétiques de Hongrie & de Bohême. L’Abbé Justiniani soutient que Sigismond étoit prisonnier en 1400, ou qu’il ne sortit de la prison que cette année-là ; qu’il y fut peut-être même jusqu’en 1401 ; qu’ainsi il ne put en 1400 instituer cet ordre. L’Histoire des Ordres militaires imprimée à Paris en 1671, fixe l’époque de cette institution à l’an 1418. Favyn & Elias Ashmole, Auteur Anglois, dans son Histoire de l’Ordre de la Jarretière, sont du même sentiment, & disent qu’il ne fut institué qu’après le Concile de Constance, qui finit cette année-là ; que cette institution se fit au sujet de la condamnation de Jean Hus, & de Jérôme de Prague, & de la punition de ces hérétiques ; que le dragon renversé étoit le symbole de l’hérésie défaite dans leurs personnes ; que la variété de la couleur de ses ailes marquoit les différens appas que l’hérésie emploie pour séduire les Fidèles. On confirme ce sentiment, parce que les Luthériens, qui se firent honneur de descendre de Jean Hus & de Jérôme de Prague, affectèrent de mettre un dragon relevé sur leurs Étendarts, dans les guerres civiles qu’ils suscitèrent en Allemagne.

Mais l’Abbé Justiniani leur oppose le Testament de Francezco dal Pozzo, fait en 1397, le dernier jour de Mai, & qui se conserve dans la maison dal Pozzo, famille patricienne de Vérone ; car, dans ce Testament qui est en Latin, Francezco dal Pozzo, parlant de son fils Vittorio dal Pozzo, qu’il fait son héritier universel, lui donne la qualité de Chevalier du Dragon, D. Victorium à Puteo Militem Draconis, & dit qu’il étoit pour lors auprès de l’Empereur Venceslas, pour les affaires de Jean Galeazzo, Visconti, Prince de Vérone, qui l’y avoit envoyé. D’où l’Abbé Justiniani conclut, que l’Ordre du Dragon vaincu, ou renversé, étoit donc institué en 1418, avant 1400, & même avant 1397 ; & il conjecture qu’il le fut en 1385, au mariage de Sigismond avec la Reine Marie, ou en 1387, à son couronnement comme Roi d’Hongrie ; ou bien, en 1392, au plus tard, lorsqu’après la mort de son épouse, Marie, Reine d’Hongrie, qui lui avoit apporté ce Royaume, il fut couronné une seconde fois de son propre chef.

Michieli écrit que le collier étoit une chaîne verte, d’où pendoit un dragon mort & renversé. Dans l’Histoire des Ordres Militaires imprimée à Paris en 1671, c’est une double chaîne, entre laquelle sont de distance en distance sept croix patriarchales. L’Abbé Justiniani prétend sur des monumens anciens que ce fut au moins d’abord un dragon non renversé, qu’il ne fut point doré, & qu’il avoit une croix sur le dos. Il ajoute cependant, pour accorder les mêmes Auteurs, qu’après le Concile de Constance, Sigismond put changer, & rapporter cet Ordre à la victoire remportée sur l’hérésie.

Voyez Franc. Menenii Deliciæ Equestres, p. 155. D. Joseph Michieli Tesoro Militar. p. 14. Andr. Mendo. Soc. Jes. de Ordin. Milit. p. 14. Favyn, Justiniani, Hist. di tutti gl’Ord. mil. C. 66. p. 717. Il y donne une suite chronologique des Grands-Maîtres de l’Ordre, depuis Sigismond jusqu’en 1688.

Dragon volant, est un nom qu’on a donné à une ancienne couleuvrine extraordinaire, qui a 39 calibres de long, & qui tire 32 livres de balle, selon Hanzelet. Le dragon étoit aussi une pièce d’artillerie de 40 livres de balle : ces deux pièces ne sont plus en usage. Tormentum æneum a colubra, Dracone nuncupatum.

Dragon, est aussi une maladie, une tache qui vient aux yeux des hommes & des chevaux. Ce cheval a diminué de prix, depuis qu’il lui est venu dans l’œil un dragon.

Dragon, ou Dragonneau. Dracunculus. Espèce de corde polypeuse, longue, blanchâtre, semblable à un ver ou petit serpent, renfermée dans une veine sous la peau des bras, des jambes, des côtes, & qui fait élever une tumeur phlegmoneuse dont elle sort en la tirant doucement. Les habitans des pays chauds y sont sujets. On l’appelle dragon ou dragonneau, parce qu’on croyoit que c’étoit un ver tortueux comme un petit serpent ; vena Medinensis, à cause que cette maladie étoit connue à Médine, ville d’Arabie. Col-de-Villars.

Dragons, en termes de Marine, sont de gros tourbillons d’eau qu’on trouve souvent sous la ligne, qui briseroient ou couleroient à fond les navires, s’ils passoient par-dessus, & les Mariniers ont la superstition de croire qu’ils les détournent, en battant leurs épées nues en croix du côté d’où vient l’orage, comme dit François Pirard. Vortices. On l’appelle aussi dragon de vent, parce que c’est un orage subit & violent, qui d’ordinaire désempare les vaisseaux & qui les feroit tourner si l’on n’avoit soin de serrer les voiles.

Dragon, en Astronomie, est une Constellation céleste vers le Pole Arctique, ayant 31 étoiles, selon Ptolomée ; 32 selon Képler ; & 33, selon Bayer, qui sont de la nature de Saturne & de Jupiter.

En termes d’Astronomie, on appelle la tête & la queue du dragon, les points des intersections de l’Écliptique par l’orbite des autres Planètes, & particulièrement par celle de la Lune. Draco. Le ventre du Dragon est l’endroit de ces cercles où se trouvent leur plus grande latitude & éloignement. Comme ces cercles marquent une plus grande enflure au milieu qu’aux extrémités, cela a fait croire qu’ils avoient la figure du dragon ; ce qui les a fait nommer ainsi : & c’est dans ces seuls points d’intersection que se font toutes les éclipses. On les marques dans les horoscopes avec ces signes, Ω tête de dragon ; Ω queue de dragon. Mais il n’y a rien de plus vain que les prédictions que font là-dessus les Astrologues ; car en effet ces points n’ont aucune vertu ni influence.

Dragon, en termes de Physique, est un météore qui se forme de quelques nuées enflammées qui jettent quelques étincelles, qui ont divers replis, & qui imitent la figure d’un dragon.

☞ On appelle aussi la vive dragon de mer.

Dragon, en termes de Blason, quand on le dit simplement, s’entend du terrestre, qui doit avoir deux pieds, & la queue en pointe. Il y en a d’autres qu’on appelle monstrueux, qui ont des ailes : & on appelle dragonnés, les autres animaux qui sont peints avec des queues de dragons ou de serpens.

Dragon, est aussi un petit laquais, qui porte un bonnet en forme de cône, ou de pain de sucre. On l’appelle ainsi, parce que les dragons soldats ont un bonnet pareil.

Dragon, est aussi le nom d’un grand arbre qui croît dans l’Amérique. Il ressemble de loin à un Pin, parce que ses branches sont égales & vertes en tout tems. Son tronc est gros, fort âpre & raboteux : il jette huit ou neuf branches de deux coudées de long, égales & nues, chacun desquelles en produit au bout trois ou quatre autres de la longueur d’une coudée, ou un peu davantage, grosses comme le bras, qui sont aussi nues : il sort de l’extrémité de celles-ci des feuilles longues d’une coudée, de la largeur d’un pouce, plus épaisses au milieu, avec une côte relevée comme les feuilles de la flambe, minces & rougeâtres par les bords : elles finissent peu à peu en pointe, & sont toujours vertes. Le fruit du dragon est jaunâtre, d’un goût aigrelet, & gros comme une petite cerise. Quelques Botanistes rapportent qu’au-dessous de la peau qui le couvre, on voit la figure d’un dragon aussi-bien représentée que si elle avoit été taillée par un Sculpteur, ayant un long cou, une longue queue, la gueule ouverte, l’épine du dos garnie de longs aiguillons, & les pieds & le reste du corps fort remarquables ; mais d’autres plus dignes de foi assurent que c’est une fable, & qu’on ne trouve au-dessous de cette peau qu’un noyau dur comme un os, sans qu’il y paroisse aucune figure d’animal. Du tronc de cet arbre il sort une liqueur, laquelle, étant épaissie, est appelée sang de dragon, à cause qu’elle est rouge comme du sang, & que l’arbre d’où elle distille est nommé dragon. Voyez Sang de dragon. Le bois du tronc est fort dur, & mal-aisé à couper ; mais ses branches se coupent aisément.

Sang de dragon. Terme de pharmacie. Les Anciens ont cru que le dragon combattoit contre l’éléphant ; qu’il lui suçoit tout son sang par les yeux & les oreilles ;  que l’éléphant, tombant mort, écrasoit le dragon ; & que, de ce sang mêlé tombant sur la terre, on en recueilloit ce qu’il appeloient sang de dragon, dont ils faisoient grand cas. C’est ainsi qu’en parlent Solin, Pline, Isidore, & plusieurs autres après eux : mais ce combat est une fable inventée par les Marchands. On appelle aussi le cinabre, sang de dragon, selon Avicenne & Sérapion. Mais le vrai & naturel sang de dragon est un suc ou résine d’un grand arbre, nommé dragon, qui croît dans l’Amérique & dans l’Afrique. Cette résine est d’un rouge obscur, & se fond aisément étant approchée du feu ; & si on la jette dedans, elle s’enflamme : cependant il est difficile de la dissoudre dans quelque liqueur que ce soit. Le sang de dragon est astringent. On s’en sert dans les pertes de sang, dans les dyssenteries, pour affermir les dents ébranlées, & pour fortifier les gencives. Il y a un sang de dragon contrefait, qui n’est composé que de gommes de cerisiers ou d’amandiers, dissoutes & cuites dans de la teinture du bois de Brésil, qui leur donne la couleur rouge, & qui n’est guère en usage que pour les maux externes des chevaux.

Il y a un vrai sang de dragon dont François Cauche fait mention en son Voyage de Madagascar. Il dit qu’on lui fit présent de six morceaux de sang de dragon, chacun long de trois pouces, ressemblant à des morceaux de boudin, marbrés comme le savon d’Alicante, de rouge, de noir & de blanc : ce que les habitans appellent onguent pour étancher le sang. Ils sont faits de feuilles pilées d’un arbre fort branchu, & gros comme un poirier, qui a les feuilles longues & plus étroites que celles du laurier, ayant une odeur de violette. Les fleurs sont blanches & odoriférantes, venant en bouquet, rondes & n’ayant que cinq feuilles bien ordonnées. Elles se ferment la nuit, & ne sont pas plus larges qu’un double. Il sort du milieu un filet rougeâtre, qui se recoquille en telle sorte, qu’il fait la figure d’un dragon.

Dragon, en termes de Chymie, n’est autre chose que le mercure, ou argent vif. Les Chymistes appellent le mercure doux, dragon mitigé. Voyez Mercure doux. Dragon a encore beaucoup d’autres significations dans le langage du grand art, ce mot signifie quelquefois feu. Dragon sans ailes, c’est le souffre. Dragon ailé, c’est le mercure. Les deux dragons sont le mercure & l’antimoine. Le grand dragon, les quatre élémens : cela veut dire que le mercure des Philosophes est composé des quatre élémens. Le dragon dévorant sa queue, c’est la terre coagulée, desséchée, & humectée de son eau mercurielle. Le dragon igné, dont le sang s’incorpore avec la saturnie végétable, le mercure hermétique. Le dragon qui veille toujours à la garde de la toison d’or, c’est le mercure qu’il est difficile d’arrêter & de fixer. Le dragon qui fut endormi par Jason, par l’invention que lui en donné Médée, c’est le mercure fixé par l’Artiste désigné par Jason, par le moyen de quelque secret exprimé par le nom de Médée. Dragon dévorant, dragon volant, c’est le mercure. Le dragon qui a trois gueules, c’est le mercure qui renferme trois principes, qui sont, le sel, le soufre & le mercure. Le dragon est mort, c’est-à-dire le mercure philosophal, ou la matière de la pierre philosophale est parvenue à la couleur noire. Le sang de dragon, c’est la teinture d’antimoine.